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Les curieux oublis d’un archiviste algérien

Ne pas oublier les victimes du massacre d'Oran


Les curieux oublis d’un archiviste algérien
Un soldat de l'armée française dans le quartier Saint-Eugène d'Oran en Algérie, le 28 avril 1962 © Horst Faas/SIPA

L’entrée sur le 5 juillet 1962 à Oran du Dictionnaire de la guerre d’Algérie (Éditions Bouquins, 2023) est problématique.


Le Dictionnaire de la Guerre D’Algérie que nous offrent Tramor Quemeneur et Sylvie Thénault est un opus très pondéreux qu’une longue étude pourra seule permettre d’évaluer correctement. En attendant, je me penche ici sur l’entrée de ce dictionnaire, traitant du 5 juillet 1962, confiée à un archiviste algérien, Fouad Soufi. Un mot sur ce personnage que je connais peu ; sa réputation, y compris parmi nos compatriotes, est celle d’un homme bienveillant et peu dogmatique. Il n’en demeure pas moins qu’il fut erroné de lui confier cette tâche. Il est fonctionnaire du gouvernement algérien et il est très légitime de s’interroger sur sa liberté de manœuvre. Voici plusieurs années en effet que certains historiens français veulent nous faire croire que le point de vue de nos confrères d’Outre-Méditerranée est important, voire indispensable. Comme si l’Algérie était une démocratie attitrée, patentée et certifiée. Ce n’est évidemment pas le cas et rares sont les intellectuels algériens, vivant en Algérie, qui peuvent s’affranchir, sans de gros risques, de la doxa officielle et de la réécriture d’État de l’Histoire. Car, pour les bureaucrates qui dirigent ce pays, il y a une version officielle du 5 juillet à Oran : il n’y a pas eu de massacre. Militaires algériens, ATO et militants du FLN n’avaient que le souci d’organiser correctement le référendum d’Indépendance et de célébrer ensuite. 

A relire, Jean Sévillia: «Depuis 40 ans, la France se couche devant le pouvoir algérien»

On retrouvera tous ces points dans l’entrée concernée, aux pages 253, 254, 255 et 256 du dictionnaire. Tout au plus l’auteur concède-t-il qu’il y eut « des massacres » d’Européens touchant ceux qui habitaient Eckmühl, le Petit-Lac et Victor-Hugo. Ces deux dernières zones comptant peu d’habitants pieds-noirs, surtout à cette époque, ceci revient à minimiser les faits. Selon l’auteur, « rien dans le passé immédiat ne permettait d’envisager un tel drame » (sic). Nous pensons, quant à nous, que beaucoup de choses permettaient au contraire de le redouter[1]. Nous renvoyons pour cela à nos ouvrages dont La Phase Finale de la Guerre d’Algérie. Car, il faut d’ores et déjà signaler la faiblesse fondamentale des pages susmentionnées. Les résultats des travaux effectués depuis 60 ans par des historiens français sont “oubliés”. Sans vergogne. Guy Pervillé, Guillaume Zeller manquent à l’appel. Le film de Georges-Marc Benamou n’est pas évoqué. Jean-Jacques Jordi figure en tête des oubliés de marque. Lui, qui a patiemment travaillé sur les listes de disparus, les a minutieusement vérifiées, contrôlées et complétées, est aujourd’hui en mesure de présenter une liste précise de victimes dont la majorité est constituée de gens toujours portés disparus.

Mais voilà : le gouvernement algérien a récusé les travaux de Jordi. Il l’a même traité de ”révisionniste” ou de quelque chose d’approchant. Exeunt donc Jordi et ses chiffres.
On ne s’étonnera guère qu’il soit totalement absent de l’article précité. Ce texte se termine d’ailleurs de façon ahurissante. Selon l’auteur, « l’absence de nombreuses archives contribue à entretenir le silence à ce sujet ». On nous permettra d’ajouter : la censure algérienne aussi.
Quelles sont donc ces archives dont le manque empêcherait encore de conclure et d’échapper aux chiffres contradictoires ? Celles de l’Association des Familles de Disparus (de M. Domard devenue plus tard l’ADDFA[2]), celles de l’Association de Sauvegarde de René Soyer[3], celles de la sous-délégation de la Croix-Rouge d’une part ; celles d’autre part, de l’Association du Comité Provisoire de liaison population/ autorités administratives, celles de l’ALN et celles de la Commission Mixte de Réconciliation.

Concernant les trois premiers groupes d’archives, il s’agit de documents français ou suisses, consultables. Les trois derniers ne le sont pas, mais il s’agit d’archives algériennes. Nous attendons par conséquent que la partie algérienne les ouvre. Avec intérêt et sérénité. 

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[1] Mme Thénault semble d’ailleurs le penser. N’a-telle pas écrit:”… crainte et défiance créant les conditions d’un embrasement à l’heure des engagements radicalisés.” Cette phrase est extraite de son livre Histoire de la guerre d’Indépendance algérienne et figure dans l’article étudié page 256.

[2] L’ADDFA (l’Association de Défense des Droits des Français d’Algérie) fut créée et animée par cette personne, entre autres. Ses listes furent récupérées et sont aujourd’hui détenues par le GRFDA: Groupe de Recherche des Français Disparus en Algérie dont la présidente est Mme Ducos-Ader.

[3] Nous avons recueilli le témoignage d’une collaboratrice directe de René Soyer. Il est au CDHA: Centre de Documentation Historique sur l’Algérie à Aix. D’autres archives de M. Soyer sont au SHD : Service Historique de la Défense à Vincennes.



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Historien, spécialiste de l’Algérie française, il a publié en 2020 Dissidence – Dissonance, Contre la désinformation sur la guerre d’Algérie.

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