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Quand les musulmans militent pour leur droit à… l’homophobie

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Dans le silence complice des médias d’Outre-Atlantique, plus de 130 « savants » et responsables religieux musulmans nord-américains [1] – notamment le Conseil des Imams Canadiens – ont très officiellement soutenu le droit pour la communauté musulmane de persévérer dans son attitude traditionnelle vis-à-vis des LGBTQI+ sans être accusée d’intolérance ni d’incitation à la haine – tout en sachant que ladite attitude traditionnelle tombe sous le coup de la loi.


Mais que voulez-vous ? Comme l’expliquent ces éminents religieux : « la position normative de l’islam sur les LGBTQ découle du Coran et ne peut pas être changée. » Et ils ajoutent : « Nous refusons la fausse alternative entre succomber aux pressions sociales pour renier nos croyances et être confrontés à des accusations infondées de fanatisme. Ce genre d’ultimatums contraignants ne peut que saper la possibilité de coexistence harmonieuse. » « Nous insistons sur notre droit, donné par Dieu et reconnu par la constitution, d’être fidèles à nos croyances, de vivre en conformité avec elles et de les promouvoir, sans devoir craindre des représailles juridiques ou des discriminations systémiques. » Voilà qui est bien joué de leur part, et riche d’enseignements.

Pas de scandale, c’est les musulmans !

Premier enseignement, dans le Canada de Trudeau seuls les musulmans peuvent se permettre un tel discours. Si des chrétiens s’y risquaient, on imagine le scandale médiatique ! Ce n’est d’ailleurs pas très différent de notre côté de l’Atlantique, où celleux/ceuxes qui dénoncent avec virulence le patriarcat cisgenre hétéronormé ont des pudeurs de gazelles face au patriarcat islamique mais traqueront avec délectation le moindre « dérapage » de quiconque porte une croix ou une médaille de Lourdes.

Deuxième enseignement, l’islam (ou du moins une grande partie des courants qui le composent) n’envisage la « coexistence harmonieuse » qu’à condition qu’il soit au-dessus des lois communes, autorisé à s’en affranchir comme bon lui semble. Imposer aux musulmans les mêmes règles qu’aux autres citoyens est qualifié de « représailles juridiques » et de « discriminations systémiques » (« legal reprisal » et « systematic marginalization »). Il faudrait ne rien connaître des dogmes, des enseignements et de l’histoire de l’islam orthodoxe pour être surpris.

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Troisième enseignement, l’intersectionnalité est une escroquerie. Toute personne de bonne foi le sait depuis longtemps, mais il est toujours savoureux de voir les minorités gâtées du culte diversitaire se disputer la première place.

C’est, surtout, très bien joué. Face à la religion progressiste qui tente partout d’imposer la vénération des femmes à pénis et des hommes enceints, les islamistes ont beau jeu de se poser en défenseurs du bon sens, et même en rempart face aux fous qui ont pris le contrôle de l’asile. C’est un peu ce qui est arrivé en France avec le « scandale » (très éphémère) des joueurs de foot refusant de porter le drapeau arc-en-ciel.

Car enfin ! On a beau savoir pertinemment que dans le cas d’espèce ce refus est assez largement motivé par l’homophobie, on ne peut s’empêcher de se dire que le militantisme obligatoire s’apparente de plus en plus à un embrigadement inacceptable, doublé d’endoctrinement manifeste dans les établissements scolaires, et qu’aucun contrat de travail ni aucun ministre des sports, de l’éduc’nat ou d’autre chose, ne doit pouvoir imposer à quiconque de faire semblant de croire que la Terre est plate ou que les femmes peuvent avoir des pénis, sauf à verser dangereusement dans le totalitarisme.

Non à la castration intellectuelle

Mais à l’heure du buzz et des procès en sorcellerie (pardon : en extrême-droiterie), voire en hérésie si votre vision des saintes valeurs de la divine République n’est pas tout à fait celle du gouvernement, difficile d’introduire de la nuance et de rappeler que l’indispensable défense des LGB n’a pas à être instrumentalisée pour cautionner les délires TQI et tout l’alphabet +. Le droit de s’aimer comme on veut entre adultes lucides et consentants, le droit pour un homme d’adopter une apparence et des maniérismes traditionnellement féminins, et pour une femme une apparence et des maniérismes traditionnellement masculins (droits qui devraient être évidents mais sont hélas menacés, notamment par le transactivisme qui qualifie de « transphobie » toutes les préférences sexuelles qui lui déplaisent), n’impliquent aucunement un quelconque droit d’imposer au monde entier de prendre un jeu de rôle pour la réalité.

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Je n’ai rien contre les jeux de rôle grandeur nature ni contre le cosplay, je trouve d’ailleurs ça tout à fait sympathique, mais même si un chirurgien me taille les oreilles en pointe je ne deviendrai pas véritablement un Elfe, et en dehors du cadre bien précis d’un jeu dont tous les participants ont librement accepté les règles (et les habitués de grandeur nature prennent justement soin d’éviter les dérives), je ne peux pas m’attendre à ce qu’on me traite comme si j’étais réellement Legolas, Elrond…. ou Galadriel !

Justin Trudeau, les imams canadiens et Pap Ndiaye vous souhaitent la bienvenue dans le meilleur des mondes progressistes. Préférez-vous que votre fils écoute un prédicateur islamiste ou un activiste qui va l’encourager à subir une castration chimique voire chirurgicale ? Pour votre fille, ce sera plutôt la mastectomie ou la burqa ?

Ni l’un ni l’autre, merci ! Nul besoin d’en référer à la loi totalitaire d’un dieu-tyran pour échapper aux délires du transactivisme, nul besoin d’accepter la rééducation progressiste pour refuser la chape de plomb d’une théocratie. C’est simple : la majorité des citoyens a le droit d’être entendue sans devoir d’abord se ranger sous la bannière de telle ou telle minorité vagissante, sinon c’est que nous ne sommes plus en démocratie. Et quel que soit le régime politique, les « lois divines » auto-proclamées d’une religion n’ont pas à être au-dessus des lois de la cité, et les lois humaines ne sont pas et ne seront jamais au-dessus du réel.

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[1] https://capforcanada.com/media-silent-as-muslim-canadian-council-rejects-lgbt-ideology/

Si la Judée m’était contée…

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Le photographe Didier Ben Loulou a capturé la Judée dans un recueil aux couleurs rocailleuses pour les éditions de la Table Ronde (en vente le 1er juin).


C’est toujours un plaisir d’ouvrir un livre de Didier Ben Loulou, de se griller la peau par contumace, sur cette terre nue à la végétation éparse et résistante. Avec ce photographe vivant entre Paris et Jérusalem, le voyage visuel, donc sensitif, n’est jamais anodin, jamais quelconque, toujours empreint d’une intensité mélancolique et sauvage. La Méditerranée est son royaume. De Tanger aux Cyclades, de Jaffa à Athènes, le Sud indolent et brutal rayonne sous son objectif. Je l’ai déjà dit ici, dans nos colonnes, Ben Loulou ne photographie pas pour passer le temps, pour divertir les intérieurs bourgeois, pour faire joli ou pittoresque sur une table basse, le folklorique ou le glacé, il s’en moque ; il cherche l’absolue vérité des paysages, leur inanité resplendissante, leur banalité fantomatique, en résumé, leur onde nostalgique. C’est pour ça qu’il me séduit et me happe l’esprit à chaque nouvelle parution. Il y a chez lui, une âpreté qui nous élève, sans gloriole, ni flonflons philosophiques. Son geste ressemble à une offrande sincère, sans calcul, sans préméditation, il témoigne de l’indicible. Voici sa Judée, elle déploie ses monts sableux, cette infinie variation de beige, d’ocre, de kaki et de terreux, parfois le rouge carmin apporte une note d’espoir ou d’ironie. Dès la première ligne de sa préface, il écrit : « La Judée, c’est ce désert de premier matin du monde ; ce sont les monts de Moab violets et irréels ». Tous les matins du monde sont là, devant nos yeux, quand l’humanité s’éveille, que de minuscules traces de vie se mettent en branle, ici le serpentin d’une route à la dérive ; là, le visage d’un enfant au regard songeur ; plus loin, un cheval blanc aux côtes saillantes, vigie d’un ordre immémoriel.


Dans cette Judée déserte, aux lignes de crête abandonnées, dans ce boyau du bout du monde, tout semble renaître et se figer à la fois, le ciel observe cet entrechoc émotionnel. Il n’a pas décidé de transiger, ni de juger, il laisse la nature se faire et se défaire au gré des saisons. Comme si cet horizon était une nouvelle page blanche à fouler et pourtant, nous savons intimement que ce massif recèle mille histoires, mille cahotements, mille miracles, mille berceaux. Alors, on se laisse porter par le regard de Ben Loulou, sans lui, nous serions passés à côté de l’essentiel, du friable et du végétal, de cette minéralité qui s’infiltre dans les ruines de l’âme, de toutes les odeurs que l’on subodore. D’abord, nous avançons sous des nuages mousseux, d’un bleu nuit, à la limite du caprice ou de l’esclandre. Et puis, nos pas s’accrochent dans la poussière de ces chemins d’errance, le sol est abrasif, les murs en pierre sèche protègent à peine du climat, ce paysage dessine un tricot de vannerie. Un paillis de tiges entremêlées. Loin d’une modernité vaine et étouffante. Le vent se lève soudain. Il peut être ici tempétueux et vengeur. La Bible y puise ses racines. Les herbes folles s’ébrouent, les chardons bleus se dressent en signe de rébellion, les tiges d’avoine voltigent dans les airs, un feu s’active et noircit l’atmosphère. Les cyprès ne plient pas sous la contrainte. La montagne et le vide s’élancent dans un combat de géants. Cervantès aurait pu poser son écritoire sur cette lande qui semble virginale. Où sont les êtres ? Où sont les sucs ? Ils éclatent à la dérobée d’une grenade juteuse. Comme un pied de nez aux hivers neigeux. L’on aperçoit tel un mirage, un berger en survêtement, immobile et hiératique, avec son troupeau. Sa silhouette se découpe en ombre chinoise dans le pâturage. Est-il réel ou non ? A-t-il trente ans ou dix-mille ans ? Une cow-girl semble s’être échappée du Colorado, comment est-elle arrivée jusqu’ici ? Les oiseaux sont porteurs de messages célestes, on ne les emprisonne pas. Les rides des vieillards se déchiffrent comme des parchemins. On tente de les interpréter. Nous sommes ailleurs et cependant, on communie avec une forme d’innocence qui nous est naturelle. Innée. Nous ne savions pas que nous avions en nous, ces pulsations, ces rythmes lents et entêtants. Et puis, l’on referme ce beau livre, et nous avons du sel sur les lèvres. C’est ça la magie Ben Loulou.

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Le coup du calendrier

Extrême gauche. Éric Piolle, n’ayant pas supporté que le gouvernement évalue le taux d’absentéisme des élèves musulmans à l’école, le jour de l’Aïd, estime à présent qu’il faut supprimer les références religieuses dans notre calendrier. Distancé par Marine Tondellier et Sandrine Rousseau dans la course à la déconstruction, il entend ainsi combler son retard. Mais Mme Rousseau estime de toute façon que les Français ne doivent plus travailler du tout!


Après les calendriers julien et grégorien, voici donc le calendrier piollien. Du nom de l’impayable maire écolo de Grenoble, Éric Piolle. L’édile milite à présent pour que soient bannies des jours fériés et chômés de notre calendrier toutes références à des fêtes chrétiennes. Je me permets de penser que l’ineptie portée à ce niveau mériterait l’inscription à l’agenda annuel d’au moins une journée fériée, chômée, éventuellement payée double. Ce serait par exemple la saint Piolle. Date de rigueur, le premier avril, jour où les farceurs – y compris ceux qui s’ignorent – sont à l’honneur.

Il est temps à nouveau

Cela dit, le coup du calendrier n’est pas nouveau. Déjà, sous la Révolution, il s’agissait d’en chasser toute référence chrétienne, de rompre radicalement avec cet héritage patrimonial. Patrimonial et donc non exclusivement religieux et qui, de ce fait, devrait s’imposer à tout Français d’esprit et de cœur, croyant ou non. Monsieur Piolle, on s’en doute, ne partage pas cette conception pourtant dictée par la raison bien comprise. C’est son droit, l’étroitesse d’esprit en étant un, non des moindres. Pour lui, la France est née en 1792 avec la République. Avant, si on l’en croit, rien d’autre que l’horreur et les ténèbres de la tyrannie de la monarchie. Donc, à temps nouveaux, calendrier nouveau. La Convention se fend du sien. Pour remplacer les saints de chaque jour, on s’en va moissonner dans le vocabulaire des fruits et légumes, des volatiles et des mammifères. Pour ces jours-ci – du mois de Prairial allant du 20 mai au 18 juin – nous aurions successivement, par exemple du 1er au 6 juin, Pois, Acacia, Caille, Oeillet, Sureau, Pavot. C’est charmant. Charmant mais ridicule. Partout à l’étranger, on ricane. En France aussi. « Le calendrier républicain, lorsqu’il parut, fut plutôt un amusement qu’une vexation, écrit le baron Hyde de Neuville dans ses mémoires. On était tout étonné d’avoir à s’occuper d’une chose nouvelle qui ne fût pas effrayante ou horrible. Ce n’était pourtant pas une distraction qu’on jetait en pâture aux oisifs, comme on aurait pu le croire ; la Révolution prenait au sérieux ses extravagances mêmes. »

Écolo canal hystérique

Et Neuville de rapporter cette anecdote. Un officier, quittant Paris pour rentrer en Russie au moment de la parution du calendrier, s’empresse d’en emporter un exemplaire pour le divertissement du tsar dont il était un des aides de camp. Il fait halte à Mittau où se trouve alors Monsieur, futur Charles X. La communauté d’émigrés croule de rire en découvrant la chose. Une dame particulièrement bien en cour veut absolument l’avoir. Impossible ! L’exemplaire est pour le tsar qui, à son tour, ne serait sans doute « pas fâché de prendre la Révolution en flagrant délit d’absurdité ». Hélas, l’officier russe doit repartir dès le lendemain. Qu’à cela ne tienne ! C’est Monsieur lui-même qui s’y colle. « Monsieur qui eut la patience et la gracieuse attention de passer la nuit à le copier tout entier de sa main pour l’offrir à la dame », révèle Neuville. De là, le calendrier court l’Europe entière. L’Europe qui, bien évidemment, s’en tient les côtes. Prouesse extraordinaire ! Après tant de violence, de fureur, la Révolution parvenait à faire rire. Enfin !… Allons ! Vivement la parution du « flagrant délit d’absurdité » de Monsieur Piolle. Afin que, à leur tour, les écolos canal hystérique nous fassent rire un peu. Ce serait déjà ça !

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Sahel: la Mauritanie, pôle de stabilité?

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La Mauritanie est une exception au Sahel. Le pays n’a pas connu d’attentat islamiste depuis 2011. A un an de l’élection présidentielle, le président Mohamed Ould Ghazouani sort renforcé des élections législatives du dimanche 28 mai. Analyse.


La Mauritanie ne fait pas les gros titres de la presse française. Nous avons pourtant tort de négliger ce pays présentant une géographie qui en fait un État pivot de l’Afrique de l’ouest au sens où l’entend le politologue et ancien conseiller en sécurité national de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski. Les dernières élections législatives, dont le second tour avait lieu le samedi 27 mai, sont l’occasion de nous pencher plus attentivement sur cet Etat divisé entre le groupe des Beidanes ou « Maures blancs » d’origine berbère, celui des « Maures noirs » ou Haratins et des Africains noirs issus de multiples ethnies (Peuls, soninkés, Wolofs, etc).  

Ces élections ont renforcé le président Mohamed Ould Ghazouani, dont le parti el-Insaf a remporté 80 sièges de députés sur 176. Une dizaine de formations membres de la mouvance présidentielle en ont obtenu de leur côté 36. Créé en 1975 sous inspiration du mouvement internationaliste islamiste des Frères musulmans, le principal parti d’opposition Tewassoul (Rassemblement National pour la Réforme et le Développement) en a gagné neuf. Cette continuité politique est une nouvelle plutôt rassurante pour la France, tant le rôle de la Mauritanie est important au Sahel pour contenir le djihadisme en Afrique sahélienne.

Luis Martinez, directeur de recherche à Sciences-Po CERI et consultant pour l’Union européenne en Afrique subsaharienne, a récemment sorti L’Afrique, le prochain califat ? La Spectaculaire expansion du djihadisme aux éditions Taillandier. Dans un entretien[1] accordé au Monde en mars dernier, il affirmait que certains États du Sahel pourraient « suivre le chemin de l’Afghanistan » et se transformer en califats: 

« (…) l’hypothèse me semble aujourd’hui tout à fait envisageable. Pas sous la forme d’une prise du pouvoir par la force d’un groupe djihadiste, mais par une usure des forces de défense de ces pays, qui conduirait à des compromis pour un retour à la paix en contrepartie d’une exigence d’application d’un certain nombre de règles, notamment issues de la charia (…) Leur vrai défi aujourd’hui est de trouver des partenaires politiques, religieux et militaires capables d’accepter que l’une des issues à la guerre serait dans ce type de configuration »

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Autrefois plus paisible, cette région du monde est sous la menace constante des conflits ethniques et de l’islam de combat depuis le mitan des années 2000 ; moment symbolique où le traditionnel Paris-Dakar de notre enfance fut d’ailleurs déplacé en Amérique du Sud du fait de l’impossibilité de l’organiser de manière sécurisée. Depuis 15 ans, la Mauritanie a pourtant décidé de lutter pied à pied contre le terrorisme, faisant office de frontière difficile à franchir pour les différents groupes terroristes qui opèrent dans la région. Dans ce contexte tendu, la solidité de l’appareil militaire est essentielle pour garantir la résilience des institutions étatiques.

Son armée, forte de ses unités traditionnelles de soldats méharistes, qu’on reconnait notamment à leurs chameaux, ainsi que des unités légères des Groupements spéciaux d’intervention, assure des missions que ni le Mali ni le Niger n’ont pu ou su remplir. En off, les officiers français expriment régulièrement leur soulagement de pouvoir compter sur ce partenaire dans la région. Alors que les actes terroristes endeuillent absolument toute cette zone, du Tchad au Mali et jusqu’à la frontière nord de la Côte d’Ivoire, la Mauritanie n’a plus été le siège d’une action djihadiste depuis… 2011.

Elle doit cela à des institutions stables qui garantissent une continuité politique et une certaine concorde sociale. Il est d’ailleurs notable que le site France Diplomatie n’évoque pour les voyageurs que les risque d’infiltration de groupes terroristes aux frontières mauritaniennes : « La situation au Sahel et en particulier au Mali voisin expose la Mauritanie à des risques d’infiltration de groupes terroristes, susceptibles de mener des actions (enlèvement, attentat) contre les intérêts et les ressortissants français ». Cela signifie donc que le contexte mauritanien n’est pas systémiquement soumis au terrorisme islamiste.

Ancien général et chef d’Etat-major des armées, Mohammed Ould Ghazouani n’estime toutefois pas que le danger soit derrière lui. Fin novembre 2019, il rappelait après son élection que Nouakchott conservait une vigilance de tous les instants : « Nous, Mauritaniens, étions dans la même situation [que nos voisins] il n’y a pas si longtemps. Face à ce genre de menaces, il faut être suffisamment préparé ». Entre 2005 et 2008, l’exécutif civil mené par Sidi Ould Cheickh Abdallahi a ainsi été sous la pression constante du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, montrant son incapacité à pacifier la situation.

Alors que le Mali s’est retiré du Sahel G5 qui devait être la base de notre architecture de sécurité commune sur place, tant pour lutter contre le djihadisme que contre l’immigration clandestine vers l’Europe, la Mauritanie apparait comme un pilier sur lequel la défense française peut encore compter pour quelques années… Il ne sera pas de trop dans un contexte international particulièrement troublé où l’Afrique est devenue malgré elle le terrain de jeu de puissances hostiles et d’intérêts privés étrangers, à l’image du groupe Wagner.


[1] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/15/luis-martinez-les-djihadistes-saheliens-ont-tire-une-grande-lecon-de-ce-qui-s-est-passe-en-libye_6165619_3212.html

Quand Houellebecq capitule

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Islam. L’écrivain fait plus qu’un mea culpa, s’étonne Ivan Rioufol


Les intuitions de Michel Houellebecq sur les évolutions de la société sont souvent exactes, parfois prophétiques. Formé à l’esprit scientifique et à la poésie, il a ce don qui permet aux bons écrivains de voir dans l’obscurité. Mais, cette fois, ce qu’il montre dans son dernier livre (Quelques mois dans ma vie, Flammarion) de sa spectaculaire soumission à l’islam relève davantage d’une faiblesse de caractère que d’une tendance collective au renoncement. Du moins, c’est ce que je veux croire, même si je ne néglige pas le somnambulisme qui a gagné les plus indolents. Il est aisé d’observer, à rebours d’un Houellebecq soucieux d’obtenir les bonnes grâces du recteur de la mosquée de Paris et de Bernard-Henri Lévy, le réveil des peuples, des nations, des identités et des cultures.

À lire aussi, Philippe Bilger: Michel Houellebecq a changé

Le nouveau sultan Erdogan a été réélu (52,14% des voix), en dépit de la crise économique et sociale qui frappe la Turquie, pour avoir su défendre l’âme et la fierté de son pays. Une quête de sens, en rupture avec la société matérialiste et consumériste occidentale, habite ceux qui, en France, rejettent « l’homme déglingué » (Robert Redeker) oublieux de ses propres racines. L’engouement pour le pèlerinage religieux traditionaliste de Paris à Chartres, qui s’est achevé lundi après 97km parcourus à pied depuis samedi par 16 000 jeunes (moyenne d’âge : 20 ans) fait partie de ces signaux faibles qui laissent espérer une renaissance spirituelle. Dans ce contexte, la capitulation de Houellebecq face à l’islam, au prétexte de s’assurer une image bonasse et pantouflarde, s’apparente à une trahison.

L’écrivain avait à cœur de s’excuser, devant les autorités musulmanes, de propos tenus lors d’une conversation avec Michel Onfray, retransmise dans un hors-série de la revue Front Populaire. Houellebecq avait notamment déclaré: « Je crois que le souhait de la population française « de souche », comme on dit, ce n’est pas du tout que les musulmans s’assimilent, mais simplement qu’ils cessent de les voler et de les agresser (…) Ou bien, autre bonne solution, qu’ils repartent ». Cette généralisation était en effet stupide; son repentir était légitime. Mais l’écrivain est allé bien au-delà d’un mea culpa. Il a repris à son compte le poncif islamique sur l’ « islam, religion de paix et de tolérance ». « L’islam est une religion », écrit-il, sans vouloir admettre que l’islam est surtout un ensemble de codes et de lois (charia) qui règlent la vie quotidienne dans les moindres détails. « Le problème n’est pas l’islam, c’est la délinquance », soutient-il également, en occultant la force conquérante du djihad, qui a déjà su imposer un séparatisme dans des cités. La contre-société islamique en est le résultat. Elle est soutenue par une majorité de jeunes musulmans: dans tous les sondages, ceux-ci se disent attachés à la loi islamique plutôt qu’aux lois de la république. Même le salafisme trouve grâce à ses yeux (entretien au Point), alors même que le drapeau de l’Arabie Saoudite a le sabre comme emblème. Mais qui s’offusque de la débandade de Houellebecq ?

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Les perversités de la fiscalité environnementale

Un nouveau rapport de France Stratégie préconise un « accroissement des prélèvements obligatoires » pour financer la décarbonation de l’économie française. Une nouvelle fois, l’écologie sert de prétexte à la taxation des Français.


L’écologie a bon dos. Comme souvent lorsqu’un gouvernement ou une administration veut trouver des ressources supplémentaires – comprenez : augmenter les impôts – il s’appuie sur une noble cause. Les bornes ont été dépassées avec le nouveau rapport de France Stratégie remis à la Première ministre le 22 mai. Selon celui-ci, les investissements indispensables à la décarbonation de l’économie vont ralentir la croissance et alourdir la dette publique. La conséquence ? Un accroissement des prélèvements obligatoires sera « probablement nécessaire », en particulier sur le patrimoine des plus aisés. Ce rapport s’inscrit dans la continuité d’une fiscalité « écologique » en augmentation constante. Les taxes dites environnementales représentent aujourd’hui plus de 60 Mds€, sans compter parfois la TVA payée elle-même sur ces taxes. Ces quarante impôts et taxes diverses servent-elles réellement le bien commun, contribuent-elles vraiment à lutter contre la pollution ? En d’autres termes, quel est l’objectif ultime de cette floraison de nouvelles taxes toutes plus lucratives les unes que les autres ?

En effet, on attend en principe d’un impôt rentabilité, pérennité et neutralité. Il doit remplir dans la durée les caisses de l’Etat, sans entraver l’économie ou décourager le contribuable. Or, la fiscalité environnementale ou écologique se targue d’obéir à un autre critère : la moralité. Ce qui n’a qu’un lointain rapport avec l’impôt.

Malheureusement, cet amoncellement de nouvelles taxes ne disparaîtra pas le jour où le monde sera dépollué…

En l’occurrence, cette moralité consiste à punir le pollueur pour l’inciter à moins polluer.

Mais un impôt moralement acceptable n’est pas forcément le plus honnête.

Etablir un impôt pour des raisons autres que de finances publiques le rend hypocrite. Surtout lorsque l’Etat a cruellement besoin d’argent.

Or, ces impôts ne cessent de croître et même si la crise des gilets jaunes a montré que ce n’était pas sans heurts, ils sont en définitive acceptés au motif qu’ils participent à une grande cause : la défense de l’environnement. D’où finalement une efficacité d’autant plus redoutable que leur disparition pourtant programmée avec la décarbonation n’interviendra en réalité jamais, et ce au grand dam du citoyen qui restera la cible d’impôts qui, pour survivre, n’auront qu’à changer de nom au moment voulu.

A lire aussi, Gabriel Robin: Net Zéro Emission: l’Europe peut-elle gagner son indépendance énergétique?

Force est de constater d’abord que du fait même de la mécanique générale de la production économique, la victime finale de la taxation est de toute manière le consommateur, c’est-à-dire le citoyen. Non seulement pour la fiscalité carbone qu’il paye à travers son litre d’essence, mais aussi pour toutes les autres taxes censées lutter contre les activités polluantes. Ainsi, que font les entreprises soumises à la taxe générale du même nom (TGAP sur les déchets, les émissions de substances polluantes, les préparations pour lessive ou les matériaux d’extraction) ? Elles font comme pour toutes les autres charges auxquelles elles sont exposées, elles en répercutent le prix sur leurs clients et en bout de chaîne sur le consommateur final.

Nous pouvons aussi prendre l’exemple de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Celle-ci rapporte désormais 7 Mds€ aux collectivités locales (et quelques centaines de millions à l’Etat au titre des frais de recouvrement) et finance non seulement la collecte mais aussi le traitement et l’élimination des déchets. L’explosion de son coût pour les contribuables a une double origine : d’une part, des normes environnementales qui rendent le traitement des déchets de plus en plus coûteux et, d’autre part, les besoins des collectivités locales qui, tout comme l’Etat, sont sans cesse à la recherche de nouvelles recettes. Dès lors, la TEOM est marquée elle aussi du sceau des travers de la fiscalité environnementale : conséquence de normes écologiques toujours plus strictes et prétexte à de nouvelles recettes fiscales à la charge des ménages.

Et malheureusement, cet amoncellement de nouvelles taxes ne disparaîtra pas le jour où le monde sera dépollué.

Car la perversité de la fiscalité environnementale se trouve aussi, comme souvent, dans la sémantique. En effet, un glissement linguistique fait qu’une fois épuisé le motif généreux et presque nécessaire du combat contre la pollution, on en vient à parler non plus de la fiscalité environnementale mais de la fiscalité sur l’énergie, ou indifféremment des deux. D’un côté, cela rejoint l’idéologie écologiste d’une production d’énergie intrinsèquement perverse dès lors qu’elle dépasse le niveau vivrier de l’éolienne au-dessus de sa grange. De l’autre, cela témoigne de ce que l’on évoquait précédemment : en créant une dépendance à l’impôt, la fiscalité contre la pollution conduit inexorablement à taxer l’énergie elle-même, de peur de manquer de taxes le jour où cette énergie ne sera plus polluante (même si quelque chose nous dit qu’un jour ou l’autre une taxe devra bien financer le stockage ou le retraitement des piles au lithium, le démantèlement des éoliennes ou la décomposition des panneaux solaires…). Le changement de nom le plus symptomatique est d’ailleurs celui de la taxe la plus emblématique : la fameuse TIPP, taxe intérieure sur les produits pétroliers, devenue la TICPE, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Même si c’est toujours l’essence qui reste le combustible de l’impôt, c’est désormais l’énergie qui est taxée.

Si la médecine avait progressé au même rythme que l’impôt, il est probable que la monarchie aurait en son temps expliqué au peuple que la gabelle sur le sel visait avant tout sa santé, en n’étant rien d’autre qu’un moyen de lutte contre l’hypertension.

La dérive des continents


Discussion de salon dans la cuisine. Des vieux, des jeunes, des entre les deux.

–  J’ai lu que, dans un cours de géographie de 4ème, un élève d’origine marocaine avait affirmé que le Maroc n’était pas en Afrique et qu’il n’avait jamais voulu en démordre.

–  Parce que dans sa tête, l’Afrique, c’est uniquement l’Afrique sub-saharienne. Il considère, et ça se défend, que « son monde », à savoir le Maghreb, n’en fait pas partie.

– Si un continent, c’est une grande étendue de terre entourée de mers et d’océans, il a tort. Mais, dans cette hypothèse, il faut que nous acceptions de jouer dans la même division que les Tchétchènes et les Chinois.

Et c’était parti !

Cinq, six, sept continents ?

Pour se mettre en jambe, petit débat sur le nombre de continents. Pour ma part, et je n’étais pas la seule, j’en étais (scolairement et comme dans la chanson de Joseph Lafitte) restée à cinq : l’Europe (en tête bien sûr), l’Afrique (avec le Maroc), l’Amérique, l’Asie et l’Océanie.

– Cinq oui, mais pas ceux-là : l’Afrique, l’Amérique, l’Antarctique, l’Océanie et l’Eurasie.

– N’importe quoi. Il y a à sept continents et en ordre de taille : l’Asie dans les quarante-quatre millions de km2, l’Afrique dans les trente, l’Amérique du Nord dans les vingt-cinq, l’Amérique du Sud dans les dix-huit, l’Antarctique dans les douze, l’Europe dans les dix et l’Océanie dans les neuf.

On a fini par se mettre à peu près d’accord… sur la nécessité de s’entendre préalablement sur « comment on compte ».

Des cartes qui mentent et rapetissent l’Afrique

Mais, l’affaire s’est ensuite sérieusement emballée quand on a comparé les tailles réelles des continents avec celles données par les cartes.

– Encore un coup du mâle blanc ! En vrai, l’Afrique est trois plus grande que l’Europe. Sur les cartes, on en est loin ! Et, sur les mêmes cartes, le Groenland a la même taille que l’Afrique alors qu’il est quatorze fois plus petit !

– En dehors de la responsabilité de qui vous savez, il y a quand même des explications historiques. La terre n’étant pas plate (enfin pas encore), la carte du monde que nous avons tous dans la tête est la projection du globe terrestre sur une surface plane via un cylindre. Cette représentation établie en 1569 par le Flamand Gérardus Mercador a été conçue pour la navigation. Elle a pour avantage de préserver les angles (c’est mieux pour les bateaux) et pour défaut d’augmenter les tailles en fonction des distances de l’équateur. Les pays et continents des zones tempérées et surtout polaires apparaissent donc plus grands et les pays les plus proches de l’équateur plus petits. Cette convention a toujours été plus ou moins unanimement admise.

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– Sans doute, mais rendre plus petit, c’est rendre moins important, que ce soit volontaire ou non. Et, comme par hasard, dans ce système, c’est l’Afrique qui est réduite à la portion congrue. Maintenant que la navigation n’est plus l’alpha et l’oméga et qu’on s’en fiche un peu de la conservation des angles, on pourrait peut-être se rapprocher de la réalité et adopter la projection de Gall-Peters qui permet de prendre en compte la superficie réelle des continents. Ce serait plus juste.

– Et donc changer toutes les cartes de représentation du monde ?

– Pourquoi pas ? Et, on pourrait en profiter pour définir des continents qui correspondent mieux à la réalité. Comme le Maghreb qui pourrait alors être un continent à part entière.

Et, finalement, le Maroc est en Afrique

Toutes ces considérations sont bien jolies. Mais, notre prof, il dit quoi à son élève ? Qu’il a bien raison de s’interroger. Qu’il n’est pas vraiment Africain. Que ça dépend.  Qu’il aura peut-être raison demain. Il le félicite ?

– Mais, ça ne va pas. Il lui dit que le Maroc est en Afrique ; que ça va comme ça et qu’il n’a qu’à regarder la carte… de Mercator.  

– Allons bon ! Pas de discussion, pas de remise en question de la doxa, pas de déconstruction.

– Certainement pas. Avant de désapprendre, il faut apprendre.

Longs soupirs.

– Eh oui, c’est comme le reste, c’est pas faux !   

«Où de vivants piliers»: Régis Debray rend hommage à ses «intercesseurs et éveilleurs»…

Régis Debray nous parle, dans cet abécédaire érudit, des écrivains qui l’ont marqué…


Autrefois, le temps s’étirait en langueurs pour bercer le songe du lecteur, bourlingueur solitaire embarqué dans d’immobiles voyages au long cours. Dans Chemin faisant, un récit de Jacques Lacarrière, celui qui s’adonnait à la lecture et exerçait parfois sa plume, amassait peu à peu les mots, comme autant de gemmes. Ceux-ci l’aidaient à comprendre le monde comme à en restituer nuances et chatoyances. En lisant en écrivant de Julien Gracq, on finissait par entrevoir, à défaut d’y accoster, Le rivage des Syrtes.

Maintenant que les écrans proposent une succession syncopée d’instants labiles et la superposition d’images fugaces, notre rapport à la lecture, et par là même à l’écriture, s’en trouve radicalement changé. L’acte de lire, parce qu’il implique de laisser filer le temps, génère une sourde angoisse. Alors, on lit peu et mal. On se contente d’ouvrir des lucarnes sur le monde pour les refermer aussitôt. Ces meurtrières sont immédiatement remplacées par d’autres qui éclairent d’un feu pâle une autre vue, bientôt occultée à son tour. Certes, on publie à tour de bras, mais surtout des essais à visée informative, vite oubliés. Quant aux Essais dans lesquels un Montaigne auscultait son rapport à l’existence en « peignant non l’être mais le passage », ils semblent avoir vécu.

Une nouvelle collection chez Gallimard

Dans ce contexte à tonalité crépusculaire, Régis Debray, éternel optimiste, fait paraître son dernier ouvrage : Où de vivants piliers. Ce livre, dont le titre est emprunté au poème « Correspondances » de Baudelaire, est le premier d’une collection nouvelle, chez Gallimard: « La part des autres ». Régis Debray y rend hommage à ceux de ses aînés qui le firent entrer en littérature, « passagers plus ou moins clandestins » de son cœur. Il y célèbre ceux qui jouèrent pour lui le rôle « d’incitateurs ou excitants », « intercesseurs ou éveilleurs », comme les nommait Julien Gracq.

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C’est sous la forme d’un abécédaire que notre philosophe féru de littérature, au soir de sa vie, règle, mélancolique et léger, la dette contractée envers ceux qui l’ont construit, non sans se permettre quelques apartés sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Feuilletons maintenant l’ouvrage.

On y croise Sartre, descendu du piédestal où l’avait installé son œuvre philosophique. Il nous fait don des Mots, « un bijou littéraire ». Sartre: « Un homme qui excellait dans ce qu’il disait mépriser, à savoir la littérature. » Devenu, par la grâce des Mots et par-delà l’idéologie « un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut et que vaut n’importe qui. » De même, chez Barthes, autre admiration de Debray, la postérité retient davantage les notations ciselées comme Mythologies ou Fragments d’un discours amoureux que les ouvrages de linguistique compliqués. « Chacun son Proust, explique encore Régis Debray, c’est évident, mais c’est le dernier le meilleur, celui qui nous rejoint en fin de course. » « On n’est pas proustien de naissance, précise-t-il, mais chacun peut le devenir sur le tard, pour peu que sa vieille carne soit moins encline au sens de l’Histoire qu’à l’exploitation de ses cinq sens à elle. » Et il ajoute, réglant leur compte à ceux qui accusent Proust de snobisme:« À cet auteur d’un livre-charge aux furtives tendresses, à cet entomologiste de la haute, il n’échappe pas qu’il n’y a sauf exception, que du réfrigérant et du décevant dans le grand monde. »

Debray évoque encore les salauds, à propos de Morand et Céline, au risque de s’attirer les foudres de ceux qui se refusent à dissocier l’artiste de son œuvre au nom du culte du Bien. Il n’hésite pas à déclarer, parce que le domaine esthétique n’est pas toujours moral: « (…) des imbuvables peuvent distiller de l’élixir (…) » et poursuit : « Hugo serait aujourd’hui, avec sa main au panier des femmes de chambre, renvoyé dare-dare en correctionnelle. » Il ajoute : « Nos ligues de vertu boycottent déjà Polanski et déprogramment Woody Allen, et le temps n’est pas loin où il nous faudra (…) décrocher des cimaises Caravage et Gauguin, violeurs et pédophiles. »

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Et puis, il y a Gracq: « l’homme rangé dérangeant », « le rebelle très boutonné », « le petit prof, un cartable à la main » qui a pourtant inventé et ciselé le miraculeux « paysage-histoire ». Alors qu’aujourd’hui, nous avons quitté le domaine de l’histoire pour n’être plus que des géographes, Régis Debray souligne que: « l’histoire sans la géographie est une catastrophe ; la géographie sans histoire, un embêtement» Puisse l’étude des écrits de Gracq être inscrite au programme de nos futurs écologistes. Peut-être profèreront-ils moins de sottises et malmèneront-ils moins notre langue?

Une déclaration d’amour à la littérature

L’hommage rendu à ses devanciers par notre « cadet de l’art d’écrire » est aussi ponctué de réflexions personnelles sur l’âge qui rétrécit fatalement notre univers et notre capacité d’action. Dans ces évocations du soir de la vie, nulle pesanteur. La fatalité y est conjurée par la facétie de l’expression. Ainsi, à « Obsolescence », on peut lire : « Balzac a dit le fait, dans « Le Cousin Pons »: « Les vieillards sont susceptibles… ils ont le tort d’être un siècle en retard mais qu’y faire ?… C’est bien assez d’en représenter un, ils ne peuvent pas être de celui qui les voit mourir. » » Debray glose alors avec humour: « Cette sage invite à ne pas courir deux siècles à la fois devrait tempérer le sentiment entre honte et panique de qui n’arrive plus à extraire, dans une gare ou une station de métro, un simple billet d’un distributeur automatique (…) ». « Mixité », « Voyages », « Maisons » ou « Vitesse » livrent également le regard aussi désenchanté que vif et amusé d’un homme d’hier sur aujourd’hui.


Ce qu’on retiendra de cette magnifique déclaration d’amour à la littérature, c’est que Régis Debray croit en la pérennité de la langue française. Elle survivra en ses chefs-d’œuvre, par- delà l’indéniable crise cyclique de civilisation que nous traversons actuellement. Alors, espérons avec Debray qu’il y aura toujours des auteurs, disciples de Flaubert qui écriront comme il le fit et l’affirma à George Sand: « (…) non pour le lecteur d’aujourd’hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra. » L’émission Répliques du samedi 20 mai où Alain Finkielkraut reçoit Régis Debray à propos de cet ouvrage est un délicieux préambule à la lecture de Où de vivants piliers.

Où de vivants piliers

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Henry Kissinger a 100 ans. Le diplomate du siècle?

Né en Allemagne en 1923, Secrétaire d’État des États-Unis sous les présidences de Richard Nixon puis de Gerald Ford, Kissinger est une figure tutélaire que la plupart des Américains saluent comme le Secrétaire d’État le plus marquant de l’après-guerre. Il a obtenu le prix Nobel de la Paix, en 1973, pour les accords de paix de Paris destinés à amener un cessez-le-feu dans la guerre du Viêt Nam.


Spectateur engagé des mutations du monde, l’artisan historique de la détente ne cesse, en grand témoin, de nous rappeler que la stabilité de l’ordre international repose sur l’équilibre des puissances et le respect de la souveraineté étatique. La diplomatie en est l’accoucheuse.

La nouvelle est passée largement inaperçue : le grand artisan de la politique étrangère des présidents Nixon et Ford, Henry Kissinger, a fêté ses 100 ans le 27 mai dernier. En 100 ans d’existence, de son enfance dans l’Allemagne tourmentée de l’entre-deux-guerres jusqu’à nos jours, où tend à s’affirmer le processus d’un remodelage multipolaire de l’ordre du monde, en passant par les heures où sa diplomatie de l’équilibre devait accoucher de la détente, Henry Kissinger aura traversé des époques très différentes. À travers les multiples reconfigurations du concert des nations, qui peuvent paraître quelquefois erratiques, cette dernière grande figure du réalisme continue de nous livrer un message d’une grande clarté : la stabilité de l’ordre du monde, dont dépend la paix, ne peut procéder durablement de coups de force ni de surenchères ; elle s’enracine concrètement dans l’équilibre des puissances, que canalise la commune reconnaissance par les États du cadre de dialogue axiologiquement neutre tracé par le principe de souveraineté. Kissinger nous donne ainsi la formule d’une politique étrangère dont le premier principe régulateur est l’intérêt national, conçu comme une limitation rationnelle apportée par la diplomatie à l’appétit de puissance, au regard des moyens à disposition et de la structuration du champ interétatique.

De l’Allemagne aux États-Unis

Né à Fürth, près de Nuremberg, le 27 mai 1923, le jeune Heinz Kissinger dut quitter l’Allemagne à quinze ans, en 1938, pour échapper aux persécutions nazies et s’établir aux États-Unis avec ses parents et son frère. Son destin rejoignait celui d’autres Allemands, ses aînés, Hannah Arendt, Leo Strauss ou Hans Morgenthau, qui ont contribué au rayonnement intellectuel des États-Unis.

Après des études qui devaient initialement le spécialiser dans la comptabilité, c’est finalement son enrôlement dans les rangs de l’armée américaine, contemporain de sa naturalisation, qui décide de son orientation. À son prénom germanique, il substitue alors celui d’Henry. Les opérations militaires auxquelles il prend part le conduisent de nouveau en Allemagne, où, sous l’uniforme américain, il s’acquitte de missions de contre-espionnage, matière dont il enseigne ensuite les rudiments. L’amitié nouée dans l’armée avec un autre Américain d’origine allemande ayant fui le régime nazi, Fritz Kraemer, lui apprend à ne pas renoncer à ses ambitions.

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C’est ainsi qu’il entre à Harvard, mettant à profit un dispositif ouvrant aux vétérans les portes des meilleures universités américaines. Il y côtoie notamment l’historien William Yandel Elliott, sous la direction duquel il rédige un long mémoire d’undergraduate sur le sens de l’histoire. Les références qu’il y fait aux réflexions de Toynbee, de Spengler et de Kant tracent les premiers linéaments d’une pensée, selon laquelle l’homme peut chercher dans l’exercice de sa liberté la faculté de transcender le tragique de l’existence.

L’importance de l’histoire

La longueur de son mémoire n’est pas le seul trait par lequel Henry se distingue. Alors que tant de ses condisciples marquent un vif intérêt pour l’économie et pour les perspectives que la création de l’Organisation des Nations unies semble ouvrir au multilatéralisme, lui préfère aborder la politique internationale par l’histoire. Il consacre, en ce sens, sa thèse de doctorat au règlement diplomatique de la situation européenne après la chute de Napoléon. Les figures du chancelier autrichien Metternich et du secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères, Castlereagh, retiennent son attention. Dans cette thèse, Kissinger s’intéresse, non à des crises contemporaines, mais à des faits historiques dont il prétend, par analogie, tirer des enseignements ; il y aborde, non le phénomène guerrier en soi, mais l’activité des diplomates, à qui il revient, par la négociation, de donner un fondement à la paix. Elle donne à voir le point de maturation et la profondeur historique qu’a atteints la pensée de Kissinger et dévoile les bases de sa pensée des relations internationales : sans la force, la paix ne peut reposer durablement que sur l’équilibre établi entre les puissances, qui parviennent à dialoguer pour résoudre les crises, parce qu’elles parlent le même langage diplomatique et se reconnaissent mutuellement comme parties institutionnelles d’un même ordre.

La question de l’ordre du monde, qui émerge dans la réflexion de Kissinger, en devient, dès lors, un thème récurrent et structurant, avec le concept de légitimité, défini, non à partir d’un contenu culturellement déterminé, mais comme un substrat minimal d’usages, partagé par les hommes d’État.

Après avoir publié sa thèse, en 1957, Henry Kissinger se fait remarquer par un autre ouvrage, Nuclear Weapons and Foreign Policy, qui, rompant avec la doctrine des représailles massives, envisage la possibilité d’user, dans certaines conditions, d’armes nucléaires tactiques. Anticipation de la doctrine de la riposte graduée, la réflexion de Kissinger avait surtout pour objet d’extraire les États-Unis des impasses diplomatiques où la doctrine volontiers manichéenne des représailles massives pouvaient l’enfermer, face à l’adversaire soviétique. Entre-temps, Henry Kissinger avait fait la connaissance à Harvard de Raymond Aron et entamé avec lui des échanges d’une grande richesse intellectuelle.

Les années Kennedy furent quelque peu décevantes pour Henry Kissinger : l’ancien doyen de Harvard, McGeorge Bundy, devenu conseiller à la sécurité nationale du président démocrate, ne répond pas à ses attentes. La contribution que Kissinger est invité à apporter aux réflexions en cours en matière de politique étrangère n’est qu’épisodique. Entre Kissinger et l’entourage de Kennedy, l’entente n’est pas au rendez-vous.

Les années Nixon

Il bénéficie manifestement d’un meilleur accueil dans le camp républicain, où il tisse des liens étroits avec le gouverneur de l’État de New York, Nelson Rockefeller. Il soutient sa candidature aux élections primaires républicaines de 1968, mais Richard Nixon obtient l’investiture du Grand Old Party et est finalement élu président des États-Unis. Cette élection marquait-elle la fin des ambitions politiques de Kissinger ? Le contraire advint : alors que l’universitaire de Harvard ne s’était jamais vraiment senti d’affinités avec lui, le président élu, Richard Nixon, lui proposa le poste de conseiller à la sécurité nationale. Kissinger accepta, non sans avoir consulté, au préalable, ses collègues de Harvard.

L’aventure politique commence alors réellement pour Henry Kissinger. Les années Nixon sont pour la politique étrangère des États-Unis des années d’ajustement et de renouveau.

Profondément intellectuels et partageant l’idée que la décision de politique étrangère, qui relève du politique, ne peut être abandonnée à la routine administrative, Nixon et Kissinger ont promu, dans ces années d’intense activité, de nombreuses initiatives retentissantes : désireux de stabiliser le champ international, toujours marqué par la bipolarité, ils veillent à développer des relations directes et dépassionnées avec l’Union soviétique, concrétisées dans un dispositif d’échanges et d’accords qui donnent leur pleine portée, mais à l’échelle mondiale, à l’idée de détente, promue en son temps et pour la France par le général de Gaulle. Kissinger souhaite ainsi rapporter les objectifs de la politique étrangère américaine au critère ultime de l’intérêt national et proportionner, par conséquent, les ambitions affichées aux moyens dont elle dispose.

Simultanément, Kissinger met en œuvre une ouverture progressive à la Chine populaire. En se rapprochant visiblement de la Chine communiste, concurrente asiatique de l’Union soviétique, les États-Unis réussissent à susciter du côté de la Russie, soucieuse de demeurer l’interlocuteur principal de l’Amérique, un sursaut d’intérêt pour la détente. La diplomatie triangulaire ainsi inaugurée a pour effet de constituer, selon la formule alors employée, une « structure de paix », apte à stabiliser les relations internationales face aux incertitudes de l’affrontement est-ouest.

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C’est dans ce contexte que Kissinger mène à leur terme les négociations sur la limitation des armes stratégiques dits SALT I, emblématiques de l’esprit de la détente. Le traité est signé le 26 mai 1972.

Héritage des administrations démocrates, la guerre du Vietnam figurait parmi les dossiers les plus brûlants que devait traiter Kissinger. Prenant part, en région parisienne, à des négociations secrètes avec une délégation nord-vietnamienne conduite par Le Duc Tho et maintenant un contact avec le gouvernement sud-vietnamien, Henry Kissinger eut à mettre en œuvre, dans des circonstances particulièrement difficiles, le désengagement progressif des troupes américaines, sanctionné par les accords de Paris du 27 janvier 1973.

La réélection de Richard Nixon en novembre 1972 permet à Kissinger de consolider le rôle central qu’il joue dans la définition de la politique étrangère américaine, puisqu’il devient secrétaire d’État en septembre 1973, cumulant cette fonction avec celle de conseiller à la sécurité nationale. Ses réussites diplomatiques et sa personnalité lui donnent d’acquérir une notoriété médiatique qu’aucun autre secrétaire d’État n’aura connue.

La crise du Watergate, dans laquelle Kissinger n’est pas impliquée, vient toutefois abréger le second mandat de Nixon.

Quand Gerald Ford succède à Richard Nixon, la présence d’Henry Kissinger au gouvernail de la diplomatie est un atout et un gage de continuité.

Celui-ci fait de nouveau la preuve de grands talents de médiateur en mettant en œuvre une active diplomatie de la navette à la suite de la guerre du Kippour. L’Égypte et Israël acceptent de se parler et de chercher un accord.

Mais le monde auquel est confronté le secrétaire d’État est en pleine mutation. Le choc pétrolier de 1973 place l’Occident devant la réalité de sa dépendance énergétique et la contestation de puissances qui lui sont extérieures. Les questions économiques tendent à prendre de plus en plus de place dans des négociations internationales au format multilatéral et les revendications des non-alignés se font entendre, en particulier à…

>>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue amie Conflits<<<

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Le choc de la «décivilisation»

La menace inflationniste n’est pas seulement monétaire, elle est bien davantage d’ordre lexical. C’est une inflation de mots, d’énoncés aussi suffisants que peu nécessaires qui menace l’entendement.


Les préfixes abondent pour indiquer le changement de sens : illibéral vous précipite au purgatoire, tandis que décolonial vous remet dans le bon chemin. En France, on adore se payer de mots et celui de « décivilisation » est le dernier en date dans la palette des signifiants proposés dans le débat public. Cette fois-ci, la charge est lourde, angoissante tant elle prend appui sur une terrible actualité mais elle inscrit cette actualité dans un processus installé dans la durée. Si c’est la civilisation qui fout le camp, qu’allons-nous devenir?

Est-ce seulement une affaire de mots ? En France, en la matière, les communicants débordent de créations ! Après le « séparatisme », après les « sauvageons » de Chevènement, après les « jeunes-des-banlieues-difficiles » ou des « quartiers-sensibles » issus de la « fracture-sociale » et de la « diversité », voilà qu’une nouvelle formule pourrait aider les décideurs, mais aussi le peuple à y voir plus clair. En effet une question vient immédiatement à l’esprit : quand un réfugié tchétchène a pris soin d’acheter un couteau neuf pour aller couper la tête d’un professeur d’histoire géographie qui aurait mal parlé du prophète, ce réfugié tchétchène était-il un « sauvageon » ou un « décivilisé » ? Quand un fumeur, excessif de cannabis certes, frappe à mort une vieille femme de soixante-quatorze ans et la jette par la fenêtre aux cris de « Allah akbar ! » ce jeune, était-il un « séparatiste », un « sauvageon », un « décivilisé » ? Quand un autre jeune en scooter tue d’une balle dans la tête une petite fille dans une cour d’école, était-il un « décivilisé », un « séparatiste », un « sauvageon » ? À moins qu’il soit un malade mental ne sachant pas ce qu’il faisait ?

Repoussoir magique

La justice a estimé que celui qui a assassiné Sarah Halimi était coupable, mais pas responsable et donc ne lui a fait aucun procès. Un jeune tueur qui tire sur des enfants juifs pour « venger des enfants palestiniens » est-il coupable et responsable alors que sa schizophrénie potentielle devrait corriger sa responsabilité, car c’est au nom d’une noble cause que ce sauvageon aurait agi ? Aujourd’hui, c’est une anthropologue du CNRS qui est menacée de mort pour avoir étudié de près (de trop près sans doute) la stratégie des Frères musulmans pour séduire, convaincre, recruter, s’imposer dans le paysage. Pour ces gens, cette enquête est une menace, car en dévoilant précisément cette entreprise de conquête, elle donne des armes utiles pour une contre-attaque. Dès lors, il faut faire taire Florence Bergeaud-Blackler. Étrangement, ses diverses autorités de tutelle paraissent se méfier de ce travail, craignant sans toutes de se voir qualifiées d’islamophobes, en protégeant la chercheuse. Samuel Paty a déjà payé le prix de cette myopie délibérée.

A lire ensuite, Philippe Bilger: Décivilisation: avec un joli mot, Macron tente de cacher la saleté et de se dédouaner

En élargissant le registre lexical pour nommer et comprendre cette violence qui croît, le président prend des risques évidents. Tous les experts en lexicologie politique ont sorti leur lexicomètre pour situer la charge idéologique de ce nouveau concept. Est-il de droite (voire d’extrême droite) ou de gauche ? En utilisant le concept de « décivilisation » le curseur se rapproche des portes de l’enfer. Au Monde, les experts ne s’y sont pas trompés. Ils ont immédiatement reniflé les relents « d’extrême-droite » dans cet usage. Ce repoussoir magique a une qualité pour celui qui l’emploie. Il permet de faire l’économie du regard critique sur ce qui s’est passé avant.

L’idéal universaliste ébranlé

Déjà en 1989, c’est bien au nom de la soumission aux règles d’une autre civilisation que des lycéennes refusaient d’ôter leur voile pour rentrer dans un lycée à Creil. En 2002, un livre pointait les « territoires perdus de la République » mettant en évidence cette sécession en milieu scolaire de la part des certains élèves issus de l’immigration. Ce livre fut rapidement rangé sur les étagères réservées aux livres incorrects. Il fallut bien légiférer, après qu’un rapport eut confirmé la menace de rupture. La décivilisation était-elle déjà en marche ? Le rapport de l’inspecteur Obin fut rapidement glissé, avec la poussière, sous le tapis du ministère. De rapport en rapport, de projet de loi en projet de loi, la rupture n’a cessé des progressé et la décivilisation de s’étendre.

Avons-nous beaucoup progressé depuis ? Les foudres des lexicomètres n’ont pas tardé. C’est bien à l’extrême-droite qu’il faut positionner le curseur. « Le choc des civilisations » déjà annoncé par Samuel Huntington annonçait la couleur. Accueillie par des cris indignés, cette formule, jugée immédiatement comme étant réactionnaire, fracturait l’idéal universaliste. Elle faisait tache dans l’euphorie postcommuniste annonçant la « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama. Mondialisation aidant, personne n’avait voulu prendre en compte ce nouveau monstre né de la révolution islamique, occupant la place laissée libre par la fin du communisme. La mondialisation, le e-commerce, l’internet allaient faire de la planète ce « village global » tant espéré. Hélas pour tous, le retour des tribus, des sectes, des gangs, des mafias, des ligues, des fous de dieu autant que les nouveaux virus vont pulvériser ces illusions. La guerre contre l’axe du Mal va aggraver les choses, transformant les bonnes intentions en catastrophes successives. Les talibans, l’État islamique vont séduire des milliers de jeunes en rupture identitaire.

Sinistre inventaire

La « décivilisation » dénoncée par le président de la République est aussi le produit dérivé de cette histoire dont les raisons sont multiples et entrelacées, mais dont le résultat est justement bien nommé. Si notre culture, nos manières d’être, nos habitudes de vie, notre vocabulaire, notre langue commune, notre patrimoine sont à ce point mal-en-point, il faut bien en dresser l’inventaire.

Avec ses fractures, ses ruptures, ses guerres de religion, ses infractions vichystes, ses révoltes, ses révolutions, la France était restée malgré tout un pays qui retrouvait la douceur d’y vivre. Le choix de l’équilibre paraissait une constante et les trente glorieuses semblaient avoir de l’avenir. Il suffisait de regarder en arrière pour prendre la mesure des progrès accomplis, malgré ces sauts, de crise en crise, depuis le programme du CNR, les conflits de la décolonisation, Mai 68 et tant d’autres moments de troubles furent suivis d’autant d’ajustements. Il suffit aussi de regarder ailleurs pour voir combien, ailleurs qu’en Europe, ça va mal. La perspective européenne dessinait un avenir démocratique en proscrivant la guerre.

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Si la formule dit un diagnostic, elle est à la fois trop large, pour nommer avec justesse ce qui la compose. Le concept utilisé, pour pertinent qu’il soit, souffre lui d’une absence de résultante. Celui qui la prononce a un statut particulier. Il incarne le pouvoir, il est celui qui choisit, décide, anticipe, dessine des perspectives. Que déduit-on de ce constat, et ça n’est pas Chat-GPT qui aura la réponse ? Quel modèle de civilisation est en train de s’effriter et dans quelle autre configuration est-elle en train d’entrer ? L’expression « archipel français » met en évidence le statut inégal des zones fracturées quand la géographique répartit inégalement les zones décivilisées.

La multiplication des crimes liés au trafic de drogue à Marseille révèle une libanisation croissante du territoire dont les ramifications s’étendent à Anvers et Rotterdam. Les attentats de 2015 avaient déjà montré les alliances communautaires entre islamistes de Molenbeck et ceux de Clichy. La criminalité européenne met à jour des alliances d’intérêt entre djihadistes et truands progressant plus vite que les dispositifs existants pour les contrer. Ces chemins criminels constituent autant de voies annexes de la décivilisation que le président déplore.

Est-il trop tard pour rattraper le temps perdu ?

Comment lutter contre cet effilochage alors qu’au cœur de l’État, au plus profond de ce qui devrait constituer la matrice intellectuelle de la reconstruction civilisationnelle, le ministre en charge de l’Éducation nationale s’emploie à défaire les lignes de force de son prédécesseur ? Comment comprendre cette incohérence ? Si le président déplore la perte progressive de ce qui faisait sens dans une nation homogène, son ministre ne vante-t-il pas les mérites de ce qui la défait ? Peut-on promouvoir la civilisation ayant construit ce pays avec sa mise en accusation comme fil conducteur ? Peut-on éduquer avec la culpabilisation décoloniale comme filigrane de notre histoire ? Éduquer c’est transmettre des savoirs, éduquer c’est donner à penser autour des multiples contradictions d’une histoire, mais éduquer ne consiste surement pas à substituer à la complexité une autre simplification. Les extrémismes politiques se nourrissent de ce renversement. Si la France est un pays de salauds, comment inciter à l’amour de la patrie ? Ce mot a-t-il encore un sens ? Est-il trop désuet ? Déboulonner les statues de Colbert fait-il progresser la connaissance du Code noir ? L’histoire est un tout, où le pire côtoie le meilleur. Jean Moulin est déjà au Panthéon et Missak Manouchian va bientôt rejoindre ces grands personnages que la nation se doit d’honorer.

Lutter contre la décivilisation, c’est d’abord indiquer un cap et s’y tenir malgré les vents contraires du poujadisme et le brouillage de la confusion dont un Cyril Hanouna est le grand promoteur. Les héros, les belles choses, les beaux gestes, les gens bien ne manquent pas en France, encore faut-il vouloir ne pas se contenter des apparences.

Quand les musulmans militent pour leur droit à… l’homophobie

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Calgary, Alberta, Canada D.R.

Dans le silence complice des médias d’Outre-Atlantique, plus de 130 « savants » et responsables religieux musulmans nord-américains [1] – notamment le Conseil des Imams Canadiens – ont très officiellement soutenu le droit pour la communauté musulmane de persévérer dans son attitude traditionnelle vis-à-vis des LGBTQI+ sans être accusée d’intolérance ni d’incitation à la haine – tout en sachant que ladite attitude traditionnelle tombe sous le coup de la loi.


Mais que voulez-vous ? Comme l’expliquent ces éminents religieux : « la position normative de l’islam sur les LGBTQ découle du Coran et ne peut pas être changée. » Et ils ajoutent : « Nous refusons la fausse alternative entre succomber aux pressions sociales pour renier nos croyances et être confrontés à des accusations infondées de fanatisme. Ce genre d’ultimatums contraignants ne peut que saper la possibilité de coexistence harmonieuse. » « Nous insistons sur notre droit, donné par Dieu et reconnu par la constitution, d’être fidèles à nos croyances, de vivre en conformité avec elles et de les promouvoir, sans devoir craindre des représailles juridiques ou des discriminations systémiques. » Voilà qui est bien joué de leur part, et riche d’enseignements.

Pas de scandale, c’est les musulmans !

Premier enseignement, dans le Canada de Trudeau seuls les musulmans peuvent se permettre un tel discours. Si des chrétiens s’y risquaient, on imagine le scandale médiatique ! Ce n’est d’ailleurs pas très différent de notre côté de l’Atlantique, où celleux/ceuxes qui dénoncent avec virulence le patriarcat cisgenre hétéronormé ont des pudeurs de gazelles face au patriarcat islamique mais traqueront avec délectation le moindre « dérapage » de quiconque porte une croix ou une médaille de Lourdes.

Deuxième enseignement, l’islam (ou du moins une grande partie des courants qui le composent) n’envisage la « coexistence harmonieuse » qu’à condition qu’il soit au-dessus des lois communes, autorisé à s’en affranchir comme bon lui semble. Imposer aux musulmans les mêmes règles qu’aux autres citoyens est qualifié de « représailles juridiques » et de « discriminations systémiques » (« legal reprisal » et « systematic marginalization »). Il faudrait ne rien connaître des dogmes, des enseignements et de l’histoire de l’islam orthodoxe pour être surpris.

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Troisième enseignement, l’intersectionnalité est une escroquerie. Toute personne de bonne foi le sait depuis longtemps, mais il est toujours savoureux de voir les minorités gâtées du culte diversitaire se disputer la première place.

C’est, surtout, très bien joué. Face à la religion progressiste qui tente partout d’imposer la vénération des femmes à pénis et des hommes enceints, les islamistes ont beau jeu de se poser en défenseurs du bon sens, et même en rempart face aux fous qui ont pris le contrôle de l’asile. C’est un peu ce qui est arrivé en France avec le « scandale » (très éphémère) des joueurs de foot refusant de porter le drapeau arc-en-ciel.

Car enfin ! On a beau savoir pertinemment que dans le cas d’espèce ce refus est assez largement motivé par l’homophobie, on ne peut s’empêcher de se dire que le militantisme obligatoire s’apparente de plus en plus à un embrigadement inacceptable, doublé d’endoctrinement manifeste dans les établissements scolaires, et qu’aucun contrat de travail ni aucun ministre des sports, de l’éduc’nat ou d’autre chose, ne doit pouvoir imposer à quiconque de faire semblant de croire que la Terre est plate ou que les femmes peuvent avoir des pénis, sauf à verser dangereusement dans le totalitarisme.

Non à la castration intellectuelle

Mais à l’heure du buzz et des procès en sorcellerie (pardon : en extrême-droiterie), voire en hérésie si votre vision des saintes valeurs de la divine République n’est pas tout à fait celle du gouvernement, difficile d’introduire de la nuance et de rappeler que l’indispensable défense des LGB n’a pas à être instrumentalisée pour cautionner les délires TQI et tout l’alphabet +. Le droit de s’aimer comme on veut entre adultes lucides et consentants, le droit pour un homme d’adopter une apparence et des maniérismes traditionnellement féminins, et pour une femme une apparence et des maniérismes traditionnellement masculins (droits qui devraient être évidents mais sont hélas menacés, notamment par le transactivisme qui qualifie de « transphobie » toutes les préférences sexuelles qui lui déplaisent), n’impliquent aucunement un quelconque droit d’imposer au monde entier de prendre un jeu de rôle pour la réalité.

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Je n’ai rien contre les jeux de rôle grandeur nature ni contre le cosplay, je trouve d’ailleurs ça tout à fait sympathique, mais même si un chirurgien me taille les oreilles en pointe je ne deviendrai pas véritablement un Elfe, et en dehors du cadre bien précis d’un jeu dont tous les participants ont librement accepté les règles (et les habitués de grandeur nature prennent justement soin d’éviter les dérives), je ne peux pas m’attendre à ce qu’on me traite comme si j’étais réellement Legolas, Elrond…. ou Galadriel !

Justin Trudeau, les imams canadiens et Pap Ndiaye vous souhaitent la bienvenue dans le meilleur des mondes progressistes. Préférez-vous que votre fils écoute un prédicateur islamiste ou un activiste qui va l’encourager à subir une castration chimique voire chirurgicale ? Pour votre fille, ce sera plutôt la mastectomie ou la burqa ?

Ni l’un ni l’autre, merci ! Nul besoin d’en référer à la loi totalitaire d’un dieu-tyran pour échapper aux délires du transactivisme, nul besoin d’accepter la rééducation progressiste pour refuser la chape de plomb d’une théocratie. C’est simple : la majorité des citoyens a le droit d’être entendue sans devoir d’abord se ranger sous la bannière de telle ou telle minorité vagissante, sinon c’est que nous ne sommes plus en démocratie. Et quel que soit le régime politique, les « lois divines » auto-proclamées d’une religion n’ont pas à être au-dessus des lois de la cité, et les lois humaines ne sont pas et ne seront jamais au-dessus du réel.

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[1] https://capforcanada.com/media-silent-as-muslim-canadian-council-rejects-lgbt-ideology/

Si la Judée m’était contée…

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© Éditions de la Table ronde

Le photographe Didier Ben Loulou a capturé la Judée dans un recueil aux couleurs rocailleuses pour les éditions de la Table Ronde (en vente le 1er juin).


C’est toujours un plaisir d’ouvrir un livre de Didier Ben Loulou, de se griller la peau par contumace, sur cette terre nue à la végétation éparse et résistante. Avec ce photographe vivant entre Paris et Jérusalem, le voyage visuel, donc sensitif, n’est jamais anodin, jamais quelconque, toujours empreint d’une intensité mélancolique et sauvage. La Méditerranée est son royaume. De Tanger aux Cyclades, de Jaffa à Athènes, le Sud indolent et brutal rayonne sous son objectif. Je l’ai déjà dit ici, dans nos colonnes, Ben Loulou ne photographie pas pour passer le temps, pour divertir les intérieurs bourgeois, pour faire joli ou pittoresque sur une table basse, le folklorique ou le glacé, il s’en moque ; il cherche l’absolue vérité des paysages, leur inanité resplendissante, leur banalité fantomatique, en résumé, leur onde nostalgique. C’est pour ça qu’il me séduit et me happe l’esprit à chaque nouvelle parution. Il y a chez lui, une âpreté qui nous élève, sans gloriole, ni flonflons philosophiques. Son geste ressemble à une offrande sincère, sans calcul, sans préméditation, il témoigne de l’indicible. Voici sa Judée, elle déploie ses monts sableux, cette infinie variation de beige, d’ocre, de kaki et de terreux, parfois le rouge carmin apporte une note d’espoir ou d’ironie. Dès la première ligne de sa préface, il écrit : « La Judée, c’est ce désert de premier matin du monde ; ce sont les monts de Moab violets et irréels ». Tous les matins du monde sont là, devant nos yeux, quand l’humanité s’éveille, que de minuscules traces de vie se mettent en branle, ici le serpentin d’une route à la dérive ; là, le visage d’un enfant au regard songeur ; plus loin, un cheval blanc aux côtes saillantes, vigie d’un ordre immémoriel.


Dans cette Judée déserte, aux lignes de crête abandonnées, dans ce boyau du bout du monde, tout semble renaître et se figer à la fois, le ciel observe cet entrechoc émotionnel. Il n’a pas décidé de transiger, ni de juger, il laisse la nature se faire et se défaire au gré des saisons. Comme si cet horizon était une nouvelle page blanche à fouler et pourtant, nous savons intimement que ce massif recèle mille histoires, mille cahotements, mille miracles, mille berceaux. Alors, on se laisse porter par le regard de Ben Loulou, sans lui, nous serions passés à côté de l’essentiel, du friable et du végétal, de cette minéralité qui s’infiltre dans les ruines de l’âme, de toutes les odeurs que l’on subodore. D’abord, nous avançons sous des nuages mousseux, d’un bleu nuit, à la limite du caprice ou de l’esclandre. Et puis, nos pas s’accrochent dans la poussière de ces chemins d’errance, le sol est abrasif, les murs en pierre sèche protègent à peine du climat, ce paysage dessine un tricot de vannerie. Un paillis de tiges entremêlées. Loin d’une modernité vaine et étouffante. Le vent se lève soudain. Il peut être ici tempétueux et vengeur. La Bible y puise ses racines. Les herbes folles s’ébrouent, les chardons bleus se dressent en signe de rébellion, les tiges d’avoine voltigent dans les airs, un feu s’active et noircit l’atmosphère. Les cyprès ne plient pas sous la contrainte. La montagne et le vide s’élancent dans un combat de géants. Cervantès aurait pu poser son écritoire sur cette lande qui semble virginale. Où sont les êtres ? Où sont les sucs ? Ils éclatent à la dérobée d’une grenade juteuse. Comme un pied de nez aux hivers neigeux. L’on aperçoit tel un mirage, un berger en survêtement, immobile et hiératique, avec son troupeau. Sa silhouette se découpe en ombre chinoise dans le pâturage. Est-il réel ou non ? A-t-il trente ans ou dix-mille ans ? Une cow-girl semble s’être échappée du Colorado, comment est-elle arrivée jusqu’ici ? Les oiseaux sont porteurs de messages célestes, on ne les emprisonne pas. Les rides des vieillards se déchiffrent comme des parchemins. On tente de les interpréter. Nous sommes ailleurs et cependant, on communie avec une forme d’innocence qui nous est naturelle. Innée. Nous ne savions pas que nous avions en nous, ces pulsations, ces rythmes lents et entêtants. Et puis, l’on referme ce beau livre, et nous avons du sel sur les lèvres. C’est ça la magie Ben Loulou.

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Le coup du calendrier

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Eric Piolle et Marine Tondellier à Grenoble, août 2022 © ISA HARSIN/SIPA

Extrême gauche. Éric Piolle, n’ayant pas supporté que le gouvernement évalue le taux d’absentéisme des élèves musulmans à l’école, le jour de l’Aïd, estime à présent qu’il faut supprimer les références religieuses dans notre calendrier. Distancé par Marine Tondellier et Sandrine Rousseau dans la course à la déconstruction, il entend ainsi combler son retard. Mais Mme Rousseau estime de toute façon que les Français ne doivent plus travailler du tout!


Après les calendriers julien et grégorien, voici donc le calendrier piollien. Du nom de l’impayable maire écolo de Grenoble, Éric Piolle. L’édile milite à présent pour que soient bannies des jours fériés et chômés de notre calendrier toutes références à des fêtes chrétiennes. Je me permets de penser que l’ineptie portée à ce niveau mériterait l’inscription à l’agenda annuel d’au moins une journée fériée, chômée, éventuellement payée double. Ce serait par exemple la saint Piolle. Date de rigueur, le premier avril, jour où les farceurs – y compris ceux qui s’ignorent – sont à l’honneur.

Il est temps à nouveau

Cela dit, le coup du calendrier n’est pas nouveau. Déjà, sous la Révolution, il s’agissait d’en chasser toute référence chrétienne, de rompre radicalement avec cet héritage patrimonial. Patrimonial et donc non exclusivement religieux et qui, de ce fait, devrait s’imposer à tout Français d’esprit et de cœur, croyant ou non. Monsieur Piolle, on s’en doute, ne partage pas cette conception pourtant dictée par la raison bien comprise. C’est son droit, l’étroitesse d’esprit en étant un, non des moindres. Pour lui, la France est née en 1792 avec la République. Avant, si on l’en croit, rien d’autre que l’horreur et les ténèbres de la tyrannie de la monarchie. Donc, à temps nouveaux, calendrier nouveau. La Convention se fend du sien. Pour remplacer les saints de chaque jour, on s’en va moissonner dans le vocabulaire des fruits et légumes, des volatiles et des mammifères. Pour ces jours-ci – du mois de Prairial allant du 20 mai au 18 juin – nous aurions successivement, par exemple du 1er au 6 juin, Pois, Acacia, Caille, Oeillet, Sureau, Pavot. C’est charmant. Charmant mais ridicule. Partout à l’étranger, on ricane. En France aussi. « Le calendrier républicain, lorsqu’il parut, fut plutôt un amusement qu’une vexation, écrit le baron Hyde de Neuville dans ses mémoires. On était tout étonné d’avoir à s’occuper d’une chose nouvelle qui ne fût pas effrayante ou horrible. Ce n’était pourtant pas une distraction qu’on jetait en pâture aux oisifs, comme on aurait pu le croire ; la Révolution prenait au sérieux ses extravagances mêmes. »

Écolo canal hystérique

Et Neuville de rapporter cette anecdote. Un officier, quittant Paris pour rentrer en Russie au moment de la parution du calendrier, s’empresse d’en emporter un exemplaire pour le divertissement du tsar dont il était un des aides de camp. Il fait halte à Mittau où se trouve alors Monsieur, futur Charles X. La communauté d’émigrés croule de rire en découvrant la chose. Une dame particulièrement bien en cour veut absolument l’avoir. Impossible ! L’exemplaire est pour le tsar qui, à son tour, ne serait sans doute « pas fâché de prendre la Révolution en flagrant délit d’absurdité ». Hélas, l’officier russe doit repartir dès le lendemain. Qu’à cela ne tienne ! C’est Monsieur lui-même qui s’y colle. « Monsieur qui eut la patience et la gracieuse attention de passer la nuit à le copier tout entier de sa main pour l’offrir à la dame », révèle Neuville. De là, le calendrier court l’Europe entière. L’Europe qui, bien évidemment, s’en tient les côtes. Prouesse extraordinaire ! Après tant de violence, de fureur, la Révolution parvenait à faire rire. Enfin !… Allons ! Vivement la parution du « flagrant délit d’absurdité » de Monsieur Piolle. Afin que, à leur tour, les écolos canal hystérique nous fassent rire un peu. Ce serait déjà ça !

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Sahel: la Mauritanie, pôle de stabilité?

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Le président mauritanien saluant le président Macron, 6e Sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine, Bruxelles, 17 février 2022 © Olivier Hoslet/AP/SIPA

La Mauritanie est une exception au Sahel. Le pays n’a pas connu d’attentat islamiste depuis 2011. A un an de l’élection présidentielle, le président Mohamed Ould Ghazouani sort renforcé des élections législatives du dimanche 28 mai. Analyse.


La Mauritanie ne fait pas les gros titres de la presse française. Nous avons pourtant tort de négliger ce pays présentant une géographie qui en fait un État pivot de l’Afrique de l’ouest au sens où l’entend le politologue et ancien conseiller en sécurité national de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski. Les dernières élections législatives, dont le second tour avait lieu le samedi 27 mai, sont l’occasion de nous pencher plus attentivement sur cet Etat divisé entre le groupe des Beidanes ou « Maures blancs » d’origine berbère, celui des « Maures noirs » ou Haratins et des Africains noirs issus de multiples ethnies (Peuls, soninkés, Wolofs, etc).  

Ces élections ont renforcé le président Mohamed Ould Ghazouani, dont le parti el-Insaf a remporté 80 sièges de députés sur 176. Une dizaine de formations membres de la mouvance présidentielle en ont obtenu de leur côté 36. Créé en 1975 sous inspiration du mouvement internationaliste islamiste des Frères musulmans, le principal parti d’opposition Tewassoul (Rassemblement National pour la Réforme et le Développement) en a gagné neuf. Cette continuité politique est une nouvelle plutôt rassurante pour la France, tant le rôle de la Mauritanie est important au Sahel pour contenir le djihadisme en Afrique sahélienne.

Luis Martinez, directeur de recherche à Sciences-Po CERI et consultant pour l’Union européenne en Afrique subsaharienne, a récemment sorti L’Afrique, le prochain califat ? La Spectaculaire expansion du djihadisme aux éditions Taillandier. Dans un entretien[1] accordé au Monde en mars dernier, il affirmait que certains États du Sahel pourraient « suivre le chemin de l’Afghanistan » et se transformer en califats: 

« (…) l’hypothèse me semble aujourd’hui tout à fait envisageable. Pas sous la forme d’une prise du pouvoir par la force d’un groupe djihadiste, mais par une usure des forces de défense de ces pays, qui conduirait à des compromis pour un retour à la paix en contrepartie d’une exigence d’application d’un certain nombre de règles, notamment issues de la charia (…) Leur vrai défi aujourd’hui est de trouver des partenaires politiques, religieux et militaires capables d’accepter que l’une des issues à la guerre serait dans ce type de configuration »

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Autrefois plus paisible, cette région du monde est sous la menace constante des conflits ethniques et de l’islam de combat depuis le mitan des années 2000 ; moment symbolique où le traditionnel Paris-Dakar de notre enfance fut d’ailleurs déplacé en Amérique du Sud du fait de l’impossibilité de l’organiser de manière sécurisée. Depuis 15 ans, la Mauritanie a pourtant décidé de lutter pied à pied contre le terrorisme, faisant office de frontière difficile à franchir pour les différents groupes terroristes qui opèrent dans la région. Dans ce contexte tendu, la solidité de l’appareil militaire est essentielle pour garantir la résilience des institutions étatiques.

Son armée, forte de ses unités traditionnelles de soldats méharistes, qu’on reconnait notamment à leurs chameaux, ainsi que des unités légères des Groupements spéciaux d’intervention, assure des missions que ni le Mali ni le Niger n’ont pu ou su remplir. En off, les officiers français expriment régulièrement leur soulagement de pouvoir compter sur ce partenaire dans la région. Alors que les actes terroristes endeuillent absolument toute cette zone, du Tchad au Mali et jusqu’à la frontière nord de la Côte d’Ivoire, la Mauritanie n’a plus été le siège d’une action djihadiste depuis… 2011.

Elle doit cela à des institutions stables qui garantissent une continuité politique et une certaine concorde sociale. Il est d’ailleurs notable que le site France Diplomatie n’évoque pour les voyageurs que les risque d’infiltration de groupes terroristes aux frontières mauritaniennes : « La situation au Sahel et en particulier au Mali voisin expose la Mauritanie à des risques d’infiltration de groupes terroristes, susceptibles de mener des actions (enlèvement, attentat) contre les intérêts et les ressortissants français ». Cela signifie donc que le contexte mauritanien n’est pas systémiquement soumis au terrorisme islamiste.

Ancien général et chef d’Etat-major des armées, Mohammed Ould Ghazouani n’estime toutefois pas que le danger soit derrière lui. Fin novembre 2019, il rappelait après son élection que Nouakchott conservait une vigilance de tous les instants : « Nous, Mauritaniens, étions dans la même situation [que nos voisins] il n’y a pas si longtemps. Face à ce genre de menaces, il faut être suffisamment préparé ». Entre 2005 et 2008, l’exécutif civil mené par Sidi Ould Cheickh Abdallahi a ainsi été sous la pression constante du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, montrant son incapacité à pacifier la situation.

Alors que le Mali s’est retiré du Sahel G5 qui devait être la base de notre architecture de sécurité commune sur place, tant pour lutter contre le djihadisme que contre l’immigration clandestine vers l’Europe, la Mauritanie apparait comme un pilier sur lequel la défense française peut encore compter pour quelques années… Il ne sera pas de trop dans un contexte international particulièrement troublé où l’Afrique est devenue malgré elle le terrain de jeu de puissances hostiles et d’intérêts privés étrangers, à l’image du groupe Wagner.

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[1] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/15/luis-martinez-les-djihadistes-saheliens-ont-tire-une-grande-lecon-de-ce-qui-s-est-passe-en-libye_6165619_3212.html

Quand Houellebecq capitule

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Michel Houellebecq invité de TLC, 29 mai 2023 D.R.

Islam. L’écrivain fait plus qu’un mea culpa, s’étonne Ivan Rioufol


Les intuitions de Michel Houellebecq sur les évolutions de la société sont souvent exactes, parfois prophétiques. Formé à l’esprit scientifique et à la poésie, il a ce don qui permet aux bons écrivains de voir dans l’obscurité. Mais, cette fois, ce qu’il montre dans son dernier livre (Quelques mois dans ma vie, Flammarion) de sa spectaculaire soumission à l’islam relève davantage d’une faiblesse de caractère que d’une tendance collective au renoncement. Du moins, c’est ce que je veux croire, même si je ne néglige pas le somnambulisme qui a gagné les plus indolents. Il est aisé d’observer, à rebours d’un Houellebecq soucieux d’obtenir les bonnes grâces du recteur de la mosquée de Paris et de Bernard-Henri Lévy, le réveil des peuples, des nations, des identités et des cultures.

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Le nouveau sultan Erdogan a été réélu (52,14% des voix), en dépit de la crise économique et sociale qui frappe la Turquie, pour avoir su défendre l’âme et la fierté de son pays. Une quête de sens, en rupture avec la société matérialiste et consumériste occidentale, habite ceux qui, en France, rejettent « l’homme déglingué » (Robert Redeker) oublieux de ses propres racines. L’engouement pour le pèlerinage religieux traditionaliste de Paris à Chartres, qui s’est achevé lundi après 97km parcourus à pied depuis samedi par 16 000 jeunes (moyenne d’âge : 20 ans) fait partie de ces signaux faibles qui laissent espérer une renaissance spirituelle. Dans ce contexte, la capitulation de Houellebecq face à l’islam, au prétexte de s’assurer une image bonasse et pantouflarde, s’apparente à une trahison.

L’écrivain avait à cœur de s’excuser, devant les autorités musulmanes, de propos tenus lors d’une conversation avec Michel Onfray, retransmise dans un hors-série de la revue Front Populaire. Houellebecq avait notamment déclaré: « Je crois que le souhait de la population française « de souche », comme on dit, ce n’est pas du tout que les musulmans s’assimilent, mais simplement qu’ils cessent de les voler et de les agresser (…) Ou bien, autre bonne solution, qu’ils repartent ». Cette généralisation était en effet stupide; son repentir était légitime. Mais l’écrivain est allé bien au-delà d’un mea culpa. Il a repris à son compte le poncif islamique sur l’ « islam, religion de paix et de tolérance ». « L’islam est une religion », écrit-il, sans vouloir admettre que l’islam est surtout un ensemble de codes et de lois (charia) qui règlent la vie quotidienne dans les moindres détails. « Le problème n’est pas l’islam, c’est la délinquance », soutient-il également, en occultant la force conquérante du djihad, qui a déjà su imposer un séparatisme dans des cités. La contre-société islamique en est le résultat. Elle est soutenue par une majorité de jeunes musulmans: dans tous les sondages, ceux-ci se disent attachés à la loi islamique plutôt qu’aux lois de la république. Même le salafisme trouve grâce à ses yeux (entretien au Point), alors même que le drapeau de l’Arabie Saoudite a le sabre comme emblème. Mais qui s’offusque de la débandade de Houellebecq ?

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Les perversités de la fiscalité environnementale

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Le Premier ministre Elisabeth Borne en déplacement à l'usine Plastic Omnium dans l'Oise, accompagnée de Bruno Le Maire et Roland Lescure, Venette, 28 septembre 2022 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Un nouveau rapport de France Stratégie préconise un « accroissement des prélèvements obligatoires » pour financer la décarbonation de l’économie française. Une nouvelle fois, l’écologie sert de prétexte à la taxation des Français.


L’écologie a bon dos. Comme souvent lorsqu’un gouvernement ou une administration veut trouver des ressources supplémentaires – comprenez : augmenter les impôts – il s’appuie sur une noble cause. Les bornes ont été dépassées avec le nouveau rapport de France Stratégie remis à la Première ministre le 22 mai. Selon celui-ci, les investissements indispensables à la décarbonation de l’économie vont ralentir la croissance et alourdir la dette publique. La conséquence ? Un accroissement des prélèvements obligatoires sera « probablement nécessaire », en particulier sur le patrimoine des plus aisés. Ce rapport s’inscrit dans la continuité d’une fiscalité « écologique » en augmentation constante. Les taxes dites environnementales représentent aujourd’hui plus de 60 Mds€, sans compter parfois la TVA payée elle-même sur ces taxes. Ces quarante impôts et taxes diverses servent-elles réellement le bien commun, contribuent-elles vraiment à lutter contre la pollution ? En d’autres termes, quel est l’objectif ultime de cette floraison de nouvelles taxes toutes plus lucratives les unes que les autres ?

En effet, on attend en principe d’un impôt rentabilité, pérennité et neutralité. Il doit remplir dans la durée les caisses de l’Etat, sans entraver l’économie ou décourager le contribuable. Or, la fiscalité environnementale ou écologique se targue d’obéir à un autre critère : la moralité. Ce qui n’a qu’un lointain rapport avec l’impôt.

Malheureusement, cet amoncellement de nouvelles taxes ne disparaîtra pas le jour où le monde sera dépollué…

En l’occurrence, cette moralité consiste à punir le pollueur pour l’inciter à moins polluer.

Mais un impôt moralement acceptable n’est pas forcément le plus honnête.

Etablir un impôt pour des raisons autres que de finances publiques le rend hypocrite. Surtout lorsque l’Etat a cruellement besoin d’argent.

Or, ces impôts ne cessent de croître et même si la crise des gilets jaunes a montré que ce n’était pas sans heurts, ils sont en définitive acceptés au motif qu’ils participent à une grande cause : la défense de l’environnement. D’où finalement une efficacité d’autant plus redoutable que leur disparition pourtant programmée avec la décarbonation n’interviendra en réalité jamais, et ce au grand dam du citoyen qui restera la cible d’impôts qui, pour survivre, n’auront qu’à changer de nom au moment voulu.

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Force est de constater d’abord que du fait même de la mécanique générale de la production économique, la victime finale de la taxation est de toute manière le consommateur, c’est-à-dire le citoyen. Non seulement pour la fiscalité carbone qu’il paye à travers son litre d’essence, mais aussi pour toutes les autres taxes censées lutter contre les activités polluantes. Ainsi, que font les entreprises soumises à la taxe générale du même nom (TGAP sur les déchets, les émissions de substances polluantes, les préparations pour lessive ou les matériaux d’extraction) ? Elles font comme pour toutes les autres charges auxquelles elles sont exposées, elles en répercutent le prix sur leurs clients et en bout de chaîne sur le consommateur final.

Nous pouvons aussi prendre l’exemple de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Celle-ci rapporte désormais 7 Mds€ aux collectivités locales (et quelques centaines de millions à l’Etat au titre des frais de recouvrement) et finance non seulement la collecte mais aussi le traitement et l’élimination des déchets. L’explosion de son coût pour les contribuables a une double origine : d’une part, des normes environnementales qui rendent le traitement des déchets de plus en plus coûteux et, d’autre part, les besoins des collectivités locales qui, tout comme l’Etat, sont sans cesse à la recherche de nouvelles recettes. Dès lors, la TEOM est marquée elle aussi du sceau des travers de la fiscalité environnementale : conséquence de normes écologiques toujours plus strictes et prétexte à de nouvelles recettes fiscales à la charge des ménages.

Et malheureusement, cet amoncellement de nouvelles taxes ne disparaîtra pas le jour où le monde sera dépollué.

Car la perversité de la fiscalité environnementale se trouve aussi, comme souvent, dans la sémantique. En effet, un glissement linguistique fait qu’une fois épuisé le motif généreux et presque nécessaire du combat contre la pollution, on en vient à parler non plus de la fiscalité environnementale mais de la fiscalité sur l’énergie, ou indifféremment des deux. D’un côté, cela rejoint l’idéologie écologiste d’une production d’énergie intrinsèquement perverse dès lors qu’elle dépasse le niveau vivrier de l’éolienne au-dessus de sa grange. De l’autre, cela témoigne de ce que l’on évoquait précédemment : en créant une dépendance à l’impôt, la fiscalité contre la pollution conduit inexorablement à taxer l’énergie elle-même, de peur de manquer de taxes le jour où cette énergie ne sera plus polluante (même si quelque chose nous dit qu’un jour ou l’autre une taxe devra bien financer le stockage ou le retraitement des piles au lithium, le démantèlement des éoliennes ou la décomposition des panneaux solaires…). Le changement de nom le plus symptomatique est d’ailleurs celui de la taxe la plus emblématique : la fameuse TIPP, taxe intérieure sur les produits pétroliers, devenue la TICPE, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Même si c’est toujours l’essence qui reste le combustible de l’impôt, c’est désormais l’énergie qui est taxée.

Si la médecine avait progressé au même rythme que l’impôt, il est probable que la monarchie aurait en son temps expliqué au peuple que la gabelle sur le sel visait avant tout sa santé, en n’étant rien d’autre qu’un moyen de lutte contre l’hypertension.

La dérive des continents

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Carte du monde de Gall-Peters, qui prend en compte les superficies réelles des continents. D.R.

Discussion de salon dans la cuisine. Des vieux, des jeunes, des entre les deux.

–  J’ai lu que, dans un cours de géographie de 4ème, un élève d’origine marocaine avait affirmé que le Maroc n’était pas en Afrique et qu’il n’avait jamais voulu en démordre.

–  Parce que dans sa tête, l’Afrique, c’est uniquement l’Afrique sub-saharienne. Il considère, et ça se défend, que « son monde », à savoir le Maghreb, n’en fait pas partie.

– Si un continent, c’est une grande étendue de terre entourée de mers et d’océans, il a tort. Mais, dans cette hypothèse, il faut que nous acceptions de jouer dans la même division que les Tchétchènes et les Chinois.

Et c’était parti !

Cinq, six, sept continents ?

Pour se mettre en jambe, petit débat sur le nombre de continents. Pour ma part, et je n’étais pas la seule, j’en étais (scolairement et comme dans la chanson de Joseph Lafitte) restée à cinq : l’Europe (en tête bien sûr), l’Afrique (avec le Maroc), l’Amérique, l’Asie et l’Océanie.

– Cinq oui, mais pas ceux-là : l’Afrique, l’Amérique, l’Antarctique, l’Océanie et l’Eurasie.

– N’importe quoi. Il y a à sept continents et en ordre de taille : l’Asie dans les quarante-quatre millions de km2, l’Afrique dans les trente, l’Amérique du Nord dans les vingt-cinq, l’Amérique du Sud dans les dix-huit, l’Antarctique dans les douze, l’Europe dans les dix et l’Océanie dans les neuf.

On a fini par se mettre à peu près d’accord… sur la nécessité de s’entendre préalablement sur « comment on compte ».

Des cartes qui mentent et rapetissent l’Afrique

Mais, l’affaire s’est ensuite sérieusement emballée quand on a comparé les tailles réelles des continents avec celles données par les cartes.

– Encore un coup du mâle blanc ! En vrai, l’Afrique est trois plus grande que l’Europe. Sur les cartes, on en est loin ! Et, sur les mêmes cartes, le Groenland a la même taille que l’Afrique alors qu’il est quatorze fois plus petit !

– En dehors de la responsabilité de qui vous savez, il y a quand même des explications historiques. La terre n’étant pas plate (enfin pas encore), la carte du monde que nous avons tous dans la tête est la projection du globe terrestre sur une surface plane via un cylindre. Cette représentation établie en 1569 par le Flamand Gérardus Mercador a été conçue pour la navigation. Elle a pour avantage de préserver les angles (c’est mieux pour les bateaux) et pour défaut d’augmenter les tailles en fonction des distances de l’équateur. Les pays et continents des zones tempérées et surtout polaires apparaissent donc plus grands et les pays les plus proches de l’équateur plus petits. Cette convention a toujours été plus ou moins unanimement admise.

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– Sans doute, mais rendre plus petit, c’est rendre moins important, que ce soit volontaire ou non. Et, comme par hasard, dans ce système, c’est l’Afrique qui est réduite à la portion congrue. Maintenant que la navigation n’est plus l’alpha et l’oméga et qu’on s’en fiche un peu de la conservation des angles, on pourrait peut-être se rapprocher de la réalité et adopter la projection de Gall-Peters qui permet de prendre en compte la superficie réelle des continents. Ce serait plus juste.

– Et donc changer toutes les cartes de représentation du monde ?

– Pourquoi pas ? Et, on pourrait en profiter pour définir des continents qui correspondent mieux à la réalité. Comme le Maghreb qui pourrait alors être un continent à part entière.

Et, finalement, le Maroc est en Afrique

Toutes ces considérations sont bien jolies. Mais, notre prof, il dit quoi à son élève ? Qu’il a bien raison de s’interroger. Qu’il n’est pas vraiment Africain. Que ça dépend.  Qu’il aura peut-être raison demain. Il le félicite ?

– Mais, ça ne va pas. Il lui dit que le Maroc est en Afrique ; que ça va comme ça et qu’il n’a qu’à regarder la carte… de Mercator.  

– Allons bon ! Pas de discussion, pas de remise en question de la doxa, pas de déconstruction.

– Certainement pas. Avant de désapprendre, il faut apprendre.

Longs soupirs.

– Eh oui, c’est comme le reste, c’est pas faux !   

«Où de vivants piliers»: Régis Debray rend hommage à ses «intercesseurs et éveilleurs»…

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Régis Debray © Photo: Hannah Assouline

Régis Debray nous parle, dans cet abécédaire érudit, des écrivains qui l’ont marqué…


Autrefois, le temps s’étirait en langueurs pour bercer le songe du lecteur, bourlingueur solitaire embarqué dans d’immobiles voyages au long cours. Dans Chemin faisant, un récit de Jacques Lacarrière, celui qui s’adonnait à la lecture et exerçait parfois sa plume, amassait peu à peu les mots, comme autant de gemmes. Ceux-ci l’aidaient à comprendre le monde comme à en restituer nuances et chatoyances. En lisant en écrivant de Julien Gracq, on finissait par entrevoir, à défaut d’y accoster, Le rivage des Syrtes.

Maintenant que les écrans proposent une succession syncopée d’instants labiles et la superposition d’images fugaces, notre rapport à la lecture, et par là même à l’écriture, s’en trouve radicalement changé. L’acte de lire, parce qu’il implique de laisser filer le temps, génère une sourde angoisse. Alors, on lit peu et mal. On se contente d’ouvrir des lucarnes sur le monde pour les refermer aussitôt. Ces meurtrières sont immédiatement remplacées par d’autres qui éclairent d’un feu pâle une autre vue, bientôt occultée à son tour. Certes, on publie à tour de bras, mais surtout des essais à visée informative, vite oubliés. Quant aux Essais dans lesquels un Montaigne auscultait son rapport à l’existence en « peignant non l’être mais le passage », ils semblent avoir vécu.

Une nouvelle collection chez Gallimard

Dans ce contexte à tonalité crépusculaire, Régis Debray, éternel optimiste, fait paraître son dernier ouvrage : Où de vivants piliers. Ce livre, dont le titre est emprunté au poème « Correspondances » de Baudelaire, est le premier d’une collection nouvelle, chez Gallimard: « La part des autres ». Régis Debray y rend hommage à ceux de ses aînés qui le firent entrer en littérature, « passagers plus ou moins clandestins » de son cœur. Il y célèbre ceux qui jouèrent pour lui le rôle « d’incitateurs ou excitants », « intercesseurs ou éveilleurs », comme les nommait Julien Gracq.

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C’est sous la forme d’un abécédaire que notre philosophe féru de littérature, au soir de sa vie, règle, mélancolique et léger, la dette contractée envers ceux qui l’ont construit, non sans se permettre quelques apartés sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Feuilletons maintenant l’ouvrage.

On y croise Sartre, descendu du piédestal où l’avait installé son œuvre philosophique. Il nous fait don des Mots, « un bijou littéraire ». Sartre: « Un homme qui excellait dans ce qu’il disait mépriser, à savoir la littérature. » Devenu, par la grâce des Mots et par-delà l’idéologie « un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut et que vaut n’importe qui. » De même, chez Barthes, autre admiration de Debray, la postérité retient davantage les notations ciselées comme Mythologies ou Fragments d’un discours amoureux que les ouvrages de linguistique compliqués. « Chacun son Proust, explique encore Régis Debray, c’est évident, mais c’est le dernier le meilleur, celui qui nous rejoint en fin de course. » « On n’est pas proustien de naissance, précise-t-il, mais chacun peut le devenir sur le tard, pour peu que sa vieille carne soit moins encline au sens de l’Histoire qu’à l’exploitation de ses cinq sens à elle. » Et il ajoute, réglant leur compte à ceux qui accusent Proust de snobisme:« À cet auteur d’un livre-charge aux furtives tendresses, à cet entomologiste de la haute, il n’échappe pas qu’il n’y a sauf exception, que du réfrigérant et du décevant dans le grand monde. »

Debray évoque encore les salauds, à propos de Morand et Céline, au risque de s’attirer les foudres de ceux qui se refusent à dissocier l’artiste de son œuvre au nom du culte du Bien. Il n’hésite pas à déclarer, parce que le domaine esthétique n’est pas toujours moral: « (…) des imbuvables peuvent distiller de l’élixir (…) » et poursuit : « Hugo serait aujourd’hui, avec sa main au panier des femmes de chambre, renvoyé dare-dare en correctionnelle. » Il ajoute : « Nos ligues de vertu boycottent déjà Polanski et déprogramment Woody Allen, et le temps n’est pas loin où il nous faudra (…) décrocher des cimaises Caravage et Gauguin, violeurs et pédophiles. »

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Et puis, il y a Gracq: « l’homme rangé dérangeant », « le rebelle très boutonné », « le petit prof, un cartable à la main » qui a pourtant inventé et ciselé le miraculeux « paysage-histoire ». Alors qu’aujourd’hui, nous avons quitté le domaine de l’histoire pour n’être plus que des géographes, Régis Debray souligne que: « l’histoire sans la géographie est une catastrophe ; la géographie sans histoire, un embêtement» Puisse l’étude des écrits de Gracq être inscrite au programme de nos futurs écologistes. Peut-être profèreront-ils moins de sottises et malmèneront-ils moins notre langue?

Une déclaration d’amour à la littérature

L’hommage rendu à ses devanciers par notre « cadet de l’art d’écrire » est aussi ponctué de réflexions personnelles sur l’âge qui rétrécit fatalement notre univers et notre capacité d’action. Dans ces évocations du soir de la vie, nulle pesanteur. La fatalité y est conjurée par la facétie de l’expression. Ainsi, à « Obsolescence », on peut lire : « Balzac a dit le fait, dans « Le Cousin Pons »: « Les vieillards sont susceptibles… ils ont le tort d’être un siècle en retard mais qu’y faire ?… C’est bien assez d’en représenter un, ils ne peuvent pas être de celui qui les voit mourir. » » Debray glose alors avec humour: « Cette sage invite à ne pas courir deux siècles à la fois devrait tempérer le sentiment entre honte et panique de qui n’arrive plus à extraire, dans une gare ou une station de métro, un simple billet d’un distributeur automatique (…) ». « Mixité », « Voyages », « Maisons » ou « Vitesse » livrent également le regard aussi désenchanté que vif et amusé d’un homme d’hier sur aujourd’hui.


Ce qu’on retiendra de cette magnifique déclaration d’amour à la littérature, c’est que Régis Debray croit en la pérennité de la langue française. Elle survivra en ses chefs-d’œuvre, par- delà l’indéniable crise cyclique de civilisation que nous traversons actuellement. Alors, espérons avec Debray qu’il y aura toujours des auteurs, disciples de Flaubert qui écriront comme il le fit et l’affirma à George Sand: « (…) non pour le lecteur d’aujourd’hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra. » L’émission Répliques du samedi 20 mai où Alain Finkielkraut reçoit Régis Debray à propos de cet ouvrage est un délicieux préambule à la lecture de Où de vivants piliers.

Où de vivants piliers

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Henry Kissinger a 100 ans. Le diplomate du siècle?

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Henry Kissinger et le président Richard M. Nixon, à la Maison Blanche, le 22 septembre 1973. Kissinger est alors Secrétaire d'État © NEWSCOM/SIPA

Né en Allemagne en 1923, Secrétaire d’État des États-Unis sous les présidences de Richard Nixon puis de Gerald Ford, Kissinger est une figure tutélaire que la plupart des Américains saluent comme le Secrétaire d’État le plus marquant de l’après-guerre. Il a obtenu le prix Nobel de la Paix, en 1973, pour les accords de paix de Paris destinés à amener un cessez-le-feu dans la guerre du Viêt Nam.


Spectateur engagé des mutations du monde, l’artisan historique de la détente ne cesse, en grand témoin, de nous rappeler que la stabilité de l’ordre international repose sur l’équilibre des puissances et le respect de la souveraineté étatique. La diplomatie en est l’accoucheuse.

La nouvelle est passée largement inaperçue : le grand artisan de la politique étrangère des présidents Nixon et Ford, Henry Kissinger, a fêté ses 100 ans le 27 mai dernier. En 100 ans d’existence, de son enfance dans l’Allemagne tourmentée de l’entre-deux-guerres jusqu’à nos jours, où tend à s’affirmer le processus d’un remodelage multipolaire de l’ordre du monde, en passant par les heures où sa diplomatie de l’équilibre devait accoucher de la détente, Henry Kissinger aura traversé des époques très différentes. À travers les multiples reconfigurations du concert des nations, qui peuvent paraître quelquefois erratiques, cette dernière grande figure du réalisme continue de nous livrer un message d’une grande clarté : la stabilité de l’ordre du monde, dont dépend la paix, ne peut procéder durablement de coups de force ni de surenchères ; elle s’enracine concrètement dans l’équilibre des puissances, que canalise la commune reconnaissance par les États du cadre de dialogue axiologiquement neutre tracé par le principe de souveraineté. Kissinger nous donne ainsi la formule d’une politique étrangère dont le premier principe régulateur est l’intérêt national, conçu comme une limitation rationnelle apportée par la diplomatie à l’appétit de puissance, au regard des moyens à disposition et de la structuration du champ interétatique.

De l’Allemagne aux États-Unis

Né à Fürth, près de Nuremberg, le 27 mai 1923, le jeune Heinz Kissinger dut quitter l’Allemagne à quinze ans, en 1938, pour échapper aux persécutions nazies et s’établir aux États-Unis avec ses parents et son frère. Son destin rejoignait celui d’autres Allemands, ses aînés, Hannah Arendt, Leo Strauss ou Hans Morgenthau, qui ont contribué au rayonnement intellectuel des États-Unis.

Après des études qui devaient initialement le spécialiser dans la comptabilité, c’est finalement son enrôlement dans les rangs de l’armée américaine, contemporain de sa naturalisation, qui décide de son orientation. À son prénom germanique, il substitue alors celui d’Henry. Les opérations militaires auxquelles il prend part le conduisent de nouveau en Allemagne, où, sous l’uniforme américain, il s’acquitte de missions de contre-espionnage, matière dont il enseigne ensuite les rudiments. L’amitié nouée dans l’armée avec un autre Américain d’origine allemande ayant fui le régime nazi, Fritz Kraemer, lui apprend à ne pas renoncer à ses ambitions.

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C’est ainsi qu’il entre à Harvard, mettant à profit un dispositif ouvrant aux vétérans les portes des meilleures universités américaines. Il y côtoie notamment l’historien William Yandel Elliott, sous la direction duquel il rédige un long mémoire d’undergraduate sur le sens de l’histoire. Les références qu’il y fait aux réflexions de Toynbee, de Spengler et de Kant tracent les premiers linéaments d’une pensée, selon laquelle l’homme peut chercher dans l’exercice de sa liberté la faculté de transcender le tragique de l’existence.

L’importance de l’histoire

La longueur de son mémoire n’est pas le seul trait par lequel Henry se distingue. Alors que tant de ses condisciples marquent un vif intérêt pour l’économie et pour les perspectives que la création de l’Organisation des Nations unies semble ouvrir au multilatéralisme, lui préfère aborder la politique internationale par l’histoire. Il consacre, en ce sens, sa thèse de doctorat au règlement diplomatique de la situation européenne après la chute de Napoléon. Les figures du chancelier autrichien Metternich et du secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères, Castlereagh, retiennent son attention. Dans cette thèse, Kissinger s’intéresse, non à des crises contemporaines, mais à des faits historiques dont il prétend, par analogie, tirer des enseignements ; il y aborde, non le phénomène guerrier en soi, mais l’activité des diplomates, à qui il revient, par la négociation, de donner un fondement à la paix. Elle donne à voir le point de maturation et la profondeur historique qu’a atteints la pensée de Kissinger et dévoile les bases de sa pensée des relations internationales : sans la force, la paix ne peut reposer durablement que sur l’équilibre établi entre les puissances, qui parviennent à dialoguer pour résoudre les crises, parce qu’elles parlent le même langage diplomatique et se reconnaissent mutuellement comme parties institutionnelles d’un même ordre.

La question de l’ordre du monde, qui émerge dans la réflexion de Kissinger, en devient, dès lors, un thème récurrent et structurant, avec le concept de légitimité, défini, non à partir d’un contenu culturellement déterminé, mais comme un substrat minimal d’usages, partagé par les hommes d’État.

Après avoir publié sa thèse, en 1957, Henry Kissinger se fait remarquer par un autre ouvrage, Nuclear Weapons and Foreign Policy, qui, rompant avec la doctrine des représailles massives, envisage la possibilité d’user, dans certaines conditions, d’armes nucléaires tactiques. Anticipation de la doctrine de la riposte graduée, la réflexion de Kissinger avait surtout pour objet d’extraire les États-Unis des impasses diplomatiques où la doctrine volontiers manichéenne des représailles massives pouvaient l’enfermer, face à l’adversaire soviétique. Entre-temps, Henry Kissinger avait fait la connaissance à Harvard de Raymond Aron et entamé avec lui des échanges d’une grande richesse intellectuelle.

Les années Kennedy furent quelque peu décevantes pour Henry Kissinger : l’ancien doyen de Harvard, McGeorge Bundy, devenu conseiller à la sécurité nationale du président démocrate, ne répond pas à ses attentes. La contribution que Kissinger est invité à apporter aux réflexions en cours en matière de politique étrangère n’est qu’épisodique. Entre Kissinger et l’entourage de Kennedy, l’entente n’est pas au rendez-vous.

Les années Nixon

Il bénéficie manifestement d’un meilleur accueil dans le camp républicain, où il tisse des liens étroits avec le gouverneur de l’État de New York, Nelson Rockefeller. Il soutient sa candidature aux élections primaires républicaines de 1968, mais Richard Nixon obtient l’investiture du Grand Old Party et est finalement élu président des États-Unis. Cette élection marquait-elle la fin des ambitions politiques de Kissinger ? Le contraire advint : alors que l’universitaire de Harvard ne s’était jamais vraiment senti d’affinités avec lui, le président élu, Richard Nixon, lui proposa le poste de conseiller à la sécurité nationale. Kissinger accepta, non sans avoir consulté, au préalable, ses collègues de Harvard.

L’aventure politique commence alors réellement pour Henry Kissinger. Les années Nixon sont pour la politique étrangère des États-Unis des années d’ajustement et de renouveau.

Profondément intellectuels et partageant l’idée que la décision de politique étrangère, qui relève du politique, ne peut être abandonnée à la routine administrative, Nixon et Kissinger ont promu, dans ces années d’intense activité, de nombreuses initiatives retentissantes : désireux de stabiliser le champ international, toujours marqué par la bipolarité, ils veillent à développer des relations directes et dépassionnées avec l’Union soviétique, concrétisées dans un dispositif d’échanges et d’accords qui donnent leur pleine portée, mais à l’échelle mondiale, à l’idée de détente, promue en son temps et pour la France par le général de Gaulle. Kissinger souhaite ainsi rapporter les objectifs de la politique étrangère américaine au critère ultime de l’intérêt national et proportionner, par conséquent, les ambitions affichées aux moyens dont elle dispose.

Simultanément, Kissinger met en œuvre une ouverture progressive à la Chine populaire. En se rapprochant visiblement de la Chine communiste, concurrente asiatique de l’Union soviétique, les États-Unis réussissent à susciter du côté de la Russie, soucieuse de demeurer l’interlocuteur principal de l’Amérique, un sursaut d’intérêt pour la détente. La diplomatie triangulaire ainsi inaugurée a pour effet de constituer, selon la formule alors employée, une « structure de paix », apte à stabiliser les relations internationales face aux incertitudes de l’affrontement est-ouest.

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C’est dans ce contexte que Kissinger mène à leur terme les négociations sur la limitation des armes stratégiques dits SALT I, emblématiques de l’esprit de la détente. Le traité est signé le 26 mai 1972.

Héritage des administrations démocrates, la guerre du Vietnam figurait parmi les dossiers les plus brûlants que devait traiter Kissinger. Prenant part, en région parisienne, à des négociations secrètes avec une délégation nord-vietnamienne conduite par Le Duc Tho et maintenant un contact avec le gouvernement sud-vietnamien, Henry Kissinger eut à mettre en œuvre, dans des circonstances particulièrement difficiles, le désengagement progressif des troupes américaines, sanctionné par les accords de Paris du 27 janvier 1973.

La réélection de Richard Nixon en novembre 1972 permet à Kissinger de consolider le rôle central qu’il joue dans la définition de la politique étrangère américaine, puisqu’il devient secrétaire d’État en septembre 1973, cumulant cette fonction avec celle de conseiller à la sécurité nationale. Ses réussites diplomatiques et sa personnalité lui donnent d’acquérir une notoriété médiatique qu’aucun autre secrétaire d’État n’aura connue.

La crise du Watergate, dans laquelle Kissinger n’est pas impliquée, vient toutefois abréger le second mandat de Nixon.

Quand Gerald Ford succède à Richard Nixon, la présence d’Henry Kissinger au gouvernail de la diplomatie est un atout et un gage de continuité.

Celui-ci fait de nouveau la preuve de grands talents de médiateur en mettant en œuvre une active diplomatie de la navette à la suite de la guerre du Kippour. L’Égypte et Israël acceptent de se parler et de chercher un accord.

Mais le monde auquel est confronté le secrétaire d’État est en pleine mutation. Le choc pétrolier de 1973 place l’Occident devant la réalité de sa dépendance énergétique et la contestation de puissances qui lui sont extérieures. Les questions économiques tendent à prendre de plus en plus de place dans des négociations internationales au format multilatéral et les revendications des non-alignés se font entendre, en particulier à…

>>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue amie Conflits<<<

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Le choc de la «décivilisation»

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Le professeur d'Harvard de sciences politiques Samuel Huntington (1927-2008), photographié en Allemagne en 2005 © THIEL CHRISTIAN/SIPA

La menace inflationniste n’est pas seulement monétaire, elle est bien davantage d’ordre lexical. C’est une inflation de mots, d’énoncés aussi suffisants que peu nécessaires qui menace l’entendement.


Les préfixes abondent pour indiquer le changement de sens : illibéral vous précipite au purgatoire, tandis que décolonial vous remet dans le bon chemin. En France, on adore se payer de mots et celui de « décivilisation » est le dernier en date dans la palette des signifiants proposés dans le débat public. Cette fois-ci, la charge est lourde, angoissante tant elle prend appui sur une terrible actualité mais elle inscrit cette actualité dans un processus installé dans la durée. Si c’est la civilisation qui fout le camp, qu’allons-nous devenir?

Est-ce seulement une affaire de mots ? En France, en la matière, les communicants débordent de créations ! Après le « séparatisme », après les « sauvageons » de Chevènement, après les « jeunes-des-banlieues-difficiles » ou des « quartiers-sensibles » issus de la « fracture-sociale » et de la « diversité », voilà qu’une nouvelle formule pourrait aider les décideurs, mais aussi le peuple à y voir plus clair. En effet une question vient immédiatement à l’esprit : quand un réfugié tchétchène a pris soin d’acheter un couteau neuf pour aller couper la tête d’un professeur d’histoire géographie qui aurait mal parlé du prophète, ce réfugié tchétchène était-il un « sauvageon » ou un « décivilisé » ? Quand un fumeur, excessif de cannabis certes, frappe à mort une vieille femme de soixante-quatorze ans et la jette par la fenêtre aux cris de « Allah akbar ! » ce jeune, était-il un « séparatiste », un « sauvageon », un « décivilisé » ? Quand un autre jeune en scooter tue d’une balle dans la tête une petite fille dans une cour d’école, était-il un « décivilisé », un « séparatiste », un « sauvageon » ? À moins qu’il soit un malade mental ne sachant pas ce qu’il faisait ?

Repoussoir magique

La justice a estimé que celui qui a assassiné Sarah Halimi était coupable, mais pas responsable et donc ne lui a fait aucun procès. Un jeune tueur qui tire sur des enfants juifs pour « venger des enfants palestiniens » est-il coupable et responsable alors que sa schizophrénie potentielle devrait corriger sa responsabilité, car c’est au nom d’une noble cause que ce sauvageon aurait agi ? Aujourd’hui, c’est une anthropologue du CNRS qui est menacée de mort pour avoir étudié de près (de trop près sans doute) la stratégie des Frères musulmans pour séduire, convaincre, recruter, s’imposer dans le paysage. Pour ces gens, cette enquête est une menace, car en dévoilant précisément cette entreprise de conquête, elle donne des armes utiles pour une contre-attaque. Dès lors, il faut faire taire Florence Bergeaud-Blackler. Étrangement, ses diverses autorités de tutelle paraissent se méfier de ce travail, craignant sans toutes de se voir qualifiées d’islamophobes, en protégeant la chercheuse. Samuel Paty a déjà payé le prix de cette myopie délibérée.

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En élargissant le registre lexical pour nommer et comprendre cette violence qui croît, le président prend des risques évidents. Tous les experts en lexicologie politique ont sorti leur lexicomètre pour situer la charge idéologique de ce nouveau concept. Est-il de droite (voire d’extrême droite) ou de gauche ? En utilisant le concept de « décivilisation » le curseur se rapproche des portes de l’enfer. Au Monde, les experts ne s’y sont pas trompés. Ils ont immédiatement reniflé les relents « d’extrême-droite » dans cet usage. Ce repoussoir magique a une qualité pour celui qui l’emploie. Il permet de faire l’économie du regard critique sur ce qui s’est passé avant.

L’idéal universaliste ébranlé

Déjà en 1989, c’est bien au nom de la soumission aux règles d’une autre civilisation que des lycéennes refusaient d’ôter leur voile pour rentrer dans un lycée à Creil. En 2002, un livre pointait les « territoires perdus de la République » mettant en évidence cette sécession en milieu scolaire de la part des certains élèves issus de l’immigration. Ce livre fut rapidement rangé sur les étagères réservées aux livres incorrects. Il fallut bien légiférer, après qu’un rapport eut confirmé la menace de rupture. La décivilisation était-elle déjà en marche ? Le rapport de l’inspecteur Obin fut rapidement glissé, avec la poussière, sous le tapis du ministère. De rapport en rapport, de projet de loi en projet de loi, la rupture n’a cessé des progressé et la décivilisation de s’étendre.

Avons-nous beaucoup progressé depuis ? Les foudres des lexicomètres n’ont pas tardé. C’est bien à l’extrême-droite qu’il faut positionner le curseur. « Le choc des civilisations » déjà annoncé par Samuel Huntington annonçait la couleur. Accueillie par des cris indignés, cette formule, jugée immédiatement comme étant réactionnaire, fracturait l’idéal universaliste. Elle faisait tache dans l’euphorie postcommuniste annonçant la « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama. Mondialisation aidant, personne n’avait voulu prendre en compte ce nouveau monstre né de la révolution islamique, occupant la place laissée libre par la fin du communisme. La mondialisation, le e-commerce, l’internet allaient faire de la planète ce « village global » tant espéré. Hélas pour tous, le retour des tribus, des sectes, des gangs, des mafias, des ligues, des fous de dieu autant que les nouveaux virus vont pulvériser ces illusions. La guerre contre l’axe du Mal va aggraver les choses, transformant les bonnes intentions en catastrophes successives. Les talibans, l’État islamique vont séduire des milliers de jeunes en rupture identitaire.

Sinistre inventaire

La « décivilisation » dénoncée par le président de la République est aussi le produit dérivé de cette histoire dont les raisons sont multiples et entrelacées, mais dont le résultat est justement bien nommé. Si notre culture, nos manières d’être, nos habitudes de vie, notre vocabulaire, notre langue commune, notre patrimoine sont à ce point mal-en-point, il faut bien en dresser l’inventaire.

Avec ses fractures, ses ruptures, ses guerres de religion, ses infractions vichystes, ses révoltes, ses révolutions, la France était restée malgré tout un pays qui retrouvait la douceur d’y vivre. Le choix de l’équilibre paraissait une constante et les trente glorieuses semblaient avoir de l’avenir. Il suffisait de regarder en arrière pour prendre la mesure des progrès accomplis, malgré ces sauts, de crise en crise, depuis le programme du CNR, les conflits de la décolonisation, Mai 68 et tant d’autres moments de troubles furent suivis d’autant d’ajustements. Il suffit aussi de regarder ailleurs pour voir combien, ailleurs qu’en Europe, ça va mal. La perspective européenne dessinait un avenir démocratique en proscrivant la guerre.

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Si la formule dit un diagnostic, elle est à la fois trop large, pour nommer avec justesse ce qui la compose. Le concept utilisé, pour pertinent qu’il soit, souffre lui d’une absence de résultante. Celui qui la prononce a un statut particulier. Il incarne le pouvoir, il est celui qui choisit, décide, anticipe, dessine des perspectives. Que déduit-on de ce constat, et ça n’est pas Chat-GPT qui aura la réponse ? Quel modèle de civilisation est en train de s’effriter et dans quelle autre configuration est-elle en train d’entrer ? L’expression « archipel français » met en évidence le statut inégal des zones fracturées quand la géographique répartit inégalement les zones décivilisées.

La multiplication des crimes liés au trafic de drogue à Marseille révèle une libanisation croissante du territoire dont les ramifications s’étendent à Anvers et Rotterdam. Les attentats de 2015 avaient déjà montré les alliances communautaires entre islamistes de Molenbeck et ceux de Clichy. La criminalité européenne met à jour des alliances d’intérêt entre djihadistes et truands progressant plus vite que les dispositifs existants pour les contrer. Ces chemins criminels constituent autant de voies annexes de la décivilisation que le président déplore.

Est-il trop tard pour rattraper le temps perdu ?

Comment lutter contre cet effilochage alors qu’au cœur de l’État, au plus profond de ce qui devrait constituer la matrice intellectuelle de la reconstruction civilisationnelle, le ministre en charge de l’Éducation nationale s’emploie à défaire les lignes de force de son prédécesseur ? Comment comprendre cette incohérence ? Si le président déplore la perte progressive de ce qui faisait sens dans une nation homogène, son ministre ne vante-t-il pas les mérites de ce qui la défait ? Peut-on promouvoir la civilisation ayant construit ce pays avec sa mise en accusation comme fil conducteur ? Peut-on éduquer avec la culpabilisation décoloniale comme filigrane de notre histoire ? Éduquer c’est transmettre des savoirs, éduquer c’est donner à penser autour des multiples contradictions d’une histoire, mais éduquer ne consiste surement pas à substituer à la complexité une autre simplification. Les extrémismes politiques se nourrissent de ce renversement. Si la France est un pays de salauds, comment inciter à l’amour de la patrie ? Ce mot a-t-il encore un sens ? Est-il trop désuet ? Déboulonner les statues de Colbert fait-il progresser la connaissance du Code noir ? L’histoire est un tout, où le pire côtoie le meilleur. Jean Moulin est déjà au Panthéon et Missak Manouchian va bientôt rejoindre ces grands personnages que la nation se doit d’honorer.

Lutter contre la décivilisation, c’est d’abord indiquer un cap et s’y tenir malgré les vents contraires du poujadisme et le brouillage de la confusion dont un Cyril Hanouna est le grand promoteur. Les héros, les belles choses, les beaux gestes, les gens bien ne manquent pas en France, encore faut-il vouloir ne pas se contenter des apparences.