Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
Je me rends compte que je ne suis qu’un cachottier, lectrices et lecteurs adorés. Dans ma dernière chronique consacrée à notre balade, ma Sauvageonne et moi, aux étangs de Méricourt, je ne vous avais pas tout raconté. En effet, nos pérégrinations ne se sont pas arrêtées à la rencontre, sur le chemin de retour, avec le sympathique pêcheur, généreux donateur de la perche éléphantesque capturée dans la vieille Somme. Est-il nécessaire de le rappeler ? Vous le savez, ma Sauvageonne adorée est pleine de ressources et de curiosité. Alors, quand nous traversâmes le village de Chipilly, son attention toujours en éveil fut attirée par le monument aux morts. « Regarde, vieux Yak ! Comme c’est étrange et comme c’est beau ! » fit-elle de sa voix de Brigitte Bardot pleine de sensualité. Elle n’avait pas tort. Le monument représente un soldat britannique en train de consoler son cheval blessé. Comme le souligne le panneau explicatif, à la fin de la Première Guerre mondiale le cheval est traité en véritable héros. D’autres œuvres l’honorent à travers le monde : un cheval en bronze grandeur nature et son soldat lui offrant à boire, à Port Elisabeth en Afrique du Sud ; un cheval s’abreuvant, monument en l’honneur de la 66e division, au Cateau ; une statuette de cheval en bronze, dans l’église St-Judes à Hampstead, dédicacée aux 375 000 chevaux morts à la guerre. Il ne faut jamais oublier : « Nombre d’événements de la Grande Guerre 14-18 a eu pour théâtre la Picardie », est-il encore écrit sur le bienvenu panneau. « Les soldats des armées britanniques et de tout le Commonwealth se sont battus sur le front de la Somme. En 1916, la Bataille de la Somme a provoqué la mort de 107 000 d’entre eux (le chiffre approximatif des pertes étant de près de 500 000 personnes). Après la guerre, ce sont 127 000 sépultures réparties entre 230 cimetières et carrés militaires ainsi que de nombreux monuments qui furent édifiés en hommage aux disparus. » Le monument de Chipilly, lui, a été érigé en l’honneur de la 58e division britannique, la London Division. L’artiste, auteur de l’œuvre est le sculpteur français Henri-Désiré Gauquié (1858-1927). Alors que je contemplais et photographiais dans tous les sens la magnifique création, je me mis à penser à mon grand-père paternel, Alfred Lacoche (je le surnommais Pépère) qui combattit dans la Somme pendant la Grande Guerre. Blessé à deux reprises, il repartit à chaque fois au front. Lorsqu’il rentra du grand carnage, il jura de ne plus manger un gramme de viande de cheval. « Ils nous ont rendu tant de services dans les tranchées », racontait-il. En 2009, lorsqu’on me demanda d’écrire le scénario d’une bande dessinée et que je m’associais au si talentueux Serge Dutfoy, pour l’album collectif Cicatrices de guerre (s) paru aux éditions La Gouttière, ce fut à lui, à Pépère, que je pensais. Et nous nous mîmes, Serge et moi, à raconter un épisode de sa vie : à la fin de sa longue existence, tous les dimanches matins, en compagnie de ma grand-mère, il se rendait chez nous, dans la maison familiale, au 14 de la rue des Pavillons, à Tergnier, petite ville ferroviaire de l’Aisne. Comme Pépère tremblait, mon père le rasait. Dans un cabas de cuir, il apportait son blaireau, le savon à barbe et le quart, le vieux quart qu’il avait ramené des tranchées de la Somme quand il combattait nos bons amis d’Outre-Rhin. Pépère s’asseyait ; mon père attrapait le rasoir, faisait mousser le savon et opérait, tel un barbier professionnel. Parfois, mon grand-père laissait échapper quelques souvenirs. Il se souvenait de ses copains, tombés à ses côtés ; il se souvenait de la bravoure des soldats britanniques. Il se souvenait de la boue. Des chevaux embourbés qu’il fallait abattre d’une balle dans la tête pour qu’ils ne souffrissent pas car on ne pouvait pas les dégager. Il nous parlait parfois de l’attaque du Bois de Maurepas, en août 1916, au cours de laquelle il avait été blessé par un éclat d’obus. La lame passait et repassait sur ses joues ridées. Son regard se perdait dans le vague, dans l’onde d’une infinie tristesse. Je tentais de comprendre ce qu’il ressentait ; je n’avais que l’image. Pas le son émis par sa mémoire. Ce dernier devait se composer de fracas, de canonnades et de cris. A sa mort, mon grand-père a donné le quart à mon père. Au décès de ce dernier, j’en ai hérité. Il est aujourd’hui bien protégé dans un meuble de ma cuisine. Quand un flot de mélancolie ou de désespoir me submerge, je le regarde. Je pense à Pépère, aux tranchées de la Somme, à la souffrance indicible des Poilus. Alors mes petits soucis disparaissent comme par magie.
L’homme d’affaires Matthieu Pigasse était récemment invité sur France 2à une heure de grande écoute pour commenter la crise budgétaire et l’instabilité politique. Il affirme défendre des idées politiques à l’opposé de ses intérêts financiers.
Le jeudi 11 septembre, sur France 2, la journaliste Caroline Roux a reçu dans son émission « L’Événement » l’homme d’affaires Matthieu Pigasse, qu’elle présente ainsi : « Vous êtes président du groupe de médias Combat, vous êtes aussi banquier d’affaires et à ce titre vous avez conseillé certains gouvernements pendant la crise financière, notamment en Grèce. Vous êtes assez rare à la télé, vous prenez rarement la parole. Je vous remercie d’être là[1]. » Sans doute contrainte par le temps, Mme Roux a omis d’évoquer le parcours politique de son invité, de préciser ce qu’est son groupe de médias Combat et d’indiquer le nom des organes de presse et des agences culturelles qu’il « contrôle » afin de combattre « la droite radicale », selon son propre aveu[2]. Réparons cette erreur.
Viva la revolución !
Énarque influencé à l’époque par Jacques Attali, M. Pigasse est nommé, en 1998, conseiller technique du ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, puis directeur adjoint du cabinet de son successeur, Laurent Fabius. Il se lance ensuite dans une carrière dans le privé de haut vol. Il est recruté en 2003 par la banque Lazard où il gravit les échelons jusqu’à devenir le responsable mondial des activités de fusions et acquisitions. Il démissionne après 16 ans de bons et lucratifs services. Co-directeur d’une banque d’investissement, membre des conseils d’administration de différentes entreprises, M. Pigasse consacre une partie de son énergie et de ses finances à la construction de ce qu’il espère être un jour un empire médiatique au service de ses opinions. Dans un entretien donné au magazine GQ en 2015, il brosse de lui-même le portrait d’un révolutionnaire qui « vomit l’aristocratie », d’un ancien punk prêt à « renverser la table » et à « mettre le feu », rien de moins. Rappelons quand même que ce révolutionnaire exalté a fait partie des « Young leaders » repérés et formés par la French-American Foundation, qu’il a organisé la vente de Libération à Édouard de Rothschild en 2005, a participé aux travaux de Terra Nova dès sa création en 2008, a ensuite échafaudé avec la Banque Lazard de très juteuses opérations de conseils auprès de gouvernements sud-américains et de nombreuses entreprises françaises et étrangères. De quoi fomenter une révolution aux petits oignons, et à l’abri du besoin.
M. Pigasse fonde le groupe de médias Combat en 2009. Il rachète Radio Nova, une radio essentiellement musicale qui, en 2024, récupèrera les comiques gauchistes Guillaume Meurice et Aymeric Lompret, anciennes gloires de France Inter. Il reprend Les Inrockuptibles, magazine culturel qui n’intéresse personne hormis Virginie Despentes, les étudiants hébétés de Paris 8 et les militants « déconstructivistes » de Sciences Po, puis Cheek, un média féministe qui se targue de cibler les jeunes femmes « actives et urbaines ». Pour achever de décerveler une jeunesse crétinisée par le wokisme et l’islamo-gauchisme, Matthieu Pigasse fait l’acquisition de « Rock en Seine », un festival musical qui, lors de sa dernière édition, a accueilli Kneecap, un groupe irlandais introduisant et concluant ses concerts aux cris de « Free, free Palestine » et dont l’un des membres est poursuivi par la justice britannique pour s’être couvert d’un drapeau du Hezbollah, organisation classée terroriste au Royaume-Uni, lors d’un concert à Londres en 2024 – rien qui puisse gêner un public habitué à arborer keffiehs et drapeaux palestiniens en toute occasion. L’écologisme faisant partie des idéologies qui ont sa faveur, M. Pigasse s’est approprié « We Love Green », un festival censé allier événement musical et respect de l’environnement, et qui a de surcroît, selon son propriétaire, « le métissage comme horizon » (tweet du 25 juillet). Après avoir écouté les daubes musicales les plus affligeantes du moment, les festivaliers sont invités à participer à des tables rondes sur la transition écologique, à écouter des conférences organisées par Le Monde, à applaudir « des humoristes engagés, qui ont trouvé par le rire une nouvelle manière d’éveiller les consciences » et à se restaurer « sans bouffer la planète, en mode végé ». Enfin, histoire de parachever son œuvre d’abrutissement de la jeunesse, le golden boy a créé Golden Coast, le premier festival de rap en France.
Le système a aussi du bon…
Sur le site de Combat, on peut lire : « Combat s’engage pour une société ouverte et mixte, pour un avenir responsable et humaniste, en opposant l’exemple à la puissance, avec la volonté d’interroger en permanence par l’expression libre et le débat d’idées l’action des un.e.s et des autres. » Certains lecteurs ne maîtrisant pas la novlangue gauchiste, il nous faut traduire ce texte : « Combat s’engage pour une société multiculturelle, pour un avenir écologiste et totalitaire, en s’appuyant sur la puissance d’une caste ayant la volonté d’empêcher l’expression et les idées de ceuzetceusses qui contredisent son projet progressiste. » C’est plus clair comme ça, non ?
M. Pigasse est également actionnaire du Groupe Le Monde qui comprend, entre autres, Le Monde, Le Nouvel Obs et un magazine télévisuel devenu la quintessence d’une certaine presse atteinte de gauchisme chronique et de wokisme aigu, j’ai nommé Télérama. Tous ces journaux reçoivent de somptueuses subventions publiques. [En 2024 : Le Monde, 7,8 millions d’euros ; Le Nouvel Obs, 1,6 million ; Télérama, 5 millions[3].] L’esprit révolutionnaire semble s’accommoder d’un système récompensant la presse aux ordres d’une caste qui ne rêve que de détruire la France.
En 2015, Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse fondent Mediawan, groupe créant et produisant des contenus audiovisuels. Mediawan produit de nombreuses émissions du service public, entre autres « C à vous », « C L’hebdo » et… « C dans l’air », l’émission qu’anime… Caroline Roux. Le jeudi 11 septembre, c’est donc en quelque sorte son patron qu’a complaisamment interviewé la journaliste. Cette subordination est confirmée sur le site de Mediawan, la rubrique Production/Flux étant illustrée par une photo de groupe réunissant des journalistes de la télévision publique (Caroline Roux, Anne-Élisabeth Lemoine, Aurélie Casse et Faustine Bollaert). Il eût été normal d’en avertir les téléspectateurs, vu que c’est avec leur argent que France TV rétribue Mediawan, entreprise médiatico-culturelle au service de la gauche et des ambitions politiques de M. Pigasse. « Un jour je ferai de la politique et je serai président de la république » aurait-il avoué à Alain Minc qui ajoute : « Cinq ans plus tard, un certain Emmanuel Macron me fera exactement la même confidence[4]. »
Bien que montrant des signes de détestation les uns envers les autres au fur et à mesure que le temps passe et que de vieilles rancunes refont surface, MM. Pigasse, Attali ou Macron font partie du même monde, celui des élites déconnectées de la réalité, éloignées des préoccupations de leurs concitoyens, avides de pouvoir et prêtes à tout pour parvenir à leurs fins financières, idéologiques ou politiques. Il faut entendre, lors d’une émission sur France Inter[5], Matthieu Pigasse – directeur de la branche française de Centerview Partners, une banque d’investissement spécialisée dans des activités de conseil aux gouvernements, surtout africains, aux entreprises et aux fonds d’investissement – dénoncer « le capitalisme libéral » et l’accuser d’être « la plus grande machine à créer des inégalités jamais inventées », pour concevoir le degré de cynisme et d’hypocrisie dont sont capables les éminents représentants d’un système financier ne reculant devant rien pour s’engraisser et grâce auquel ils se sont enrichis.
Macron et Bolloré, ses ennemis préférés
Il y a dix ans, sont parus, à quelques mois d’intervalle, deux livres intitulés Révolutions et Révolution. Le premier était signé Matthieu Pigasse, le second, Emmanuel Macron. Lorsque des banquiers d’affaires se mettent à utiliser le mot « révolution », à porter en bandoulière leur présumé humanisme et à louanger le peuple avec des trémolos dans la voix, il y a anguille sous roche ou, comme l’écrit Jean-Claude Michéa, loup dans la bergerie[6]. Les socialistes ont sorti de sa tanière argentée Emmanuel Macron, lequel, après avoir trahi François Hollande, a récompensé les plus méritants, donc les plus intrigants et les plus arrivistes d’entre eux, en leur octroyant d’éminentes fonctions dans nos institutions étatiques et plusieurs de ces postes inutiles mais lucratifs qui encombrent notre dispendieuse administration publique. M. Pigasse, après avoir été un socialiste strauss-kahnien, penche aujourd’hui vers la gauche de la gauche. Le parcours fut sinueux. Le banquier libéral s’est métamorphosé en chantre de l’étatisme. Les réceptions guindées de la haute bourgeoisie financière ont laissé place aux cocktails bobos de la gauche médiatique et aux événements branchés de la gauche culturelle. Le riche bourgeois a encouragé la presse à brosser de lui le portrait d’un homme foncièrement de gauche, un peu punk sur les bords, déterminé à remettre en cause ses privilèges et ceux des bénéficiaires de ses conseils, à renverser la table des riches pour redresser la France des pauvres. Soutien du NFP côté Insoumis, le gauchiste doré sur tranche dénonce sur X « l’islamophobie d’État [qui] tue » et soutient la taxe Zucman. Il s’enflamme au micro de France Inter : « Il faut commencer à préparer à tout péter[7]. » M. Pigasse ne s’est visiblement pas aperçu que les Français qui subissent l’insécurité, les émeutes, l’immigration massive, le narco-trafic, les défaillances de leurs services publics et sociaux, l’islamisation rampante ou la pauvreté généralisée, ne supportent plus ces discours pseudo-révolutionnaires qui ne résolvent rien et ne semblent destinés qu’à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont participé à la mise à sac du pays.
En 2023, M. Pigasse affirmait à la radio être l’anti-modèle de Vincent Bolloré : « Je considère qu’un actionnaire d’un groupe de médias n’a pas à faire passer des messages à travers ses médias. » Deux ans plus tard, changement de ton dans Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » L’homme d’affaires se targue de ne jamais travailler avec « Vincent Bolloré ou avec des proches de sa sphère d’influence » et se félicite d’avoir appelé à voter pour le NFP. « Ouvert » et « progressiste », il exècre Elon Musk, Donald Trump et… la droite nationale, auxquels il reproche, entre autres, de ne pas être assez écologistes et de faire obstacle à la liberté sexuelle et la liberté de genre. M. Pigasse est en vérité un pur produit des élites décrites par Christopher Lasch[8]. L’idéologie du progrès est devenue le vecteur principal du libéralisme moderne, la « philosophie politique » des élites qui voyagent (M. Pigasse se vante de prendre l’avion plusieurs fois par semaine pour se rendre à l’étranger), persiflent les us et coutumes de leurs compatriotes, s’accommodent d’une langue internationalement massacrée, se défient de plus en plus des liens d’appartenance à la famille, au voisinage, au village, à la nation… Celles qui sont attirées par les plus hautes fonctions de l’État ne le sont plus que pour assouvir des ambitions carriéristes et nullement pour défendre des notions qu’elles jugent dépassées, comme la souveraineté d’un pays ou l’intérêt national. « Peuple » est un mot qu’elles utilisent peu, qui ne leur sert que de slogan au moment des élections. Leur adhésion aux idéologies progressistes actuelles, du wokisme à l’ouverture des frontières en passant par l’écologisme, est totale. M. Pigasse a mis sa fortune au service de ces doctrines mortifères. La jeunesse abrutie par le rap et Aya Nakamura est la même que celle qui se teint les cheveux en bleu, se déclare non-binaire et crie « Free Palestine » tout en ignorant où se trouve le Jourdain – le banquier gauchiste a créé des « événements culturels » à la hauteur de sa bêtise hargneuse. Actionnaire d’une presse à sa main, il a discrètement infiltré des médias publics qui partagent avec lui la même idéologie progressiste et la même haine d’une extrême droite fantasmée.
Les dirigeants de Radio France et de France TV ont beau actuellement le nier, l’audiovisuel public est à la solde d’une caste médiatico-politique revendiquant un bouleversement total de notre société, l’effacement progressif des mœurs, la déconstruction de l’histoire ou de la langue d’un peuple lui-même remplacé par un inquiétant conglomérat multiethnique. Tous les Français paient pour la propagande de cette caste qui ne leur veut aucun bien. Il serait peut-être temps que cela cesse.
Nouveau peuple et vieilles complaisances internationales
Lors de la présentation, le 16 septembre à Paris, de l’ouvrage collectif Nouveau peuple, nouvelle gauche, publié par La France insoumise, la militante racialiste aux 17 frères et sœurs et trois mères, Assa Traoré, participait à une table ronde sur « les conditions d’une victoire politique du peuple au 21e siècle1 ». Interrogée sur sa présence dans cet aréopage mélenchoniste, composé notamment de Clémence Guetté, Éric Coquerel et Mathilde Panot, la jeune femme a expliqué : « Si nous sommes là [le comité Adama], c’est que, politiquement, ils ne peuvent pas faire sans nous. » Quand il s’agit de « phosphorer », LFI fait confiance aux talents de nos territoires et cela fait grand plaisir à voir !
Mauvaise presse, mais résultats électoraux en hausse…
Assis sur un tas d’or, avec près de 6 millions d’euros d’aides publiques reçues en 2025 grâce à ses bons résultats électoraux, le parti islamo-gauchiste ne se contente pas de frayer avec les forces vives de banlieue. Il cherche aussi l’inspiration au-delà des frontières, quitte à aller trouver ses idées auprès des régimes les plus épouvantables de la planète. En marge des universités d’été du parti, la député Sophia Chikirou, de retour d’un voyage en Chine, a ainsi déclaré au micro de l’émission « Quotidien » : « Je ne considère pas que la Chine est une dictature. […] La liberté d’expression en Chine est aussi menacée que celle qu’on a en France. » Face à la polémique, Mme Chikirou s’est ensuite énervée sur son blog : « Ne vous fiez pas aux montages vidéo truqués de Quotidien et méfiez-vous des perroquets atlantistes. » On sait par ailleurs que l’élue a relayé sur Instagram, il y a un an, un hommage controversé à Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas, avant de l’effacer.
Quant à Mélenchon, il a dénoncé le dalaï-lama comme un autocrate prônant selon lui une « version tibétaine de la charia » et estimé que Taïwan devait revenir dans le giron de Pékin. Autre petit détail : si l’ancien sénateur de l’Essonne tempête tous les jours contre le « génocide » à Gaza, il observe des pudeurs de gazelle quand on le questionne au sujet du sort des Ouïghours. Après avoir vu les panneaux solaires chinois écraser leurs concurrents européens, les Insoumis seront sûrement ravis de rouler en voiture électrique made in China. C’est que la « Nouvelle France » n’a pas tant besoin d’ouvriers que d’immigrés ! Par ailleurs, l’admiration de Mélenchon pour Fidel Castro, Hugo Chávez ou Nicolás Maduro est bien documentée de longue date. Sans oublier que cet été, son ancien chauffeur, désormais député, Sébastien Delogu, a choqué en critiquant la France à la télévision algérienne, sans un mot pour Boualem Sansal ou Christophe Gleizes, injustement emprisonnés par la dictature militaire. La complaisance des Insoumis envers Poutine, ou leur hostilité récente vis-à-vis de Zelensky, ont également surpris : ils dénient à ce dernier toute légitimité au prétexte que l’Ukraine n’a pas organisé d’élections depuis 2022. Auraient-ils dit la même chose de Churchill, resté au pouvoir jusqu’en 1945 malgré des scrutins reportés ?
Enfin, lorsque des têtes de cochon ont été déposées devant des mosquées, début septembre, M. Coquerel a reproché à Bruno Retailleau de minimiser des faits « islamophobes ». Mais l’enquête a rapidement révélé qu’il s’agissait d’agents provocateurs venus de Serbie. Quel odieux extrémiste, parmi nos lecteurs, vient-il de crier : « parti de l’étranger ! » ?
Le référendum du 21 septembre a donné une nouvelle Constitution à la Guinée (Guinée Conakry). Loin d’assurer le pluralisme, ce texte renforce les pouvoirs du gouvernement militaire et écarte les oppositions.
« Nous ne ferons pas partie de l’après-transition. Nous ne passerons pas un jour de plus à l’issue des 24 mois de la transition. » Ces mots, prononcés par Mamadi Doumbouya en 2023, résonnent aujourd’hui comme un serment trahi. Car ce 21 septembre 2025, loin de préparer son départ, le chef de la junte a soumis aux Guinéens une nouvelle Constitution qui lui ouvre la voie vers une présidence prolongée. Derrière l’habillage solennel d’une « refondation de la République », le référendum organisé le week-end dernier n’aura été qu’un instrument de légitimation destiné à sacraliser l’accaparement du pouvoir par l’ancien caporal de la Légion étrangère, devenu chef d’État…
Modification des institutions du pays
Le texte adopté modifie en profondeur l’architecture institutionnelle du pays. Il allonge la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans, renouvelable une fois, ce qui offre au chef de l’État une perspective de longévité accrue. Il crée un Sénat censé incarner une nouvelle chambre de réflexion, mais dont un tiers des membres sera nommé directement par le président, amputant d’avance toute velléité d’indépendance. Plus encore, il efface l’une des dispositions phares de la Charte de transition de 2021: l’interdiction faite aux membres de la junte militaire de se présenter aux élections. Cette suppression change tout. Elle autorise désormais Mamadi Doumbouya à briguer légalement la magistrature suprême, lui qui avait juré, en 2021, que les militaires n’étaient que des gestionnaires provisoires et ne chercheraient pas à se maintenir. L’histoire retiendra que la promesse n’a pas duré plus que le temps de se consolider au pouvoir.
Les chiffres officiels paraissent flatteurs: plus de 70% de participation parmi les 6,7 millions d’électeurs inscrits, et un « oui » triomphal au-delà de 90%. Mais ces données brutes masquent une réalité autrement plus complexe. Car l’opposition, de Cellou Dalein Diallo à Alpha Condé, avait unanimement appelé au boycott, dénonçant un « simulacre de démocratie ». Leurs partis avaient été suspendus ou paralysés par des restrictions administratives. La campagne s’est déroulée sans eux, dans un espace public verrouillé, où radios indépendantes et sites d’information avaient été réduits au silence. Le climat de peur et la surveillance omniprésente des urnes ne laissent guère de doute sur la sincérité du scrutin. Plus qu’un vote libre, il s’agissait d’une mise en scène visant à conférer une légitimité populaire à un processus déjà décidé dans les casernes.
Un régime à la dérive
Au-delà de l’ingénierie constitutionnelle, ce référendum s’inscrit dans une trajectoire où la corruption généralisée est devenue le véritable ciment du régime. L’exemple du projet minier de Simandou illustre cette dérive : en 2024, des révélations de presse ont affirmé qu’une entreprise chinoise impliquée dans l’exploitation du gisement avait versé 75 millions de dollars directement à M. Doumbouya. Le colonel-président, qui s’était présenté en chevalier de la probité, a reproduit à l’identique les méthodes de ses prédécesseurs. L’opacité des contrats, l’enrichissement de la garde rapprochée et la distribution des marchés à des affidés traduisent moins une rupture qu’une continuité dans le pillage des ressources nationales.
Cette réalité s’impose crûment à Conakry : selon les statistiques nationales, seulement 44,1% de la population guinéenne dispose d’un accès à l’électricité, et en milieu rural ce taux tombe à 19,3%. Même dans la capitale, les coupures sont fréquentes, la fourniture instable et le réseau vétuste. En 2023, la production nationale d’électricité atteignait environ 4 048 GWh pour une capacité installée de 1 060 MW, dont une large part provient de l’hydroélectricité. Sur le plan hydrique, la fracture reste colossale : en 2023, 32,1% des Guinéens n’avaient pas accès à une eau gérée de manière sûre, et seuls 13,7% de la population bénéficiaient d’un assainissement de qualité. Selon la Banque mondiale, 63% de la population rurale vit en situation de pauvreté, contre 22% dans les zones urbaines, tandis que le taux de pauvreté global est passé de 46,6% en 2018 à environ 51,4% en 2023.
Dans le même temps, l’État guinéen tire une part significative de ses revenus des secteurs miniers: la Guinée exporte des minerais pour lesquels le secteur minier représente environ 80% des exportations du pays. Pourtant, ces richesses sont captées par une minorité proche du pouvoir, et très peu redistribuées en infrastructures ou services publics.
Il n’est plus question ici de simples contrastes : ces chiffres témoignent d’un déséquilibre structurel. Tandis que des quartiers résidentiels s’ornent de villas et que des cortèges de 4×4 escortent les élites, la majorité reste plongée dans l’obscurité — littéralement et symboliquement — attendant que l’État livre ce qu’il prétend garantir mais refuse de concrétiser.
Dérive autoritaire
Le référendum du 21 septembre n’est pas une rupture mais l’aboutissement d’une dérive autoritaire engagée dès 2021. Le FNDC, mouvement citoyen qui avait incarné la résistance au troisième mandat d’Alpha Condé, a été dissous sans ménagement. Ses leaders, comme Foniké Menguè ou Billo Bah, ont été emprisonnés ou réduits au silence. Amnesty International et Human Rights Watch ont documenté des dizaines de morts lors de manifestations dispersées par balles à Conakry, Labé ou Nzérékoré. La presse, elle aussi, vit sous la férule: radios suspendues, journalistes intimidés, sites d’information bloqués. À l’extérieur, la situation inquiète. Une plainte pour complicité de torture et homicides volontaires a même été déposée en France contre Doumbouya dès 2022, rappelant que les atteintes aux droits humains ne passent plus inaperçues.
Les réactions internationales à ce référendum sont à l’image des équilibres régionaux: prudentes mais fermes. L’Union africaine a exprimé sa « préoccupation » face à une transition qui ressemble désormais à une présidence à vie déguisée. La CEDEAO, déjà secouée par les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, a dénoncé un « détournement du processus de transition » et menace de sanctions ciblées le pays si un calendrier électoral crédible n’est pas rapidement annoncé. L’Union européenne évoque un « recul préoccupant de l’État de droit », tandis que Washington parle plus directement d’une « confiscation du processusdémocratique ». Le risque est de voir la Guinée rejoindre la catégorie des régimes autoritaires assumés.
La Constitution, loin d’être un outil d’émancipation collective, devient un instrument de pouvoir personnel. À force de confondre la République avec son uniforme, le président risque de n’apparaître que comme caporal devenu despote.
Retour sur le discours historique du président Macron à l’ONU et la reconnaissance de la Palestine
Ce lundi 22 septembre, Emmanuel Macron à la tribune des Nations Unies devait penser que sa vocation n’était désormais plus tellement de présider la France, ce pays ingouvernable, que de réparer le monde. Lui qui n’a aucune expérience militaire, finissait son discours, dont je vais essayer de suivre l’argumentation, par une réflexion sur la guerre destinée à une délégation israélienne ostensiblement absente : «La paix est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus difficile que toutes les guerres. Mais le temps est venu…» Il est facile d’exiger pour autrui ce qu’on n’a pas besoin de s’imposer à soi-même. À la France, Emmanuel Macron ne faisait courir aucun risque. Pour Israël, qui fait face à un ennemi entièrement voué à sa perte, il jouait avec sa survie…
Droit à l’erreur
Le président français prétend bâtir la paix. Qui pourrait ne pas souscrire à un tel objectif ? Mais le diable n’est pas dans le projet, il est dans les détails et ceux-ci ont de quoi laisser sceptiques des Israéliens qui n’ont pas le droit à l’erreur.
Le Hamas est déjà vaincu sur le plan militaire, dit le président comme si cela était un acquis définitif et un résultat qui n’aurait guère demandé d’effort à Israël. Il reste à le vaincre sur le plan politique et ce travail difficile, Emmanuel Macron veut en être le maitre d’œuvre. D’ores et déjà, dit-il, la reconnaissance de la Palestine par la France est une défaite du Hamas: message à envoyer à l’organisation terroriste qui ne l’avait probablement pas compris ainsi quand elle s’est réjouie de l’initiative française. Il s’agit de mettre en œuvre un plan de «paix et de sécurité». Dont la première étape, une urgence absolue, consistera à coupler la libération des 48 otages israéliens et la fin des opérations militaires. Pour ce résultat, il suffit, suivant Emmanuel Macron, de compter sur le Qatar et l’Egypte, avec les Etats-Unis en arrière-plan, à condition qu’Israël n’entrave pas leurs efforts. Si tel est le cas, ces préalables devraient être vite réglés, et la France pourrait alors ouvrir son ambassade en Palestine.
Ensuite, il faudra reconstruire Gaza, une tâche à laquelle s’attèleront l’Autorité palestinienne, dont le président Abbas a promis de façon crédible d’adopter un comportement démocratique, efficace et respectueux de son voisin israélien. Quant aux forces de sécurité dont il disposera, elles auront été entrainées par la France et ses alliés, et elles parachèveront le démantèlement du Hamas. Pour parfaire ce travail, Emmanuel Macron envisage une initiative originale: confier à l’ONU une mission de sécurité civile et militaire. Si j’ai bien compris, il s’agirait de faire appel à l’UNWRA dont chacun connait le glorieux palmarès, et de l’associer à une force militaire internationale analogue à la FINUL, cette force d’interposition au Liban qui avait laissé faire le Hezbollah, censé se tenir loin de la frontière.
Si le gouvernement israélien ne s’engageait pas dans un plan si prometteur, la France et l’Europe en tireraient les conséquences sur le plan économique. Actuellement, dit Emmanuel Macron, 142 Etats tendent à Israël une main prête à être serrée. Il ne précise pas si l’Iran est inclus parmi ces Etats…
La sincérité française pas en doute
Je fais partie de ceux qui pensent qu’Emmanuel Macron est parfaitement sincère quand il parle de son admiration pour Israël et quand il fustige l’antisémitisme, mais j’ai été accablé par la naïveté du plan présidentiel. Se fier aux promesses d’une Autorité palestinienne qui a prouvé son incurie (le terme vient d’Emmanuel Macron lui-même), qui n’a cessé de pratiquer le double langage et qui en tout état de cause, si des élections avaient lieu, serait balayée par le Hamas, cela relève de la méthode Coué.
Penser avoir tout compris à la guerre de Gaza parce qu’on a rencontré des victimes, par exemple des Gazaouis réfugiés en Egypte à al-Arich, et adopter le narratif manigancé par une propagande anti-israélienne extraordinairement efficace, témoigne en même temps de présomption et de crédulité.
Ignorer que toute guerre est tragique, qu’une guerre urbaine frappe particulièrement les civils, que ce fut le cas dans la guerre contre Daech où la France était elle-même engagée, que ce l’est encore plus là où les souterrains ajoutent une dimension nouvelle aux opérations mais que jamais un belligérant n’avait encore utilisé la mort de sa propre population comme arme de guerre pour disqualifier l’ennemi, c’est montrer indifférence à l’égard des réalités militaires sur le terrain et aveuglement sur l’objectivité des médias.
Ne pas rappeler dans son discours que la haine anti-israélienne ressassée à longueur de temps dans les sociétés palestiniennes, est associée aujourd’hui à un islam de conquête qui risque de prospérer dans le Gaza nouveau qu’il envisage, c’est, enfin, faire preuve d’une légèreté aux conséquences potentiellement funestes.
Le président a parlé avec émotion du 7-Octobre, mais il ne semble pas avoir compris que l’horreur du massacre, qui a touché des Israéliens particulièrement attachés à l’idée d’un Etat palestinien, a rendu le soutien à cette idée d’autant plus problématique que chacun a vu l’enthousiasme qu’a suscité cet événement dans les foules palestiniennes.
Il y a bien des arguments juridiques pour être hostile à la reconnaissance de la Palestine. Certains rappellent que dans une période sans gouvernement on ne doit traiter que d’affaires courantes ou urgentes et que cette reconnaissance n’est ni une affaire courante, ni une affaire urgente. D’autres rappellent que l’article IX de l’Accord intérimaire israélo-palestinien de 1995, qu’on appelle Oslo II, interdit à l’autorité palestinienne toute initiative diplomatique. D’autres encore se réfèrent à la réunion de Montevideo en 1933, qui définissait les critères d’un Etat, pour constater que la Palestine actuelle ne les remplit pas.
Il en est même qui, partisans du grand Israël, signalent que la conférence de San Remo qui en 1920 a façonné le Moyen Orient après la défaite ottomane, ne parlait pas de foyer arabe en Palestine en même temps qu’elle avalisait la déclaration Balfour.
En ce qui me concerne ces arguments juridiques pèsent peu devant une tragique constatation. Alors que pour les Juifs un second cataclysme émotionnel est survenu à partir du 8 octobre quand ils ont vu se déchainer un antisémitisme contre lequel la frilosité de la réponse judiciaire et politique a été patente, la reconnaissance d’un Etat de Palestine alors que le Hamas n’est pas encore vaincu, suggère que ce massacre a été une bonne idée.
Quoi qu’ils pensent par ailleurs de tel ou tel aspect de la politique israélienne, un tel message est insupportable pour l’immense majorité des Juifs, et, je l’espère, pour la plus grande partie de la population française.
En pleine période puritaine, le plus grand bordel de France demeure… le bois de Boulogne ! On vient s’y enivrer de sexe, de stupre et, surtout, on vient y chercher les transsexuelles. Objets de fascination et de trouble désir pour les hétéros, elles sont le trésor du bois sur lequel elles règnent. Immersion dans ces folles nuits où les normes sont abolies.
Pour les vacances, certains sont partis à Marbella, Saint-Tropez ou encore à Mikonos. Moi, c’est au bois de Boulogne que j’ai décidé de passer mon été, du moins beaucoup de mes soirées. Et, pour sûr, il a été bien plus fantastique et dépaysant que celui de mes amis. Lorsque j’avais 20 ans, accompagné d’un camarade ou deux, j’y passais certains soirs des heures entières. Nous étions fascinés par ce monde parallèle, par cette ville clandestine engloutie dans les bois, qui éclot au soleil couché, et va fiévreusement jusqu’au petit matin au rythme des désirs les plus brûlants. Quinze ans plus tard, me voici de retour ! Ô bois de tous les fantasmes, tu n’as pas changé. Le monde s’aseptise, et toi tu ne bouges pas. En plein essor du puritanisme, tes seins, tes fesses, tes langues, tes voyeurs et tes exhibitionnistes sont toujours aussi nombreux. Tes moindres recoins puent le sexe à plein nez. À la porte Maillot, c’est encore la vie normale. Mais voilà qu’un panneau d’indication porte ton nom. Je le suis, je tourne à droite. J’aperçois les premiers arbres… nous voilà en zone libre ! Il est 22 H 45. Quelques femmes seules attendent, dès les premiers mètres dans le bois. Rien de spectaculaire. Peu de passage, presque pas de clients. Ce n’est pas ça qu’on vient chercher ici. Les femmes ordinaires se trouvent déjà dans la vie normale. Le trésor est ailleurs. Ce qui attire la foule, c’est un autre type de femmes. Me voilà maintenant sur l’allée de Longchamp, une des plus grosses artères traversant le bois. J’entre dans le vif du sujet. Fenêtres ouvertes je roule et, non loin, déjà résonne la salsa.
Vanessa, allée de la Reine-Marguerite, bois de Boulogne, août 2025.Allée de la Reine-Marguerite.
À quelques mètres, un groupe de filles danse sur le bord de la route. Les arbres, auxquels elles tournent le dos, sont leur décor. Les transsexuelles latino-américaines ! Plus de 90 % des filles qui travaillent ici sont trans. C’est pour elles que ce lieu vit la nuit. Pour elles que les voitures sont toutes là, si nombreuses et si lentes, se traînant si lourdes, surchargées de désirs. Ces créatures magnifiques et troublantes sont les objets de toutes les convoitises. Des curiosités les plus obsédantes. Avec quelques guirlandes lumineuses de toutes les couleurs accrochées aux arbres, le groupe de six filles s’est délimité son petit pré carré sur sept ou huit mètres. Certaines sont très belles. Deux types latinos, avec de bonnes gueules sympathiques, sont assis avec elles, rient et boivent. Ce sont en général des hommes de leur entourage qui leur tiennent compagnie et leur assurent un minimum de sécurité. Au bois, les filles trans travaillent de leur plein gré et pour leur compte. Les chicas dansent en se partageant une flasque de whisky. Je ralentis devant elles. Les mains passent dans les cheveux, les langues caressent les lèvres, les mains caressent les seins. Je poursuis ma tournée. D’autres prés carrés lumineux se trouvent en bordure de la route. Sur chacun on écoute de la salsa, de la cumbia ou du merengue, et on y parle en espagnol ou en brésilien. Ici, c’est Cali à Paris. C’est Lima à Boulogne. C’est le bois de Rio. Certaines chicas, assises entre elles, sont en train de dîner. Une femme (biologique, pas une trans) plus toute jeune va et vient chaque soir dans le bois avec une poussette pleine de provisions. Elle vend aux travailleuses de la nuit des plats qu’elle confectionne et met en barquette. Un Pakistanais armé de son énorme thermos vend, lui, les boissons chaudes toute la nuit. D’autres vendent des boissons fraîches. Sur environ deux cents mètres, j’ai croisé une bonne trentaine de filles. Toutes trans. Voici le maxi pré carré ! C’est presque un squelette de chapiteau dessiné en guirlande lumineuse, une petite maison. Un air de guinguette ou de fête foraine. Une quinzaine de filles à demi nues s’y trouvent. J’arrive au croisement avec l’allée de la Reine-Marguerite. La plus prisée. Ici, on ne sait plus où donner du regard, les filles sont partout. Des belles, des moins belles, des menues, des pulpeuses, des grosses ! Les voitures ralentissent, s’arrêtent, repartent. Les vitres se baissent, les filles s’approchent. En se penchant seins en avant à hauteur de conducteur, on négocie à la fenêtre. Les phares se croisent, s’éteignent, se rallument. Nous sommes au cœur du bois. C’est ici qu’il bat le plus fort. Sur un peu moins de deux kilomètres, une bonne centaine de filles tapinent. Quel spectacle ! Elles dansent, découvrent leurs seins à la première voiture qui ralentit, envoient des baisers, miment les pipes… « Viens bébé, je te suce… », me dit l’une avec son accent mélodieux. Et tous ces bons hommes cherchent le stupre. Ils cherchent, ils cherchent. Ils hésitent, ils repartent. Puis reviennent ! La tête leur tourne. Dans quelques minutes, ils craqueront. Question de temps. Ils viennent ici dans le secret qu’ils partagent parfois avec un ami ou deux. Des silhouettes d’homme entrent et sortent d’entre les arbres. Un type jaillit de derrière un tronc, referme sa braguette et remonte dans sa voiture, soulagé. À l’intérieur du bois, derrière les premières rangées d’arbres, là où la lumière des réverbères de la route peine à parvenir, des ombres lentes se promènent. Des types cherchent, feignant la promenade. Ici tout le monde n’est pas client. Certains sont voyeurs. Ici, on aime pisser en étant vu. On aime se promener dans la pénombre, bercé par le bruit des ébats ou des « floc-floc d’enculade » comme l’écrivait le grand Copi. Des types se masturbent dans le noir, admirant discrètement les silhouettes des filles et des clients qui remplissent le contrat. Je tourne, je vais et je viens. Il est une heure, la fête bat son plein. La banlieue débarque au bois. La plupart des hommes présents sont plutôt jeunes, et d’origine maghrébine ou africaine. Les « jeunes de banlieue », comme on dit. Ils sont beaux, pour un bon nombre d’entre eux. Ici, au bois, ce n’est pas la caricature du client gros et vieux. Non ! Ceux-là ne sont pas majoritaires. Les jeunes gens des beaux quartiers, moins nombreux, eux aussi sont présents. La jeunesse se promène à pied, l’air de rien, seuls ou en bande de copains, pour trouver ces filles un peu spéciales. Ces femmes qui n’en sont pas tout à fait. Ces filles qui, presque toutes, ont gardé leur sexe d’homme et ne le cachent pas… au contraire. C’est bien la quête de ces jeunes hétérosexuels. Car il faut bien être hétéro pour désirer ces cheveux longs, ces seins si fiers, ces courbes féminines, toute cette féminité exacerbée. Brunes ou blondes, les hommes préfèrent les trans ! La majorité des types que je croise ont moins de 35 ans. On voit même des mineurs aux visages d’ange passer de fille en fille pour discuter, négocier puis, finalement, s’engouffrer dans le bois. Un jeune homme blond, dans les 15 ans, bcbg, s’engloutit timidement dans une camionnette avec une fille d’une cinquantaine d’années. Il est consentant. Il a même payé ! Ses copains l’attendent au bord de la route en discutant et en riant. Certaines filles sont d’une beauté à couper le souffle. Elles savent sourire avec grand charme et vous retourner le cœur en un seul regard. Je décide d’aller faire un tour un peu plus loin pour me changer les idées. Je file route des Lacs-à-Madrid. C’est là-bas que les hommes – parfois mariés, ou du moins souvent hétéros officiellement, un peu pédés refoulés ou bien bisexuels – viennent chercher une furtive aventure homosexuelle. Et c’est gratuit ! J’arrive porte de Madrid. Un petit rond-point. D’un côté le bois, de l’autre les premières maisons du guindé Neuilly. Je prends la route des Lacs. Elle fait environ deux cents mètres et se termine en cul-de-sac. Une petite route toute calme, l’air désert. Je pénètre en pleins phares. Sur la droite le bois, sur la gauche une quinzaine de voitures stationnées les unes derrière les autres le long du centre équestre. Quelques-unes ont allumé leurs phares dès mon arrivée. Elles me font de l’œil ! Je roule au pas, leur faisant face. Dans chaque voiture, un homme attend. C’est le sex-drive. Je ralentis devant chaque véhicule. Les conducteurs me regardent. On ne me fait ni bonjour ni sourire. On attend juste la proposition ! Des vieux, des jeunes, des voitures de luxe, des vieilles poubelles, il y a de tout. Dans le dernier véhicule, un jeune homme à demi allongé sur le fauteuil conducteur se fait sucer par une transsexuelle. Elle relève la tête, je la reconnais. C’est une fille du bois, une prostituée. Elle a dû proposer au client de venir faire la passe ici, chez les pédés, où ils seraient tranquilles. Un homme d’une quarantaine d’années profite du spectacle en regardant par la fenêtre, ce qui ne semble pas gêner le jeune homme sûrement un peu exhibitionniste. Je fais demi-tour. J’aperçois à quelques mètres de moi, entre deux arbres un jeune Rebeu en survêt, Nike « TN » au pied, qui se masturbe de profil en regardant dans ma direction. Un autre jeune homme du même style le regarde, puis me regarde, et disparaît dans le bois. Beaucoup d’affaires se concluent derrière les arbres. Deux hypothèses. Soit ces deux jeunes de banlieue sont en quête d’aventures homosexuelles (il y en a beaucoup !), soit c’est un guet-apens. Ou les deux en même temps ! C’est fréquent ici. Les types suivent dans les bois une jolie racaille… et se font dépouiller. Mais les racailles joignent parfois l’utile à l’agréable et se laissent faire la gâterie proposée avant de passer aux choses sérieuses. Le vol leur permet de se convaincre qu’ils ne sont pas là pour le sexe. Que le sexe est le prétexte au vol. Alors que c’est évidemment le contraire ! En repartant vers la sortie, je croise un vieux monsieur précieux, cheveux blancs permanentés, au volant de sa petite voiture qui pénètre route des Lacs. Son petit chien l’accompagne sur le fauteuil passager. J’ai envie de voir ce qu’il va faire. Je quitte la route, puis reviens deux minutes plus tard. Au fond, sa voiture est garée près de l’endroit ou zonaient les deux jeunes en survêtement. Il n’est plus dedans. Son petit chihuahua est resté seul. Il gratte à la fenêtre, couinant dans les aigus. Le toutou semble inquiet. Il y a de quoi ! Un autre vieux me tourne autour en vélo. Il a la coupe de cheveux de Montherlant mais porte un short, ça ne peut pas être l’auteur des Jeunes filles. Je me dirige vers la sortie de la route des Lacs. À ma gauche, sur la porte de Madrid se trouve un gros robinet public en métal vert. Un vieux cycliste en T-shirt long tombant au-dessous des fesses mais les jambes nues, s’y arrête. Il l’allume, fait un demi-tour sur lui-même, et s’introduit comme il peut le robinet dans le cul. Je n’en crois pas mes yeux, il se fait un lavement public ! En pleine lumière des réverbères, face aux premiers immeubles de Neuilly. Il prend son temps. Après une ou deux minutes dans cette position (on dirait qu’il skie !) il sort de sa sacoche quelques feuilles de sopalin et se torche. Il remonte sur son vélo, et s’engouffre route des Lacs. Il préparait le terrain ! Je ne boirai plus jamais au robinet.Je retourne allée de la Reine-Marguerite. Il est 2 heures, c’est l’effervescence. Plein de mecs se baladent. Les bandes de jeunes hommes discutent maintenant ouvertement avec les filles. Ils ne font plus semblant de se promener là par hasard. Des voitures en warning sont stationnées de tous côtés. Des groupes de mecs palabrent entre eux, c’est l’heure des conciliabules. « Vas-y on fait quoi ? On essaye ? C’est un trans mais elle est bonne ! Putain, elle est vraiment belle. T’as combien sur toi ? Moi il me reste trente euros. Si t’as dix euros on lui demande si elle peut nous sucer à deux. » À ma droite, la toute petite route de Suresnes s’enfonce dans l’obscurité du bois. Mais jusque loin dans le noir, on aperçoit des petites lumières de couleur. On devine le sexe. J’y pénètre. La route est étroite. Sur les côtés, les grosses fourgonnettes s’enchaînent tous les vingt mètres. À l’intérieur, les filles trans sont comme en vitrine. Ici elles sont plus âgées. Elles ont tapissé leur petite scène-cabine de léopard ou de zèbre et l’ont éclairée de lumière parfois rose ou rouge. Des tableaux de Pierre et Gilles ! Certaines sont sublimes. D’autres monstrueuses, mais tellement spectaculaires qu’elles sont sublimes aussi. Cette petite route-circuit est interminable, ça tourne à gauche, puis à droite, ça n’en finit plus. Un véritable train fantôme du sexe. Il y a la queue devant nous ! Après quelques minutes, la petite route dégueule de nouveau sur l’allée de la Reine-Marguerite. Ça vibre encore plus. Plus il est tard, plus c’est chaud. Passé deux heures, parfois après quelques gorgées d’alcool, les filles veulent appâter le client. Certaines sont maintenant nues. D’autres se caressent entre elles. Les hommes deviennent fous devant ce spectacle. Quelques filles caressent le sexe des types qui leur demandent le prix. D’autres les embrassent langoureusement avec la langue. Ils ne pourront plus résister, même ceux qui étaient venus juste comme ça, pour « voir le bois ». Dois-je dire ici que certains soirs, lors de mes promenades pour écrire cet article, certains de mes copains hétéros, venus juste pour m’accompagner et voir l’endroit, se sont laissé dévorer par le bois et ses créatures ? Le chant des sirènes était trop puissant. Après des heures de seins magnifiques, de formes sur-sexuelles, de cheveux caressants, ils perdent leurs repères. Tant pis si leur « hétérosexualité » doit en prendre un coup !
Groupe de filles, allée de Longchamp.Allée de la Reine-Marguerite, 3h du matin.
Jusqu’à la fin de la nuit on croise et recroise les mêmes personnes. Ici, on vient zoner. On s’oublie un peu, on brise les tabous. On vient s’enivrer de délices et faire la fête. Car le bois est une fête. Quelque chose de joyeux, malgré tout, y règne. La vie n’est pas toujours rose pour les filles qui y travaillent. Mais le travail du sexe semble moins douloureux pour ces filles trans que pour les femmes « biologiques». Ou du moins, chez les trans on assume plus souvent de prendre parfois du plaisir avec les clients que chez les femmes. Une Brésilienne historique du bois m’a raconté ceci : « J’aime faire la pute. Ça me plaît. Au fond, je suis quand même un peu un homme. Et les hommes aiment le sexe. La plupart des clients que je fais, ça me plaît de les faire. Quand je vais avec eux, je suis excitée. Pas avec tous, mais avec beaucoup. Être payée pour faire l’amour, la nuit, dans ce bois magnifique, moi ça me plaît. Je trouve cela excitant. » Mais depuis plus de dix ans, la clientèle chic a un peu disparu. Les prix ont baissé. On fait aujourd’hui la pipe pour vingt euros et la totale pour quarante. Parfois moins. Et puis, il y a les agressions, les meurtres. Trop de filles ces dernières années ont été tuées. Quelquefois, des bandes viennent racketter les filles et les clients. Certaines travailleuses ne font pas cela la joie au cœur. Elles aimeraient faire autre chose. Chaque pute est différente. Mais ce bois, beaucoup de celles qui y travaillent ou qui y ont travaillé l’aiment malgré tout. Splendeur et misère du bois de Boulogne. « Les hommes nous désirent, on les rend fous. C’est valorisant, m’a expliquél’une d’elles. Quand je vois tous ces mecs prêts à payer pour moi, c’est flatteur. Pour nous les filles trans, ce n’est pas toujours facile de trouver un copain. Quelqu’un qui assume vraiment d’être avec une trans. Alors, les caresses des clients qui nous plaisent, leurs baisers, parfois on les prend avec plaisir. Mais lorsqu’on rentre chez nous, qu’on enlève les faux cils, le maquillage, c’est là qu’on aurait besoin de quelqu’un. Et très souvent, il n’y a personne. Pour la plupart des hommes, nous ne sommes qu’un objet de fantasmes, une parenthèse sexuelle. C’est le revers de notre médaille. C’est le tragique de notre histoire. »
Directeur du Musée national de la Marine, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, nous conte avec style et panache son amour de la mer.
Avec Le voyage en mer, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, directeur du Musée national de la Marine, explore les raisons de son goût insatiable pour la navigation et l’océan.
Issu d’une famille de marins, il a passé son enfance et son adolescence à Brest et à Toulon, puis il s’est engagé à son tour.
Il a navigué sur tous les océans ; il a également participé à de nombreuses courses au large.
Que nous raconte-t-il dans cet opus qui tient autant du récit que de l’essai ? Après six ans de très importants travaux, à la fin d’octobre 2023, le nouveau musée de la Marine ouvre ses portes au grand public sur la place du Trocadéro, à Paris. « Ce n’est pas à une visite de ses exceptionnelles collections (plus de 1000 œuvres) que nous convie Vincent Campredon, son directeur, mais à une étonnante traversée », explique l’éditeur Grasset. « Le voyage en mer n’est pas un voyage sur les eaux, fussent-elles rêvées ou rugissantes, qu’elles apaisent ou engloutissent. C’est un appel, une attente de vivre, de découvrir, de prendre ses distances, de se transformer. Voici le livre d’une vie et d’une passion, où l’on suit, entre autres guides imparfaits, Bougainville, Cook, Surcouf et Lapérouse… »
Marin et Officier de Marine émérite, Vincent Campredon nous fait découvrir les légendes des corsaires, l’invention de la carte marine et les plus incroyables batailles navales. Il évoque la découverte de la longitude, le rêve fou de Magellan et les courses transatlantiques à la voile, « ces dernières aventures modernes qui laissent les femmes et les hommes hors de toute portée… » On le suit au Cap Horn, dans les profondeurs de l’Atlantique avec les sous-mariniers, en mer de Chine sur La Jeanne, à Tahiti… Il nous convie sur le rivage, et au musée où il rêve devant les maquettes, dessine des goélettes, s’intéresse au guide des nœuds et découvre le mystère des marées. Il dit tout de ces océans que pourtant on maltraite et qu’il est si nécessaire de protéger.
L’homme manie avec autant de dextérité l’écriture que le gouvernail. Il ne manque pas de style. « J’ai de l’eau salée dans les veines. Je suis un « cul salé », comme on dit dans le Finistère. La mer me parle. M’inspire. M’irrigue. Elle rythme ma vie depuis l’enfance et les affectations de mon père, l’amiral Jacques Campredon, en Tunisie, à Toulon et à Brest. L’océan m’aspire. C’est mon jardin, mon ailleurs. C’est une sorte de porte vers l’infini. » Un voyage en mer et en mots pas comme les autres.
Le voyage en mer, Vincent Campredon ; Grasset ; 166 p.
Nous sommes le lundi 30 septembre 1985, au volant de ma vieille Peugeot, j’entends à la radio un flash spécial : Simone Signoret est morte. Ce souvenir reste depuis gravé dans ma mémoire. Il faisait gris et le vent malmenait la voiture. J’aimais beaucoup Signoret, son visage détruit, comme aurait dit Duras, ses rides de la désillusion amoureuse, ses cheveux blancs, non pas ceux de la sagesse, mais de la souffrance imposée par Yves Montand, magicien de la scène à la voix mélancolique et au regard de chien battu, d’un professionnalisme à rendre jaloux les Américains. « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes… » Et l’émotion est là, directe.
Signoret, je la vois immédiatement dans deux rôles. Le premier, dans le long-métrage de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres. Elle joue le rôle de Mathilde, une résistante éliminée par son propre réseau, en 1943. La scène de sa mort est tournée Avenue Hoche, non loin du parc Monceau. Je m’y suis souvent rendu comme si cet assassinat était réel. Signoret était tellement « naturelle » qu’on oubliait que c’était du cinéma. Le second, dans Police Python 357, de Corneau. Un polar noir, efficace, sur fond de société consumériste. Signoret joue une bourgeoise en fauteuil roulant. Elle est alcoolique, dévastée par le cocufiage de son mari. Elle veut mourir, finit par supplier Montand, qui joue le rôle d’un fic pris dans un engrenage machiavélique, de la tuer. Signoret est tout entière dans ce rôle de femme-épave, le regard injecté de whisky, sans larmes, morte déjà. Elle résume sa vie amoureuse face à la caméra. Elle ne joue pas, elle est Signoret, première actrice française oscarisée, humiliée par son mari chanteur, effacée, croit-elle, par la beauté délétère de Marilyn Monroe, maîtresse d’un soir de celui qu’elle a rencontré le 19 août 1949, à la Colombe d’Or, dans l’arrière-pays niçois, et qu’elle a aimé jusqu’au bout de la déraison.
Pari un peu fou
Signoret fut une immense actrice et une femme malheureuse. À la mort de Marilyn, pourtant, Montand l’appelle, il bafouille au téléphone, paumé. Elle l’écoute, ne raccroche pas. Elle est aussi triste que lui. Elle meurt donc le 30 septembre 1985 d’un cancer du pancréas, dans sa maison d’Autheuil-Anthouillet (27). Elle n’avait que soixante-quatre ans. Elle avait écrit en 1976 une très belle autobiographie, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pivot l’avait reçue à Apostrophes. Elle avait paru timide, presque gênée d’être sur le plateau, elle qui fut l’amie de Sartre et de Simone de Beauvoir, « compagnon » de route du PCF.
De nombreuses biographies ont été écrites sur elle, son couple, sa fille, Catherine Allégret. Nicolas d’Estienne d’Orves, écrivain et critique musical, a pourtant relevé le défi d’en ajouter une nouvelle. Enfin pas tout à fait, il a relevé un pari un peu fou : celui de se mettre dans la peau de Simone, née Kaminker, le 5 mars 1921, à Wiesbaden, et de lui donner la parole. Pari dangereux, car il était difficile alors de se montrer objectif, notamment sur le voyage qu’elle fit avec Montand dans les pays de l’Est, du 16 décembre 1956 à fin mars 1957 – la moindre des choses aurait été de boycotter l’URSS dont on connaissait les massacres de masse organisés par Staline, notamment avec Le Zéro et l’Infini, ouvrage d’Arthur Koestler, et surtout après l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars russes, le 4 novembre 1956, à Budapest. Mais pari gagné.
On finit par lire l’ouvrage comme si c’était Signoret qui l’avait écrit. On la trouve de mauvaise foi – la question sur l’URSS. On la trouve également très sévère à l’égard de Montand – homme colérique certes, mais pas si « enfantin » que cela…
On comprend mieux, cependant, qu’elle ait accepté d’être Mathilde, dans L’Armée des ombres, elle, la demi-juive qui fréquenta Jean Luchaire et d’autres collabos parisiens, histoire de vouloir réparer une errance de jeunesse. Elle apparait entière, excessive, autodestructrice, en un mot, vivante. Et également glaçante. Après la passade Marilyn, Signoret – enfin l’auteur – lance à Montand : « Tu m’as trahi avec une beauté, je vais te faire vivre avec une vieille dame… »
Nicolas d’Estienne d’Orves, Simone Signoret, histoire d’un amour, Calmann-Lévy. 400 pages.
Avec l’effondrement du cadre familial, l’enfant est devenu un dossier, un cas, une variable. Les parents et l’Éducation nationale ayant renoncé à exercer leur autorité, les écrans, les radicalités religieuses et les cultures d’importation distillent l’anomie chez les petits Français.
Il fut un temps, pas si lointain, où l’on naissait dans un monde déjà habité. Un monde dur, parfois injuste, mais structuré. L’enfant y trouvait sa place à travers la langue des parents, les récits des aînés, les gestes transmis. La verticalité n’était pas un choix : c’était une évidence. On entrait lentement dans la condition humaine, protégé d’abord, puis exposé. La filiation donnait une direction. L’école, la famille, la communauté assuraient une continuité.
Ce monde s’est effondré, et avec lui les piliers qui soutenaient l’enfance. Aujourd’hui, l’enfant moderne naît dans un univers où tout est disponible mais où rien n’est transmis. Saturé d’images, de bruit, d’objets – mais vide de repères, de silence, d’autorité. Il ne reçoit plus de monde à habiter. Il doit le fabriquer seul, en puisant dans des fragments de discours contradictoires, souvent violents.
Captures d’écran de comptes TikTok : la jeunesse française, notamment rurale, est happée par les écrans et l’anomie. DR.
On parle de mineurs isolés pour désigner les jeunes migrants sans famille. Mais ce terme devrait être élargi à toute une génération. Les enfants d’aujourd’hui, en France comme ailleurs, sont eux aussi des mineurs isolés dans leur propre pays. Mineurs, car encore en construction. Isolés, car laissés à eux-mêmes, dans une société déserte d’adultes.
La désintégration commence par le foyer. Le père, autrefois porteur de nom, de loi, de force contenue, a disparu ou s’est effacé. Il n’est plus une autorité, ni même un modèle. Il est un figurant social, parfois violent, souvent absent, presque toujours dépossédé de sa fonction symbolique. La société moderne ne sait plus quoi faire de lui – sinon l’écarter.
La mère, elle, se retrouve seule à tout porter. Elle travaille, élève, organise, console. Mais cette omniprésence n’est pas une victoire. C’est une fatigue. Elle est seule face à l’enfant, au réel, aux injonctions contradictoires. Elle aime, mais ne peut plus élever. Non parce qu’elle ne le veut pas, mais parce que le monde autour d’elle ne tient plus.
Alors on délègue. À l’école. Aux crèches. Aux écrans. Aux algorithmes. L’enfant est confié, pris en charge, mais jamais regardé dans la durée. Il devient un dossier, un cas, une variable. L’autorité est fragmentée, dispersée entre spécialistes et institutions. Et dans cette dilution, l’enfant n’appartient plus à personne.
L’école républicaine aurait pu être le dernier rempart. Elle aurait pu transmettre, structurer, incarner. Mais désarmée par la peur de l’autorité et par l’idéologie de la neutralité absolue, elle a renoncé à éduquer. Elle instruit mal, elle forme sans orienter, elle encadre sans parler au cœur. Le maître n’enseigne plus une culture. Il distribue des compétences. Il n’est plus une figure, mais un agent. Il gère des élèves devenus « publics cibles », dans des classes surchargées, avec des mots filtrés, des livres expurgés, des symboles neutralisés. La France n’est plus racontée. Elle est réduite à un règlement intérieur. Le passé est suspect, l’histoire est morcelée, la langue abîmée.
Et alors, que reste-t-il à l’enfant pour se construire ? Rien qu’un brouhaha idéologique, une jungle de récits concurrents : l’indigénisme, l’ultra-féminisme, l’islamisme culturel, l’utopie technologique. Tout est possible, sauf d’hériter. L’école moderne produit des mineurs sans mémoire.
Ce que la famille et l’école ne transmettent plus, les écrans le prennent en charge. Dès l’âge de 3 ans, parfois avant, l’enfant entre dans une matrice numérique. Il y trouve tout, sauf l’essentiel. Il s’y sent libre, mais est captif. Il croit apprendre, mais il consomme. Il pense choisir, mais il est guidé par des logiques marchandes ou idéologiques.
Le numérique n’est pas neutre. Il colonise l’imaginaire. Il efface le silence, l’ennui, l’intériorité. Il détruit la mémoire. Il crée des identités sans ancrage, des désirs sans fin. L’adolescent ne lit plus. Il scrolle. Il ne parle plus. Il réagit. Il ne rêve plus. Il copie. Et dans cette accélération constante, il perd le sens de lui-même. Il devient étranger à son propre corps, à son propre nom. Il se pense « fluide », « non binaire », « traumatisé », mais ne sait plus ce que signifie devenir adulte. Il devient un être fragmenté, hypersensible, incapable de stabilité ou de projection.
Ce contexte produit une génération fragile, anxieuse, vulnérable aux extrêmes. Beaucoup s’effondrent. D’autres explosent. La psychiatrie infantile est saturée. Les tentatives de suicide augmentent. Les automutilations deviennent banales. Le langage affectif s’efface. La solitude grandit. Pour se sentir vivant, il faut transgresser : violence, sexe, drogue, religion, radicalité. On ne cherche pas seulement un frisson : on cherche un cadre qui tienne. Ce que les institutions ne donnent plus, certains le trouvent dans des récits dangereux – mais clairs. L’islamisme, le virilisme, les communautarismes offrent des lois là où l’État ne propose plus que des valeurs molles.
Dans les cités, la jeunesse trouve une structure dans l’islam, dans la rue, dans la cause palestinienne. Ce n’est pas toujours un choix conscient. C’est une prise en charge. Quand la République ne parle plus, d’autres le font. Le ressentiment se transforme en religion. L’école est méprisée, l’État haï. La France est vue comme une mère morte ou absente.
Dans les zones rurales et les petites villes, une autre jeunesse – blanche, silencieuse, souvent masculine – s’éteint sans bruit. Elle ne brûle rien, elle ne marche pas. Elle reste chez elle, invisible. Les filles s’en vont. Les écrans occupent les jours. L’alcool ou la drogue anesthésient les soirs. Ce jeune homme ne revendique rien. Il constate qu’on ne l’a jamais regardé. Il voit son monde se dissoudre : son accent, sa religion, ses repères. Il sent qu’il est devenu suspect. Il ne comprend pas ce qu’on attend de lui. Il se tait, ou bien il se radicalise en silence.
À ce malaise diffus chez les jeunes hommes blancs s’ajoute un sentiment plus trouble, plus intime, rarement nommé : celui d’un remplacement sexuel. Ce n’est pas seulement la place sociale ou culturelle qui semble leur échapper, mais aussi la place dans l’imaginaire féminin, dans le jeu amoureux, dans la compétition de la virilité. Face à eux, des jeunes issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne apparaissent souvent plus sûrs d’eux, plus affirmés, plus frontaux dans leur rapport au monde. Ils n’ont pas honte de leur masculinité. Leur audace, parfois brutale, tranche avec la timidité d’une jeunesse blanche culpabilisée, castrée symboliquement, paralysée par la peur d’être taxée de sexisme ou de domination.
Cette asymétrie se double d’une représentation médiatique omniprésente : films, séries, publicités, tous mettent en scène des couples mixtes où l’homme est l’exotique, le dominant, le désiré – et où le jeune Blanc n’existe plus, sinon comme rival maladroit ou spectateur frustré. Pour ceux qui restent seuls, invisibles, ce n’est pas l’amour qui fait défaut : c’est la possibilité d’exister comme homme. Ce ressentiment sexuel, bien plus que les discours idéologiques, alimente une rage sourde, une humiliation silencieuse qui pourrait un jour chercher à se venger.
Ce double effondrement est aggravé par un non-dit politique majeur : l’immigration de masse, depuis quarante ans, a profondément bouleversé l’équilibre national. L’assimilation a été abandonnée. La République a remplacé l’exigence par la tolérance passive, puis par la soumission.
Ce n’est pas l’étranger ou le descendant d’immigrés qui est en faute, c’est l’État qui a cessé de transmettre la France. Le vide laissé par ce renoncement a été rempli par des contre-récits puissants : l’oumma, l’indigénisme, la haine du passé. L’école n’y peut rien. L’État n’ose plus rien. Et dans ce vide, la fracture devient culturelle, puis ethnique, puis existentielle.
Face à cela, les jeunes Français issus de souche populaire se sentent effacés. Non pas haïs, mais dépassés, remplacés, oubliés. On leur dit que leur culture n’est pas menacée, mais ils voient qu’elle n’est plus enseignée, ni respectée, ni incarnée. Leur ressentiment est croissant, confus, mais réel.
Ces deux jeunesses, que tout oppose en apparence, ont un ennemi commun : l’adulte qui a renoncé. Mais au lieu de se rejoindre, elles pourraient bientôt s’affronter. Car la colère a besoin d’une cible. Et quand l’État ne l’entend pas, la cible devient l’autre.
Tout est en place pour une guerre froide sociale et identitaire. Pas encore une guerre civile, mais une suite de conflits diffus : dans les classes, dans les quartiers, dans les esprits. Chacun enfermé dans son récit. Chacun certain d’avoir été trahi. Le ressentiment, nourri par des années de silence et de mépris, est le carburant de tous les extrémismes à venir. Il suffit d’une étincelle.
Face à ce monde en ruine douce, il reste encore des enfants debout. Pas parce qu’ils sont surdoués. Pas parce qu’ils sont protégés par leur statut social. Mais parce qu’un adulte, quelque part, a tenu debout devant eux. Un père. Une mère. Un professeur. Un prêtre. Un grand frère. Ces enfants debout ne sont pas des héros. Ce sont des survivants. Des enfants qui ont eu la chance d’être regardés, cadrés, nommés. Ce sont eux qui nous rappellent ce que peut encore un adulte : dire non, transmettre une histoire, affirmer une limite, incarner une parole.
Le problème n’est pas technique. Il est civilisationnel. Il ne s’agit pas de créer un nouveau plan pour la jeunesse, ni de multiplier les psychologues scolaires. Il s’agit de redevenir des adultes. De réapprendre à parler, à interdire, à guider. De dire : « Tu viens d’un monde plus ancien que toi. Ce monde est imparfait, mais il est à toi. Tu n’as pas à le détruire pour exister. » Il faut cesser de se cacher derrière des abstractions et des discours inclusifs. Ce qui sauve un enfant, ce n’est pas l’égalité des chances : c’est la présence incarnée.
Tant que nous continuerons à déléguer la parole, à confondre tolérance et renoncement, à abandonner les jeunes à eux-mêmes, ils seront tous, quelles que soient leur origine ou leur foi, des mineurs isolés.
Non pas étrangers par leur naissance, mais étrangers dans leur propre pays. Et ce jour-là, quand ils se lèveront – non pour construire, mais pour juger –, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.
Riyad et Islamabad ont scellé un accord militaire stipulant qu’«une attaque contre l’un des deux pays sera considérée comme une attaque contre les deux». Le Pakistan disposerait aujourd’hui de 160 à 170 ogives nucléaires.
Lorsque, le 17 septembre 2025, Islamabad et Riyad ont annoncé leur pacte de défense mutuelle, la réaction internationale a été immédiate. Derrière les formules convenues d’« amitié fraternelle » et de « coopération stratégique », l’ombre de l’arme nucléaire s’est imposée. Depuis plusieurs décennies, l’Arabie saoudite est soupçonnée d’avoir financé en partie le programme atomique pakistanais, et voici que la perspective d’un « parapluie nucléaire » s’esquisse, au moment où l’Iran affiche un enrichissement d’uranium toujours plus avancé et où Israël semble plus déterminé que jamais à refaçonner la région. Et surtout, lorsque la garantie américaine, vieille de quatre-vingts ans, perd de sa fiabilité…
Quelle effectivité ?
Mais que signifie, concrètement, un tel « parapluie » ? La question suppose d’abord d’évaluer la réalité des moyens dont dispose le Pakistan. À la différence des grandes puissances nucléaires, Islamabad dispose d’un arsenal significatif mais limité, moderne mais vulnérable, et contraint par les équilibres régionaux.
Selon les estimations récentes, le Pakistan posséderait environ 160 à 170 têtes nucléaires. Ce stock, conséquent à l’échelle régionale, repose sur plusieurs familles de vecteurs, notamment les missiles balistiques terrestres de la série Shaheen, les missiles à moyenne portée capables d’atteindre le territoire indien ou iranien, et certains vecteurs adaptés pour frapper des cibles régionales. Cette diversité confère au pays une marge de manœuvre opérationnelle, mais il n’est pas extensible à l’infini. Toute extension de la dissuasion à un allié nécessiterait de repenser l’équilibre interne structuré autour de la rivalité avec l’Inde.
Dès lors, la crédibilité d’un parapluie nucléaire ne se mesure pas uniquement au nombre de têtes disponibles ; elle dépend surtout de la posture opérationnelle : l’état de préparation des forces, le degré d’alerte du commandement, la capacité à projeter rapidement des moyens et à menacer des cibles stratégiques précises. Sans ces éléments, une promesse politique resterait vulnérable au soupçon d’ineffectivité.
Étendre la dissuasion à un tiers impose de revisiter en profondeur la doctrine pakistanaise. Elle devrait intégrer de nouveaux scénarios et préciser de nouvelles conditions d’emploi de l’arme nucléaire au profit d’un allié. Cela soulève la question de la chaîne de décision : qui, du Premier ministre, du chef d’état-major ou du commandement nucléaire, serait en droit d’autoriser une frappe destinée à protéger Riyad ? La question de la « double clé », autrement dit du partage de l’autorisation ultime de tir, serait politiquement explosive.
Au plan technique, un parapluie crédible suppose l’établissement de canaux sécurisés, comparables à ceux de l’OTAN, avec codes d’authentification et procédures d’activation conjointe. Il exigerait aussi des mesures de sécurité physique pour tout prépositionnement éventuel. Enfin, l’efficacité d’un tel dispositif ne pourrait être garantie qu’au prix d’exercices conjoints réguliers. Ces ajustements, complexes et coûteux, multiplient les vulnérabilités : fuites, erreurs humaines, tensions internes.
Les chancelleries occidentales inquiètes
À court terme, une garantie politique pourrait être donnée en quelques jours ou semaines. Elle coûterait peu sur le plan financier, mais beaucoup sur le plan diplomatique, car elle placerait immédiatement Islamabad dans la ligne de mire des chancelleries occidentales et des instances internationales.
Une posture crédible demanderait davantage de temps. Il faudrait négocier les détails techniques, installer des liaisons de commandement, organiser des exercices conjoints et éventuellement prépositionner des moyens logistiques.
Enfin, le scénario du transfert matériel (ogives ou systèmes de livraison) en Arabie saoudite serait long et coûteux. Sa mise en place nécessiterait plusieurs mois, voire plusieurs années. Le prix à payer ne se mesurerait pas seulement en dépenses logistiques ou sécuritaires, mais aussi en conséquences économiques et politiques. Comme le rappelle le Washington Institute, le coût véritable d’un parapluie nucléaire pakistanais n’est pas technique mais systémique, et réside dans le bouleversement des équilibres géopolitiques et économiques que cette décision entraînerait.
Étendre la dissuasion à Riyad signifierait non seulement partager une partie de son outil nucléaire, mais aussi assumer les conséquences d’une confrontation élargie avec l’Iran, d’une crispation accrue avec l’Inde et d’un isolement probable sur la scène internationale. Plus qu’une démonstration de puissance, ce parapluie serait une fuite en avant dont Islamabad et Riyad ne maîtriseraient pas toutes les retombées.
L’Arabie saoudite, quant à elle, peut trouver dans cette option une solution à la principale menace : l’Iran. Depuis 1979 et la révolution islamiste, les deux pays mènent une guerre larvée pour l’hégémonie du monde musulman. Pour les Saoud, le défi lancé par Khamenei est une question de légitimité et donc de survie politique. C’est au nom de principes religieux que le grand-père du prince héritier Mohamed ben Salmane a détrôné les Hachémites, pourtant issus en ligne directe de la famille du Prophète, de leur rôle de gardiens de La Mecque et de Médine. C’est en voulant se protéger que les Saoud se sont lancés dans une surenchère de radicalisation islamiste face aux mollahs, y compris en soutenant l’islamisation du Pakistan menée par le général Zia ul-Haq.
Riyad pourrait donc se réjouir de voir son rival iranien confronté à une menace directe, mais le parapluie nucléaire protège autant qu’il attire le feu. En s’adossant au Pakistan, Riyad deviendrait une cible prioritaire pour Téhéran, qui pourrait multiplier les frappes de missiles, l’usage de drones ou l’action de ses supplétifs régionaux. Un conflit régional limité risquerait de se transformer en affrontement direct, avec un Pakistan aspiré dans une guerre qui n’est pas la sienne. Les Houthis, déjà capables de menacer les installations pétrolières saoudiennes, trouveraient un prétexte pour intensifier leurs opérations. Enfin, la relation avec l’Inde, partenaire économique majeur du Golfe, serait fragilisée : New Delhi pourrait interpréter cette extension de la dissuasion pakistanaise comme une provocation.
La tentation est grande pour les deux capitales de trouver, dans l’atome pakistanais, un raccourci stratégique. Mais ce raccourci mène droit dans un labyrinthe d’incertitudes politiques, militaires, diplomatiques et économiques. La dissuasion étendue peut fonctionner lorsqu’elle repose sur une puissance dominante disposant d’un réseau d’alliances et d’une économie capable d’absorber les chocs. Le Pakistan n’a ni la marge de manœuvre économique des États-Unis, ni la capacité diplomatique de l’OTAN. Nous assistons donc à une expérimentation grandeur nature de la géopolitique d’un monde multipolaire.
Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
Je me rends compte que je ne suis qu’un cachottier, lectrices et lecteurs adorés. Dans ma dernière chronique consacrée à notre balade, ma Sauvageonne et moi, aux étangs de Méricourt, je ne vous avais pas tout raconté. En effet, nos pérégrinations ne se sont pas arrêtées à la rencontre, sur le chemin de retour, avec le sympathique pêcheur, généreux donateur de la perche éléphantesque capturée dans la vieille Somme. Est-il nécessaire de le rappeler ? Vous le savez, ma Sauvageonne adorée est pleine de ressources et de curiosité. Alors, quand nous traversâmes le village de Chipilly, son attention toujours en éveil fut attirée par le monument aux morts. « Regarde, vieux Yak ! Comme c’est étrange et comme c’est beau ! » fit-elle de sa voix de Brigitte Bardot pleine de sensualité. Elle n’avait pas tort. Le monument représente un soldat britannique en train de consoler son cheval blessé. Comme le souligne le panneau explicatif, à la fin de la Première Guerre mondiale le cheval est traité en véritable héros. D’autres œuvres l’honorent à travers le monde : un cheval en bronze grandeur nature et son soldat lui offrant à boire, à Port Elisabeth en Afrique du Sud ; un cheval s’abreuvant, monument en l’honneur de la 66e division, au Cateau ; une statuette de cheval en bronze, dans l’église St-Judes à Hampstead, dédicacée aux 375 000 chevaux morts à la guerre. Il ne faut jamais oublier : « Nombre d’événements de la Grande Guerre 14-18 a eu pour théâtre la Picardie », est-il encore écrit sur le bienvenu panneau. « Les soldats des armées britanniques et de tout le Commonwealth se sont battus sur le front de la Somme. En 1916, la Bataille de la Somme a provoqué la mort de 107 000 d’entre eux (le chiffre approximatif des pertes étant de près de 500 000 personnes). Après la guerre, ce sont 127 000 sépultures réparties entre 230 cimetières et carrés militaires ainsi que de nombreux monuments qui furent édifiés en hommage aux disparus. » Le monument de Chipilly, lui, a été érigé en l’honneur de la 58e division britannique, la London Division. L’artiste, auteur de l’œuvre est le sculpteur français Henri-Désiré Gauquié (1858-1927). Alors que je contemplais et photographiais dans tous les sens la magnifique création, je me mis à penser à mon grand-père paternel, Alfred Lacoche (je le surnommais Pépère) qui combattit dans la Somme pendant la Grande Guerre. Blessé à deux reprises, il repartit à chaque fois au front. Lorsqu’il rentra du grand carnage, il jura de ne plus manger un gramme de viande de cheval. « Ils nous ont rendu tant de services dans les tranchées », racontait-il. En 2009, lorsqu’on me demanda d’écrire le scénario d’une bande dessinée et que je m’associais au si talentueux Serge Dutfoy, pour l’album collectif Cicatrices de guerre (s) paru aux éditions La Gouttière, ce fut à lui, à Pépère, que je pensais. Et nous nous mîmes, Serge et moi, à raconter un épisode de sa vie : à la fin de sa longue existence, tous les dimanches matins, en compagnie de ma grand-mère, il se rendait chez nous, dans la maison familiale, au 14 de la rue des Pavillons, à Tergnier, petite ville ferroviaire de l’Aisne. Comme Pépère tremblait, mon père le rasait. Dans un cabas de cuir, il apportait son blaireau, le savon à barbe et le quart, le vieux quart qu’il avait ramené des tranchées de la Somme quand il combattait nos bons amis d’Outre-Rhin. Pépère s’asseyait ; mon père attrapait le rasoir, faisait mousser le savon et opérait, tel un barbier professionnel. Parfois, mon grand-père laissait échapper quelques souvenirs. Il se souvenait de ses copains, tombés à ses côtés ; il se souvenait de la bravoure des soldats britanniques. Il se souvenait de la boue. Des chevaux embourbés qu’il fallait abattre d’une balle dans la tête pour qu’ils ne souffrissent pas car on ne pouvait pas les dégager. Il nous parlait parfois de l’attaque du Bois de Maurepas, en août 1916, au cours de laquelle il avait été blessé par un éclat d’obus. La lame passait et repassait sur ses joues ridées. Son regard se perdait dans le vague, dans l’onde d’une infinie tristesse. Je tentais de comprendre ce qu’il ressentait ; je n’avais que l’image. Pas le son émis par sa mémoire. Ce dernier devait se composer de fracas, de canonnades et de cris. A sa mort, mon grand-père a donné le quart à mon père. Au décès de ce dernier, j’en ai hérité. Il est aujourd’hui bien protégé dans un meuble de ma cuisine. Quand un flot de mélancolie ou de désespoir me submerge, je le regarde. Je pense à Pépère, aux tranchées de la Somme, à la souffrance indicible des Poilus. Alors mes petits soucis disparaissent comme par magie.
Matthieu Pigasse reçu sur France 2 par la journaliste Caroline Roux. Capture d'écran.
L’homme d’affaires Matthieu Pigasse était récemment invité sur France 2à une heure de grande écoute pour commenter la crise budgétaire et l’instabilité politique. Il affirme défendre des idées politiques à l’opposé de ses intérêts financiers.
Le jeudi 11 septembre, sur France 2, la journaliste Caroline Roux a reçu dans son émission « L’Événement » l’homme d’affaires Matthieu Pigasse, qu’elle présente ainsi : « Vous êtes président du groupe de médias Combat, vous êtes aussi banquier d’affaires et à ce titre vous avez conseillé certains gouvernements pendant la crise financière, notamment en Grèce. Vous êtes assez rare à la télé, vous prenez rarement la parole. Je vous remercie d’être là[1]. » Sans doute contrainte par le temps, Mme Roux a omis d’évoquer le parcours politique de son invité, de préciser ce qu’est son groupe de médias Combat et d’indiquer le nom des organes de presse et des agences culturelles qu’il « contrôle » afin de combattre « la droite radicale », selon son propre aveu[2]. Réparons cette erreur.
Viva la revolución !
Énarque influencé à l’époque par Jacques Attali, M. Pigasse est nommé, en 1998, conseiller technique du ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, puis directeur adjoint du cabinet de son successeur, Laurent Fabius. Il se lance ensuite dans une carrière dans le privé de haut vol. Il est recruté en 2003 par la banque Lazard où il gravit les échelons jusqu’à devenir le responsable mondial des activités de fusions et acquisitions. Il démissionne après 16 ans de bons et lucratifs services. Co-directeur d’une banque d’investissement, membre des conseils d’administration de différentes entreprises, M. Pigasse consacre une partie de son énergie et de ses finances à la construction de ce qu’il espère être un jour un empire médiatique au service de ses opinions. Dans un entretien donné au magazine GQ en 2015, il brosse de lui-même le portrait d’un révolutionnaire qui « vomit l’aristocratie », d’un ancien punk prêt à « renverser la table » et à « mettre le feu », rien de moins. Rappelons quand même que ce révolutionnaire exalté a fait partie des « Young leaders » repérés et formés par la French-American Foundation, qu’il a organisé la vente de Libération à Édouard de Rothschild en 2005, a participé aux travaux de Terra Nova dès sa création en 2008, a ensuite échafaudé avec la Banque Lazard de très juteuses opérations de conseils auprès de gouvernements sud-américains et de nombreuses entreprises françaises et étrangères. De quoi fomenter une révolution aux petits oignons, et à l’abri du besoin.
M. Pigasse fonde le groupe de médias Combat en 2009. Il rachète Radio Nova, une radio essentiellement musicale qui, en 2024, récupèrera les comiques gauchistes Guillaume Meurice et Aymeric Lompret, anciennes gloires de France Inter. Il reprend Les Inrockuptibles, magazine culturel qui n’intéresse personne hormis Virginie Despentes, les étudiants hébétés de Paris 8 et les militants « déconstructivistes » de Sciences Po, puis Cheek, un média féministe qui se targue de cibler les jeunes femmes « actives et urbaines ». Pour achever de décerveler une jeunesse crétinisée par le wokisme et l’islamo-gauchisme, Matthieu Pigasse fait l’acquisition de « Rock en Seine », un festival musical qui, lors de sa dernière édition, a accueilli Kneecap, un groupe irlandais introduisant et concluant ses concerts aux cris de « Free, free Palestine » et dont l’un des membres est poursuivi par la justice britannique pour s’être couvert d’un drapeau du Hezbollah, organisation classée terroriste au Royaume-Uni, lors d’un concert à Londres en 2024 – rien qui puisse gêner un public habitué à arborer keffiehs et drapeaux palestiniens en toute occasion. L’écologisme faisant partie des idéologies qui ont sa faveur, M. Pigasse s’est approprié « We Love Green », un festival censé allier événement musical et respect de l’environnement, et qui a de surcroît, selon son propriétaire, « le métissage comme horizon » (tweet du 25 juillet). Après avoir écouté les daubes musicales les plus affligeantes du moment, les festivaliers sont invités à participer à des tables rondes sur la transition écologique, à écouter des conférences organisées par Le Monde, à applaudir « des humoristes engagés, qui ont trouvé par le rire une nouvelle manière d’éveiller les consciences » et à se restaurer « sans bouffer la planète, en mode végé ». Enfin, histoire de parachever son œuvre d’abrutissement de la jeunesse, le golden boy a créé Golden Coast, le premier festival de rap en France.
Le système a aussi du bon…
Sur le site de Combat, on peut lire : « Combat s’engage pour une société ouverte et mixte, pour un avenir responsable et humaniste, en opposant l’exemple à la puissance, avec la volonté d’interroger en permanence par l’expression libre et le débat d’idées l’action des un.e.s et des autres. » Certains lecteurs ne maîtrisant pas la novlangue gauchiste, il nous faut traduire ce texte : « Combat s’engage pour une société multiculturelle, pour un avenir écologiste et totalitaire, en s’appuyant sur la puissance d’une caste ayant la volonté d’empêcher l’expression et les idées de ceuzetceusses qui contredisent son projet progressiste. » C’est plus clair comme ça, non ?
M. Pigasse est également actionnaire du Groupe Le Monde qui comprend, entre autres, Le Monde, Le Nouvel Obs et un magazine télévisuel devenu la quintessence d’une certaine presse atteinte de gauchisme chronique et de wokisme aigu, j’ai nommé Télérama. Tous ces journaux reçoivent de somptueuses subventions publiques. [En 2024 : Le Monde, 7,8 millions d’euros ; Le Nouvel Obs, 1,6 million ; Télérama, 5 millions[3].] L’esprit révolutionnaire semble s’accommoder d’un système récompensant la presse aux ordres d’une caste qui ne rêve que de détruire la France.
En 2015, Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse fondent Mediawan, groupe créant et produisant des contenus audiovisuels. Mediawan produit de nombreuses émissions du service public, entre autres « C à vous », « C L’hebdo » et… « C dans l’air », l’émission qu’anime… Caroline Roux. Le jeudi 11 septembre, c’est donc en quelque sorte son patron qu’a complaisamment interviewé la journaliste. Cette subordination est confirmée sur le site de Mediawan, la rubrique Production/Flux étant illustrée par une photo de groupe réunissant des journalistes de la télévision publique (Caroline Roux, Anne-Élisabeth Lemoine, Aurélie Casse et Faustine Bollaert). Il eût été normal d’en avertir les téléspectateurs, vu que c’est avec leur argent que France TV rétribue Mediawan, entreprise médiatico-culturelle au service de la gauche et des ambitions politiques de M. Pigasse. « Un jour je ferai de la politique et je serai président de la république » aurait-il avoué à Alain Minc qui ajoute : « Cinq ans plus tard, un certain Emmanuel Macron me fera exactement la même confidence[4]. »
Bien que montrant des signes de détestation les uns envers les autres au fur et à mesure que le temps passe et que de vieilles rancunes refont surface, MM. Pigasse, Attali ou Macron font partie du même monde, celui des élites déconnectées de la réalité, éloignées des préoccupations de leurs concitoyens, avides de pouvoir et prêtes à tout pour parvenir à leurs fins financières, idéologiques ou politiques. Il faut entendre, lors d’une émission sur France Inter[5], Matthieu Pigasse – directeur de la branche française de Centerview Partners, une banque d’investissement spécialisée dans des activités de conseil aux gouvernements, surtout africains, aux entreprises et aux fonds d’investissement – dénoncer « le capitalisme libéral » et l’accuser d’être « la plus grande machine à créer des inégalités jamais inventées », pour concevoir le degré de cynisme et d’hypocrisie dont sont capables les éminents représentants d’un système financier ne reculant devant rien pour s’engraisser et grâce auquel ils se sont enrichis.
Macron et Bolloré, ses ennemis préférés
Il y a dix ans, sont parus, à quelques mois d’intervalle, deux livres intitulés Révolutions et Révolution. Le premier était signé Matthieu Pigasse, le second, Emmanuel Macron. Lorsque des banquiers d’affaires se mettent à utiliser le mot « révolution », à porter en bandoulière leur présumé humanisme et à louanger le peuple avec des trémolos dans la voix, il y a anguille sous roche ou, comme l’écrit Jean-Claude Michéa, loup dans la bergerie[6]. Les socialistes ont sorti de sa tanière argentée Emmanuel Macron, lequel, après avoir trahi François Hollande, a récompensé les plus méritants, donc les plus intrigants et les plus arrivistes d’entre eux, en leur octroyant d’éminentes fonctions dans nos institutions étatiques et plusieurs de ces postes inutiles mais lucratifs qui encombrent notre dispendieuse administration publique. M. Pigasse, après avoir été un socialiste strauss-kahnien, penche aujourd’hui vers la gauche de la gauche. Le parcours fut sinueux. Le banquier libéral s’est métamorphosé en chantre de l’étatisme. Les réceptions guindées de la haute bourgeoisie financière ont laissé place aux cocktails bobos de la gauche médiatique et aux événements branchés de la gauche culturelle. Le riche bourgeois a encouragé la presse à brosser de lui le portrait d’un homme foncièrement de gauche, un peu punk sur les bords, déterminé à remettre en cause ses privilèges et ceux des bénéficiaires de ses conseils, à renverser la table des riches pour redresser la France des pauvres. Soutien du NFP côté Insoumis, le gauchiste doré sur tranche dénonce sur X « l’islamophobie d’État [qui] tue » et soutient la taxe Zucman. Il s’enflamme au micro de France Inter : « Il faut commencer à préparer à tout péter[7]. » M. Pigasse ne s’est visiblement pas aperçu que les Français qui subissent l’insécurité, les émeutes, l’immigration massive, le narco-trafic, les défaillances de leurs services publics et sociaux, l’islamisation rampante ou la pauvreté généralisée, ne supportent plus ces discours pseudo-révolutionnaires qui ne résolvent rien et ne semblent destinés qu’à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont participé à la mise à sac du pays.
En 2023, M. Pigasse affirmait à la radio être l’anti-modèle de Vincent Bolloré : « Je considère qu’un actionnaire d’un groupe de médias n’a pas à faire passer des messages à travers ses médias. » Deux ans plus tard, changement de ton dans Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » L’homme d’affaires se targue de ne jamais travailler avec « Vincent Bolloré ou avec des proches de sa sphère d’influence » et se félicite d’avoir appelé à voter pour le NFP. « Ouvert » et « progressiste », il exècre Elon Musk, Donald Trump et… la droite nationale, auxquels il reproche, entre autres, de ne pas être assez écologistes et de faire obstacle à la liberté sexuelle et la liberté de genre. M. Pigasse est en vérité un pur produit des élites décrites par Christopher Lasch[8]. L’idéologie du progrès est devenue le vecteur principal du libéralisme moderne, la « philosophie politique » des élites qui voyagent (M. Pigasse se vante de prendre l’avion plusieurs fois par semaine pour se rendre à l’étranger), persiflent les us et coutumes de leurs compatriotes, s’accommodent d’une langue internationalement massacrée, se défient de plus en plus des liens d’appartenance à la famille, au voisinage, au village, à la nation… Celles qui sont attirées par les plus hautes fonctions de l’État ne le sont plus que pour assouvir des ambitions carriéristes et nullement pour défendre des notions qu’elles jugent dépassées, comme la souveraineté d’un pays ou l’intérêt national. « Peuple » est un mot qu’elles utilisent peu, qui ne leur sert que de slogan au moment des élections. Leur adhésion aux idéologies progressistes actuelles, du wokisme à l’ouverture des frontières en passant par l’écologisme, est totale. M. Pigasse a mis sa fortune au service de ces doctrines mortifères. La jeunesse abrutie par le rap et Aya Nakamura est la même que celle qui se teint les cheveux en bleu, se déclare non-binaire et crie « Free Palestine » tout en ignorant où se trouve le Jourdain – le banquier gauchiste a créé des « événements culturels » à la hauteur de sa bêtise hargneuse. Actionnaire d’une presse à sa main, il a discrètement infiltré des médias publics qui partagent avec lui la même idéologie progressiste et la même haine d’une extrême droite fantasmée.
Les dirigeants de Radio France et de France TV ont beau actuellement le nier, l’audiovisuel public est à la solde d’une caste médiatico-politique revendiquant un bouleversement total de notre société, l’effacement progressif des mœurs, la déconstruction de l’histoire ou de la langue d’un peuple lui-même remplacé par un inquiétant conglomérat multiethnique. Tous les Français paient pour la propagande de cette caste qui ne leur veut aucun bien. Il serait peut-être temps que cela cesse.
Nouveau peuple et vieilles complaisances internationales
Lors de la présentation, le 16 septembre à Paris, de l’ouvrage collectif Nouveau peuple, nouvelle gauche, publié par La France insoumise, la militante racialiste aux 17 frères et sœurs et trois mères, Assa Traoré, participait à une table ronde sur « les conditions d’une victoire politique du peuple au 21e siècle1 ». Interrogée sur sa présence dans cet aréopage mélenchoniste, composé notamment de Clémence Guetté, Éric Coquerel et Mathilde Panot, la jeune femme a expliqué : « Si nous sommes là [le comité Adama], c’est que, politiquement, ils ne peuvent pas faire sans nous. » Quand il s’agit de « phosphorer », LFI fait confiance aux talents de nos territoires et cela fait grand plaisir à voir !
Mauvaise presse, mais résultats électoraux en hausse…
Assis sur un tas d’or, avec près de 6 millions d’euros d’aides publiques reçues en 2025 grâce à ses bons résultats électoraux, le parti islamo-gauchiste ne se contente pas de frayer avec les forces vives de banlieue. Il cherche aussi l’inspiration au-delà des frontières, quitte à aller trouver ses idées auprès des régimes les plus épouvantables de la planète. En marge des universités d’été du parti, la député Sophia Chikirou, de retour d’un voyage en Chine, a ainsi déclaré au micro de l’émission « Quotidien » : « Je ne considère pas que la Chine est une dictature. […] La liberté d’expression en Chine est aussi menacée que celle qu’on a en France. » Face à la polémique, Mme Chikirou s’est ensuite énervée sur son blog : « Ne vous fiez pas aux montages vidéo truqués de Quotidien et méfiez-vous des perroquets atlantistes. » On sait par ailleurs que l’élue a relayé sur Instagram, il y a un an, un hommage controversé à Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas, avant de l’effacer.
Quant à Mélenchon, il a dénoncé le dalaï-lama comme un autocrate prônant selon lui une « version tibétaine de la charia » et estimé que Taïwan devait revenir dans le giron de Pékin. Autre petit détail : si l’ancien sénateur de l’Essonne tempête tous les jours contre le « génocide » à Gaza, il observe des pudeurs de gazelle quand on le questionne au sujet du sort des Ouïghours. Après avoir vu les panneaux solaires chinois écraser leurs concurrents européens, les Insoumis seront sûrement ravis de rouler en voiture électrique made in China. C’est que la « Nouvelle France » n’a pas tant besoin d’ouvriers que d’immigrés ! Par ailleurs, l’admiration de Mélenchon pour Fidel Castro, Hugo Chávez ou Nicolás Maduro est bien documentée de longue date. Sans oublier que cet été, son ancien chauffeur, désormais député, Sébastien Delogu, a choqué en critiquant la France à la télévision algérienne, sans un mot pour Boualem Sansal ou Christophe Gleizes, injustement emprisonnés par la dictature militaire. La complaisance des Insoumis envers Poutine, ou leur hostilité récente vis-à-vis de Zelensky, ont également surpris : ils dénient à ce dernier toute légitimité au prétexte que l’Ukraine n’a pas organisé d’élections depuis 2022. Auraient-ils dit la même chose de Churchill, resté au pouvoir jusqu’en 1945 malgré des scrutins reportés ?
Enfin, lorsque des têtes de cochon ont été déposées devant des mosquées, début septembre, M. Coquerel a reproché à Bruno Retailleau de minimiser des faits « islamophobes ». Mais l’enquête a rapidement révélé qu’il s’agissait d’agents provocateurs venus de Serbie. Quel odieux extrémiste, parmi nos lecteurs, vient-il de crier : « parti de l’étranger ! » ?
Le référendum du 21 septembre a donné une nouvelle Constitution à la Guinée (Guinée Conakry). Loin d’assurer le pluralisme, ce texte renforce les pouvoirs du gouvernement militaire et écarte les oppositions.
« Nous ne ferons pas partie de l’après-transition. Nous ne passerons pas un jour de plus à l’issue des 24 mois de la transition. » Ces mots, prononcés par Mamadi Doumbouya en 2023, résonnent aujourd’hui comme un serment trahi. Car ce 21 septembre 2025, loin de préparer son départ, le chef de la junte a soumis aux Guinéens une nouvelle Constitution qui lui ouvre la voie vers une présidence prolongée. Derrière l’habillage solennel d’une « refondation de la République », le référendum organisé le week-end dernier n’aura été qu’un instrument de légitimation destiné à sacraliser l’accaparement du pouvoir par l’ancien caporal de la Légion étrangère, devenu chef d’État…
Modification des institutions du pays
Le texte adopté modifie en profondeur l’architecture institutionnelle du pays. Il allonge la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans, renouvelable une fois, ce qui offre au chef de l’État une perspective de longévité accrue. Il crée un Sénat censé incarner une nouvelle chambre de réflexion, mais dont un tiers des membres sera nommé directement par le président, amputant d’avance toute velléité d’indépendance. Plus encore, il efface l’une des dispositions phares de la Charte de transition de 2021: l’interdiction faite aux membres de la junte militaire de se présenter aux élections. Cette suppression change tout. Elle autorise désormais Mamadi Doumbouya à briguer légalement la magistrature suprême, lui qui avait juré, en 2021, que les militaires n’étaient que des gestionnaires provisoires et ne chercheraient pas à se maintenir. L’histoire retiendra que la promesse n’a pas duré plus que le temps de se consolider au pouvoir.
Les chiffres officiels paraissent flatteurs: plus de 70% de participation parmi les 6,7 millions d’électeurs inscrits, et un « oui » triomphal au-delà de 90%. Mais ces données brutes masquent une réalité autrement plus complexe. Car l’opposition, de Cellou Dalein Diallo à Alpha Condé, avait unanimement appelé au boycott, dénonçant un « simulacre de démocratie ». Leurs partis avaient été suspendus ou paralysés par des restrictions administratives. La campagne s’est déroulée sans eux, dans un espace public verrouillé, où radios indépendantes et sites d’information avaient été réduits au silence. Le climat de peur et la surveillance omniprésente des urnes ne laissent guère de doute sur la sincérité du scrutin. Plus qu’un vote libre, il s’agissait d’une mise en scène visant à conférer une légitimité populaire à un processus déjà décidé dans les casernes.
Un régime à la dérive
Au-delà de l’ingénierie constitutionnelle, ce référendum s’inscrit dans une trajectoire où la corruption généralisée est devenue le véritable ciment du régime. L’exemple du projet minier de Simandou illustre cette dérive : en 2024, des révélations de presse ont affirmé qu’une entreprise chinoise impliquée dans l’exploitation du gisement avait versé 75 millions de dollars directement à M. Doumbouya. Le colonel-président, qui s’était présenté en chevalier de la probité, a reproduit à l’identique les méthodes de ses prédécesseurs. L’opacité des contrats, l’enrichissement de la garde rapprochée et la distribution des marchés à des affidés traduisent moins une rupture qu’une continuité dans le pillage des ressources nationales.
Cette réalité s’impose crûment à Conakry : selon les statistiques nationales, seulement 44,1% de la population guinéenne dispose d’un accès à l’électricité, et en milieu rural ce taux tombe à 19,3%. Même dans la capitale, les coupures sont fréquentes, la fourniture instable et le réseau vétuste. En 2023, la production nationale d’électricité atteignait environ 4 048 GWh pour une capacité installée de 1 060 MW, dont une large part provient de l’hydroélectricité. Sur le plan hydrique, la fracture reste colossale : en 2023, 32,1% des Guinéens n’avaient pas accès à une eau gérée de manière sûre, et seuls 13,7% de la population bénéficiaient d’un assainissement de qualité. Selon la Banque mondiale, 63% de la population rurale vit en situation de pauvreté, contre 22% dans les zones urbaines, tandis que le taux de pauvreté global est passé de 46,6% en 2018 à environ 51,4% en 2023.
Dans le même temps, l’État guinéen tire une part significative de ses revenus des secteurs miniers: la Guinée exporte des minerais pour lesquels le secteur minier représente environ 80% des exportations du pays. Pourtant, ces richesses sont captées par une minorité proche du pouvoir, et très peu redistribuées en infrastructures ou services publics.
Il n’est plus question ici de simples contrastes : ces chiffres témoignent d’un déséquilibre structurel. Tandis que des quartiers résidentiels s’ornent de villas et que des cortèges de 4×4 escortent les élites, la majorité reste plongée dans l’obscurité — littéralement et symboliquement — attendant que l’État livre ce qu’il prétend garantir mais refuse de concrétiser.
Dérive autoritaire
Le référendum du 21 septembre n’est pas une rupture mais l’aboutissement d’une dérive autoritaire engagée dès 2021. Le FNDC, mouvement citoyen qui avait incarné la résistance au troisième mandat d’Alpha Condé, a été dissous sans ménagement. Ses leaders, comme Foniké Menguè ou Billo Bah, ont été emprisonnés ou réduits au silence. Amnesty International et Human Rights Watch ont documenté des dizaines de morts lors de manifestations dispersées par balles à Conakry, Labé ou Nzérékoré. La presse, elle aussi, vit sous la férule: radios suspendues, journalistes intimidés, sites d’information bloqués. À l’extérieur, la situation inquiète. Une plainte pour complicité de torture et homicides volontaires a même été déposée en France contre Doumbouya dès 2022, rappelant que les atteintes aux droits humains ne passent plus inaperçues.
Les réactions internationales à ce référendum sont à l’image des équilibres régionaux: prudentes mais fermes. L’Union africaine a exprimé sa « préoccupation » face à une transition qui ressemble désormais à une présidence à vie déguisée. La CEDEAO, déjà secouée par les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, a dénoncé un « détournement du processus de transition » et menace de sanctions ciblées le pays si un calendrier électoral crédible n’est pas rapidement annoncé. L’Union européenne évoque un « recul préoccupant de l’État de droit », tandis que Washington parle plus directement d’une « confiscation du processusdémocratique ». Le risque est de voir la Guinée rejoindre la catégorie des régimes autoritaires assumés.
La Constitution, loin d’être un outil d’émancipation collective, devient un instrument de pouvoir personnel. À force de confondre la République avec son uniforme, le président risque de n’apparaître que comme caporal devenu despote.
Retour sur le discours historique du président Macron à l’ONU et la reconnaissance de la Palestine
Ce lundi 22 septembre, Emmanuel Macron à la tribune des Nations Unies devait penser que sa vocation n’était désormais plus tellement de présider la France, ce pays ingouvernable, que de réparer le monde. Lui qui n’a aucune expérience militaire, finissait son discours, dont je vais essayer de suivre l’argumentation, par une réflexion sur la guerre destinée à une délégation israélienne ostensiblement absente : «La paix est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus difficile que toutes les guerres. Mais le temps est venu…» Il est facile d’exiger pour autrui ce qu’on n’a pas besoin de s’imposer à soi-même. À la France, Emmanuel Macron ne faisait courir aucun risque. Pour Israël, qui fait face à un ennemi entièrement voué à sa perte, il jouait avec sa survie…
Droit à l’erreur
Le président français prétend bâtir la paix. Qui pourrait ne pas souscrire à un tel objectif ? Mais le diable n’est pas dans le projet, il est dans les détails et ceux-ci ont de quoi laisser sceptiques des Israéliens qui n’ont pas le droit à l’erreur.
Le Hamas est déjà vaincu sur le plan militaire, dit le président comme si cela était un acquis définitif et un résultat qui n’aurait guère demandé d’effort à Israël. Il reste à le vaincre sur le plan politique et ce travail difficile, Emmanuel Macron veut en être le maitre d’œuvre. D’ores et déjà, dit-il, la reconnaissance de la Palestine par la France est une défaite du Hamas: message à envoyer à l’organisation terroriste qui ne l’avait probablement pas compris ainsi quand elle s’est réjouie de l’initiative française. Il s’agit de mettre en œuvre un plan de «paix et de sécurité». Dont la première étape, une urgence absolue, consistera à coupler la libération des 48 otages israéliens et la fin des opérations militaires. Pour ce résultat, il suffit, suivant Emmanuel Macron, de compter sur le Qatar et l’Egypte, avec les Etats-Unis en arrière-plan, à condition qu’Israël n’entrave pas leurs efforts. Si tel est le cas, ces préalables devraient être vite réglés, et la France pourrait alors ouvrir son ambassade en Palestine.
Ensuite, il faudra reconstruire Gaza, une tâche à laquelle s’attèleront l’Autorité palestinienne, dont le président Abbas a promis de façon crédible d’adopter un comportement démocratique, efficace et respectueux de son voisin israélien. Quant aux forces de sécurité dont il disposera, elles auront été entrainées par la France et ses alliés, et elles parachèveront le démantèlement du Hamas. Pour parfaire ce travail, Emmanuel Macron envisage une initiative originale: confier à l’ONU une mission de sécurité civile et militaire. Si j’ai bien compris, il s’agirait de faire appel à l’UNWRA dont chacun connait le glorieux palmarès, et de l’associer à une force militaire internationale analogue à la FINUL, cette force d’interposition au Liban qui avait laissé faire le Hezbollah, censé se tenir loin de la frontière.
Si le gouvernement israélien ne s’engageait pas dans un plan si prometteur, la France et l’Europe en tireraient les conséquences sur le plan économique. Actuellement, dit Emmanuel Macron, 142 Etats tendent à Israël une main prête à être serrée. Il ne précise pas si l’Iran est inclus parmi ces Etats…
La sincérité française pas en doute
Je fais partie de ceux qui pensent qu’Emmanuel Macron est parfaitement sincère quand il parle de son admiration pour Israël et quand il fustige l’antisémitisme, mais j’ai été accablé par la naïveté du plan présidentiel. Se fier aux promesses d’une Autorité palestinienne qui a prouvé son incurie (le terme vient d’Emmanuel Macron lui-même), qui n’a cessé de pratiquer le double langage et qui en tout état de cause, si des élections avaient lieu, serait balayée par le Hamas, cela relève de la méthode Coué.
Penser avoir tout compris à la guerre de Gaza parce qu’on a rencontré des victimes, par exemple des Gazaouis réfugiés en Egypte à al-Arich, et adopter le narratif manigancé par une propagande anti-israélienne extraordinairement efficace, témoigne en même temps de présomption et de crédulité.
Ignorer que toute guerre est tragique, qu’une guerre urbaine frappe particulièrement les civils, que ce fut le cas dans la guerre contre Daech où la France était elle-même engagée, que ce l’est encore plus là où les souterrains ajoutent une dimension nouvelle aux opérations mais que jamais un belligérant n’avait encore utilisé la mort de sa propre population comme arme de guerre pour disqualifier l’ennemi, c’est montrer indifférence à l’égard des réalités militaires sur le terrain et aveuglement sur l’objectivité des médias.
Ne pas rappeler dans son discours que la haine anti-israélienne ressassée à longueur de temps dans les sociétés palestiniennes, est associée aujourd’hui à un islam de conquête qui risque de prospérer dans le Gaza nouveau qu’il envisage, c’est, enfin, faire preuve d’une légèreté aux conséquences potentiellement funestes.
Le président a parlé avec émotion du 7-Octobre, mais il ne semble pas avoir compris que l’horreur du massacre, qui a touché des Israéliens particulièrement attachés à l’idée d’un Etat palestinien, a rendu le soutien à cette idée d’autant plus problématique que chacun a vu l’enthousiasme qu’a suscité cet événement dans les foules palestiniennes.
Il y a bien des arguments juridiques pour être hostile à la reconnaissance de la Palestine. Certains rappellent que dans une période sans gouvernement on ne doit traiter que d’affaires courantes ou urgentes et que cette reconnaissance n’est ni une affaire courante, ni une affaire urgente. D’autres rappellent que l’article IX de l’Accord intérimaire israélo-palestinien de 1995, qu’on appelle Oslo II, interdit à l’autorité palestinienne toute initiative diplomatique. D’autres encore se réfèrent à la réunion de Montevideo en 1933, qui définissait les critères d’un Etat, pour constater que la Palestine actuelle ne les remplit pas.
Il en est même qui, partisans du grand Israël, signalent que la conférence de San Remo qui en 1920 a façonné le Moyen Orient après la défaite ottomane, ne parlait pas de foyer arabe en Palestine en même temps qu’elle avalisait la déclaration Balfour.
En ce qui me concerne ces arguments juridiques pèsent peu devant une tragique constatation. Alors que pour les Juifs un second cataclysme émotionnel est survenu à partir du 8 octobre quand ils ont vu se déchainer un antisémitisme contre lequel la frilosité de la réponse judiciaire et politique a été patente, la reconnaissance d’un Etat de Palestine alors que le Hamas n’est pas encore vaincu, suggère que ce massacre a été une bonne idée.
Quoi qu’ils pensent par ailleurs de tel ou tel aspect de la politique israélienne, un tel message est insupportable pour l’immense majorité des Juifs, et, je l’espère, pour la plus grande partie de la population française.
En pleine période puritaine, le plus grand bordel de France demeure… le bois de Boulogne ! On vient s’y enivrer de sexe, de stupre et, surtout, on vient y chercher les transsexuelles. Objets de fascination et de trouble désir pour les hétéros, elles sont le trésor du bois sur lequel elles règnent. Immersion dans ces folles nuits où les normes sont abolies.
Pour les vacances, certains sont partis à Marbella, Saint-Tropez ou encore à Mikonos. Moi, c’est au bois de Boulogne que j’ai décidé de passer mon été, du moins beaucoup de mes soirées. Et, pour sûr, il a été bien plus fantastique et dépaysant que celui de mes amis. Lorsque j’avais 20 ans, accompagné d’un camarade ou deux, j’y passais certains soirs des heures entières. Nous étions fascinés par ce monde parallèle, par cette ville clandestine engloutie dans les bois, qui éclot au soleil couché, et va fiévreusement jusqu’au petit matin au rythme des désirs les plus brûlants. Quinze ans plus tard, me voici de retour ! Ô bois de tous les fantasmes, tu n’as pas changé. Le monde s’aseptise, et toi tu ne bouges pas. En plein essor du puritanisme, tes seins, tes fesses, tes langues, tes voyeurs et tes exhibitionnistes sont toujours aussi nombreux. Tes moindres recoins puent le sexe à plein nez. À la porte Maillot, c’est encore la vie normale. Mais voilà qu’un panneau d’indication porte ton nom. Je le suis, je tourne à droite. J’aperçois les premiers arbres… nous voilà en zone libre ! Il est 22 H 45. Quelques femmes seules attendent, dès les premiers mètres dans le bois. Rien de spectaculaire. Peu de passage, presque pas de clients. Ce n’est pas ça qu’on vient chercher ici. Les femmes ordinaires se trouvent déjà dans la vie normale. Le trésor est ailleurs. Ce qui attire la foule, c’est un autre type de femmes. Me voilà maintenant sur l’allée de Longchamp, une des plus grosses artères traversant le bois. J’entre dans le vif du sujet. Fenêtres ouvertes je roule et, non loin, déjà résonne la salsa.
Vanessa, allée de la Reine-Marguerite, bois de Boulogne, août 2025.Allée de la Reine-Marguerite.
À quelques mètres, un groupe de filles danse sur le bord de la route. Les arbres, auxquels elles tournent le dos, sont leur décor. Les transsexuelles latino-américaines ! Plus de 90 % des filles qui travaillent ici sont trans. C’est pour elles que ce lieu vit la nuit. Pour elles que les voitures sont toutes là, si nombreuses et si lentes, se traînant si lourdes, surchargées de désirs. Ces créatures magnifiques et troublantes sont les objets de toutes les convoitises. Des curiosités les plus obsédantes. Avec quelques guirlandes lumineuses de toutes les couleurs accrochées aux arbres, le groupe de six filles s’est délimité son petit pré carré sur sept ou huit mètres. Certaines sont très belles. Deux types latinos, avec de bonnes gueules sympathiques, sont assis avec elles, rient et boivent. Ce sont en général des hommes de leur entourage qui leur tiennent compagnie et leur assurent un minimum de sécurité. Au bois, les filles trans travaillent de leur plein gré et pour leur compte. Les chicas dansent en se partageant une flasque de whisky. Je ralentis devant elles. Les mains passent dans les cheveux, les langues caressent les lèvres, les mains caressent les seins. Je poursuis ma tournée. D’autres prés carrés lumineux se trouvent en bordure de la route. Sur chacun on écoute de la salsa, de la cumbia ou du merengue, et on y parle en espagnol ou en brésilien. Ici, c’est Cali à Paris. C’est Lima à Boulogne. C’est le bois de Rio. Certaines chicas, assises entre elles, sont en train de dîner. Une femme (biologique, pas une trans) plus toute jeune va et vient chaque soir dans le bois avec une poussette pleine de provisions. Elle vend aux travailleuses de la nuit des plats qu’elle confectionne et met en barquette. Un Pakistanais armé de son énorme thermos vend, lui, les boissons chaudes toute la nuit. D’autres vendent des boissons fraîches. Sur environ deux cents mètres, j’ai croisé une bonne trentaine de filles. Toutes trans. Voici le maxi pré carré ! C’est presque un squelette de chapiteau dessiné en guirlande lumineuse, une petite maison. Un air de guinguette ou de fête foraine. Une quinzaine de filles à demi nues s’y trouvent. J’arrive au croisement avec l’allée de la Reine-Marguerite. La plus prisée. Ici, on ne sait plus où donner du regard, les filles sont partout. Des belles, des moins belles, des menues, des pulpeuses, des grosses ! Les voitures ralentissent, s’arrêtent, repartent. Les vitres se baissent, les filles s’approchent. En se penchant seins en avant à hauteur de conducteur, on négocie à la fenêtre. Les phares se croisent, s’éteignent, se rallument. Nous sommes au cœur du bois. C’est ici qu’il bat le plus fort. Sur un peu moins de deux kilomètres, une bonne centaine de filles tapinent. Quel spectacle ! Elles dansent, découvrent leurs seins à la première voiture qui ralentit, envoient des baisers, miment les pipes… « Viens bébé, je te suce… », me dit l’une avec son accent mélodieux. Et tous ces bons hommes cherchent le stupre. Ils cherchent, ils cherchent. Ils hésitent, ils repartent. Puis reviennent ! La tête leur tourne. Dans quelques minutes, ils craqueront. Question de temps. Ils viennent ici dans le secret qu’ils partagent parfois avec un ami ou deux. Des silhouettes d’homme entrent et sortent d’entre les arbres. Un type jaillit de derrière un tronc, referme sa braguette et remonte dans sa voiture, soulagé. À l’intérieur du bois, derrière les premières rangées d’arbres, là où la lumière des réverbères de la route peine à parvenir, des ombres lentes se promènent. Des types cherchent, feignant la promenade. Ici tout le monde n’est pas client. Certains sont voyeurs. Ici, on aime pisser en étant vu. On aime se promener dans la pénombre, bercé par le bruit des ébats ou des « floc-floc d’enculade » comme l’écrivait le grand Copi. Des types se masturbent dans le noir, admirant discrètement les silhouettes des filles et des clients qui remplissent le contrat. Je tourne, je vais et je viens. Il est une heure, la fête bat son plein. La banlieue débarque au bois. La plupart des hommes présents sont plutôt jeunes, et d’origine maghrébine ou africaine. Les « jeunes de banlieue », comme on dit. Ils sont beaux, pour un bon nombre d’entre eux. Ici, au bois, ce n’est pas la caricature du client gros et vieux. Non ! Ceux-là ne sont pas majoritaires. Les jeunes gens des beaux quartiers, moins nombreux, eux aussi sont présents. La jeunesse se promène à pied, l’air de rien, seuls ou en bande de copains, pour trouver ces filles un peu spéciales. Ces femmes qui n’en sont pas tout à fait. Ces filles qui, presque toutes, ont gardé leur sexe d’homme et ne le cachent pas… au contraire. C’est bien la quête de ces jeunes hétérosexuels. Car il faut bien être hétéro pour désirer ces cheveux longs, ces seins si fiers, ces courbes féminines, toute cette féminité exacerbée. Brunes ou blondes, les hommes préfèrent les trans ! La majorité des types que je croise ont moins de 35 ans. On voit même des mineurs aux visages d’ange passer de fille en fille pour discuter, négocier puis, finalement, s’engouffrer dans le bois. Un jeune homme blond, dans les 15 ans, bcbg, s’engloutit timidement dans une camionnette avec une fille d’une cinquantaine d’années. Il est consentant. Il a même payé ! Ses copains l’attendent au bord de la route en discutant et en riant. Certaines filles sont d’une beauté à couper le souffle. Elles savent sourire avec grand charme et vous retourner le cœur en un seul regard. Je décide d’aller faire un tour un peu plus loin pour me changer les idées. Je file route des Lacs-à-Madrid. C’est là-bas que les hommes – parfois mariés, ou du moins souvent hétéros officiellement, un peu pédés refoulés ou bien bisexuels – viennent chercher une furtive aventure homosexuelle. Et c’est gratuit ! J’arrive porte de Madrid. Un petit rond-point. D’un côté le bois, de l’autre les premières maisons du guindé Neuilly. Je prends la route des Lacs. Elle fait environ deux cents mètres et se termine en cul-de-sac. Une petite route toute calme, l’air désert. Je pénètre en pleins phares. Sur la droite le bois, sur la gauche une quinzaine de voitures stationnées les unes derrière les autres le long du centre équestre. Quelques-unes ont allumé leurs phares dès mon arrivée. Elles me font de l’œil ! Je roule au pas, leur faisant face. Dans chaque voiture, un homme attend. C’est le sex-drive. Je ralentis devant chaque véhicule. Les conducteurs me regardent. On ne me fait ni bonjour ni sourire. On attend juste la proposition ! Des vieux, des jeunes, des voitures de luxe, des vieilles poubelles, il y a de tout. Dans le dernier véhicule, un jeune homme à demi allongé sur le fauteuil conducteur se fait sucer par une transsexuelle. Elle relève la tête, je la reconnais. C’est une fille du bois, une prostituée. Elle a dû proposer au client de venir faire la passe ici, chez les pédés, où ils seraient tranquilles. Un homme d’une quarantaine d’années profite du spectacle en regardant par la fenêtre, ce qui ne semble pas gêner le jeune homme sûrement un peu exhibitionniste. Je fais demi-tour. J’aperçois à quelques mètres de moi, entre deux arbres un jeune Rebeu en survêt, Nike « TN » au pied, qui se masturbe de profil en regardant dans ma direction. Un autre jeune homme du même style le regarde, puis me regarde, et disparaît dans le bois. Beaucoup d’affaires se concluent derrière les arbres. Deux hypothèses. Soit ces deux jeunes de banlieue sont en quête d’aventures homosexuelles (il y en a beaucoup !), soit c’est un guet-apens. Ou les deux en même temps ! C’est fréquent ici. Les types suivent dans les bois une jolie racaille… et se font dépouiller. Mais les racailles joignent parfois l’utile à l’agréable et se laissent faire la gâterie proposée avant de passer aux choses sérieuses. Le vol leur permet de se convaincre qu’ils ne sont pas là pour le sexe. Que le sexe est le prétexte au vol. Alors que c’est évidemment le contraire ! En repartant vers la sortie, je croise un vieux monsieur précieux, cheveux blancs permanentés, au volant de sa petite voiture qui pénètre route des Lacs. Son petit chien l’accompagne sur le fauteuil passager. J’ai envie de voir ce qu’il va faire. Je quitte la route, puis reviens deux minutes plus tard. Au fond, sa voiture est garée près de l’endroit ou zonaient les deux jeunes en survêtement. Il n’est plus dedans. Son petit chihuahua est resté seul. Il gratte à la fenêtre, couinant dans les aigus. Le toutou semble inquiet. Il y a de quoi ! Un autre vieux me tourne autour en vélo. Il a la coupe de cheveux de Montherlant mais porte un short, ça ne peut pas être l’auteur des Jeunes filles. Je me dirige vers la sortie de la route des Lacs. À ma gauche, sur la porte de Madrid se trouve un gros robinet public en métal vert. Un vieux cycliste en T-shirt long tombant au-dessous des fesses mais les jambes nues, s’y arrête. Il l’allume, fait un demi-tour sur lui-même, et s’introduit comme il peut le robinet dans le cul. Je n’en crois pas mes yeux, il se fait un lavement public ! En pleine lumière des réverbères, face aux premiers immeubles de Neuilly. Il prend son temps. Après une ou deux minutes dans cette position (on dirait qu’il skie !) il sort de sa sacoche quelques feuilles de sopalin et se torche. Il remonte sur son vélo, et s’engouffre route des Lacs. Il préparait le terrain ! Je ne boirai plus jamais au robinet.Je retourne allée de la Reine-Marguerite. Il est 2 heures, c’est l’effervescence. Plein de mecs se baladent. Les bandes de jeunes hommes discutent maintenant ouvertement avec les filles. Ils ne font plus semblant de se promener là par hasard. Des voitures en warning sont stationnées de tous côtés. Des groupes de mecs palabrent entre eux, c’est l’heure des conciliabules. « Vas-y on fait quoi ? On essaye ? C’est un trans mais elle est bonne ! Putain, elle est vraiment belle. T’as combien sur toi ? Moi il me reste trente euros. Si t’as dix euros on lui demande si elle peut nous sucer à deux. » À ma droite, la toute petite route de Suresnes s’enfonce dans l’obscurité du bois. Mais jusque loin dans le noir, on aperçoit des petites lumières de couleur. On devine le sexe. J’y pénètre. La route est étroite. Sur les côtés, les grosses fourgonnettes s’enchaînent tous les vingt mètres. À l’intérieur, les filles trans sont comme en vitrine. Ici elles sont plus âgées. Elles ont tapissé leur petite scène-cabine de léopard ou de zèbre et l’ont éclairée de lumière parfois rose ou rouge. Des tableaux de Pierre et Gilles ! Certaines sont sublimes. D’autres monstrueuses, mais tellement spectaculaires qu’elles sont sublimes aussi. Cette petite route-circuit est interminable, ça tourne à gauche, puis à droite, ça n’en finit plus. Un véritable train fantôme du sexe. Il y a la queue devant nous ! Après quelques minutes, la petite route dégueule de nouveau sur l’allée de la Reine-Marguerite. Ça vibre encore plus. Plus il est tard, plus c’est chaud. Passé deux heures, parfois après quelques gorgées d’alcool, les filles veulent appâter le client. Certaines sont maintenant nues. D’autres se caressent entre elles. Les hommes deviennent fous devant ce spectacle. Quelques filles caressent le sexe des types qui leur demandent le prix. D’autres les embrassent langoureusement avec la langue. Ils ne pourront plus résister, même ceux qui étaient venus juste comme ça, pour « voir le bois ». Dois-je dire ici que certains soirs, lors de mes promenades pour écrire cet article, certains de mes copains hétéros, venus juste pour m’accompagner et voir l’endroit, se sont laissé dévorer par le bois et ses créatures ? Le chant des sirènes était trop puissant. Après des heures de seins magnifiques, de formes sur-sexuelles, de cheveux caressants, ils perdent leurs repères. Tant pis si leur « hétérosexualité » doit en prendre un coup !
Groupe de filles, allée de Longchamp.Allée de la Reine-Marguerite, 3h du matin.
Jusqu’à la fin de la nuit on croise et recroise les mêmes personnes. Ici, on vient zoner. On s’oublie un peu, on brise les tabous. On vient s’enivrer de délices et faire la fête. Car le bois est une fête. Quelque chose de joyeux, malgré tout, y règne. La vie n’est pas toujours rose pour les filles qui y travaillent. Mais le travail du sexe semble moins douloureux pour ces filles trans que pour les femmes « biologiques». Ou du moins, chez les trans on assume plus souvent de prendre parfois du plaisir avec les clients que chez les femmes. Une Brésilienne historique du bois m’a raconté ceci : « J’aime faire la pute. Ça me plaît. Au fond, je suis quand même un peu un homme. Et les hommes aiment le sexe. La plupart des clients que je fais, ça me plaît de les faire. Quand je vais avec eux, je suis excitée. Pas avec tous, mais avec beaucoup. Être payée pour faire l’amour, la nuit, dans ce bois magnifique, moi ça me plaît. Je trouve cela excitant. » Mais depuis plus de dix ans, la clientèle chic a un peu disparu. Les prix ont baissé. On fait aujourd’hui la pipe pour vingt euros et la totale pour quarante. Parfois moins. Et puis, il y a les agressions, les meurtres. Trop de filles ces dernières années ont été tuées. Quelquefois, des bandes viennent racketter les filles et les clients. Certaines travailleuses ne font pas cela la joie au cœur. Elles aimeraient faire autre chose. Chaque pute est différente. Mais ce bois, beaucoup de celles qui y travaillent ou qui y ont travaillé l’aiment malgré tout. Splendeur et misère du bois de Boulogne. « Les hommes nous désirent, on les rend fous. C’est valorisant, m’a expliquél’une d’elles. Quand je vois tous ces mecs prêts à payer pour moi, c’est flatteur. Pour nous les filles trans, ce n’est pas toujours facile de trouver un copain. Quelqu’un qui assume vraiment d’être avec une trans. Alors, les caresses des clients qui nous plaisent, leurs baisers, parfois on les prend avec plaisir. Mais lorsqu’on rentre chez nous, qu’on enlève les faux cils, le maquillage, c’est là qu’on aurait besoin de quelqu’un. Et très souvent, il n’y a personne. Pour la plupart des hommes, nous ne sommes qu’un objet de fantasmes, une parenthèse sexuelle. C’est le revers de notre médaille. C’est le tragique de notre histoire. »
Directeur du Musée national de la Marine, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, nous conte avec style et panache son amour de la mer.
Avec Le voyage en mer, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, directeur du Musée national de la Marine, explore les raisons de son goût insatiable pour la navigation et l’océan.
Issu d’une famille de marins, il a passé son enfance et son adolescence à Brest et à Toulon, puis il s’est engagé à son tour.
Il a navigué sur tous les océans ; il a également participé à de nombreuses courses au large.
Que nous raconte-t-il dans cet opus qui tient autant du récit que de l’essai ? Après six ans de très importants travaux, à la fin d’octobre 2023, le nouveau musée de la Marine ouvre ses portes au grand public sur la place du Trocadéro, à Paris. « Ce n’est pas à une visite de ses exceptionnelles collections (plus de 1000 œuvres) que nous convie Vincent Campredon, son directeur, mais à une étonnante traversée », explique l’éditeur Grasset. « Le voyage en mer n’est pas un voyage sur les eaux, fussent-elles rêvées ou rugissantes, qu’elles apaisent ou engloutissent. C’est un appel, une attente de vivre, de découvrir, de prendre ses distances, de se transformer. Voici le livre d’une vie et d’une passion, où l’on suit, entre autres guides imparfaits, Bougainville, Cook, Surcouf et Lapérouse… »
Marin et Officier de Marine émérite, Vincent Campredon nous fait découvrir les légendes des corsaires, l’invention de la carte marine et les plus incroyables batailles navales. Il évoque la découverte de la longitude, le rêve fou de Magellan et les courses transatlantiques à la voile, « ces dernières aventures modernes qui laissent les femmes et les hommes hors de toute portée… » On le suit au Cap Horn, dans les profondeurs de l’Atlantique avec les sous-mariniers, en mer de Chine sur La Jeanne, à Tahiti… Il nous convie sur le rivage, et au musée où il rêve devant les maquettes, dessine des goélettes, s’intéresse au guide des nœuds et découvre le mystère des marées. Il dit tout de ces océans que pourtant on maltraite et qu’il est si nécessaire de protéger.
L’homme manie avec autant de dextérité l’écriture que le gouvernail. Il ne manque pas de style. « J’ai de l’eau salée dans les veines. Je suis un « cul salé », comme on dit dans le Finistère. La mer me parle. M’inspire. M’irrigue. Elle rythme ma vie depuis l’enfance et les affectations de mon père, l’amiral Jacques Campredon, en Tunisie, à Toulon et à Brest. L’océan m’aspire. C’est mon jardin, mon ailleurs. C’est une sorte de porte vers l’infini. » Un voyage en mer et en mots pas comme les autres.
Le voyage en mer, Vincent Campredon ; Grasset ; 166 p.
Nous sommes le lundi 30 septembre 1985, au volant de ma vieille Peugeot, j’entends à la radio un flash spécial : Simone Signoret est morte. Ce souvenir reste depuis gravé dans ma mémoire. Il faisait gris et le vent malmenait la voiture. J’aimais beaucoup Signoret, son visage détruit, comme aurait dit Duras, ses rides de la désillusion amoureuse, ses cheveux blancs, non pas ceux de la sagesse, mais de la souffrance imposée par Yves Montand, magicien de la scène à la voix mélancolique et au regard de chien battu, d’un professionnalisme à rendre jaloux les Américains. « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes… » Et l’émotion est là, directe.
Signoret, je la vois immédiatement dans deux rôles. Le premier, dans le long-métrage de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres. Elle joue le rôle de Mathilde, une résistante éliminée par son propre réseau, en 1943. La scène de sa mort est tournée Avenue Hoche, non loin du parc Monceau. Je m’y suis souvent rendu comme si cet assassinat était réel. Signoret était tellement « naturelle » qu’on oubliait que c’était du cinéma. Le second, dans Police Python 357, de Corneau. Un polar noir, efficace, sur fond de société consumériste. Signoret joue une bourgeoise en fauteuil roulant. Elle est alcoolique, dévastée par le cocufiage de son mari. Elle veut mourir, finit par supplier Montand, qui joue le rôle d’un fic pris dans un engrenage machiavélique, de la tuer. Signoret est tout entière dans ce rôle de femme-épave, le regard injecté de whisky, sans larmes, morte déjà. Elle résume sa vie amoureuse face à la caméra. Elle ne joue pas, elle est Signoret, première actrice française oscarisée, humiliée par son mari chanteur, effacée, croit-elle, par la beauté délétère de Marilyn Monroe, maîtresse d’un soir de celui qu’elle a rencontré le 19 août 1949, à la Colombe d’Or, dans l’arrière-pays niçois, et qu’elle a aimé jusqu’au bout de la déraison.
Pari un peu fou
Signoret fut une immense actrice et une femme malheureuse. À la mort de Marilyn, pourtant, Montand l’appelle, il bafouille au téléphone, paumé. Elle l’écoute, ne raccroche pas. Elle est aussi triste que lui. Elle meurt donc le 30 septembre 1985 d’un cancer du pancréas, dans sa maison d’Autheuil-Anthouillet (27). Elle n’avait que soixante-quatre ans. Elle avait écrit en 1976 une très belle autobiographie, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pivot l’avait reçue à Apostrophes. Elle avait paru timide, presque gênée d’être sur le plateau, elle qui fut l’amie de Sartre et de Simone de Beauvoir, « compagnon » de route du PCF.
De nombreuses biographies ont été écrites sur elle, son couple, sa fille, Catherine Allégret. Nicolas d’Estienne d’Orves, écrivain et critique musical, a pourtant relevé le défi d’en ajouter une nouvelle. Enfin pas tout à fait, il a relevé un pari un peu fou : celui de se mettre dans la peau de Simone, née Kaminker, le 5 mars 1921, à Wiesbaden, et de lui donner la parole. Pari dangereux, car il était difficile alors de se montrer objectif, notamment sur le voyage qu’elle fit avec Montand dans les pays de l’Est, du 16 décembre 1956 à fin mars 1957 – la moindre des choses aurait été de boycotter l’URSS dont on connaissait les massacres de masse organisés par Staline, notamment avec Le Zéro et l’Infini, ouvrage d’Arthur Koestler, et surtout après l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars russes, le 4 novembre 1956, à Budapest. Mais pari gagné.
On finit par lire l’ouvrage comme si c’était Signoret qui l’avait écrit. On la trouve de mauvaise foi – la question sur l’URSS. On la trouve également très sévère à l’égard de Montand – homme colérique certes, mais pas si « enfantin » que cela…
On comprend mieux, cependant, qu’elle ait accepté d’être Mathilde, dans L’Armée des ombres, elle, la demi-juive qui fréquenta Jean Luchaire et d’autres collabos parisiens, histoire de vouloir réparer une errance de jeunesse. Elle apparait entière, excessive, autodestructrice, en un mot, vivante. Et également glaçante. Après la passade Marilyn, Signoret – enfin l’auteur – lance à Montand : « Tu m’as trahi avec une beauté, je vais te faire vivre avec une vieille dame… »
Nicolas d’Estienne d’Orves, Simone Signoret, histoire d’un amour, Calmann-Lévy. 400 pages.
Avec l’effondrement du cadre familial, l’enfant est devenu un dossier, un cas, une variable. Les parents et l’Éducation nationale ayant renoncé à exercer leur autorité, les écrans, les radicalités religieuses et les cultures d’importation distillent l’anomie chez les petits Français.
Il fut un temps, pas si lointain, où l’on naissait dans un monde déjà habité. Un monde dur, parfois injuste, mais structuré. L’enfant y trouvait sa place à travers la langue des parents, les récits des aînés, les gestes transmis. La verticalité n’était pas un choix : c’était une évidence. On entrait lentement dans la condition humaine, protégé d’abord, puis exposé. La filiation donnait une direction. L’école, la famille, la communauté assuraient une continuité.
Ce monde s’est effondré, et avec lui les piliers qui soutenaient l’enfance. Aujourd’hui, l’enfant moderne naît dans un univers où tout est disponible mais où rien n’est transmis. Saturé d’images, de bruit, d’objets – mais vide de repères, de silence, d’autorité. Il ne reçoit plus de monde à habiter. Il doit le fabriquer seul, en puisant dans des fragments de discours contradictoires, souvent violents.
Captures d’écran de comptes TikTok : la jeunesse française, notamment rurale, est happée par les écrans et l’anomie. DR.
On parle de mineurs isolés pour désigner les jeunes migrants sans famille. Mais ce terme devrait être élargi à toute une génération. Les enfants d’aujourd’hui, en France comme ailleurs, sont eux aussi des mineurs isolés dans leur propre pays. Mineurs, car encore en construction. Isolés, car laissés à eux-mêmes, dans une société déserte d’adultes.
La désintégration commence par le foyer. Le père, autrefois porteur de nom, de loi, de force contenue, a disparu ou s’est effacé. Il n’est plus une autorité, ni même un modèle. Il est un figurant social, parfois violent, souvent absent, presque toujours dépossédé de sa fonction symbolique. La société moderne ne sait plus quoi faire de lui – sinon l’écarter.
La mère, elle, se retrouve seule à tout porter. Elle travaille, élève, organise, console. Mais cette omniprésence n’est pas une victoire. C’est une fatigue. Elle est seule face à l’enfant, au réel, aux injonctions contradictoires. Elle aime, mais ne peut plus élever. Non parce qu’elle ne le veut pas, mais parce que le monde autour d’elle ne tient plus.
Alors on délègue. À l’école. Aux crèches. Aux écrans. Aux algorithmes. L’enfant est confié, pris en charge, mais jamais regardé dans la durée. Il devient un dossier, un cas, une variable. L’autorité est fragmentée, dispersée entre spécialistes et institutions. Et dans cette dilution, l’enfant n’appartient plus à personne.
L’école républicaine aurait pu être le dernier rempart. Elle aurait pu transmettre, structurer, incarner. Mais désarmée par la peur de l’autorité et par l’idéologie de la neutralité absolue, elle a renoncé à éduquer. Elle instruit mal, elle forme sans orienter, elle encadre sans parler au cœur. Le maître n’enseigne plus une culture. Il distribue des compétences. Il n’est plus une figure, mais un agent. Il gère des élèves devenus « publics cibles », dans des classes surchargées, avec des mots filtrés, des livres expurgés, des symboles neutralisés. La France n’est plus racontée. Elle est réduite à un règlement intérieur. Le passé est suspect, l’histoire est morcelée, la langue abîmée.
Et alors, que reste-t-il à l’enfant pour se construire ? Rien qu’un brouhaha idéologique, une jungle de récits concurrents : l’indigénisme, l’ultra-féminisme, l’islamisme culturel, l’utopie technologique. Tout est possible, sauf d’hériter. L’école moderne produit des mineurs sans mémoire.
Ce que la famille et l’école ne transmettent plus, les écrans le prennent en charge. Dès l’âge de 3 ans, parfois avant, l’enfant entre dans une matrice numérique. Il y trouve tout, sauf l’essentiel. Il s’y sent libre, mais est captif. Il croit apprendre, mais il consomme. Il pense choisir, mais il est guidé par des logiques marchandes ou idéologiques.
Le numérique n’est pas neutre. Il colonise l’imaginaire. Il efface le silence, l’ennui, l’intériorité. Il détruit la mémoire. Il crée des identités sans ancrage, des désirs sans fin. L’adolescent ne lit plus. Il scrolle. Il ne parle plus. Il réagit. Il ne rêve plus. Il copie. Et dans cette accélération constante, il perd le sens de lui-même. Il devient étranger à son propre corps, à son propre nom. Il se pense « fluide », « non binaire », « traumatisé », mais ne sait plus ce que signifie devenir adulte. Il devient un être fragmenté, hypersensible, incapable de stabilité ou de projection.
Ce contexte produit une génération fragile, anxieuse, vulnérable aux extrêmes. Beaucoup s’effondrent. D’autres explosent. La psychiatrie infantile est saturée. Les tentatives de suicide augmentent. Les automutilations deviennent banales. Le langage affectif s’efface. La solitude grandit. Pour se sentir vivant, il faut transgresser : violence, sexe, drogue, religion, radicalité. On ne cherche pas seulement un frisson : on cherche un cadre qui tienne. Ce que les institutions ne donnent plus, certains le trouvent dans des récits dangereux – mais clairs. L’islamisme, le virilisme, les communautarismes offrent des lois là où l’État ne propose plus que des valeurs molles.
Dans les cités, la jeunesse trouve une structure dans l’islam, dans la rue, dans la cause palestinienne. Ce n’est pas toujours un choix conscient. C’est une prise en charge. Quand la République ne parle plus, d’autres le font. Le ressentiment se transforme en religion. L’école est méprisée, l’État haï. La France est vue comme une mère morte ou absente.
Dans les zones rurales et les petites villes, une autre jeunesse – blanche, silencieuse, souvent masculine – s’éteint sans bruit. Elle ne brûle rien, elle ne marche pas. Elle reste chez elle, invisible. Les filles s’en vont. Les écrans occupent les jours. L’alcool ou la drogue anesthésient les soirs. Ce jeune homme ne revendique rien. Il constate qu’on ne l’a jamais regardé. Il voit son monde se dissoudre : son accent, sa religion, ses repères. Il sent qu’il est devenu suspect. Il ne comprend pas ce qu’on attend de lui. Il se tait, ou bien il se radicalise en silence.
À ce malaise diffus chez les jeunes hommes blancs s’ajoute un sentiment plus trouble, plus intime, rarement nommé : celui d’un remplacement sexuel. Ce n’est pas seulement la place sociale ou culturelle qui semble leur échapper, mais aussi la place dans l’imaginaire féminin, dans le jeu amoureux, dans la compétition de la virilité. Face à eux, des jeunes issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne apparaissent souvent plus sûrs d’eux, plus affirmés, plus frontaux dans leur rapport au monde. Ils n’ont pas honte de leur masculinité. Leur audace, parfois brutale, tranche avec la timidité d’une jeunesse blanche culpabilisée, castrée symboliquement, paralysée par la peur d’être taxée de sexisme ou de domination.
Cette asymétrie se double d’une représentation médiatique omniprésente : films, séries, publicités, tous mettent en scène des couples mixtes où l’homme est l’exotique, le dominant, le désiré – et où le jeune Blanc n’existe plus, sinon comme rival maladroit ou spectateur frustré. Pour ceux qui restent seuls, invisibles, ce n’est pas l’amour qui fait défaut : c’est la possibilité d’exister comme homme. Ce ressentiment sexuel, bien plus que les discours idéologiques, alimente une rage sourde, une humiliation silencieuse qui pourrait un jour chercher à se venger.
Ce double effondrement est aggravé par un non-dit politique majeur : l’immigration de masse, depuis quarante ans, a profondément bouleversé l’équilibre national. L’assimilation a été abandonnée. La République a remplacé l’exigence par la tolérance passive, puis par la soumission.
Ce n’est pas l’étranger ou le descendant d’immigrés qui est en faute, c’est l’État qui a cessé de transmettre la France. Le vide laissé par ce renoncement a été rempli par des contre-récits puissants : l’oumma, l’indigénisme, la haine du passé. L’école n’y peut rien. L’État n’ose plus rien. Et dans ce vide, la fracture devient culturelle, puis ethnique, puis existentielle.
Face à cela, les jeunes Français issus de souche populaire se sentent effacés. Non pas haïs, mais dépassés, remplacés, oubliés. On leur dit que leur culture n’est pas menacée, mais ils voient qu’elle n’est plus enseignée, ni respectée, ni incarnée. Leur ressentiment est croissant, confus, mais réel.
Ces deux jeunesses, que tout oppose en apparence, ont un ennemi commun : l’adulte qui a renoncé. Mais au lieu de se rejoindre, elles pourraient bientôt s’affronter. Car la colère a besoin d’une cible. Et quand l’État ne l’entend pas, la cible devient l’autre.
Tout est en place pour une guerre froide sociale et identitaire. Pas encore une guerre civile, mais une suite de conflits diffus : dans les classes, dans les quartiers, dans les esprits. Chacun enfermé dans son récit. Chacun certain d’avoir été trahi. Le ressentiment, nourri par des années de silence et de mépris, est le carburant de tous les extrémismes à venir. Il suffit d’une étincelle.
Face à ce monde en ruine douce, il reste encore des enfants debout. Pas parce qu’ils sont surdoués. Pas parce qu’ils sont protégés par leur statut social. Mais parce qu’un adulte, quelque part, a tenu debout devant eux. Un père. Une mère. Un professeur. Un prêtre. Un grand frère. Ces enfants debout ne sont pas des héros. Ce sont des survivants. Des enfants qui ont eu la chance d’être regardés, cadrés, nommés. Ce sont eux qui nous rappellent ce que peut encore un adulte : dire non, transmettre une histoire, affirmer une limite, incarner une parole.
Le problème n’est pas technique. Il est civilisationnel. Il ne s’agit pas de créer un nouveau plan pour la jeunesse, ni de multiplier les psychologues scolaires. Il s’agit de redevenir des adultes. De réapprendre à parler, à interdire, à guider. De dire : « Tu viens d’un monde plus ancien que toi. Ce monde est imparfait, mais il est à toi. Tu n’as pas à le détruire pour exister. » Il faut cesser de se cacher derrière des abstractions et des discours inclusifs. Ce qui sauve un enfant, ce n’est pas l’égalité des chances : c’est la présence incarnée.
Tant que nous continuerons à déléguer la parole, à confondre tolérance et renoncement, à abandonner les jeunes à eux-mêmes, ils seront tous, quelles que soient leur origine ou leur foi, des mineurs isolés.
Non pas étrangers par leur naissance, mais étrangers dans leur propre pays. Et ce jour-là, quand ils se lèveront – non pour construire, mais pour juger –, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.
Riyad et Islamabad ont scellé un accord militaire stipulant qu’«une attaque contre l’un des deux pays sera considérée comme une attaque contre les deux». Le Pakistan disposerait aujourd’hui de 160 à 170 ogives nucléaires.
Lorsque, le 17 septembre 2025, Islamabad et Riyad ont annoncé leur pacte de défense mutuelle, la réaction internationale a été immédiate. Derrière les formules convenues d’« amitié fraternelle » et de « coopération stratégique », l’ombre de l’arme nucléaire s’est imposée. Depuis plusieurs décennies, l’Arabie saoudite est soupçonnée d’avoir financé en partie le programme atomique pakistanais, et voici que la perspective d’un « parapluie nucléaire » s’esquisse, au moment où l’Iran affiche un enrichissement d’uranium toujours plus avancé et où Israël semble plus déterminé que jamais à refaçonner la région. Et surtout, lorsque la garantie américaine, vieille de quatre-vingts ans, perd de sa fiabilité…
Quelle effectivité ?
Mais que signifie, concrètement, un tel « parapluie » ? La question suppose d’abord d’évaluer la réalité des moyens dont dispose le Pakistan. À la différence des grandes puissances nucléaires, Islamabad dispose d’un arsenal significatif mais limité, moderne mais vulnérable, et contraint par les équilibres régionaux.
Selon les estimations récentes, le Pakistan posséderait environ 160 à 170 têtes nucléaires. Ce stock, conséquent à l’échelle régionale, repose sur plusieurs familles de vecteurs, notamment les missiles balistiques terrestres de la série Shaheen, les missiles à moyenne portée capables d’atteindre le territoire indien ou iranien, et certains vecteurs adaptés pour frapper des cibles régionales. Cette diversité confère au pays une marge de manœuvre opérationnelle, mais il n’est pas extensible à l’infini. Toute extension de la dissuasion à un allié nécessiterait de repenser l’équilibre interne structuré autour de la rivalité avec l’Inde.
Dès lors, la crédibilité d’un parapluie nucléaire ne se mesure pas uniquement au nombre de têtes disponibles ; elle dépend surtout de la posture opérationnelle : l’état de préparation des forces, le degré d’alerte du commandement, la capacité à projeter rapidement des moyens et à menacer des cibles stratégiques précises. Sans ces éléments, une promesse politique resterait vulnérable au soupçon d’ineffectivité.
Étendre la dissuasion à un tiers impose de revisiter en profondeur la doctrine pakistanaise. Elle devrait intégrer de nouveaux scénarios et préciser de nouvelles conditions d’emploi de l’arme nucléaire au profit d’un allié. Cela soulève la question de la chaîne de décision : qui, du Premier ministre, du chef d’état-major ou du commandement nucléaire, serait en droit d’autoriser une frappe destinée à protéger Riyad ? La question de la « double clé », autrement dit du partage de l’autorisation ultime de tir, serait politiquement explosive.
Au plan technique, un parapluie crédible suppose l’établissement de canaux sécurisés, comparables à ceux de l’OTAN, avec codes d’authentification et procédures d’activation conjointe. Il exigerait aussi des mesures de sécurité physique pour tout prépositionnement éventuel. Enfin, l’efficacité d’un tel dispositif ne pourrait être garantie qu’au prix d’exercices conjoints réguliers. Ces ajustements, complexes et coûteux, multiplient les vulnérabilités : fuites, erreurs humaines, tensions internes.
Les chancelleries occidentales inquiètes
À court terme, une garantie politique pourrait être donnée en quelques jours ou semaines. Elle coûterait peu sur le plan financier, mais beaucoup sur le plan diplomatique, car elle placerait immédiatement Islamabad dans la ligne de mire des chancelleries occidentales et des instances internationales.
Une posture crédible demanderait davantage de temps. Il faudrait négocier les détails techniques, installer des liaisons de commandement, organiser des exercices conjoints et éventuellement prépositionner des moyens logistiques.
Enfin, le scénario du transfert matériel (ogives ou systèmes de livraison) en Arabie saoudite serait long et coûteux. Sa mise en place nécessiterait plusieurs mois, voire plusieurs années. Le prix à payer ne se mesurerait pas seulement en dépenses logistiques ou sécuritaires, mais aussi en conséquences économiques et politiques. Comme le rappelle le Washington Institute, le coût véritable d’un parapluie nucléaire pakistanais n’est pas technique mais systémique, et réside dans le bouleversement des équilibres géopolitiques et économiques que cette décision entraînerait.
Étendre la dissuasion à Riyad signifierait non seulement partager une partie de son outil nucléaire, mais aussi assumer les conséquences d’une confrontation élargie avec l’Iran, d’une crispation accrue avec l’Inde et d’un isolement probable sur la scène internationale. Plus qu’une démonstration de puissance, ce parapluie serait une fuite en avant dont Islamabad et Riyad ne maîtriseraient pas toutes les retombées.
L’Arabie saoudite, quant à elle, peut trouver dans cette option une solution à la principale menace : l’Iran. Depuis 1979 et la révolution islamiste, les deux pays mènent une guerre larvée pour l’hégémonie du monde musulman. Pour les Saoud, le défi lancé par Khamenei est une question de légitimité et donc de survie politique. C’est au nom de principes religieux que le grand-père du prince héritier Mohamed ben Salmane a détrôné les Hachémites, pourtant issus en ligne directe de la famille du Prophète, de leur rôle de gardiens de La Mecque et de Médine. C’est en voulant se protéger que les Saoud se sont lancés dans une surenchère de radicalisation islamiste face aux mollahs, y compris en soutenant l’islamisation du Pakistan menée par le général Zia ul-Haq.
Riyad pourrait donc se réjouir de voir son rival iranien confronté à une menace directe, mais le parapluie nucléaire protège autant qu’il attire le feu. En s’adossant au Pakistan, Riyad deviendrait une cible prioritaire pour Téhéran, qui pourrait multiplier les frappes de missiles, l’usage de drones ou l’action de ses supplétifs régionaux. Un conflit régional limité risquerait de se transformer en affrontement direct, avec un Pakistan aspiré dans une guerre qui n’est pas la sienne. Les Houthis, déjà capables de menacer les installations pétrolières saoudiennes, trouveraient un prétexte pour intensifier leurs opérations. Enfin, la relation avec l’Inde, partenaire économique majeur du Golfe, serait fragilisée : New Delhi pourrait interpréter cette extension de la dissuasion pakistanaise comme une provocation.
La tentation est grande pour les deux capitales de trouver, dans l’atome pakistanais, un raccourci stratégique. Mais ce raccourci mène droit dans un labyrinthe d’incertitudes politiques, militaires, diplomatiques et économiques. La dissuasion étendue peut fonctionner lorsqu’elle repose sur une puissance dominante disposant d’un réseau d’alliances et d’une économie capable d’absorber les chocs. Le Pakistan n’a ni la marge de manœuvre économique des États-Unis, ni la capacité diplomatique de l’OTAN. Nous assistons donc à une expérimentation grandeur nature de la géopolitique d’un monde multipolaire.