Habitué aux joutes médiatiques hier, comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.
Nahel est mort à 17 ans. Il a été tué par un policier lors d’un contrôle routier. Face à lui, face à sa mère qui a perdu son enfant, comme face à tant d’autres sujets d’actualité dramatiques, nous avons perdu le sens du silence, du langage et de la dignité.
Le silence. Quelques minutes à peine après l’annonce du drame de Nanterre, les réseaux sociaux se sont enflammés. Salement. Depuis quand ne savons-nous plus faire silence ? François Mauriac écrit déjà, en 1963, dans Le Bloc-notes : « Mais il existe une cause directe de mon désenchantement, le silence a été assassiné. Il n’y a plus de silence nulle part. »
Et le langage ? C’est Harold Pinter qui en parle le mieux en évoquant cette « maladie au cœur même du langage qui transforme celui-ci en une mascarade permanente, un tissu de mensonges […]. Est-ce que la réalité demeure essentiellement hors du langage, séparée, inflexible, étrangère, impossible à décrire ? Est-il donc impossible de parvenir à une correspondance exacte et vitale entre ce qui est et la perception que nous en avons ? »
Le comparatif qui est fait entre la situation des quartiers populaires en 2005 et celle d’aujourd’hui permet de raconter tout et n’importe quoi. L’essentiel tient en deux réalités « vitales » pour la suite. Depuis vingt ans, et malgré les politiques de rénovation urbaine, la vie quotidienne y est encore plus dure, même ceux qui travaillent ne s’en sortent pas. Eux, les travailleurs essentiels, les invisibles mis momentanément en lumière lors des confinements. Leurs enfants sont les témoins d’une relégation sociale qui est un véritable poison pour notre République. L’autre poison tient en un constat logé dans les cœurs et les âmes meurtris des habitants : « Rien ne changera jamais pour nous. »
La seconde réalité est la dégradation des relations police/population, notamment avec une partie de la jeunesse des villes populaires. On le sait, mais rien n’est fait pour y répondre. On peut discuter de la réforme de 2017 du Code de sécurité intérieure (qui élargit la possibilité pour un policier de faire usage de son arme), mais les maux sont bien plus profonds.
Enfin, la dignité. Dans de tels moments de vérité, d’Annecy à Nanterre, deux catégories d’individus se révèlent. La première est constituée de ce que produisent notre humanité et nos humanités communes. On peut avoir des sensibilités différentes et des réponses divergentes sans pour autant nourrir des processus de détestation, de haine, de guerre de tous contre tous.
La seconde alimente ce cloaque et semble le faire avec délectation. Ils sont les spécialistes, aujourd’hui bien identifiés, à droite comme à gauche, d’un pourrissement permanent du débat public. Ces multirécidivistes hostiles à la complexité et au doute, à l’altérité et à la mesure, sont les agents électoraux d’un glissement accéléré vers l’abîme.
Et maintenant ? Puisque le silence n’est plus, trouvons les mots et les actes pour que la vie soit digne, pour toutes et tous.
Notre chroniqueur, à qui rien de ce qui est cinéma n’est étranger, est allé voir pour nous le film de Christopher Nolan, Oppenheimer. Il en est sorti enthousiaste — sur le fond comme sur la forme.
Le biopic, comme disent les Américains, est un genre fort difficile. Il faut que la personnalité dont vous retracez l’histoire soit assez connue pour que sa vie intéresse le grand public ; que l’acteur choisi, outre une ressemblance superficielle, soit capable de l’incarner ; et qu’il y ait assez d’événements dans la carrière du personnage pour animer un film de longueur raisonnable.
Un tour de force
Quand de surcroît vous choisissez de raconter la vie d’un scientifique ou d’un intellectuel, c’est-à-dire d’un homme dont l’existence, pour l’essentiel, se déroule entre ses tempes et off the record, cela tient du tour de force. Comment intéresser le public, qui par définition n’y comprendra rien, avec un bla-bla ésotérique et des démonstrations au tableau noir ?
L’une des solutions est de fournir une foule de détails sur son environnement, son époque, éventuellement ses liaisons — mais oui, ça baise, un savant. L’autre est d’insérer le biopic dans un récit haletant, par exemple un procès.
Nous avons tout cela dans Oppenheimer — et bien davantage.
Le tour de force de Christopher Nolan tient à sa façon de filmer et de monter son histoire : pas de fondu enchaîné, pas de plans interminables, comme dans ces films français où l’on attend, pour passer à la séquence suivante, que les personnages aient fini de déserter l’écran. Les trois heures du film (et non, ce n’est pas trop) sont pour l’essentiel un montage de séquences courtes, sans rapport l’une avec l’autre, collées l’une derrière l’autre, afin de donner une idée du processus de pensée du héros.
Car comment pense un génie ?
Pas comme nous. Il ne suit pas un raisonnement, sa pensée n’est pas rectiligne, ni continue. Elle procède par bonds. Il ne va pas de A à Z, il saute de A à Q, dérive sur tout autre chose, revient à L ou P, tisse des liens entre des éléments improbables.
Il existe une photo d’André Malraux travaillant sur son Musée imaginaire, esquissant un pas de danse au-dessus d’une collection disparate d’œuvres d’art, cherchant le lien entre une sculpture khmère (de celles qu’il était allé découper dans la jungle en 1923) et un tableau de Goya ou une photo de Brassaï. L’esprit du créateur fonctionne ainsi, par bonds — jusqu’à ce que le puzzle en trois dimensions installé dans son esprit brouillon s’organise. Oppenheimer (ou Einstein, qui apparaît dans le film, magnifiquement joué par Tom Conti, que nous n’avions pas revu depuis des lustres) opère ainsi. Et seul un génie pouvait imaginer que l’on créerait une ville entière dans une sierra déserte près de son ranch du Nouveau-Mexique, au lieu-dit Les Peupliers (en espagnol, Los Alamos). Et que là s’élaboreraient le Projet Manhattan et le Trinity Test, dont les deux villes d’Hiroshima et de Nagasaki expérimenteront les conséquences ultimes en août 1945.
Le film suppose donc un spectateur intelligent — et j’ai des doutes qu’il trouve aux États-Unis un public qui lui permette de rentrer dans ses frais (au moins 100 millions de dollars de budget, plus le coût de la promotion).
D’autant que la structure hélicoïdale du film prend pour axe essentiel le procès fait à Oppenheimer par une Commission ad hoc en 1954, à l’instigation d’un politicien ambitieux (pléonasme !), Lewis Strauss, un ancien marchand de chaussures que la politique a propulsé à un poste trop haut pour lui, auditionné en 1958 par le Sénat lors de sa nomination éventuelle par Eisenhower comme Secrétaire au Commerce (si nous en faisions autant, combien de nos ministres auraient été capables de passer un tel filtre ?) et recalé — ce qui est fort rare et n’était pas arrivé depuis 1925.
Un Oscar, vite !
Petites jalousies, coucheries, judaïté différemment vécue par les uns ou les autres, tout se mêle pour opposer le savant visionnaire et le politicien cynique. Cillian Murphy d’un côté, Robert Downey Jr de l’autre tiennent là le rôle de leur vie. Un Oscar, vite !
Le casting est de toute façon impeccable, et largement inattendu. Matt Damon en vieille baderne qui comprend peu à peu comment maîtriser ces types ingérables et qui ont tous plus ou moins flirté avec le Parti communiste, Kenneth Branagh en physicien co-découvreur (avec Einstein) de la théorie quantique, tous les seconds rôles incarnent littéralement cette bande de savants fous, de militaires désaxés et de politiciens véreux — autre pléonasme. Oppenheimer est un grand film politique, de ceux qui rendent compte d’une époque entière à travers quelques destins individuels. Un film vrai jusque dans ses aberrations : Oppenheimer, qui parle trois ou quatre langues et a étudié le sanscrit pour lire la Bhagavad-Gita dans le texte, déforme un passage du Mahabharata et au lieu de la sentence « Je suis le Temps » énonce froidement : « Je suis la Mort » — ce qui a fait sursauter les spécialistes. Mais c’est l’un des symptômes de l’hubris du savant fou, qui a froidement envisagé — c’était mathématiquement possible — que la première expérimentation de la Bombe induise une réaction en chaîne qui anéantirait la planète. Mais ainsi se gagnent les guerres, ainsi se montent les grands films.
Si l’Ukraine et la Moldavie ont obtenu le feu vert de Bruxelles pour enclencher leur processus d’adhésion, l’Albanie « mélancolique » ne cache pas sa frustration face à ce qu’elle estime être un deux poids deux mesures. Pays peu connu, il charrie une image désastreuse trois décennies après la chute de la dictature communiste.
Dans notre imaginaire hexagonal, ce petit pays montagneux des Balkans (28 748 km²) charrie une litanie de clichés qui écornent son image. Le régime totalitaire du leader Enver Hoxha (1908-1985) au pouvoir de 1945 à 1985 avait pavé l’Albanie de bunkers, une Corée du Nord en Europe orientale. D’où cette fameuse réflexion du ministre français des Affaires étrangères de Georges Pompidou, Michel Jobert, parlant de la France « transformée en Albanie mélancolique », si l’on fermait ses frontières. Au moment de la chute du communisme, parmi les pays occidentaux, seules la France, l’Italie, l’Autriche et la Suisse entretiennent des relations diplomatiques avec Tirana. Dans un registre plus burlesque, on se souvient de l’infâme Karpov, chef des services secrets de la République populaire d’Albanie, incarné par Vittorio Caprioli, ennemi de toujours de Bob Saint-Clar interprété par Jean-Paul Belmondo dans Le Magnifique.
Pendant plus de quatre décennies, ce pays a vécu l’une des plus effroyables dictatures de la planète. Le comportement paranoïaque de son dirigeant Enver Hoxha a laissé des séquelles matérielles comme l’atteste le retard économique du pays, les centaines de milliers de blockhaus disséminés sur tout le territoire. Séquelles psychologiques aussi, comme en témoignent l’endoctrinement et la propagande incessantes du régime, maintenant la population dans un état de terreur.
À la porte de l’Europe
Tirana, qui est membre du Conseil de l’Europe depuis 1995, frappe à la porte de l’UE depuis le sommet de Zagreb de 2000. En 2006, l’Albanie est devenue membre associé de l’UE après la signature d’un accord de stabilisation et d’association (ASA). Tirana, qui a formellement introduit une demande d’adhésion à l’UE en avril 2009 et s’est vu accorder le statut de pays candidat à l’adhésion à l’UE en juin 2014, n’a pas caché son irritation face à la rapidité à laquelle Bruxelles a accordé l’octroi du statut de candidat à l’entrée dans l’UE à l’Ukraine et à la Moldavie. Conséquence de son isolement forcé subi sous le régime d’Enver Hoxha, l’Albanie est, après la Moldavie, le pays le plus pauvre d’Europe. C’est aussi un pays dont les institutions démocratiques fonctionnent avec de grosses difficultés en dépit des réformes du système judiciaire amorcées en 2016 avec le soutien de l’UE. Mais les progrès sont beaucoup trop lents.
La mort du leader Hoxha en 1985 ne suscite pas un dégel, puisque son successeur Ramiz Alia poursuit la même politique. Il fallut attendre la chute du mur de Berlin, la révolution en Roumanie, des exodes massifs et l’intensification de la pression internationale, ainsi que la révolte des étudiants de Tirana en décembre 1990 pour que le multipartisme soit instauré. Ce qui n’empêche pas les communistes de se maintenir au pouvoir aux législatives de mars 1991. Ramiz Alia cède finalement son fauteuil de président en 1992 à Sali Berisha, qui ouvre l’Albanie à l’économie de marché, non sans heurts violents. L’inflation est galopante à mesure que le déficit agricole s’accroît. La privatisation et la libéralisation se traduisent par des fuites massives de capitaux. La décennie 1990 plonge le pays dans un cycle de violences, consécutives de la faillite du système bancaire et surtout de la chute des sociétés pyramidales en charge de collecter l’épargne des ménages en échange d’intérêts très rémunérateurs. En 1997, l’Italie voisine dépêche un contingent sous mandat onusien composé de 7 000 hommes, dont 930 Français. Cette mission baptisée « Alba » permet que se déroulent de nouvelles élections dont le Parti socialiste de Fatos Nano ressort vainqueur. Mais le crime organisé et les trafics prospèrent, tout comme la circulation libre de milliers d’armes.
Un État de droit encore inachevé
Si l’Albanie dispose à présent d’une législation conforme aux normes européennes, celle-ci est loin d’être appliquée. Les rapports de la Commission européenne sur Tirana se font régulièrement l’écho de la fragilité de l’État de droit et de la démocratie. L’anarchie en matière de permis de construire et du droit de propriété est monnaie courante. La propre ambassade de France en avait même été la victime à Durrës, où elle possède un terrain sur lequel s’est construit un immeuble sans aucune autorisation. L’administration publique accuse une pénurie chronique de ressources humaines et une corruption latente.
Si l’agriculture emploie encore 43 % de la population active, les statistiques peinent à intégrer la part léonine de l’économie informelle. En dépit des efforts de Tirana, les activités illégales (trafics d’êtres humains, de drogue, d’armes, de cigarettes et de voitures volées, réseaux de prostitution…) prospèrent. Selon un rapport officiel d’Europol datant de 2001, 40 % de l’héroïne distribuée en Europe était le fait de réseaux albanais. Ces gangs sont répartis dans toute l’Europe et extrêmement violents. L’ampleur des activités criminelles en Albanie, avec leurs multiples ramifications dans l’administration locale, appelle des mesures draconiennes. Les avancées périodiquement annoncées par le pouvoir consistent surtout en l’élaboration ou à l’amélioration d’un cadre législatif et réglementaire, mais dont l’application se fait attendre. Selon Transparency International, l’indice de perception de la corruption était de 2,4 sur 10 en Albanie en 2005, enregistrant une progression sensible en 2022 (3,6 sur 10).
Sur le plan militaire, l’Albanie rejoint l’OTAN en 2009 et met en œuvre un plan draconien de réduction de ses effectifs et d’adaptation de son matériel militaire. Le choix a été fait d’abandonner les forces aériennes lourdes, obsolètes et inadaptées à un pays montagneux et de petite taille, et d’investir dans des moyens de transport légers et multifonctionnels comme les hélicoptères. Les forces armées albanaises se réorientent vers des missions de protection civile et d’appui au contrôle des frontières.
De son côté, l’UE alloue chaque année entre 40 et 60 millions d’euros à Tirana dans le cadre de son programme d’assistance CARDS. Une manne conséquente, mais trop modeste au regard des besoins de développement du pays, et des transferts des immigrés albanais établis en Italie et en Grèce voisines.
Face à l’UE, la Turquie, ancienne puissance coloniale jusqu’à l’indépendance de l’Albanie en 1912, se taille la part du lion en ayant progressivement étendu ses relais d’influence sur le plan économique, politique, mais aussi religieux. Le fossé s’est donc creusé entre les Albanais et l’UE en dépit de l’existence d’un ministère chargé de l’intégration européenne. Pour beaucoup, l’UE est avant tout perçue comme une vache à lait ; sa perception auprès de la population demeure positive, mais trop influencée par les médias et les politiques locaux et l’évolution du régime des visas pour entrer dans l’espace Schengen.
Le mythe d’une « Grande Albanie islamique »
Proclamée par son chef « premier État athé du monde » en 1967, l’Albanie a retrouvé la liberté de culte en 1990 et conserve un visage confessionnel pluriel, majoritairement musulman (70 %), mais aussi orthodoxe (18 %) et catholique et les mariages extracommunautaires étaient encore monnaie courante dans la décennie 2000. Unique membre européen de l’Organisation de la Conférence islamique, Tirana vante son modèle de tolérance religieuse, tout en se rapprochant de pays musulmans adeptes d’un islam fondamentaliste pour drainer des capitaux et des investissements. Des organisations prosélytes financées par l’Arabie saoudite et le Pakistan opèrent dans le pays, mais leur sphère d’influence demeure relativement cantonnée. Mais dans l’ensemble, la société albanaise n’est pas immunisée contre le virus djihadiste comme l’atteste la présence d’Albanais, originaires d’Albanie, du Kosovo et de Macédoine du Nord dans les rangs de l’État islamique.
Si les Serbes et les Macédoniens pointent du doigt le danger d’un irrédentisme albanais s’appuyant sur la forte démographie des Albanais du Kosovo et de Macédoine du Nord, il convient de souligner les effets causés par le décalage de mentalités entre Albanais du Kosovo et Albanais séparés par deux systèmes politiques rivaux ; le titisme yougoslave et l’envérisme stalinien. Certes, sous l’occupation italienne (1939-1941), l’Albanie avait vu ses frontières étendues au détriment de ses voisins serbes et monténégrins, incluant le Kosovo. Signe fort, l’abolition en 2021 des contrôles à la frontière entre le Kosovo et l’Albanie souligne l’intégration croissante des deux territoires. L’Albanie est le seul pays de la région à ne pas avoir connu la guerre depuis 1945 et à ne pas souffrir de divisions ethniques. Le pays a du reste accueilli des centaines de milliers de réfugiés pendant la guerre du Kosovo.
Des perspectives prometteuses pourtant
Sur le plan économique, l’Albanie a enregistré une baisse significative de son taux de pauvreté, qui est passé de 25,4 % en 2002 à 14,3 % en 2012. Son PIB par habitant stagne en revanche autour de 30 % de la moyenne européenne, ce qui en fait l’un des pays les plus pauvres des Balkans. Conséquence de l’émigration massive, la population est passée en dessous de la barre des 3 millions ; les jeunes diplômés lorgnent un avenir en Europe. Cette hémorragie grève sérieusement l’avenir.
En dépit de la mauvaise santé de son économie, l’Albanie dispose de…
Jean-Paul Dubois, prix Goncourt 2019, est un romancier qui aime décrire des situations inconfortables, avec tout ce que cela nécessite de transgression sociale pour ses personnages. Dans Kennedy et moi (1996), il met en scène un écrivain raté, Simon Polaris, réduit au silence littéraire, et en prise avec le reste du monde qu’il n’a de cesse de défier à coups d’éclat provocateurs. Ce misanthrope, dans l’acception la plus classique du terme, n’en finit pas non plus de faire le dos rond contre toutes les agressions extérieures, et, de ce fait, se replie sur lui-même jusqu’au point de non-retour, sombrant dans un désœuvrement maladif. Ce roman a été adapté au cinéma en 1998 par Sam Karmann, avec Jean-Pierre Bacri, excellent dans le rôle de l’écrivain-ours, et Nicole Garcia dans celui de sa femme, par qui arrivera peut-être la rédemption.
« Hier, j’ai acheté un revolver… »
Tout commence en somme par l’achat d’un revolver, preuve que quelque chose ne va pas bien. « Hier, j’ai acheté un revolver… » C’est la première et dernière phrase du livre de Dubois, qui rappelle plus ou moins l’incipit de L’Étranger de Camus : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » Même sentiment de déréliction accaparant un personnage angoissé, qui perd ses repères et éprouve une immense « lassitude », comme le dit le texte. Simon Polaris revient chez lui avec l’arme, la range dans un tiroir, et se sent étrangement soulagé. Pourtant, sa situation demeure problématique. Sa femme Anna le trompe avec un collègue médecin. Ses enfants le méprisent, et des problèmes de dents viennent l’assaillir. Polaris devient une sorte de Job moderne, immobile et vociférateur.
Polaris ne fait rien de ses journées. « Il écoute, nous raconte Jean-Paul Dubois, le chuintement des canalisations. Le bourdonnement de l’Océan. Le raclement de ses doigts sur sa peau mal rasée. » Ou encore : « Il marche à l’étage, va et vient comme un prisonnier dans sa cellule. » Le bilan global de sa vie le déprime : « Depuis mon adolescence, je n’ai rien accompli d’utile ni de probant… » On lui a appris que c’était répréhensible. Seule tentative d’émerger, Polaris poursuit des séances de psychanalyse avec un praticien nommé Victor Kuriakhine. Bien sûr, il n’y croit pas vraiment et, d’ailleurs, il décide bientôt d’arrêter, notamment parce qu’il n’a plus assez d’argent.
La montre du président Kennedy
Au cours de leur dernière conversation, Kuriakhine raconte incidemment à Polaris l’histoire de la montre Hamilton qu’il garde soigneusement dans la poche de son pantalon. C’est une pièce historique, qu’il a achetée à Phoenix lors d’un congrès de psychiatrie, lui dit-il. « La montre que le président Kennedy portait au poignet quand il a été assassiné à Dallas. » Avec l’inscription suivante « J.F.K., Brookline, 1962. » Cette histoire fascine complètement Polaris. Il va faire une fixation sur cette montre, et n’aura plus qu’une obsession, se l’approprier : « cet objet me revient de droit, estime-t-il. Victor n’a été qu’un porteur parmi les autres, le dernier commissionnaire du destin ». C’est comme si Kennedy lui avait transmis cette montre Hamilton, pour que lui, Polaris, entre enfin dans l’histoire, c’est-à-dire, toute proportion gardée, dans la vraie vie, si l’on peut traduire ainsi sa pensée. Grâce à cette montre, qui lui échoie, après tant de propriétaires successifs, Polaris pourra « redémarrer quelque chose ». Pour parvenir à ses fins, il utilise son revolver, dont il ne s’est pas servi pour se tuer ou pour éliminer l’amant de sa femme. Il se rend chez le psychiatre, le menace avec l’arme et lui intime de lui remettre la montre. Celui-ci ne peut qu’obtempérer, lâchant simplement cet avertissement : « Maintenant, il vous faudra vivre avec le doute, monsieur Polaris […] ce doute qui vous fera vous demander si cette Hamilton a bien appartenu à Kennedy… »
Par la suite, Polaris se réconcilie progressivement avec sa femme, qu’il regrette d’avoir délaissée. Il s’aperçoit qu’elle était, comme lui, en manque d’amour, malgré un amant qu’elle finit par trouver ridicule. Polaris décide aussi, de manière inattendue, de réaménager la cave de leur maison, pour y installer son bureau. Cette descente dans les profondeurs de la caverne lui permettra, pense-t-il, de faire le point sur lui-même plus facilement. « Je veux croire que ma vie repartira de ce sous-sol », proclame Polaris avec foi. Cette parenthèse d’inaction absolue qu’il vient de vivre, il voudrait la voir déboucher sur une renaissance. Cela seul aurait un sens, pressent-il. Il a tout remis à plat, c’est le cas de le dire. Il a pris des risques. Il a traversé une crise existentielle grave, il aurait pu décider de se supprimer. Il en sort indemne et libre. Après avoir dépouillé le vieil homme, il a désormais le droit, pense-t-il, d’espérer en l’avenir, de tenter sa chance. C’est un droit toujours chèrement acquis.
Jean-Paul Dubois, Kennedy et moi. Éd. Du Seuil, 1996. Disponible en poche dans la collection « Points ».
Dans « Juniors », le film de Hugo P. Thomas en salles mercredi 26 juillet, Vanessa Paradis se retrouve confrontée au mensonge de son ado, lequel prend des proportions inquiétantes. Un teen movie un peu trop propret.
Jordan, adolescent prépubère âgé de 13 ans, vit seul avec sa môman (Vanessa Paradis en guest star), infirmière de son état très prise par heures sup et gardes de nuit, dans le morne village bien nommé Mornas, un de ces bleds qui n’ont ni les attraits de la campagne, ni les ressources de la ville : un trou rural « sans qualité », comme ils se sont multipliés en France. Patrick, son meilleur pote, ado « issu de la diversité » (manifestement déjà pubère, lui, notons-le au passage) rate une coupe au rasoir exécutée sur le crâne du jeune Jordan; d’où décision, à tout prendre, de lui faire une franche coupe au bol. Scotché aux jeux vidéos et réseaux sociaux, notre Jordan ratiboisé décide alors en bon comédien de jouer le petit cancéreux en chimiothérapie, et lance sur la Toile une cagnotte en direction de la Corée (« please help me to stay in Life ! »), combine idiote destinée à se racheter la PlayStation qui vient de rendre l’âme. Mais, addiction aux réseaux oblige, tout le collège est vite au courant de l’affreuse maladie de leur camarade : par solidarité, les copains de la classe se tondent même la boule à zéro, et s’organisent en « meute des chauves » ; Jordan devient le héros à plaindre, à aimer, à soutenir ; tous les passe-droits lui sont permis : double ration à la cantine, personnel aux petits soins… Une vraie star ! Plus moyen de reculer : pris au piège de son mensonge avec la complicité passive de son binôme Patrick, il imite la signature de sa mère, s’invente des absences à l’école pour cause de traitement à l’hôpital, etc.
Conseil de discipline
Bref, on s’en doute, le pot-au-rose finit par être découvert. Tout est remis à plat, le mur du « Ca m’suffit » au décor plouc à souhait de chez môman est tagué, les potes trahis règlent leur compte à Jordan à l’occasion de la fête masquée d’Halloween (fête française comme chacun sait), le coupable est viré du collège par le conseil de discipline, opportunité pour Vanessa Paradis d’ouvrir enfin le bec après le rôle quasi-muet qui a été le sien depuis le début de Juniors : longue séquence monologuée où môman fait amende honorable quant à ses propres défaillances éducatives…
Passons rapidement sur les comparses: Fanny une improbable adolescente au physique précoce, courtisée par le mioche Jordan et qui, elle, n’aspire qu’ à faire carrière dans la musique métal – d’où certainement sa langue peu châtiée ( « ça me casse les couilles », dit-elle à un moment) ; une prof de dessin enceinte jusqu’aux dents qui parle de Marcel Duchamp à cette classe d’ignares absolus ; un burlesque entraîneur de self-défense qui, pour le coup, suscite à lui seul les seules (courtes) scènes du film qui soient irrésistiblement drôles. La séquence d’explication finale entre mère et fils devant leur assiette d’œufs brouillés manque sacrément de mordant. Tout autant que la réconciliation du « couple » Jordan/ Patrick (observons avec quelle singulière pruderie le film esquive de bout en bout la dimension libidinale qui circule entre tous ces garçons et filles chargés d’hormones – ici, ils ont des désirs, mais pas de sexualité).
Après avoir exploré dans Willy 1er (2016) les affres du senior solitaire, le réalisateur Hugo Thomas donne dans le teen movie allègre et propret. Pourquoi pas ? Comédie gentillette au scénario paresseux et à la tonalité passablement insipide, Juniors mérite d’être mis en parallèle avec une réalité sociologique moins édulcorée, plus tristement réaliste et infiniment plus consternante : celle-là même qui, quelques semaines à peine avant la sortie du film, a mis la France à feu et à sang, jusque dans les patelins paumés du type Mormas… Certains gamins de notre beau pays bigarré ne sont pas seulement roublards et décérébrés. On a vu qu’ils peuvent être bien pires.
Juniors. Film de Hugo P. Thomas. France, couleur, 2022. Avec Vanessa Paradis, Ewan Bourdelles. Durée : 1h35. En salles le 26 juillet 2023.
Alors que Benjamin Netanyahu est attendu en Amérique à l’automne, Joe Biden a reçu le président israélien, Isaac Herzog, mardi, à la Maison Blanche. Il a tenté de resserrer un lien un peu distendu. Le lendemain, M. Herzog a été ovationné au Congrès, où des élus démocrates ont boycotté son discours.
Les relations diplomatiques sont un art qui n’est pas étranger à la gymnastique et qui requiert souvent une sacrée souplesse, fermeté des appuis et élasticité des adducteurs. Une preuve supplémentaire nous en a été donnée récemment avec la réception du président israélien, Isaac Herzog, par Joe Biden à la Maison blanche.
L’exercice n’était pas aisé. À cette occasion il fallait mettre en scène la « relation indestructible » avec Israël, pour donner des gages à l’État hébreu, tout en assumant les tensions avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu afin de donner également des gages à une partie de l’électorat démocrate. Ce dernier s’inquiète moins de la réforme de la justice voulue par le Premier ministre israélien, qu’il n’est travaillé par un antisémitisme latent. Cet électorat démocrate soutient en effet le mouvement woke, lequel est lié à des positions pro-palestiniennes qui rendent parfois ardue la distinction entre antisémitisme et antisionisme. Un antisionisme présenté comme « le droit à critiquer la politique du gouvernement israélien » alors qu’il ne constitue qu’une façon de refuser le droit à l’existence de l’État juif. Mais, comme il est la version socialement acceptable, à gauche, de l’antisémitisme le plus crasse, il a droit de cité dans le système politique. La virulence de ses partisans oblige toutefois à la prudence. Notons au passage qu’il n’y a que pour Israël que l’on a inventé un terme générique pour qualifier le fait d’en critiquer le gouvernement. Une particularité intéressante.
L’art de la synthèse démocrate
Dans ce contexte, il est difficile pour Joe Biden de revendiquer à la fois la proximité avec Israël et avec Black Lives Matter. Difficile mais pas impossible : la politique c’est aussi l’art des synthèses improbables. Pourtant, les Juifs furent des militants engagés de l’égalité des droits et se sont battus aux côtés de Martin Luther King dans le cadre du mouvement pour les droits civiques. Mais au fur et à mesure que les mouvements racialistes noirs désignaient le Blanc comme l’ennemi et l’islam comme référence commune au-delà de l’ethnie, la question juive s’est vite posée à nouveau. Black Lives Matter développe ainsi dans son discours politique, une rhétorique antisémite classique parlant de génocide du peuple palestinien, d’apartheid… La position du président américain n’est donc pas des plus confortables. Cependant, en faisant le choix de recevoir le président d’Israël et non le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, Joe Biden a envoyé un message subtil de distinction entre le pays et son dirigeant.
La situation en Israël s’est beaucoup tendue autour de la réforme de la justice voulue par Benjamin Netanyahou. Cette réforme a amené une partie de la communauté internationale à faire un procès en recul démocratique à l’état hébreu. Pour faire oublier certaines paroles dures prononcées à cette occasion, le vote d’une résolution symbolique au Congrès des États-Unis a eu lieu la veille de la réception d’Isaac Herzog. Celle-ci déclarait solennellement qu’ « Israël n’est pas un pays raciste et que les États-Unis resteront toujours son allié loyal et solidaire ». Le problème c’est que lorsque l’on a autant besoin de réaffirmer et de mettre en scène son amitié, c’est souvent parce qu’il y a eu beaucoup d’eau dans le gaz dans la période qui a précédé.
Soumettre la Cour suprême
Revenons donc sur la réforme voulue par le Premier ministre israélien. Cette réforme n’a pas eu que des répercussions à l’international, elle a aussi mis le feu aux poudres en Israël, au point que l’on ne sait plus trop si elle va aboutir. Le texte visait à soumettre le pouvoir judiciaire au pouvoir politique et législatif. En effet, Israël est un pays de tradition anglo-saxonne, sans constitution écrite. La Cour suprême est donc la seule gardienne des lois fondamentales. Elle est à la fois le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel. Elle a donc la capacité de censurer les lois votées par le Parlement et le pouvoir politique dénonce donc régulièrement le « gouvernement des juges » quand il est contrarié. La réforme envisagée permettait donc aux députés d’imposer une loi qu’ils auraient votée, même en cas de censure par la Cour. S’ils parvenaient à obtenir la majorité à la Knesset, soit 61 voix, la loi serait promulguée malgré l’opposition de la Cour suprême. L’objet était aussi de changer le comité de nomination des juges en le plaçant sous contrôle politique. Sur les neuf membres composant cette institution, six auraient dû être des ministres ou des députés contre seulement trois magistrats.
Les opposants à cette réforme voyaient en elle un recul démocratique. En abaissant le principal contre-pouvoir existant face au parlement, elle donnait tout le pouvoir aux élus donc à la sphère politique, détruisant le subtil équilibre démocratique garant d’une forme de permanence juridique. D’ailleurs, pendant trois mois, des manifestations rassemblant des centaines de milliers de personnes ont eu lieu. Ce qui montre que dans ce petit pays comptant moins de 10 millions d’habitants, la réforme a suscité une forte réaction citoyenne. C’est parce qu’il est opposé à cette réforme et qu’il l’a fait savoir officiellement, soulignant que « les valeurs démocratiques ont toujours été et doivent rester une caractéristique des relations entre les États-Unis et Israël » que Joe Biden refuse de recevoir Benjamin Netanyahu. En recevant néanmoins le président de la République d’Israël, Joe Biden met en scène son soutien sans compromettre son positionnement politique. Il joue symboliquement le pays dans sa permanence en traitant son gouvernement comme un phénomène conjoncturel.
Tous contre l’Iran
C’est un choix intelligent. Et Dominique Moïsi, géopolitologue, l’explique fort bien. En effet, aucun des deux partenaires ne souhaite de rupture. Israël n’a pas d’alliés plus sûrs que les Américains car du fait de la stabilité de l’État hébreu, ceux-ci considèrent leur lien avec Israël comme une carte maîtresse dans cette région du monde. D’ailleurs, Joe Biden n’est jamais revenu sur l’installation de l’ambassade américaine à Jérusalem qui avait fait pourtant beaucoup parler. Si du côté d’Israël, on entretient la relation avec les États-Unis, la donne a néanmoins changé car la géopolitique de la région a évolué. Un certain pragmatisme l’amène à s’intéresser à ceux qui sont très présents dans son environnement au Moyen-Orient, notamment les Russes et les Chinois. L’État hébreu a intérêt à diversifier ses alliances et à rester très concret dans ses attentes. D’autant que se sentant moins menacé, il est aujourd’hui moins dépendant du grand frère américain : la signature des accords d’Abraham est vue comme une marque d’acceptation d’Israël dans la région par un certain nombre de pays arabes. Il faut dire que la question palestinienne n’est plus au centre des préoccupations ou de la propagande des pays arabes. Ils sont aujourd’hui plus soucieux de la puissance et des ambitions iraniennes, surtout de sa maîtrise du nucléaire, qu’ils n’entretiennent le rêve de voir se créer un État palestinien. C’est le cas de pays aussi divers que le Soudan, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, le Maroc… Des États-Unis à la Chine en passant par la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Union européenne et la Russie, personne ne souhaite un Iran nucléaire car cela entrainerait une course aux armements nucléaires dans toute la région. Autant s’éclairer au flambeau pour aller visiter une usine pyrotechnique.
Du côté de l’Iran, en revanche, pas question de renoncer à l’arme nucléaire. Les mollahs ont pensé que le renversement de Saddam Hussein en 2003 était lié au fait que celui-ci était trop vulnérable. L’arme nucléaire est donc vue comme une marque de puissance mais aussi comme une garantie, un outil de chantage lié à la survie du régime. Les Iraniens continuant de jouer un rôle déstabilisateur dans la région (à travers leur présence en Irak, aux côtés du Hezbollah au Liban, dans la guerre au Yémen et en Syrie), les États-Unis ne peuvent se priver de l’alliance israélienne. Les tensions autour de la question de la réforme de la Justice n’ont jamais changé cet état de fait. Il était donc logique que la raison l’emporte et qu’Israël et les États-Unis mettent en scène cette réconciliation qu’aucune véritable rupture n’avait précédée.
Notamment, en ne nommant aucun ministre de droite lors du remaniement, le progressiste Emmanuel Macron se refuse à prendre le tournant politique dont la France aurait cruellement besoin concernant l’insécurité et l’immigration. «J’ai choisi la continuité et l’efficacité pour les temps qui viennent», a déclaré un président qui ne rassure pas, ce matin, avant le Conseil des ministres. Les émeutes? Craignant une fragmentation et la division de la nation – pourtant déjà observables – le président estime qu’il y a «un besoin d’autorité», de «respect» et «d’espérance légitime»… Coup de gueule.
On croit pouvoir tout expliquer. Il y aurait, pour chacune des crises que nous traversons, pour toutes ces difficultés inextricables que rencontre notre pays, des explications que les médias vont, tels des assoiffés se précipitant vers l’oasis, quémander auprès de doctes experts, sociologues, professeurs ou penseurs de tout poil. Mais, aucun sachant n’évoque la possibilité d’une absurdité essentielle, d’une irrationalité tragique, de l’incontrôlable irruption, dans notre monde, d’une lame de fond inexplicable, mystérieuse et suicidaire. Et pourtant, tous les voyants de l’absurdie la plus totale sont allumés ! Les pires décisions sont prises par nos gouvernants, les unes après les autres. Ceci, malgré les conséquences toujours plus dévastatrices qui en découlent.
La nation en danger
Depuis des décennies, des voix s’élèvent, pourtant, pour prédire le chaos qui se fait désormais de plus en plus évident dans notre société. Mais rien n’y fait. On a beau crier « attention ! au bout de ce chemin c’est le précipice », au contraire, le pas vers l’abime s’accélère.
Les exemples abondent de ces décisions suicidaires (ou d’absence de décisions) pour notre cohésion sociale, pour notre paix intérieure comme pour cette identité culturelle qui est l’essence même de l’existence d’une nation, de ce manque de vision et de courage, de cet absurde renoncement à tout ce qui pourrait permettre d’inverser le cours de notre destin. Citons-en quelques-uns parmi d’innombrables. Dans notre pays, 255 véhicules incendiés en une nuit de 14 juillet, cela ne provoque pas de réaction furieuse du pays, et encore moins du gouvernement qui parle de « nuit calme ». Dans notre pays, une manifestation interdite par une décision légale voit se pavaner avec leur écharpe tricolore des députés censés porter les valeurs de respect aux institutions. Cela n’entraîne aucune réaction sérieuse des pouvoirs publics. Des nuits d’émeutes et de destructions totalement incontrôlées ravagent le pays sans qu’aucune décision forte ne soit prise, ni qu’aucune parole forte ne soit prononcée, notamment par le président de la République. Tout le petit monde gouvernemental fait le dos rond en attendant que cela se passe. Un délinquant étranger, frappé d’une OQTF, peut s’appuyer sur une loi européenne pour exiger d’être marié avec une Française, se plaint du refus du courageux maire de Béziers, et a le culot légal de porter plainte auprès de la justice française. N’y a-t-il pas de quoi se taper la tête contre les murs ?
Le scandale des faux étudiants
Des milliers de jeunes Africains ou Maghrébins utilisent l’immigration étudiante pour simplement venir s’installer en France, bénéficiant d’inscriptions quasi gratuites dans nos universités, de l’allocation logement et bien sûr de tous les avantages sociaux que leur procure cette situation. S’ils ne sont pas assidus à leurs études ils pourront sans problème doubler ou tripler chacune de leurs années, sans que personne s’en formalise. Par ailleurs, nombre d’universités, par pure idéologie sans-frontièriste, n’ont pas appliqué les augmentations de frais d’inscription qui avaient été décidées au niveau national, soit 115 universités et 44 écoles et instituts pour 2023/2024. Qui paie les frais malgré tout ? Cela n’est pas difficile à imaginer.
Nous sommes dans un pays où le ministre de l’Éducation Nationale sortant, militant wokiste affirmé, est à l’évidence plus préoccupé par des objectifs sociaux et militants, visant à « réduire les inégalités», que par la promotion d’un enseignement véritablement exigeant. À l’évidence, et c’est un autre des scandales incompréhensibles du monde dans lequel nous vivons, Pap Ndiaye avait été nommé uniquement pour donner de la « diversité » au gouvernement. Exactement comme ce fut le cas pour Najat Vallaud-Belkacem à l’époque de François Hollande. Quant à la compétence réelle, à l’épaisseur culturelle et intellectuelle, à la connaissance et à l’attachement aux valeurs qui fondent notre pays, ne devraient-elles pas être les premières qualités d’un ministre en charge d’une mission aussi vitale pour notre avenir ?
La peur de n’avoir plus que des Français “de papier”
Le flux migratoire légal comme illégal est totalement incontrôlé, et il est à craindre qu’il va bientôt changer notre civilisation comme nos institutions dès que ces nouveaux Français deviendront majoritaires. C’est un phénomène inéluctable, qu’a bien décrit Eric Zemmour (et Jean-Marie Le Pen, avant lui), et qui est purement arithmétique. Pour que cela ne se produise pas, il faudrait une volonté réelle et exigeante d’assimilation à nos valeurs, que personne n’ose plus affirmer. Pourquoi ? C’est un autre des tragiques mystères qui échappe à toute rationalité.
Commencé sous l’ère Mitterrand, premier démagogue et manipulateur en chef, l’abandon de notre destin aux vents de la démagogie ou de la lâcheté semble bien aller s’accélérant. Après le fainéant Chirac, le fort en gueule mais pas en actes Sarkozy, puis l’incroyable et improbable élection de François Hollande, Monsieur « ça tiendra bien jusqu’aux prochaines élections », l’arrivée d’Emmanuel Macron semble rendre encore plus évidente l’accélération du naufrage. Telle l’expansion de l’univers, dont la vitesse croît avec le temps, sommes-nous, comme le cosmos, poussés par une énergie noire incontrôlable et inconnue ? La question se pose.
L’Élysée se donne beaucoup de peine, depuis plusieurs jours, pour minimiser ce qui est d’ordinaire de nature à relancer un mandat présidentiel – le remaniement ministériel. Le président de la République peut être satisfait : les annonces effectuées hier soir dépassent toutes les espérances ! Causeur passe en revue les troupes. Le Conseil des ministres se tient finalement ce vendredi, à 11 heures, mais personne ne sait où Emmanuel Macron va.
Il y a eu, dans l’histoire récente, des remaniements ministériels plus ou moins marquants. Ce fut le cas en juillet 2020, lorsque le duo exécutif sortit de son chapeau Eric Dupond-Moretti et Roselyne Bachelot. D’autres qui ont exprimé des virages politiques nets, par exemple fin 2010 quand MM. Sarkozy et Fillon constituèrent une équipe débarrassée des ministres centristes et d’ouverture. Aurore Bergé promue ministre chargée des Solidarités, Gabriel Attal remplaçant Pap Ndiaye, Aurélien Rousseau ministre de la Santé, Marlène Schiappa destituée et surtout, Elisabeth Borne maintenue à Matignon : le remaniement 2023 ne restera pas dans les annales de l’exercice.
L’audace devenue erreur de casting
Ces clins d’œil faits à une certaine gauche, en pointant du doigt la chaîne CNews, étaient l’indice d’une sortie de route prochaine. Pap Ndiaye avait été nommé en mai 2022 ministre de l’Éducation nationale, en pleine bataille des législatives. Un peu, aussi, pour brouiller les pistes, en plein match Macron-Mélenchon, tant le nouveau ministre d’alors semblait compatible avec le virage indigéniste de l’extrême gauche. M. Mélenchon avait d’ailleurs un temps salué « une audace ». Un an s’est écoulé et l’audace s’est transformée en erreur de casting. Certes, on ne retiendra pas de bourde monumentale qui restera dans toutes les mémoires, mais Pap Ndiaye n’aura jamais occupé totalement l’espace et n’aura jamais fait preuve d’une grande assurance. Quel avenir la politique peut-elle bien réserver à ce wokiste à temps partiel ? On sait que la Nupes aime à recycler quelques figures estampillées LREM, comme le député Aurélien Taché…
Aujourd’hui, Pap Ndiaye est remplacé par Gabriel Attal, 34 ans et déjà cacique de la macronie (il avait adhéré à En marche dès 2016, et ses bulletins de notes exemplaires sont unanimement vantés dans la presse ce matin). Le voilà récompensé après des années de bons et loyaux services comme secrétaire d’État. Sur Twitter, il a déjà pris un tacle, tout en finesse, de Philippe de Villiers.
La nomination de Gabriel Attal pour remplacer Pap Ndiaye est la catastrophe de l'été : c'est le passage du woke au LGBT. Attal est un militant, un membre éminent du groupe Bilderberg partisan de la rééducation nationale. Macron a rendu son devoir de vacances : changer de société.… https://t.co/huV9xFqCsi
— Philippe de Villiers (@PhdeVilliers) July 20, 2023
Aurore Bergé, meilleur espoir gaguesque du gouvernement
Macron récompense un ex-PS à travers Gabriel Attal, et une ex-LR à travers Aurore Bergé. La présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale devient donc ministre des Solidarités et des Familles en remplacement de Jean-Christophe Combe. L’aboutissement de toute une vie pour la jeune intrigante (36 ans), qui n’aura pas hésité à virer casaque au gré de ses ambitions (entre 2012 et 2017, elle aura soutenu tour à tour François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, en l’espace de quelques années, avant de rejoindre la macronie). En 2020, sa capacité à agacer en haut lieu lui avait coûté une entrée au gouvernement, ce qui aurait donné lieu à une scène lunaire lors du pot d’arrivée de Jean Castex à Matignon. Partie en courant dans le parc et revenue les yeux rougis par les larmes, on l’aurait entendue dire « J’ai tout donné à la Macronie ! » tout au long de la soirée. Le potentiel gaguesque que le gouvernement perd avec le départ de Marlène Schiappa, il le gagne peut-être avec l’arrivée d’Aurore Bergé.
Car le clap de fin a sonné pour la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire. Membre du gouvernement presque sans interruption depuis 2017, Marlène Schiappa vient de tomber, payant le prix d’une communication tapageuse sur fond d’affaire du fonds Marianne. La Une de Playboy, jugée « inappropriée » par Elisabeth Borne fut certainement la goutte d’eau ; celle faite pour Causeur, plus habillée, quelques semaines plus tard, n’a pas suffi à corriger le tir. D’abord promotrice de « politiques publiques d’égalité femmes hommes » à géographie variable (La journaliste Françoise Laborde lui avait alors rappelé quelques grands principes), Marlène Schiappa avait fini par devenir l’une des figures – avec Jean-Michel Blanquer – du camp « laïcard » au sein de la macronie. Avec son côté étudiante ayant préparé le concours de Sciences Po à coup de citations de Spiderman, Schiappa aura joué le rôle de Madame Sans-Gêne, rôle quasiment obligatoire dans chaque gouvernement depuis Ségolène Royal, donnant l’impression de jouer plus souvent pour sa pomme que pour l’équipe gouvernementale.
L’impopularité d’Elisabeth Borne, sa meilleure assurance-vie
La véritable information, c’est assurément le maintien d’Elisabeth Borne. Entre le fantastique Emmanuel Macron, capable de s’enfiler une bière cul-sec devant les joueurs du Stade Toulousain et l’austère Borne accro aux graines, il y a eu presque tout de suite une incompatibilité d’idiosyncrasies entre les deux têtes de l’exécutif, et il a brui très vite des rumeurs d’un remplacement imminent. Mais aujourd’hui, Elisabeth Borne est considérée par 56% des Français comme une « mauvaise Première ministre » (sondage Elabe) et c’est peut-être sa meilleure assurance-vie. Depuis le houleux printemps social, elle concentre en effet sur elle une bonne partie du mécontentement des Français, ce qui atténue la charge portée sur les seules épaules présidentielles. Depuis six ans, Emmanuel Macron a su utiliser ses ministres comme paratonnerre à mécontentement. Quant aux têtes qui dépassent, il a su s’en débarrasser bien vite. Bayrou ? Liquidé au bout de quelques semaines. Le Drian ? Rangé pendant cinq ans aux Affaires étrangères, astreint à un quasi-devoir de réserve. Edouard Philippe ? Chassé de Matignon dès que sa côte de popularité a dépassé celle du président. Ces dernières années, la seule personnalité un peu clinquante que l’exécutif a débauchée reste finalement le garde des Sceaux Dupond-Moretti !
Le successeur de Macron n’est pas entré au gouvernement aujourd’hui
À mesure que l’on s’enfoncera dans ce quinquennat, Emmanuel Macron ressemblera de plus en plus au François Mitterrand des dernières années, dans l’incapacité de se représenter – mais sans avoir 77 ans et sans cancer de la prostate. Il pourra, comme l’avait fait le Charentais, s’amuser à favoriser tel potentiel successeur, à savonner la planche de tel autre. L’héritier est-il déjà dans l’actuel gouvernement ? Pas sûr. En 2014, François Hollande avait eu la mauvaise idée de faire entrer un jeune ministre des Finances qui allait lui coûter sa perte. Ce n’est probablement pas en cet été 2023 qu’Emmanuel Macron a fait entrer dans le gouvernement par mégarde celui qui lui prendra sa place dans quatre ans.
Brendan O’Neill est rédacteur politique en chef de Spiked, magazine britannique libertarien en ligne. Le titre du livre qu’il vient de publier parle, pour ainsi dire, de lui-même. Michèle Tribalat l’a lu.
Brendan O’Neill n’aime pas l’expression « culture de l’annulation » (cancel culture). Il la trouve trop euphémisante pour ce qu’elle désigne. Cela revient à qualifier l’inquisition de « gestion de l’information ». Il nous faut de nouveaux termes pour analyser cette post-science, cette post-vérité, cette furie que déchaîne des idées qui, il y a seulement sept ans, faisaient l’unanimité. « Nous vivons une guerre contre l’hérésie », sans piloris et sans bûchers, mais avec des vies et des carrières gâchées. L’expression « her penis », littéralement intraduisible en français, est le meilleur exemple de l’irrationalité et de la pente autoritaire du moment.
Her penis
Ces deux mots sont devenus d’usage courant dans la presse (par exemple dans The Times, la BBC) et les réseaux sociaux. En 2018, le Daily Mirror parlait ainsi d’une « femme » qui décida de garder son pénis puis découvrit qu’elle était lesbienne ! Sur recommandation du National Police Chiefs Council, la police enregistre plutôt le genre déclaré que le sexe, y compris en cas de viol. Elle se plie ainsi à une forme d’autoritarisme culturel exigeant la primauté des illusions subjectives des gens sur la vérité objective, avec le risque de fausser les statistiques sur le viol commis par des hommes sur des femmes obligées de flatter les fantaisies de leurs agresseurs. Elle détruit le sens du viol pourtant encore inscrit dans la loi anglaise. C’est la version moderne de Big Brother de 1984. De grands groupes se plient à la novlangue. Ainsi, la BBC encourage ses employés à ajouter le pronom souhaité à leur signature. Des banques aussi. Dans le domaine médical on parle maintenant de « personnes qui accouchent » et de « personnes enceintes ». L’expression « sexe assigné à la naissance » change la manière de considérer la création de la vie. Le genre, mais aussi le sexe seraient de l’ordre du ressenti. Il serait impossible de déduire le sexe d’un enfant à la naissance d’après ses organes sexuels. En Irlande, une loi votée en 2015 autorise même les trans à changer ce qui est inscrit sur leur bulletin de naissance.
Le paradoxe est que l’essentiel de la détestation, du mépris de l’autre vient aujourd’hui de ceux qui disent s’opposer à la haine. L’identité est devenue un costume
Pour Brendan O’Neill, le premier devoir d’un hérétique est de résister aux injonctions linguistiques et de refuser de dire des choses aussi abominables que « her penis ».
Nouvelles chasses aux sorcières
En Europe, les changements climatiques furent souvent attribués aux sorcières. Ce fut le cas pendant le petit âge glaciaire (1300-1850). Des milliers de femmes et quelques hommes furent brûlés. Aujourd’hui, la chasse aux sorcières pour raison climatique se porte bien, mais sans pendaison ni bûcher. On ne les appelle plus des sorcières mais des criminels et le changement climatique a remplacé les vents contraires dont on les accusait d’être responsables. Dans le New York Times, Paul Krugman a comparé le déni du changement climatique à une forme de trahison de la planète. Le Kennedy Institute of Ethics de l’Université de Georgetown suggère que l’on fasse des exceptions à la liberté d’expression pour des points de vue que l’on peut considérer comme destructifs et maléfiques (evil). Le Guardian, rendant compte en 2021 du 6ème rapport du GIEC parle de « verdict sur les crimes climatiques contre l’humanité » : « We are guilty as hell ». C’est une forme de collectivisation de la chasse aux sorcières. Les sermons de type religieux sur le climat sont redevenus à la mode. L’Institute for Public Policy Research encourage la création d’un « nouveau sens commun ». Le programme consiste à changer le langage pour reformater les pensées et nous amener à adopter un état d’esprit apocalyptique. Joël Kotkin parle du syndrome « le débat est clos ». En fait, l’orthodoxie scientifique sur le changement climatique révèle les obsessions morales et politiques des nouvelles élites, leur perte de foi dans la modernité et leur volonté de réduire l’empreinte humaine. La tache de l’hérétique est de se méfier de l’orthodoxie et du consensus, au risque de blasphémer. Comme l’a écrit Bernard Shaw, « toutes les grandes vérités commencent par être des blasphèmes ».
La métaphore du Covid
Dès le départ, le covid fut une maladie physique et une métaphore, un symbole, une allégorie pour ce que les élites voyaient comme les maladies de la société. Il devint la métaphore de la nature toxique de la société moderne dont seul un contrôle social sévère pourrait venir à bout. Le professeur Michael T. Klare parla même de planète vengeresse. Soit une sécularisation de l’idée de colère divine, la nature remplaçant Dieu.
Le covid fut aussi la métaphore du populisme, vu comme la maladie de la démocratie.
On a donc des penseurs laïques qui, aujourd’hui, prient pour qu’une épidémie satisfasse leur demande de retour à la normalité politique, punisse ceux qui font fi des avis des experts et ramène ces experts sur le devant de la scène. Les auteurs de la grande déclaration Barrington furent traités de « marchands de doutes », comme s’il fallait protéger la population du doute. Le Covid fut aussi la métaphore des dangers supposés de la liberté humaine. Nous sommes ainsi vus comme des créatures toxiques à contrôler pour éviter que ne se propagent des croyances nuisibles et la pollution des comportements. L’hérétique a le devoir de résister et de défier cette calomnie.
La censure islamique
Il est difficile de parler positivement du soulèvement féministe en Iran en 2022 sans être accusé d’islamophobie, terme dont le contenu a été défini, en 1997, par le think tank Runnymede. L’islamophobie serait le fait de penser que l’islam est inférieur à l’Occident, irrationnel, sexiste alors que la bonne attitude consiste à le déclarer différent et digne d’un égal respect. Définition à laquelle on se réfère encore aujourd’hui au Royaume-Uni. L’islamophobie est devenue un euphémisme pour désigner le relativisme moral. Ce qui explique sans doute la faiblesse de la réponse en Occident à la révolte iranienne. Rien à voir avec l’écho donné au meurtre de George Floyd ! Le All-Party Parliamentary Group sur l’islam définit l’islamophobie comme un type de racisme visant des expressions de la musulmanité ou perçues comme telles. Il appela à poser des limites appropriées à la liberté d’expression et proposa un ensemble de tests permettant d’établir si la critique est légitime.
Gare aux réflexions humoristiques jugées islamophobes. Elles peuvent vous coûter votre emploi, sans parler des désinvitations et autres punitions sociales. Même Trevor Phillips, l’ancien président de l’EHRC (Equality and Human Rights Commission), fut suspendu du Labour Party pour avoir déclaré qu’une minorité substantielle de musulmans ressentait une sympathie pour les tueurs de Charlie Hebdo. En 2015, une enquête montra pourtant que c’était vrai pour 10% des Britanniques musulmans âgés de 18 à 34 ans. La chasse à l’islamophobie touche aussi l’art et la littérature. Comme l’écrit Brendan O’Neill, le permettre, c’est donner un droit de veto aux islamistes sur la vie culturelle de la nation. La police du contre-terrorisme est elle même touchée par une pudeur verbale par crainte d’être traitée de racisme. Cette pudeur ne fut pas que verbale dans l’affaire des jeunes filles violées révélée par Maggie Oliver. La censure qui s’exerce ainsi conduit à se détourner de la réalité et à décourager toute discussion honnête des problèmes. Elle incite à se mentir à soi-même. Pour Brendan O’Neill, il est temps de se rendre comte que la fatwa contre Salman Rushdie a gagné. Elle a été internalisée de manière perverse par la société occidentale, à la joie évidente des ayatollahs : « nous sommes devenus l’avant-poste complaisant de leur régime de censure islamique ».
L’ascension des cochons
« Gammon » est devenu l’insulte à la mode à gauche à destination de ceux qui ruineraient la vie politique du pays, en gros, les mâles blancs d’un certain âge de la classe ouvrière qui ont voté pour le Brexit. Gammon désigne leur face rougeaude (couleur que prend un rôti de porc bouilli) due à l’excès de bière. Cette référence au cochon pour désigner la populace inculte n’est pas nouvelle en Angleterre. On la trouvait chez Burke dans ses Réflexions sur la révolution en France de 1790. Le Brexit n’a fait que réactiver cette cochonphobie de l’establishment. Elle dénote une profonde méfiance à l’égard des gens ordinaires, ceux que Richard Dawkins a désigné en juin 2016 comme « les ignares qui ne devraient pas avoir leur mot à dire sur notre appartenance à l’UE ». Sous couvert d’attaque du populisme, c’est la démocratie qui est visée. On détruit ainsi l’idée selon laquelle, gammon ou pas, l’individu a suffisamment de raison pour porter des jugements et résister au mensonge. La démocratie ne se prouve pas par ses résultats mais par la possibilité de faire un choix, laquelle donne un sens à la liberté individuelle et fait, de la place où l’on vit, un monde qu’il est possible de façonner, de posséder et de gouverner. « Cochons, continuez de vous battre pour les droits du porc », tel est le conseil que donne Brendan O’Neill aux gammons.
La honte d’être blanc
À l’été 2020, le meurtre de George Floyd fut le moment important de la haine de soi chez les blancs, une auto-humiliation qui revint à collectiviser la culpabilité pour la mort de George Floyd. Le parallèle avec le covid fut vite fait, ce qui revenait à faire du racisme un problème de santé publique.
Le moment Floyd fut aussi celui de l’enracinement des politiques identitaires qui firent de la formation à la diversité une véritable industrie, notamment sur les lieux de travail.
Ce racialisme demande l’expiation permanente des blancs pour réduire la peine des noirs. Le racisme devient un péché originel héréditaire se transmettant au fil des générations. Cet antiracisme moderne est une révolution culturelle contre l’ère des droits civiques. C’est une autre façon de réhabiliter l’imaginaire raciste, un assaut contre les Lumières et la modernité. Beethoven et Shakespeare deviennent les symboles de la suprématie masculine blanche dont il faut protéger les noirs, que l’on décourage ainsi d’accéder aux œuvres culturelles universelles. Les noirs seraient des patients à guérir, des êtres vulnérables et les blancs des êtres toxiques. Dire qu’il n’y a qu’une race humaine est aujourd’hui traité comme un blasphème. C’est le manque d’opposition à cet antiracisme moderne qui a permis l’anéantissement du progrès moral des années 1960 et un déclin du progrès culturel de l’ère moderne. Soyons hérétiques, écrit Brendan O’Neill et appelons à l’universalité des droits et de la dignité.
L’amour qui n’ose pas dire son nom
Le titre d’un chapitre du livre de Brendan O’Neill fait référence à un poème écrit par Alfred Douglas, précédé d’un court texte d’Oscar Wilde (dont il était l’amant), il y a 130 ans dans le magazine étudiant d’Oxford abordant l’homosexualité, Chameleon. Ces mots conduisirent Oscar Wilde devant le tribunal pour indécence. L’éditeur fut conduit à renier cette publication dans le Daily Telegraph et c’en fut fait de Chameleon. Une annulation, en somme !
Aujourd’hui, un magazine comme Chameleon aurait à essuyer les menaces portées par l’idéologie du genre. C’est la dernière innovation du politiquement correct : redonner un souffle aux idées homophobes. L’homosexualité est un obstacle à l’idéal d’un monde postbiologique. Stonewall, l’association crée en 1989 pour combattre l’homophobie, a redéfini l’homosexualité comme l’attraction pour le même genre. Elle juge les homosexuels archaïques. Ils devraient être attirés par ceux qui se disent du même genre qu’eux, quel que soit leur sexe. Pour cette nouvelle idéologie du genre, c’est le sexe qui trahit la véritable identité. Un tel discours n’est pas sans rappeler celui tenu de la fin du XIXème jusqu’au milieu du XXème siècle, selon lequel l’homosexualité n’est pas une perversion mais un problème biologique. La psychiatrie parlait alors d’inversion. On assiste aujourd’hui à une repathologisation de l’homosexualité qui nécessite que l’on s’en prenne au corps pour le rendre compatible avec le sexe du cerveau. L’Iran est le champion, derrière la Thaïlande, de la chirurgie transgenre parce que violemment homophobique. Lors d’une Pride à Cardiff en 2022, des lesbiennes qui affichaient une banderole intitulée « les lesbiennes n’aiment pas les pénis » furent sorties du cortège par la police pour leurs propos dits haineux. Là où le langage est sous contrôle, la pensée l’est aussi. C’est pourquoi le passage de « même sexe » à « même genre » est problématique. Pour les gays, c’est la défaite après une grande victoire.
Vive la haine !
Le paradoxe est que l’essentiel de la détestation, du mépris de l’autre vient aujourd’hui de ceux qui disent s’opposer à la haine. En témoignent les injures et menaces que reçoit J.K Rolling pour avoir déclaré que les hommes ne sont pas des femmes, quels que soient les traitements qu’ils subissent, observe Brendan O’Neill. Comme il l’écrit, les militants trans et leurs alliés « détestent la haine, sauf la leur » et « la voient partout ». Ils sont très actifs dans la lutte visant à en expurger la vie publique, notamment par leur pratique de l’annulation. Le but n’est pas tant de s’attaquer à la haine que de la sanctionner. La participation à ces croisades contre la haine permet de sanctifier sa propre haine. Ne sont pas épargnés ceux qui, bien que non blancs, refusent d’y participer et sont traités de vendus. On l’a vu après le renversement de l’arrêt Roe v. Wade sur l’avortement par la Cour suprême. Clarence Thomas fut agoni d’injures. En fait, la haine n’est pas interdite pourvu qu’elle vise les bonnes cibles. Cette idéologie de lutte contre la haine s’est répandue pratiquement dans tous les secteurs de la vie, avec des codes de correction à respecter sous peine d’être banni. Comme l’écrit Brendan O’Neill, c’est la version séculière de l’inquisition et seul un fou peut s’imaginer que la censure s’arrêtera aux idées qu’il n’aime pas.
Ceux qui prétendent
Il est des blancs, aux États-Unis et au Canada, qui prétendent être des descendants d’indiens et ça leur réussit plutôt bien, au moins un certain temps. On se souvient de Littlefeather qui était venue recueillir le prix d’interprétation pour Marlon Brando en 1973 et s’était fait passer pour une apache. Elle avait alors lu un discours de Brando refusant le prix en raison du traitement des Amérindiens dans le cinéma, sous les huées des présents. Mais en septembre 2022, pour se faire pardonner, l’Academy Awards avait donné une réception en son honneur. Les temps avaient bien changé. On apprit néanmoins, après sa mort deux mois plus tard, qu’elle se dénommait Cruz et était la fille d’une blanche et d’un Mexicain. Les cas se sont multipliés [1]. Ainsi, l’universitaire Jessica Krug s’inventa une enfance de pauvreté dans le Bronx, abandonnée par son père, violée et dont la mère portoricaine était une droguée. On découvrit plus tard qu’elle était blanche et juive de classe moyenne supérieure. Ces mensonges sont une réponse à la censure et à l’annulation caractéristiques de l’idéologie identitaire. Ils indiquent à quel point personne n’ose critiquer quelqu’un qui prétend être ce qu’il n’est pas. On demande aux blancs d’être moins blancs, c’est ce que font ceux qui prétendent ne pas l’être, en mentant. N’est-ce pas ce que nous faisons tous à un degré ou à un autre ? écrit Brendan O’Neill. La nouvelle génération, qui cultive obsessionnellement les identités queer, est aussi engagée dans une version sexuelle du mensonge racial, pour éviter d’apparaître comme un hétérosexuel vieillot ! Ce que critique Brendan O’Neill, ce n’est pas l’appropriation culturelle mais la délégitimation au cœur du mensonge identitaire.
L’identitarisme fait de nous des faussaires qui, au lieu d’être, disent « s’identifier à… ». L’identité est devenue un costume. « C’est l’évacuation de toute substance se référant à nos anciennes identités qui a enflammé la chasse éperdue à de nouvelles identités ». Brendan O’Neill rappelle le mot de Kant : « Aie le courage d’utiliser ton propre entendement ».
Les mots blessent
Pour les Nations unies, l’instrumentalisation du discours public à des fins politiques peut conduire à la stigmatisation, la discrimination et la violence à grande échelle.
Une Université américaine a même fait une liste des mots qui blessent. « You, guys », qui généralise le masculin, y figure ! On dit que le pouvoir des mots justifie qu’on les contrôle. C’est tout le contraire. C’est parce qu’ils ont du pouvoir qu’ils doivent être libres. Brendan O’Neill cite le cas de William Tyndale qui œuvra à traduire la Bible et fut à la pointe de la réforme protestante. Il considérait, contre l’avis de l’Eglise, que chacun devait pouvoir la lire. Arrêté en 1535, il fut condamné, pendu et brûlé sur un bûcher. Comme l’a montré aussi l’attentat à Charlie Hebdo, la censure est beaucoup plus violente que les mots. Brendan O’Neill nous conjure de cesser de plaider notre cause en disant « ce ne sont que des mots », comme si s’exprimer était une chose sans importance. En plus d’être violente, la censure émousse notre sens critique, nous infantilise et nous exhorte à croire ceux qui décident à notre place ce que l’on doit penser. Il rappelle, à ceux qui vantent le respect et la civilité, que la liberté d’expression n’est pas un travail social, comme l’avait dit Claire Denis à propos de ses films jugés non corrects politiquement. « L’hérésie fait mal, c’est fait pour ».
L’insoutenable suspense entretenu ces derniers jours par Macron (« Quel héritier vais-je choisir comme ministre de l’Éducation pour se substituer à l’autre incapable — tiens, je vais prendre un pur produit de l’Ecole alsacienne, au moins, s’il est nul, il a les codes et il sort du sérail… ») a empêché la grande presse de se faire l’écho d’une splendide décision de la justice américaine : l’indemnisation (pour 1,8 milliards de dollars) des candidats recalés à l’examen d’enseignant de la Grosse Pomme, car les épreuves étaient « culturellement biaisées ». Notre chroniqueur s’en est amusé.
Dans Le Figaro Étudiant du 19 juillet, Jeanne Paturaud relate la décision récente de la justice américaine, si souvent citée en exemple de ce côté de l’Atlantique. Constatant que la moitié des candidats noirs ou hispaniques avaient échoué à l’examen qui donne à New York le droit d’enseigner, le tribunal a jugé que les épreuves étaient « culturellement biaisées ». Trop « blanches ». Pensez, on demandait par exemple « d’expliquer la signification d’un tableau de l’artiste pop Andy Warhol. Selon les plaignants, plus de 90% des candidats blancs ont réussi le test à choix multiples et l’essai, contre 53% pour les candidats noirs et 50% pour les hispaniques. » L’idée que lesdits candidats noirs ou hispaniques aient été nuls n’a pas effleuré le pays de l’égalité — au moment même où la Cour suprême, à majorité républicaine, supprimait une fois pour toutes la « discrimination positive » qui a permis au fil des ans à tant de représentants des minorités de prendre la place de postulants meilleurs qu’eux.
Et de décider d’indemniser ces recalés, sur la base de ce qu’ils auraient pu gagner s’ils avaient été admis. Vous souriez ? C’est typique, c’est la raison pour laquelle, dans l’échelle de notation américaine, les enseignants ne mettent plus E ni F, car les parents des progénitures injustement stigmatisées attaquaient en justice et gagnaient des sommes considérables, calculées sur ce que la baisse de self esteem faisait potentiellement perdre au malheureux bambin étiqueté cancre.
Sommes records
Ici, on ne plaisante pas avec les zéros posés avant la virgule. « Si les sommes varient parmi les 5200 personnes concernées, certains ont déjà reçu plus d’un million de dollars. » Des indemnisations versées aux plaignants jusqu’en 2028. Sans compter que la facture réellement payée par les New-yorkais sera bien plus élevée, car elle devra comporter (et non, je n’invente rien, lisez donc le New York Post) des sommes versées au titre de la retraite d’une fonction que les plaignants n’ont jamais exercée. Elle est pas belle, la vie ?
Le test incriminé concerne l’évaluation en « Liberal Arts and Sciences », qui balaie aussi bien des connaissances en maths, en histoire, en communication et recherche, en analyse et expression écrite ou encore en expression artistique. Il a été modifié en 2013 pour tenir compte des différences de cultures d’origines — et vous savez quoi ? « Les candidats d’origine afro-américaine ou hispanique sont toujours moins nombreux à réussir le test, comparé aux candidats blancs ». Fatalitas !
Indemnisons les Kevin et Mathéo !
C’est une idée grandiose qu’il faut impérativement importer chez nous. Les candidats de Seine Saint-Denis ou des Quartiers Nord de Marseille, qui parlent une langue multicolore, devraient réfléchir à la grave injustice qui leur est infligée en les obligeant à écrire et à parler une langue « blanche » et parisienne dans les épreuves des concours. Et à professer des certitudes de même couleur : la terre est ronde, hommes et femmes sont égaux, l’école en France est laïque et les vêtements à connotation confessionnelle n’y sont pas admis — et autres fariboles peu pratiquées dans les quartiers susdits.
Il est vrai que la France n’autorisant pas de repérage confessionnel ou ethnique, savoir qui est discriminé effectivement sera compliqué. Mais on n’aura qu’à demander à Darmanin, qui nous affirme que les émeutiers des dernières semaines se prénomment massivement Kevin et Mathéo », bien qu’ils aient paru « issus de l’immigration ». « L’explication seulement identitaire serait très erronée ». Indemnisons tous les Kevin qui voulaient se faire instits !
Heureusement que Kevin ne tient pas, en général, à entrer dans l’enseignement. Il a découvert dans son quartier bien d’autres moyens de gagner davantage que les 2000€ qu’on lui fait miroiter.
Heureusement qu’un peu de raison surnage outre-Atlantique. « The standards are the standards », dit un principal de collège. « It shouldn’t be based on what would be easy for blacks or whites. To hire people who are not qualified and change the requirements because a certain group didn‘t pass the test is bullshit » (« Embaucher des personnes qui ne sont pas qualifiées et modifier les exigences parce qu’un certain groupe n’a pas réussi le test, c’est de la foutaise »). Ben oui. Et les élèves que ces enseignants de second choix formeront n’arriveront pas bien haut. Mais il leur suffira, plus tard, de porter plainte…
Habitué aux joutes médiatiques hier, comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.
Nahel est mort à 17 ans. Il a été tué par un policier lors d’un contrôle routier. Face à lui, face à sa mère qui a perdu son enfant, comme face à tant d’autres sujets d’actualité dramatiques, nous avons perdu le sens du silence, du langage et de la dignité.
Le silence. Quelques minutes à peine après l’annonce du drame de Nanterre, les réseaux sociaux se sont enflammés. Salement. Depuis quand ne savons-nous plus faire silence ? François Mauriac écrit déjà, en 1963, dans Le Bloc-notes : « Mais il existe une cause directe de mon désenchantement, le silence a été assassiné. Il n’y a plus de silence nulle part. »
Et le langage ? C’est Harold Pinter qui en parle le mieux en évoquant cette « maladie au cœur même du langage qui transforme celui-ci en une mascarade permanente, un tissu de mensonges […]. Est-ce que la réalité demeure essentiellement hors du langage, séparée, inflexible, étrangère, impossible à décrire ? Est-il donc impossible de parvenir à une correspondance exacte et vitale entre ce qui est et la perception que nous en avons ? »
Le comparatif qui est fait entre la situation des quartiers populaires en 2005 et celle d’aujourd’hui permet de raconter tout et n’importe quoi. L’essentiel tient en deux réalités « vitales » pour la suite. Depuis vingt ans, et malgré les politiques de rénovation urbaine, la vie quotidienne y est encore plus dure, même ceux qui travaillent ne s’en sortent pas. Eux, les travailleurs essentiels, les invisibles mis momentanément en lumière lors des confinements. Leurs enfants sont les témoins d’une relégation sociale qui est un véritable poison pour notre République. L’autre poison tient en un constat logé dans les cœurs et les âmes meurtris des habitants : « Rien ne changera jamais pour nous. »
La seconde réalité est la dégradation des relations police/population, notamment avec une partie de la jeunesse des villes populaires. On le sait, mais rien n’est fait pour y répondre. On peut discuter de la réforme de 2017 du Code de sécurité intérieure (qui élargit la possibilité pour un policier de faire usage de son arme), mais les maux sont bien plus profonds.
Enfin, la dignité. Dans de tels moments de vérité, d’Annecy à Nanterre, deux catégories d’individus se révèlent. La première est constituée de ce que produisent notre humanité et nos humanités communes. On peut avoir des sensibilités différentes et des réponses divergentes sans pour autant nourrir des processus de détestation, de haine, de guerre de tous contre tous.
La seconde alimente ce cloaque et semble le faire avec délectation. Ils sont les spécialistes, aujourd’hui bien identifiés, à droite comme à gauche, d’un pourrissement permanent du débat public. Ces multirécidivistes hostiles à la complexité et au doute, à l’altérité et à la mesure, sont les agents électoraux d’un glissement accéléré vers l’abîme.
Et maintenant ? Puisque le silence n’est plus, trouvons les mots et les actes pour que la vie soit digne, pour toutes et tous.
Notre chroniqueur, à qui rien de ce qui est cinéma n’est étranger, est allé voir pour nous le film de Christopher Nolan, Oppenheimer. Il en est sorti enthousiaste — sur le fond comme sur la forme.
Le biopic, comme disent les Américains, est un genre fort difficile. Il faut que la personnalité dont vous retracez l’histoire soit assez connue pour que sa vie intéresse le grand public ; que l’acteur choisi, outre une ressemblance superficielle, soit capable de l’incarner ; et qu’il y ait assez d’événements dans la carrière du personnage pour animer un film de longueur raisonnable.
Un tour de force
Quand de surcroît vous choisissez de raconter la vie d’un scientifique ou d’un intellectuel, c’est-à-dire d’un homme dont l’existence, pour l’essentiel, se déroule entre ses tempes et off the record, cela tient du tour de force. Comment intéresser le public, qui par définition n’y comprendra rien, avec un bla-bla ésotérique et des démonstrations au tableau noir ?
L’une des solutions est de fournir une foule de détails sur son environnement, son époque, éventuellement ses liaisons — mais oui, ça baise, un savant. L’autre est d’insérer le biopic dans un récit haletant, par exemple un procès.
Nous avons tout cela dans Oppenheimer — et bien davantage.
Le tour de force de Christopher Nolan tient à sa façon de filmer et de monter son histoire : pas de fondu enchaîné, pas de plans interminables, comme dans ces films français où l’on attend, pour passer à la séquence suivante, que les personnages aient fini de déserter l’écran. Les trois heures du film (et non, ce n’est pas trop) sont pour l’essentiel un montage de séquences courtes, sans rapport l’une avec l’autre, collées l’une derrière l’autre, afin de donner une idée du processus de pensée du héros.
Car comment pense un génie ?
Pas comme nous. Il ne suit pas un raisonnement, sa pensée n’est pas rectiligne, ni continue. Elle procède par bonds. Il ne va pas de A à Z, il saute de A à Q, dérive sur tout autre chose, revient à L ou P, tisse des liens entre des éléments improbables.
Il existe une photo d’André Malraux travaillant sur son Musée imaginaire, esquissant un pas de danse au-dessus d’une collection disparate d’œuvres d’art, cherchant le lien entre une sculpture khmère (de celles qu’il était allé découper dans la jungle en 1923) et un tableau de Goya ou une photo de Brassaï. L’esprit du créateur fonctionne ainsi, par bonds — jusqu’à ce que le puzzle en trois dimensions installé dans son esprit brouillon s’organise. Oppenheimer (ou Einstein, qui apparaît dans le film, magnifiquement joué par Tom Conti, que nous n’avions pas revu depuis des lustres) opère ainsi. Et seul un génie pouvait imaginer que l’on créerait une ville entière dans une sierra déserte près de son ranch du Nouveau-Mexique, au lieu-dit Les Peupliers (en espagnol, Los Alamos). Et que là s’élaboreraient le Projet Manhattan et le Trinity Test, dont les deux villes d’Hiroshima et de Nagasaki expérimenteront les conséquences ultimes en août 1945.
Le film suppose donc un spectateur intelligent — et j’ai des doutes qu’il trouve aux États-Unis un public qui lui permette de rentrer dans ses frais (au moins 100 millions de dollars de budget, plus le coût de la promotion).
D’autant que la structure hélicoïdale du film prend pour axe essentiel le procès fait à Oppenheimer par une Commission ad hoc en 1954, à l’instigation d’un politicien ambitieux (pléonasme !), Lewis Strauss, un ancien marchand de chaussures que la politique a propulsé à un poste trop haut pour lui, auditionné en 1958 par le Sénat lors de sa nomination éventuelle par Eisenhower comme Secrétaire au Commerce (si nous en faisions autant, combien de nos ministres auraient été capables de passer un tel filtre ?) et recalé — ce qui est fort rare et n’était pas arrivé depuis 1925.
Un Oscar, vite !
Petites jalousies, coucheries, judaïté différemment vécue par les uns ou les autres, tout se mêle pour opposer le savant visionnaire et le politicien cynique. Cillian Murphy d’un côté, Robert Downey Jr de l’autre tiennent là le rôle de leur vie. Un Oscar, vite !
Le casting est de toute façon impeccable, et largement inattendu. Matt Damon en vieille baderne qui comprend peu à peu comment maîtriser ces types ingérables et qui ont tous plus ou moins flirté avec le Parti communiste, Kenneth Branagh en physicien co-découvreur (avec Einstein) de la théorie quantique, tous les seconds rôles incarnent littéralement cette bande de savants fous, de militaires désaxés et de politiciens véreux — autre pléonasme. Oppenheimer est un grand film politique, de ceux qui rendent compte d’une époque entière à travers quelques destins individuels. Un film vrai jusque dans ses aberrations : Oppenheimer, qui parle trois ou quatre langues et a étudié le sanscrit pour lire la Bhagavad-Gita dans le texte, déforme un passage du Mahabharata et au lieu de la sentence « Je suis le Temps » énonce froidement : « Je suis la Mort » — ce qui a fait sursauter les spécialistes. Mais c’est l’un des symptômes de l’hubris du savant fou, qui a froidement envisagé — c’était mathématiquement possible — que la première expérimentation de la Bombe induise une réaction en chaîne qui anéantirait la planète. Mais ainsi se gagnent les guerres, ainsi se montent les grands films.
Si l’Ukraine et la Moldavie ont obtenu le feu vert de Bruxelles pour enclencher leur processus d’adhésion, l’Albanie « mélancolique » ne cache pas sa frustration face à ce qu’elle estime être un deux poids deux mesures. Pays peu connu, il charrie une image désastreuse trois décennies après la chute de la dictature communiste.
Dans notre imaginaire hexagonal, ce petit pays montagneux des Balkans (28 748 km²) charrie une litanie de clichés qui écornent son image. Le régime totalitaire du leader Enver Hoxha (1908-1985) au pouvoir de 1945 à 1985 avait pavé l’Albanie de bunkers, une Corée du Nord en Europe orientale. D’où cette fameuse réflexion du ministre français des Affaires étrangères de Georges Pompidou, Michel Jobert, parlant de la France « transformée en Albanie mélancolique », si l’on fermait ses frontières. Au moment de la chute du communisme, parmi les pays occidentaux, seules la France, l’Italie, l’Autriche et la Suisse entretiennent des relations diplomatiques avec Tirana. Dans un registre plus burlesque, on se souvient de l’infâme Karpov, chef des services secrets de la République populaire d’Albanie, incarné par Vittorio Caprioli, ennemi de toujours de Bob Saint-Clar interprété par Jean-Paul Belmondo dans Le Magnifique.
Pendant plus de quatre décennies, ce pays a vécu l’une des plus effroyables dictatures de la planète. Le comportement paranoïaque de son dirigeant Enver Hoxha a laissé des séquelles matérielles comme l’atteste le retard économique du pays, les centaines de milliers de blockhaus disséminés sur tout le territoire. Séquelles psychologiques aussi, comme en témoignent l’endoctrinement et la propagande incessantes du régime, maintenant la population dans un état de terreur.
À la porte de l’Europe
Tirana, qui est membre du Conseil de l’Europe depuis 1995, frappe à la porte de l’UE depuis le sommet de Zagreb de 2000. En 2006, l’Albanie est devenue membre associé de l’UE après la signature d’un accord de stabilisation et d’association (ASA). Tirana, qui a formellement introduit une demande d’adhésion à l’UE en avril 2009 et s’est vu accorder le statut de pays candidat à l’adhésion à l’UE en juin 2014, n’a pas caché son irritation face à la rapidité à laquelle Bruxelles a accordé l’octroi du statut de candidat à l’entrée dans l’UE à l’Ukraine et à la Moldavie. Conséquence de son isolement forcé subi sous le régime d’Enver Hoxha, l’Albanie est, après la Moldavie, le pays le plus pauvre d’Europe. C’est aussi un pays dont les institutions démocratiques fonctionnent avec de grosses difficultés en dépit des réformes du système judiciaire amorcées en 2016 avec le soutien de l’UE. Mais les progrès sont beaucoup trop lents.
La mort du leader Hoxha en 1985 ne suscite pas un dégel, puisque son successeur Ramiz Alia poursuit la même politique. Il fallut attendre la chute du mur de Berlin, la révolution en Roumanie, des exodes massifs et l’intensification de la pression internationale, ainsi que la révolte des étudiants de Tirana en décembre 1990 pour que le multipartisme soit instauré. Ce qui n’empêche pas les communistes de se maintenir au pouvoir aux législatives de mars 1991. Ramiz Alia cède finalement son fauteuil de président en 1992 à Sali Berisha, qui ouvre l’Albanie à l’économie de marché, non sans heurts violents. L’inflation est galopante à mesure que le déficit agricole s’accroît. La privatisation et la libéralisation se traduisent par des fuites massives de capitaux. La décennie 1990 plonge le pays dans un cycle de violences, consécutives de la faillite du système bancaire et surtout de la chute des sociétés pyramidales en charge de collecter l’épargne des ménages en échange d’intérêts très rémunérateurs. En 1997, l’Italie voisine dépêche un contingent sous mandat onusien composé de 7 000 hommes, dont 930 Français. Cette mission baptisée « Alba » permet que se déroulent de nouvelles élections dont le Parti socialiste de Fatos Nano ressort vainqueur. Mais le crime organisé et les trafics prospèrent, tout comme la circulation libre de milliers d’armes.
Un État de droit encore inachevé
Si l’Albanie dispose à présent d’une législation conforme aux normes européennes, celle-ci est loin d’être appliquée. Les rapports de la Commission européenne sur Tirana se font régulièrement l’écho de la fragilité de l’État de droit et de la démocratie. L’anarchie en matière de permis de construire et du droit de propriété est monnaie courante. La propre ambassade de France en avait même été la victime à Durrës, où elle possède un terrain sur lequel s’est construit un immeuble sans aucune autorisation. L’administration publique accuse une pénurie chronique de ressources humaines et une corruption latente.
Si l’agriculture emploie encore 43 % de la population active, les statistiques peinent à intégrer la part léonine de l’économie informelle. En dépit des efforts de Tirana, les activités illégales (trafics d’êtres humains, de drogue, d’armes, de cigarettes et de voitures volées, réseaux de prostitution…) prospèrent. Selon un rapport officiel d’Europol datant de 2001, 40 % de l’héroïne distribuée en Europe était le fait de réseaux albanais. Ces gangs sont répartis dans toute l’Europe et extrêmement violents. L’ampleur des activités criminelles en Albanie, avec leurs multiples ramifications dans l’administration locale, appelle des mesures draconiennes. Les avancées périodiquement annoncées par le pouvoir consistent surtout en l’élaboration ou à l’amélioration d’un cadre législatif et réglementaire, mais dont l’application se fait attendre. Selon Transparency International, l’indice de perception de la corruption était de 2,4 sur 10 en Albanie en 2005, enregistrant une progression sensible en 2022 (3,6 sur 10).
Sur le plan militaire, l’Albanie rejoint l’OTAN en 2009 et met en œuvre un plan draconien de réduction de ses effectifs et d’adaptation de son matériel militaire. Le choix a été fait d’abandonner les forces aériennes lourdes, obsolètes et inadaptées à un pays montagneux et de petite taille, et d’investir dans des moyens de transport légers et multifonctionnels comme les hélicoptères. Les forces armées albanaises se réorientent vers des missions de protection civile et d’appui au contrôle des frontières.
De son côté, l’UE alloue chaque année entre 40 et 60 millions d’euros à Tirana dans le cadre de son programme d’assistance CARDS. Une manne conséquente, mais trop modeste au regard des besoins de développement du pays, et des transferts des immigrés albanais établis en Italie et en Grèce voisines.
Face à l’UE, la Turquie, ancienne puissance coloniale jusqu’à l’indépendance de l’Albanie en 1912, se taille la part du lion en ayant progressivement étendu ses relais d’influence sur le plan économique, politique, mais aussi religieux. Le fossé s’est donc creusé entre les Albanais et l’UE en dépit de l’existence d’un ministère chargé de l’intégration européenne. Pour beaucoup, l’UE est avant tout perçue comme une vache à lait ; sa perception auprès de la population demeure positive, mais trop influencée par les médias et les politiques locaux et l’évolution du régime des visas pour entrer dans l’espace Schengen.
Le mythe d’une « Grande Albanie islamique »
Proclamée par son chef « premier État athé du monde » en 1967, l’Albanie a retrouvé la liberté de culte en 1990 et conserve un visage confessionnel pluriel, majoritairement musulman (70 %), mais aussi orthodoxe (18 %) et catholique et les mariages extracommunautaires étaient encore monnaie courante dans la décennie 2000. Unique membre européen de l’Organisation de la Conférence islamique, Tirana vante son modèle de tolérance religieuse, tout en se rapprochant de pays musulmans adeptes d’un islam fondamentaliste pour drainer des capitaux et des investissements. Des organisations prosélytes financées par l’Arabie saoudite et le Pakistan opèrent dans le pays, mais leur sphère d’influence demeure relativement cantonnée. Mais dans l’ensemble, la société albanaise n’est pas immunisée contre le virus djihadiste comme l’atteste la présence d’Albanais, originaires d’Albanie, du Kosovo et de Macédoine du Nord dans les rangs de l’État islamique.
Si les Serbes et les Macédoniens pointent du doigt le danger d’un irrédentisme albanais s’appuyant sur la forte démographie des Albanais du Kosovo et de Macédoine du Nord, il convient de souligner les effets causés par le décalage de mentalités entre Albanais du Kosovo et Albanais séparés par deux systèmes politiques rivaux ; le titisme yougoslave et l’envérisme stalinien. Certes, sous l’occupation italienne (1939-1941), l’Albanie avait vu ses frontières étendues au détriment de ses voisins serbes et monténégrins, incluant le Kosovo. Signe fort, l’abolition en 2021 des contrôles à la frontière entre le Kosovo et l’Albanie souligne l’intégration croissante des deux territoires. L’Albanie est le seul pays de la région à ne pas avoir connu la guerre depuis 1945 et à ne pas souffrir de divisions ethniques. Le pays a du reste accueilli des centaines de milliers de réfugiés pendant la guerre du Kosovo.
Des perspectives prometteuses pourtant
Sur le plan économique, l’Albanie a enregistré une baisse significative de son taux de pauvreté, qui est passé de 25,4 % en 2002 à 14,3 % en 2012. Son PIB par habitant stagne en revanche autour de 30 % de la moyenne européenne, ce qui en fait l’un des pays les plus pauvres des Balkans. Conséquence de l’émigration massive, la population est passée en dessous de la barre des 3 millions ; les jeunes diplômés lorgnent un avenir en Europe. Cette hémorragie grève sérieusement l’avenir.
En dépit de la mauvaise santé de son économie, l’Albanie dispose de…
Jean-Paul Dubois, prix Goncourt 2019, est un romancier qui aime décrire des situations inconfortables, avec tout ce que cela nécessite de transgression sociale pour ses personnages. Dans Kennedy et moi (1996), il met en scène un écrivain raté, Simon Polaris, réduit au silence littéraire, et en prise avec le reste du monde qu’il n’a de cesse de défier à coups d’éclat provocateurs. Ce misanthrope, dans l’acception la plus classique du terme, n’en finit pas non plus de faire le dos rond contre toutes les agressions extérieures, et, de ce fait, se replie sur lui-même jusqu’au point de non-retour, sombrant dans un désœuvrement maladif. Ce roman a été adapté au cinéma en 1998 par Sam Karmann, avec Jean-Pierre Bacri, excellent dans le rôle de l’écrivain-ours, et Nicole Garcia dans celui de sa femme, par qui arrivera peut-être la rédemption.
« Hier, j’ai acheté un revolver… »
Tout commence en somme par l’achat d’un revolver, preuve que quelque chose ne va pas bien. « Hier, j’ai acheté un revolver… » C’est la première et dernière phrase du livre de Dubois, qui rappelle plus ou moins l’incipit de L’Étranger de Camus : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » Même sentiment de déréliction accaparant un personnage angoissé, qui perd ses repères et éprouve une immense « lassitude », comme le dit le texte. Simon Polaris revient chez lui avec l’arme, la range dans un tiroir, et se sent étrangement soulagé. Pourtant, sa situation demeure problématique. Sa femme Anna le trompe avec un collègue médecin. Ses enfants le méprisent, et des problèmes de dents viennent l’assaillir. Polaris devient une sorte de Job moderne, immobile et vociférateur.
Polaris ne fait rien de ses journées. « Il écoute, nous raconte Jean-Paul Dubois, le chuintement des canalisations. Le bourdonnement de l’Océan. Le raclement de ses doigts sur sa peau mal rasée. » Ou encore : « Il marche à l’étage, va et vient comme un prisonnier dans sa cellule. » Le bilan global de sa vie le déprime : « Depuis mon adolescence, je n’ai rien accompli d’utile ni de probant… » On lui a appris que c’était répréhensible. Seule tentative d’émerger, Polaris poursuit des séances de psychanalyse avec un praticien nommé Victor Kuriakhine. Bien sûr, il n’y croit pas vraiment et, d’ailleurs, il décide bientôt d’arrêter, notamment parce qu’il n’a plus assez d’argent.
La montre du président Kennedy
Au cours de leur dernière conversation, Kuriakhine raconte incidemment à Polaris l’histoire de la montre Hamilton qu’il garde soigneusement dans la poche de son pantalon. C’est une pièce historique, qu’il a achetée à Phoenix lors d’un congrès de psychiatrie, lui dit-il. « La montre que le président Kennedy portait au poignet quand il a été assassiné à Dallas. » Avec l’inscription suivante « J.F.K., Brookline, 1962. » Cette histoire fascine complètement Polaris. Il va faire une fixation sur cette montre, et n’aura plus qu’une obsession, se l’approprier : « cet objet me revient de droit, estime-t-il. Victor n’a été qu’un porteur parmi les autres, le dernier commissionnaire du destin ». C’est comme si Kennedy lui avait transmis cette montre Hamilton, pour que lui, Polaris, entre enfin dans l’histoire, c’est-à-dire, toute proportion gardée, dans la vraie vie, si l’on peut traduire ainsi sa pensée. Grâce à cette montre, qui lui échoie, après tant de propriétaires successifs, Polaris pourra « redémarrer quelque chose ». Pour parvenir à ses fins, il utilise son revolver, dont il ne s’est pas servi pour se tuer ou pour éliminer l’amant de sa femme. Il se rend chez le psychiatre, le menace avec l’arme et lui intime de lui remettre la montre. Celui-ci ne peut qu’obtempérer, lâchant simplement cet avertissement : « Maintenant, il vous faudra vivre avec le doute, monsieur Polaris […] ce doute qui vous fera vous demander si cette Hamilton a bien appartenu à Kennedy… »
Par la suite, Polaris se réconcilie progressivement avec sa femme, qu’il regrette d’avoir délaissée. Il s’aperçoit qu’elle était, comme lui, en manque d’amour, malgré un amant qu’elle finit par trouver ridicule. Polaris décide aussi, de manière inattendue, de réaménager la cave de leur maison, pour y installer son bureau. Cette descente dans les profondeurs de la caverne lui permettra, pense-t-il, de faire le point sur lui-même plus facilement. « Je veux croire que ma vie repartira de ce sous-sol », proclame Polaris avec foi. Cette parenthèse d’inaction absolue qu’il vient de vivre, il voudrait la voir déboucher sur une renaissance. Cela seul aurait un sens, pressent-il. Il a tout remis à plat, c’est le cas de le dire. Il a pris des risques. Il a traversé une crise existentielle grave, il aurait pu décider de se supprimer. Il en sort indemne et libre. Après avoir dépouillé le vieil homme, il a désormais le droit, pense-t-il, d’espérer en l’avenir, de tenter sa chance. C’est un droit toujours chèrement acquis.
Jean-Paul Dubois, Kennedy et moi. Éd. Du Seuil, 1996. Disponible en poche dans la collection « Points ».
Dans « Juniors », le film de Hugo P. Thomas en salles mercredi 26 juillet, Vanessa Paradis se retrouve confrontée au mensonge de son ado, lequel prend des proportions inquiétantes. Un teen movie un peu trop propret.
Jordan, adolescent prépubère âgé de 13 ans, vit seul avec sa môman (Vanessa Paradis en guest star), infirmière de son état très prise par heures sup et gardes de nuit, dans le morne village bien nommé Mornas, un de ces bleds qui n’ont ni les attraits de la campagne, ni les ressources de la ville : un trou rural « sans qualité », comme ils se sont multipliés en France. Patrick, son meilleur pote, ado « issu de la diversité » (manifestement déjà pubère, lui, notons-le au passage) rate une coupe au rasoir exécutée sur le crâne du jeune Jordan; d’où décision, à tout prendre, de lui faire une franche coupe au bol. Scotché aux jeux vidéos et réseaux sociaux, notre Jordan ratiboisé décide alors en bon comédien de jouer le petit cancéreux en chimiothérapie, et lance sur la Toile une cagnotte en direction de la Corée (« please help me to stay in Life ! »), combine idiote destinée à se racheter la PlayStation qui vient de rendre l’âme. Mais, addiction aux réseaux oblige, tout le collège est vite au courant de l’affreuse maladie de leur camarade : par solidarité, les copains de la classe se tondent même la boule à zéro, et s’organisent en « meute des chauves » ; Jordan devient le héros à plaindre, à aimer, à soutenir ; tous les passe-droits lui sont permis : double ration à la cantine, personnel aux petits soins… Une vraie star ! Plus moyen de reculer : pris au piège de son mensonge avec la complicité passive de son binôme Patrick, il imite la signature de sa mère, s’invente des absences à l’école pour cause de traitement à l’hôpital, etc.
Conseil de discipline
Bref, on s’en doute, le pot-au-rose finit par être découvert. Tout est remis à plat, le mur du « Ca m’suffit » au décor plouc à souhait de chez môman est tagué, les potes trahis règlent leur compte à Jordan à l’occasion de la fête masquée d’Halloween (fête française comme chacun sait), le coupable est viré du collège par le conseil de discipline, opportunité pour Vanessa Paradis d’ouvrir enfin le bec après le rôle quasi-muet qui a été le sien depuis le début de Juniors : longue séquence monologuée où môman fait amende honorable quant à ses propres défaillances éducatives…
Passons rapidement sur les comparses: Fanny une improbable adolescente au physique précoce, courtisée par le mioche Jordan et qui, elle, n’aspire qu’ à faire carrière dans la musique métal – d’où certainement sa langue peu châtiée ( « ça me casse les couilles », dit-elle à un moment) ; une prof de dessin enceinte jusqu’aux dents qui parle de Marcel Duchamp à cette classe d’ignares absolus ; un burlesque entraîneur de self-défense qui, pour le coup, suscite à lui seul les seules (courtes) scènes du film qui soient irrésistiblement drôles. La séquence d’explication finale entre mère et fils devant leur assiette d’œufs brouillés manque sacrément de mordant. Tout autant que la réconciliation du « couple » Jordan/ Patrick (observons avec quelle singulière pruderie le film esquive de bout en bout la dimension libidinale qui circule entre tous ces garçons et filles chargés d’hormones – ici, ils ont des désirs, mais pas de sexualité).
Après avoir exploré dans Willy 1er (2016) les affres du senior solitaire, le réalisateur Hugo Thomas donne dans le teen movie allègre et propret. Pourquoi pas ? Comédie gentillette au scénario paresseux et à la tonalité passablement insipide, Juniors mérite d’être mis en parallèle avec une réalité sociologique moins édulcorée, plus tristement réaliste et infiniment plus consternante : celle-là même qui, quelques semaines à peine avant la sortie du film, a mis la France à feu et à sang, jusque dans les patelins paumés du type Mormas… Certains gamins de notre beau pays bigarré ne sont pas seulement roublards et décérébrés. On a vu qu’ils peuvent être bien pires.
Juniors. Film de Hugo P. Thomas. France, couleur, 2022. Avec Vanessa Paradis, Ewan Bourdelles. Durée : 1h35. En salles le 26 juillet 2023.
Alors que Benjamin Netanyahu est attendu en Amérique à l’automne, Joe Biden a reçu le président israélien, Isaac Herzog, mardi, à la Maison Blanche. Il a tenté de resserrer un lien un peu distendu. Le lendemain, M. Herzog a été ovationné au Congrès, où des élus démocrates ont boycotté son discours.
Les relations diplomatiques sont un art qui n’est pas étranger à la gymnastique et qui requiert souvent une sacrée souplesse, fermeté des appuis et élasticité des adducteurs. Une preuve supplémentaire nous en a été donnée récemment avec la réception du président israélien, Isaac Herzog, par Joe Biden à la Maison blanche.
L’exercice n’était pas aisé. À cette occasion il fallait mettre en scène la « relation indestructible » avec Israël, pour donner des gages à l’État hébreu, tout en assumant les tensions avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu afin de donner également des gages à une partie de l’électorat démocrate. Ce dernier s’inquiète moins de la réforme de la justice voulue par le Premier ministre israélien, qu’il n’est travaillé par un antisémitisme latent. Cet électorat démocrate soutient en effet le mouvement woke, lequel est lié à des positions pro-palestiniennes qui rendent parfois ardue la distinction entre antisémitisme et antisionisme. Un antisionisme présenté comme « le droit à critiquer la politique du gouvernement israélien » alors qu’il ne constitue qu’une façon de refuser le droit à l’existence de l’État juif. Mais, comme il est la version socialement acceptable, à gauche, de l’antisémitisme le plus crasse, il a droit de cité dans le système politique. La virulence de ses partisans oblige toutefois à la prudence. Notons au passage qu’il n’y a que pour Israël que l’on a inventé un terme générique pour qualifier le fait d’en critiquer le gouvernement. Une particularité intéressante.
L’art de la synthèse démocrate
Dans ce contexte, il est difficile pour Joe Biden de revendiquer à la fois la proximité avec Israël et avec Black Lives Matter. Difficile mais pas impossible : la politique c’est aussi l’art des synthèses improbables. Pourtant, les Juifs furent des militants engagés de l’égalité des droits et se sont battus aux côtés de Martin Luther King dans le cadre du mouvement pour les droits civiques. Mais au fur et à mesure que les mouvements racialistes noirs désignaient le Blanc comme l’ennemi et l’islam comme référence commune au-delà de l’ethnie, la question juive s’est vite posée à nouveau. Black Lives Matter développe ainsi dans son discours politique, une rhétorique antisémite classique parlant de génocide du peuple palestinien, d’apartheid… La position du président américain n’est donc pas des plus confortables. Cependant, en faisant le choix de recevoir le président d’Israël et non le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, Joe Biden a envoyé un message subtil de distinction entre le pays et son dirigeant.
La situation en Israël s’est beaucoup tendue autour de la réforme de la justice voulue par Benjamin Netanyahou. Cette réforme a amené une partie de la communauté internationale à faire un procès en recul démocratique à l’état hébreu. Pour faire oublier certaines paroles dures prononcées à cette occasion, le vote d’une résolution symbolique au Congrès des États-Unis a eu lieu la veille de la réception d’Isaac Herzog. Celle-ci déclarait solennellement qu’ « Israël n’est pas un pays raciste et que les États-Unis resteront toujours son allié loyal et solidaire ». Le problème c’est que lorsque l’on a autant besoin de réaffirmer et de mettre en scène son amitié, c’est souvent parce qu’il y a eu beaucoup d’eau dans le gaz dans la période qui a précédé.
Soumettre la Cour suprême
Revenons donc sur la réforme voulue par le Premier ministre israélien. Cette réforme n’a pas eu que des répercussions à l’international, elle a aussi mis le feu aux poudres en Israël, au point que l’on ne sait plus trop si elle va aboutir. Le texte visait à soumettre le pouvoir judiciaire au pouvoir politique et législatif. En effet, Israël est un pays de tradition anglo-saxonne, sans constitution écrite. La Cour suprême est donc la seule gardienne des lois fondamentales. Elle est à la fois le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel. Elle a donc la capacité de censurer les lois votées par le Parlement et le pouvoir politique dénonce donc régulièrement le « gouvernement des juges » quand il est contrarié. La réforme envisagée permettait donc aux députés d’imposer une loi qu’ils auraient votée, même en cas de censure par la Cour. S’ils parvenaient à obtenir la majorité à la Knesset, soit 61 voix, la loi serait promulguée malgré l’opposition de la Cour suprême. L’objet était aussi de changer le comité de nomination des juges en le plaçant sous contrôle politique. Sur les neuf membres composant cette institution, six auraient dû être des ministres ou des députés contre seulement trois magistrats.
Les opposants à cette réforme voyaient en elle un recul démocratique. En abaissant le principal contre-pouvoir existant face au parlement, elle donnait tout le pouvoir aux élus donc à la sphère politique, détruisant le subtil équilibre démocratique garant d’une forme de permanence juridique. D’ailleurs, pendant trois mois, des manifestations rassemblant des centaines de milliers de personnes ont eu lieu. Ce qui montre que dans ce petit pays comptant moins de 10 millions d’habitants, la réforme a suscité une forte réaction citoyenne. C’est parce qu’il est opposé à cette réforme et qu’il l’a fait savoir officiellement, soulignant que « les valeurs démocratiques ont toujours été et doivent rester une caractéristique des relations entre les États-Unis et Israël » que Joe Biden refuse de recevoir Benjamin Netanyahu. En recevant néanmoins le président de la République d’Israël, Joe Biden met en scène son soutien sans compromettre son positionnement politique. Il joue symboliquement le pays dans sa permanence en traitant son gouvernement comme un phénomène conjoncturel.
Tous contre l’Iran
C’est un choix intelligent. Et Dominique Moïsi, géopolitologue, l’explique fort bien. En effet, aucun des deux partenaires ne souhaite de rupture. Israël n’a pas d’alliés plus sûrs que les Américains car du fait de la stabilité de l’État hébreu, ceux-ci considèrent leur lien avec Israël comme une carte maîtresse dans cette région du monde. D’ailleurs, Joe Biden n’est jamais revenu sur l’installation de l’ambassade américaine à Jérusalem qui avait fait pourtant beaucoup parler. Si du côté d’Israël, on entretient la relation avec les États-Unis, la donne a néanmoins changé car la géopolitique de la région a évolué. Un certain pragmatisme l’amène à s’intéresser à ceux qui sont très présents dans son environnement au Moyen-Orient, notamment les Russes et les Chinois. L’État hébreu a intérêt à diversifier ses alliances et à rester très concret dans ses attentes. D’autant que se sentant moins menacé, il est aujourd’hui moins dépendant du grand frère américain : la signature des accords d’Abraham est vue comme une marque d’acceptation d’Israël dans la région par un certain nombre de pays arabes. Il faut dire que la question palestinienne n’est plus au centre des préoccupations ou de la propagande des pays arabes. Ils sont aujourd’hui plus soucieux de la puissance et des ambitions iraniennes, surtout de sa maîtrise du nucléaire, qu’ils n’entretiennent le rêve de voir se créer un État palestinien. C’est le cas de pays aussi divers que le Soudan, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, le Maroc… Des États-Unis à la Chine en passant par la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Union européenne et la Russie, personne ne souhaite un Iran nucléaire car cela entrainerait une course aux armements nucléaires dans toute la région. Autant s’éclairer au flambeau pour aller visiter une usine pyrotechnique.
Du côté de l’Iran, en revanche, pas question de renoncer à l’arme nucléaire. Les mollahs ont pensé que le renversement de Saddam Hussein en 2003 était lié au fait que celui-ci était trop vulnérable. L’arme nucléaire est donc vue comme une marque de puissance mais aussi comme une garantie, un outil de chantage lié à la survie du régime. Les Iraniens continuant de jouer un rôle déstabilisateur dans la région (à travers leur présence en Irak, aux côtés du Hezbollah au Liban, dans la guerre au Yémen et en Syrie), les États-Unis ne peuvent se priver de l’alliance israélienne. Les tensions autour de la question de la réforme de la Justice n’ont jamais changé cet état de fait. Il était donc logique que la raison l’emporte et qu’Israël et les États-Unis mettent en scène cette réconciliation qu’aucune véritable rupture n’avait précédée.
Conseil des ministres, 21 juillet 2023. Image : Capture d'écran CNews.
Notamment, en ne nommant aucun ministre de droite lors du remaniement, le progressiste Emmanuel Macron se refuse à prendre le tournant politique dont la France aurait cruellement besoin concernant l’insécurité et l’immigration. «J’ai choisi la continuité et l’efficacité pour les temps qui viennent», a déclaré un président qui ne rassure pas, ce matin, avant le Conseil des ministres. Les émeutes? Craignant une fragmentation et la division de la nation – pourtant déjà observables – le président estime qu’il y a «un besoin d’autorité», de «respect» et «d’espérance légitime»… Coup de gueule.
On croit pouvoir tout expliquer. Il y aurait, pour chacune des crises que nous traversons, pour toutes ces difficultés inextricables que rencontre notre pays, des explications que les médias vont, tels des assoiffés se précipitant vers l’oasis, quémander auprès de doctes experts, sociologues, professeurs ou penseurs de tout poil. Mais, aucun sachant n’évoque la possibilité d’une absurdité essentielle, d’une irrationalité tragique, de l’incontrôlable irruption, dans notre monde, d’une lame de fond inexplicable, mystérieuse et suicidaire. Et pourtant, tous les voyants de l’absurdie la plus totale sont allumés ! Les pires décisions sont prises par nos gouvernants, les unes après les autres. Ceci, malgré les conséquences toujours plus dévastatrices qui en découlent.
La nation en danger
Depuis des décennies, des voix s’élèvent, pourtant, pour prédire le chaos qui se fait désormais de plus en plus évident dans notre société. Mais rien n’y fait. On a beau crier « attention ! au bout de ce chemin c’est le précipice », au contraire, le pas vers l’abime s’accélère.
Les exemples abondent de ces décisions suicidaires (ou d’absence de décisions) pour notre cohésion sociale, pour notre paix intérieure comme pour cette identité culturelle qui est l’essence même de l’existence d’une nation, de ce manque de vision et de courage, de cet absurde renoncement à tout ce qui pourrait permettre d’inverser le cours de notre destin. Citons-en quelques-uns parmi d’innombrables. Dans notre pays, 255 véhicules incendiés en une nuit de 14 juillet, cela ne provoque pas de réaction furieuse du pays, et encore moins du gouvernement qui parle de « nuit calme ». Dans notre pays, une manifestation interdite par une décision légale voit se pavaner avec leur écharpe tricolore des députés censés porter les valeurs de respect aux institutions. Cela n’entraîne aucune réaction sérieuse des pouvoirs publics. Des nuits d’émeutes et de destructions totalement incontrôlées ravagent le pays sans qu’aucune décision forte ne soit prise, ni qu’aucune parole forte ne soit prononcée, notamment par le président de la République. Tout le petit monde gouvernemental fait le dos rond en attendant que cela se passe. Un délinquant étranger, frappé d’une OQTF, peut s’appuyer sur une loi européenne pour exiger d’être marié avec une Française, se plaint du refus du courageux maire de Béziers, et a le culot légal de porter plainte auprès de la justice française. N’y a-t-il pas de quoi se taper la tête contre les murs ?
Le scandale des faux étudiants
Des milliers de jeunes Africains ou Maghrébins utilisent l’immigration étudiante pour simplement venir s’installer en France, bénéficiant d’inscriptions quasi gratuites dans nos universités, de l’allocation logement et bien sûr de tous les avantages sociaux que leur procure cette situation. S’ils ne sont pas assidus à leurs études ils pourront sans problème doubler ou tripler chacune de leurs années, sans que personne s’en formalise. Par ailleurs, nombre d’universités, par pure idéologie sans-frontièriste, n’ont pas appliqué les augmentations de frais d’inscription qui avaient été décidées au niveau national, soit 115 universités et 44 écoles et instituts pour 2023/2024. Qui paie les frais malgré tout ? Cela n’est pas difficile à imaginer.
Nous sommes dans un pays où le ministre de l’Éducation Nationale sortant, militant wokiste affirmé, est à l’évidence plus préoccupé par des objectifs sociaux et militants, visant à « réduire les inégalités», que par la promotion d’un enseignement véritablement exigeant. À l’évidence, et c’est un autre des scandales incompréhensibles du monde dans lequel nous vivons, Pap Ndiaye avait été nommé uniquement pour donner de la « diversité » au gouvernement. Exactement comme ce fut le cas pour Najat Vallaud-Belkacem à l’époque de François Hollande. Quant à la compétence réelle, à l’épaisseur culturelle et intellectuelle, à la connaissance et à l’attachement aux valeurs qui fondent notre pays, ne devraient-elles pas être les premières qualités d’un ministre en charge d’une mission aussi vitale pour notre avenir ?
La peur de n’avoir plus que des Français “de papier”
Le flux migratoire légal comme illégal est totalement incontrôlé, et il est à craindre qu’il va bientôt changer notre civilisation comme nos institutions dès que ces nouveaux Français deviendront majoritaires. C’est un phénomène inéluctable, qu’a bien décrit Eric Zemmour (et Jean-Marie Le Pen, avant lui), et qui est purement arithmétique. Pour que cela ne se produise pas, il faudrait une volonté réelle et exigeante d’assimilation à nos valeurs, que personne n’ose plus affirmer. Pourquoi ? C’est un autre des tragiques mystères qui échappe à toute rationalité.
Commencé sous l’ère Mitterrand, premier démagogue et manipulateur en chef, l’abandon de notre destin aux vents de la démagogie ou de la lâcheté semble bien aller s’accélérant. Après le fainéant Chirac, le fort en gueule mais pas en actes Sarkozy, puis l’incroyable et improbable élection de François Hollande, Monsieur « ça tiendra bien jusqu’aux prochaines élections », l’arrivée d’Emmanuel Macron semble rendre encore plus évidente l’accélération du naufrage. Telle l’expansion de l’univers, dont la vitesse croît avec le temps, sommes-nous, comme le cosmos, poussés par une énergie noire incontrôlable et inconnue ? La question se pose.
L’Élysée se donne beaucoup de peine, depuis plusieurs jours, pour minimiser ce qui est d’ordinaire de nature à relancer un mandat présidentiel – le remaniement ministériel. Le président de la République peut être satisfait : les annonces effectuées hier soir dépassent toutes les espérances ! Causeur passe en revue les troupes. Le Conseil des ministres se tient finalement ce vendredi, à 11 heures, mais personne ne sait où Emmanuel Macron va.
Il y a eu, dans l’histoire récente, des remaniements ministériels plus ou moins marquants. Ce fut le cas en juillet 2020, lorsque le duo exécutif sortit de son chapeau Eric Dupond-Moretti et Roselyne Bachelot. D’autres qui ont exprimé des virages politiques nets, par exemple fin 2010 quand MM. Sarkozy et Fillon constituèrent une équipe débarrassée des ministres centristes et d’ouverture. Aurore Bergé promue ministre chargée des Solidarités, Gabriel Attal remplaçant Pap Ndiaye, Aurélien Rousseau ministre de la Santé, Marlène Schiappa destituée et surtout, Elisabeth Borne maintenue à Matignon : le remaniement 2023 ne restera pas dans les annales de l’exercice.
L’audace devenue erreur de casting
Ces clins d’œil faits à une certaine gauche, en pointant du doigt la chaîne CNews, étaient l’indice d’une sortie de route prochaine. Pap Ndiaye avait été nommé en mai 2022 ministre de l’Éducation nationale, en pleine bataille des législatives. Un peu, aussi, pour brouiller les pistes, en plein match Macron-Mélenchon, tant le nouveau ministre d’alors semblait compatible avec le virage indigéniste de l’extrême gauche. M. Mélenchon avait d’ailleurs un temps salué « une audace ». Un an s’est écoulé et l’audace s’est transformée en erreur de casting. Certes, on ne retiendra pas de bourde monumentale qui restera dans toutes les mémoires, mais Pap Ndiaye n’aura jamais occupé totalement l’espace et n’aura jamais fait preuve d’une grande assurance. Quel avenir la politique peut-elle bien réserver à ce wokiste à temps partiel ? On sait que la Nupes aime à recycler quelques figures estampillées LREM, comme le député Aurélien Taché…
Aujourd’hui, Pap Ndiaye est remplacé par Gabriel Attal, 34 ans et déjà cacique de la macronie (il avait adhéré à En marche dès 2016, et ses bulletins de notes exemplaires sont unanimement vantés dans la presse ce matin). Le voilà récompensé après des années de bons et loyaux services comme secrétaire d’État. Sur Twitter, il a déjà pris un tacle, tout en finesse, de Philippe de Villiers.
La nomination de Gabriel Attal pour remplacer Pap Ndiaye est la catastrophe de l'été : c'est le passage du woke au LGBT. Attal est un militant, un membre éminent du groupe Bilderberg partisan de la rééducation nationale. Macron a rendu son devoir de vacances : changer de société.… https://t.co/huV9xFqCsi
— Philippe de Villiers (@PhdeVilliers) July 20, 2023
Aurore Bergé, meilleur espoir gaguesque du gouvernement
Macron récompense un ex-PS à travers Gabriel Attal, et une ex-LR à travers Aurore Bergé. La présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale devient donc ministre des Solidarités et des Familles en remplacement de Jean-Christophe Combe. L’aboutissement de toute une vie pour la jeune intrigante (36 ans), qui n’aura pas hésité à virer casaque au gré de ses ambitions (entre 2012 et 2017, elle aura soutenu tour à tour François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, en l’espace de quelques années, avant de rejoindre la macronie). En 2020, sa capacité à agacer en haut lieu lui avait coûté une entrée au gouvernement, ce qui aurait donné lieu à une scène lunaire lors du pot d’arrivée de Jean Castex à Matignon. Partie en courant dans le parc et revenue les yeux rougis par les larmes, on l’aurait entendue dire « J’ai tout donné à la Macronie ! » tout au long de la soirée. Le potentiel gaguesque que le gouvernement perd avec le départ de Marlène Schiappa, il le gagne peut-être avec l’arrivée d’Aurore Bergé.
Car le clap de fin a sonné pour la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire. Membre du gouvernement presque sans interruption depuis 2017, Marlène Schiappa vient de tomber, payant le prix d’une communication tapageuse sur fond d’affaire du fonds Marianne. La Une de Playboy, jugée « inappropriée » par Elisabeth Borne fut certainement la goutte d’eau ; celle faite pour Causeur, plus habillée, quelques semaines plus tard, n’a pas suffi à corriger le tir. D’abord promotrice de « politiques publiques d’égalité femmes hommes » à géographie variable (La journaliste Françoise Laborde lui avait alors rappelé quelques grands principes), Marlène Schiappa avait fini par devenir l’une des figures – avec Jean-Michel Blanquer – du camp « laïcard » au sein de la macronie. Avec son côté étudiante ayant préparé le concours de Sciences Po à coup de citations de Spiderman, Schiappa aura joué le rôle de Madame Sans-Gêne, rôle quasiment obligatoire dans chaque gouvernement depuis Ségolène Royal, donnant l’impression de jouer plus souvent pour sa pomme que pour l’équipe gouvernementale.
L’impopularité d’Elisabeth Borne, sa meilleure assurance-vie
La véritable information, c’est assurément le maintien d’Elisabeth Borne. Entre le fantastique Emmanuel Macron, capable de s’enfiler une bière cul-sec devant les joueurs du Stade Toulousain et l’austère Borne accro aux graines, il y a eu presque tout de suite une incompatibilité d’idiosyncrasies entre les deux têtes de l’exécutif, et il a brui très vite des rumeurs d’un remplacement imminent. Mais aujourd’hui, Elisabeth Borne est considérée par 56% des Français comme une « mauvaise Première ministre » (sondage Elabe) et c’est peut-être sa meilleure assurance-vie. Depuis le houleux printemps social, elle concentre en effet sur elle une bonne partie du mécontentement des Français, ce qui atténue la charge portée sur les seules épaules présidentielles. Depuis six ans, Emmanuel Macron a su utiliser ses ministres comme paratonnerre à mécontentement. Quant aux têtes qui dépassent, il a su s’en débarrasser bien vite. Bayrou ? Liquidé au bout de quelques semaines. Le Drian ? Rangé pendant cinq ans aux Affaires étrangères, astreint à un quasi-devoir de réserve. Edouard Philippe ? Chassé de Matignon dès que sa côte de popularité a dépassé celle du président. Ces dernières années, la seule personnalité un peu clinquante que l’exécutif a débauchée reste finalement le garde des Sceaux Dupond-Moretti !
Le successeur de Macron n’est pas entré au gouvernement aujourd’hui
À mesure que l’on s’enfoncera dans ce quinquennat, Emmanuel Macron ressemblera de plus en plus au François Mitterrand des dernières années, dans l’incapacité de se représenter – mais sans avoir 77 ans et sans cancer de la prostate. Il pourra, comme l’avait fait le Charentais, s’amuser à favoriser tel potentiel successeur, à savonner la planche de tel autre. L’héritier est-il déjà dans l’actuel gouvernement ? Pas sûr. En 2014, François Hollande avait eu la mauvaise idée de faire entrer un jeune ministre des Finances qui allait lui coûter sa perte. Ce n’est probablement pas en cet été 2023 qu’Emmanuel Macron a fait entrer dans le gouvernement par mégarde celui qui lui prendra sa place dans quatre ans.
Brendan O’Neill est rédacteur politique en chef de Spiked, magazine britannique libertarien en ligne. Le titre du livre qu’il vient de publier parle, pour ainsi dire, de lui-même. Michèle Tribalat l’a lu.
Brendan O’Neill n’aime pas l’expression « culture de l’annulation » (cancel culture). Il la trouve trop euphémisante pour ce qu’elle désigne. Cela revient à qualifier l’inquisition de « gestion de l’information ». Il nous faut de nouveaux termes pour analyser cette post-science, cette post-vérité, cette furie que déchaîne des idées qui, il y a seulement sept ans, faisaient l’unanimité. « Nous vivons une guerre contre l’hérésie », sans piloris et sans bûchers, mais avec des vies et des carrières gâchées. L’expression « her penis », littéralement intraduisible en français, est le meilleur exemple de l’irrationalité et de la pente autoritaire du moment.
Her penis
Ces deux mots sont devenus d’usage courant dans la presse (par exemple dans The Times, la BBC) et les réseaux sociaux. En 2018, le Daily Mirror parlait ainsi d’une « femme » qui décida de garder son pénis puis découvrit qu’elle était lesbienne ! Sur recommandation du National Police Chiefs Council, la police enregistre plutôt le genre déclaré que le sexe, y compris en cas de viol. Elle se plie ainsi à une forme d’autoritarisme culturel exigeant la primauté des illusions subjectives des gens sur la vérité objective, avec le risque de fausser les statistiques sur le viol commis par des hommes sur des femmes obligées de flatter les fantaisies de leurs agresseurs. Elle détruit le sens du viol pourtant encore inscrit dans la loi anglaise. C’est la version moderne de Big Brother de 1984. De grands groupes se plient à la novlangue. Ainsi, la BBC encourage ses employés à ajouter le pronom souhaité à leur signature. Des banques aussi. Dans le domaine médical on parle maintenant de « personnes qui accouchent » et de « personnes enceintes ». L’expression « sexe assigné à la naissance » change la manière de considérer la création de la vie. Le genre, mais aussi le sexe seraient de l’ordre du ressenti. Il serait impossible de déduire le sexe d’un enfant à la naissance d’après ses organes sexuels. En Irlande, une loi votée en 2015 autorise même les trans à changer ce qui est inscrit sur leur bulletin de naissance.
Le paradoxe est que l’essentiel de la détestation, du mépris de l’autre vient aujourd’hui de ceux qui disent s’opposer à la haine. L’identité est devenue un costume
Pour Brendan O’Neill, le premier devoir d’un hérétique est de résister aux injonctions linguistiques et de refuser de dire des choses aussi abominables que « her penis ».
Nouvelles chasses aux sorcières
En Europe, les changements climatiques furent souvent attribués aux sorcières. Ce fut le cas pendant le petit âge glaciaire (1300-1850). Des milliers de femmes et quelques hommes furent brûlés. Aujourd’hui, la chasse aux sorcières pour raison climatique se porte bien, mais sans pendaison ni bûcher. On ne les appelle plus des sorcières mais des criminels et le changement climatique a remplacé les vents contraires dont on les accusait d’être responsables. Dans le New York Times, Paul Krugman a comparé le déni du changement climatique à une forme de trahison de la planète. Le Kennedy Institute of Ethics de l’Université de Georgetown suggère que l’on fasse des exceptions à la liberté d’expression pour des points de vue que l’on peut considérer comme destructifs et maléfiques (evil). Le Guardian, rendant compte en 2021 du 6ème rapport du GIEC parle de « verdict sur les crimes climatiques contre l’humanité » : « We are guilty as hell ». C’est une forme de collectivisation de la chasse aux sorcières. Les sermons de type religieux sur le climat sont redevenus à la mode. L’Institute for Public Policy Research encourage la création d’un « nouveau sens commun ». Le programme consiste à changer le langage pour reformater les pensées et nous amener à adopter un état d’esprit apocalyptique. Joël Kotkin parle du syndrome « le débat est clos ». En fait, l’orthodoxie scientifique sur le changement climatique révèle les obsessions morales et politiques des nouvelles élites, leur perte de foi dans la modernité et leur volonté de réduire l’empreinte humaine. La tache de l’hérétique est de se méfier de l’orthodoxie et du consensus, au risque de blasphémer. Comme l’a écrit Bernard Shaw, « toutes les grandes vérités commencent par être des blasphèmes ».
La métaphore du Covid
Dès le départ, le covid fut une maladie physique et une métaphore, un symbole, une allégorie pour ce que les élites voyaient comme les maladies de la société. Il devint la métaphore de la nature toxique de la société moderne dont seul un contrôle social sévère pourrait venir à bout. Le professeur Michael T. Klare parla même de planète vengeresse. Soit une sécularisation de l’idée de colère divine, la nature remplaçant Dieu.
Le covid fut aussi la métaphore du populisme, vu comme la maladie de la démocratie.
On a donc des penseurs laïques qui, aujourd’hui, prient pour qu’une épidémie satisfasse leur demande de retour à la normalité politique, punisse ceux qui font fi des avis des experts et ramène ces experts sur le devant de la scène. Les auteurs de la grande déclaration Barrington furent traités de « marchands de doutes », comme s’il fallait protéger la population du doute. Le Covid fut aussi la métaphore des dangers supposés de la liberté humaine. Nous sommes ainsi vus comme des créatures toxiques à contrôler pour éviter que ne se propagent des croyances nuisibles et la pollution des comportements. L’hérétique a le devoir de résister et de défier cette calomnie.
La censure islamique
Il est difficile de parler positivement du soulèvement féministe en Iran en 2022 sans être accusé d’islamophobie, terme dont le contenu a été défini, en 1997, par le think tank Runnymede. L’islamophobie serait le fait de penser que l’islam est inférieur à l’Occident, irrationnel, sexiste alors que la bonne attitude consiste à le déclarer différent et digne d’un égal respect. Définition à laquelle on se réfère encore aujourd’hui au Royaume-Uni. L’islamophobie est devenue un euphémisme pour désigner le relativisme moral. Ce qui explique sans doute la faiblesse de la réponse en Occident à la révolte iranienne. Rien à voir avec l’écho donné au meurtre de George Floyd ! Le All-Party Parliamentary Group sur l’islam définit l’islamophobie comme un type de racisme visant des expressions de la musulmanité ou perçues comme telles. Il appela à poser des limites appropriées à la liberté d’expression et proposa un ensemble de tests permettant d’établir si la critique est légitime.
Gare aux réflexions humoristiques jugées islamophobes. Elles peuvent vous coûter votre emploi, sans parler des désinvitations et autres punitions sociales. Même Trevor Phillips, l’ancien président de l’EHRC (Equality and Human Rights Commission), fut suspendu du Labour Party pour avoir déclaré qu’une minorité substantielle de musulmans ressentait une sympathie pour les tueurs de Charlie Hebdo. En 2015, une enquête montra pourtant que c’était vrai pour 10% des Britanniques musulmans âgés de 18 à 34 ans. La chasse à l’islamophobie touche aussi l’art et la littérature. Comme l’écrit Brendan O’Neill, le permettre, c’est donner un droit de veto aux islamistes sur la vie culturelle de la nation. La police du contre-terrorisme est elle même touchée par une pudeur verbale par crainte d’être traitée de racisme. Cette pudeur ne fut pas que verbale dans l’affaire des jeunes filles violées révélée par Maggie Oliver. La censure qui s’exerce ainsi conduit à se détourner de la réalité et à décourager toute discussion honnête des problèmes. Elle incite à se mentir à soi-même. Pour Brendan O’Neill, il est temps de se rendre comte que la fatwa contre Salman Rushdie a gagné. Elle a été internalisée de manière perverse par la société occidentale, à la joie évidente des ayatollahs : « nous sommes devenus l’avant-poste complaisant de leur régime de censure islamique ».
L’ascension des cochons
« Gammon » est devenu l’insulte à la mode à gauche à destination de ceux qui ruineraient la vie politique du pays, en gros, les mâles blancs d’un certain âge de la classe ouvrière qui ont voté pour le Brexit. Gammon désigne leur face rougeaude (couleur que prend un rôti de porc bouilli) due à l’excès de bière. Cette référence au cochon pour désigner la populace inculte n’est pas nouvelle en Angleterre. On la trouvait chez Burke dans ses Réflexions sur la révolution en France de 1790. Le Brexit n’a fait que réactiver cette cochonphobie de l’establishment. Elle dénote une profonde méfiance à l’égard des gens ordinaires, ceux que Richard Dawkins a désigné en juin 2016 comme « les ignares qui ne devraient pas avoir leur mot à dire sur notre appartenance à l’UE ». Sous couvert d’attaque du populisme, c’est la démocratie qui est visée. On détruit ainsi l’idée selon laquelle, gammon ou pas, l’individu a suffisamment de raison pour porter des jugements et résister au mensonge. La démocratie ne se prouve pas par ses résultats mais par la possibilité de faire un choix, laquelle donne un sens à la liberté individuelle et fait, de la place où l’on vit, un monde qu’il est possible de façonner, de posséder et de gouverner. « Cochons, continuez de vous battre pour les droits du porc », tel est le conseil que donne Brendan O’Neill aux gammons.
La honte d’être blanc
À l’été 2020, le meurtre de George Floyd fut le moment important de la haine de soi chez les blancs, une auto-humiliation qui revint à collectiviser la culpabilité pour la mort de George Floyd. Le parallèle avec le covid fut vite fait, ce qui revenait à faire du racisme un problème de santé publique.
Le moment Floyd fut aussi celui de l’enracinement des politiques identitaires qui firent de la formation à la diversité une véritable industrie, notamment sur les lieux de travail.
Ce racialisme demande l’expiation permanente des blancs pour réduire la peine des noirs. Le racisme devient un péché originel héréditaire se transmettant au fil des générations. Cet antiracisme moderne est une révolution culturelle contre l’ère des droits civiques. C’est une autre façon de réhabiliter l’imaginaire raciste, un assaut contre les Lumières et la modernité. Beethoven et Shakespeare deviennent les symboles de la suprématie masculine blanche dont il faut protéger les noirs, que l’on décourage ainsi d’accéder aux œuvres culturelles universelles. Les noirs seraient des patients à guérir, des êtres vulnérables et les blancs des êtres toxiques. Dire qu’il n’y a qu’une race humaine est aujourd’hui traité comme un blasphème. C’est le manque d’opposition à cet antiracisme moderne qui a permis l’anéantissement du progrès moral des années 1960 et un déclin du progrès culturel de l’ère moderne. Soyons hérétiques, écrit Brendan O’Neill et appelons à l’universalité des droits et de la dignité.
L’amour qui n’ose pas dire son nom
Le titre d’un chapitre du livre de Brendan O’Neill fait référence à un poème écrit par Alfred Douglas, précédé d’un court texte d’Oscar Wilde (dont il était l’amant), il y a 130 ans dans le magazine étudiant d’Oxford abordant l’homosexualité, Chameleon. Ces mots conduisirent Oscar Wilde devant le tribunal pour indécence. L’éditeur fut conduit à renier cette publication dans le Daily Telegraph et c’en fut fait de Chameleon. Une annulation, en somme !
Aujourd’hui, un magazine comme Chameleon aurait à essuyer les menaces portées par l’idéologie du genre. C’est la dernière innovation du politiquement correct : redonner un souffle aux idées homophobes. L’homosexualité est un obstacle à l’idéal d’un monde postbiologique. Stonewall, l’association crée en 1989 pour combattre l’homophobie, a redéfini l’homosexualité comme l’attraction pour le même genre. Elle juge les homosexuels archaïques. Ils devraient être attirés par ceux qui se disent du même genre qu’eux, quel que soit leur sexe. Pour cette nouvelle idéologie du genre, c’est le sexe qui trahit la véritable identité. Un tel discours n’est pas sans rappeler celui tenu de la fin du XIXème jusqu’au milieu du XXème siècle, selon lequel l’homosexualité n’est pas une perversion mais un problème biologique. La psychiatrie parlait alors d’inversion. On assiste aujourd’hui à une repathologisation de l’homosexualité qui nécessite que l’on s’en prenne au corps pour le rendre compatible avec le sexe du cerveau. L’Iran est le champion, derrière la Thaïlande, de la chirurgie transgenre parce que violemment homophobique. Lors d’une Pride à Cardiff en 2022, des lesbiennes qui affichaient une banderole intitulée « les lesbiennes n’aiment pas les pénis » furent sorties du cortège par la police pour leurs propos dits haineux. Là où le langage est sous contrôle, la pensée l’est aussi. C’est pourquoi le passage de « même sexe » à « même genre » est problématique. Pour les gays, c’est la défaite après une grande victoire.
Vive la haine !
Le paradoxe est que l’essentiel de la détestation, du mépris de l’autre vient aujourd’hui de ceux qui disent s’opposer à la haine. En témoignent les injures et menaces que reçoit J.K Rolling pour avoir déclaré que les hommes ne sont pas des femmes, quels que soient les traitements qu’ils subissent, observe Brendan O’Neill. Comme il l’écrit, les militants trans et leurs alliés « détestent la haine, sauf la leur » et « la voient partout ». Ils sont très actifs dans la lutte visant à en expurger la vie publique, notamment par leur pratique de l’annulation. Le but n’est pas tant de s’attaquer à la haine que de la sanctionner. La participation à ces croisades contre la haine permet de sanctifier sa propre haine. Ne sont pas épargnés ceux qui, bien que non blancs, refusent d’y participer et sont traités de vendus. On l’a vu après le renversement de l’arrêt Roe v. Wade sur l’avortement par la Cour suprême. Clarence Thomas fut agoni d’injures. En fait, la haine n’est pas interdite pourvu qu’elle vise les bonnes cibles. Cette idéologie de lutte contre la haine s’est répandue pratiquement dans tous les secteurs de la vie, avec des codes de correction à respecter sous peine d’être banni. Comme l’écrit Brendan O’Neill, c’est la version séculière de l’inquisition et seul un fou peut s’imaginer que la censure s’arrêtera aux idées qu’il n’aime pas.
Ceux qui prétendent
Il est des blancs, aux États-Unis et au Canada, qui prétendent être des descendants d’indiens et ça leur réussit plutôt bien, au moins un certain temps. On se souvient de Littlefeather qui était venue recueillir le prix d’interprétation pour Marlon Brando en 1973 et s’était fait passer pour une apache. Elle avait alors lu un discours de Brando refusant le prix en raison du traitement des Amérindiens dans le cinéma, sous les huées des présents. Mais en septembre 2022, pour se faire pardonner, l’Academy Awards avait donné une réception en son honneur. Les temps avaient bien changé. On apprit néanmoins, après sa mort deux mois plus tard, qu’elle se dénommait Cruz et était la fille d’une blanche et d’un Mexicain. Les cas se sont multipliés [1]. Ainsi, l’universitaire Jessica Krug s’inventa une enfance de pauvreté dans le Bronx, abandonnée par son père, violée et dont la mère portoricaine était une droguée. On découvrit plus tard qu’elle était blanche et juive de classe moyenne supérieure. Ces mensonges sont une réponse à la censure et à l’annulation caractéristiques de l’idéologie identitaire. Ils indiquent à quel point personne n’ose critiquer quelqu’un qui prétend être ce qu’il n’est pas. On demande aux blancs d’être moins blancs, c’est ce que font ceux qui prétendent ne pas l’être, en mentant. N’est-ce pas ce que nous faisons tous à un degré ou à un autre ? écrit Brendan O’Neill. La nouvelle génération, qui cultive obsessionnellement les identités queer, est aussi engagée dans une version sexuelle du mensonge racial, pour éviter d’apparaître comme un hétérosexuel vieillot ! Ce que critique Brendan O’Neill, ce n’est pas l’appropriation culturelle mais la délégitimation au cœur du mensonge identitaire.
L’identitarisme fait de nous des faussaires qui, au lieu d’être, disent « s’identifier à… ». L’identité est devenue un costume. « C’est l’évacuation de toute substance se référant à nos anciennes identités qui a enflammé la chasse éperdue à de nouvelles identités ». Brendan O’Neill rappelle le mot de Kant : « Aie le courage d’utiliser ton propre entendement ».
Les mots blessent
Pour les Nations unies, l’instrumentalisation du discours public à des fins politiques peut conduire à la stigmatisation, la discrimination et la violence à grande échelle.
Une Université américaine a même fait une liste des mots qui blessent. « You, guys », qui généralise le masculin, y figure ! On dit que le pouvoir des mots justifie qu’on les contrôle. C’est tout le contraire. C’est parce qu’ils ont du pouvoir qu’ils doivent être libres. Brendan O’Neill cite le cas de William Tyndale qui œuvra à traduire la Bible et fut à la pointe de la réforme protestante. Il considérait, contre l’avis de l’Eglise, que chacun devait pouvoir la lire. Arrêté en 1535, il fut condamné, pendu et brûlé sur un bûcher. Comme l’a montré aussi l’attentat à Charlie Hebdo, la censure est beaucoup plus violente que les mots. Brendan O’Neill nous conjure de cesser de plaider notre cause en disant « ce ne sont que des mots », comme si s’exprimer était une chose sans importance. En plus d’être violente, la censure émousse notre sens critique, nous infantilise et nous exhorte à croire ceux qui décident à notre place ce que l’on doit penser. Il rappelle, à ceux qui vantent le respect et la civilité, que la liberté d’expression n’est pas un travail social, comme l’avait dit Claire Denis à propos de ses films jugés non corrects politiquement. « L’hérésie fait mal, c’est fait pour ».
L’insoutenable suspense entretenu ces derniers jours par Macron (« Quel héritier vais-je choisir comme ministre de l’Éducation pour se substituer à l’autre incapable — tiens, je vais prendre un pur produit de l’Ecole alsacienne, au moins, s’il est nul, il a les codes et il sort du sérail… ») a empêché la grande presse de se faire l’écho d’une splendide décision de la justice américaine : l’indemnisation (pour 1,8 milliards de dollars) des candidats recalés à l’examen d’enseignant de la Grosse Pomme, car les épreuves étaient « culturellement biaisées ». Notre chroniqueur s’en est amusé.
Dans Le Figaro Étudiant du 19 juillet, Jeanne Paturaud relate la décision récente de la justice américaine, si souvent citée en exemple de ce côté de l’Atlantique. Constatant que la moitié des candidats noirs ou hispaniques avaient échoué à l’examen qui donne à New York le droit d’enseigner, le tribunal a jugé que les épreuves étaient « culturellement biaisées ». Trop « blanches ». Pensez, on demandait par exemple « d’expliquer la signification d’un tableau de l’artiste pop Andy Warhol. Selon les plaignants, plus de 90% des candidats blancs ont réussi le test à choix multiples et l’essai, contre 53% pour les candidats noirs et 50% pour les hispaniques. » L’idée que lesdits candidats noirs ou hispaniques aient été nuls n’a pas effleuré le pays de l’égalité — au moment même où la Cour suprême, à majorité républicaine, supprimait une fois pour toutes la « discrimination positive » qui a permis au fil des ans à tant de représentants des minorités de prendre la place de postulants meilleurs qu’eux.
Et de décider d’indemniser ces recalés, sur la base de ce qu’ils auraient pu gagner s’ils avaient été admis. Vous souriez ? C’est typique, c’est la raison pour laquelle, dans l’échelle de notation américaine, les enseignants ne mettent plus E ni F, car les parents des progénitures injustement stigmatisées attaquaient en justice et gagnaient des sommes considérables, calculées sur ce que la baisse de self esteem faisait potentiellement perdre au malheureux bambin étiqueté cancre.
Sommes records
Ici, on ne plaisante pas avec les zéros posés avant la virgule. « Si les sommes varient parmi les 5200 personnes concernées, certains ont déjà reçu plus d’un million de dollars. » Des indemnisations versées aux plaignants jusqu’en 2028. Sans compter que la facture réellement payée par les New-yorkais sera bien plus élevée, car elle devra comporter (et non, je n’invente rien, lisez donc le New York Post) des sommes versées au titre de la retraite d’une fonction que les plaignants n’ont jamais exercée. Elle est pas belle, la vie ?
Le test incriminé concerne l’évaluation en « Liberal Arts and Sciences », qui balaie aussi bien des connaissances en maths, en histoire, en communication et recherche, en analyse et expression écrite ou encore en expression artistique. Il a été modifié en 2013 pour tenir compte des différences de cultures d’origines — et vous savez quoi ? « Les candidats d’origine afro-américaine ou hispanique sont toujours moins nombreux à réussir le test, comparé aux candidats blancs ». Fatalitas !
Indemnisons les Kevin et Mathéo !
C’est une idée grandiose qu’il faut impérativement importer chez nous. Les candidats de Seine Saint-Denis ou des Quartiers Nord de Marseille, qui parlent une langue multicolore, devraient réfléchir à la grave injustice qui leur est infligée en les obligeant à écrire et à parler une langue « blanche » et parisienne dans les épreuves des concours. Et à professer des certitudes de même couleur : la terre est ronde, hommes et femmes sont égaux, l’école en France est laïque et les vêtements à connotation confessionnelle n’y sont pas admis — et autres fariboles peu pratiquées dans les quartiers susdits.
Il est vrai que la France n’autorisant pas de repérage confessionnel ou ethnique, savoir qui est discriminé effectivement sera compliqué. Mais on n’aura qu’à demander à Darmanin, qui nous affirme que les émeutiers des dernières semaines se prénomment massivement Kevin et Mathéo », bien qu’ils aient paru « issus de l’immigration ». « L’explication seulement identitaire serait très erronée ». Indemnisons tous les Kevin qui voulaient se faire instits !
Heureusement que Kevin ne tient pas, en général, à entrer dans l’enseignement. Il a découvert dans son quartier bien d’autres moyens de gagner davantage que les 2000€ qu’on lui fait miroiter.
Heureusement qu’un peu de raison surnage outre-Atlantique. « The standards are the standards », dit un principal de collège. « It shouldn’t be based on what would be easy for blacks or whites. To hire people who are not qualified and change the requirements because a certain group didn‘t pass the test is bullshit » (« Embaucher des personnes qui ne sont pas qualifiées et modifier les exigences parce qu’un certain groupe n’a pas réussi le test, c’est de la foutaise »). Ben oui. Et les élèves que ces enseignants de second choix formeront n’arriveront pas bien haut. Mais il leur suffira, plus tard, de porter plainte…