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L’Albanie mérite-t-elle l’image désastreuse que nous avons d’elle?

En partenariat avec la revue de géopolitique “Conflits”


L’Albanie mérite-t-elle l’image désastreuse que nous avons d’elle?
D.R.

Si l’Ukraine et la Moldavie ont obtenu le feu vert de Bruxelles pour enclencher leur processus d’adhésion, l’Albanie « mélancolique » ne cache pas sa frustration face à ce qu’elle estime être un deux poids deux mesures. Pays peu connu, il charrie une image désastreuse trois décennies après la chute de la dictature communiste.


Dans notre imaginaire hexagonal, ce petit pays montagneux des Balkans (28 748 km²) charrie une litanie de clichés qui écornent son image. Le régime totalitaire du leader Enver Hoxha (1908-1985) au pouvoir de 1945 à 1985 avait pavé l’Albanie de bunkers, une Corée du Nord en Europe orientale. D’où cette fameuse réflexion du ministre français des Affaires étrangères de Georges Pompidou, Michel Jobert, parlant de la France « transformée en Albanie mélancolique », si l’on fermait ses frontières. Au moment de la chute du communisme, parmi les pays occidentaux, seules la France, l’Italie, l’Autriche et la Suisse entretiennent des relations diplomatiques avec Tirana. Dans un registre plus burlesque, on se souvient de l’infâme Karpov, chef des services secrets de la République populaire d’Albanie, incarné par Vittorio Caprioli, ennemi de toujours de Bob Saint-Clar interprété par Jean-Paul Belmondo dans Le Magnifique. 

Pendant plus de quatre décennies, ce pays a vécu l’une des plus effroyables dictatures de la planète. Le comportement paranoïaque de son dirigeant Enver Hoxha a laissé des séquelles matérielles comme l’atteste le retard économique du pays, les centaines de milliers de blockhaus disséminés sur tout le territoire. Séquelles psychologiques aussi, comme en témoignent l’endoctrinement et la propagande incessantes du régime, maintenant la population dans un état de terreur.

À la porte de l’Europe

Tirana, qui est membre du Conseil de l’Europe depuis 1995, frappe à la porte de l’UE depuis le sommet de Zagreb de 2000. En 2006, l’Albanie est devenue membre associé de l’UE après la signature d’un accord de stabilisation et d’association (ASA). Tirana, qui a formellement introduit une demande d’adhésion à l’UE en avril 2009 et s’est vu accorder le statut de pays candidat à l’adhésion à l’UE en juin 2014, n’a pas caché son irritation face à la rapidité à laquelle Bruxelles a accordé l’octroi du statut de candidat à l’entrée dans l’UE à l’Ukraine et à la Moldavie. Conséquence de son isolement forcé subi sous le régime d’Enver Hoxha, l’Albanie est, après la Moldavie, le pays le plus pauvre d’Europe. C’est aussi un pays dont les institutions démocratiques fonctionnent avec de grosses difficultés en dépit des réformes du système judiciaire amorcées en 2016 avec le soutien de l’UE. Mais les progrès sont beaucoup trop lents.  

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La mort du leader Hoxha en 1985 ne suscite pas un dégel, puisque son successeur Ramiz Alia poursuit la même politique. Il fallut attendre la chute du mur de Berlin, la révolution en Roumanie, des exodes massifs et l’intensification de la pression internationale, ainsi que la révolte des étudiants de Tirana en décembre 1990 pour que le multipartisme soit instauré. Ce qui n’empêche pas les communistes de se maintenir au pouvoir aux législatives de mars 1991. Ramiz Alia cède finalement son fauteuil de président en 1992 à Sali Berisha, qui ouvre l’Albanie à l’économie de marché, non sans heurts violents. L’inflation est galopante à mesure que le déficit agricole s’accroît. La privatisation et la libéralisation se traduisent par des fuites massives de capitaux. La décennie 1990 plonge le pays dans un cycle de violences, consécutives de la faillite du système bancaire et surtout de la chute des sociétés pyramidales en charge de collecter l’épargne des ménages en échange d’intérêts très rémunérateurs. En 1997, l’Italie voisine dépêche un contingent sous mandat onusien composé de 7 000 hommes, dont 930 Français. Cette mission baptisée « Alba » permet que se déroulent de nouvelles élections dont le Parti socialiste de Fatos Nano ressort vainqueur. Mais le crime organisé et les trafics prospèrent, tout comme la circulation libre de milliers d’armes. 

Un État de droit encore inachevé 

Si l’Albanie dispose à présent d’une législation conforme aux normes européennes, celle-ci est loin d’être appliquée. Les rapports de la Commission européenne sur Tirana se font régulièrement l’écho de la fragilité de l’État de droit et de la démocratie. L’anarchie en matière de permis de construire et du droit de propriété est monnaie courante. La propre ambassade de France en avait même été la victime à Durrës, où elle possède un terrain sur lequel s’est construit un immeuble sans aucune autorisation. L’administration publique accuse une pénurie chronique de ressources humaines et une corruption latente.

Si l’agriculture emploie encore 43 % de la population active, les statistiques peinent à intégrer la part léonine de l’économie informelle. En dépit des efforts de Tirana, les activités illégales (trafics d’êtres humains, de drogue, d’armes, de cigarettes et de voitures volées, réseaux de prostitution…) prospèrent. Selon un rapport officiel d’Europol datant de 2001, 40 % de l’héroïne distribuée en Europe était le fait de réseaux albanais. Ces gangs sont répartis dans toute l’Europe et extrêmement violents. L’ampleur des activités criminelles en Albanie, avec leurs multiples ramifications dans l’administration locale, appelle des mesures draconiennes. Les avancées périodiquement annoncées par le pouvoir consistent surtout en l’élaboration ou à l’amélioration d’un cadre législatif et réglementaire, mais dont l’application se fait attendre. Selon Transparency International, l’indice de perception de la corruption était de 2,4 sur 10 en Albanie en 2005, enregistrant une progression sensible en 2022 (3,6 sur 10).

Sur le plan militaire, l’Albanie rejoint l’OTAN en 2009 et met en œuvre un plan draconien de réduction de ses effectifs et d’adaptation de son matériel militaire. Le choix a été fait d’abandonner les forces aériennes lourdes, obsolètes et inadaptées à un pays montagneux et de petite taille, et d’investir dans des moyens de transport légers et multifonctionnels comme les hélicoptères. Les forces armées albanaises se réorientent vers des missions de protection civile et d’appui au contrôle des frontières.

De son côté, l’UE alloue chaque année entre 40 et 60 millions d’euros à Tirana dans le cadre de son programme d’assistance CARDS. Une manne conséquente, mais trop modeste au regard des besoins de développement du pays, et des transferts des immigrés albanais établis en Italie et en Grèce voisines.

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Face à l’UE, la Turquie, ancienne puissance coloniale jusqu’à l’indépendance de l’Albanie en 1912, se taille la part du lion en ayant progressivement étendu ses relais d’influence sur le plan économique, politique, mais aussi religieux. Le fossé s’est donc creusé entre les Albanais et l’UE en dépit de l’existence d’un ministère chargé de l’intégration européenne. Pour beaucoup, l’UE est avant tout perçue comme une vache à lait ; sa perception auprès de la population demeure positive, mais trop influencée par les médias et les politiques locaux et l’évolution du régime des visas pour entrer dans l’espace Schengen.

Le mythe d’une « Grande Albanie islamique »

Proclamée par son chef « premier État athé du monde » en 1967, l’Albanie a retrouvé la liberté de culte en 1990 et conserve un visage confessionnel pluriel, majoritairement musulman (70 %), mais aussi orthodoxe (18 %) et catholique et les mariages extracommunautaires étaient encore monnaie courante dans la décennie 2000. Unique membre européen de l’Organisation de la Conférence islamique, Tirana vante son modèle de tolérance religieuse, tout en se rapprochant de pays musulmans adeptes d’un islam fondamentaliste pour drainer des capitaux et des investissements. Des organisations prosélytes financées par l’Arabie saoudite et le Pakistan opèrent dans le pays, mais leur sphère d’influence demeure relativement cantonnée. Mais dans l’ensemble, la société albanaise n’est pas immunisée contre le virus djihadiste comme l’atteste la présence d’Albanais, originaires d’Albanie, du Kosovo et de Macédoine du Nord dans les rangs de l’État islamique.

Si les Serbes et les Macédoniens pointent du doigt le danger d’un irrédentisme albanais s’appuyant sur la forte démographie des Albanais du Kosovo et de Macédoine du Nord, il convient de souligner les effets causés par le décalage de mentalités entre Albanais du Kosovo et Albanais séparés par deux systèmes politiques rivaux ; le titisme yougoslave et l’envérisme stalinien. Certes, sous l’occupation italienne (1939-1941), l’Albanie avait vu ses frontières étendues au détriment de ses voisins serbes et monténégrins, incluant le Kosovo. Signe fort, l’abolition en 2021 des contrôles à la frontière entre le Kosovo et l’Albanie souligne l’intégration croissante des deux territoires. L’Albanie est le seul pays de la région à ne pas avoir connu la guerre depuis 1945 et à ne pas souffrir de divisions ethniques. Le pays a du reste accueilli des centaines de milliers de réfugiés pendant la guerre du Kosovo. 

Des perspectives prometteuses pourtant

Sur le plan économique, l’Albanie a enregistré une baisse significative de son taux de pauvreté, qui est passé de 25,4 % en 2002 à 14,3 % en 2012. Son PIB par habitant stagne en revanche autour de 30 % de la moyenne européenne, ce qui en fait l’un des pays les plus pauvres des Balkans. Conséquence de l’émigration massive, la population est passée en dessous de la barre des 3 millions ; les jeunes diplômés lorgnent un avenir en Europe. Cette hémorragie grève sérieusement l’avenir.

En dépit de la mauvaise santé de son économie, l’Albanie dispose de…

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Tigrane Yégavian est journaliste spécialisé en géopolitique. Il collabore notamment pour le compte des revues Moyen-Orient, Carto, France Arménie, Politique Internationale, Diplomatie et le Monde Diplomatique. Il a également publié "Arménie à l’ombre de la montagne sacrée" (Névicata, 2015), "Diasporalogue" (coécrit avec Serge Avédikian, éd. Thadée 2017), et "Mission" (coécrit avec Bernard Kinvi, éd. du Cerf, 2019).

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