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Le Mois des fiertés LGBT: une appropriation cultuelle

Enquête et révélations sur une véritable captation d'héritage en cours


Le Mois des fiertés LGBT: une appropriation cultuelle
Gay pride à Los Angeles, juin 2019 © Richard Vogel/AP/SIPA

Depuis le 1er juin, nous célébrons le Mois des fiertés LGBT. Ou du moins, un certain nombre d’institutions nous enjoignent de le célébrer. 


Le 1er juin, l’internaute qui recherchait « Pride Month » sur Google était récompensé par le géant californien qui le gratifiait, sur la page des résultats, d’une animation multicolore, accompagnée par un défilé éphémère de drapeaux arc-en-ciel. De nombreuses entreprises intègrent des messages et des emblèmes évoquant l’événement à leurs publicités et aux produits qu’ils mettent dans le commerce. Au cours du mois, des marches de personnes bardées de peinture corporelle multicolore ou travesties en drag queens et drag kings vont envahir les centres-villes. Les participants proclameront leur fierté d’être différents, tout en étant très semblables les uns aux autres. Ils se vengeront de leur « invisibilisation » dans l’histoire par une hyper-visibilité que pratiquement personne ne conteste aujourd’hui. 


Où est le mal ? Après tout, ne s’agit-il pas d’une bonne cause ? Un premier problème, c’est précisément l’omniprésence, le caractère incontournable, de cette célébration. À l’heure actuelle, certains gouvernements, médias et citoyens affichent leur soutien à l’Ukraine. C’est naturel, il s’agit d’une guerre : il y a urgence et qui veut prendre parti peut le faire. Ce n’est pas le cas des communautés homosexuelles envers lesquelles les sociétés et les cultures occidentales sont aujourd’hui beaucoup plus tolérantes que dans le passé. La dimension qu’a prise la célébration des fiertés ne semble donc pas proportionnelle à l’urgence de la cause et au degré d’injustice subie. Il faut savoir que dans certains pays – mais pas encore la France – il y a aussi un Mois de l’histoire LGBT, célébré en octobre aux États-Unis, au Canada et en Australie, par exemple. Tous ces mois de célébrations contribuent à une forme de surenchère qui banalise à l’extrême le concept de fierté et met à rude épreuve la patience du public. Certains internautes américains, faisant remarquer qu’une seule journée est consacrée à la célébration des vétérans des forces armées (bien qu’il s’agisse d’un jour férié fédéral), se demandent si ces derniers, par leur courage et leurs sacrifices, ne méritent pas un mois entier d’hommages beaucoup plus que les personnes LGBT. 

Mais un deuxième problème, plus grave, est que le caractère irrésistible et inattaquable de l’événement sur le plan moral en fait un phénomène que trop de groupes ont intérêt à exploiter à des fins de vertu ostentatoire, ou même à accaparer et à détourner à des fins autres que celles qui, à l’origine, ont motivé la création des marches des fiertés.

Captation d’héritage

Le premier Mois des fiertés officiel aux États-Unis a été annoncé par le président Clinton en 1999. Il s’agissait en partie de commémorer les Émeutes de Stonewall qui avaient eu lieu à New York en 1969 et qui restent une étape historique importante dans la lutte pour les droits des homosexuels. Dans de nombreux pays occidentaux, la période entre 2003 et 2013 a vu une grande vague de légalisations du mariage entre deux personnes du même sexe. Des légalisations dans d’autres pays ont suivi. On peut dire que le combat pour les droits et l’acceptation sociale des homosexuels a largement atteint ses objectifs. Pendant la même période, la cause des trans et d’autres personnes « gender-queer » a eu tendance à fusionner avec celle des gays et des lesbiennes. Mais après 2013, cette nouvelle cause a pris le dessus sur l’ancienne. Le mouvement humain, humaniste, de libération des homosexuels (en anglais, on disait autrefois « gay lib ») est détourné par une secte minoritaire, celle des idéologues du genre qui prétendent militer pour les intérêts des transgenres, les non-binaires et les a-genres (les personnes se disant sans genre). Ces idéologues profitent de la notoriété du mouvement et de son irrésistibilité morale, évoquée ci-dessus. Leur but ultime consiste à torpiller tout concept stable de genre, notamment dans sa version « binaire », homme/femme. C’est un projet conçu dans les années entre 1970 et 2000 et qui arrive aujourd’hui à un certain stade de maturité dans l’exécution. Il envahit les institutions – des établissements d’enseignement au monde de l’entreprise. Il y rencontre une résistance, certes, mais il s’agit maintenant de réduire et d’éliminer toute poche de résistance. Dans l’hyperbole scandaleuse qui accompagne cette attaque, toute opposition aux exigences les plus radicales des trans et des gender-queers est qualifiée de « génocidaire ».

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La célébration du Mois des fiertés LGBT est donc devenue une arme importante dans la panoplie de l’idéologie du genre. Les homosexuels, pour la plupart plus âgés, qui mettent en doute cette idéologie deviennent des personae non gratae et leur présence aux marches de la fierté n’est pas la bienvenue. Les symboles majeurs de la fierté ne sont nullement des personnes homosexuelles « ordinaires », mais des individus qui défient la notion traditionnelle de genre. Au Royaume Uni, le magazine Glamour a mis sur la couverture de son numéro de juin un « homme enceint », c’est-à-dire un homme trans (anciennement une femme) qui, ayant subi volontairement une ablation des seins, s’apprête à donner naissance à un enfant. L’image est accompagnée de trois épithètes : « Trans, Pregnant, Proud » (Trans, enceint, fier). La banalité même de cette image témoigne de la pénétration de l’idéologie du genre dans les esprits et les mœurs. 

Woke washing ? 

Mais comme c’est si souvent le cas, cette pénétration n’est pas qu’une affaire d’idées. C’est aussi une affaire d’argent. De nombreuses entreprises et enseignes commerciales profitent d’occasions comme le Mois des fiertés pour soigner leur image ou proposer des produits visant un public composé à la fois de personnes LGBT et d’autres individus anxieux de montrer combien ils approuvent la cause. Cette approche a souvent été qualifiée d’insincère, de cynique et de superficielle. En anglais, l’expression « woke washing » a été forgée pour décrire l’opportunisme apparent du secteur économique. En France cette année, les médias de gauche ont fait grand cas d’un livre publié par une Française, Audrey Millet, professeure d’histoire de la mode et des textiles à l’université d’Oslo. Woke Washing : capitalisme, consumérisme, opportunisme dénonce les actions apparemment pro-woke des entreprises comme un écran de fumée qui cachent les injustices et les inégalités – celles qui existent à l’intérieur de leur organisation et celles qu’elles créent ou maintiennent dans la société. Interviewée par L’Humanité, elle qualifie le woke washing de « fard à paupière des entreprises ». C’est évidemment très commode pour la gauche et tout le gratin wokiste de pouvoir dénoncer le monde des affaires, le pilier du capitalisme, et en même temps de prétendre que l’action de ce monde en faveur de la cause de l’idéologie du genre ne va pas très loin. Comme si les conceptions traditionnelles du genre n’étaient même pas encore menacées.

Pourtant, beaucoup d’entreprises vont si loin pour accommoder les idéologues qu’elles risquent de s’aliéner leur clientèle habituelle. Le cas de Bud Lite est déjà connu. Inévitablement, le Mois des fiertés LGBT suscite d’autres exemples, ridicules ou alarmants. North Face, la marque de vêtements de sports de montagne, a sorti une publicité montrant une « environnementaliste », Patty Gonia (un pseudonyme, suppose-t-on), qui se qualifie d’« homosexuel(le) ». En fait, c’est un drag queen qui gambade au milieu de la nature d’une manière qui n’a rien du comportement d’un sportif de montagne et tout de la caricature d’une femme vue par un drag queen. Sa tenue n’est en rien adaptée aux circonstances, et sous le maquillage plâtré sur son visage, on voit une moustache. En somme, un homosexuel ne peut plus être quelqu’un de normal ; il faut que ce soit un travesti qui cabotine à mort. Un sportif ne peut plus être un homme d’action traditionnel, il faut que ce soit un personnage ridicule.


Plus inquiétante a été la démarche de la grande surface américaine, Target, qui, en préparation pour le Mois des fiertés, a mis en vente tout un ensemble de vêtements, y compris pour petits enfants, portant des slogans pro-trans. Après une réaction ultra-hostile de la part d’un certain nombre de ses clients, une campagne de dénonciation par des conservateurs et une perte de presque 14% de sa capitalisation boursière, l’entreprise a retiré certains produits et déplacé l’exposition des autres à des endroits moins visibles dans ses magasins. La grande question est la suivante : pourquoi des sociétés si profitables prendraient-elles le risque ainsi de perdre des parts de marché importantes ?


La réponse tient en trois lettres : ESG. C’est l’abréviation de « Evironmental, Social and Governance » ; en français on parle de « critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ». Il s’agit d’une forme d’investissement qui prend en considération des éléments non-financiers. Les trois plus grandes sociétés d’investissement aux États-Unis, BlackRock, Vanguard et State Street Bank, prônent et imposent ces critères qui permettent de jauger, non la profitabilité d’une entreprise, mais son utilité. Toute entreprise cherchant à attirer des investissements importants se doit de répondre de son mieux à ces critères. Si la préoccupation majeure de la plupart des firmes et des investisseurs est la réduction de l’empreinte carbone, le soutien qu’une entreprise propose à la communauté LGBT – que ce soit par ses politiques internes d’embauche etc. ou par son action extérieure pour promouvoir la cause – compte aussi. Une organisation à but non-lucratif très influente, la Human Rights Campaign (littéralement « Campagne pour les droits humains ») maintient un classement des entreprises selon leurs actions pro-LGBT, le Corporate Equality Index (CEI). Chaque entreprise étant notée, elle a un intérêt financier à garder un bon score. Précisons que la Human Rights Campaign a reçu des subventions de la part des Open Society Foundations de George Soros. Qu’une entreprise soit cynique ou non, à la fin cela n’a aucune importance. En promouvant la cause des idéologues du genre, cause qui a cannibalisé celle des homosexuels, le secteur commercial contribue potentiellement à la révolution anthropologique réclamée par ces idéologues. Célébrer le Mois des fiertés, ce n’est pas simplement faire preuve de tolérance à l’égard des minorités, c’est potentiellement ouvrir la porte à un avenir que nous n’avons pas choisi en connaissance de cause. Sommes-nous arrivés au stade de la fierté ou à celui de l’arrogance ?

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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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