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Israël et le grand écart de Joe Biden

Le président américain veut plaire à tout le monde


Israël et le grand écart de Joe Biden
Le président israélien Isaac Herzoc et le président américain Joe Biden, Washington, 18 juillet 2023 © CNP/NEWSCOM/SIPA

Alors que Benjamin Netanyahu est attendu en Amérique à l’automne, Joe Biden a reçu le président israélien, Isaac Herzog, mardi, à la Maison Blanche. Il a tenté de resserrer un lien un peu distendu. Le lendemain, M. Herzog a été ovationné au Congrès, où des élus démocrates ont boycotté son discours.


Les relations diplomatiques sont un art qui n’est pas étranger à la gymnastique et qui requiert souvent une sacrée souplesse, fermeté des appuis et élasticité des adducteurs. Une preuve supplémentaire nous en a été donnée récemment avec la réception du président israélien, Isaac Herzog, par Joe Biden à la Maison blanche.

L’exercice n’était pas aisé. À cette occasion il fallait mettre en scène la « relation indestructible » avec Israël, pour donner des gages à l’État hébreu, tout en assumant les tensions avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu afin de donner également des gages à une partie de l’électorat démocrate. Ce dernier s’inquiète moins de la réforme de la justice voulue par le Premier ministre israélien, qu’il n’est travaillé par un antisémitisme latent. Cet électorat démocrate soutient en effet le mouvement woke, lequel est lié à des positions pro-palestiniennes qui rendent parfois ardue la distinction entre antisémitisme et antisionisme. Un antisionisme présenté comme « le droit à critiquer la politique du gouvernement israélien » alors qu’il ne constitue qu’une façon de refuser le droit à l’existence de l’État juif. Mais, comme il est la version socialement acceptable, à gauche, de l’antisémitisme le plus crasse, il a droit de cité dans le système politique. La virulence de ses partisans oblige toutefois à la prudence. Notons au passage qu’il n’y a que pour Israël que l’on a inventé un terme générique pour qualifier le fait d’en critiquer le gouvernement. Une particularité intéressante.

L’art de la synthèse démocrate

Dans ce contexte, il est difficile pour Joe Biden de revendiquer à la fois la proximité avec Israël et avec Black Lives Matter. Difficile mais pas impossible : la politique c’est aussi l’art des synthèses improbables. Pourtant, les Juifs furent des militants engagés de l’égalité des droits et se sont battus aux côtés de Martin Luther King dans le cadre du mouvement pour les droits civiques. Mais au fur et à mesure que les mouvements racialistes noirs désignaient le Blanc comme l’ennemi et l’islam comme référence commune au-delà de l’ethnie, la question juive s’est vite posée à nouveau. Black Lives Matter développe ainsi dans son discours politique, une rhétorique antisémite classique parlant de génocide du peuple palestinien, d’apartheid… La position du président américain n’est donc pas des plus confortables. Cependant, en faisant le choix de recevoir le président d’Israël et non le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, Joe Biden a envoyé un message subtil de distinction entre le pays et son dirigeant.

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La situation en Israël s’est beaucoup tendue autour de la réforme de la justice voulue par Benjamin Netanyahou. Cette réforme a amené une partie de la communauté internationale à faire un procès en recul démocratique à l’état hébreu. Pour faire oublier certaines paroles dures prononcées à cette occasion, le vote d’une résolution symbolique au Congrès des États-Unis a eu lieu la veille de la réception d’Isaac Herzog. Celle-ci déclarait solennellement qu’ « Israël n’est pas un pays raciste et que les États-Unis resteront toujours son allié loyal et solidaire ». Le problème c’est que lorsque l’on a autant besoin de réaffirmer et de mettre en scène son amitié, c’est souvent parce qu’il y a eu beaucoup d’eau dans le gaz dans la période qui a précédé.

Soumettre la Cour suprême

Revenons donc sur la réforme voulue par le Premier ministre israélien. Cette réforme n’a pas eu que des répercussions à l’international, elle a aussi mis le feu aux poudres en Israël, au point que l’on ne sait plus trop si elle va aboutir. Le texte visait à soumettre le pouvoir judiciaire au pouvoir politique et législatif. En effet, Israël est un pays de tradition anglo-saxonne, sans constitution écrite. La Cour suprême est donc la seule gardienne des lois fondamentales. Elle est à la fois le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel. Elle a donc la capacité de censurer les lois votées par le Parlement et le pouvoir politique dénonce donc régulièrement le « gouvernement des juges » quand il est contrarié. La réforme envisagée permettait donc aux députés d’imposer une loi qu’ils auraient votée, même en cas de censure par la Cour. S’ils parvenaient à obtenir la majorité à la Knesset, soit 61 voix, la loi serait promulguée malgré l’opposition de la Cour suprême. L’objet était aussi de changer le comité de nomination des juges en le plaçant sous contrôle politique. Sur les neuf membres composant cette institution, six auraient dû être des ministres ou des députés contre seulement trois magistrats.

Les opposants à cette réforme voyaient en elle un recul démocratique. En abaissant le principal contre-pouvoir existant face au parlement, elle donnait tout le pouvoir aux élus donc à la sphère politique, détruisant le subtil équilibre démocratique garant d’une forme de permanence juridique. D’ailleurs, pendant trois mois, des manifestations rassemblant des centaines de milliers de personnes ont eu lieu. Ce qui montre que dans ce petit pays comptant moins de 10 millions d’habitants, la réforme a suscité une forte réaction citoyenne. C’est parce qu’il est opposé à cette réforme et qu’il l’a fait savoir officiellement, soulignant que « les valeurs démocratiques ont toujours été et doivent rester une caractéristique des relations entre les États-Unis et Israël » que Joe Biden refuse de recevoir Benjamin Netanyahu. En recevant néanmoins le président de la République d’Israël, Joe Biden met en scène son soutien sans compromettre son positionnement politique. Il joue symboliquement le pays dans sa permanence en traitant son gouvernement comme un phénomène conjoncturel.

Tous contre l’Iran

C’est un choix intelligent. Et Dominique Moïsi, géopolitologue, l’explique fort bien. En effet, aucun des deux partenaires ne souhaite de rupture. Israël n’a pas d’alliés plus sûrs que les Américains car du fait de la stabilité de l’État hébreu, ceux-ci considèrent leur lien avec Israël comme une carte maîtresse dans cette région du monde. D’ailleurs, Joe Biden n’est jamais revenu sur l’installation de l’ambassade américaine à Jérusalem qui avait fait pourtant beaucoup parler. Si du côté d’Israël, on entretient la relation avec les États-Unis, la donne a néanmoins changé car la géopolitique de la région a évolué. Un certain pragmatisme l’amène à s’intéresser à ceux qui sont très présents dans son environnement au Moyen-Orient, notamment les Russes et les Chinois. L’État hébreu a intérêt à diversifier ses alliances et à rester très concret dans ses attentes. D’autant que se sentant moins menacé, il est aujourd’hui moins dépendant du grand frère américain : la signature des accords d’Abraham est vue comme une marque d’acceptation d’Israël dans la région par un certain nombre de pays arabes. Il faut dire que la question palestinienne n’est plus au centre des préoccupations ou de la propagande des pays arabes. Ils sont aujourd’hui plus soucieux de la puissance et des ambitions iraniennes, surtout de sa maîtrise du nucléaire, qu’ils n’entretiennent le rêve de voir se créer un État palestinien. C’est le cas de pays aussi divers que le Soudan, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, le Maroc… Des États-Unis à la Chine en passant par la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Union européenne et la Russie, personne ne souhaite un Iran nucléaire car cela entrainerait une course aux armements nucléaires dans toute la région. Autant s’éclairer au flambeau pour aller visiter une usine pyrotechnique.

Du côté de l’Iran, en revanche, pas question de renoncer à l’arme nucléaire. Les mollahs ont pensé que le renversement de Saddam Hussein en 2003 était lié au fait que celui-ci était trop vulnérable. L’arme nucléaire est donc vue comme une marque de puissance mais aussi comme une garantie, un outil de chantage lié à la survie du régime. Les Iraniens continuant de jouer un rôle déstabilisateur dans la région (à travers leur présence en Irak, aux côtés du Hezbollah au Liban, dans la guerre au Yémen et en Syrie), les États-Unis ne peuvent se priver de l’alliance israélienne. Les tensions autour de la question de la réforme de la Justice n’ont jamais changé cet état de fait. Il était donc logique que la raison l’emporte et qu’Israël et les États-Unis mettent en scène cette réconciliation qu’aucune véritable rupture n’avait précédée.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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