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Tuez-moi, sinon vous êtes un assassin…

Laurent Seksik, "Franz Kafka ne veut pas mourir" (Gallimard, 2022)


Tuez-moi, sinon vous êtes un assassin…
Le romancier Laurent Seksik photographié en 2010 © BALTEL/SIPA

Après avoir évoqué Les derniers jours de Stefan Zweig, en 2010, Laurent Seksik revient sur une autre figure de l’Europe centrale, dans Franz Kafka ne veut pas mourir.


Là encore, l’auteur s’intéresse à la fin de vie de l’écrivain tchèque, décédé en 1924, mais aussi au destin, durant les deux décennies suivantes, de trois de ses proches : Robert Klopstock, l’ami médecin, Dora Diamant, compagne connue un an avant sa mort et Ottla Kafka, la sœur de l’écrivain. Un livre pas si neurasthénique, car, malgré la supplique finale faite à son ami Robert (« Tuez-moi, sinon vous êtes un assassin »), Kafka apparaît finalement un peu plus solaire qu’on l’imaginerait: « L’homme n’avait rien de sombre. On riait, on chantait, on dansait même parfois au son des airs de guitare du capitaine ».

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La vie, une gare immense et désolée

Il y a quand même, dans ce roman, quelques belles phrases désespérées et torturées. Au moment de la mort de l’écrivain : « L’âme de Kafka quittera bientôt ce corps. Ou bien il n’y nulle âme qui tienne, rien avant, rien après, la vie est une gare immense et désolée où se croisent des hommes mus par des espoirs insensés, qui ne font qu’attendre des trains qui ne viendront jamais ». Les amours compliquées sont ainsi évoquées : « Les lettres, tant à Felice qu’à Milena […] le rendaient maître du jeu amoureux et lui autorisaient l’esquive, le mensonge, la dissimulation, la manipulation, les faux serments. Si bouleversantes fussent-elles, ces lettres s’adressaient à des inconnues ou presque. Appelaient-elles une réponse ou pouvait-on les lire comme de simples et sublimes monologues intérieurs ? Les jeunes fiancées d’un temps eurent sans doute tort d’y voir la promesse d’une grande suite nuptiale quand c’était seulement l’obscure antichambre d’une conscience agissante. La rage forcenée avec laquelle était criée sa soif d’amour n’était peut-être rien d’autre qu’une manière d’étancher ses fringales d’écriture ». Il y a aussi l’épisode connu de la lettre au père. Selon la sœur Ottla, la lettre au père est ce qu’il a écrit de plus important et, finalement, « peut-être même que tous ces écrits antérieurs, l’ensemble de ses nouvelles, ses ébauches de roman n’étaient-ils que des brouillons, un simple préambule » avant cet acte. Un père autoritaire, rabat-joie, qui a une haute conscience du sort des juifs d’Europe centrale et qui ne voit dans toute période heureuse qu’un bref moment de répit avant de nouveaux drames. La nouvelle génération, au lendemain de la Grande Guerre, est, elle, d’un optimisme béat. « Pour [les juifs], comme pour le monde entier, le XXème siècle offrait un avenir radieux. Le soleil qui se levait sur les décombres de la guerre éclairerait bientôt toute l’humanité », pense alors Robert Klopstock.

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Interrogatoire… kafkaïen

Le récit se poursuit durant les vingt années qui suivent la mort de l’écrivain. Robert, Dora et Ottla naviguent au sein de la Mitteleuropa et traversent les frontières au fil des annexions successives du IIIème Reich. Il y a dans la deuxième partie du roman de grands moments kafkaïens. Quand Robert Klopstock passe au bureau de la société d’assurance qui a employé Kafka plusieurs années, le directeur adjoint de la société d’assurance fait un éloge et une lecture émue de l’un de ses articles (un texte dans le style le plus juridico-jargonnant qu’il soit possible d’imaginer), qui avait « atteint l’un des sommets de l’art de l’assureur ».


S’il a vécu son emploi comme un frein à sa volonté d’écrire, on comprend qu’il a su déjouer le farouche antisémitisme qui sévissait dans ce milieu pour gravir les échelons au sein de l’entreprise.

Et puis il y a l’interrogatoire musclé de Dora, exilée en URSS et vite revenue de son adhésion primesautière au régime marxiste. Bientôt entre les mains du NKVD, qui veut la convaincre de trotskysme, elle est amenée à raconter à l’enquêteur l’intrigue du Procès. Plus l’interrogatoire avance, plus l’agent reconnaît son quotidien et le régime politique qu’il sert. Dans un accès de compassion très bref, il lui laisse un tout petit instant pour s’échapper, retraverser une nouvelle fois toute l’Europe et atteindre l’île de Man. Et ce n’était pas là la fin de l’aventure.

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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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