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Les «Ringards» au pouvoir!

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À la vue du nouveau gouvernement et sa composition tragi-comique, Monsieur Nostalgie préfère les vrais, les authentiques, les flamboyants Ringards du film de Robert Pouret de 1978. Ceux-là ne nous décevaient jamais et avaient la décence de ne pas faire de la politique !


Il y a comme ça des dimanches patibulaires. Crépusculaires. Ils annoncent la fin d’une classe politique démonétisée depuis quarante ans. Le divorce est consommé. Système tournant à vide, à la botte de quelques affidés, sans plus aucune consistance intellectuelle et assise réelle. Un machin hors-sol que le peuple, par salubrité, par honte aussi (lui ne nie pas ses fautes), a mis à distance. Très loin de sa vue. Cachez-nous ces représentants, les enfants regardent la télévision, ils pourraient prendre pour acquis leurs mauvaises manières. On apprenait jadis dans les IEP que ce peuple français était politique, colérique, passionné par la « chose publique » et le débat des idées, qu’il avait le sens du collectif et de la controverse, qu’il croyait à la geste de ses élus et au récit national. Ce peuple tant honni et tellement infantilisé fait désormais sécession dans les urnes et dans les têtes. Il est ailleurs. Il est fragmenté. Il est satellisé. Il répond aux abonnés absents. Il n’a plus le courage de participer et encore moins d’encourager les gesticulations de ce théâtre répétitif, besogneux, visqueux, laid et vide des ors de la République. Le peuple, contrairement à ses élites, ne se défausse pas, il a sa part de responsabilité dans la création de ce « monstre » démocratique. Ce système chimérique et ses relents de morgue, il en a été l’artisan.

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Au fond de lui, par fatigue morale, par étranglement économique et peur de sombrer, par des votations erratiques et des entourloupes constitutionnelles, le peuple a laissé courir. Il a été floué. On lui a menti. Il a été faible. Bien qu’il n’ait jamais cru aux boniments, aux promesses, aux grands soirs, il s’est laissé anesthésier, peu à peu, jusqu’à se désintéresser du schmilblick. Il a laissé prospérer le délitement. Laissé à une classe d’apprentis-sorciers les rênes du commandement par dépit, rarement par enthousiasme débordant. Il a même admis, magnanime, que cette classe surprotégée pouvait vivre à ses frais, sur son dos, le tondre à l’occasion et le faire culpabiliser. Il a accepté de les nourrir, de les loger, de les habiller, sans contrepartie. C’est la grandeur des vieilles nations, notre courtoisie bienveillante. Les Français sont des seigneurs un peu las de tout ce cirque médiatique. De ce barnum qui captive seulement quelques professionnels du commentaire sur les antennes. Nous avons pourtant l’habitude d’être dupés. Là, peut-être à cause de l’accumulation, du côté farce et amateurisme, l’amertume nous monte à la gorge. Un petit goût d’enfumage plane sur notre pays. Nous avons délégué, durant des décennies, à des plus « sachants », à des supposés plus « instruits » que nous. Les diplômes dorés, parfois plaqués, de nos dirigeants ne font plus guère illusion. Le diplôme sans la culture, sans la stature, sans l’incarnation et sans la vibration intime de notre terre n’est qu’une guenille. Des frusques. Face à cette faillite, je préfère m’en remettre aux vrais « Ringards », ceux du film sorti à la fin du mois de septembre 1978. Nous étions sous Barre III. Boulin était au Travail, Soisson au Sport et Deniau, le navigateur berrichon au Commerce extérieur.

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Place aux authentiques branques, aux « bons à rien » de classe internationale, braqueurs pathétiques, un aréopage d’inutiles et de gentils parasites. Des flamboyants de la « lose ». Incapables de mener à bien une mission. Ils s’appelaient Aldo Maccione qui fêtera ses 90 ans en novembre prochain, dragueur turinois impénitent, Julien Guiomar, le Breton professoral et Charles Gérard, le réfractaire en polo de tennis. Une triplette qui mériterait d’entrer dans les ministères sous la supervision de Mireille Darc conduisant une Lancia dans la cour de Matignon. Ils étaient nuls, fainéants, des tire-au-flanc splendides de bêtises et d’arrivisme.  Avec eux, au moins, on riait de bon cœur et on oubliait nos misères quotidiennes. J’apprends que Georges Descrières et Katia Tchenko ont été coupés au montage de cette comédie ratée. Ils auraient mérité leur maroquin.

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Trump et Netanyahou feront-ils bouger l’histoire?

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Le Premier ministre israélien Netanyahou se dit certain de pouvoir libérer les otages et désarmer les terroristes du Hamas, que ce soit grâce au plan de Donald Trump ou par la force.


La politique produit des grands et des petits hommes. Les grands hommes sont ceux qui affrontent, seuls le plus souvent, le mur du conformisme afin d’atteindre leurs objectifs. Les petits sont ceux qui tergiversent, se trompent d’adversaires, pactisent avec la meute. Le plastronnant Emmanuel Macron est de cette seconde race. Voici un président qui flatte l’opinion anti-israélienne en joignant sa voix à ceux qui accablent Benyamin Netanyahou, et qui accuse Vladimir Poutine de « confrontations permanentes » contre l’Europe. Le chef de l’État voit beaucoup de complots russes ; y compris dans des « pétroliers fantômes » contre qui il a exigé des « politiques d’entrave ». C’est ainsi que la Marine a arraisonné la semaine dernière, dans les eaux internationales au large de Saint-Nazaire, un navire soupçonné d’être pro-russe et d’être la plate-forme de drones envoyés dernièrement survoler le Danemark.

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Vérifications faites, l’équipage était chinois et aucun appareil n’a été trouvé. Le bateau a repris sa route jeudi soir après une garde à vue de son capitaine. Ce flop a été aimablement passé sous silence par les médias. Le fiasco est venu rappeler néanmoins le jeu trouble que Macron entretient avec les peurs collectives, en alimentant cette fois un possible conflit avec une puissance nucléaire. Aurait-il le dessein de constituer autour de lui, avec une guerre contre la Russie, une solidarité nationale qui part en lambeaux (16% de satisfaits dans le dernier baromètre du Figaro Magazine !) ? La question mérite en tout cas d’être posée, tant le personnage est sans limite. Sébastien Lecornu a au moins l’honnêteté de se présenter comme « le Premier ministre le plus faible de la République ».

Parallèlement à ces manœuvres médiocres, qui rendent par capillarité le spectacle politique français affligeant d’amateurisme[1], des grands hommes sont en train d’écrire l’histoire.

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Donald Trump et le Premier ministre israélien, tous deux conspués par l’unanimisme médiatique, sont de ceux-ci. Le choix de Netanyahou d’éradiquer coûte que coûte le Hamas islamiste, au prix d’une guerre cruelle lancée à Gaza après le 7-Octobre 2023, semble avoir atteint son but : sous la pression conjointe du président américain, le mouvement terroriste s’est dit prêt à accepter les conditions de sa reddition, en acceptant notamment de libérer les 48 derniers otages, dont beaucoup sont morts. Dix-sept pays arabes, dont le Qatar qui abrite la branche politique du Hamas, sont prêts à consolider une paix avec Israël. Si «Bibi» avait obtempéré aux coups de menton de Macron en cessant le feu prématurément, le Hamas n’aurait vraisemblablement pas eu à rendre les armes. Certes, rien n’est encore, ce lundi matin, totalement acquis de la part d’un mouvement islamiste apocalyptique. Mais une dynamique de paix est enclenchée. MM. Trump et Netanyahou, les deux pires parias occidentaux (après Poutine) aux yeux des esprits capitulards, sont en train de clore la politique du « soft power » qui jusqu’alors était la norme convenue. Tous deux ne manquent pas de défauts, c’est entendu. Mais les petits hommes, eux, n’ont aucune qualité.

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[1] Les LR devaient dire, ce lundi à midi, s’ils se maintiendraient dans le nouveau gouvernement macronien… dont le Premier ministre vient de démissionner.

Emmanuel Macron: Je trolle donc je suis

Dernière minute : Reçu ce matin au Palais de l’Elysée, Sébastien Lecornu a remis sa démission au président Macron, qui l’a acceptée. Le grand cirque continue… •

Sébastien Lecornu a frappé fort hier soir avec l’annonce des 18 premiers membres de son gouvernement. Lui qu’on pensait incapable de peser face à Emmanuel Macron, quel démenti cinglant infligé à ses détracteurs, quel séisme ! Car la nouvelle équipe ne ressemble en rien à la précédente, et c’est à peine si l’on y reconnaît un visage…

Ah ! nous espérions un acte d’émancipation, nous avons été servis ! Après tout, Emmanuel Macron nous avait annoncé qu’il allait révolutionner la politique ; il fallait donc s’attendre à ce que Sébastien Lecornu, l’un de ses plus fidèles disciples, révolutionne l’art de composer un gouvernement.

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé

Mais tout de même, se dit-on. Patrick Mignola, Marie Barsacq, Laurent Marcangeli, Eric Lombard, François Rebsamen : une telle hémorragie de talents, alors que la France, on le sait, est un patient affaibli, est-ce vraiment bien raisonnable ?

Aucun grand médecin, certes, n’ignore les vertus d’une saignée ; mais celle-ci, par son audace, passait décidément toutes les bornes connues.

Aussi ne pouvait-on s’empêcher de se demander, étreint d’un doute atroce, en ce dimanche finissant : Jupiter, notre infaillible Jupiter, n’était-il pas allé trop loin cette fois, en amputant l’État de cinq de ses piliers ? Et nous maudissions Ganymède, son nouveau Premier ministre, de l’avoir entraîné ainsi dans l’hybris et l’inconnu.

« Je vous ai compris »

De la grande telenovela voulue et réalisée par Emmanuel Macron depuis l’été 2024, l’épisode du 5 octobre demeurera comme un des sommets de la seconde saison. Car cette annonce du gouvernement, c’est l’équivalent jupitérien du « Je vous ai compris » gaullien, c’est-à-dire une manière très particulière de marquer sa compréhension de ce qu’on lui demande, mais qui, en l’occurrence, ne s’embarrasse plus d’aucune ambiguïté (car Jupiter l’intrépide, lui, ne craint pas qu’on « vienne le chercher »). Mon seul regret, dans cette belle trouvaille, c’est donc que nos deux scénaristes n’aient pas osé aller au bout de leur idée, en conservant toute l’équipe précédente et en nommant simplement Bayrou aux Armées, pour parachever leur troll.

La dream team toujours là

Mais je boude mon plaisir, car la fine équipe qu’ont commencé à réunir Jupiter et Ganymède, nos deux orfèvres politiques, s’annonce déjà comme une farandole de pépites.

Il serait évidemment trop long de les passer toutes en revue ; aussi, rassurons-nous en disant qu’à l’exception de nos cinq disparus de Saint-Agil, le cœur battant de la brillante phalange gouvernementale dont nous disposions est toujours là. En particulier, la superbe batterie constituée par ces sortes de ministres-tofu – Catherine Vautrin, Agnès Pannier-Runacher, Roland Lescure, Amélie de Montchalin, etc. – dont on a l’impression qu’ils pourraient rester en place 1000 ans sans laisser une quelconque trace de leur passage, est parfaitement préservée. 

Ensuite, si nous nous attardons plus particulièrement sur quelques joyaux, les nations du monde entier, en tout premier lieu, nous ont remercié pour la reconduction de l’indispensable Jean-Noël Barrot à la tête de notre diplomatie. Avec cet excellent paillasson hypoallergénique, toujours disposé à servir, nos partenaires diplomatiques sont en effet assurés d’avoir leurs semelles propres en permanence, et ont donc été ravis de pouvoir conserver cet article de télé-achat, notamment en Algérie, où les semelles se salissent notoirement très vite.

Nos confettis d’empire n’ont pas non plus été oubliés et Manuel Valls a été confirmé, pour son plus grand bonheur, dans ses anciennes responsabilités ; il n’aura donc pas à s’expatrier dans un nouveau pays pour y essayer à toute force de récupérer un maroquin quelconque. La loi établie avec Ségolène Royal pour les pôles se confirme ainsi avec lui pour l’outre-mer : plus un territoire s’éloigne de la métropole, et plus il faut convoquer les forces vives de la nation pour y représenter dignement le gouvernement.

La Culture, quant à elle, aurait évidemment été orpheline sans cet autre superbe exemple de 4×4 idéologique qu’est Rachida Dati, jamais à court d’un reniement si cela peut lui sécuriser un débouché. Quand on pense que même Nicolas Sarkozy, avec son immense bagage littéraire, n’avait pas osé la nommer à ce poste, on mesure combien Malraux serait surclassé…

Le rappel de Cincinnatus

Mais c’est surtout le rappel de Bruno Le Maire aux affaires qui traduit la conscience aiguë que Bouvard et Pécuchet (Macron et Lecornu) ont désormais de l’impasse politique dans laquelle nous nous trouvons.

La République romaine, comme on sait, avait instauré dans ses premières années d’existence une magistrature extraordinaire, pour faire face aux situations de péril ou d’urgence extrêmes qu’elle pouvait traverser : la dictature. Alors, pendant une période limitée, un individu, généralement choisi parmi les anciens consuls, se voyait confier un pouvoir absolu, le temps de résoudre la crise.

Bruno Le Maire est le nouvel avatar de cette dictature romaine ; plus exactement, le lointain successeur, à travers les âges, du grand Cincinnatus, que les envoyés du Sénat vinrent arracher à sa charrue, en 458 avant notre ère, pour sauver Rome des Èques, tâche qu’il accomplit en seulement seize jours, avant de rendre le pouvoir aussi sec pour retourner labourer ses terres au-delà du Tibre. Malheureusement, Bruno Le Maire ne disposera pas des pleins pouvoirs – sans quoi nous serions sauvés  –, mais il pourra compter sur ses talents multiples, d’autant qu’il n’est pas le seul à être rappelé des limbes par Jupiter et Ganymède. Son come-back s’accompagne en effet de celui d’un autre grand revenant, Éric Woerth, tout juste relaxé, étonnamment nommé à l’aménagement du territoire quand son expertise financière eut été bien utile aux Comptes publics. Espérons que cette anomalie sera vite régularisée, car notre talentueux gouvernement pourrait devoir se révéler plus expéditif encore dans sa mission que l’excellent Cincinnatus.

Les fourberies de Scapin

La seule incompréhension qui persiste ainsi chez moi, à l’heure tardive où j’écris ces lignes, naît du rempilage du brave Bruno Retailleau à l’Intérieur. Rempilage à propos duquel il faut bien reproduire l’interrogation médusée de Géronte, dans ces délicieuses fourberies de Scapin auxquelles j’ai eu le plaisir d’assister la semaine dernière, à la Comédie française, avec un Noam Morgensztern génial dans le rôle éponyme : « mais que diable allait-il faire dans cette galère ? »

Saint Thomas Becket et Dame Sarah Mullally: du martyre à la bien-pensance

Tout compte fait, la nomination de Sarah Mullally, première femme archevêque de Canterbury, est aussi frustrante pour les progressistes que pour les conservateurs. Analyse.


Quatorze siècles de tradition immuable se sont écoulés pour qu’une femme accède, enfin, à la primatie de l’Église d’Angleterre. Le 3 octobre 2025, Charles III a entériné la nomination de Sarah Mullally, actuelle évêque de Londres et ancienne infirmière en chef du NHS, comme 106ᵉ archevêque de Canterbury. Un moment que les commentateurs qualifient d’« historique ». Mais en quoi cette nomination serait-elle véritablement historique ? D’un sursaut spirituel ou d’un alignement complaisant sur l’air du temps ?

Le vernis du progrès

La nouvelle primat n’a rien d’une théologienne flamboyante : sa carrière fut d’abord médicale, puis managériale. Profil idéal pour une Église transformée en ONG morale. Alors que les temples se vident et que les scandales d’abus minent sa crédibilité, l’anglicanisme a trouvé une parade : ériger son archevêque en symbole inclusif. Première femme, donc première victoire… mais surtout pour la communication.

Un essaim de promesses

Elle succède à Justin Welby, emporté par l’affaire Smyth et ses graves défaillances en matière de protection des fidèles. Mme Mullally promet « d’écouter les survivants ». Des mots mille fois entendus. Ce dont l’Église anglicane a besoin, ce n’est pas d’un nouveau slogan, mais d’une réforme en profondeur – et cela, on peine à le discerner dans son discours.

La vitrine de l’archevêque

Ses positions sont connues : bénédiction des couples homosexuels, respect « de ceux qui refusent son ministère féminin », soutien au LGBT+ History Month. Sur l’avortement, elle se dit « plus proche du pro-choice que du pro-life », tout en penchant « personnellement vers le pro-life ». Sur l’euthanasie, elle s’est opposée à l’aide à mourir à la Chambre des Lords. Bref : compromis, nuances, demi-teintes. Une théologie du « en même temps » – inclusive pour les progressistes, rassurante pour les conservateurs… mais frustrante pour tous.

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Un trône fracturé

Cette nomination réjouit Londres, mais scandalise le Sud anglican. Le GAFCON a déjà dénoncé une « trahison biblique ». Pour les Églises africaines et asiatiques, une femme archevêque n’est pas seulement une hérésie : c’est la preuve que l’Occident impose sa modernité comme une nouvelle colonisation culturelle. Inclusivité, oui – mais au prix de l’unité.

À cheval sur deux mondes

Mme Mullally n’est pas seulement pasteure : elle siège à la Chambre des Lords, où elle s’oppose aux projets du gouvernement, de l’euthanasie à l’expulsion des migrants vers le Rwanda. Ses interventions la placent au cœur du débat politique. Mais l’archevêque est-elle encore une figure spirituelle, ou simplement la conscience sociale attitrée d’un Royaume en quête de morale d’État ?

Du feu de Cranmer au vernis de l’époque

Souvenons-nous : l’anglicanisme naquit dans la fureur d’Henri VIII et la radicalité de Thomas Cranmer, brûlé vif pour sa foi. Cinq siècles plus tard, l’audace s’est muée en conformisme. De la défense intransigeante de la vérité, on est passé aux compromis inclusifs. L’archevêque d’hier affrontait les rois. Celle d’aujourd’hui rassure les éditorialistes.

La nomination de Sarah Mullally restera comme un jalon. Mais que marque réellement ce jalon ? Un réveil spirituel ou une soumission à l’idéologie dominante ? À force de vouloir plaire à tout le monde, l’Église d’Angleterre risque bien de ne plus émouvoir personne. En 1170, Thomas Becket mourait à genoux devant l’autel, refusant de céder au pouvoir. En 2025, Dame Sarah Mullally s’incline, elle, devant le pouvoir de l’air du temps.

La justice, c’est quand on gagne le procès…

Les yeux de l’Éternel sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leur cri.
Psaume 34 :16.

La justice, c’est quand on gagne le procès.
Samuel Johnson.


En France, font les manchettes la condamnation de l’ex-président Sarkozy pour « association de malfaiteurs » dans le cadre du procès relatif au financement libyen et le procès en cours de Cédric Jubillar, accusé de meurtre de son épouse.

Sarkozy : une nouvelle affaire Dreyfus ?

Commençons par l’ex-chef de l’État.

Plus que sa condamnation en elle-même, c’est la décision d’exécution provisoire qui fait débat : d’aucuns y voient une atteinte à la présomption d’innocence dont jouit en principe tout condamné qui fait appel.

Il n’est pas question ici de se prononcer sur le bien (ou mal)-fondé de cette condamnation. Aux citoyens justiciables et aux médias que l’affaire intéresse d’examiner le dossier, en commençant évidemment pas les attendus du jugement et en faisant les recoupements pertinents. Chacun peut souverainement tirer ses propres conclusions; chacun a le droit absolu de « juger les juges » et de défendre ses conclusions dans l’agora.

On se penchera sur les déclarations publiques pertinentes. La droite dénonce un acharnement « politique » et Nicolas Sarkozy, lui, évoque non seulement une « honte », une « indignité », mais aussi une « infamie ». Bref, une nouvelle affaire Dreyfus.

Comme il fallait s’y attendre (on est en France) les cris aigus de vierges effarouchées ne se sont pas fait attendre : une vingtaine d’avocats viennent de porter plainte contre Nicolas Sarkozy, l’accusant d’avoir discrédité l’institution judiciaire: il y aurait « de fait un acte délibéré de discrédit porté à l’institution judiciaire, de nature à affaiblir la confiance des citoyens dans l’impartialité et l’indépendance de la justice ».

Et, ô surprise, abonde dans le même sens M. Ghaleh-Marzban, le nouveau président du Tribunal de Paris, selon lequel ces critiques « sapent les bases de notre droit et les fondements de notre démocratie ». Rien que ça.

La question est donc posée: l’institution judiciaire mérite-t-elle cette confiance de la part des citoyens?

Un peu d’histoire française (et pas seulement française).

Depuis l’affaire Calas, l’institution judiciaire s’est parfois complue dans l’infamie. L’exemple classique est l’affaire Dreyfus, où chaque magistrat de toute la hiérarchie judiciaire fut le servile larbin de l’antisémitisme. Idem en ce qui concerne la persécution de son défenseur Émile Zola. La nature humaine a-t-elle changé depuis et les leçons ont-elles été tirées? Plus récemment, il y a aussi l’affaire Outreau. Et d’ailleurs, à ce sujet, l’infamie persiste puisque l’ex-juge d’instruction Fabrice Burgaud a fait l’objet d’une simple réprimande et (aux dernières nouvelles) coule aujourd’hui des jours heureux dans sa sinécure d’avocat général référendaire de la Cour de cass’; une référence précieuse dans les pourvois fondés sur l’erreur judiciaire. Il a eu droit à un poste qui fait l’envie de bien des juristes.

(Petite note de droit comparé : en droit pénal anglo-saxon, il n’y a pas de juge d’instruction et ses fonctions sont remplies par le procureur, qui est avocat; un Burgaud aurait été rayé du barreau et fait, en… outre (si l’on ose dire), lui-même l’objet de poursuites pénales).

Bien entendu, les menaces de violence proférées contre les magistrats sont gravement attentatoires à l’État de droit et inadmissibles. Mais quid des remontrances des condamnés?

On répondra aux détracteurs de l’ex-président que, objectivement, c’est plutôt le bâillonnement d’un condamné qui est dangereux pour l’État de droit, lequel repose, précisément, sur le droit absolu du condamné de dénoncer une possible injustice du processus judiciaire. L’article 434-25 du code pénal est une archaïque survivance de l’esprit de la Sainte Inquisition qui a d’ailleurs été habilement transposé dans la procédure pénale stalinienne.

Le vrai fondement de la démocratie et de l’État de droit, c’est le droit absolu de dire : « J’accuse ». Incidemment, cela vaut aussi pour Mme Rachida Dati, qui fait face à un calendrier judiciaire relativement chargé.

(Autre petite note de droit comparé, l’infraction de common law équivalente, dite « scandalizing the court » – les lecteurs auront traduit d’eux-mêmes – a disparu des juridictions anglo-saxonnes les plus évoluées, notamment pour inconstitutionnalité, au titre de la violation de la liberté d’expression).

Comme le savent tous les magistrats et les avocats plaideurs dignes de ce nom, en substance, tout procès (civil ou pénal) est une vente aux enchères; la mise à prix dépend évidemment de divers facteurs, notamment de la nature de la cause, mais l’issue dépend étroitement des ressources respectives des parties, car le riche (qui a aussi pleinement droit à la présomption d’innocence dans un État de droit) est en meilleure position pour soutenir une guerre de tranchées. En l’espèce, il serait instructif de connaître le budget des parties. A ce stade, l’on peut sans doute conjecturer que M. Sarkozy a pu puiser dans un arsenal quelque plus conséquent que celui de l’officier d’artillerie Alfred Dreyfus jadis.

Cela dit, les bonnes âmes qui font de la confiance aveugle en l’institution judiciaire un acte de foi sont parfaitement libres de voir dans les récriminations d’un quelconque condamné, et de ses défenseurs, la hargne des mauvais perdants. Cela n’engage qu’elles.

Il faut déplorer cette tendance de la magistrature à être juge… et partie. En tentant de réduire au silence par l’intimidation un condamné censé jeter le discrédit sur elle, elle se livre à un abus de pouvoir et oublie que dans le mot « discrédit », il y a le mot « crédit ». C’est mettre la charrue avant les bœufs. Pour toute institution humaine, le respect, ça se mérite.

Parlant de respect, passons au procès Jubillar.

On constate d’abord une entrée en matière classique en France: sont exposés les antécédents et les analyses de personnalité de l’accusé effectuées par d’éminents experts disciples de Jacques Derrida.

(Autre petite note de droit comparé : la procédure anglo-saxonne, logiquement, rejette une telle hérésie car les parties débattent d’abord la matérialité des faits et, le cas échéant,  en recherchent ensuite, les éventuelles explications psychologiques. En France, on met encore la charrue avant les bœufs.)

Nous n’en sommes qu’aux premières phases du procès. Se succèdent des témoignages sur la personnalité apparemment peu amène de l’accusé.

Tous ces témoignages sont troublants.

Très troublants.

Et ce – parlant d’infamie – d’autant plus que cette fichue procédure pénale franchouillarde permet aux témoins de vomir leurs soit-disant convictions dans les prétoires.

(Petite note de droit comparé supplémentaire : en droit anglo-saxon, le témoin doit s’en tenir strictement aux seuls faits bruts dont il a une connaissance directe).

Cela dit, l’on ne peut que constater l’absence de tout indice déterminant. En dépit de tous ces éléments que l’on qualifiera charitablement de tangentiels… la réalité incontournable, maintes fois proclamée dans la sphère publique, est inchangée. Il n’existe aucune preuve formelle de culpabilité: surtout pas de corps, et encore moins d’aveux (encore que la religion de l’aveu est un autre archaïsme superstitieux bien français). En théorie, tout verdict de culpabilité repose sur des preuves factuelles, qui ne laissent place à nul doute. En l’absence de corps, pas d’ADN, pas d’analyses balistiques solides ou pas d’angles de coups de couteau, pas de datation de la mort, etc.

(Les conclusions des médecins-légistes, qui ont les pieds sur terre et mettent la main à la pâte, sont généralement plus fiables que les divinations hasardeuses des psys dont l’outil de travail est la boule de crystal).

Dans ce cas, en effet, la réunion, rigoureuse, de preuves indirectes peut suffire à emporter la conviction… si elles sont en béton. Est bien connu en droit pénal (pas seulement français) le délit de sale gueule; en l’espèce, seul est nettement caractérisé le délit de sale caractère.

Et y a-t-il eu enquête à charge, qui complique toujours considérablement la tâche de la défense? A ce stade du procès, demeure posée la question (classique, pas seulement en France, encore qu’est légendaire l’« entonnoir » français, tandis que dans les juridictions anglo-saxonnes a cours l’expression « tunnel vision » – les lecteurs auront encore traduit d’eux-mêmes). A chacun d’apprécier les tout aussi classiques véhémentes protestations d’innocence des enquêteurs en la matière.

A suivre. En France, le doute a, à l’occasion, plutôt tendance à profiter à l’accusation. Y aura-t-il un coup de théâtre?

Moralité : si nous sommes tous des chasseurs de prime, cela est particulièrement vrai pour les policiers, magistrats, avocats et journalistes.

Aïda chez les mollahs

La mise en scène de Shirin Neshat ne remporte franchement pas tous les suffrages…


Tout porte à croire que cette Aïda ne restera pas dans les annales du lyrique verdien, pas davantage que la production précédente du chef-d’œuvre de Verdi, concoctée par la Néerlandaise Lotte de Beer, et qui fit long feu en 2021 à l’Opéra de Paris pour cause de Covid. Shirin Neshat est, avant tout, plasticienne. Native de Téhéran, elle a étudié l’histoire de l’art aux États-Unis, séparée de sa famille par la révolution islamiste de 1979, et s’est fait un nom comme photographe avec la série Women of Allah, puis comme vidéaste et cinéaste. En 2017, elle est invitée à monter Aïda au Festival de Salzbourg, mise en scène remaniée au fil de ses reprises, en 2022 dans la ville mozartienne, et à présent à l’Opéra-Bastille, en coproduction avec le Liceu de Barcelone.

Bernd Uhlig

Déracinées

On comprend bien pourquoi Aïda « parle » singulièrement à une artiste iranienne en exil, tragédie grandiose de cette esclave éthiopienne, princesse secrètement aimée du chef de guerre ennemi Radamès, et qui a pour rivale Amneris, la fille du roi d’Egypte : la déracinée, otage du vainqueur, bientôt forcée de choisir sous la pression d’Amonastro, son père, entre l’amant et la patrie, en d’autres termes entre le désir et le devoir moral, rejettera tous les compromis et suivra Radamès, condamné comme traître, dans le tombeau où, enterrés vivants, ils seront tous deux réunis dans la mort…

Commande du khédive Ismaël Pacha pour célébrer l’ouverture du canal de Suez, péplum pharaonique créé au Caire en 1871 soit quatre ans après le magistral Don Carlos, mais d’abord imaginé, sur un scénario de l’égyptologue Auguste Mariette, pour la scène parisienne dans la pure tradition française du « grand opéra », Aïda revêt traditionnellement la dimension d’un spectacle monumental, dont la marche des trompettes reste le morceau de bravoure célébrissime.

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Il n’est pas illégitime en soi de se détacher de cet orientalisme kitsch qui a parfois rempli, pour le pire, les stades de foot transformés en grand spectacle son et lumière. Cela n’autorise pas pour autant tous les contre-sens. Chez Shirin Neshat, le décor de l’Egypte ancienne revêt l’apparence géométrique d’une paire de fortins bâtis dans une sorte d’agrégat de béton blanc, façon cabines de douches géantes, mais pivotantes, ajourées, réunies au finish pour former le tombeau où sont emmurés Radamès et Aïda, mais dont les murs, tout au long du spectacle, auront essentiellement servi d’écrans de projection pour les clichés noir et blanc ou les films en couleur exhumés du book conséquent de l’artiste, les chanteurs en chair et en os promis quant à eux aux rôles de figurants d’un univers plastique dont le théâtre verdien se voit délibérément exclu.

L’extraordinaire dramaturgie du compositeur dans sa maturité, cette partition sublime, tout à la fois rutilante et onctueuse, au lieu d’être servies par la mise en scène, semblent ici les supports d’occasion d’un discours sans lien organique avec le livret. Par une curieuse interversion, l’opéra est ici sommé d’obéir aux injonctions de la scénographie. Laquelle donne à l’Égypte ancienne des pharaons le profil d’une théocratie sanguinaire, signalée, dans un vestiaire amorti par un vague syncrétisme (histoire de ne pas désigner précisément l’Iran – je ne nomme personne, suivez mon regard), par les longues barbes et les costumes voilés de noir de l’oppresseur, par opposition aux Éthiopiens prisonniers, tandis qu’Amneris, la rivale d’Aïda, fait d’acte en acte les essayages chromatiques de ses longues traînes de gaze, où elle se prend parfois les pieds et qui, au fil des tableaux, passeront du blanc au rouge ou au jaune –  faut-il y voir un symbole ? Pendant la durée interminable des changements de décor, la salle est priée de patienter en silence.  

Exceptionnel Piotr Beczała

Au soir de la première, le 24 septembre dernier, le cast vocal se ressentait du statisme de cette régie où la saturation des projections d’images anesthésie passablement l’émotion, les chanteurs se regardant à peine, plantés comme des quilles face au public. Certes, n’est pas qui veut Leontyne Price ou, plus près de nous, Anna Netrebko mais, voix métallique, la soprano espagnole Saioa Hernández, dans les redoutables difficultés du rôle-titre, n’échappait pas à une certaine froideur d’expression, tandis qu’il aura fallu attendre le troisième acte pour que la mezzo genevoise Eve-Maud Hubeaux, en fille du roi d’Egypte, trouve la souplesse, le délié, la rondeur et l’intensité réclamée par l’emploi d’Amneris. Au moins la basse russe Roman Burdenko faisait-elle un magnifique Amonasro, le roi d’Ethiopie et père d’Aïda (on l’avait entendu déjà cette année dans Il Trittico, la trilogie puccinienne). La palme revient sans conteste à Radamès, le capitaine égyptien épris d’Aïda, campé de façon souveraine par Piotr Beczala, ténor exceptionnel, capable de monter vertigineusement dans les aigus. Habitué du plateau parisien, le Polonais Krzysztof Baczyk incarnait « Il Re » d’une splendide voix de basse. Quant à Ramfis, le grand prêtre égyptien, autre voix de basse joliment charnue, on le découvrait tout aussi convainquant sur le plan vocal, sous les traits du chanteur hungaro-roumain Alexander Köpeczi.   

Le maestro Michele Mariotti, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, reprend la direction qu’il avait assumée avec davantage d’énergie en 2021 pour deux représentations seulement, programme alors rompu par la pandémie. Sans donner peut-être, cette fois, au versant intime d’Aïda la grâce mélancolique, la douceur crépusculaire qui, à côté des passages fortissimo, sont le trésor secret de cet opéra.

Hors Krzysztof Baczyk  (Il Re) et la basse Alexander Köpecki (Ramfis) qu’on découvre sur la scène parisienne, la distribution s’annonce différente pour les dernières représentations, la soprano polono-américaine Ewa Plonka succédant par exemple à Saioa Hernandez à partir du 19 octobre, autre prise de rôle d’Aïda à Paris.  

Qui voudrait retrouver l’esprit péplum du chef-d’œuvre aura tout intérêt à  visionner, disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 30 novembre, la toute récente captation d’Aïda fort bien réalisée au Met Opera : Nézet-Séguin à la baguette, dans une mise en scène signée Peter Mayer, avec, d’ailleurs, toujours Piotr Bezcala en Radamès, et en Amneris la mezzo roumaine Judit Kutasi, celle-là même qui, à l’Opéra-Bastille, reprend le rôle à partir du 19 octobre, et ce jusqu’à la dernière représentation, le 4 novembre. D’une opulence, pour le coup, pharaonique.


Aïda. Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi. Avec Krysztof Baczyk, Eve-Maud Hubeaux/Judit Kutasi, Aioa Hernandez/Ewa Ptonka, Piotr Beczata/Gregory Kunde… Direction : Michele Mariotti/ Dmitry Matvienko. Mise en scène et vidéo : Shirin Neshat. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3h05
Opéra Bastille les 7, 10, 13, 16, 22 octobre, 1 et 4 novembre à 19h30 ; le 19 octobre à 14h30

Brenda Biya: la fille rebelle qui défie le « Sphinx » de Yaoundé

Si la fille du président sortant avait déjà fait parler d’elle par le passé (avec ses prestations de rap, son coming-out lesbien, ou des jérémiades concernant le délai de renouvellement de son passeport), lorsqu’elle a appelé fin septembre les jeunes Camerounais à ne pas voter pour son père sur TikTok, elle a dû vite faire marche arrière… Ses compatriotes votent dimanche prochain. Son père, 92 ans, qui brigue un huitième mandat, est favori.


Entre confidences publiques, coming-out assumé et critiques frontales contre son père, la fille du président camerounais Paul Biya a bousculé l’image d’une famille présidentielle réputée pour sa discrétion. Un séisme politique et intime, à quelques jours de la présidentielle. À 27 ans, Brenda Biya est devenue, malgré elle, le symbole d’une génération en rupture. Depuis Genève, où elle réside une partie de l’année, la jeune femme s’est exprimée comme rarement un membre du clan présidentiel ne l’avait fait avant elle.

« Personne n’est au-dessus des lois »

C’est sur le réseau social Instagram que tout avait commencé. En juin 2024, Brenda Biya avait déjà publié une série de vidéos et de messages où elle évoquait, sans détour, son quotidien, ses frustrations et sa différence. « Je suis Brenda Biya, j’aime qui j’aime, et je ne me cache plus », écrivait-elle, en partageant une photo d’elle embrassant sa compagne présumée, Layyons Valença, une mannequin et artiste brésilienne. Une publication aussitôt devenue virale — et qui avait déclenché un séisme politique à Yaoundé, dans un pays où l’homosexualité est passible de plusieurs années de prison selon l’article 347 bis de son Code pénal. « (…) Je trouve (cette loi) injuste et j’espère que mon histoire la fera changer » n’avait pas hésité à affirmer l’influenceuse, devenue depuis célibataire.

Brenda Biya n’est pas n’importe qui. Elle est la fille du président camerounais Paul Biya et de son épouse Chantal Biya. Ses parents ont d’ailleurs découvert la préférence sexuelle de leur cadette à travers ses critiques tant elle ne l’avait jamais évoqué auparavant, de l’aveu même de la concernée. Si certains internautes camerounais ont salué son courage, d’autres l’ont violemment prise à partie sur les réseaux sociaux. Patrice Christ Guidjol, président de l’association « Debout contre la dépénalisation de l’homosexualité dans notre pays », a porté plainte contre la rejetonne présidentielle, accusant celle-ci de la « promotion et incitation » des pratiques sexuelles LGBTQI+, rappelant que « personne n’est au-dessus des lois ». Dans l’entourage du chef d’État, on s’est borné alors à déclarer que l’on ne discutait pas des affaires privées de la famille du président et encore plus dans ce qui reste « un moment de confusion », selon les proches du dirigeant de cette ancienne colonie allemande, puis française.

Rappeuse à ses heures perdues

Loin de faire profil bas, Brenda Biya, rappeuse à ses heures sous le nom de scène King Nasty, n’en était pas à son premier coup d’éclat. Déjà, en 2019, elle avait dénoncé sur les réseaux sociaux les lenteurs administratives pour renouveler son passeport camerounais : « Même moi, fille du président, je galère à avoir un passeport. Imaginez les autres ! ». Un message qui avait alors trouvé un écho inattendu auprès d’une jeunesse camerounaise souvent frustrée par la corruption et les inégalités. Si certains observateurs y avaient vu alors une simple crise d’adolescence tardive, d’autres estimaient que l’affaire Brenda Biya traduisait en réalité beaucoup plus que cela.

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Arrivé au pouvoir dans des circonstances encore non élucidées en 1982, Paul Biya est un des derniers dinosaures de la Françafrique, ce système de relations économico-politico-militaires mis en place entre Paris et ses anciennes colonies d’Afrique. En dépit de nombreuses tentatives de le renverser ou de mettre en face de lui des opposants à la verve dynamique, de tenter de le poursuivre devant les tribunaux (pour des biens mal acquis présumés), Paul Biya est arrivé à se maintenir sur son trône en appliquant une méthode qui a fait ses preuves : « diviser pour mieux régner ».  A 92 ans, le « Sphinx » a l’assurance de celui à qui rien ne peut arriver, fidèlement soutenu par sa femme connue pour ses extravagantes coiffures, et un clan ethnique qui a verrouillé tous les organes de l’État.

Entre fidélités verrouillées et ambitions latentes, la parole libérée de Brenda apparaît pour beaucoup de jeunes Camerounais comme un miroir social : celui d’un pays en attente de renouveau, prisonnier d’un régime qui semble sans fin. C’est dans ce contexte qu’elle a une nouvelle fois vertement critiqué « papounet » sur TikTok le mois dernier. Dans une récente vidéo très explicite, elle a appelé les électeurs à ne pas voter pour lui « parce qu’il a fait souffrir beaucoup de gens » tout en espérant que les Camerounais « choisiront un autre président ».  Encore une fois, Brenda Biya a fait le buzz et s’est retrouvée au centre de toutes les discussions de village avant que ce message ne soit subitement plus accessible sur le réseau social bien connu.

Retournement de situation

Dans la foulée, celle qui est régulièrement accusée d’avoir un style de vie digne d’un émir de Dubaï, contrastant singulièrement avec le fort taux de pauvreté auquel font face ses compatriotes, a republié une seconde vidéo en forme de mea culpa. « Salut les gars. Ne nous mentons pas, je n’y connais rien en politique. Pourquoi voulez-vous suivre mes conseils, moi, une enfant impulsive qui prend des décisions sur un coup de tête ? Ne les suivez pas. (…) Quelqu’un qui ne connaît rien à quelque chose devrait naturellement se taire ». « Honnêtement, je devrais me remettre en question. Parfois, je prends des décisions impulsives. Je ne me rends pas compte des personnes que je blesse » a-t-elle ajouté.  Avant de conclure étrangement sur ces notes élogieuses : « J’ai toujours admiré l’intellect de mon père et j’ai toujours voulu avoir en même temps le cœur de ma mère ». « Plus tard, le peuple va se rendre compte que leur président était un bijou. Je trouve que c’est un grand homme et un excellent candidat ». Dont acte !

Un retournement qui a étonné ses soutiens de la première heure, la fameuse Gen-Z. Au fond, toute son agitation médiatique n’est peut-être qu’un reflet des tensions d’un pays en fin de cycle politique, où la lassitude du peuple côtoie l’immobilisme du pouvoir. Dans un Cameroun figé par le temps, sa voix résonne comme un cri — celui d’une jeunesse qui, faute d’espace d’expression, choisit les réseaux sociaux pour dire son ras-le-bol. Qu’elle le veuille ou non, la « fille rebelle du Sphinx » est devenue un symbole d’un malaise générationnel, et peut-être, à sa manière, l’annonce fragile d’une ère nouvelle — celle où même les enfants du pouvoir ne peuvent plus se taire, faisant fi du respect de la tradition africaine de soumission au père et à la mère. Même en Afrique, un continent réputé très conservateur, tout finit par se perdre !

Pourquoi Macron et Mélenchon se ressemblent

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron n’aiment pas le peuple quand il est trop français. Face aux angoisses existentielles des autochtones, tous deux ont le même réflexe pavlovien: ils accusent ces indigènes d’«extrême droite».


Leur divorce est un simulacre. Jean-Luc Mélenchon reste l’allié utile d’Emmanuel Macron. Une preuve : le sabotage du mouvement antigouvernemental du 10 septembre (« Bloquons tout ! ») est venu du leader de LFI. C’est Mélenchon qui a fait de cette protestation populaire, détournée par l’extrême gauche insurrectionnelle, un échec (175 000 manifestants dans toute la France) dont s’est félicité le pouvoir. Macron a pu dire merci à Mélenchon. C’est aussi avec le soutien du leader LFI que le « front républicain » fit obstacle à la dynamique du RN lors des législatives de 2024. Les deux hommes partagent la même vision d’une société postnationale ouverte à l’immigration musulmane et à la cause gazaouie. Le 10 septembre flottaient partout les drapeaux palestiniens.

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron n’aiment pas le peuple quand il est trop français. Tous deux ont, face aux angoisses existentielles des autochtones, le même réflexe pavlovien : ils accusent ces indigènes d’« extrême droite ». Ce sectarisme amène l’intolérance. Elle met en danger les porte-voix des « Oubliés », comme CNews ou Europe 1. Le fascisme est chez les militants de LFI et son chef non élu. Pour eux, la démocratie n’est plus le cadre de leurs revendications. Les guérillas urbaines et la terreur deviennent des moyens admissibles. Cette dérive est partagée par l’islam révolutionnaire : ce totalitarisme assume son alliance avec la gauche perdue pour espérer imposer la charia sous couvert de marxisme. Dans cet univers paranoïaque, la violence a remplacé la réflexion.

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L’assassinat de Charlie Kirk, 31 ans, influenceur pro-Trump tué par balle le 10 septembre sur un campus américain lors d’un de ses débats avec ses contradicteurs, n’a pas ému les humanistes autoproclamés. La minute de silence demandée au Parlement européen a été perturbée par la gauche et le centre. En France, le profil « antifasciste » du meurtrier, qui vivait en couple avec un transsexuel, a été gommé par les faussaires à cartes de presse. Ils ont voulu faire passer le tueur pour un conservateur trumpiste. Kirk invitait ses contradicteurs à venir débattre : « Prove me wrong » (« Prouvez-moi que j’ai tort ») était son slogan. La gauche l’a présenté comme un faiseur de haine.

Dans Le Spectateur engagé (1981), Raymond Aron regrettait, déjà à l’époque, la fin des confrontations d’idées entre éditorialistes au profit « des monologues et des injures ». Il y rappelait que « l’essence du régime soviétique, c’est le refus du dialogue ». Or c’est bien ce refus du dialogue qui a tué Kirk. La crise intellectuelle et morale que traversent la gauche perdue et ses avatars sociaux-démocrates a produit des butors. Ils nazifient les citoyens qui défendent leur patrie face à une mondialisation destructrice des identités nationales. Cette bêtise est semblablement portée par le mélenchonisme et le macronisme. Ces deux mouvements sont proches du même basculement totalitaire.

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron voient dans les conservateurs un ennemi commun. Or tous deux n’ont rien compris au réveil des peuples et des nations. C’est le rejet de leur monde déraciné qui a mis, pacifiquement, des centaines de milliers de Britanniques dans les rues le 13 septembre. L’« antiracisme », mantra du chef de LFI et du chef de l’État, a révélé son imposture en protégeant l’antisémitisme islamique qui prospère en France. Les deux compères sont récusés par l’histoire. Ils vieilliront ensemble.

La boîte du bouquiniste

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Paul Fort publie ses mémoires en 1944 ; il a alors 72 ans, et insiste sur un point : il s’agit d’un livre de souvenirs, non d’un testament. Le récit chronologique débute dans sa ville natale de Reims et se poursuit avec le déménagement de la famille à Paris, en plein Quartier latin, où le père, agent de change, a trouvé un emploi. Le jeune Paul est inscrit au lycée Louis-le-Grand en vue de préparer Saint-Cyr. « Mais voilà, j’étais externe. Le jardin du Luxembourg que je devais, chaque matin, traverser pour me rendre au vieux lycée de la rue Saint-Jacques, me tendait des pièges si féériques, hélas ! que chaque matin j’y trébuchais. » Il y rencontre Pierre Louÿs et André Gide qui traversent le Luco dans l’autre sens pour rejoindre l’École alsacienne et les lycéens parlent littérature et poésie. Adieu Saint-Cyr. Paul Fort rêve d’intégrer une autre école, celle du Symbolisme. Il rencontre sans mal ses grandes figures – la vie alors était simple – Mallarmé, Verlaine, Régnier, Laforgue et bien d’autres. Il a à peine 17 ans, mais se sent l’âme guerrière pour combattre le Naturalisme. Les idées s’échangent le soir au Café Voltaire, place de l’Odéon, qui « bouillonne à la façon d’un cratère ». Le jeune Fort fourbit ses premières armes sur les planches en créant le Théâtre d’Art, en réaction au Théâtre Libre d’André Antoine. Dans ce Paris d’avant 1900, il lui est aisé d’enrôler des acteurs sans gages et de faire brosser ses décors, pour le même prix, par Gauguin, Vuillard, Bonnard ou Sérusier. L’heure est à l’enthousiasme bruyant et à l’humour potache, mais ce vent de légèreté fait découvrir au public resté en place (« c’était Hernani multiplié par dix pour le tapage »), les textes de Hofmannsthal, Poe, Gourmont, Villiers de L’Isle-Adam, Jarry – Fort sauve le manuscrit d’Ubu roi de la poubelle –, jusqu’aux chansons de geste médiévales ! Encouragé par « le triomphe de l’idéalisme sur le réalisme », Paul Fort crée le Théâtre de l’Œuvre, trouve encore le succès, puis se consacre pleinement à la poésie. Il est élu « Prince des poètes » en 1912.

Dans ses mémoires, l’auteur s’adresse directement au lecteur sur un ton badin, les idées se bousculent comme dans une conversation à bâtons rompus, il peut changer de sujet en cours de phrase, y revenir plus loin avant de passer à autre chose. Ainsi suit-on sa « croisade contre les mauvaises critiques et les snobs, snobinets et snobinettes » entre deux réflexions sur le « Navire-Poésie » qui est selon lui bien gréé pour les années à venir.

De tels propos ne présagent pas de la tonalité finale de l’ouvrage : celle d’un patriotisme puissant, charnel, le patriotisme d’un homme né au pied de la cathédrale de Reims et qui a vu la boucherie de 14-18. L’auteur des Ballades françaises raconte alors sa mue en « chroniqueur français » pour narrer Louis XI ou Isabeau de Bavière, Philippe le Bel ou François Ier, avant de conclure par ces « variations sur des pays aimés » : Touraine, Blésois, Vendômois, Bretagne, Normandie, Ardennes et Champagne, où son « cœur français a battu avec le plus d’amour ».

Paul Fort, mort en 1960, est peut-être passé de mode, mais n’a pas été oublié. Cette postérité, il la doit aussi à Georges Brassens qui a immortalisé en chanson La Complainte du petit cheval blanc, « tous derrière et lui devant ».

Mes mémoires : toute la vie d’un poète, 1872-1944, Paul Fort, Flammarion, 1944.

Cécile de France, notre plus belle histoire

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Monsieur Nostalgie a eu une révélation! Il est catégorique. Il le proclame haut et fort: la meilleure actrice de France est née en Belgique à Namur…


Je le pressentais depuis plusieurs années. Mais, je n’osais me l’avouer. Plus par mauvaise foi que par patriotisme mal placé. Je voyais bien qu’elle était au-dessus du lot, que chacune de ses interprétations s’harmonisait à la perfection avec ses rôles. Elle leur collait à la peau tout en n’annihilant pas une partie d’elle-même, qu’elle laissait derrière elle, un souffle, une manière, une empreinte, une vibration intérieure. Une grande actrice joue et elle est elle-même à la fois. C’est l’un des paradoxes, une bizarrerie des métiers du dédoublement. On ne transpose bien qu’avec son histoire personnelle, qu’avec son propre corps. Cécile trace son sillon dans le cinéma français, à l’abri des regards, évitant les frasques publicitaires et les déclarations moralisantes. Elle joue, voilà tout, en répondant aux directives des metteurs en scène – en admettant que la direction d’acteur existe vraiment avec des comédiennes de cette stature-là. Dans un monde où l’artiste passe plus de temps à commenter l’actualité, à s’insurger contre les méchants et à suivre le sens du vent pour ne pas perdre sa fan base, sa singularité saute aux yeux. Par confort intellectuel, on a d’abord mis son « originalité » sur sa belgitude. Puis très vite, nous avons compris notre erreur de jugement. Il est impossible de la classer, de la parquer dans un quelconque territoire de fiction. Cette grande fille souriante, saine, pas compliquée en apparence, presque trop naturelle pour être vraie a l’intensité de son innocence. Elle nous transporte là où elle le veut depuis vingt-cinq ans de carrière. Cécile nous ramène toujours à l’essentiel par des chemins directs. Elle ne cherche pas à éblouir par astuce, à séduire par éclat, à se conformer aux attentes des autres, à remplir une mission prédéfinie, elle déroute par sa sincérité. Chez elle, la sincérité est portée par le talent et la grâce, par le travail d’artisan et par une candeur infernale. Elle n’est pas bêtement sophistiquée et cependant son jeu par mille détails, mille empilements de caractère, certaines strates à peine visibles, par mille ajustements, est d’une sophistication extrême. Nous sommes tellement habitués aux faiseurs, aux manipulateurs que l’incarnation franche et pure nous laisse sans voix.

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Souvent, on cherche le truc, on suspecte l’arnaque, on est chagriné d’avoir été berné, on s’est emballé pour un artifice bien décevant. Combien d’actrices, sur l’instant, sur un malentendu, dans un moment de faiblesse ont charmé puis ont aussitôt quitté notre imagination ? L’onde de Cécile perdure. Longtemps. Au-delà des modes. Plus vive que jamais. C’est une vague qui grossit et qui nous enveloppe. Il y a un plaisir à la voir, à la revoir, un plaisir réel de fluidité et de virtuosité, d’instinct et de comédie mais il y a surtout l’ineffable effet à retardement. Quand un rôle de Cécile vient nous percuter au hasard de l’existence, à la caisse d’un supermarché ou chez le coiffeur, on sait intimement que cette actrice est à part, que cinq ans après une séance de ciné anodine, elle a changé notre regard sur la vie. On se souvient de tout. Fauteuils d’orchestre, Mademoiselle de Jonquières, The New Pope, étudiante ou femme du monde, tout remonte. Nous ne sommes plus les mêmes. Cécile est une variation continue, elle distord le temps, dérègle les lignes de conduite, déjoue les classes sociales ; sa beauté sportive nous émeut, son rire laisse exploser des filaments de tristesse, rien n’est banal, rien n’est écrit, rien n’est télécommandé. On voudrait que dorénavant, elle joue tout. Qu’elle soit la seule actrice de ce pays. J’ai mis du temps à m’avouer cette évidence. Peut-être est-ce dû à son premier grand rôle dans L’Auberge espagnole, j’étais hermétique au côté mollement progressiste d’Erasmus. On ne déteste rien d’autre que sa propre jeunesse. Cette révélation vient, une fois de plus, de m’être confirmée par sa présence dans La Venue de l’avenir, le dernier Klapisch (disponible en streaming depuis peu). Cécile n’a pas besoin d’avoir le rôle principal, son apparition en conservatrice du Musée d’Orsay, formidablement juste, drôle, ridiculement délicate est un numéro d’équilibriste remarquable. Cécile donne de la consistance, de l’émoi, de l’éros et du fracas à toutes les femmes. Elle est la Numéro 1 de ce métier.

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Les «Ringards» au pouvoir!

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Les Ringards (1978) de R. Pouret © NANA PRODUCTIONS/SIPA

À la vue du nouveau gouvernement et sa composition tragi-comique, Monsieur Nostalgie préfère les vrais, les authentiques, les flamboyants Ringards du film de Robert Pouret de 1978. Ceux-là ne nous décevaient jamais et avaient la décence de ne pas faire de la politique !


Il y a comme ça des dimanches patibulaires. Crépusculaires. Ils annoncent la fin d’une classe politique démonétisée depuis quarante ans. Le divorce est consommé. Système tournant à vide, à la botte de quelques affidés, sans plus aucune consistance intellectuelle et assise réelle. Un machin hors-sol que le peuple, par salubrité, par honte aussi (lui ne nie pas ses fautes), a mis à distance. Très loin de sa vue. Cachez-nous ces représentants, les enfants regardent la télévision, ils pourraient prendre pour acquis leurs mauvaises manières. On apprenait jadis dans les IEP que ce peuple français était politique, colérique, passionné par la « chose publique » et le débat des idées, qu’il avait le sens du collectif et de la controverse, qu’il croyait à la geste de ses élus et au récit national. Ce peuple tant honni et tellement infantilisé fait désormais sécession dans les urnes et dans les têtes. Il est ailleurs. Il est fragmenté. Il est satellisé. Il répond aux abonnés absents. Il n’a plus le courage de participer et encore moins d’encourager les gesticulations de ce théâtre répétitif, besogneux, visqueux, laid et vide des ors de la République. Le peuple, contrairement à ses élites, ne se défausse pas, il a sa part de responsabilité dans la création de ce « monstre » démocratique. Ce système chimérique et ses relents de morgue, il en a été l’artisan.

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Au fond de lui, par fatigue morale, par étranglement économique et peur de sombrer, par des votations erratiques et des entourloupes constitutionnelles, le peuple a laissé courir. Il a été floué. On lui a menti. Il a été faible. Bien qu’il n’ait jamais cru aux boniments, aux promesses, aux grands soirs, il s’est laissé anesthésier, peu à peu, jusqu’à se désintéresser du schmilblick. Il a laissé prospérer le délitement. Laissé à une classe d’apprentis-sorciers les rênes du commandement par dépit, rarement par enthousiasme débordant. Il a même admis, magnanime, que cette classe surprotégée pouvait vivre à ses frais, sur son dos, le tondre à l’occasion et le faire culpabiliser. Il a accepté de les nourrir, de les loger, de les habiller, sans contrepartie. C’est la grandeur des vieilles nations, notre courtoisie bienveillante. Les Français sont des seigneurs un peu las de tout ce cirque médiatique. De ce barnum qui captive seulement quelques professionnels du commentaire sur les antennes. Nous avons pourtant l’habitude d’être dupés. Là, peut-être à cause de l’accumulation, du côté farce et amateurisme, l’amertume nous monte à la gorge. Un petit goût d’enfumage plane sur notre pays. Nous avons délégué, durant des décennies, à des plus « sachants », à des supposés plus « instruits » que nous. Les diplômes dorés, parfois plaqués, de nos dirigeants ne font plus guère illusion. Le diplôme sans la culture, sans la stature, sans l’incarnation et sans la vibration intime de notre terre n’est qu’une guenille. Des frusques. Face à cette faillite, je préfère m’en remettre aux vrais « Ringards », ceux du film sorti à la fin du mois de septembre 1978. Nous étions sous Barre III. Boulin était au Travail, Soisson au Sport et Deniau, le navigateur berrichon au Commerce extérieur.

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Place aux authentiques branques, aux « bons à rien » de classe internationale, braqueurs pathétiques, un aréopage d’inutiles et de gentils parasites. Des flamboyants de la « lose ». Incapables de mener à bien une mission. Ils s’appelaient Aldo Maccione qui fêtera ses 90 ans en novembre prochain, dragueur turinois impénitent, Julien Guiomar, le Breton professoral et Charles Gérard, le réfractaire en polo de tennis. Une triplette qui mériterait d’entrer dans les ministères sous la supervision de Mireille Darc conduisant une Lancia dans la cour de Matignon. Ils étaient nuls, fainéants, des tire-au-flanc splendides de bêtises et d’arrivisme.  Avec eux, au moins, on riait de bon cœur et on oubliait nos misères quotidiennes. J’apprends que Georges Descrières et Katia Tchenko ont été coupés au montage de cette comédie ratée. Ils auraient mérité leur maroquin.

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Trump et Netanyahou feront-ils bouger l’histoire?

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Washington, le 29 septembre 2025 © Nathan Posner/Shutterstock/SIPA

Le Premier ministre israélien Netanyahou se dit certain de pouvoir libérer les otages et désarmer les terroristes du Hamas, que ce soit grâce au plan de Donald Trump ou par la force.


La politique produit des grands et des petits hommes. Les grands hommes sont ceux qui affrontent, seuls le plus souvent, le mur du conformisme afin d’atteindre leurs objectifs. Les petits sont ceux qui tergiversent, se trompent d’adversaires, pactisent avec la meute. Le plastronnant Emmanuel Macron est de cette seconde race. Voici un président qui flatte l’opinion anti-israélienne en joignant sa voix à ceux qui accablent Benyamin Netanyahou, et qui accuse Vladimir Poutine de « confrontations permanentes » contre l’Europe. Le chef de l’État voit beaucoup de complots russes ; y compris dans des « pétroliers fantômes » contre qui il a exigé des « politiques d’entrave ». C’est ainsi que la Marine a arraisonné la semaine dernière, dans les eaux internationales au large de Saint-Nazaire, un navire soupçonné d’être pro-russe et d’être la plate-forme de drones envoyés dernièrement survoler le Danemark.

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Vérifications faites, l’équipage était chinois et aucun appareil n’a été trouvé. Le bateau a repris sa route jeudi soir après une garde à vue de son capitaine. Ce flop a été aimablement passé sous silence par les médias. Le fiasco est venu rappeler néanmoins le jeu trouble que Macron entretient avec les peurs collectives, en alimentant cette fois un possible conflit avec une puissance nucléaire. Aurait-il le dessein de constituer autour de lui, avec une guerre contre la Russie, une solidarité nationale qui part en lambeaux (16% de satisfaits dans le dernier baromètre du Figaro Magazine !) ? La question mérite en tout cas d’être posée, tant le personnage est sans limite. Sébastien Lecornu a au moins l’honnêteté de se présenter comme « le Premier ministre le plus faible de la République ».

Parallèlement à ces manœuvres médiocres, qui rendent par capillarité le spectacle politique français affligeant d’amateurisme[1], des grands hommes sont en train d’écrire l’histoire.

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Donald Trump et le Premier ministre israélien, tous deux conspués par l’unanimisme médiatique, sont de ceux-ci. Le choix de Netanyahou d’éradiquer coûte que coûte le Hamas islamiste, au prix d’une guerre cruelle lancée à Gaza après le 7-Octobre 2023, semble avoir atteint son but : sous la pression conjointe du président américain, le mouvement terroriste s’est dit prêt à accepter les conditions de sa reddition, en acceptant notamment de libérer les 48 derniers otages, dont beaucoup sont morts. Dix-sept pays arabes, dont le Qatar qui abrite la branche politique du Hamas, sont prêts à consolider une paix avec Israël. Si «Bibi» avait obtempéré aux coups de menton de Macron en cessant le feu prématurément, le Hamas n’aurait vraisemblablement pas eu à rendre les armes. Certes, rien n’est encore, ce lundi matin, totalement acquis de la part d’un mouvement islamiste apocalyptique. Mais une dynamique de paix est enclenchée. MM. Trump et Netanyahou, les deux pires parias occidentaux (après Poutine) aux yeux des esprits capitulards, sont en train de clore la politique du « soft power » qui jusqu’alors était la norme convenue. Tous deux ne manquent pas de défauts, c’est entendu. Mais les petits hommes, eux, n’ont aucune qualité.

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[1] Les LR devaient dire, ce lundi à midi, s’ils se maintiendraient dans le nouveau gouvernement macronien… dont le Premier ministre vient de démissionner.

Emmanuel Macron: Je trolle donc je suis

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© Raphael Lafargue -pool/SIPA
Dernière minute : Reçu ce matin au Palais de l’Elysée, Sébastien Lecornu a remis sa démission au président Macron, qui l’a acceptée. Le grand cirque continue… •

Sébastien Lecornu a frappé fort hier soir avec l’annonce des 18 premiers membres de son gouvernement. Lui qu’on pensait incapable de peser face à Emmanuel Macron, quel démenti cinglant infligé à ses détracteurs, quel séisme ! Car la nouvelle équipe ne ressemble en rien à la précédente, et c’est à peine si l’on y reconnaît un visage…

Ah ! nous espérions un acte d’émancipation, nous avons été servis ! Après tout, Emmanuel Macron nous avait annoncé qu’il allait révolutionner la politique ; il fallait donc s’attendre à ce que Sébastien Lecornu, l’un de ses plus fidèles disciples, révolutionne l’art de composer un gouvernement.

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé

Mais tout de même, se dit-on. Patrick Mignola, Marie Barsacq, Laurent Marcangeli, Eric Lombard, François Rebsamen : une telle hémorragie de talents, alors que la France, on le sait, est un patient affaibli, est-ce vraiment bien raisonnable ?

Aucun grand médecin, certes, n’ignore les vertus d’une saignée ; mais celle-ci, par son audace, passait décidément toutes les bornes connues.

Aussi ne pouvait-on s’empêcher de se demander, étreint d’un doute atroce, en ce dimanche finissant : Jupiter, notre infaillible Jupiter, n’était-il pas allé trop loin cette fois, en amputant l’État de cinq de ses piliers ? Et nous maudissions Ganymède, son nouveau Premier ministre, de l’avoir entraîné ainsi dans l’hybris et l’inconnu.

« Je vous ai compris »

De la grande telenovela voulue et réalisée par Emmanuel Macron depuis l’été 2024, l’épisode du 5 octobre demeurera comme un des sommets de la seconde saison. Car cette annonce du gouvernement, c’est l’équivalent jupitérien du « Je vous ai compris » gaullien, c’est-à-dire une manière très particulière de marquer sa compréhension de ce qu’on lui demande, mais qui, en l’occurrence, ne s’embarrasse plus d’aucune ambiguïté (car Jupiter l’intrépide, lui, ne craint pas qu’on « vienne le chercher »). Mon seul regret, dans cette belle trouvaille, c’est donc que nos deux scénaristes n’aient pas osé aller au bout de leur idée, en conservant toute l’équipe précédente et en nommant simplement Bayrou aux Armées, pour parachever leur troll.

La dream team toujours là

Mais je boude mon plaisir, car la fine équipe qu’ont commencé à réunir Jupiter et Ganymède, nos deux orfèvres politiques, s’annonce déjà comme une farandole de pépites.

Il serait évidemment trop long de les passer toutes en revue ; aussi, rassurons-nous en disant qu’à l’exception de nos cinq disparus de Saint-Agil, le cœur battant de la brillante phalange gouvernementale dont nous disposions est toujours là. En particulier, la superbe batterie constituée par ces sortes de ministres-tofu – Catherine Vautrin, Agnès Pannier-Runacher, Roland Lescure, Amélie de Montchalin, etc. – dont on a l’impression qu’ils pourraient rester en place 1000 ans sans laisser une quelconque trace de leur passage, est parfaitement préservée. 

Ensuite, si nous nous attardons plus particulièrement sur quelques joyaux, les nations du monde entier, en tout premier lieu, nous ont remercié pour la reconduction de l’indispensable Jean-Noël Barrot à la tête de notre diplomatie. Avec cet excellent paillasson hypoallergénique, toujours disposé à servir, nos partenaires diplomatiques sont en effet assurés d’avoir leurs semelles propres en permanence, et ont donc été ravis de pouvoir conserver cet article de télé-achat, notamment en Algérie, où les semelles se salissent notoirement très vite.

Nos confettis d’empire n’ont pas non plus été oubliés et Manuel Valls a été confirmé, pour son plus grand bonheur, dans ses anciennes responsabilités ; il n’aura donc pas à s’expatrier dans un nouveau pays pour y essayer à toute force de récupérer un maroquin quelconque. La loi établie avec Ségolène Royal pour les pôles se confirme ainsi avec lui pour l’outre-mer : plus un territoire s’éloigne de la métropole, et plus il faut convoquer les forces vives de la nation pour y représenter dignement le gouvernement.

La Culture, quant à elle, aurait évidemment été orpheline sans cet autre superbe exemple de 4×4 idéologique qu’est Rachida Dati, jamais à court d’un reniement si cela peut lui sécuriser un débouché. Quand on pense que même Nicolas Sarkozy, avec son immense bagage littéraire, n’avait pas osé la nommer à ce poste, on mesure combien Malraux serait surclassé…

Le rappel de Cincinnatus

Mais c’est surtout le rappel de Bruno Le Maire aux affaires qui traduit la conscience aiguë que Bouvard et Pécuchet (Macron et Lecornu) ont désormais de l’impasse politique dans laquelle nous nous trouvons.

La République romaine, comme on sait, avait instauré dans ses premières années d’existence une magistrature extraordinaire, pour faire face aux situations de péril ou d’urgence extrêmes qu’elle pouvait traverser : la dictature. Alors, pendant une période limitée, un individu, généralement choisi parmi les anciens consuls, se voyait confier un pouvoir absolu, le temps de résoudre la crise.

Bruno Le Maire est le nouvel avatar de cette dictature romaine ; plus exactement, le lointain successeur, à travers les âges, du grand Cincinnatus, que les envoyés du Sénat vinrent arracher à sa charrue, en 458 avant notre ère, pour sauver Rome des Èques, tâche qu’il accomplit en seulement seize jours, avant de rendre le pouvoir aussi sec pour retourner labourer ses terres au-delà du Tibre. Malheureusement, Bruno Le Maire ne disposera pas des pleins pouvoirs – sans quoi nous serions sauvés  –, mais il pourra compter sur ses talents multiples, d’autant qu’il n’est pas le seul à être rappelé des limbes par Jupiter et Ganymède. Son come-back s’accompagne en effet de celui d’un autre grand revenant, Éric Woerth, tout juste relaxé, étonnamment nommé à l’aménagement du territoire quand son expertise financière eut été bien utile aux Comptes publics. Espérons que cette anomalie sera vite régularisée, car notre talentueux gouvernement pourrait devoir se révéler plus expéditif encore dans sa mission que l’excellent Cincinnatus.

Les fourberies de Scapin

La seule incompréhension qui persiste ainsi chez moi, à l’heure tardive où j’écris ces lignes, naît du rempilage du brave Bruno Retailleau à l’Intérieur. Rempilage à propos duquel il faut bien reproduire l’interrogation médusée de Géronte, dans ces délicieuses fourberies de Scapin auxquelles j’ai eu le plaisir d’assister la semaine dernière, à la Comédie française, avec un Noam Morgensztern génial dans le rôle éponyme : « mais que diable allait-il faire dans cette galère ? »

Saint Thomas Becket et Dame Sarah Mullally: du martyre à la bien-pensance

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Sarah Mullally prononce un discours dans le chœur de la cathédrale de Cantorbéry, dans le Kent, à la suite de l’annonce de sa nomination comme 106ᵉ archevêque de Cantorbéry, le vendredi 3 octobre 2025 © Gareth Fuller/AP/SIPA

Tout compte fait, la nomination de Sarah Mullally, première femme archevêque de Canterbury, est aussi frustrante pour les progressistes que pour les conservateurs. Analyse.


Quatorze siècles de tradition immuable se sont écoulés pour qu’une femme accède, enfin, à la primatie de l’Église d’Angleterre. Le 3 octobre 2025, Charles III a entériné la nomination de Sarah Mullally, actuelle évêque de Londres et ancienne infirmière en chef du NHS, comme 106ᵉ archevêque de Canterbury. Un moment que les commentateurs qualifient d’« historique ». Mais en quoi cette nomination serait-elle véritablement historique ? D’un sursaut spirituel ou d’un alignement complaisant sur l’air du temps ?

Le vernis du progrès

La nouvelle primat n’a rien d’une théologienne flamboyante : sa carrière fut d’abord médicale, puis managériale. Profil idéal pour une Église transformée en ONG morale. Alors que les temples se vident et que les scandales d’abus minent sa crédibilité, l’anglicanisme a trouvé une parade : ériger son archevêque en symbole inclusif. Première femme, donc première victoire… mais surtout pour la communication.

Un essaim de promesses

Elle succède à Justin Welby, emporté par l’affaire Smyth et ses graves défaillances en matière de protection des fidèles. Mme Mullally promet « d’écouter les survivants ». Des mots mille fois entendus. Ce dont l’Église anglicane a besoin, ce n’est pas d’un nouveau slogan, mais d’une réforme en profondeur – et cela, on peine à le discerner dans son discours.

La vitrine de l’archevêque

Ses positions sont connues : bénédiction des couples homosexuels, respect « de ceux qui refusent son ministère féminin », soutien au LGBT+ History Month. Sur l’avortement, elle se dit « plus proche du pro-choice que du pro-life », tout en penchant « personnellement vers le pro-life ». Sur l’euthanasie, elle s’est opposée à l’aide à mourir à la Chambre des Lords. Bref : compromis, nuances, demi-teintes. Une théologie du « en même temps » – inclusive pour les progressistes, rassurante pour les conservateurs… mais frustrante pour tous.

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Un trône fracturé

Cette nomination réjouit Londres, mais scandalise le Sud anglican. Le GAFCON a déjà dénoncé une « trahison biblique ». Pour les Églises africaines et asiatiques, une femme archevêque n’est pas seulement une hérésie : c’est la preuve que l’Occident impose sa modernité comme une nouvelle colonisation culturelle. Inclusivité, oui – mais au prix de l’unité.

À cheval sur deux mondes

Mme Mullally n’est pas seulement pasteure : elle siège à la Chambre des Lords, où elle s’oppose aux projets du gouvernement, de l’euthanasie à l’expulsion des migrants vers le Rwanda. Ses interventions la placent au cœur du débat politique. Mais l’archevêque est-elle encore une figure spirituelle, ou simplement la conscience sociale attitrée d’un Royaume en quête de morale d’État ?

Du feu de Cranmer au vernis de l’époque

Souvenons-nous : l’anglicanisme naquit dans la fureur d’Henri VIII et la radicalité de Thomas Cranmer, brûlé vif pour sa foi. Cinq siècles plus tard, l’audace s’est muée en conformisme. De la défense intransigeante de la vérité, on est passé aux compromis inclusifs. L’archevêque d’hier affrontait les rois. Celle d’aujourd’hui rassure les éditorialistes.

La nomination de Sarah Mullally restera comme un jalon. Mais que marque réellement ce jalon ? Un réveil spirituel ou une soumission à l’idéologie dominante ? À force de vouloir plaire à tout le monde, l’Église d’Angleterre risque bien de ne plus émouvoir personne. En 1170, Thomas Becket mourait à genoux devant l’autel, refusant de céder au pouvoir. En 2025, Dame Sarah Mullally s’incline, elle, devant le pouvoir de l’air du temps.

La justice, c’est quand on gagne le procès…

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Cédric Jubillar parle à ses avocats lors de son procès, Albi, 22 septembre 2025 © JM HAEDRICH/SIPA

Les yeux de l’Éternel sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leur cri.
Psaume 34 :16.

La justice, c’est quand on gagne le procès.
Samuel Johnson.


En France, font les manchettes la condamnation de l’ex-président Sarkozy pour « association de malfaiteurs » dans le cadre du procès relatif au financement libyen et le procès en cours de Cédric Jubillar, accusé de meurtre de son épouse.

Sarkozy : une nouvelle affaire Dreyfus ?

Commençons par l’ex-chef de l’État.

Plus que sa condamnation en elle-même, c’est la décision d’exécution provisoire qui fait débat : d’aucuns y voient une atteinte à la présomption d’innocence dont jouit en principe tout condamné qui fait appel.

Il n’est pas question ici de se prononcer sur le bien (ou mal)-fondé de cette condamnation. Aux citoyens justiciables et aux médias que l’affaire intéresse d’examiner le dossier, en commençant évidemment pas les attendus du jugement et en faisant les recoupements pertinents. Chacun peut souverainement tirer ses propres conclusions; chacun a le droit absolu de « juger les juges » et de défendre ses conclusions dans l’agora.

On se penchera sur les déclarations publiques pertinentes. La droite dénonce un acharnement « politique » et Nicolas Sarkozy, lui, évoque non seulement une « honte », une « indignité », mais aussi une « infamie ». Bref, une nouvelle affaire Dreyfus.

Comme il fallait s’y attendre (on est en France) les cris aigus de vierges effarouchées ne se sont pas fait attendre : une vingtaine d’avocats viennent de porter plainte contre Nicolas Sarkozy, l’accusant d’avoir discrédité l’institution judiciaire: il y aurait « de fait un acte délibéré de discrédit porté à l’institution judiciaire, de nature à affaiblir la confiance des citoyens dans l’impartialité et l’indépendance de la justice ».

Et, ô surprise, abonde dans le même sens M. Ghaleh-Marzban, le nouveau président du Tribunal de Paris, selon lequel ces critiques « sapent les bases de notre droit et les fondements de notre démocratie ». Rien que ça.

La question est donc posée: l’institution judiciaire mérite-t-elle cette confiance de la part des citoyens?

Un peu d’histoire française (et pas seulement française).

Depuis l’affaire Calas, l’institution judiciaire s’est parfois complue dans l’infamie. L’exemple classique est l’affaire Dreyfus, où chaque magistrat de toute la hiérarchie judiciaire fut le servile larbin de l’antisémitisme. Idem en ce qui concerne la persécution de son défenseur Émile Zola. La nature humaine a-t-elle changé depuis et les leçons ont-elles été tirées? Plus récemment, il y a aussi l’affaire Outreau. Et d’ailleurs, à ce sujet, l’infamie persiste puisque l’ex-juge d’instruction Fabrice Burgaud a fait l’objet d’une simple réprimande et (aux dernières nouvelles) coule aujourd’hui des jours heureux dans sa sinécure d’avocat général référendaire de la Cour de cass’; une référence précieuse dans les pourvois fondés sur l’erreur judiciaire. Il a eu droit à un poste qui fait l’envie de bien des juristes.

(Petite note de droit comparé : en droit pénal anglo-saxon, il n’y a pas de juge d’instruction et ses fonctions sont remplies par le procureur, qui est avocat; un Burgaud aurait été rayé du barreau et fait, en… outre (si l’on ose dire), lui-même l’objet de poursuites pénales).

Bien entendu, les menaces de violence proférées contre les magistrats sont gravement attentatoires à l’État de droit et inadmissibles. Mais quid des remontrances des condamnés?

On répondra aux détracteurs de l’ex-président que, objectivement, c’est plutôt le bâillonnement d’un condamné qui est dangereux pour l’État de droit, lequel repose, précisément, sur le droit absolu du condamné de dénoncer une possible injustice du processus judiciaire. L’article 434-25 du code pénal est une archaïque survivance de l’esprit de la Sainte Inquisition qui a d’ailleurs été habilement transposé dans la procédure pénale stalinienne.

Le vrai fondement de la démocratie et de l’État de droit, c’est le droit absolu de dire : « J’accuse ». Incidemment, cela vaut aussi pour Mme Rachida Dati, qui fait face à un calendrier judiciaire relativement chargé.

(Autre petite note de droit comparé, l’infraction de common law équivalente, dite « scandalizing the court » – les lecteurs auront traduit d’eux-mêmes – a disparu des juridictions anglo-saxonnes les plus évoluées, notamment pour inconstitutionnalité, au titre de la violation de la liberté d’expression).

Comme le savent tous les magistrats et les avocats plaideurs dignes de ce nom, en substance, tout procès (civil ou pénal) est une vente aux enchères; la mise à prix dépend évidemment de divers facteurs, notamment de la nature de la cause, mais l’issue dépend étroitement des ressources respectives des parties, car le riche (qui a aussi pleinement droit à la présomption d’innocence dans un État de droit) est en meilleure position pour soutenir une guerre de tranchées. En l’espèce, il serait instructif de connaître le budget des parties. A ce stade, l’on peut sans doute conjecturer que M. Sarkozy a pu puiser dans un arsenal quelque plus conséquent que celui de l’officier d’artillerie Alfred Dreyfus jadis.

Cela dit, les bonnes âmes qui font de la confiance aveugle en l’institution judiciaire un acte de foi sont parfaitement libres de voir dans les récriminations d’un quelconque condamné, et de ses défenseurs, la hargne des mauvais perdants. Cela n’engage qu’elles.

Il faut déplorer cette tendance de la magistrature à être juge… et partie. En tentant de réduire au silence par l’intimidation un condamné censé jeter le discrédit sur elle, elle se livre à un abus de pouvoir et oublie que dans le mot « discrédit », il y a le mot « crédit ». C’est mettre la charrue avant les bœufs. Pour toute institution humaine, le respect, ça se mérite.

Parlant de respect, passons au procès Jubillar.

On constate d’abord une entrée en matière classique en France: sont exposés les antécédents et les analyses de personnalité de l’accusé effectuées par d’éminents experts disciples de Jacques Derrida.

(Autre petite note de droit comparé : la procédure anglo-saxonne, logiquement, rejette une telle hérésie car les parties débattent d’abord la matérialité des faits et, le cas échéant,  en recherchent ensuite, les éventuelles explications psychologiques. En France, on met encore la charrue avant les bœufs.)

Nous n’en sommes qu’aux premières phases du procès. Se succèdent des témoignages sur la personnalité apparemment peu amène de l’accusé.

Tous ces témoignages sont troublants.

Très troublants.

Et ce – parlant d’infamie – d’autant plus que cette fichue procédure pénale franchouillarde permet aux témoins de vomir leurs soit-disant convictions dans les prétoires.

(Petite note de droit comparé supplémentaire : en droit anglo-saxon, le témoin doit s’en tenir strictement aux seuls faits bruts dont il a une connaissance directe).

Cela dit, l’on ne peut que constater l’absence de tout indice déterminant. En dépit de tous ces éléments que l’on qualifiera charitablement de tangentiels… la réalité incontournable, maintes fois proclamée dans la sphère publique, est inchangée. Il n’existe aucune preuve formelle de culpabilité: surtout pas de corps, et encore moins d’aveux (encore que la religion de l’aveu est un autre archaïsme superstitieux bien français). En théorie, tout verdict de culpabilité repose sur des preuves factuelles, qui ne laissent place à nul doute. En l’absence de corps, pas d’ADN, pas d’analyses balistiques solides ou pas d’angles de coups de couteau, pas de datation de la mort, etc.

(Les conclusions des médecins-légistes, qui ont les pieds sur terre et mettent la main à la pâte, sont généralement plus fiables que les divinations hasardeuses des psys dont l’outil de travail est la boule de crystal).

Dans ce cas, en effet, la réunion, rigoureuse, de preuves indirectes peut suffire à emporter la conviction… si elles sont en béton. Est bien connu en droit pénal (pas seulement français) le délit de sale gueule; en l’espèce, seul est nettement caractérisé le délit de sale caractère.

Et y a-t-il eu enquête à charge, qui complique toujours considérablement la tâche de la défense? A ce stade du procès, demeure posée la question (classique, pas seulement en France, encore qu’est légendaire l’« entonnoir » français, tandis que dans les juridictions anglo-saxonnes a cours l’expression « tunnel vision » – les lecteurs auront encore traduit d’eux-mêmes). A chacun d’apprécier les tout aussi classiques véhémentes protestations d’innocence des enquêteurs en la matière.

A suivre. En France, le doute a, à l’occasion, plutôt tendance à profiter à l’accusation. Y aura-t-il un coup de théâtre?

Moralité : si nous sommes tous des chasseurs de prime, cela est particulièrement vrai pour les policiers, magistrats, avocats et journalistes.

Aïda chez les mollahs

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© Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

La mise en scène de Shirin Neshat ne remporte franchement pas tous les suffrages…


Tout porte à croire que cette Aïda ne restera pas dans les annales du lyrique verdien, pas davantage que la production précédente du chef-d’œuvre de Verdi, concoctée par la Néerlandaise Lotte de Beer, et qui fit long feu en 2021 à l’Opéra de Paris pour cause de Covid. Shirin Neshat est, avant tout, plasticienne. Native de Téhéran, elle a étudié l’histoire de l’art aux États-Unis, séparée de sa famille par la révolution islamiste de 1979, et s’est fait un nom comme photographe avec la série Women of Allah, puis comme vidéaste et cinéaste. En 2017, elle est invitée à monter Aïda au Festival de Salzbourg, mise en scène remaniée au fil de ses reprises, en 2022 dans la ville mozartienne, et à présent à l’Opéra-Bastille, en coproduction avec le Liceu de Barcelone.

Bernd Uhlig

Déracinées

On comprend bien pourquoi Aïda « parle » singulièrement à une artiste iranienne en exil, tragédie grandiose de cette esclave éthiopienne, princesse secrètement aimée du chef de guerre ennemi Radamès, et qui a pour rivale Amneris, la fille du roi d’Egypte : la déracinée, otage du vainqueur, bientôt forcée de choisir sous la pression d’Amonastro, son père, entre l’amant et la patrie, en d’autres termes entre le désir et le devoir moral, rejettera tous les compromis et suivra Radamès, condamné comme traître, dans le tombeau où, enterrés vivants, ils seront tous deux réunis dans la mort…

Commande du khédive Ismaël Pacha pour célébrer l’ouverture du canal de Suez, péplum pharaonique créé au Caire en 1871 soit quatre ans après le magistral Don Carlos, mais d’abord imaginé, sur un scénario de l’égyptologue Auguste Mariette, pour la scène parisienne dans la pure tradition française du « grand opéra », Aïda revêt traditionnellement la dimension d’un spectacle monumental, dont la marche des trompettes reste le morceau de bravoure célébrissime.

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Il n’est pas illégitime en soi de se détacher de cet orientalisme kitsch qui a parfois rempli, pour le pire, les stades de foot transformés en grand spectacle son et lumière. Cela n’autorise pas pour autant tous les contre-sens. Chez Shirin Neshat, le décor de l’Egypte ancienne revêt l’apparence géométrique d’une paire de fortins bâtis dans une sorte d’agrégat de béton blanc, façon cabines de douches géantes, mais pivotantes, ajourées, réunies au finish pour former le tombeau où sont emmurés Radamès et Aïda, mais dont les murs, tout au long du spectacle, auront essentiellement servi d’écrans de projection pour les clichés noir et blanc ou les films en couleur exhumés du book conséquent de l’artiste, les chanteurs en chair et en os promis quant à eux aux rôles de figurants d’un univers plastique dont le théâtre verdien se voit délibérément exclu.

L’extraordinaire dramaturgie du compositeur dans sa maturité, cette partition sublime, tout à la fois rutilante et onctueuse, au lieu d’être servies par la mise en scène, semblent ici les supports d’occasion d’un discours sans lien organique avec le livret. Par une curieuse interversion, l’opéra est ici sommé d’obéir aux injonctions de la scénographie. Laquelle donne à l’Égypte ancienne des pharaons le profil d’une théocratie sanguinaire, signalée, dans un vestiaire amorti par un vague syncrétisme (histoire de ne pas désigner précisément l’Iran – je ne nomme personne, suivez mon regard), par les longues barbes et les costumes voilés de noir de l’oppresseur, par opposition aux Éthiopiens prisonniers, tandis qu’Amneris, la rivale d’Aïda, fait d’acte en acte les essayages chromatiques de ses longues traînes de gaze, où elle se prend parfois les pieds et qui, au fil des tableaux, passeront du blanc au rouge ou au jaune –  faut-il y voir un symbole ? Pendant la durée interminable des changements de décor, la salle est priée de patienter en silence.  

Exceptionnel Piotr Beczała

Au soir de la première, le 24 septembre dernier, le cast vocal se ressentait du statisme de cette régie où la saturation des projections d’images anesthésie passablement l’émotion, les chanteurs se regardant à peine, plantés comme des quilles face au public. Certes, n’est pas qui veut Leontyne Price ou, plus près de nous, Anna Netrebko mais, voix métallique, la soprano espagnole Saioa Hernández, dans les redoutables difficultés du rôle-titre, n’échappait pas à une certaine froideur d’expression, tandis qu’il aura fallu attendre le troisième acte pour que la mezzo genevoise Eve-Maud Hubeaux, en fille du roi d’Egypte, trouve la souplesse, le délié, la rondeur et l’intensité réclamée par l’emploi d’Amneris. Au moins la basse russe Roman Burdenko faisait-elle un magnifique Amonasro, le roi d’Ethiopie et père d’Aïda (on l’avait entendu déjà cette année dans Il Trittico, la trilogie puccinienne). La palme revient sans conteste à Radamès, le capitaine égyptien épris d’Aïda, campé de façon souveraine par Piotr Beczala, ténor exceptionnel, capable de monter vertigineusement dans les aigus. Habitué du plateau parisien, le Polonais Krzysztof Baczyk incarnait « Il Re » d’une splendide voix de basse. Quant à Ramfis, le grand prêtre égyptien, autre voix de basse joliment charnue, on le découvrait tout aussi convainquant sur le plan vocal, sous les traits du chanteur hungaro-roumain Alexander Köpeczi.   

Le maestro Michele Mariotti, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, reprend la direction qu’il avait assumée avec davantage d’énergie en 2021 pour deux représentations seulement, programme alors rompu par la pandémie. Sans donner peut-être, cette fois, au versant intime d’Aïda la grâce mélancolique, la douceur crépusculaire qui, à côté des passages fortissimo, sont le trésor secret de cet opéra.

Hors Krzysztof Baczyk  (Il Re) et la basse Alexander Köpecki (Ramfis) qu’on découvre sur la scène parisienne, la distribution s’annonce différente pour les dernières représentations, la soprano polono-américaine Ewa Plonka succédant par exemple à Saioa Hernandez à partir du 19 octobre, autre prise de rôle d’Aïda à Paris.  

Qui voudrait retrouver l’esprit péplum du chef-d’œuvre aura tout intérêt à  visionner, disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 30 novembre, la toute récente captation d’Aïda fort bien réalisée au Met Opera : Nézet-Séguin à la baguette, dans une mise en scène signée Peter Mayer, avec, d’ailleurs, toujours Piotr Bezcala en Radamès, et en Amneris la mezzo roumaine Judit Kutasi, celle-là même qui, à l’Opéra-Bastille, reprend le rôle à partir du 19 octobre, et ce jusqu’à la dernière représentation, le 4 novembre. D’une opulence, pour le coup, pharaonique.


Aïda. Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi. Avec Krysztof Baczyk, Eve-Maud Hubeaux/Judit Kutasi, Aioa Hernandez/Ewa Ptonka, Piotr Beczata/Gregory Kunde… Direction : Michele Mariotti/ Dmitry Matvienko. Mise en scène et vidéo : Shirin Neshat. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3h05
Opéra Bastille les 7, 10, 13, 16, 22 octobre, 1 et 4 novembre à 19h30 ; le 19 octobre à 14h30

Brenda Biya: la fille rebelle qui défie le « Sphinx » de Yaoundé

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Le président Paul Biya et son épouse Chantal à St Petersbourg en Russie, juillet 2023. Dans l'encadré en haut à gauche, leur fille Brenda © VDonat Sorokin/TASS Host Photo A/Sipa USA/SIPA

Si la fille du président sortant avait déjà fait parler d’elle par le passé (avec ses prestations de rap, son coming-out lesbien, ou des jérémiades concernant le délai de renouvellement de son passeport), lorsqu’elle a appelé fin septembre les jeunes Camerounais à ne pas voter pour son père sur TikTok, elle a dû vite faire marche arrière… Ses compatriotes votent dimanche prochain. Son père, 92 ans, qui brigue un huitième mandat, est favori.


Entre confidences publiques, coming-out assumé et critiques frontales contre son père, la fille du président camerounais Paul Biya a bousculé l’image d’une famille présidentielle réputée pour sa discrétion. Un séisme politique et intime, à quelques jours de la présidentielle. À 27 ans, Brenda Biya est devenue, malgré elle, le symbole d’une génération en rupture. Depuis Genève, où elle réside une partie de l’année, la jeune femme s’est exprimée comme rarement un membre du clan présidentiel ne l’avait fait avant elle.

« Personne n’est au-dessus des lois »

C’est sur le réseau social Instagram que tout avait commencé. En juin 2024, Brenda Biya avait déjà publié une série de vidéos et de messages où elle évoquait, sans détour, son quotidien, ses frustrations et sa différence. « Je suis Brenda Biya, j’aime qui j’aime, et je ne me cache plus », écrivait-elle, en partageant une photo d’elle embrassant sa compagne présumée, Layyons Valença, une mannequin et artiste brésilienne. Une publication aussitôt devenue virale — et qui avait déclenché un séisme politique à Yaoundé, dans un pays où l’homosexualité est passible de plusieurs années de prison selon l’article 347 bis de son Code pénal. « (…) Je trouve (cette loi) injuste et j’espère que mon histoire la fera changer » n’avait pas hésité à affirmer l’influenceuse, devenue depuis célibataire.

Brenda Biya n’est pas n’importe qui. Elle est la fille du président camerounais Paul Biya et de son épouse Chantal Biya. Ses parents ont d’ailleurs découvert la préférence sexuelle de leur cadette à travers ses critiques tant elle ne l’avait jamais évoqué auparavant, de l’aveu même de la concernée. Si certains internautes camerounais ont salué son courage, d’autres l’ont violemment prise à partie sur les réseaux sociaux. Patrice Christ Guidjol, président de l’association « Debout contre la dépénalisation de l’homosexualité dans notre pays », a porté plainte contre la rejetonne présidentielle, accusant celle-ci de la « promotion et incitation » des pratiques sexuelles LGBTQI+, rappelant que « personne n’est au-dessus des lois ». Dans l’entourage du chef d’État, on s’est borné alors à déclarer que l’on ne discutait pas des affaires privées de la famille du président et encore plus dans ce qui reste « un moment de confusion », selon les proches du dirigeant de cette ancienne colonie allemande, puis française.

Rappeuse à ses heures perdues

Loin de faire profil bas, Brenda Biya, rappeuse à ses heures sous le nom de scène King Nasty, n’en était pas à son premier coup d’éclat. Déjà, en 2019, elle avait dénoncé sur les réseaux sociaux les lenteurs administratives pour renouveler son passeport camerounais : « Même moi, fille du président, je galère à avoir un passeport. Imaginez les autres ! ». Un message qui avait alors trouvé un écho inattendu auprès d’une jeunesse camerounaise souvent frustrée par la corruption et les inégalités. Si certains observateurs y avaient vu alors une simple crise d’adolescence tardive, d’autres estimaient que l’affaire Brenda Biya traduisait en réalité beaucoup plus que cela.

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Arrivé au pouvoir dans des circonstances encore non élucidées en 1982, Paul Biya est un des derniers dinosaures de la Françafrique, ce système de relations économico-politico-militaires mis en place entre Paris et ses anciennes colonies d’Afrique. En dépit de nombreuses tentatives de le renverser ou de mettre en face de lui des opposants à la verve dynamique, de tenter de le poursuivre devant les tribunaux (pour des biens mal acquis présumés), Paul Biya est arrivé à se maintenir sur son trône en appliquant une méthode qui a fait ses preuves : « diviser pour mieux régner ».  A 92 ans, le « Sphinx » a l’assurance de celui à qui rien ne peut arriver, fidèlement soutenu par sa femme connue pour ses extravagantes coiffures, et un clan ethnique qui a verrouillé tous les organes de l’État.

Entre fidélités verrouillées et ambitions latentes, la parole libérée de Brenda apparaît pour beaucoup de jeunes Camerounais comme un miroir social : celui d’un pays en attente de renouveau, prisonnier d’un régime qui semble sans fin. C’est dans ce contexte qu’elle a une nouvelle fois vertement critiqué « papounet » sur TikTok le mois dernier. Dans une récente vidéo très explicite, elle a appelé les électeurs à ne pas voter pour lui « parce qu’il a fait souffrir beaucoup de gens » tout en espérant que les Camerounais « choisiront un autre président ».  Encore une fois, Brenda Biya a fait le buzz et s’est retrouvée au centre de toutes les discussions de village avant que ce message ne soit subitement plus accessible sur le réseau social bien connu.

Retournement de situation

Dans la foulée, celle qui est régulièrement accusée d’avoir un style de vie digne d’un émir de Dubaï, contrastant singulièrement avec le fort taux de pauvreté auquel font face ses compatriotes, a republié une seconde vidéo en forme de mea culpa. « Salut les gars. Ne nous mentons pas, je n’y connais rien en politique. Pourquoi voulez-vous suivre mes conseils, moi, une enfant impulsive qui prend des décisions sur un coup de tête ? Ne les suivez pas. (…) Quelqu’un qui ne connaît rien à quelque chose devrait naturellement se taire ». « Honnêtement, je devrais me remettre en question. Parfois, je prends des décisions impulsives. Je ne me rends pas compte des personnes que je blesse » a-t-elle ajouté.  Avant de conclure étrangement sur ces notes élogieuses : « J’ai toujours admiré l’intellect de mon père et j’ai toujours voulu avoir en même temps le cœur de ma mère ». « Plus tard, le peuple va se rendre compte que leur président était un bijou. Je trouve que c’est un grand homme et un excellent candidat ». Dont acte !

Un retournement qui a étonné ses soutiens de la première heure, la fameuse Gen-Z. Au fond, toute son agitation médiatique n’est peut-être qu’un reflet des tensions d’un pays en fin de cycle politique, où la lassitude du peuple côtoie l’immobilisme du pouvoir. Dans un Cameroun figé par le temps, sa voix résonne comme un cri — celui d’une jeunesse qui, faute d’espace d’expression, choisit les réseaux sociaux pour dire son ras-le-bol. Qu’elle le veuille ou non, la « fille rebelle du Sphinx » est devenue un symbole d’un malaise générationnel, et peut-être, à sa manière, l’annonce fragile d’une ère nouvelle — celle où même les enfants du pouvoir ne peuvent plus se taire, faisant fi du respect de la tradition africaine de soumission au père et à la mère. Même en Afrique, un continent réputé très conservateur, tout finit par se perdre !

Pourquoi Macron et Mélenchon se ressemblent

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Paris, 7 septembre 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron n’aiment pas le peuple quand il est trop français. Face aux angoisses existentielles des autochtones, tous deux ont le même réflexe pavlovien: ils accusent ces indigènes d’«extrême droite».


Leur divorce est un simulacre. Jean-Luc Mélenchon reste l’allié utile d’Emmanuel Macron. Une preuve : le sabotage du mouvement antigouvernemental du 10 septembre (« Bloquons tout ! ») est venu du leader de LFI. C’est Mélenchon qui a fait de cette protestation populaire, détournée par l’extrême gauche insurrectionnelle, un échec (175 000 manifestants dans toute la France) dont s’est félicité le pouvoir. Macron a pu dire merci à Mélenchon. C’est aussi avec le soutien du leader LFI que le « front républicain » fit obstacle à la dynamique du RN lors des législatives de 2024. Les deux hommes partagent la même vision d’une société postnationale ouverte à l’immigration musulmane et à la cause gazaouie. Le 10 septembre flottaient partout les drapeaux palestiniens.

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron n’aiment pas le peuple quand il est trop français. Tous deux ont, face aux angoisses existentielles des autochtones, le même réflexe pavlovien : ils accusent ces indigènes d’« extrême droite ». Ce sectarisme amène l’intolérance. Elle met en danger les porte-voix des « Oubliés », comme CNews ou Europe 1. Le fascisme est chez les militants de LFI et son chef non élu. Pour eux, la démocratie n’est plus le cadre de leurs revendications. Les guérillas urbaines et la terreur deviennent des moyens admissibles. Cette dérive est partagée par l’islam révolutionnaire : ce totalitarisme assume son alliance avec la gauche perdue pour espérer imposer la charia sous couvert de marxisme. Dans cet univers paranoïaque, la violence a remplacé la réflexion.

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L’assassinat de Charlie Kirk, 31 ans, influenceur pro-Trump tué par balle le 10 septembre sur un campus américain lors d’un de ses débats avec ses contradicteurs, n’a pas ému les humanistes autoproclamés. La minute de silence demandée au Parlement européen a été perturbée par la gauche et le centre. En France, le profil « antifasciste » du meurtrier, qui vivait en couple avec un transsexuel, a été gommé par les faussaires à cartes de presse. Ils ont voulu faire passer le tueur pour un conservateur trumpiste. Kirk invitait ses contradicteurs à venir débattre : « Prove me wrong » (« Prouvez-moi que j’ai tort ») était son slogan. La gauche l’a présenté comme un faiseur de haine.

Dans Le Spectateur engagé (1981), Raymond Aron regrettait, déjà à l’époque, la fin des confrontations d’idées entre éditorialistes au profit « des monologues et des injures ». Il y rappelait que « l’essence du régime soviétique, c’est le refus du dialogue ». Or c’est bien ce refus du dialogue qui a tué Kirk. La crise intellectuelle et morale que traversent la gauche perdue et ses avatars sociaux-démocrates a produit des butors. Ils nazifient les citoyens qui défendent leur patrie face à une mondialisation destructrice des identités nationales. Cette bêtise est semblablement portée par le mélenchonisme et le macronisme. Ces deux mouvements sont proches du même basculement totalitaire.

Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron voient dans les conservateurs un ennemi commun. Or tous deux n’ont rien compris au réveil des peuples et des nations. C’est le rejet de leur monde déraciné qui a mis, pacifiquement, des centaines de milliers de Britanniques dans les rues le 13 septembre. L’« antiracisme », mantra du chef de LFI et du chef de l’État, a révélé son imposture en protégeant l’antisémitisme islamique qui prospère en France. Les deux compères sont récusés par l’histoire. Ils vieilliront ensemble.

La boîte du bouquiniste

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DR.

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Paul Fort publie ses mémoires en 1944 ; il a alors 72 ans, et insiste sur un point : il s’agit d’un livre de souvenirs, non d’un testament. Le récit chronologique débute dans sa ville natale de Reims et se poursuit avec le déménagement de la famille à Paris, en plein Quartier latin, où le père, agent de change, a trouvé un emploi. Le jeune Paul est inscrit au lycée Louis-le-Grand en vue de préparer Saint-Cyr. « Mais voilà, j’étais externe. Le jardin du Luxembourg que je devais, chaque matin, traverser pour me rendre au vieux lycée de la rue Saint-Jacques, me tendait des pièges si féériques, hélas ! que chaque matin j’y trébuchais. » Il y rencontre Pierre Louÿs et André Gide qui traversent le Luco dans l’autre sens pour rejoindre l’École alsacienne et les lycéens parlent littérature et poésie. Adieu Saint-Cyr. Paul Fort rêve d’intégrer une autre école, celle du Symbolisme. Il rencontre sans mal ses grandes figures – la vie alors était simple – Mallarmé, Verlaine, Régnier, Laforgue et bien d’autres. Il a à peine 17 ans, mais se sent l’âme guerrière pour combattre le Naturalisme. Les idées s’échangent le soir au Café Voltaire, place de l’Odéon, qui « bouillonne à la façon d’un cratère ». Le jeune Fort fourbit ses premières armes sur les planches en créant le Théâtre d’Art, en réaction au Théâtre Libre d’André Antoine. Dans ce Paris d’avant 1900, il lui est aisé d’enrôler des acteurs sans gages et de faire brosser ses décors, pour le même prix, par Gauguin, Vuillard, Bonnard ou Sérusier. L’heure est à l’enthousiasme bruyant et à l’humour potache, mais ce vent de légèreté fait découvrir au public resté en place (« c’était Hernani multiplié par dix pour le tapage »), les textes de Hofmannsthal, Poe, Gourmont, Villiers de L’Isle-Adam, Jarry – Fort sauve le manuscrit d’Ubu roi de la poubelle –, jusqu’aux chansons de geste médiévales ! Encouragé par « le triomphe de l’idéalisme sur le réalisme », Paul Fort crée le Théâtre de l’Œuvre, trouve encore le succès, puis se consacre pleinement à la poésie. Il est élu « Prince des poètes » en 1912.

Dans ses mémoires, l’auteur s’adresse directement au lecteur sur un ton badin, les idées se bousculent comme dans une conversation à bâtons rompus, il peut changer de sujet en cours de phrase, y revenir plus loin avant de passer à autre chose. Ainsi suit-on sa « croisade contre les mauvaises critiques et les snobs, snobinets et snobinettes » entre deux réflexions sur le « Navire-Poésie » qui est selon lui bien gréé pour les années à venir.

De tels propos ne présagent pas de la tonalité finale de l’ouvrage : celle d’un patriotisme puissant, charnel, le patriotisme d’un homme né au pied de la cathédrale de Reims et qui a vu la boucherie de 14-18. L’auteur des Ballades françaises raconte alors sa mue en « chroniqueur français » pour narrer Louis XI ou Isabeau de Bavière, Philippe le Bel ou François Ier, avant de conclure par ces « variations sur des pays aimés » : Touraine, Blésois, Vendômois, Bretagne, Normandie, Ardennes et Champagne, où son « cœur français a battu avec le plus d’amour ».

Paul Fort, mort en 1960, est peut-être passé de mode, mais n’a pas été oublié. Cette postérité, il la doit aussi à Georges Brassens qui a immortalisé en chanson La Complainte du petit cheval blanc, « tous derrière et lui devant ».

Mes mémoires : toute la vie d’un poète, 1872-1944, Paul Fort, Flammarion, 1944.

Cécile de France, notre plus belle histoire

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Cécile de France dans "Dalloway", film de Yann GOZLAN (2025) © ZHOU YUCHAO Mandarin & Compagnie - Gaumont

Monsieur Nostalgie a eu une révélation! Il est catégorique. Il le proclame haut et fort: la meilleure actrice de France est née en Belgique à Namur…


Je le pressentais depuis plusieurs années. Mais, je n’osais me l’avouer. Plus par mauvaise foi que par patriotisme mal placé. Je voyais bien qu’elle était au-dessus du lot, que chacune de ses interprétations s’harmonisait à la perfection avec ses rôles. Elle leur collait à la peau tout en n’annihilant pas une partie d’elle-même, qu’elle laissait derrière elle, un souffle, une manière, une empreinte, une vibration intérieure. Une grande actrice joue et elle est elle-même à la fois. C’est l’un des paradoxes, une bizarrerie des métiers du dédoublement. On ne transpose bien qu’avec son histoire personnelle, qu’avec son propre corps. Cécile trace son sillon dans le cinéma français, à l’abri des regards, évitant les frasques publicitaires et les déclarations moralisantes. Elle joue, voilà tout, en répondant aux directives des metteurs en scène – en admettant que la direction d’acteur existe vraiment avec des comédiennes de cette stature-là. Dans un monde où l’artiste passe plus de temps à commenter l’actualité, à s’insurger contre les méchants et à suivre le sens du vent pour ne pas perdre sa fan base, sa singularité saute aux yeux. Par confort intellectuel, on a d’abord mis son « originalité » sur sa belgitude. Puis très vite, nous avons compris notre erreur de jugement. Il est impossible de la classer, de la parquer dans un quelconque territoire de fiction. Cette grande fille souriante, saine, pas compliquée en apparence, presque trop naturelle pour être vraie a l’intensité de son innocence. Elle nous transporte là où elle le veut depuis vingt-cinq ans de carrière. Cécile nous ramène toujours à l’essentiel par des chemins directs. Elle ne cherche pas à éblouir par astuce, à séduire par éclat, à se conformer aux attentes des autres, à remplir une mission prédéfinie, elle déroute par sa sincérité. Chez elle, la sincérité est portée par le talent et la grâce, par le travail d’artisan et par une candeur infernale. Elle n’est pas bêtement sophistiquée et cependant son jeu par mille détails, mille empilements de caractère, certaines strates à peine visibles, par mille ajustements, est d’une sophistication extrême. Nous sommes tellement habitués aux faiseurs, aux manipulateurs que l’incarnation franche et pure nous laisse sans voix.

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Souvent, on cherche le truc, on suspecte l’arnaque, on est chagriné d’avoir été berné, on s’est emballé pour un artifice bien décevant. Combien d’actrices, sur l’instant, sur un malentendu, dans un moment de faiblesse ont charmé puis ont aussitôt quitté notre imagination ? L’onde de Cécile perdure. Longtemps. Au-delà des modes. Plus vive que jamais. C’est une vague qui grossit et qui nous enveloppe. Il y a un plaisir à la voir, à la revoir, un plaisir réel de fluidité et de virtuosité, d’instinct et de comédie mais il y a surtout l’ineffable effet à retardement. Quand un rôle de Cécile vient nous percuter au hasard de l’existence, à la caisse d’un supermarché ou chez le coiffeur, on sait intimement que cette actrice est à part, que cinq ans après une séance de ciné anodine, elle a changé notre regard sur la vie. On se souvient de tout. Fauteuils d’orchestre, Mademoiselle de Jonquières, The New Pope, étudiante ou femme du monde, tout remonte. Nous ne sommes plus les mêmes. Cécile est une variation continue, elle distord le temps, dérègle les lignes de conduite, déjoue les classes sociales ; sa beauté sportive nous émeut, son rire laisse exploser des filaments de tristesse, rien n’est banal, rien n’est écrit, rien n’est télécommandé. On voudrait que dorénavant, elle joue tout. Qu’elle soit la seule actrice de ce pays. J’ai mis du temps à m’avouer cette évidence. Peut-être est-ce dû à son premier grand rôle dans L’Auberge espagnole, j’étais hermétique au côté mollement progressiste d’Erasmus. On ne déteste rien d’autre que sa propre jeunesse. Cette révélation vient, une fois de plus, de m’être confirmée par sa présence dans La Venue de l’avenir, le dernier Klapisch (disponible en streaming depuis peu). Cécile n’a pas besoin d’avoir le rôle principal, son apparition en conservatrice du Musée d’Orsay, formidablement juste, drôle, ridiculement délicate est un numéro d’équilibriste remarquable. Cécile donne de la consistance, de l’émoi, de l’éros et du fracas à toutes les femmes. Elle est la Numéro 1 de ce métier.

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