Tout compte fait, la nomination de Sarah Mullally, première femme archevêque de Canterbury, est aussi frustrante pour les progressistes que pour les conservateurs. Analyse.
Quatorze siècles de tradition immuable se sont écoulés pour qu’une femme accède, enfin, à la primatie de l’Église d’Angleterre. Le 3 octobre 2025, Charles III a entériné la nomination de Sarah Mullally, actuelle évêque de Londres et ancienne infirmière en chef du NHS, comme 106ᵉ archevêque de Canterbury. Un moment que les commentateurs qualifient d’« historique ». Mais en quoi cette nomination serait-elle véritablement historique ? D’un sursaut spirituel ou d’un alignement complaisant sur l’air du temps ?
Le vernis du progrès
La nouvelle primat n’a rien d’une théologienne flamboyante : sa carrière fut d’abord médicale, puis managériale. Profil idéal pour une Église transformée en ONG morale. Alors que les temples se vident et que les scandales d’abus minent sa crédibilité, l’anglicanisme a trouvé une parade : ériger son archevêque en symbole inclusif. Première femme, donc première victoire… mais surtout pour la communication.
Un essaim de promesses
Elle succède à Justin Welby, emporté par l’affaire Smyth et ses graves défaillances en matière de protection des fidèles. Mme Mullally promet « d’écouter les survivants ». Des mots mille fois entendus. Ce dont l’Église anglicane a besoin, ce n’est pas d’un nouveau slogan, mais d’une réforme en profondeur – et cela, on peine à le discerner dans son discours.
La vitrine de l’archevêque
Ses positions sont connues : bénédiction des couples homosexuels, respect « de ceux qui refusent son ministère féminin », soutien au LGBT+ History Month. Sur l’avortement, elle se dit « plus proche du pro-choice que du pro-life », tout en penchant « personnellement vers le pro-life ». Sur l’euthanasie, elle s’est opposée à l’aide à mourir à la Chambre des Lords. Bref : compromis, nuances, demi-teintes. Une théologie du « en même temps » – inclusive pour les progressistes, rassurante pour les conservateurs… mais frustrante pour tous.
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Un trône fracturé
Cette nomination réjouit Londres, mais scandalise le Sud anglican. Le GAFCON a déjà dénoncé une « trahison biblique ». Pour les Églises africaines et asiatiques, une femme archevêque n’est pas seulement une hérésie : c’est la preuve que l’Occident impose sa modernité comme une nouvelle colonisation culturelle. Inclusivité, oui – mais au prix de l’unité.
À cheval sur deux mondes
Mme Mullally n’est pas seulement pasteure : elle siège à la Chambre des Lords, où elle s’oppose aux projets du gouvernement, de l’euthanasie à l’expulsion des migrants vers le Rwanda. Ses interventions la placent au cœur du débat politique. Mais l’archevêque est-elle encore une figure spirituelle, ou simplement la conscience sociale attitrée d’un Royaume en quête de morale d’État ?
Du feu de Cranmer au vernis de l’époque
Souvenons-nous : l’anglicanisme naquit dans la fureur d’Henri VIII et la radicalité de Thomas Cranmer, brûlé vif pour sa foi. Cinq siècles plus tard, l’audace s’est muée en conformisme. De la défense intransigeante de la vérité, on est passé aux compromis inclusifs. L’archevêque d’hier affrontait les rois. Celle d’aujourd’hui rassure les éditorialistes.
La nomination de Sarah Mullally restera comme un jalon. Mais que marque réellement ce jalon ? Un réveil spirituel ou une soumission à l’idéologie dominante ? À force de vouloir plaire à tout le monde, l’Église d’Angleterre risque bien de ne plus émouvoir personne. En 1170, Thomas Becket mourait à genoux devant l’autel, refusant de céder au pouvoir. En 2025, Dame Sarah Mullally s’incline, elle, devant le pouvoir de l’air du temps.




