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Banquiers en prison, laïcité au balcon

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lyon turin smic

Résumons de manière synthétique le social-libéralisme actuellement au pouvoir : le même jour, les députés socialistes ont retiré la taxe à 75% pour le club de Monaco et Michel Sapin a annoncé une augmentation de 10 centimes du Smic horaire.

C’est vrai. Si les députés n’avaient pas exempté l’AS Monaco, les joueurs auraient pu menacer de partir jouer dans un paradis fiscal. Ou Monaco aurait pu quitter le championnat de France. On ne s’en serait pas remis. 10 centimes en plus pour le Smic horaire. Ça ne met même pas l’heure à 10 euros. 9,53  pour être précis. Un joueur de Monaco, il ne sait même plus à quoi ça ressemble un billet de 10 euros. Si ça se trouve, il ne sait même pas que ça existe, des coupures aussi petites.

En même temps, est-ce bien prudent une telle augmentation du Smic ? Les smicards ne risquent-ils pas de tout claquer en prostituées, cocaïne et voitures de sport ?

On vit une époque formidable. Le 16 novembre dernier, lors d’une manifestation assez violente, dans le Val de Suse, en Italie, contre la ligne de TGV Lyon-Turin qui est inutile et risque de dévaster une région magnifique, une des manifestantes a embrassé sur la bouche un policier anti-émeute. Le policier antiémeute a porté plainte pour intimidation sexuelle. On souhaite que lui et sa famille se remettent du traumatisme et puissent retrouver une vie normale. La manifestante a vraiment eu un comportement scandaleux. Un bon pavé dans la tronche, ou un cocktail Molotov, ça aurait quand même été mieux. Ils ne sont pas habitués aux baisers, les policiers anti-émeutes, surtout dans la vallée de Suse où la lutte dure depuis des années, mêlant activistes décroissants et population locale qui inventent de nouveaux modes de résistance et de coopération. Comme, en France, sur le chantier de Notre-Dame-Des-Landes. Se dire que loin des médias, ces mouvements s’enracinent et renouvellent une opposition concrète au système néo-libéral qui s’occupe de moins en moins de l’avis des peuples, ça vous rend le moral après les incessantes bisbilles du Front de gauche que Mélenchon n’a de cesse de vouloir faire imploser puisque les communistes ne sont pas le petit doigt sur la couture du pantalon.

On en parle trop peu, mais cette résistance que l’on trouve dans le Val de Suse ou à Notre Dame des Landes, elle s’est exprimée et elle a gagné à l’échelle de tout un pays. Non, pas au Venezuela mais, plus près de chez nous, en Islande, le pays des volcans facétieux, des grandes blondes et du polar lent. Les Islandais ont fait une véritable révolution en refusant de payer les conséquences de la crise financière de 2008. Ils ont viré leur gouvernement à plusieurs reprises, renversé leur parlement, réécrit leur constitution et refuser de rembourser les dettes de leurs banquiers. Mieux, ils les jugent : trois anciens dirigeants de la banque Kaupthing, ont été condamnés pour fraude, jeudi 12 décembre. Et ça ne rigole pas : l’ancien directeur général, Hreidar Mar Sigurdsson, a été condamné à cinq ans et demi de prison, et l’ancien président, Sigurdur Einarsson, à cinq ans. L’ancien directeur de la filiale luxembourgeoise, Magnus Gumundsson  a été condamné à trois ans et demi d’emprisonnement. Une peine de trois ans de prison a également été prononcée contre un actionnaire important, Olafur Olafsson. L’Islande, plus de 300 000 habitants et seulement 42 détenus va finir par être le seul pays au monde à être obligé d’agrandir son unique prison pour y mettre des banquiers. 

Un modèle pour nous tous, non ?

Le 13 décembre, à Lille, à l’initiative des Vétérans du Parti et des Jeunesses Communistes, il y a eu une belle rencontre autour de la laïcité en présence d’Anicet Le Pors et de Michelle Demessine. Je suis trop vieux pour faire encore partie des seconds et trop jeune, mais ça ne durera plus, pour faire partie des premiers. J’ai eu vingt ans dans les années 80, plus personne ne faisait de politique et encore moins en adhérant au PCF.

L’exposé d’Anicet Le Pors a été éblouissant, pendant plus d’une heure, sans la moindre note. Quand on pense que cet ancien de la « bande des quatre » ministres du Parti du gouvernement Mauroy a aujourd’hui 82 ans, on se dit que le communisme, ça conserve.  Plaisir aussi de se retrouver physiquement à côté un homme qui a écrit une partie de l’histoire récente, qui a vécu aux premières loges les trois seules années de gauche au pouvoir que la France ait connues depuis la fin de la guerre. Un homme qui a participé aux négociations du Programme Commun, pour les questions industrielles. Un homme qui a connu Marchais et Mitterrand s’engueulant autour d’une table.

Pendant le débat, Anicet Le Pors a remis à sa place quelques jeunes camarades légèrement contaminés par le gauchisme sociétal qui trouvaient que le voile c’était pas un problème, qu’il fallait être tolérant, tu vois, quoi, que la loi de 1905, enfin tu vois, quoi, il faudrait peut-être la repenser, tu vois, quoi.

Ça a été un non ferme, définitif, argumenté. Ce qu’il faut retenir de sa riche conférence, que l’on pourra lire sur son blog, c’est qu’il ne faut laisser personne, à l’extrême droite ou chez certains communautaristes, récupérer le sujet pour des raisons électoralistes qui sont à la fois inverses et complémentaires : focaliser évidemment sur la question de l’islamisme, histoire d’oublier tout le reste, ce que souhaitent aussi bien l’extrême droite identitaire que les barbus. Et comme par hasard, tout ce petit monde finit toujours par rajouter à chaque fois un adjectif ou un complément de nom au beau mot de laïcité afin de la diluer ou de la détourner. « Laïcité ouverte », « laïcité de combat », « laïcité positive » ?

Non : il y a la laïcité. Point à la ligne.

 

*Photo : FAYOLLE PASCAL/SIPA. 00654906_000018..

Les salauds et Basile, à table !

valls 343 salauds

Un salaud au « Gland Journal »

MERCREDI 30 OCTOBRE, 19h30.

Ad augusta per angusta ! En ma qualité de signataire de la « Putition », j’ai pour la première fois les honneurs du « Grand Journal ».

Par bonheur, grâce à mon statut de chroniqueur télé à Valeurs actuelles, je connais un peu le principe de l’émission. Avant de badiner avec des artistes en promo, en première partie on cause sociétal avec des invités reçus, selon les cas, en tant que témoins ou suspects. Moi je suis prévenu, dans les deux sens du terme : on m’attend avec un flinguot.

Sur le plateau, l’ambiance est plus détendue depuis qu’on y a remplacé, en tant que maître des cérémonies, le mandarin Denisot par l’éternel potache de Caunes, avec ses bonnes blagues, ses pots de peinture et ses salades sur la tête.

Mais à part lui, le petit tribunal du « Grand Journal » m’examine d’emblée d’un oeil sévère. L’affaire semble grave, et je sens que je vais prendre pour mes 342 co-inculpés (Bedos n’a pas encore calanché).

Ici, si on t’invite en tant que « méchant », ce n’est pas pour te donner la parole : c’est pour te harceler, si possible jusqu’à l’hallali.[access capability= »lire_inedits »] En face de toi, trois procureurs de papier qui se sont habilement réparti les rôles. Chacun son angle d’attaque, et dès que tu commences à répondre au premier, tous les autres te tombent dessus.

Objectif : te faire perdre les pédales ou mieux, péter un fusible. Résultat : c’est déjà fini avant que tu aies pu aligner deux phrases. Le public retiendra que t’es chiant et que, décidément, ta cause est indéfendable. Ces intervieweurs-là ne respectent même pas les règles de l’Inquisition[1. Fixées dès le xiiie siècle par le dominicain Bernard Gui, dans son excellent Manuel de l’Inquisiteur (Les Belles Lettres, 2006 pour la dernière édition).]. Peu de gens le savent, mais les droits de la défense y étaient si bien garantis que même notre justice civile s’en est inspirée par la suite.

Rien de tel avec nos nouveaux inquisiteurs défroqués : s’ils te passent à la « question » c’est pour mieux t’empêcher de répondre, mon enfant. La seule façon de s’en tirer, dans ces circonstances, c’est de « s’en foutre un peu », comme le recommandait mon regretté prof de philo. Assez, en tout cas, pour interrompre les interrupteurs à coups de reparties imprévues, brouillant ainsi leur plan de bataille. « Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? » Qu’il s’en foutût ! Plus facile à dire qu’à faire, certes, surtout quand on fréquente rarement ce genre d’arène ; par chance, ce jour-là, je suis en forme ! Le matin même est tombée la décision d’expulsion qui nous pendait au nez. Non pas depuis vingt-sept ans que je cache la SARL Jalons dans mon piano, comme de vains médias pensent. Plutôt depuis neuf mois que Delanoë a décidé d’offrir la tête de Barjot sur un plateau au bon peuple du Marais.

Bref, j’ai passé la journée à répondre aux questions pointues d’une trentaine de journalistes, sur un jugement qu’ils n’avaient visiblement pas lu. En bonne déontologie, ils s’étaient contentés d’une dépêche AFP et de la force de leurs préjugés.

Alors ce soir-là, ce n’est pas trois ou quatre chroniqueurs de plus, même réunis en juridiction d’exception, qui vont m’angoisser. D’autant que le sujet est quand même plus marrant : les salauds et les putes !

 

Je reviens quand vous voulez !

MERCREDI 30 OCTOBRE, 21 heures.

Tout s’est passé au mieux, finalement ! De retour chez moi, je visionne l’enregistrement : il est conforme à mes  souvenirs, encore frais il est vrai. D’emblée, Aphatie m’interpelle sur l’« esclavage sexuel », comme si ça  avait un rapport avec la choucroute.

Et tandis que je réponds, il ne cesse d’ajouter des questions subsidiaires… Mais pas question de céder : c’est dès le début qu’il faut marquer son territoire, sinon t’es mort !

Alors je parle au-dessus de Jean-Michel, dans une aimable cacophonie, jusqu’à ce qu’il renonce le premier, et pour cause : je n’ai rien à perdre et lui, à la longue, il finit par avoir l’air con. Victoire, donc ! J’ai pu résumer nos positions hardies en matière de sexe tarifé : la liberté pour tous, putes et clients, mais aussi une répression efficace du trafic d’êtres humains.

Ouf ! Dans le temps qui m’est imparti, si je n’avais pas balancé au moins ça, c’était même pas la peine de faire le déplacement.

Maintenant, on va pouvoir plaisanter… Ça tombe bien, une certaine Hélène Jouan croit pouvoir ironiser : « Ah bon, vous voulez protéger les prostituées ? On n’avait pas compris ça du tout dans votre Manifeste… » – Vous êtes allée jusqu’à la page 2 ? L’exercice m’amuse, plus qu’elle apparemment. Mais c’est déjà au tour d’Augustin Trapenard, l’intello de service, de sortir son petit réquisitoire. Pour lui, le « vrai problème » de ce Manifeste, ce n’est pas son contenu (sic). C’est la référence blasphématoire aux « 343 salopes » de jadis, qui « elles, avaient pris des risques ». Allons donc ! T’imagines Pompidou prenant celui d’embastiller d’un coup Beauvoir, Deneuve, Sagan, Duras et les autres ? En tout cas, poursuit l’homme de lettres, chez nous autres les salauds « y’ a aucun courage » : on n’ose même pas dire si on va aux putes !

– « Est-ce que vous êtes client ? », enchaîne de Caunes, non sans à-propos.

– J’économise !

Cerise sur le gâteau, même la miss Météo locale, impertinente par contrat, s’y met. Ses services lui ont préparé à mon intention un bon gag, dont malheureusement personne n’entendra la chute : – « Je constate quand même, Basile, que si vous avez manifesté contre le “ mariage pour tous” »… – Excuse-moi de te demander pardon, mais pendant que Barjot  défilait avec ses glands, moi j’ai fait une manif qui revendiquait « le mariage pour personne » ! La pauvre, c’était pas dans ses fiches… Et puis, comment aurait-elle pu deviner ? Un mari bien dressé, ça suit sa femme, non ?

D’ailleurs, pour prouver que je n’en veux pas à Dora, je vais vous le dire, son bon gag que j’ai un peu salopé sur le moment : « Vous étiez contre le mariage pour tous, mais vous êtes pour les putes pour chacun ! » Y’a pas à dire : le sens de la formule, c’est inné.

Bref, un fameux souvenir que cette invitation ! Non seulement j’ai survécu aux redoutables lions du cirque Canal, mais en plus je me suis bien amusé. Alors, chers amis du « Gland Journal », maintenant que vous m’avez dépucelé, n’hésitez surtout pas : je reviens glander chez vous, avec vous, quand vous voulez.

 

Gallienne, homophobe !

MERCREDI 20 NOVEMBRE.

Le film de Guillaume Gallienne divise non pas le public mais la critique, ce qui est somme toute moins grave. Surtout que nos cinéphiles mécontents ne jugent que sur des bases idéologiques, et devinez lesquelles ? Un arrière-goût réac qui décidément ne passe pas.

Comme l’explique Télérama, qui fait sa grimace traditionnelle, « il n’y a pas si longtemps, étaient courageux ceux et celles qui osaient faire leur coming out. L’audacieux, aujourd’hui, est celui qui s’affirme hétéro, au risque de contrarier maman… »

L’ironie se fait plus lourde encore dans Le Monde : « Guillaume Gallienne ose le coming out héterosexuel », titre le journal avant de fulminer une bulle dans son jargon postmoderne : « Un tel renversement renvoie l’acte d’émancipation dont il est la parodie (la revendication d’une homosexualité) dans les confins du politiquement correct. »

Holà les gros cerveaux, on se calme ! Guillaume n’a pas fait un film à thèse : c’est sa propre histoire. Il n’allait quand même pas faire semblant d’être gay juste pour vous égayer. Si ?

 

Basile reporter

NUIT DU MERCREDI 20 AU JEUDI 21 NOVEMBRE.

L’arrestation du « tireur fou » ? J’y étais ! La conférence de presse de Manuel Valls ? Itou ! C’est bien simple : cette nuit-là, faute d’oser réveiller Élisabeth, je me suis autoproclamé envoyé spécial de Causeur sur le terrain, c’est-à-dire devant les chaînes info, zapette en main.

Comme toujours sur ce genre de coup, BFM-TV fut la meilleure et la plus Duracell : à peine un break de deux heures entre 4 et 6, et hop ! c’était reparti. À tel point que le spécialiste police-justice maison n’a pas dormi, je peux en témoigner ; et s’il a eu droit à son Big Mac, c’était pendant la pub !

Le pauvre homme aura tenu l’antenne en permanence de 19 heures à 4 heures du matin, et dès 6 heures, après une petite sieste et une bonne douche, rebelote ! Ce n’est que vers midi qu’il sera finalement libéré pour bonne conduite, et remplacé par sa bras-droite.

Métier de chien, vous dis-je ! Je sais, je l’ai fait pour vous ! La différence, certes, c’est que personne ne me l’avait demandé. Mais si vous le prenez comme ça, vous n’êtes pas non plus obligé de me lire.

Bon allez, on ne va pas se fâcher pour ça ; je suis juste un peu sur les nerfs, après cette nuit blanche…

Sachez seulement, vous les hypersomniaques, que pendant vingt-quatre heures BFM-TV n’aura parlé que de l’« affaire » – à part un peu la neige le jeudi.

19 heures : interpellation d’un « suspect sérieux » à Bois-Colombes, au sous-sol du parking « Les Aubépines »[2. Pour un pro du journalisme police-justice, tous les détaux comptent.]. Sérieux peut-être, le suspect, mais infoutu de parler : à ce qu’il paraît, il aurait consommé sans modération un cocktail Xanax- Imovane pas vraiment énergisant.

Qu’à cela ne tienne ! Son ADN parlera pour lui…

Le problème, c’est qu’il faut compter quatre bonnes heures pour l’analyse ; et pendant ce temps-là, nos chaînes info vont devoir meubler avec pas grand-chose, puis broder sur les meubles.

Enfin, sur le coup de 23 heures, des « sources proches de l’enquête » nous apprennent que le bonhomme serait un certain Abdelhakim Dekhar (déjà connu des services de police, et des fans de Faites entrer l’accusé, pour son implication dans l’affaire Rey-Maupin). Mais le vrai scoop tombera vers 1 heure du matin : le ministre de l’Intérieur soi-même va s’adresser à la presse, là tout de suite !

Quelle urgence ? À cette heure-là, un communiqué de presse ou une brève déclaration du DGPN n’auraient- il pas suffi ? Et la conférence de presse solennelle ne pouvait-elle pas attendre jusqu’au matin ?

Mais je fais l’âne pour avoir du son ! En intervenant à chaud, Valls montre à ses compatriotes (aux couche-tard comme à la France-qui- se-lève-tôt) que lui, au moins, ils peuvent compter sur lui à n’importe quelle heure du jour et de la nuit ! Si c’est pas une qualité d’homme d’État, ça…

En fait, il va quand même nous faire attendre encore une heure dans le froid, mais bon, ça valait le coup. Après nous avoir confirmé que « l’individu [avait] été confondu par son ADN », le ministre se lance dans un inventaire exhaustif des services de police ayant contribué de près ou de loin à ce « formidable résultat » : l’arrestation d’un gars comateux sur dénonciation de son logeur.

Croyez-moi ou pas, cette litanie de remerciements tous azimuts dure cinq bonnes minutes. On se croirait aux César ! Après quoi notre lauréat consentira à répondre à quelques questions de journalistes. La plus intéressante à mon goût portait sur la possibilité, pour un ancien criminel, de disparaître ainsi pendant quinze ans sans laisser de traces ; et la réponse du ministre me laisse coi : « Probablement il était parti à l’étranger, c’est pour ça qu’il n’était pas sur nos fichiers. »

Question à tous nos ministres de l’Intérieur depuis quinze ans : suffit-il donc de quitter la France pour être rayé des fichiers de la Crim’ ? Ou est-ce juste le mec de BFM, fatigué, qui ne m’a pas tout bien expliqué ? Certes, le relevé national d’empreintes génétiques ne date que de 1998. Mais on avait déjà identifié plusieurs délinquants avant l’invention de l’ADN, non ?[3. Notamment grâce à ce bon vieux Bertillon (pas le glacier, l’empreinteur digital).]

 

Du crime fasciste au fait divers psychiatrique

JEUDI 21 NOVEMBRE , 15 heures.

Après une petite sieste et une bonne douche (comme les collègues), c’est l’heure du bilan.

Le plus heuristique, dans ce bousin, n’est-ce pas la façon dont tout a changé dès que l’identité du suspect fut révélée ? Jusqu’à hier soir, le portrait-robot du « tireur fou » en avait fait fantasmer plus d’un ; et même certains tout haut, comme l’inégalable Caroline Fourest[4. Sur France Culture, mardi 19 novembre, 7 h 18. Un collector !]. Imaginez un peu ! Un individu « de type européen », avec tenue de chasse et fusil à canon scié…

Avec un peu de chance, on tenait là notre Breivik à nous – justifiant un appel à la mobilisation générale de « défense républicaine ».

L’idéal bien sûr, pour le succès d’une telle opération, eût été que l’infortuné assistant-photographe décède des suites de ses blessures, et que le terroriste d’extrême droite putatif tire encore un peu dans le tas.

Mais bon, on fait avec ce qu’on a. Même sans ces petits plus, la conférence de presse nocturne de Valls aurait déjà eu une autre gueule s’il avait pu y fustiger solennellement la montée du fascisme – sans oublier de pointer le vrai responsable de ce tragique « ascenseur pour les fachos » : le flirt indigne entre droite républicaine et FN, coin-coin. Le problème, c’est que le « tireur fou » l’avait fait avant lui ! Dans une lettre laissée pour justifier ses actes, il dénonçait déjà le « complot fasciste », les médias complices, le capitalisme, etc.

Du coup, le ministre n’avait plus rien à dire, et ça s’est vu. À un petit détail, que seul un pro du journalisme police-justice peut discerner aussitôt, sans me vanter : dans son allocution, à aucun moment, le ministre n’a soufflé mot des motivations politiques affichées par l’individu. « Inexploitables », comme on dit chez les flics.

Dommage ! Encore une belle « occasion manquée », dont la gauche en général, et le gouvernement en particulier, auraient eu pourtant bien besoin, dans les circonstances difficiles qu’ils font traverser au pays.

 

Résurrection d’un python

MARDI 1er JUILLET 2014, LONDRES, 20 heures.

Ce soir-là, les Monty Python remonteront enfin sur scène, après une absence de trente ans quand même. Leur futur spectacle, présenté par John Cleese, semble prometteur :

« Un peu de comédie, de la musique et du sexe antique » (sic). 357 ans à eux cinq, se vantent-ils : décidément, ces gens-là ne grandiront jamais, et c’est tant mieux. Plutôt mourir que grandir, si l’on veut mourir grand ![/access]

D’Edouard Martin à Marcelin Albert

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marcelin albert edouard martin

Dans ce flux ininterrompu qu’on appelle « l’actu » il nous arrive d’éprouver  un sentiment de déjà-vu. C’était le cas l’autre jour avec l’annonce de la désignation d’Edouard Martin, le militant syndical de Gandrange et Florange, comme tête de liste PS dans le Grand-Est aux européennes. Plus que cet événement politique en lui-même, ce sont les réactions de certains de ses anciens camarades qui m’ont fait passer une petite heure à feuilleter mes livres d’Histoire. Car cet épisode m’en a rappelé un autre : la rencontre de Marcelin Albert et Georges Clemenceau.

Dans le Midi, la fin du XIXe siècle et le début du XXe sont marqués par la crise profonde de l’un des secteurs clés de l’économie régionale : la viticulture. Les séquelles du phylloxéra, ce petit parasite qui ravagera la vigne française, a déclenché une série d’événements qui ont bouleversé cette région où l’immigration de travail d’origine italienne alimente un tissu de petites entreprises familiales de plus en plus précaires.

Au début du siècle dernier, ces tensions se cristallisent autour d’une revendication majeure : le combat des bouilleurs de cru contre la fraude, luttant pour la défense de leurs droits et du vin naturel. Les petits acteurs économiques locaux entrent alors en lutte contre les négociants et les industriels du secteur.

Dans ce conflit aux enjeux multiples, un homme sort du lot : Marcelin Albert. Natif d’Argeliers (Aude), Albert, âgé de plus de cinquante ans, était une sorte de touche-à-tout au parcours de vie assez riche. Après avoir travaillé les vignes appartenant à sa famille, il a été zouave en Algérie puis conseiller municipal dans sa ville natale où il a tenu un café et joué dans une troupe de théâtre amateur.

Quand la crise éclate pendant l’hiver 1907, Marcelin Albert, qu’on surnomme dans la région la Cigale, décide d’envoyer un télégramme au président du Conseil et ministre de l’intérieur Georges Clemenceau : « Devoir gouvernement empêcher choc. S’il se produit, les clés ouvriront portes prison, pourront jamais rouvrir portes tombeaux ».  L’appel restant sans réponse, Albert, à la tête des vignerons de la région d’Argeliers, lance un mouvement qui prend très vite de l’ampleur. 300 personnes se rassemblent fin mars pour l’écouter, ils sont plus de dix mille un mois plus tard et plus de 500 000 place de la Comédie à Montpellier le 9 juin 1907.  À ce moment-là, Marcelin Albert étant devenu un acteur de premier plan et la crise un fait politique majeur, le gouvernement Clemenceau décide d’envoyer l’armée pour casser le mouvement.

Albert parvient à échapper à la police et se rend le 22 juin à Paris afin de s’adresser directement à l’Assemblée nationale, en plein débat sur la loi contre la fraude. L’Assemblée refuse de le recevoir mais Clemenceau décide de lui accorder une audience place Beauvau. Le Tigre ne fera qu’une bouchée du cafetier et comédien amateur d’Argeliers. Contre la vague promesse de lutter contre la fraude, Albert s’engage à se rendre dans le Midi pour calmer la rébellion. Avant de lui donner congé, Clemenceau fait un geste personnel envers son « nouvel ami » : il lui donne un billet de cent francs pour lui permettre de regagner Argeliers. Marcelin Albert accepte et scelle alors son destin. Aussitôt, Clemenceau raconte l’anecdote à la presse et, en quelques jours, le leader populaire devient un « vendu ». Après avoir échappé de justesse au lynchage que lui préparaient certains de ses anciens camarades, Marcelin Albert se voit obligé de quitter la région. Il s’installe an Algérie où il mourra en 1921, ruiné.

Certes, Harlem Désir n’est pas Georges Clemenceau et Edouard Martin n’a pas déployé de talents d’orateur comparables, même de loin, à ceux de Marcelin Albert et malgré l’inflation, cent francs de 1907 n’égalent pas les indemnités de député européen. Cependant, dans ce genre d’affaire, on ne sait jamais à l’avance qui est dupe de qui et qui manipule qui. Clemenceau avait vaincu Marcelin Albert par KO. Quant à Edouard Martin, son histoire n’est pas encore écrite.

*Photo : COLLECTION YLI/SIPA. 00513702_000010.

Egypte : enfin une Constitution digne de ce nom ?

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egypte constitution armee

Au cours des révolutions politiques, le temps semble à la fois s’accélérer et s’arrêter : tout tourne en rond, mais tout se précipite, « immobile à grands pas ». La révolution égyptienne, qui débute avec la chute éclair du Président Moubarak le 25 janvier 2011, ne fait pas exception à le règle. Après une brève période d’euphorie, le pays était entré dans une phase de tumultes et d’incertitudes – en dépit de l’élection du président Morsi, le candidat des Frères musulmans, investi en juin 2012, puis de l’adoption d’une nouvelle constitution  en décembre.

Comme toujours dans ces cas-là, le mouvement commande : on met la charrue avant les bœufs en désignant un Président sans savoir quels seront ses attributions. Cela se traduit par une succession de tentatives pour prendre, ou reprendre, le dessus, et un chef de l’Etat que les observateurs qualifient tantôt de « fantôme »,  tantôt de despote, lorsqu’avec le « décret constitutionnel » du 12 août 2012, celui-ci parvient à abroger la « Déclaration constitutionnelle complémentaire » qui limitait ses prérogatives. Une situation à peine améliorée avec l’adoption d’une constitution que l’universitaire franco-égyptien Wagdi Sabete qualifiait de « constitution sui generis » – indiquant par là qu’on aurait eu bien du mal à la faire entrer dans l’une des catégories classiques du droit constitutionnel.

En décembre 2012, l’adoption référendaire avait suscité un fort scepticisme. En dehors du camp présidentiel , où l’on se félicitait d’une constitution susceptible de doter enfin le pays d’un cadre institutionnel stable, les opposants avaient pointé les menaces sur les droits des minorités. Quant au prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei, il avait estimé que ce texte  allait « institutionnaliser l’instabilité », ajoutant que ladite Constitution ne devait être considérée que comme un texte « intérimaire », jusqu’à la rédaction d’un nouveau projet sur la base d’un consensus véritable.

En somme, marqué par l’orientation islamiste de la première assemblée constituante,  ce texte ne résolvait rien et n’apaisait personne ; après le nouvel épisode révolutionnaire qui aboutit le 3 juillet dernier à la destitution du Président Morsi, il fut d’ailleurs suspendu – le Président par intérim décidant de ne pas attendre, et nommant à la mi juillet un premier groupe de dix experts, six hauts magistrats et quatre professeurs de droit, qui rendit son avant projet le 20 août.  Début septembre, on désigne un comité de 50 personnalités, présidé par un ancien secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa – avec pour mission d’élaborer avant début décembre le projet définitif ; c’est celui qui sera qui sera soumis au référendum les 15 et 16 janvier prochains.

Élaboré dans l’urgence, le projet ne prétend pas à la perfection : Les membres du comité des 50, à l’instar du politiste et député Amr El Shobaky, reconnaissent d’ailleurs ses limites, tout en soulignant son caractère novateur, consensuel et globalement positif.

Son aspect positif tient notamment au fait que l’on sort de l’incertitude institutionnelle pour établir un système qualifié par Wagdi Sabete de semi-présidentiel. Le Président, élu au suffrage universel pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois (art. 140, al. 1), se voit interdire de prendre des positions partisanes pendant la durée de son mandat (art. 140, al. 3), mais peut en appeler au peuple pour procéder à la dissolution référendaire de la Chambre des représentants (art. 137).  l’inverse, sa responsabilité pénale (art. 159) mais aussi politique ( art. 161) peut être engagée par la Chambre. En outre, c’est lui qui désigne le gouvernement selon une procédure caractéristique du « parlementarisme rationalisé » (art. 146), laquelle témoigne de la conviction, partagée par les membres du Comité, qu’il faut en toute hypothèse éviter un blocage des institutions. Après deux ans de tumultes, c’est le primat de l’efficacité qui est mis en avant. La volonté d’en sortir.

Primat de l’efficacité, mais aussi, réaffirmation des libertés,  en réaction aux inquiétudes suscitées par la précédente constitution, la pratique autoritaire de Morsi et la crainte d’une mainmise des « Frères » sur l’Etat.  Outre la masse des libertés énoncées dans le texte, et une orientation globale qui prend largement en compte les droits des minorités, le projet abolit le très controversé article 219, qui combiné à l’article 2, faisait de la Charia la principale source du droit. Il prohibe, dans son article 74, les partis et activités politiques fondées sur une base religieuse ou discriminatoire. Et il énonce un nouvel interdit constitutionnel (article 226, al. 5), en vertu duquel la norme fondamentale ne peut faire l’objet d’une révision en matière de libertés, si ce n’est pour renforcer ces dernières.

Au total, un texte constitutionnel qui, tout en représentant une avancée significative au regard des standards  contemporains,  paraît beaucoup plus susceptible de celui qu’il remplace de mettre, pour reprendre le mot de Bonaparte en Brumaire an VIII, un point final à la Révolution.

*Photo : Heba Khamis/AP/SIPA. AP21491460_000015.

Osez l’érotisme !

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On croyait lancer une petite provocation, ce fut un scandale. Les puritains s’étranglèrent. Or, on sait bien que derrière chaque puritain se trouve un pornographe obsédé par ce que le premier combat fanatiquement. Ne percevant les choses que selon la modalité binaire du sacré et de l’obscène, le puritain cherche moins à penser qu’à jouir de condamner, d’avoir raison, immédiatement et avec tous. Car le puritain ne prend son pied qu’en meute.

Les puritains de toutes obédiences détestent le second degré, comme ils haïssent la nuance.

Pornographes, ils veulent jouir salement, vite et sous une lumière crue. Ils détestent le jeu et les circonvolutions, ils veulent du simpliste, du transparent, du massif, pour éjaculer à la chaîne.[access capability= »lire_inedits »]

Outragés dans leur vertu citoyenne, deux bigots zélés mettent en ligne les photos et les adresses Twitter des « salauds », enjoignant leur public à aller tweeter quelques gouttes d’insultes sur les visages de l’infamie. Bukkake numérique. Si l’Internet a permis le porno en streaming, il a encouragé également tout ce qui, mentalement, s’y réfère.

Le gang bang verbal du lynchage en réseau, la surenchère d’insultes en 140 caractères, l’orgasme morne d’une victoire morale sans débat. Pas le temps de discuter, inutile de séduire : c’est brutal, rapide, anonyme. Pornographique. Et ce phénomène se reproduit crescendo, depuis quelques années, à chaque fois qu’une « affaire » éclate.

L’ironie, l’humour, la légèreté, le jeu, le trouble, la provocation, l’insolence, la polémique, la malice, le paradoxe, tout cela est suspect aux yeux du puritain-pornographe, tout cela qui appartient au registre érotique. Comme la durée ou le clairobscur, par ailleurs, comme la parole et comme le sous-entendu. Osez l’érotisme. Le pornographe, lui, préfère entrecouper de slogans ses feulements d’indigné, il n’individualise que pour abattre, et promeut un égalitarisme totalitaire, tout au contraire de l’érotisme qui se développe, lui, selon un subtil jeu de dominations qui s’inversent sans cesse, ce à quoi l’on assiste lorsque deux esprits éclairés s’opposent et s’écoutent au sein d’un débat loyal.

Aujourd’hui, des censeurs de tous bords guettent le « dérapage » comme le voyeur la fenêtre éclairée de sa voisine, dans l’espoir de s’astiquer la vertu à plusieurs. Voilà l’état de la libido mentale collective. Nous ne sommes plus au pays de Molière ou de Voltaire, mais dans la backroom d’une civilisation. Il y a de quoi regretter les bordels.[/access]

*Photo : Belle de jour.

Wauquiez ou le syndrome Facebook

laurent wauquiez ardisson

Le mélange des genres est souvent casse-gueule… Laurent Wauquiez vient de nous le rappeler, au prix d’une leçon qui risque de lui coûter cher. Mais ce n’est pas en répondant à la vicieuse question d’Ardisson : « regardez-vous le site Youporn ?» qu’il a dérapé, c’est au moment d’accepter son invitation, alors qu’il était certainement plus lucide que sur le plateau.

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En people relax, il va chez Ardisson parce que c’est branché : the place to be. Il oublie qu’il représente, pour la droite traditionnelle, l’espoir de la jeune génération des politiques –il n’a pas 40 ans -. Or, en ces temps de réformes sociétales majeures et discutables, cela ne va pas sans une certaine idée de la rectitude morale… A fortiori quand on est estampillé Manif Pour Tous.

À vouloir à tout prix afficher un coté décomplexé –ô combien cher à l’UMP- il a ruiné en une seconde son capital moral. Ce qu’il fait devant son ordi, après tout, cela ne nous regarde pas… Mais il s’est mis lui-même dans une impasse : il n’y a pourtant pas besoin d’être une mouche à télé pour savoir que la règle du jeu de « Salut les terriens » est de mettre l’invité sur le gril. Dès lors, de cette question, il ne pouvait sortir indemne. S’il répondait non, il passait pour un ringard et se faisait ridiculiser en live. En répondant oui, il piétinait son image de gendre peaufinée au fil des années. Les sirènes de la branchitude lui ont soufflé le oui. Qu’il a regretté aussitôt… Trop tard !

C’est la crise identitaire du politique qui est en jeu. Faut-il être le pote ou le père de ceux que l’on prétend administrer ?  Là est toute la question. Au nom d’on ne sait quel principe démagogique, les  politiques veulent croire qu’ils peuvent tout dire, tout faire, tout montrer -à la manière des ados qui étalent leurs petites turpitudes sur Facebook en toute extimité- et qu’à ce prix, peut-être, ils seront « populaires ». Mais est-ce bien cela qu’attendent les personnes qui veulent leur confier les clés de la maison ?

Décidément, politique et popularité ne font pas bon ménage ces temps-ci…

*Photo : IBO/SIPA. 00650791_000005.

Candidature d’Edouard Martin : et si l’UMP se regardait dans son miroir ?

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« C’est un message fort qui est envoyé au monde ouvrier par François Hollande et ses amis : trahissez les intérêts des salariés et de l’industrie, vous serez récompensé. Monsieur Martin vient ainsi d’échanger la lutte des classes pour une lutte des places ! »

Cette petite saillie assassine comme on les aime est signée… Valérie Debord, députée et déléguée générale adjointe de l’UMP, qui en bafouille d’émotion tant elle a à cœur de défendre la candidature de sa copine lorraine : « C’est pourquoi je soutiens la candidature de Nadine Morano aux Européennes pour mener le combat dans le Grand Est prend tout son sens (sic) car la fille d’ouvriers qu’elle est n’a jamais trahi ni sa famille ni ses convictions. »

Qu’on les entend depuis deux jours, ces gorges chaudes de l’UMP, sarkozystes nostalgiques et députés européens en devenir, qui gloussent devant le ralliement d’Edouard Martin à ses anciens adversaires socialistes. Certes, comme le notait David Desgouilles avec le mauvais esprit qu’on lui connaît, un délégué syndical de Florange tête de liste PS, c’est aussi baroque qu’un Cohn-Bendit candidat gaulliste aux législatives de juin 68. On a déjà vu des taureaux aimer les toreros, mais pas si vite après la fin de la corrida…

Que les rivaux du PS dénoncent Martin le « jaune » donne un peu de piquant à une campagne européenne dont on chercherait en vain l’intérêt. Mais que l’UMP se gausse de l’échec de Hollande à Florange, c’est un peu fort de café. La fermeture des fourneaux décidée par Mittal n’a pas été annoncée le 6 mai 2012. Nicolas Sarkozy s’était personnellement impliqué dans cette affaire, accordant toute sa confiance au milliardaire indien plus soucieux de spéculer que de récupérer un outil industriel en partie obsolète. L’échec de Florange, c’est aussi le sien. Ce que les salariés du coin n’ont pas oublié, puisqu’ils avaient érigé un monument dédié à ses promesses bafouées, avant de construire une stèle semblable en l’honneur… de François Hollande. Nos deux présidents, Chapi et Chapo, avaient l’un après l’autre envisagé une nationalisation partielle, avant de se raviser. Car l’affaire n’était pas si simple à résoudre, en dépit de toute la bonne volonté d’un Montebourg, en économie ouverte, l’Etat ne peut hélas pas nationaliser chaque usine qui ferme !

Une note d’optimisme pour finir : cette pantalonnade du responsable CFDT et les ricanements de l’UMP auront révélé la fibre prolétarienne cachée du grand parti de la droite. Quelque part entre Germinal et La Bête humaine, les ténors outragés de l’UMP potassent leurs classiques du syndicalisme révolutionnaire et se disent que, tout compte fait, rien ne ressemble plus à un représentant du patronat qu’un représentant du prolétariat, comme l’écrivait ce bon Georges Sorel. Pour défendre la lutte bafouée des sidérurgistes, Jean-François Copé, indigné par ce « coup terrible à la cause syndicale », affûte déjà ses armes en vue de la prochaine grève générale. Ah non, on me souffle que le président de l’UMP veut revenir aux 39 heures par semaines et généraliser le travail le dimanche. Le Grand Soir attendra !

Données de connexion : attendez-vous au pire!

connexion geolocalisation senat

Le projet de loi de programmation militaire, qui a normalement vocation à encadrer les dépenses et missions de l’Armée, a connu une discussion parlementaire particulièrement remuante ces dernières semaines par l’incorporation étrange mais assumée d’une disposition permettant aux services de sécurité d’accéder aux données de connexion et à la géolocalisation en temps réel. Disons-le immédiatement, devant la pression du groupe écologiste, le gouvernement a retiré in fine le texte, qui reviendra de toutes façons dans d’autres circonstances et plus vite qu’on ne le pense.

Le dispositif a été proposé dans des conditions plus qu’étonnantes : alors que le projet de loi avait été préparé à l’avance, commenté et travaillé par les différents intervenants habituels (comme le Conseil d’Etat), la Commission des Lois du Sénat, présidée par le socialiste Jean-Pierre Sueur, a soudainement introduit un amendement modifiant substantiellement le texte originel de l’article 13 en insérant une thématique sans rapport direct avec la programmation militaire.

Cette pratique, assez courante au Parlement, a l’avantage d’éviter tout contrôle a priori du Conseil d’Etat et tout avis des autorités habituellement compétentes, comme la CNIL par exemple.

Officiellement, l’idée de la majorité , soutenue par le gouvernement, était de « clarifier » le régime juridique de la géolocalisation en temps réel des personnes. Il est vrai qu’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 2 septembre 2010 avait reproché à la France d’avoir des textes « trop larges » en termes de moyens d’investigation. C’est notamment sur ce prétexte que la majorité a introduit cet amendement en catimini et en urgence. Ce n’est pas comme si le sujet était important…

Après tout, tant que l’opposition ne dit rien, pourquoi se gêner ? Alors que plusieurs voies juridiques étaient ouvertes pour contester cette opération, l’UMP a annoncé jeudi dernier qu’elle ne déposerait aucun recours…

Il serait plus exact de dire que cet amendement avait pour objet d’autoriser le « recueil » – auprès des opérateurs et des hébergeurs de contenus – de données de connexion mais aussi de documents (mails, photos), via des demandes émanant d’agents des ministères de l’Intérieur, de la Défense ou de l’Economie qui doivent être validées par « une personnalité qualifiée placée auprès du Premier ministre », mais pas par un juge. Ce qui heurte, c’est qu’une des définitions de la démocratie repose précisément la séparation des pouvoirs (souvenez-vous, Montesquieu…) et la nécessaire intervention d’un pouvoir contrôlant ce qu’un autre pouvoir fait.

Contrairement à ce que soutiennent les responsables socialistes, le dispositif introduisait des nouvelles notions et surtout, permettait la saisie de données, hors du contrôle d’un juge, de manière beaucoup plus large qu’avant. En effet, la saisie de données dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a toujours été acceptée. Mais le texte introduisait une nouveauté : la possibilité de saisir des données de géolocalisation pour lutter contre « la criminalité et la délinquance organisées ». Or, les récentes jurisprudences ne cantonnent pas la délinquance organisée aux réseaux mafieux. Par exemple, une fraude fiscale organisée entre plusieurs amis qui se structurent pour échapper au fisc entrerait dans le champ d’application de l’amendement.

De plus, les personnes pouvant solliciter les données de géolocalisation n’étaient pas limitées aux fonctionnaires de police, mais s’étendaient aux services de renseignement, aux douanes, aux personnes de Bercy, etc. Et ce, dans le silence le plus absolu. Les journalistes se sont en effet empressés de ne pas se saisir de ce dossier.

Pourtant, souvenez-vous, il y a quelques années, le fichier EDVIGE, qui se contentait de fusionner le fichier des RG et celui de la DST (puisque les deux institutions fusionnaient) avait créé une vague d’indignation sans précédent, provoquant même la saisine du comité des droits de l’homme de l’ONU ! On se souvient de la terminologie alors employée par la gauche française, n’hésitant pas à renvoyer à la sémantique des années 40. Combien de « Unes » du Monde et de Libération, combien d’hommes politiques, de responsables syndicaux, d’associations (près de 300 s’étaient mobilisées) et d’intellectuels accusaient la droite de dérive fasciste ?

Aujourd’hui, le silence est assourdissant. Seuls les Verts et leurs associations ont émis des réserves. Quand la présidente de la CNIL va sur les plateaux télévisés s’étonner du contournement de la procédure pour éviter tout avis de la CNIL, seul un petit filet reprend les propos de la responsable d’une des institutions censées défendre les principes démocratiques. Pis, Maître Montebourg, brillant avocat saisissant toutes les subtilités de la loi et de la profondeur de la jurisprudence (et donc, des vraies implications de cet amendement), n’a pu que défendre cet amendement. Où sont aujourd’hui les 300 associations qui s’offusquaient d’EDVIGE ?

Il faut rendre hommage à la constance du groupe EELV qui, quoiqu’à l’intérieur de la majorité, a su rester fidèle à ses convictions et refuser un tel amendement. Il faudra examiner les rapports de force lorsque cet amendement sera remis sur le bureau de l’Assemblée. Selon toute vraisemblance, le traitement médiatique, syndical, associatif et politique de cette question de libertés publiques sera bien différent de ce qu’on a pu connaître il y a quelques années…

*Photo : La vie des autres.

Shi Zhaokun et le lapin de jade

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lapin jade chine lune

Le 14 décembre, Lapin de jade alunissait. Si l’on en croit certaines traductions, et on préférerait croire celles-là,  on peut aussi l’appeler Lièvre de la lune. C’est tout de même plus joli. Mais allons-y pour Lapin de jade, puisque cette appellation a été consacrée par les médias. Lapin de jade est un véhicule d’exploration lunaire téléguidé qui a été transporté par la sonde Chang’e 3. C’est une sorte de véhicule tout-terrain à six roues, avec de l’électronique et des panneaux solaires. Beau comme un jouet de Noël. Pendant trois mois, il va faire toutes sortes d’analyses géologiques en se déplaçant à la vitesse de 200 mètres à l’heure. Il pourra même envoyer des images en trois dimensions de la Lune et capter son énergie grâce à des panneaux solaires. Ce succès chinois, après celui des taikonautes dans leur station spatiale, se veut une étape supplémentaire vers l’envoi d’hommes sur la Lune.

Les Chinois sont les dernier à y croire, à ce rêve spatial qui enchanta mon enfance et celle de tous les enfants des Trente glorieuses, depuis un jour de 1969 où petit garçon sur les épaules de mon père, je me suis endormi devant l’écran noir et blanc du bistrot d’en bas qui était le seul à disposer de la télé dans le quartier. Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs, il y a toujours eu des enjeux de pouvoirs dans la conquête spatiale. La Chine ne fait que rejouer seule le grand match URSS-USA une génération plus tard. Il s’agit de montrer sa supériorité technologique et son ambition cosmique, sa vitalité prométhéenne et sa foi en une humanité appelée à régner sur les galaxies. C’est aussi, pour le Parti Communiste Chinois qui y consacre des milliards de yuans, le moyen de prouver son génie idéologique à tout un peuple, et pourquoi pas au monde entier, en plantant un de ces jours, au clair de la Terre, le drapeau rouge du président Mao dans la Mer de la Tranquillité.

Mais, malgré ces considérations, on aurait pu reconnaître que ça avait de la gueule et voir dans Lapin de Jade le symbole d’une humanité, chinoise ou pas, qui continue à rêver, qui refuse un repli malthusien et hargneux sur elle-même, en s’enfonçant dans le virtuel et en remisant ses navettes et ses fusées dans ces hangars où rouillent les illusions perdues et les machines obsolètes.

Et pourtant, pourtant, cela va m’être difficile de rêver si je pense à Shi Zaokun. Shi Zaokun est mort à quinze ans. Je pense que, comme tous les adolescents de quinze ans, comme je l’étais moi-même à son âge, il était « un enfant amoureux de cartes et d’estampes », les yeux perdus dans les étoiles. Peut-être même avait-il lu Jules Verne qui est traduit en chinois simplifié. Quoique, sur ce dernier point, j’en doute. Il n’aura sans doute pas eu le temps. Il faut dire qu’il est mort le 9 octobre dernier. Il n’aura donc pas eu le temps non plus de voir Lapin de Jade faire ses premiers tours de chenille. En fait, il n’a pas eu le temps de grand chose, Shi Zaokoun comme nous l’apprend l’organisation non gouvernementale (et pour cause) China Labor Watch.

Il a été embauché en septembre sur les chaînes de production de l’Iphone 5G de l’usine Pegatron de Shanghai. On peut consulter ses horaires de travail, c’est intéressant. Pendant les trois semaines où il a travaillé, Shi Zaokun a eu des journées qui dépassaient les 12 heures en moyenne. C’est tout de suite beaucoup plus pratique quand on n’a pas de code du travail pour venir vous embêter, ni d’inspecteurs qui vont avec.

On meurt beaucoup chez Pegatron, ces temps-ci, à manipuler des produits chimiques pour fabriquer des composants indispensables aux jolies petites machines d’Apple qui a enfin trouvé avec la Chine, malgré ses promesses  citoyennes, l’eldorado de la sous-traitance façon esclavage. Pas de syndicats, pas de formation et des visites médicales au moment de l’embauche particulièrement coulantes. Cinq décès suspects depuis septembre. Oui, quand même… Shi Zaokun avait lui été jugé en excellente santé. Il est donc mort en excellente santé d’une pneumonie, un mois après son recrutement.

Les dirigeants chinois ont très bien compris l’espace. Ils ont très bien compris aussi que la libre entreprise la plus échevelée avait trouvé dans le totalitarisme stalinien son cadre idéal. Ils sont moins naïfs que nos économistes occidentaux qui nous répètent à longueur de journée que le capitalisme, ça ne peut aller de pair qu’avec la liberté politique. Vous irez raconter ça au fantôme de Shi Zaokun, ça le fera sourire.

C’est dommage qu’il n’ait pas tenu quelques semaines de plus, d’ailleurs. Dans la mythologie chinoise, Lapin de jade est une divinité apothicaire qui pile dans un mortier un élixir d’immortalité. Cela aurait été de toute façon un moyen plus sûr de le sauver que de compter sur les promesses d’Apple.

Ou sur notre mauvaise conscience de consommateur.

*Photo : euronews.

Oh, comme ils sont malins, au PS !

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integration ps laicite

Il a suffi d’un rapport de plus pour que la France s’enflamme. Autoriser le voile à l’école — quelques lignes dans un gros rapport qui cumule réflexions sociologiques élémentaires et provocations concertées —, en voilà une idée qu’elle est bonne ! Elle a permis à Jean-François Copé de se couvrir de ridicule une fois de plus en entonnant, la mine grave, la complainte lyrico-tragique de l’homme d’Etat malmené dans sa République à lui… Ce doit être dur, quand même, en ce moment, d’être à l’UMP et de rester lucide !
Les forums se sont enflammés — particulièrement les forums d’enseignants, où les islamistes font ces derniers temps un entrisme remarqué. Ledit rapport a immédiatement permis quelques petits pas de plus — les Musulmanes portent le voile comme elles portent un soutien-gorge, « c’est leur choix ». Ben voyons !

Ayrault a laissé porter, pendant quelques heures — comme on dit à la roulette. Puis il a démenti du bout des lèvres toute modification de la loi de 2004.
Cette focalisation sur le voile (dans un rapport qui contient des propositions bien autrement inquiétantes, comme la reconnaissance de l’héritage arabo-musulman de la France ou le délit de harcèlement racial — est-ce que ça marcherait dans les deux sens, à propos ? Est-ce que ce surveillant de collège — à Boulogne-Billancourt — qui avouait récemment sur Twitter qu’il sanctionnait préférentiellement les petits Blancs — les babtous, pour ceux qui ne savent pas — tomberait sous le coup de la loi ?) appartient, si je puis dire, à l’esthétique de la corrida : on agite un chiffon, et aussi sec les taureaux se déchaînent.

Une seule chose est évidente, dans la publicité faite à ce bout de papier destiné à rejoindre dans un tiroir bien d’autres bouts de papier : il s’en donne du mal, le PS, pour faire monter le FN ! Il sait bien qu’il a énervé tant de monde, dans ce pays, à force de politiques idiotes et de décisions imbéciles, que sa seule chance (croit-il) d’échapper à la raclée en 2017 est d’imposer un 2002 à l’envers, en éliminant l’UMP. Stratégie mitterrandienne poussée à sa limite : le Vieux avait réinventé le FN à partir de 2004, en suggérant fortement à la télévision d’Etat d’inviter Jean-Marie Le Pen à une émission de grande écoute (L’Heure de vérité du 16 octobre 1985). Il en avait besoin pour gagner en 1988.
Il s’agissait à l’époque d’inventer en France une structure tripartite. Il s‘agit aujourd’hui d’éliminer la Droite classique (qui le mérite bien, à vrai dire, vu le niveau de ses grands leaders), en espérant que les Français encore un peu démocrates préféreront voter quand même PS plutôt que de se lancer dans des aventures politiques incertaines.

Calcul quelque peu risqué : la Droite classique, à part peut-être un quarteron de centristes chrétiens, ne votera jamais PS, et une bonne partie de la vraie Gauche ne votera plus jamais PS. Combien d’ouvriers licenciés dans des plans d’urgence — l’urgence étant essentiellement de servir aux actionnaires des dividendes confortables —, combien de demi-cadres appartenant à des classes de plus en plus moyennes, ou d’enseignants même écœurés par des décisions absurdement idéologiques, combien de tous ces gens-là ne voteront plus pour le PS ? Et même, dans certains cas, se lanceront dans des aventures électorales inédites, rien que pour voir — et pour infliger une leçon à tous ces nantis de la politique qui plastronnent sur notre dos depuis des décennies, et agitent leurs petits bras d’impuissants en clamant haut et fort « L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! » ?

Je ne m’alarme donc pas outre mesure du « rapport » qui préconise que l’on ne parle plus désormais d’intégration, mais de différences, de juxtaposition, de puzzle culturel, de politique à la suédoise (ça leur a rapporté quoi, à ces scandinaves dont les banlieues brûlent, de juxtaposer Vikings et gens du Sud ? Il y a bien eu un art arabo-normand — mais en Sicile, et au XIIIème siècle). Non : mais je m’inquiète de cette tentation du parti au pouvoir de jouer au billard indirect, de viser apparemment une bille pour en envoyer une autre dans le trou. Tout ce qui, aujourd’hui, renforce le FN le renforce en effet, au détriment de tous les autres. Quant à l’idée que la France ne laissera pas les bleus Marine prendre le pouvoir, c’est une plaisanterie, ou une billevesée : la conjuration des imbéciles a de beaux jours devant elle.

PS : Le Comité Laïcité République, qui est à la laïcité ce que la Vulgate est à la Bible, s’est fendu d’un communiqué qui dit l’essentiel et le reste. De même Catherine Kintzler, qui pour une fois est sortie du ton modéré qui est ordinairement le sien : le PS ne passera plus par elle non plus…

 *Photo : LCHAM/SIPA . 00655818_000026.

Banquiers en prison, laïcité au balcon

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lyon turin smic

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Résumons de manière synthétique le social-libéralisme actuellement au pouvoir : le même jour, les députés socialistes ont retiré la taxe à 75% pour le club de Monaco et Michel Sapin a annoncé une augmentation de 10 centimes du Smic horaire.

C’est vrai. Si les députés n’avaient pas exempté l’AS Monaco, les joueurs auraient pu menacer de partir jouer dans un paradis fiscal. Ou Monaco aurait pu quitter le championnat de France. On ne s’en serait pas remis. 10 centimes en plus pour le Smic horaire. Ça ne met même pas l’heure à 10 euros. 9,53  pour être précis. Un joueur de Monaco, il ne sait même plus à quoi ça ressemble un billet de 10 euros. Si ça se trouve, il ne sait même pas que ça existe, des coupures aussi petites.

En même temps, est-ce bien prudent une telle augmentation du Smic ? Les smicards ne risquent-ils pas de tout claquer en prostituées, cocaïne et voitures de sport ?

On vit une époque formidable. Le 16 novembre dernier, lors d’une manifestation assez violente, dans le Val de Suse, en Italie, contre la ligne de TGV Lyon-Turin qui est inutile et risque de dévaster une région magnifique, une des manifestantes a embrassé sur la bouche un policier anti-émeute. Le policier antiémeute a porté plainte pour intimidation sexuelle. On souhaite que lui et sa famille se remettent du traumatisme et puissent retrouver une vie normale. La manifestante a vraiment eu un comportement scandaleux. Un bon pavé dans la tronche, ou un cocktail Molotov, ça aurait quand même été mieux. Ils ne sont pas habitués aux baisers, les policiers anti-émeutes, surtout dans la vallée de Suse où la lutte dure depuis des années, mêlant activistes décroissants et population locale qui inventent de nouveaux modes de résistance et de coopération. Comme, en France, sur le chantier de Notre-Dame-Des-Landes. Se dire que loin des médias, ces mouvements s’enracinent et renouvellent une opposition concrète au système néo-libéral qui s’occupe de moins en moins de l’avis des peuples, ça vous rend le moral après les incessantes bisbilles du Front de gauche que Mélenchon n’a de cesse de vouloir faire imploser puisque les communistes ne sont pas le petit doigt sur la couture du pantalon.

On en parle trop peu, mais cette résistance que l’on trouve dans le Val de Suse ou à Notre Dame des Landes, elle s’est exprimée et elle a gagné à l’échelle de tout un pays. Non, pas au Venezuela mais, plus près de chez nous, en Islande, le pays des volcans facétieux, des grandes blondes et du polar lent. Les Islandais ont fait une véritable révolution en refusant de payer les conséquences de la crise financière de 2008. Ils ont viré leur gouvernement à plusieurs reprises, renversé leur parlement, réécrit leur constitution et refuser de rembourser les dettes de leurs banquiers. Mieux, ils les jugent : trois anciens dirigeants de la banque Kaupthing, ont été condamnés pour fraude, jeudi 12 décembre. Et ça ne rigole pas : l’ancien directeur général, Hreidar Mar Sigurdsson, a été condamné à cinq ans et demi de prison, et l’ancien président, Sigurdur Einarsson, à cinq ans. L’ancien directeur de la filiale luxembourgeoise, Magnus Gumundsson  a été condamné à trois ans et demi d’emprisonnement. Une peine de trois ans de prison a également été prononcée contre un actionnaire important, Olafur Olafsson. L’Islande, plus de 300 000 habitants et seulement 42 détenus va finir par être le seul pays au monde à être obligé d’agrandir son unique prison pour y mettre des banquiers. 

Un modèle pour nous tous, non ?

Le 13 décembre, à Lille, à l’initiative des Vétérans du Parti et des Jeunesses Communistes, il y a eu une belle rencontre autour de la laïcité en présence d’Anicet Le Pors et de Michelle Demessine. Je suis trop vieux pour faire encore partie des seconds et trop jeune, mais ça ne durera plus, pour faire partie des premiers. J’ai eu vingt ans dans les années 80, plus personne ne faisait de politique et encore moins en adhérant au PCF.

L’exposé d’Anicet Le Pors a été éblouissant, pendant plus d’une heure, sans la moindre note. Quand on pense que cet ancien de la « bande des quatre » ministres du Parti du gouvernement Mauroy a aujourd’hui 82 ans, on se dit que le communisme, ça conserve.  Plaisir aussi de se retrouver physiquement à côté un homme qui a écrit une partie de l’histoire récente, qui a vécu aux premières loges les trois seules années de gauche au pouvoir que la France ait connues depuis la fin de la guerre. Un homme qui a participé aux négociations du Programme Commun, pour les questions industrielles. Un homme qui a connu Marchais et Mitterrand s’engueulant autour d’une table.

Pendant le débat, Anicet Le Pors a remis à sa place quelques jeunes camarades légèrement contaminés par le gauchisme sociétal qui trouvaient que le voile c’était pas un problème, qu’il fallait être tolérant, tu vois, quoi, que la loi de 1905, enfin tu vois, quoi, il faudrait peut-être la repenser, tu vois, quoi.

Ça a été un non ferme, définitif, argumenté. Ce qu’il faut retenir de sa riche conférence, que l’on pourra lire sur son blog, c’est qu’il ne faut laisser personne, à l’extrême droite ou chez certains communautaristes, récupérer le sujet pour des raisons électoralistes qui sont à la fois inverses et complémentaires : focaliser évidemment sur la question de l’islamisme, histoire d’oublier tout le reste, ce que souhaitent aussi bien l’extrême droite identitaire que les barbus. Et comme par hasard, tout ce petit monde finit toujours par rajouter à chaque fois un adjectif ou un complément de nom au beau mot de laïcité afin de la diluer ou de la détourner. « Laïcité ouverte », « laïcité de combat », « laïcité positive » ?

Non : il y a la laïcité. Point à la ligne.

 

*Photo : FAYOLLE PASCAL/SIPA. 00654906_000018..

Les salauds et Basile, à table !

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valls 343 salauds

valls 343 salauds

Un salaud au « Gland Journal »

MERCREDI 30 OCTOBRE, 19h30.

Ad augusta per angusta ! En ma qualité de signataire de la « Putition », j’ai pour la première fois les honneurs du « Grand Journal ».

Par bonheur, grâce à mon statut de chroniqueur télé à Valeurs actuelles, je connais un peu le principe de l’émission. Avant de badiner avec des artistes en promo, en première partie on cause sociétal avec des invités reçus, selon les cas, en tant que témoins ou suspects. Moi je suis prévenu, dans les deux sens du terme : on m’attend avec un flinguot.

Sur le plateau, l’ambiance est plus détendue depuis qu’on y a remplacé, en tant que maître des cérémonies, le mandarin Denisot par l’éternel potache de Caunes, avec ses bonnes blagues, ses pots de peinture et ses salades sur la tête.

Mais à part lui, le petit tribunal du « Grand Journal » m’examine d’emblée d’un oeil sévère. L’affaire semble grave, et je sens que je vais prendre pour mes 342 co-inculpés (Bedos n’a pas encore calanché).

Ici, si on t’invite en tant que « méchant », ce n’est pas pour te donner la parole : c’est pour te harceler, si possible jusqu’à l’hallali.[access capability= »lire_inedits »] En face de toi, trois procureurs de papier qui se sont habilement réparti les rôles. Chacun son angle d’attaque, et dès que tu commences à répondre au premier, tous les autres te tombent dessus.

Objectif : te faire perdre les pédales ou mieux, péter un fusible. Résultat : c’est déjà fini avant que tu aies pu aligner deux phrases. Le public retiendra que t’es chiant et que, décidément, ta cause est indéfendable. Ces intervieweurs-là ne respectent même pas les règles de l’Inquisition[1. Fixées dès le xiiie siècle par le dominicain Bernard Gui, dans son excellent Manuel de l’Inquisiteur (Les Belles Lettres, 2006 pour la dernière édition).]. Peu de gens le savent, mais les droits de la défense y étaient si bien garantis que même notre justice civile s’en est inspirée par la suite.

Rien de tel avec nos nouveaux inquisiteurs défroqués : s’ils te passent à la « question » c’est pour mieux t’empêcher de répondre, mon enfant. La seule façon de s’en tirer, dans ces circonstances, c’est de « s’en foutre un peu », comme le recommandait mon regretté prof de philo. Assez, en tout cas, pour interrompre les interrupteurs à coups de reparties imprévues, brouillant ainsi leur plan de bataille. « Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? » Qu’il s’en foutût ! Plus facile à dire qu’à faire, certes, surtout quand on fréquente rarement ce genre d’arène ; par chance, ce jour-là, je suis en forme ! Le matin même est tombée la décision d’expulsion qui nous pendait au nez. Non pas depuis vingt-sept ans que je cache la SARL Jalons dans mon piano, comme de vains médias pensent. Plutôt depuis neuf mois que Delanoë a décidé d’offrir la tête de Barjot sur un plateau au bon peuple du Marais.

Bref, j’ai passé la journée à répondre aux questions pointues d’une trentaine de journalistes, sur un jugement qu’ils n’avaient visiblement pas lu. En bonne déontologie, ils s’étaient contentés d’une dépêche AFP et de la force de leurs préjugés.

Alors ce soir-là, ce n’est pas trois ou quatre chroniqueurs de plus, même réunis en juridiction d’exception, qui vont m’angoisser. D’autant que le sujet est quand même plus marrant : les salauds et les putes !

 

Je reviens quand vous voulez !

MERCREDI 30 OCTOBRE, 21 heures.

Tout s’est passé au mieux, finalement ! De retour chez moi, je visionne l’enregistrement : il est conforme à mes  souvenirs, encore frais il est vrai. D’emblée, Aphatie m’interpelle sur l’« esclavage sexuel », comme si ça  avait un rapport avec la choucroute.

Et tandis que je réponds, il ne cesse d’ajouter des questions subsidiaires… Mais pas question de céder : c’est dès le début qu’il faut marquer son territoire, sinon t’es mort !

Alors je parle au-dessus de Jean-Michel, dans une aimable cacophonie, jusqu’à ce qu’il renonce le premier, et pour cause : je n’ai rien à perdre et lui, à la longue, il finit par avoir l’air con. Victoire, donc ! J’ai pu résumer nos positions hardies en matière de sexe tarifé : la liberté pour tous, putes et clients, mais aussi une répression efficace du trafic d’êtres humains.

Ouf ! Dans le temps qui m’est imparti, si je n’avais pas balancé au moins ça, c’était même pas la peine de faire le déplacement.

Maintenant, on va pouvoir plaisanter… Ça tombe bien, une certaine Hélène Jouan croit pouvoir ironiser : « Ah bon, vous voulez protéger les prostituées ? On n’avait pas compris ça du tout dans votre Manifeste… » – Vous êtes allée jusqu’à la page 2 ? L’exercice m’amuse, plus qu’elle apparemment. Mais c’est déjà au tour d’Augustin Trapenard, l’intello de service, de sortir son petit réquisitoire. Pour lui, le « vrai problème » de ce Manifeste, ce n’est pas son contenu (sic). C’est la référence blasphématoire aux « 343 salopes » de jadis, qui « elles, avaient pris des risques ». Allons donc ! T’imagines Pompidou prenant celui d’embastiller d’un coup Beauvoir, Deneuve, Sagan, Duras et les autres ? En tout cas, poursuit l’homme de lettres, chez nous autres les salauds « y’ a aucun courage » : on n’ose même pas dire si on va aux putes !

– « Est-ce que vous êtes client ? », enchaîne de Caunes, non sans à-propos.

– J’économise !

Cerise sur le gâteau, même la miss Météo locale, impertinente par contrat, s’y met. Ses services lui ont préparé à mon intention un bon gag, dont malheureusement personne n’entendra la chute : – « Je constate quand même, Basile, que si vous avez manifesté contre le “ mariage pour tous” »… – Excuse-moi de te demander pardon, mais pendant que Barjot  défilait avec ses glands, moi j’ai fait une manif qui revendiquait « le mariage pour personne » ! La pauvre, c’était pas dans ses fiches… Et puis, comment aurait-elle pu deviner ? Un mari bien dressé, ça suit sa femme, non ?

D’ailleurs, pour prouver que je n’en veux pas à Dora, je vais vous le dire, son bon gag que j’ai un peu salopé sur le moment : « Vous étiez contre le mariage pour tous, mais vous êtes pour les putes pour chacun ! » Y’a pas à dire : le sens de la formule, c’est inné.

Bref, un fameux souvenir que cette invitation ! Non seulement j’ai survécu aux redoutables lions du cirque Canal, mais en plus je me suis bien amusé. Alors, chers amis du « Gland Journal », maintenant que vous m’avez dépucelé, n’hésitez surtout pas : je reviens glander chez vous, avec vous, quand vous voulez.

 

Gallienne, homophobe !

MERCREDI 20 NOVEMBRE.

Le film de Guillaume Gallienne divise non pas le public mais la critique, ce qui est somme toute moins grave. Surtout que nos cinéphiles mécontents ne jugent que sur des bases idéologiques, et devinez lesquelles ? Un arrière-goût réac qui décidément ne passe pas.

Comme l’explique Télérama, qui fait sa grimace traditionnelle, « il n’y a pas si longtemps, étaient courageux ceux et celles qui osaient faire leur coming out. L’audacieux, aujourd’hui, est celui qui s’affirme hétéro, au risque de contrarier maman… »

L’ironie se fait plus lourde encore dans Le Monde : « Guillaume Gallienne ose le coming out héterosexuel », titre le journal avant de fulminer une bulle dans son jargon postmoderne : « Un tel renversement renvoie l’acte d’émancipation dont il est la parodie (la revendication d’une homosexualité) dans les confins du politiquement correct. »

Holà les gros cerveaux, on se calme ! Guillaume n’a pas fait un film à thèse : c’est sa propre histoire. Il n’allait quand même pas faire semblant d’être gay juste pour vous égayer. Si ?

 

Basile reporter

NUIT DU MERCREDI 20 AU JEUDI 21 NOVEMBRE.

L’arrestation du « tireur fou » ? J’y étais ! La conférence de presse de Manuel Valls ? Itou ! C’est bien simple : cette nuit-là, faute d’oser réveiller Élisabeth, je me suis autoproclamé envoyé spécial de Causeur sur le terrain, c’est-à-dire devant les chaînes info, zapette en main.

Comme toujours sur ce genre de coup, BFM-TV fut la meilleure et la plus Duracell : à peine un break de deux heures entre 4 et 6, et hop ! c’était reparti. À tel point que le spécialiste police-justice maison n’a pas dormi, je peux en témoigner ; et s’il a eu droit à son Big Mac, c’était pendant la pub !

Le pauvre homme aura tenu l’antenne en permanence de 19 heures à 4 heures du matin, et dès 6 heures, après une petite sieste et une bonne douche, rebelote ! Ce n’est que vers midi qu’il sera finalement libéré pour bonne conduite, et remplacé par sa bras-droite.

Métier de chien, vous dis-je ! Je sais, je l’ai fait pour vous ! La différence, certes, c’est que personne ne me l’avait demandé. Mais si vous le prenez comme ça, vous n’êtes pas non plus obligé de me lire.

Bon allez, on ne va pas se fâcher pour ça ; je suis juste un peu sur les nerfs, après cette nuit blanche…

Sachez seulement, vous les hypersomniaques, que pendant vingt-quatre heures BFM-TV n’aura parlé que de l’« affaire » – à part un peu la neige le jeudi.

19 heures : interpellation d’un « suspect sérieux » à Bois-Colombes, au sous-sol du parking « Les Aubépines »[2. Pour un pro du journalisme police-justice, tous les détaux comptent.]. Sérieux peut-être, le suspect, mais infoutu de parler : à ce qu’il paraît, il aurait consommé sans modération un cocktail Xanax- Imovane pas vraiment énergisant.

Qu’à cela ne tienne ! Son ADN parlera pour lui…

Le problème, c’est qu’il faut compter quatre bonnes heures pour l’analyse ; et pendant ce temps-là, nos chaînes info vont devoir meubler avec pas grand-chose, puis broder sur les meubles.

Enfin, sur le coup de 23 heures, des « sources proches de l’enquête » nous apprennent que le bonhomme serait un certain Abdelhakim Dekhar (déjà connu des services de police, et des fans de Faites entrer l’accusé, pour son implication dans l’affaire Rey-Maupin). Mais le vrai scoop tombera vers 1 heure du matin : le ministre de l’Intérieur soi-même va s’adresser à la presse, là tout de suite !

Quelle urgence ? À cette heure-là, un communiqué de presse ou une brève déclaration du DGPN n’auraient- il pas suffi ? Et la conférence de presse solennelle ne pouvait-elle pas attendre jusqu’au matin ?

Mais je fais l’âne pour avoir du son ! En intervenant à chaud, Valls montre à ses compatriotes (aux couche-tard comme à la France-qui- se-lève-tôt) que lui, au moins, ils peuvent compter sur lui à n’importe quelle heure du jour et de la nuit ! Si c’est pas une qualité d’homme d’État, ça…

En fait, il va quand même nous faire attendre encore une heure dans le froid, mais bon, ça valait le coup. Après nous avoir confirmé que « l’individu [avait] été confondu par son ADN », le ministre se lance dans un inventaire exhaustif des services de police ayant contribué de près ou de loin à ce « formidable résultat » : l’arrestation d’un gars comateux sur dénonciation de son logeur.

Croyez-moi ou pas, cette litanie de remerciements tous azimuts dure cinq bonnes minutes. On se croirait aux César ! Après quoi notre lauréat consentira à répondre à quelques questions de journalistes. La plus intéressante à mon goût portait sur la possibilité, pour un ancien criminel, de disparaître ainsi pendant quinze ans sans laisser de traces ; et la réponse du ministre me laisse coi : « Probablement il était parti à l’étranger, c’est pour ça qu’il n’était pas sur nos fichiers. »

Question à tous nos ministres de l’Intérieur depuis quinze ans : suffit-il donc de quitter la France pour être rayé des fichiers de la Crim’ ? Ou est-ce juste le mec de BFM, fatigué, qui ne m’a pas tout bien expliqué ? Certes, le relevé national d’empreintes génétiques ne date que de 1998. Mais on avait déjà identifié plusieurs délinquants avant l’invention de l’ADN, non ?[3. Notamment grâce à ce bon vieux Bertillon (pas le glacier, l’empreinteur digital).]

 

Du crime fasciste au fait divers psychiatrique

JEUDI 21 NOVEMBRE , 15 heures.

Après une petite sieste et une bonne douche (comme les collègues), c’est l’heure du bilan.

Le plus heuristique, dans ce bousin, n’est-ce pas la façon dont tout a changé dès que l’identité du suspect fut révélée ? Jusqu’à hier soir, le portrait-robot du « tireur fou » en avait fait fantasmer plus d’un ; et même certains tout haut, comme l’inégalable Caroline Fourest[4. Sur France Culture, mardi 19 novembre, 7 h 18. Un collector !]. Imaginez un peu ! Un individu « de type européen », avec tenue de chasse et fusil à canon scié…

Avec un peu de chance, on tenait là notre Breivik à nous – justifiant un appel à la mobilisation générale de « défense républicaine ».

L’idéal bien sûr, pour le succès d’une telle opération, eût été que l’infortuné assistant-photographe décède des suites de ses blessures, et que le terroriste d’extrême droite putatif tire encore un peu dans le tas.

Mais bon, on fait avec ce qu’on a. Même sans ces petits plus, la conférence de presse nocturne de Valls aurait déjà eu une autre gueule s’il avait pu y fustiger solennellement la montée du fascisme – sans oublier de pointer le vrai responsable de ce tragique « ascenseur pour les fachos » : le flirt indigne entre droite républicaine et FN, coin-coin. Le problème, c’est que le « tireur fou » l’avait fait avant lui ! Dans une lettre laissée pour justifier ses actes, il dénonçait déjà le « complot fasciste », les médias complices, le capitalisme, etc.

Du coup, le ministre n’avait plus rien à dire, et ça s’est vu. À un petit détail, que seul un pro du journalisme police-justice peut discerner aussitôt, sans me vanter : dans son allocution, à aucun moment, le ministre n’a soufflé mot des motivations politiques affichées par l’individu. « Inexploitables », comme on dit chez les flics.

Dommage ! Encore une belle « occasion manquée », dont la gauche en général, et le gouvernement en particulier, auraient eu pourtant bien besoin, dans les circonstances difficiles qu’ils font traverser au pays.

 

Résurrection d’un python

MARDI 1er JUILLET 2014, LONDRES, 20 heures.

Ce soir-là, les Monty Python remonteront enfin sur scène, après une absence de trente ans quand même. Leur futur spectacle, présenté par John Cleese, semble prometteur :

« Un peu de comédie, de la musique et du sexe antique » (sic). 357 ans à eux cinq, se vantent-ils : décidément, ces gens-là ne grandiront jamais, et c’est tant mieux. Plutôt mourir que grandir, si l’on veut mourir grand ![/access]

D’Edouard Martin à Marcelin Albert

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marcelin albert edouard martin

marcelin albert edouard martin

Dans ce flux ininterrompu qu’on appelle « l’actu » il nous arrive d’éprouver  un sentiment de déjà-vu. C’était le cas l’autre jour avec l’annonce de la désignation d’Edouard Martin, le militant syndical de Gandrange et Florange, comme tête de liste PS dans le Grand-Est aux européennes. Plus que cet événement politique en lui-même, ce sont les réactions de certains de ses anciens camarades qui m’ont fait passer une petite heure à feuilleter mes livres d’Histoire. Car cet épisode m’en a rappelé un autre : la rencontre de Marcelin Albert et Georges Clemenceau.

Dans le Midi, la fin du XIXe siècle et le début du XXe sont marqués par la crise profonde de l’un des secteurs clés de l’économie régionale : la viticulture. Les séquelles du phylloxéra, ce petit parasite qui ravagera la vigne française, a déclenché une série d’événements qui ont bouleversé cette région où l’immigration de travail d’origine italienne alimente un tissu de petites entreprises familiales de plus en plus précaires.

Au début du siècle dernier, ces tensions se cristallisent autour d’une revendication majeure : le combat des bouilleurs de cru contre la fraude, luttant pour la défense de leurs droits et du vin naturel. Les petits acteurs économiques locaux entrent alors en lutte contre les négociants et les industriels du secteur.

Dans ce conflit aux enjeux multiples, un homme sort du lot : Marcelin Albert. Natif d’Argeliers (Aude), Albert, âgé de plus de cinquante ans, était une sorte de touche-à-tout au parcours de vie assez riche. Après avoir travaillé les vignes appartenant à sa famille, il a été zouave en Algérie puis conseiller municipal dans sa ville natale où il a tenu un café et joué dans une troupe de théâtre amateur.

Quand la crise éclate pendant l’hiver 1907, Marcelin Albert, qu’on surnomme dans la région la Cigale, décide d’envoyer un télégramme au président du Conseil et ministre de l’intérieur Georges Clemenceau : « Devoir gouvernement empêcher choc. S’il se produit, les clés ouvriront portes prison, pourront jamais rouvrir portes tombeaux ».  L’appel restant sans réponse, Albert, à la tête des vignerons de la région d’Argeliers, lance un mouvement qui prend très vite de l’ampleur. 300 personnes se rassemblent fin mars pour l’écouter, ils sont plus de dix mille un mois plus tard et plus de 500 000 place de la Comédie à Montpellier le 9 juin 1907.  À ce moment-là, Marcelin Albert étant devenu un acteur de premier plan et la crise un fait politique majeur, le gouvernement Clemenceau décide d’envoyer l’armée pour casser le mouvement.

Albert parvient à échapper à la police et se rend le 22 juin à Paris afin de s’adresser directement à l’Assemblée nationale, en plein débat sur la loi contre la fraude. L’Assemblée refuse de le recevoir mais Clemenceau décide de lui accorder une audience place Beauvau. Le Tigre ne fera qu’une bouchée du cafetier et comédien amateur d’Argeliers. Contre la vague promesse de lutter contre la fraude, Albert s’engage à se rendre dans le Midi pour calmer la rébellion. Avant de lui donner congé, Clemenceau fait un geste personnel envers son « nouvel ami » : il lui donne un billet de cent francs pour lui permettre de regagner Argeliers. Marcelin Albert accepte et scelle alors son destin. Aussitôt, Clemenceau raconte l’anecdote à la presse et, en quelques jours, le leader populaire devient un « vendu ». Après avoir échappé de justesse au lynchage que lui préparaient certains de ses anciens camarades, Marcelin Albert se voit obligé de quitter la région. Il s’installe an Algérie où il mourra en 1921, ruiné.

Certes, Harlem Désir n’est pas Georges Clemenceau et Edouard Martin n’a pas déployé de talents d’orateur comparables, même de loin, à ceux de Marcelin Albert et malgré l’inflation, cent francs de 1907 n’égalent pas les indemnités de député européen. Cependant, dans ce genre d’affaire, on ne sait jamais à l’avance qui est dupe de qui et qui manipule qui. Clemenceau avait vaincu Marcelin Albert par KO. Quant à Edouard Martin, son histoire n’est pas encore écrite.

*Photo : COLLECTION YLI/SIPA. 00513702_000010.

Egypte : enfin une Constitution digne de ce nom ?

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egypte constitution armee

egypte constitution armee

Au cours des révolutions politiques, le temps semble à la fois s’accélérer et s’arrêter : tout tourne en rond, mais tout se précipite, « immobile à grands pas ». La révolution égyptienne, qui débute avec la chute éclair du Président Moubarak le 25 janvier 2011, ne fait pas exception à le règle. Après une brève période d’euphorie, le pays était entré dans une phase de tumultes et d’incertitudes – en dépit de l’élection du président Morsi, le candidat des Frères musulmans, investi en juin 2012, puis de l’adoption d’une nouvelle constitution  en décembre.

Comme toujours dans ces cas-là, le mouvement commande : on met la charrue avant les bœufs en désignant un Président sans savoir quels seront ses attributions. Cela se traduit par une succession de tentatives pour prendre, ou reprendre, le dessus, et un chef de l’Etat que les observateurs qualifient tantôt de « fantôme »,  tantôt de despote, lorsqu’avec le « décret constitutionnel » du 12 août 2012, celui-ci parvient à abroger la « Déclaration constitutionnelle complémentaire » qui limitait ses prérogatives. Une situation à peine améliorée avec l’adoption d’une constitution que l’universitaire franco-égyptien Wagdi Sabete qualifiait de « constitution sui generis » – indiquant par là qu’on aurait eu bien du mal à la faire entrer dans l’une des catégories classiques du droit constitutionnel.

En décembre 2012, l’adoption référendaire avait suscité un fort scepticisme. En dehors du camp présidentiel , où l’on se félicitait d’une constitution susceptible de doter enfin le pays d’un cadre institutionnel stable, les opposants avaient pointé les menaces sur les droits des minorités. Quant au prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei, il avait estimé que ce texte  allait « institutionnaliser l’instabilité », ajoutant que ladite Constitution ne devait être considérée que comme un texte « intérimaire », jusqu’à la rédaction d’un nouveau projet sur la base d’un consensus véritable.

En somme, marqué par l’orientation islamiste de la première assemblée constituante,  ce texte ne résolvait rien et n’apaisait personne ; après le nouvel épisode révolutionnaire qui aboutit le 3 juillet dernier à la destitution du Président Morsi, il fut d’ailleurs suspendu – le Président par intérim décidant de ne pas attendre, et nommant à la mi juillet un premier groupe de dix experts, six hauts magistrats et quatre professeurs de droit, qui rendit son avant projet le 20 août.  Début septembre, on désigne un comité de 50 personnalités, présidé par un ancien secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa – avec pour mission d’élaborer avant début décembre le projet définitif ; c’est celui qui sera qui sera soumis au référendum les 15 et 16 janvier prochains.

Élaboré dans l’urgence, le projet ne prétend pas à la perfection : Les membres du comité des 50, à l’instar du politiste et député Amr El Shobaky, reconnaissent d’ailleurs ses limites, tout en soulignant son caractère novateur, consensuel et globalement positif.

Son aspect positif tient notamment au fait que l’on sort de l’incertitude institutionnelle pour établir un système qualifié par Wagdi Sabete de semi-présidentiel. Le Président, élu au suffrage universel pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois (art. 140, al. 1), se voit interdire de prendre des positions partisanes pendant la durée de son mandat (art. 140, al. 3), mais peut en appeler au peuple pour procéder à la dissolution référendaire de la Chambre des représentants (art. 137).  l’inverse, sa responsabilité pénale (art. 159) mais aussi politique ( art. 161) peut être engagée par la Chambre. En outre, c’est lui qui désigne le gouvernement selon une procédure caractéristique du « parlementarisme rationalisé » (art. 146), laquelle témoigne de la conviction, partagée par les membres du Comité, qu’il faut en toute hypothèse éviter un blocage des institutions. Après deux ans de tumultes, c’est le primat de l’efficacité qui est mis en avant. La volonté d’en sortir.

Primat de l’efficacité, mais aussi, réaffirmation des libertés,  en réaction aux inquiétudes suscitées par la précédente constitution, la pratique autoritaire de Morsi et la crainte d’une mainmise des « Frères » sur l’Etat.  Outre la masse des libertés énoncées dans le texte, et une orientation globale qui prend largement en compte les droits des minorités, le projet abolit le très controversé article 219, qui combiné à l’article 2, faisait de la Charia la principale source du droit. Il prohibe, dans son article 74, les partis et activités politiques fondées sur une base religieuse ou discriminatoire. Et il énonce un nouvel interdit constitutionnel (article 226, al. 5), en vertu duquel la norme fondamentale ne peut faire l’objet d’une révision en matière de libertés, si ce n’est pour renforcer ces dernières.

Au total, un texte constitutionnel qui, tout en représentant une avancée significative au regard des standards  contemporains,  paraît beaucoup plus susceptible de celui qu’il remplace de mettre, pour reprendre le mot de Bonaparte en Brumaire an VIII, un point final à la Révolution.

*Photo : Heba Khamis/AP/SIPA. AP21491460_000015.

Osez l’érotisme !

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osez erotisme 343

osez erotisme 343

On croyait lancer une petite provocation, ce fut un scandale. Les puritains s’étranglèrent. Or, on sait bien que derrière chaque puritain se trouve un pornographe obsédé par ce que le premier combat fanatiquement. Ne percevant les choses que selon la modalité binaire du sacré et de l’obscène, le puritain cherche moins à penser qu’à jouir de condamner, d’avoir raison, immédiatement et avec tous. Car le puritain ne prend son pied qu’en meute.

Les puritains de toutes obédiences détestent le second degré, comme ils haïssent la nuance.

Pornographes, ils veulent jouir salement, vite et sous une lumière crue. Ils détestent le jeu et les circonvolutions, ils veulent du simpliste, du transparent, du massif, pour éjaculer à la chaîne.[access capability= »lire_inedits »]

Outragés dans leur vertu citoyenne, deux bigots zélés mettent en ligne les photos et les adresses Twitter des « salauds », enjoignant leur public à aller tweeter quelques gouttes d’insultes sur les visages de l’infamie. Bukkake numérique. Si l’Internet a permis le porno en streaming, il a encouragé également tout ce qui, mentalement, s’y réfère.

Le gang bang verbal du lynchage en réseau, la surenchère d’insultes en 140 caractères, l’orgasme morne d’une victoire morale sans débat. Pas le temps de discuter, inutile de séduire : c’est brutal, rapide, anonyme. Pornographique. Et ce phénomène se reproduit crescendo, depuis quelques années, à chaque fois qu’une « affaire » éclate.

L’ironie, l’humour, la légèreté, le jeu, le trouble, la provocation, l’insolence, la polémique, la malice, le paradoxe, tout cela est suspect aux yeux du puritain-pornographe, tout cela qui appartient au registre érotique. Comme la durée ou le clairobscur, par ailleurs, comme la parole et comme le sous-entendu. Osez l’érotisme. Le pornographe, lui, préfère entrecouper de slogans ses feulements d’indigné, il n’individualise que pour abattre, et promeut un égalitarisme totalitaire, tout au contraire de l’érotisme qui se développe, lui, selon un subtil jeu de dominations qui s’inversent sans cesse, ce à quoi l’on assiste lorsque deux esprits éclairés s’opposent et s’écoutent au sein d’un débat loyal.

Aujourd’hui, des censeurs de tous bords guettent le « dérapage » comme le voyeur la fenêtre éclairée de sa voisine, dans l’espoir de s’astiquer la vertu à plusieurs. Voilà l’état de la libido mentale collective. Nous ne sommes plus au pays de Molière ou de Voltaire, mais dans la backroom d’une civilisation. Il y a de quoi regretter les bordels.[/access]

*Photo : Belle de jour.

Wauquiez ou le syndrome Facebook

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laurent wauquiez ardisson

laurent wauquiez ardisson

Le mélange des genres est souvent casse-gueule… Laurent Wauquiez vient de nous le rappeler, au prix d’une leçon qui risque de lui coûter cher. Mais ce n’est pas en répondant à la vicieuse question d’Ardisson : « regardez-vous le site Youporn ?» qu’il a dérapé, c’est au moment d’accepter son invitation, alors qu’il était certainement plus lucide que sur le plateau.

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En people relax, il va chez Ardisson parce que c’est branché : the place to be. Il oublie qu’il représente, pour la droite traditionnelle, l’espoir de la jeune génération des politiques –il n’a pas 40 ans -. Or, en ces temps de réformes sociétales majeures et discutables, cela ne va pas sans une certaine idée de la rectitude morale… A fortiori quand on est estampillé Manif Pour Tous.

À vouloir à tout prix afficher un coté décomplexé –ô combien cher à l’UMP- il a ruiné en une seconde son capital moral. Ce qu’il fait devant son ordi, après tout, cela ne nous regarde pas… Mais il s’est mis lui-même dans une impasse : il n’y a pourtant pas besoin d’être une mouche à télé pour savoir que la règle du jeu de « Salut les terriens » est de mettre l’invité sur le gril. Dès lors, de cette question, il ne pouvait sortir indemne. S’il répondait non, il passait pour un ringard et se faisait ridiculiser en live. En répondant oui, il piétinait son image de gendre peaufinée au fil des années. Les sirènes de la branchitude lui ont soufflé le oui. Qu’il a regretté aussitôt… Trop tard !

C’est la crise identitaire du politique qui est en jeu. Faut-il être le pote ou le père de ceux que l’on prétend administrer ?  Là est toute la question. Au nom d’on ne sait quel principe démagogique, les  politiques veulent croire qu’ils peuvent tout dire, tout faire, tout montrer -à la manière des ados qui étalent leurs petites turpitudes sur Facebook en toute extimité- et qu’à ce prix, peut-être, ils seront « populaires ». Mais est-ce bien cela qu’attendent les personnes qui veulent leur confier les clés de la maison ?

Décidément, politique et popularité ne font pas bon ménage ces temps-ci…

*Photo : IBO/SIPA. 00650791_000005.

Candidature d’Edouard Martin : et si l’UMP se regardait dans son miroir ?

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« C’est un message fort qui est envoyé au monde ouvrier par François Hollande et ses amis : trahissez les intérêts des salariés et de l’industrie, vous serez récompensé. Monsieur Martin vient ainsi d’échanger la lutte des classes pour une lutte des places ! »

Cette petite saillie assassine comme on les aime est signée… Valérie Debord, députée et déléguée générale adjointe de l’UMP, qui en bafouille d’émotion tant elle a à cœur de défendre la candidature de sa copine lorraine : « C’est pourquoi je soutiens la candidature de Nadine Morano aux Européennes pour mener le combat dans le Grand Est prend tout son sens (sic) car la fille d’ouvriers qu’elle est n’a jamais trahi ni sa famille ni ses convictions. »

Qu’on les entend depuis deux jours, ces gorges chaudes de l’UMP, sarkozystes nostalgiques et députés européens en devenir, qui gloussent devant le ralliement d’Edouard Martin à ses anciens adversaires socialistes. Certes, comme le notait David Desgouilles avec le mauvais esprit qu’on lui connaît, un délégué syndical de Florange tête de liste PS, c’est aussi baroque qu’un Cohn-Bendit candidat gaulliste aux législatives de juin 68. On a déjà vu des taureaux aimer les toreros, mais pas si vite après la fin de la corrida…

Que les rivaux du PS dénoncent Martin le « jaune » donne un peu de piquant à une campagne européenne dont on chercherait en vain l’intérêt. Mais que l’UMP se gausse de l’échec de Hollande à Florange, c’est un peu fort de café. La fermeture des fourneaux décidée par Mittal n’a pas été annoncée le 6 mai 2012. Nicolas Sarkozy s’était personnellement impliqué dans cette affaire, accordant toute sa confiance au milliardaire indien plus soucieux de spéculer que de récupérer un outil industriel en partie obsolète. L’échec de Florange, c’est aussi le sien. Ce que les salariés du coin n’ont pas oublié, puisqu’ils avaient érigé un monument dédié à ses promesses bafouées, avant de construire une stèle semblable en l’honneur… de François Hollande. Nos deux présidents, Chapi et Chapo, avaient l’un après l’autre envisagé une nationalisation partielle, avant de se raviser. Car l’affaire n’était pas si simple à résoudre, en dépit de toute la bonne volonté d’un Montebourg, en économie ouverte, l’Etat ne peut hélas pas nationaliser chaque usine qui ferme !

Une note d’optimisme pour finir : cette pantalonnade du responsable CFDT et les ricanements de l’UMP auront révélé la fibre prolétarienne cachée du grand parti de la droite. Quelque part entre Germinal et La Bête humaine, les ténors outragés de l’UMP potassent leurs classiques du syndicalisme révolutionnaire et se disent que, tout compte fait, rien ne ressemble plus à un représentant du patronat qu’un représentant du prolétariat, comme l’écrivait ce bon Georges Sorel. Pour défendre la lutte bafouée des sidérurgistes, Jean-François Copé, indigné par ce « coup terrible à la cause syndicale », affûte déjà ses armes en vue de la prochaine grève générale. Ah non, on me souffle que le président de l’UMP veut revenir aux 39 heures par semaines et généraliser le travail le dimanche. Le Grand Soir attendra !

Données de connexion : attendez-vous au pire!

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connexion geolocalisation senat

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Le projet de loi de programmation militaire, qui a normalement vocation à encadrer les dépenses et missions de l’Armée, a connu une discussion parlementaire particulièrement remuante ces dernières semaines par l’incorporation étrange mais assumée d’une disposition permettant aux services de sécurité d’accéder aux données de connexion et à la géolocalisation en temps réel. Disons-le immédiatement, devant la pression du groupe écologiste, le gouvernement a retiré in fine le texte, qui reviendra de toutes façons dans d’autres circonstances et plus vite qu’on ne le pense.

Le dispositif a été proposé dans des conditions plus qu’étonnantes : alors que le projet de loi avait été préparé à l’avance, commenté et travaillé par les différents intervenants habituels (comme le Conseil d’Etat), la Commission des Lois du Sénat, présidée par le socialiste Jean-Pierre Sueur, a soudainement introduit un amendement modifiant substantiellement le texte originel de l’article 13 en insérant une thématique sans rapport direct avec la programmation militaire.

Cette pratique, assez courante au Parlement, a l’avantage d’éviter tout contrôle a priori du Conseil d’Etat et tout avis des autorités habituellement compétentes, comme la CNIL par exemple.

Officiellement, l’idée de la majorité , soutenue par le gouvernement, était de « clarifier » le régime juridique de la géolocalisation en temps réel des personnes. Il est vrai qu’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 2 septembre 2010 avait reproché à la France d’avoir des textes « trop larges » en termes de moyens d’investigation. C’est notamment sur ce prétexte que la majorité a introduit cet amendement en catimini et en urgence. Ce n’est pas comme si le sujet était important…

Après tout, tant que l’opposition ne dit rien, pourquoi se gêner ? Alors que plusieurs voies juridiques étaient ouvertes pour contester cette opération, l’UMP a annoncé jeudi dernier qu’elle ne déposerait aucun recours…

Il serait plus exact de dire que cet amendement avait pour objet d’autoriser le « recueil » – auprès des opérateurs et des hébergeurs de contenus – de données de connexion mais aussi de documents (mails, photos), via des demandes émanant d’agents des ministères de l’Intérieur, de la Défense ou de l’Economie qui doivent être validées par « une personnalité qualifiée placée auprès du Premier ministre », mais pas par un juge. Ce qui heurte, c’est qu’une des définitions de la démocratie repose précisément la séparation des pouvoirs (souvenez-vous, Montesquieu…) et la nécessaire intervention d’un pouvoir contrôlant ce qu’un autre pouvoir fait.

Contrairement à ce que soutiennent les responsables socialistes, le dispositif introduisait des nouvelles notions et surtout, permettait la saisie de données, hors du contrôle d’un juge, de manière beaucoup plus large qu’avant. En effet, la saisie de données dans le cadre de la lutte contre le terrorisme a toujours été acceptée. Mais le texte introduisait une nouveauté : la possibilité de saisir des données de géolocalisation pour lutter contre « la criminalité et la délinquance organisées ». Or, les récentes jurisprudences ne cantonnent pas la délinquance organisée aux réseaux mafieux. Par exemple, une fraude fiscale organisée entre plusieurs amis qui se structurent pour échapper au fisc entrerait dans le champ d’application de l’amendement.

De plus, les personnes pouvant solliciter les données de géolocalisation n’étaient pas limitées aux fonctionnaires de police, mais s’étendaient aux services de renseignement, aux douanes, aux personnes de Bercy, etc. Et ce, dans le silence le plus absolu. Les journalistes se sont en effet empressés de ne pas se saisir de ce dossier.

Pourtant, souvenez-vous, il y a quelques années, le fichier EDVIGE, qui se contentait de fusionner le fichier des RG et celui de la DST (puisque les deux institutions fusionnaient) avait créé une vague d’indignation sans précédent, provoquant même la saisine du comité des droits de l’homme de l’ONU ! On se souvient de la terminologie alors employée par la gauche française, n’hésitant pas à renvoyer à la sémantique des années 40. Combien de « Unes » du Monde et de Libération, combien d’hommes politiques, de responsables syndicaux, d’associations (près de 300 s’étaient mobilisées) et d’intellectuels accusaient la droite de dérive fasciste ?

Aujourd’hui, le silence est assourdissant. Seuls les Verts et leurs associations ont émis des réserves. Quand la présidente de la CNIL va sur les plateaux télévisés s’étonner du contournement de la procédure pour éviter tout avis de la CNIL, seul un petit filet reprend les propos de la responsable d’une des institutions censées défendre les principes démocratiques. Pis, Maître Montebourg, brillant avocat saisissant toutes les subtilités de la loi et de la profondeur de la jurisprudence (et donc, des vraies implications de cet amendement), n’a pu que défendre cet amendement. Où sont aujourd’hui les 300 associations qui s’offusquaient d’EDVIGE ?

Il faut rendre hommage à la constance du groupe EELV qui, quoiqu’à l’intérieur de la majorité, a su rester fidèle à ses convictions et refuser un tel amendement. Il faudra examiner les rapports de force lorsque cet amendement sera remis sur le bureau de l’Assemblée. Selon toute vraisemblance, le traitement médiatique, syndical, associatif et politique de cette question de libertés publiques sera bien différent de ce qu’on a pu connaître il y a quelques années…

*Photo : La vie des autres.

Shi Zhaokun et le lapin de jade

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lapin jade chine lune

lapin jade chine lune

Le 14 décembre, Lapin de jade alunissait. Si l’on en croit certaines traductions, et on préférerait croire celles-là,  on peut aussi l’appeler Lièvre de la lune. C’est tout de même plus joli. Mais allons-y pour Lapin de jade, puisque cette appellation a été consacrée par les médias. Lapin de jade est un véhicule d’exploration lunaire téléguidé qui a été transporté par la sonde Chang’e 3. C’est une sorte de véhicule tout-terrain à six roues, avec de l’électronique et des panneaux solaires. Beau comme un jouet de Noël. Pendant trois mois, il va faire toutes sortes d’analyses géologiques en se déplaçant à la vitesse de 200 mètres à l’heure. Il pourra même envoyer des images en trois dimensions de la Lune et capter son énergie grâce à des panneaux solaires. Ce succès chinois, après celui des taikonautes dans leur station spatiale, se veut une étape supplémentaire vers l’envoi d’hommes sur la Lune.

Les Chinois sont les dernier à y croire, à ce rêve spatial qui enchanta mon enfance et celle de tous les enfants des Trente glorieuses, depuis un jour de 1969 où petit garçon sur les épaules de mon père, je me suis endormi devant l’écran noir et blanc du bistrot d’en bas qui était le seul à disposer de la télé dans le quartier. Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs, il y a toujours eu des enjeux de pouvoirs dans la conquête spatiale. La Chine ne fait que rejouer seule le grand match URSS-USA une génération plus tard. Il s’agit de montrer sa supériorité technologique et son ambition cosmique, sa vitalité prométhéenne et sa foi en une humanité appelée à régner sur les galaxies. C’est aussi, pour le Parti Communiste Chinois qui y consacre des milliards de yuans, le moyen de prouver son génie idéologique à tout un peuple, et pourquoi pas au monde entier, en plantant un de ces jours, au clair de la Terre, le drapeau rouge du président Mao dans la Mer de la Tranquillité.

Mais, malgré ces considérations, on aurait pu reconnaître que ça avait de la gueule et voir dans Lapin de Jade le symbole d’une humanité, chinoise ou pas, qui continue à rêver, qui refuse un repli malthusien et hargneux sur elle-même, en s’enfonçant dans le virtuel et en remisant ses navettes et ses fusées dans ces hangars où rouillent les illusions perdues et les machines obsolètes.

Et pourtant, pourtant, cela va m’être difficile de rêver si je pense à Shi Zaokun. Shi Zaokun est mort à quinze ans. Je pense que, comme tous les adolescents de quinze ans, comme je l’étais moi-même à son âge, il était « un enfant amoureux de cartes et d’estampes », les yeux perdus dans les étoiles. Peut-être même avait-il lu Jules Verne qui est traduit en chinois simplifié. Quoique, sur ce dernier point, j’en doute. Il n’aura sans doute pas eu le temps. Il faut dire qu’il est mort le 9 octobre dernier. Il n’aura donc pas eu le temps non plus de voir Lapin de Jade faire ses premiers tours de chenille. En fait, il n’a pas eu le temps de grand chose, Shi Zaokoun comme nous l’apprend l’organisation non gouvernementale (et pour cause) China Labor Watch.

Il a été embauché en septembre sur les chaînes de production de l’Iphone 5G de l’usine Pegatron de Shanghai. On peut consulter ses horaires de travail, c’est intéressant. Pendant les trois semaines où il a travaillé, Shi Zaokun a eu des journées qui dépassaient les 12 heures en moyenne. C’est tout de suite beaucoup plus pratique quand on n’a pas de code du travail pour venir vous embêter, ni d’inspecteurs qui vont avec.

On meurt beaucoup chez Pegatron, ces temps-ci, à manipuler des produits chimiques pour fabriquer des composants indispensables aux jolies petites machines d’Apple qui a enfin trouvé avec la Chine, malgré ses promesses  citoyennes, l’eldorado de la sous-traitance façon esclavage. Pas de syndicats, pas de formation et des visites médicales au moment de l’embauche particulièrement coulantes. Cinq décès suspects depuis septembre. Oui, quand même… Shi Zaokun avait lui été jugé en excellente santé. Il est donc mort en excellente santé d’une pneumonie, un mois après son recrutement.

Les dirigeants chinois ont très bien compris l’espace. Ils ont très bien compris aussi que la libre entreprise la plus échevelée avait trouvé dans le totalitarisme stalinien son cadre idéal. Ils sont moins naïfs que nos économistes occidentaux qui nous répètent à longueur de journée que le capitalisme, ça ne peut aller de pair qu’avec la liberté politique. Vous irez raconter ça au fantôme de Shi Zaokun, ça le fera sourire.

C’est dommage qu’il n’ait pas tenu quelques semaines de plus, d’ailleurs. Dans la mythologie chinoise, Lapin de jade est une divinité apothicaire qui pile dans un mortier un élixir d’immortalité. Cela aurait été de toute façon un moyen plus sûr de le sauver que de compter sur les promesses d’Apple.

Ou sur notre mauvaise conscience de consommateur.

*Photo : euronews.

Oh, comme ils sont malins, au PS !

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integration ps laicite

integration ps laicite

Il a suffi d’un rapport de plus pour que la France s’enflamme. Autoriser le voile à l’école — quelques lignes dans un gros rapport qui cumule réflexions sociologiques élémentaires et provocations concertées —, en voilà une idée qu’elle est bonne ! Elle a permis à Jean-François Copé de se couvrir de ridicule une fois de plus en entonnant, la mine grave, la complainte lyrico-tragique de l’homme d’Etat malmené dans sa République à lui… Ce doit être dur, quand même, en ce moment, d’être à l’UMP et de rester lucide !
Les forums se sont enflammés — particulièrement les forums d’enseignants, où les islamistes font ces derniers temps un entrisme remarqué. Ledit rapport a immédiatement permis quelques petits pas de plus — les Musulmanes portent le voile comme elles portent un soutien-gorge, « c’est leur choix ». Ben voyons !

Ayrault a laissé porter, pendant quelques heures — comme on dit à la roulette. Puis il a démenti du bout des lèvres toute modification de la loi de 2004.
Cette focalisation sur le voile (dans un rapport qui contient des propositions bien autrement inquiétantes, comme la reconnaissance de l’héritage arabo-musulman de la France ou le délit de harcèlement racial — est-ce que ça marcherait dans les deux sens, à propos ? Est-ce que ce surveillant de collège — à Boulogne-Billancourt — qui avouait récemment sur Twitter qu’il sanctionnait préférentiellement les petits Blancs — les babtous, pour ceux qui ne savent pas — tomberait sous le coup de la loi ?) appartient, si je puis dire, à l’esthétique de la corrida : on agite un chiffon, et aussi sec les taureaux se déchaînent.

Une seule chose est évidente, dans la publicité faite à ce bout de papier destiné à rejoindre dans un tiroir bien d’autres bouts de papier : il s’en donne du mal, le PS, pour faire monter le FN ! Il sait bien qu’il a énervé tant de monde, dans ce pays, à force de politiques idiotes et de décisions imbéciles, que sa seule chance (croit-il) d’échapper à la raclée en 2017 est d’imposer un 2002 à l’envers, en éliminant l’UMP. Stratégie mitterrandienne poussée à sa limite : le Vieux avait réinventé le FN à partir de 2004, en suggérant fortement à la télévision d’Etat d’inviter Jean-Marie Le Pen à une émission de grande écoute (L’Heure de vérité du 16 octobre 1985). Il en avait besoin pour gagner en 1988.
Il s’agissait à l’époque d’inventer en France une structure tripartite. Il s‘agit aujourd’hui d’éliminer la Droite classique (qui le mérite bien, à vrai dire, vu le niveau de ses grands leaders), en espérant que les Français encore un peu démocrates préféreront voter quand même PS plutôt que de se lancer dans des aventures politiques incertaines.

Calcul quelque peu risqué : la Droite classique, à part peut-être un quarteron de centristes chrétiens, ne votera jamais PS, et une bonne partie de la vraie Gauche ne votera plus jamais PS. Combien d’ouvriers licenciés dans des plans d’urgence — l’urgence étant essentiellement de servir aux actionnaires des dividendes confortables —, combien de demi-cadres appartenant à des classes de plus en plus moyennes, ou d’enseignants même écœurés par des décisions absurdement idéologiques, combien de tous ces gens-là ne voteront plus pour le PS ? Et même, dans certains cas, se lanceront dans des aventures électorales inédites, rien que pour voir — et pour infliger une leçon à tous ces nantis de la politique qui plastronnent sur notre dos depuis des décennies, et agitent leurs petits bras d’impuissants en clamant haut et fort « L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! » ?

Je ne m’alarme donc pas outre mesure du « rapport » qui préconise que l’on ne parle plus désormais d’intégration, mais de différences, de juxtaposition, de puzzle culturel, de politique à la suédoise (ça leur a rapporté quoi, à ces scandinaves dont les banlieues brûlent, de juxtaposer Vikings et gens du Sud ? Il y a bien eu un art arabo-normand — mais en Sicile, et au XIIIème siècle). Non : mais je m’inquiète de cette tentation du parti au pouvoir de jouer au billard indirect, de viser apparemment une bille pour en envoyer une autre dans le trou. Tout ce qui, aujourd’hui, renforce le FN le renforce en effet, au détriment de tous les autres. Quant à l’idée que la France ne laissera pas les bleus Marine prendre le pouvoir, c’est une plaisanterie, ou une billevesée : la conjuration des imbéciles a de beaux jours devant elle.

PS : Le Comité Laïcité République, qui est à la laïcité ce que la Vulgate est à la Bible, s’est fendu d’un communiqué qui dit l’essentiel et le reste. De même Catherine Kintzler, qui pour une fois est sortie du ton modéré qui est ordinairement le sien : le PS ne passera plus par elle non plus…

 *Photo : LCHAM/SIPA . 00655818_000026.