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Oh, comme ils sont malins, au PS !

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integration ps laicite

Il a suffi d’un rapport de plus pour que la France s’enflamme. Autoriser le voile à l’école — quelques lignes dans un gros rapport qui cumule réflexions sociologiques élémentaires et provocations concertées —, en voilà une idée qu’elle est bonne ! Elle a permis à Jean-François Copé de se couvrir de ridicule une fois de plus en entonnant, la mine grave, la complainte lyrico-tragique de l’homme d’Etat malmené dans sa République à lui… Ce doit être dur, quand même, en ce moment, d’être à l’UMP et de rester lucide !
Les forums se sont enflammés — particulièrement les forums d’enseignants, où les islamistes font ces derniers temps un entrisme remarqué. Ledit rapport a immédiatement permis quelques petits pas de plus — les Musulmanes portent le voile comme elles portent un soutien-gorge, « c’est leur choix ». Ben voyons !

Ayrault a laissé porter, pendant quelques heures — comme on dit à la roulette. Puis il a démenti du bout des lèvres toute modification de la loi de 2004.
Cette focalisation sur le voile (dans un rapport qui contient des propositions bien autrement inquiétantes, comme la reconnaissance de l’héritage arabo-musulman de la France ou le délit de harcèlement racial — est-ce que ça marcherait dans les deux sens, à propos ? Est-ce que ce surveillant de collège — à Boulogne-Billancourt — qui avouait récemment sur Twitter qu’il sanctionnait préférentiellement les petits Blancs — les babtous, pour ceux qui ne savent pas — tomberait sous le coup de la loi ?) appartient, si je puis dire, à l’esthétique de la corrida : on agite un chiffon, et aussi sec les taureaux se déchaînent.

Une seule chose est évidente, dans la publicité faite à ce bout de papier destiné à rejoindre dans un tiroir bien d’autres bouts de papier : il s’en donne du mal, le PS, pour faire monter le FN ! Il sait bien qu’il a énervé tant de monde, dans ce pays, à force de politiques idiotes et de décisions imbéciles, que sa seule chance (croit-il) d’échapper à la raclée en 2017 est d’imposer un 2002 à l’envers, en éliminant l’UMP. Stratégie mitterrandienne poussée à sa limite : le Vieux avait réinventé le FN à partir de 2004, en suggérant fortement à la télévision d’Etat d’inviter Jean-Marie Le Pen à une émission de grande écoute (L’Heure de vérité du 16 octobre 1985). Il en avait besoin pour gagner en 1988.
Il s’agissait à l’époque d’inventer en France une structure tripartite. Il s‘agit aujourd’hui d’éliminer la Droite classique (qui le mérite bien, à vrai dire, vu le niveau de ses grands leaders), en espérant que les Français encore un peu démocrates préféreront voter quand même PS plutôt que de se lancer dans des aventures politiques incertaines.

Calcul quelque peu risqué : la Droite classique, à part peut-être un quarteron de centristes chrétiens, ne votera jamais PS, et une bonne partie de la vraie Gauche ne votera plus jamais PS. Combien d’ouvriers licenciés dans des plans d’urgence — l’urgence étant essentiellement de servir aux actionnaires des dividendes confortables —, combien de demi-cadres appartenant à des classes de plus en plus moyennes, ou d’enseignants même écœurés par des décisions absurdement idéologiques, combien de tous ces gens-là ne voteront plus pour le PS ? Et même, dans certains cas, se lanceront dans des aventures électorales inédites, rien que pour voir — et pour infliger une leçon à tous ces nantis de la politique qui plastronnent sur notre dos depuis des décennies, et agitent leurs petits bras d’impuissants en clamant haut et fort « L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! » ?

Je ne m’alarme donc pas outre mesure du « rapport » qui préconise que l’on ne parle plus désormais d’intégration, mais de différences, de juxtaposition, de puzzle culturel, de politique à la suédoise (ça leur a rapporté quoi, à ces scandinaves dont les banlieues brûlent, de juxtaposer Vikings et gens du Sud ? Il y a bien eu un art arabo-normand — mais en Sicile, et au XIIIème siècle). Non : mais je m’inquiète de cette tentation du parti au pouvoir de jouer au billard indirect, de viser apparemment une bille pour en envoyer une autre dans le trou. Tout ce qui, aujourd’hui, renforce le FN le renforce en effet, au détriment de tous les autres. Quant à l’idée que la France ne laissera pas les bleus Marine prendre le pouvoir, c’est une plaisanterie, ou une billevesée : la conjuration des imbéciles a de beaux jours devant elle.

PS : Le Comité Laïcité République, qui est à la laïcité ce que la Vulgate est à la Bible, s’est fendu d’un communiqué qui dit l’essentiel et le reste. De même Catherine Kintzler, qui pour une fois est sortie du ton modéré qui est ordinairement le sien : le PS ne passera plus par elle non plus…

 *Photo : LCHAM/SIPA . 00655818_000026.

«La prostitution sera plus clandestine»

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Causeur. Comment avez-vous débuté ?

Emmanuelle. J’avais 23 ans quand mon mari est décédé. J’ai dû trouver un emploi. Mais je n’étais pas trop mal faite et, très vite, j’ai été victime de harcèlement. J’ai dit « Stop ! » et je suis partie. J’avais 400 francs pour survivre.
J’habitais le 9e arrondissement de Paris et je passais régulièrement devant un hôtel dont j’avais appris qu’il recevait des jeunes femmes. J’y suis entrée, j’ai fait la connaissance de Rosette, une femme adorable qui m’a beaucoup aidée, appris à ne pas être idiote. Puis les hôtels ont fermé et, comme mes copines, j’ai trouvé un studio. J’avais des horaires de bureau, je vivais comme tout le monde. Je n’étais pas malheureuse et je n’ai jamais connu ni le proxénétisme, ni les camions, ni le bois. J’ai rencontré un client qui m’a sortie de là au bon moment : je m’étais juré qu’à 40 ans, j’arrêterais. Avec ou sans proxénète, la femme qui veut s’en sortir le peut si elle en a la volonté et le courage.

La proposition de loi visant à sanctionner les clients de prostituées, déposée par deux députées PS, est examinée en ce moment par les députés. Qu’en pensez-vous ?
Cette loi va contre le bon sens ![access capability= »lire_inedits »] Pénaliser les clients, c’est déplacer le problème. Très vite sera trouvé un système qui contournera les nouvelles contraintes, et les prostituées n’y gagneront pas au change : le travail sera davantage clandestin. Derrière la pénalisation du client se cache surtout l’intention de supprimer la prostitution.

Et vous pensez qu’elle est un mal nécessaire, voire nécessaire tout court ?
Je ne sais pas, mais on peut lutter contre certains abus. Ce n’est pas ce qu’on a fait en obligeant les hôtels de passe à fermer. Les prostituées qui en avaient les moyens ont acheté des studios, devenant proxénètes à leur tour en les louant à des consœurs contre de forts loyers. Puis on a fermé les studios : elles exercent aujourd’hui dans des camions, dans des conditions épouvantables. Malgré tout, elles tentent de rester dignes : croyez-moi, leur hygiène est impeccable et elles sont très bien organisées.

Selon le gouvernement, 80 % à 90 % des prostituées en France sont victimes des proxénètes et des réseaux…

C’est faux ! Il y en a, mais ce n’est pas la majorité. Mme Vallaud-Belkacem croit-elle les sortir de la prostitution en leur assurant le RSA ? Elles prendront leur RSA et continueront de se prostituer. Une grande partie des « officielles » ont entre 45 et 65 ans. Après avoir passé le plus gros de leur vie professionnelle à se prostituer, elles n’ont ni l’envie ni les moyens de se réorienter et de gagner 900 euros par mois. La seule manière d’éradiquer la prostitution forcée, c’est d’augmenter le nombre de policiers sur le terrain pour protéger les personnes les plus fragiles contre les proxénètes. Cependant, la plus grande partie des prostituées travaille librement, paye des impôts, et n’est pas une charge pour l’État.

Certains partisans de cette loi affirment que la prostitution est contrainte par définition : quand il y a échange d’argent, il ne peut y avoir consentement.

Je ne suis pas d’accord. Le client paie pour un service rendu, comme chez un médecin ou un dentiste. Il s’agit de deux personnes consentantes. C’est un contrat comme un autre. Ce n’est pas en faisant de grands discours qu’on arrangera les problèmes.

Comment alors?
Par exemple, quand on a demandé aux prostituées du bois de Vincennes de respecter des jours et des heures de travail précis, elles ont accepté ! Après une discussion directe, elles se sont pliées aux règles.

Quelle est votre expérience personnelle vis-à-vis des clients ?
Le client typique est un Français lambda qui a des besoins sexuels, envie de passer un moment avec une femme. Ce n’est pas l’image qu’on s’en fait en écoutant les médias. Et maintenant, on va s’attaquer essentiellement aux clients les plus pauvres. Les PDG, les politiques, les émirs qui iront dans les palaces, croyez-vous qu’on va les pénaliser ?[/access]

 

*Photo : SERGE POUZET/SIPA. 00671086_000013.

Ma lettre au Père Noël

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Cher Père Noël,

Il y a un an, je t’avais demandé de repousser la fin du monde. T’en souvient-il, vieux débris ? J’escomptais  devenir un peu meilleur dans un monde pire, et pour cela, il me fallait gratter du temps de partie supplémentaire. Quelle déconvenue, papinou, cela n’a pas du tout marché !  Nib ! J’ai creusé mon découvert, acheté l’album des Daft Punk, sifflé des CRS esplanade des Invalides et même signé le manifeste des 343 salauds. C’est dire à quel point je me suis taillé une âme de damné. L’aurait mieux valu pour moi crever sous le fameux vrombissement du ciel promis à Bugarach.

Cette année, je récidive.  J’y crois encore, et même, je t’ai barbouillé la liste de mes cadeaux en un catalogue bien senti, que j’ai rangé par rubrique, pour que tes lutins de panurge s’y retrouvent. Avec cette bienveillance qui ne m’est pas de coutume : tu as une année entière pour me réunir tout ce bazar.  Si j’ai été sage comme une image ? Tu sais bien que non, et même, tu sais que je m’en fous. Il y a déjà bien trop d’images et d’idoles dans ce monde, et elles nous supplantent, hein Père-Noël. Voici ma liste :

Politique 

Avant toute chose, je souhaite qu’après les élections européennes et les municipales, l’expression « tirer des leçons de ces résultats » ne soit plus employée pour jeter insidieusement le déshonneur sur ceux qui n’ont pas bien voté. Mais pour tirer des leçons de ces résultats.

Culture

Je voudrais qu’Aurélie Filippetti ne pipe mot du centenaire de la mort de Péguy. Merci pour lui. Comme tu le sais, les œuvres de Günther Anders n’ont pas encore été intégralement traduites dans ma langue maternelle, qui est le français. Si tu peux veiller à ce que cela soit fait avant mars, dans une petite maison d’édition qui aurait petite mine.

Société

Pour la prochaine guerre mondiale contre l’euthanasie, qui approche. Je souhaite que le camp des gentils, qui est celui d’en face donc, ne se défende pas par un usage excessif de vidéos et de photos de vieillards agonisants, la bave au menton, les yeux vides, le sang qui coule par les oreilles etc. Ce qui serait déloyal.

Religion

Derechef, le pape François élu homme de l’année 2014 par tous les médias dominants, à une écrasante majorité. Et aussi, pour l’équilibre, que les médias dominés élisent un homme d’autant d’importance, mais moins connu ; style Michéa, Philippe Jaccottet, ou Fabrice Hadjadj.

Mon papili Noël, peux-tu faire en sorte que la nouvelle génération de catholiques, qui est bien, faut le dire,  ne se planque pas comme ses aînés dans les grandes entreprises françaises, les boites de com, de conseil, de management et tout le pataquès. Plutôt qu’elle aille faire du théâtre privé, de l’ébénisterie, de la musique et du chant, de l’enseignement voire, au pire, du journalisme.

Médias

Que Fabrice Luchini ait une émission hebdomadaire sur une grande chaine, à 20h. Le format de l’émission serait assez simple : un journaliste ; quatre heures d’antenne avec le fils spirituel de Cochet.

Et puis aussi que Gaspard Proust soit prolongé à vie. Dis, tu peux ?

 

 

 

Edouard Martin : enfin un sidérurgiste de Mittal reclassé!

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edouard martin ps

La scène se déroule dans le bureau du Général de Gaulle début juin 1968. L’Union pour la Défense de la République (UDR) vient d’être créée et c’est sous cette toute nouvelle étiquette que les gaullistes iront se présenter aux élections législatives provoquées par la dissolution de l’Assemblée nationale. Robert Poujade, le secrétaire général de l’UDR, a une idée folle. Il propose au Général d’investir Daniel Cohn-Bendit dans la circonscription parisienne qui comprend le quartier latin. « Bonne idée, Poujade ! Proposez-lui donc ! Il ne refusera pas une offre aussi tentante ! »

Cette scène est, vous l’avez deviné, complètement imaginaire. C’est pour cette raison que lors de mes deux derniers articles qui évoquaient la circonscription européenne du Grand Est, vous n’avez jamais trouvé le nom d’Edouard Martin. J’avais certes lu que le PS, comme mon Poujade imaginaire, faisait des avances à celui qui accusait François Hollande de trahison il y a encore quinze mois. Mais j’étais loin d’imaginer que le leader charismatique des ouvriers Mittal de Florange accepterait de porter la parole du parti d’un président qu’il vouait aux gémonies. En septembre 2012, il promettait à François Hollande : « Nous serons votre malheur ! », la larme à l’oeil. Mon imagination a des limites, voyez-vous. Quand la nouvelle a commencé à bruisser sur le net, j’ai pensé à cette blague de Coluche : « Un chômeur qui va voter, ça me fait penser à un crocodile qui entre dans une maroquinerie. » Là, le crocodile ouvre carrément une enseigne franchisée de maroquinerie !

On en plaisante. On ne devrait pas. Quelle image cela donne-t-il de la politique et du syndicalisme ? Le Grand Est n’a-t-il pas assez souffert pour voir les deux principaux partis français offrir comme têtes d’affiches une bateleuse recalée du suffrage universel et un syndicaliste défroqué ? Florian Philippot pouvait-il rêver plus belle concurrence, même dans ses rêves les plus fous ? Sans doute pas. Sans attendre, il a tweeté, impitoyable : «  Un parfait candidat du PS face à moi dans le grand-Est aux européennes : l’incarnation de la trahison ».

On aurait dû s’en douter. Edouard Martin est membre de la CFDT, qui a été dirigée par Nicole Notat puis François Chérèque. Et toujours garder en tête cette vieille blague cégétiste : «  Si le Pouvoir rétablissait l’esclavage, la CFDT se précipiterait pour négocier le poids des chaînes. »


L’appel d’Edouard Martin à François Hollande par ITELE

*Photo : G. VARELA/20 MINUTES/SIPA. 00652309_000028.

Karl Marx aurait-il aimé le pape François?

pape francois marxisme

À la suite de son Exhortation apostolique du 26 novembre dans laquelle le Saint-Père avait fustigé le libéralisme « qui tue », une vague de protestations et d’accusations venues des Etats-Unis l’avait soupçonné d’être marxiste, notamment à cause de sa dénonciation de la théorie dite de la « rechute favorable » laissant croire que l’alliance des pouvoirs et du marché serait forcément bénéfique pour les classes modestes, pour les pauvres (Le Figaro).

Pour mettre fin à cette polémique, le pape a accordé une interview exclusive au quotidien italien La Stampa. Il a rappelé que ses positions économiques et sa méfiance de l’argent corrupteur quand il en est fait un mauvais usage ne dérogeaient pas à ce qui avait toujours été la doctrine sociale de l’Eglise.

Au-delà de cette controverse qui est infiniment signifiante parce qu’elle vise et touche de plein fouet une personnalité atypique, généralement respectée et qu’il lui est fait reproche de penser et de contester sous l’influence d’un immense esprit pour lequel la religion était « l’opium du peuple, le coeur d’un monde sans coeur », Karl Marx, ce dialogue marque bien les difficultés d’un discours libre et honnête, d’une vision progressiste du monde et des rapports humains quand ils sont immédiatement étiquetés de révolutionnaires, de marxistes et, plus banalement, de gauche par des contradicteurs qui eux-mêmes sont enfermés dans des convictions antagonistes.

La comparaison est profane mais il me semble qu’elle est stimulante.

Sur le plan politique, il y a des idées, des concepts, des valeurs dont j’ai la faiblesse de croire qu’ils appartiennent à tous dans une sorte d’immense vivier intellectuel et social où chacun a le droit de puiser sans que sa démarche l’encaserne forcément dans un camp.

La justice sociale, par exemple, a le droit d’être à ce titre une exigence conservatrice comme la volonté de sécurité et de justice, vigoureusement incarnée, ne devrait pas être étrangère au parti du mouvement historiquement ancré à gauche.

La France, la patrie, l’armée, les frontières, l’identité nationale : autant de communautés, de signes, de repères, de socles, d’institutions que personne ne peut revendiquer comme sa seule propriété parce qu’alors ils sortiraient de l’universel pour entrer dans le champ du partisan et du sectarisme. Si le FN est apparu ces dernières années comme le dépositaire de ces notions et de ces lignes de force, c’est d’abord parce qu’elles lui ont été abandonnées au point qu’ensuite, pour que d’autres familles politiques se les réapproprient, ç’a été, c’est un travail de Titan !

Quand le pape évoque misère, pauvreté, injustice et la faillite de telle ou telle doctrine qui avait pour vocation d’éradiquer le pire de notre univers, de nos sociétés, il ne fait rien d’autre qu’un constat et développe une analyse fondée avec beaucoup de scrupule et de vigilance sur les impératifs et les injonctions de la religion.

Ce n’est pas parce que forcément, dans ses interventions qui concernent souvent les drames et les infortunes, les solitudes démunies et les violences intolérables, le pape est amené à faire référence à tout ce qui nourrit habituellement les politiques de gauche et, je l’espère, de la droite quand elle est intelligente et sensible, qu’il se définit par une quelconque idéologie. Il n’est pas plus marxiste que libéral s’il lui plaisait, lors d’une autre exhortation, de mentionner les bienfaits du libéralisme comme Marx lui-même les a soulignés.

Si on veut bien s’attacher à cette distinction, on comprendra mieux le partage à établir, à dénoncer entre, d’une part, des religieux ayant clairement choisi une faction, un parti, une lutte, la révolution, un habillage sectaire pour des exigences de justice et d’égalité et, d’autre part, des personnalités conscientes des tragédies du monde mais refusant de s’inscrire si peu que ce soit dans le champ de l’opératoire et du pragmatique pour offrir une parole universelle et une lumière pure.

Le pape n’est pas marxiste.

Si de telles absurdités surgissaient à chaque fois qu’une liberté de conscience et d’intelligence, une obsession de vérité et d’équité s’acharne à se dépouiller du contingent pour appréhender le nécessaire, a l’audace de se situer juste à la frontière entre l’humain dans toutes ses manifestations et l’idéologique avec tous ses risques, plus rien ne serait à espérer. Il n’y aurait plus personne pour battre en brèche les accommodements, les compromis, les approximations. Plus personne pour déplorer, pour exalter.

Pour dire ce qui est et ce qui doit être dit.

Que les camps et les partisans en prennent possession après, c’est leur problème.

Le pape François n’est pas marxiste parce qu’il a effrayé quelques Américains. L’intolérable de Marx est la terreur communiste qui s’est recommandée de lui.

Le pape François n’est pas marxiste certes mais il n’est pas iconoclaste de supposer que Karl Marx, s’il l’avait connu, l’aurait aimé.

La religion, alors, pour lui : l’opium du pape.

*Photo : UNIMEDIA/SIPA. 00666635_000009.

Nouveau clergé, nouveaux bûchers

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Naturellement, il y a un parfum de cynisme libéral dans le Manifeste des 343 salauds. À lire ces lignes, on entend : laissez-nous décider souverainement de notre comportement moral, notre corps nous appartient, ma liberté s’arrête où commence celle des autres, si la personne d’en face est consentante tout est permis, et que le diable emporte les moralistes ! Plus encore, on entend : nous sommes des hommes (au sens du masculin), il faut donc nous laisser assouvir nos besoins sexuels irrépressibles, après tout les femmes sont faites pour ça et la prostitution, ça sert à ça ! En réalité, ce ton violent recèle la violence de l’ironie.

L’orthodoxie régnante finit par être si ridicule qu’elle ne mérite que le sarcasme. Nous n’en pouvons plus de subir ces professeurs de vertu qui, sur un ton inspiré, nous dictent sans cesse notre conduite. Et qui viennent traiter de tous les noms ceux qui n’obéissent pas à leurs diktats.

Cette moralisation permanente de tous nos comportements est tombée des mains du clergé pour apparaître entre les mains de ce nouveau clergé : l’engeance bobo.[access capability= »lire_inedits »] Ce sont des gens qui ont passé leur existence à vilipender  l’ordre moral des religions, pour recréer aussitôt un ordre moral constitué par eux-mêmes et maintenu avec une intransigeance inquisitoriale. Au fond, ce qu’ils refusaient, ce n’était pas l’ordre moral, c’était le fait de n’en être pas les maîtres.

Comment définir cette vulgate du nouvel ordre moral ? C’est d’abord un égalitarisme forcené au point de récuser les différences, considérées comme des discriminations. C’est ensuite un profond matérialisme, qui n’accorde d’importance qu’aux biens comptables et à la biologie, jamais aux biens de l’esprit – fumer est un crime, mais laisser les enfants contempler des dizaines de crimes par jour à la TV n’en est pas un. Enfin c’est une idéologie de l’apostat, au sens où tout ce qui peut contredire la morale précédente est légitime. Fumer est un crime, mais on s’indigne que la loi n’ait pas encore légalisé les drogues douces. Le contenu de la nouvelle morale importe cependant peu au regard de l’essentiel : le fait qu’un ordre moral se soit installé sans crier gare, dans le paysage même des Lumières légitimées.

Nos professeurs de vertu sont si ridicules avec leurs grands airs outrés, qu’on a envie en les écoutant de pleurer de rire. Il suffit de regarder les réponses au Manifeste sur le Net, ces cris de saintes-nitouches. Ce sont des gens qu’on ne peut traiter que par la dérision et la raillerie : ils sont grotesques. On ne discute pas avec la fausse vertu. Et il s’agit bien de fausse vertu, plutôt en réalité une idéologie – un discours bien rodé et servant des buts bien précis quoique dissimulés.

Avec cette affaire de bordels, nous nous situons encore une fois dans l’atmosphère de pression égalitaire et émancipatrice bien visible à tout propos au sein de nos sociétés. Il faut éliminer définitivement le machisme, et la prostitution en est l’une des expressions. Pour garantir et certifier cette évolution censée nous faire sortir d’une histoire mauvaise et à jeter, il faut tordre, briser, écraser, injurier les anciens comportements. C’est pourquoi le Manifeste indigne nos bobos jusqu’à la colère noire : les signataires ne sont pas seulement de pauvres réacs qui n’ont pas encore compris l’évolution, mais bien pire, des citoyens qui refusent brutalement l’Orthodoxie et même –ô parjure – s’en moquent. Si la cléricature bobo pouvait les tuer directement, elle le ferait sans doute avec bonheur.

Je dirais que ces inquisiteurs nous entraînent vers une situation de guerre civile. Si tant de gens nous signalent qu’ils vont finir par voter Le Pen, c’est pour faire aller si loin la dérision que l’Inquisition nous laissera tranquilles.

Au fond, ce que réclament les signataires du Manifeste derrière la façade provocatrice, c’est de n’être pas considérés comme des enfants, et ils le disent à la fin. Ce que les Lumières réclamaient (il suffit de lire le texte de Kant), c’est que la cléricature religieuse cesse de considérer les citoyens comme des enfants immatures auxquels il faudrait en permanence dicter leur conduite. L’État impose les lois, mais confondre les lois et la morale, c’est totalitaire. Lénine, dont nos bobos sont les héritiers, n’avait rien fait d’autre.

Et les gouvernements scandinaves, qui régentent à un cheveu près la vie morale de leurs citoyens, règnent sur des sociétés stérilisées et décervelées. La nouvelle cléricature bobo prétend nous dicter nos conduites comme à des enfants. En cela, elle retourne à la société pré-moderne qu’elle récuse. Raillerie, persiflage, brocard, dérision. Comme elle est sûre d’avoir raison ![/access]

*Photo : GIRAUD FLORE/SIPA. 00654197_000003.

Ukraine : Osez le Klitschko !

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Chez nous, le courageux Jean Lassalle vient d’achever son tour de France pedibus, à la rencontre de ses concitoyens, pour tâter l’atmosphère, humer les effluves de révolte et finalement s’inquiéter d’un désastre qui gronde.

De l’autre côté des Alpes, on brandit des fourches virtuelles comme jadis le mouvement paysan de Dorgères , dans l’indifférence générale au-delà des Alpes, et réclamant, -tiens comme c’est curieux- que cessent les pressions fiscales et que les pourris (entendez les politiciens) s’en aillent au diable (j’espère que comme moi, vous vous repassez en boucle cette vidéo des policiers enlevant leur casque pour rejoindre la foule).


Les policiers enlèvent leur casque et… par Spi0n

Bref, les populismes aussi divers que les pays font entendre leurs voix ; de l’Ukraine actuellement pacifiquement insurgée contre son président trop inféodé au grand frère (ennemi) russe nous vient une figure originale, façonnée au propre comme au figuré par les coups reçus, mais dans la pratique du noble art de la boxe. J’ai nommé Vitali Klitschko, l’un des leaders les plus populaires de l’opposition et pour cause : c’est un ancien champion et le peuple, généralement, aime ses champions. Abondamment relayé par les médias allemands, c’est au pays de Goethe et des Eros Center qu’il fit carrière, lui qui naquit au Kirghizstan d’un père aviateur, alors que son petit frère Wladimir (1.95m seulement contre 2m.02 pour le grand frère) naquit au Kazakhstan : de vrais enfants de la défunte Union Soviétique !

Vitali parle couramment l’idiome d’Angela quoiqu’avec un accent qui rappellerait légèrement celui de Francis Blanche. Ajoutons que l’actuel satrape Ianoukovitch lui met, si j’ose dire, des bâtons dans les roues, arguant qu’il n’est pas Ukrainien de « souche ».

Une jolie Ukrainienne me parle aujourd’hui de son pays et de Vitali, son héros. Elle est blonde évidemment et souriante comme peu de mes compatriotes savent encore l’être. Il y a un espoir à l’Est, prenons-en de la graine et osons le Klitschko…

L’intégration ne passera pas par la repentance

integration immigration taubira

L’actualité remet le couvert sur le discours de Chirac de juillet 1995 reconnaissant les crimes de Vichy contre les Juifs.

D’une part, le documentaire consacré à Pétain sur France 2 présente cette reconnaissance comme une réponse à une demande de la communauté juive.

Ce qui n’est pas le cas.

D’autre part, ce discours est invoqué dans tous les débats sur l’intégration comme exemple à suivre, un exemple de repentance de la France envers les descendants de l’esclavage et de la colonisation.

Une mise au point s’impose sur ce deux plans.

La demande de reconnaissance des crimes de l’État français de Vichy n’est pas venue de la communauté juive en 1995, comme le donne à penser le documentaire consacré à Pétain, excellent par ailleurs.

En juin 1992, parut dans Le Monde un appel du comité Vel’ d’Hiv’ 42 composé de 11 citoyens français juifs et non-juifs, qui demandait au président Mitterand de reconnaître officiellement les crimes de l’État français de Vichy contre les Juifs de France à l’occasion du cinquantième anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv’.

Le Monde publiait en même temps les noms de deux cents personnalités intellectuelles et artistiques qui soutenaient l’appel de ce comité.

Le 14 juillet 1992, dans l’interview qu’on voit dans le documentaire, Paul Amar demanda à Mitterrand s’il comptait répondre à cet appel. Son refus déclencha une vaste polémique dans tous les médias, qui contribua aux huées qui accueillirent Mitterrand quand il se résigna à venir à la cérémonie de commémoration du Vel’ d’Hiv’, mais sans y prendre la parole.

La demande de reconnaissance officielle formulée d’une façon très précise par le Comité Vel’ d’Hiv’ 42 n’était pas une demande de repentance, mais de vérité. L’important était que la vérité déjà établie par les historiens soit proclamée officiellement au nom de la France, pour devenir la mémoire commune de tous les Français. La reconnaissance officielle de la vérité historique est la condition d’une mémoire partagée. C’est ce que le discours de Chirac a parfaitement accompli, d’un seul coup.

Tel est également le seul usage légitime de ce discours : que la vérité historique ne soit l’objet d’un non dit officiel, qu’elle soit officiellement reconnue.

Car de même qu’il y a en France des Juifs français dont les parents ont vécu  cette période, il y a en France des Français ayant des ascendants Arabes et Noirs issus de pays hier colonisés et en particulier de parents ayant connu la guerre d’Algérie.

S’il existait un non-dit officiel sur ce passé colonial, comme c’était le cas avant 1995 en ce qui concerne la responsabilité de l‘État français de Vichy, il faudrait impérativement supprimer officiellement ce non-dit officiel. Et si ce non dit officiel était avéré, et si la vérité restait à reconnaître officiellement, il faudrait encore qu’elle ne soit pas tronquée, réduite à nos seules fautes, en raison de la mauvaise conscience de l’ex-colonisateur. Il faudrait aussi que la vérité sur les aspects négatifs de la colonisation et de la décolonisation soit reconnue toute, par la France et par les pays hier colonisés. Dans la guerre et l’après-guerre d’Algérie, la France n’a pas eu le monopole des crimes.

De même pour l’esclavage. Les Européens n’en ont pas eu le monopole.

Le discours prononcé par Chirac en 1995 ne doit pas servir à nourrir la demande de repentance et le ressentiment au détriment de la vérité.

 

*Photo : LEMOUTON-POOL/SIPA. 00641069_000014.

De la culture des navets en général

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À l’instigation de mes élèves, à qui l’on avait absolument recommandé, pour des raisons pédagogiques, d’aller voir la Vie d’Adèle, j’ai donc visionné le film d’Abdellatif Kechiche. Palme d’or du dernier Festival de Cannes.

170 mn. C’est long. C’est très long. C’est même interminable.
Ça ne l’est pas quand il s’agit du Guépard (205mn — Palme d’or 1963), d’Apocalypse now ou du Tambour (respectivement 221 et 162 mn, Palmes ex-aequo 1979). Mais n’est pas utilement long qui veut…

C’est un film de cul (si, si, et ceux qui vous disent qu’il s’agit d’un documentaire sur les valeurs gustatives de l’huître et des spaghetti bolognaise mentent — j’y reviendrai).
Ce ne serait pas grave s’il s’agissait de Blow up (Palme d’or 1967), de All that jazz (ah, le chef d’œuvre de Bob Fosse, primé en 1980) ou de la Leçon de piano (1993), trois films qui savent ce que baiser veut dire, et qui le disent bien.
C’est un film « social », avec toutes les caractéristiques techniques — pseudo-réalisme, caméra portée, jeu approximatif de tous les seconds rôles — du genre.
Ça ne me gênerait pas si La Vie d’Adèle avait, dans le genre social, la force de l’Affaire Mattei (1972) ou de l’Homme de fer (Wajda, 1981).
Mais depuis qu’il a primé Entre les murs, dont j’ai eu l’occasion de dire ici même tout le bien que j’en pensais, le Festival de Cannes n’est plus une référence.
Ou il est comme le pédagogisme : une boussole qui indique constamment le Sud.

La Vie d’Adèle un film fait par un Franco-Tunisien. Ça ne devrait avoir aucune importance — nous avons tous salué en son temps la Palme donnée à Chronique des années de braise, de Lakhdar-Hamina. Mais dans les éloges forcés accordés par une certaine presse bien-pensante, j’entends rugir le politiquement correct. Je l’entends même dans le silence médiatique sur le conflit entre Kechiche et la CGT du Spectacle — le metteur en scène ayant accablé l’équipe technique sous les heures sup non payées, dans un milieu où l’exploitation est pourtant la règle. Je l’entends aussi dans le silence gêné qui a accompagné les révélations des deux actrices principales sur le harcèlement auquel les a soumises le génie de Tunis. Ce ne sont pas toutes les jeunes femmes qui disent qu’elles se sont senties souillées comme des prostituées…

C’est une Palme de discrimination positive, je ne vois pas d’autre explication.
Kechiche d’ailleurs, ardemment soutenu par la pensée unique telle qu’elle s’exprime sur Rue89, enthousiaste dès la première heure (ont-ils regardé les deux suivantes ?), n’admet pas, en autocrate qu’il est apparemment, et en paranoïaque affirmé, la moindre contestation. Le Huffington Post s’est amusé des emballements hargneux de cet autocrate au petit pied. Franchement, invoquer la lutte des classes pour justifier sa violence, ce serait comique si ça ne témoignait pas d’une distorsion gravissime des valeurs. Un réalisateur peut-il tout se permettre, dès lors qu’il est franco-tunisien ? N’est pas Maurice Pialat qui veut…

La lutte des classes, parlons-en. Eliminons d’abord ce qui a fait polémique auprès de la presse bien-pensante : La Vie d’Adèle n’est pas un film lesbien — mais alors, pas du tout. C’est une suite de scènes d’échanges lesbiens jouées par deux hétérosexuelles et filmées par un Grand Mâle Dominant — autant aller sur des sites pornos spécialisés : « Pushing her tongue deep inside », sur RedTube, cela vous a une autre gueule que La Vie d’Adèle. Pour un hétéro.

Le choix d’une prise de vue constamment extérieure aux personnages est d’ailleurs révélateur du voyeurisme touche-pipi de Kechiche et de ceux qui l’encensent.
Les lesbiennes que je connais se sont étonnées de la très très longue séquence de kamasutra lesbien dès le premier contact (alors que ce qui précédait, les émois, les reculades, les effleurements, n’était pas dépourvu d’intérêt). L’absence d’hésitation. La récitation, en quelque sorte, d’exercices gymnastiques. L’amour se réduit-il à une feuille de rose ?

Ajoutez à cela que si vous imaginez un couple d’hétéros à la place des deux héroïnes, le film se révèle être ce qu’il est : un entassement sans intérêt de scènes plus ou moins hard, L’Amant en pire. Et je ne croyais pas possible de faire pire que L’Amant.

Sans compter que le réalisateur croit compenser la pornographie (au sens propre) du film par un romantisme de bazar — Adèle contemplant le soleil à travers les feuilles des arbres, cela rappelle furieusement Emma (Bovary…) trouvant dans le même plan un prétexte pour coucher avec Rodolphe dans la campagne humide… Sauf que Flaubert y mettait une ironie sauvage, montrait justement comment on succombe à un cliché — et que le film de Kechiche est bourré de clichés insérés là pour faire joli. Ou parce qu’il y croit.
Le « joli » est d’ailleurs la caractéristique de ce film pour bobos et midinettes. Elles sont mignonnes, elles n’ont pas un poil de cellulite, elles ont la perfection que confèrent automatiquement les clairs-obscurs, bref, c’est l’érotisme du papier glacé. Rien de vraiment charnel là-dedans.
Reste l’aspect « social ». Emma aime les huîtres (elle insiste lourdement pour bien nous faire comprendre ce qu’elle y boit, au point que le spectateur se demande quelle pudeur soudaine a empêché Kechiche de lui faire aimer les moules) et Adèle les spaghettis bolognaise — oui, et alors ? La lutte des classes réduite à un conflit gastronomique, ça me semble un peu court. On pouvait mieux attendre d’un film situé dans le Nord de la France, dans des zones sans emploi ni espérance — mais nous n’en saurons rien : la géographie, ici, est purement décorative.

C’est cet aspect, paraît-il, qui a incité un prof de Sciences Economiques et Sociales de mes connaissances à conseiller (imposer serait presque plus juste) le film à ses élèves. C’est de la sociologie comme certains en font aujourd’hui : un exemple, tirez-en les conclusions générales. À ce niveau, n’importe qui est sociologue.

Pour bien faire « social » (mais n’est pas Ken Loach qui veut), Kechiche filme avec la caméra sur l’épaule — un truc déjà utilisé dans l’Esquive, et qui donne mal au cœur en trois minutes. Comme dans l’Esquive, où des adolescents inaudibles ânonnaient le Jeu de l’amour et du hasard, ça commence par du Marivaux — quinze lignes de La Vie de Marianne, le seul moment réellement glamour du film. Pour tenir le choc, encore aurait-il fallu que le reste du dialogue fût à la hauteur. Mais bon, n’est pas Michel Deville qui veut : revoyez donc Raphaël ou le débauché, ça vous rafraîchira l’haleine et les tympans après La Vie d’Adèle.
Ne soyons pas absolument négatif : un vrai metteur en scène tirera le meilleur d’Adèle Exarchopoulos, qui a du talent. Mais un vrai producteur ne fera rien avec Abdellatif Kechiche, qui croit avoir du talent. Comme le résumait assez bien Le Figaro, il lui a manqué un Selznick (le producteur d’Autant en emporte le vent) pour l’obliger à tenir le cap, et à couper une heure et demie de son film.

Quant aux Sciences sociales… Ma foi, pour ce qui est de la lutte des classes, autant retourner voir la Part des anges, qui est un vrai film — où le whisky hors d’âge est un marqueur bien plus évident que les spaghettis bolognaise. Pour les amours lesbiennes, autant en revenir à Mulholland Drive, où les corps font sens. Pour le réalisme social, autant revoir À nos amours, où Pialat découvrait pour nous Sandrine Bonnaire. Et pour les chroniques saignantes sur le Nord de la France, voir L’humanité, de Bruno Dumont — Grand Prix à Cannes en 1999, l’année où avait triomphé Rosetta, autre vrai film social comme on les aime.

Peut-être pourrait-on insérer un petit cours de cinéma dans la formation des profs de SES ? Mais je ne veux pas les mettre tous dans le même sac : il en est qui ne s’aventureraient pas à proposer un film nul en exemple à des élèves qui ne lui ont rien fait. Mais il en est d’autres, les pauvres, qui s’enthousiasment sur trois fois rien. Défaut de culture ? Mais qu’ils poussent des élèves à partager leurs enthousiasmes adolescents, cela ne s’apparente-t-il pas à de la manipulation ?

 

Au poteau, les salauds!

343 salauds feminisme

Parfois, chez Causeur, on est un peu poseur. C’est ce que m’a d’abord inspiré votre opération « 343 salauds », jusqu’à ce que je réalise qu’elle vous avait fait tomber le ciel sur la tête. N’étant pas amateur d’amours tarifées, je ne m’intéressais guère à ce qui me paraissait une espèce d’improvisation d’après-dîner, à l’heure du cognac. On discute en s’échauffant (ou l’inverse), on s’excite en rigolant, on écrit sur la nappe un manifeste « à la manière de », chipant la sémantique libertaire pour faire la nique à Libé et au Nouvel Obs, et pour finir on trouve archi-génial (avec un digestif dans le pif) un slogan comme « Touche pas à ma pute ». Pourquoi pas ?

Et voilà qu’on se retrouve sur un champ de bataille avec des balles qui sifflent de tous côtés. Pourtant, l’ex-chanteur et ex-lunettier Antoine, initiateur d’une pétition parfaitement identique sur le fond, ne ramasse pas le moindre Scud. Le problème, c’était la forme, trop vulgaire paraît-il, et plus encore les auteurs, non homologués comme provocateurs. Les libertaires se sont vexés. La rébellion, c’est leur chasse gardée depuis quarante-cinq ans. Ils ont vieilli et les vieux, voyez-vous, n’aiment pas qu’on change leurs habitudes. Or, au lieu de se faire courser par les juges et les flics, ce sont eux qui, devenus dominants, les lancent aux trousses des nouveaux chenapans. La honte. Et que cette leçon soit administrée sur le mode rigolard par des réacs-fachos-omniphobes, encore plus la honte.[access capability= »lire_inedits »]

Bref, si vous cherchiez la publicité, à Causeur, vous l’avez eue. Vous avez fait chauffer le braillomètre au rouge. Et comme si on avait voulu vous prouver que vous étiez des bouffons en matière de vulgarité de préau, on vous a traités de « connards ». Les vieux enfants sont des tyrans. Ils ne combattent pas des idées par d’autres idées, ils insultent et menacent. Épouvantés, deux salauds se sont « repentis », comme l’affiche triomphalement un site délateur, barrant leurs noms d’un rouge de honte.

Et puis la farce est devenue sinistre. En voyant, sur ce site, ces photos alignées comme au banc d’infamie et ces bandeaux rouges, en découvrant cet appel à la vindicte et au harcèlement, j’ai eu froid dans le dos. Certes, cette violence n’est pas physique, mais elle s’exerce contre des personnes, et ce n’est pas du tout bon signe dans un pays démocratique.

Pis encore, les concepteurs du site prétendent, avec une sidérante hypocrisie, qu’ils peuvent « appeler connards ceux qui se sont eux-mêmes érigés en “ salauds ” sans pour autant faire appel à la haine ». Désolé, mais c’est de la haine, ni plus ni moins. Ah oui, j’oubliais que la haine est le monopole du Front national. Les grandes consciences du Progrès ne sauraient haïr, puisqu’elles défendent ce qui est juste.

Qu’une telle initiative, d’inspiration totalitaire, n’émeuve personne, que les pouvoirs publics s’y montrent indifférents a de quoi inquiéter. N’est-ce pas là une vraie dérive, pire que les « dérapages » traqués sans relâche par les porte-voix du « politiquement correct » échauffés par leur ivresse inquisitoriale ? Ils réclament l’indulgence pour les propos haineux de rappeurs, mais les signataires du « Manifeste des 343 salauds », dont on ne sache pas qu’ils aient cautionné la moindre atteinte aux droits humains, doivent être dûment dénoncés et sanctionnés : ils ont « dérapé ». Et le camp du Progrès ne rigole pas avec les dérapeurs. Il mène une guerre sainte, les amis. Comme l’armée américaine en Irak, il utilise la tactique « Choc et effroi » : écraser l’adversaire sous un déluge de feu (en l’occurrence, d’imprécations et de menaces), dominer le champ de bataille (ici, les médias), multiplier les démonstrations de force pour paralyser l’ennemi et anéantir chez lui toute volonté de combattre.

L’empoignade emblématique de l’année 2013, autour de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, a illustré de façon paroxystique le recours à cette tactique guerrière dans le débat public. En plaçant le « mariage pour tous » sous le signe de la lutte contre l’homophobie, les promoteurs du texte ont transformé d’emblée la légitime controverse entre partisans et opposants en combat sans merci entre les bons et les méchants. Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai pris position, dans un article de Causeur, contre le projet de loi, avant de changer d’avis plusieurs semaines plus tard, parce que ma réflexion avait évolué.

Naïf que j’étais ! La violence des réactions m’a donné l’impression d’être un chat dans le tambour d’une machine à laver. Doublement traître, à une faction puis à l’autre, j’étais impardonnable. Il se trouve que, dans mon entourage, certains étaient contre le « mariage pour tous » et d’autres plutôt pour. En fin de compte, ce ne sont pas les commentaires énervés, voire hystériques, des lecteurs, qui m’ont le plus fait mal, mais la violence du cadrage idéologique au nom duquel on me sommait de renier une partie de mes proches – en l’occurrence les « anti-mariage gay ».

J’ai failli céder, avant de me ressaisir et de me rappeler ce que je savais : ce ne sont pas des salauds. Pour revenir à l’actualité, j’ai du mal à imaginer que Causeur n’ait pas prévu la dégelée qu’allait susciter le manifeste litigieux, qui refuse la logique binaire du bien et du mal. Les mécanismes à l’oeuvre dans cette affaire ont pourtant été analysés par une certaine Élisabeth Lévy, d’abord dans Les Maîtres censeurs, puis dans Notre métier a mal tourné, essai critique sur sa profession, écrit avec Philippe Cohen. (À l’intention des professionnels du soupçon, je n’ai aucun intérêt financier dans Causeur ni dans les maisons où ont paru ces deux ouvrages.)

La méthode de verrouillage est désormais bien rodée et interdit, dans la logosphère médiatique, tout débat digne de ce nom. Il faut faire preuve de courage pour émerger de la bouillabaisse politiquement correcte, car la peur est perceptible partout, même si elle ne s’avoue jamais. Peur de voir sa réputation ruinée, de perdre toute audience du jour au lendemain, d’être harcelé par des persécuteurs, voire traîné devant les tribunaux. Le public sent cette peur, ce couvercle de plomb, qui n’étouffe pas seulement la discussion politique, mais aussi la vie intellectuelle et le divertissement. Du jour au lendemain, n’importe qui, connu ou pas, et dans n’importe quel domaine, peut être cloué au pilori. Une personnalité politique. Un acteur. Un journaliste. Un historien. Vous, moi. Ce réprouvé subira les formes modernes du déshonneur : la ringardisation et la disqualification, le concert de ricanements qui, en France, ont remplacé l’humour.

Pendant ce temps, on s’obstine à chercher les racines de la crise française du côté de l’économie, du vivre-ensemble, sans oublier le climat rendu « délétère » par l’éternel retour de la Bête immonde. Mais sur les pratiques qui tétanisent le débat politique et médiatique, sur l’intimidation qui décourage toute velléité de divergence, pas un mot. Ces méthodes expliquent pourtant la difficulté de plus en plus grande des Français à échanger de façon policée dans l’espace commun – la politesse étant étymologiquement l’art de se conduire dans la Cité. En réalité, cette façon de les diviser arbitrairement entre vainqueurs et vaincus, modernes et ringards, salauds et héros, révolte nos compatriotes autant que l’injustice fiscale. La scène publique offre ainsi un spectacle brutal où l’agressivité, la vulgarité du langage, l’intimidation tuent ce qui fut si français : la recherche d’une vérité commune. Le siècle des Lumières l’appelait conversation et les salons célébraient celles et ceux qui y excellaient. Notre siècle, avec véhémence, promeut surtout des enragés (et peut-être plus encore des enragées) de l’interdit. Est-cela, vraiment, que nos brillants ancêtres appelaient Progrès ?[/access]

Oh, comme ils sont malins, au PS !

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integration ps laicite

integration ps laicite

Il a suffi d’un rapport de plus pour que la France s’enflamme. Autoriser le voile à l’école — quelques lignes dans un gros rapport qui cumule réflexions sociologiques élémentaires et provocations concertées —, en voilà une idée qu’elle est bonne ! Elle a permis à Jean-François Copé de se couvrir de ridicule une fois de plus en entonnant, la mine grave, la complainte lyrico-tragique de l’homme d’Etat malmené dans sa République à lui… Ce doit être dur, quand même, en ce moment, d’être à l’UMP et de rester lucide !
Les forums se sont enflammés — particulièrement les forums d’enseignants, où les islamistes font ces derniers temps un entrisme remarqué. Ledit rapport a immédiatement permis quelques petits pas de plus — les Musulmanes portent le voile comme elles portent un soutien-gorge, « c’est leur choix ». Ben voyons !

Ayrault a laissé porter, pendant quelques heures — comme on dit à la roulette. Puis il a démenti du bout des lèvres toute modification de la loi de 2004.
Cette focalisation sur le voile (dans un rapport qui contient des propositions bien autrement inquiétantes, comme la reconnaissance de l’héritage arabo-musulman de la France ou le délit de harcèlement racial — est-ce que ça marcherait dans les deux sens, à propos ? Est-ce que ce surveillant de collège — à Boulogne-Billancourt — qui avouait récemment sur Twitter qu’il sanctionnait préférentiellement les petits Blancs — les babtous, pour ceux qui ne savent pas — tomberait sous le coup de la loi ?) appartient, si je puis dire, à l’esthétique de la corrida : on agite un chiffon, et aussi sec les taureaux se déchaînent.

Une seule chose est évidente, dans la publicité faite à ce bout de papier destiné à rejoindre dans un tiroir bien d’autres bouts de papier : il s’en donne du mal, le PS, pour faire monter le FN ! Il sait bien qu’il a énervé tant de monde, dans ce pays, à force de politiques idiotes et de décisions imbéciles, que sa seule chance (croit-il) d’échapper à la raclée en 2017 est d’imposer un 2002 à l’envers, en éliminant l’UMP. Stratégie mitterrandienne poussée à sa limite : le Vieux avait réinventé le FN à partir de 2004, en suggérant fortement à la télévision d’Etat d’inviter Jean-Marie Le Pen à une émission de grande écoute (L’Heure de vérité du 16 octobre 1985). Il en avait besoin pour gagner en 1988.
Il s’agissait à l’époque d’inventer en France une structure tripartite. Il s‘agit aujourd’hui d’éliminer la Droite classique (qui le mérite bien, à vrai dire, vu le niveau de ses grands leaders), en espérant que les Français encore un peu démocrates préféreront voter quand même PS plutôt que de se lancer dans des aventures politiques incertaines.

Calcul quelque peu risqué : la Droite classique, à part peut-être un quarteron de centristes chrétiens, ne votera jamais PS, et une bonne partie de la vraie Gauche ne votera plus jamais PS. Combien d’ouvriers licenciés dans des plans d’urgence — l’urgence étant essentiellement de servir aux actionnaires des dividendes confortables —, combien de demi-cadres appartenant à des classes de plus en plus moyennes, ou d’enseignants même écœurés par des décisions absurdement idéologiques, combien de tous ces gens-là ne voteront plus pour le PS ? Et même, dans certains cas, se lanceront dans des aventures électorales inédites, rien que pour voir — et pour infliger une leçon à tous ces nantis de la politique qui plastronnent sur notre dos depuis des décennies, et agitent leurs petits bras d’impuissants en clamant haut et fort « L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! » ?

Je ne m’alarme donc pas outre mesure du « rapport » qui préconise que l’on ne parle plus désormais d’intégration, mais de différences, de juxtaposition, de puzzle culturel, de politique à la suédoise (ça leur a rapporté quoi, à ces scandinaves dont les banlieues brûlent, de juxtaposer Vikings et gens du Sud ? Il y a bien eu un art arabo-normand — mais en Sicile, et au XIIIème siècle). Non : mais je m’inquiète de cette tentation du parti au pouvoir de jouer au billard indirect, de viser apparemment une bille pour en envoyer une autre dans le trou. Tout ce qui, aujourd’hui, renforce le FN le renforce en effet, au détriment de tous les autres. Quant à l’idée que la France ne laissera pas les bleus Marine prendre le pouvoir, c’est une plaisanterie, ou une billevesée : la conjuration des imbéciles a de beaux jours devant elle.

PS : Le Comité Laïcité République, qui est à la laïcité ce que la Vulgate est à la Bible, s’est fendu d’un communiqué qui dit l’essentiel et le reste. De même Catherine Kintzler, qui pour une fois est sortie du ton modéré qui est ordinairement le sien : le PS ne passera plus par elle non plus…

 *Photo : LCHAM/SIPA . 00655818_000026.

«La prostitution sera plus clandestine»

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prostitution vallaud belkacem

prostitution vallaud belkacem

Causeur. Comment avez-vous débuté ?

Emmanuelle. J’avais 23 ans quand mon mari est décédé. J’ai dû trouver un emploi. Mais je n’étais pas trop mal faite et, très vite, j’ai été victime de harcèlement. J’ai dit « Stop ! » et je suis partie. J’avais 400 francs pour survivre.
J’habitais le 9e arrondissement de Paris et je passais régulièrement devant un hôtel dont j’avais appris qu’il recevait des jeunes femmes. J’y suis entrée, j’ai fait la connaissance de Rosette, une femme adorable qui m’a beaucoup aidée, appris à ne pas être idiote. Puis les hôtels ont fermé et, comme mes copines, j’ai trouvé un studio. J’avais des horaires de bureau, je vivais comme tout le monde. Je n’étais pas malheureuse et je n’ai jamais connu ni le proxénétisme, ni les camions, ni le bois. J’ai rencontré un client qui m’a sortie de là au bon moment : je m’étais juré qu’à 40 ans, j’arrêterais. Avec ou sans proxénète, la femme qui veut s’en sortir le peut si elle en a la volonté et le courage.

La proposition de loi visant à sanctionner les clients de prostituées, déposée par deux députées PS, est examinée en ce moment par les députés. Qu’en pensez-vous ?
Cette loi va contre le bon sens ![access capability= »lire_inedits »] Pénaliser les clients, c’est déplacer le problème. Très vite sera trouvé un système qui contournera les nouvelles contraintes, et les prostituées n’y gagneront pas au change : le travail sera davantage clandestin. Derrière la pénalisation du client se cache surtout l’intention de supprimer la prostitution.

Et vous pensez qu’elle est un mal nécessaire, voire nécessaire tout court ?
Je ne sais pas, mais on peut lutter contre certains abus. Ce n’est pas ce qu’on a fait en obligeant les hôtels de passe à fermer. Les prostituées qui en avaient les moyens ont acheté des studios, devenant proxénètes à leur tour en les louant à des consœurs contre de forts loyers. Puis on a fermé les studios : elles exercent aujourd’hui dans des camions, dans des conditions épouvantables. Malgré tout, elles tentent de rester dignes : croyez-moi, leur hygiène est impeccable et elles sont très bien organisées.

Selon le gouvernement, 80 % à 90 % des prostituées en France sont victimes des proxénètes et des réseaux…

C’est faux ! Il y en a, mais ce n’est pas la majorité. Mme Vallaud-Belkacem croit-elle les sortir de la prostitution en leur assurant le RSA ? Elles prendront leur RSA et continueront de se prostituer. Une grande partie des « officielles » ont entre 45 et 65 ans. Après avoir passé le plus gros de leur vie professionnelle à se prostituer, elles n’ont ni l’envie ni les moyens de se réorienter et de gagner 900 euros par mois. La seule manière d’éradiquer la prostitution forcée, c’est d’augmenter le nombre de policiers sur le terrain pour protéger les personnes les plus fragiles contre les proxénètes. Cependant, la plus grande partie des prostituées travaille librement, paye des impôts, et n’est pas une charge pour l’État.

Certains partisans de cette loi affirment que la prostitution est contrainte par définition : quand il y a échange d’argent, il ne peut y avoir consentement.

Je ne suis pas d’accord. Le client paie pour un service rendu, comme chez un médecin ou un dentiste. Il s’agit de deux personnes consentantes. C’est un contrat comme un autre. Ce n’est pas en faisant de grands discours qu’on arrangera les problèmes.

Comment alors?
Par exemple, quand on a demandé aux prostituées du bois de Vincennes de respecter des jours et des heures de travail précis, elles ont accepté ! Après une discussion directe, elles se sont pliées aux règles.

Quelle est votre expérience personnelle vis-à-vis des clients ?
Le client typique est un Français lambda qui a des besoins sexuels, envie de passer un moment avec une femme. Ce n’est pas l’image qu’on s’en fait en écoutant les médias. Et maintenant, on va s’attaquer essentiellement aux clients les plus pauvres. Les PDG, les politiques, les émirs qui iront dans les palaces, croyez-vous qu’on va les pénaliser ?[/access]

 

*Photo : SERGE POUZET/SIPA. 00671086_000013.

Ma lettre au Père Noël

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Cher Père Noël,

Il y a un an, je t’avais demandé de repousser la fin du monde. T’en souvient-il, vieux débris ? J’escomptais  devenir un peu meilleur dans un monde pire, et pour cela, il me fallait gratter du temps de partie supplémentaire. Quelle déconvenue, papinou, cela n’a pas du tout marché !  Nib ! J’ai creusé mon découvert, acheté l’album des Daft Punk, sifflé des CRS esplanade des Invalides et même signé le manifeste des 343 salauds. C’est dire à quel point je me suis taillé une âme de damné. L’aurait mieux valu pour moi crever sous le fameux vrombissement du ciel promis à Bugarach.

Cette année, je récidive.  J’y crois encore, et même, je t’ai barbouillé la liste de mes cadeaux en un catalogue bien senti, que j’ai rangé par rubrique, pour que tes lutins de panurge s’y retrouvent. Avec cette bienveillance qui ne m’est pas de coutume : tu as une année entière pour me réunir tout ce bazar.  Si j’ai été sage comme une image ? Tu sais bien que non, et même, tu sais que je m’en fous. Il y a déjà bien trop d’images et d’idoles dans ce monde, et elles nous supplantent, hein Père-Noël. Voici ma liste :

Politique 

Avant toute chose, je souhaite qu’après les élections européennes et les municipales, l’expression « tirer des leçons de ces résultats » ne soit plus employée pour jeter insidieusement le déshonneur sur ceux qui n’ont pas bien voté. Mais pour tirer des leçons de ces résultats.

Culture

Je voudrais qu’Aurélie Filippetti ne pipe mot du centenaire de la mort de Péguy. Merci pour lui. Comme tu le sais, les œuvres de Günther Anders n’ont pas encore été intégralement traduites dans ma langue maternelle, qui est le français. Si tu peux veiller à ce que cela soit fait avant mars, dans une petite maison d’édition qui aurait petite mine.

Société

Pour la prochaine guerre mondiale contre l’euthanasie, qui approche. Je souhaite que le camp des gentils, qui est celui d’en face donc, ne se défende pas par un usage excessif de vidéos et de photos de vieillards agonisants, la bave au menton, les yeux vides, le sang qui coule par les oreilles etc. Ce qui serait déloyal.

Religion

Derechef, le pape François élu homme de l’année 2014 par tous les médias dominants, à une écrasante majorité. Et aussi, pour l’équilibre, que les médias dominés élisent un homme d’autant d’importance, mais moins connu ; style Michéa, Philippe Jaccottet, ou Fabrice Hadjadj.

Mon papili Noël, peux-tu faire en sorte que la nouvelle génération de catholiques, qui est bien, faut le dire,  ne se planque pas comme ses aînés dans les grandes entreprises françaises, les boites de com, de conseil, de management et tout le pataquès. Plutôt qu’elle aille faire du théâtre privé, de l’ébénisterie, de la musique et du chant, de l’enseignement voire, au pire, du journalisme.

Médias

Que Fabrice Luchini ait une émission hebdomadaire sur une grande chaine, à 20h. Le format de l’émission serait assez simple : un journaliste ; quatre heures d’antenne avec le fils spirituel de Cochet.

Et puis aussi que Gaspard Proust soit prolongé à vie. Dis, tu peux ?

 

 

 

Edouard Martin : enfin un sidérurgiste de Mittal reclassé!

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edouard martin ps

edouard martin ps

La scène se déroule dans le bureau du Général de Gaulle début juin 1968. L’Union pour la Défense de la République (UDR) vient d’être créée et c’est sous cette toute nouvelle étiquette que les gaullistes iront se présenter aux élections législatives provoquées par la dissolution de l’Assemblée nationale. Robert Poujade, le secrétaire général de l’UDR, a une idée folle. Il propose au Général d’investir Daniel Cohn-Bendit dans la circonscription parisienne qui comprend le quartier latin. « Bonne idée, Poujade ! Proposez-lui donc ! Il ne refusera pas une offre aussi tentante ! »

Cette scène est, vous l’avez deviné, complètement imaginaire. C’est pour cette raison que lors de mes deux derniers articles qui évoquaient la circonscription européenne du Grand Est, vous n’avez jamais trouvé le nom d’Edouard Martin. J’avais certes lu que le PS, comme mon Poujade imaginaire, faisait des avances à celui qui accusait François Hollande de trahison il y a encore quinze mois. Mais j’étais loin d’imaginer que le leader charismatique des ouvriers Mittal de Florange accepterait de porter la parole du parti d’un président qu’il vouait aux gémonies. En septembre 2012, il promettait à François Hollande : « Nous serons votre malheur ! », la larme à l’oeil. Mon imagination a des limites, voyez-vous. Quand la nouvelle a commencé à bruisser sur le net, j’ai pensé à cette blague de Coluche : « Un chômeur qui va voter, ça me fait penser à un crocodile qui entre dans une maroquinerie. » Là, le crocodile ouvre carrément une enseigne franchisée de maroquinerie !

On en plaisante. On ne devrait pas. Quelle image cela donne-t-il de la politique et du syndicalisme ? Le Grand Est n’a-t-il pas assez souffert pour voir les deux principaux partis français offrir comme têtes d’affiches une bateleuse recalée du suffrage universel et un syndicaliste défroqué ? Florian Philippot pouvait-il rêver plus belle concurrence, même dans ses rêves les plus fous ? Sans doute pas. Sans attendre, il a tweeté, impitoyable : «  Un parfait candidat du PS face à moi dans le grand-Est aux européennes : l’incarnation de la trahison ».

On aurait dû s’en douter. Edouard Martin est membre de la CFDT, qui a été dirigée par Nicole Notat puis François Chérèque. Et toujours garder en tête cette vieille blague cégétiste : «  Si le Pouvoir rétablissait l’esclavage, la CFDT se précipiterait pour négocier le poids des chaînes. »


L’appel d’Edouard Martin à François Hollande par ITELE

*Photo : G. VARELA/20 MINUTES/SIPA. 00652309_000028.

Karl Marx aurait-il aimé le pape François?

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pape francois marxisme

pape francois marxisme

À la suite de son Exhortation apostolique du 26 novembre dans laquelle le Saint-Père avait fustigé le libéralisme « qui tue », une vague de protestations et d’accusations venues des Etats-Unis l’avait soupçonné d’être marxiste, notamment à cause de sa dénonciation de la théorie dite de la « rechute favorable » laissant croire que l’alliance des pouvoirs et du marché serait forcément bénéfique pour les classes modestes, pour les pauvres (Le Figaro).

Pour mettre fin à cette polémique, le pape a accordé une interview exclusive au quotidien italien La Stampa. Il a rappelé que ses positions économiques et sa méfiance de l’argent corrupteur quand il en est fait un mauvais usage ne dérogeaient pas à ce qui avait toujours été la doctrine sociale de l’Eglise.

Au-delà de cette controverse qui est infiniment signifiante parce qu’elle vise et touche de plein fouet une personnalité atypique, généralement respectée et qu’il lui est fait reproche de penser et de contester sous l’influence d’un immense esprit pour lequel la religion était « l’opium du peuple, le coeur d’un monde sans coeur », Karl Marx, ce dialogue marque bien les difficultés d’un discours libre et honnête, d’une vision progressiste du monde et des rapports humains quand ils sont immédiatement étiquetés de révolutionnaires, de marxistes et, plus banalement, de gauche par des contradicteurs qui eux-mêmes sont enfermés dans des convictions antagonistes.

La comparaison est profane mais il me semble qu’elle est stimulante.

Sur le plan politique, il y a des idées, des concepts, des valeurs dont j’ai la faiblesse de croire qu’ils appartiennent à tous dans une sorte d’immense vivier intellectuel et social où chacun a le droit de puiser sans que sa démarche l’encaserne forcément dans un camp.

La justice sociale, par exemple, a le droit d’être à ce titre une exigence conservatrice comme la volonté de sécurité et de justice, vigoureusement incarnée, ne devrait pas être étrangère au parti du mouvement historiquement ancré à gauche.

La France, la patrie, l’armée, les frontières, l’identité nationale : autant de communautés, de signes, de repères, de socles, d’institutions que personne ne peut revendiquer comme sa seule propriété parce qu’alors ils sortiraient de l’universel pour entrer dans le champ du partisan et du sectarisme. Si le FN est apparu ces dernières années comme le dépositaire de ces notions et de ces lignes de force, c’est d’abord parce qu’elles lui ont été abandonnées au point qu’ensuite, pour que d’autres familles politiques se les réapproprient, ç’a été, c’est un travail de Titan !

Quand le pape évoque misère, pauvreté, injustice et la faillite de telle ou telle doctrine qui avait pour vocation d’éradiquer le pire de notre univers, de nos sociétés, il ne fait rien d’autre qu’un constat et développe une analyse fondée avec beaucoup de scrupule et de vigilance sur les impératifs et les injonctions de la religion.

Ce n’est pas parce que forcément, dans ses interventions qui concernent souvent les drames et les infortunes, les solitudes démunies et les violences intolérables, le pape est amené à faire référence à tout ce qui nourrit habituellement les politiques de gauche et, je l’espère, de la droite quand elle est intelligente et sensible, qu’il se définit par une quelconque idéologie. Il n’est pas plus marxiste que libéral s’il lui plaisait, lors d’une autre exhortation, de mentionner les bienfaits du libéralisme comme Marx lui-même les a soulignés.

Si on veut bien s’attacher à cette distinction, on comprendra mieux le partage à établir, à dénoncer entre, d’une part, des religieux ayant clairement choisi une faction, un parti, une lutte, la révolution, un habillage sectaire pour des exigences de justice et d’égalité et, d’autre part, des personnalités conscientes des tragédies du monde mais refusant de s’inscrire si peu que ce soit dans le champ de l’opératoire et du pragmatique pour offrir une parole universelle et une lumière pure.

Le pape n’est pas marxiste.

Si de telles absurdités surgissaient à chaque fois qu’une liberté de conscience et d’intelligence, une obsession de vérité et d’équité s’acharne à se dépouiller du contingent pour appréhender le nécessaire, a l’audace de se situer juste à la frontière entre l’humain dans toutes ses manifestations et l’idéologique avec tous ses risques, plus rien ne serait à espérer. Il n’y aurait plus personne pour battre en brèche les accommodements, les compromis, les approximations. Plus personne pour déplorer, pour exalter.

Pour dire ce qui est et ce qui doit être dit.

Que les camps et les partisans en prennent possession après, c’est leur problème.

Le pape François n’est pas marxiste parce qu’il a effrayé quelques Américains. L’intolérable de Marx est la terreur communiste qui s’est recommandée de lui.

Le pape François n’est pas marxiste certes mais il n’est pas iconoclaste de supposer que Karl Marx, s’il l’avait connu, l’aurait aimé.

La religion, alors, pour lui : l’opium du pape.

*Photo : UNIMEDIA/SIPA. 00666635_000009.

Nouveau clergé, nouveaux bûchers

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bobo feminisme 343

bobo feminisme 343

Naturellement, il y a un parfum de cynisme libéral dans le Manifeste des 343 salauds. À lire ces lignes, on entend : laissez-nous décider souverainement de notre comportement moral, notre corps nous appartient, ma liberté s’arrête où commence celle des autres, si la personne d’en face est consentante tout est permis, et que le diable emporte les moralistes ! Plus encore, on entend : nous sommes des hommes (au sens du masculin), il faut donc nous laisser assouvir nos besoins sexuels irrépressibles, après tout les femmes sont faites pour ça et la prostitution, ça sert à ça ! En réalité, ce ton violent recèle la violence de l’ironie.

L’orthodoxie régnante finit par être si ridicule qu’elle ne mérite que le sarcasme. Nous n’en pouvons plus de subir ces professeurs de vertu qui, sur un ton inspiré, nous dictent sans cesse notre conduite. Et qui viennent traiter de tous les noms ceux qui n’obéissent pas à leurs diktats.

Cette moralisation permanente de tous nos comportements est tombée des mains du clergé pour apparaître entre les mains de ce nouveau clergé : l’engeance bobo.[access capability= »lire_inedits »] Ce sont des gens qui ont passé leur existence à vilipender  l’ordre moral des religions, pour recréer aussitôt un ordre moral constitué par eux-mêmes et maintenu avec une intransigeance inquisitoriale. Au fond, ce qu’ils refusaient, ce n’était pas l’ordre moral, c’était le fait de n’en être pas les maîtres.

Comment définir cette vulgate du nouvel ordre moral ? C’est d’abord un égalitarisme forcené au point de récuser les différences, considérées comme des discriminations. C’est ensuite un profond matérialisme, qui n’accorde d’importance qu’aux biens comptables et à la biologie, jamais aux biens de l’esprit – fumer est un crime, mais laisser les enfants contempler des dizaines de crimes par jour à la TV n’en est pas un. Enfin c’est une idéologie de l’apostat, au sens où tout ce qui peut contredire la morale précédente est légitime. Fumer est un crime, mais on s’indigne que la loi n’ait pas encore légalisé les drogues douces. Le contenu de la nouvelle morale importe cependant peu au regard de l’essentiel : le fait qu’un ordre moral se soit installé sans crier gare, dans le paysage même des Lumières légitimées.

Nos professeurs de vertu sont si ridicules avec leurs grands airs outrés, qu’on a envie en les écoutant de pleurer de rire. Il suffit de regarder les réponses au Manifeste sur le Net, ces cris de saintes-nitouches. Ce sont des gens qu’on ne peut traiter que par la dérision et la raillerie : ils sont grotesques. On ne discute pas avec la fausse vertu. Et il s’agit bien de fausse vertu, plutôt en réalité une idéologie – un discours bien rodé et servant des buts bien précis quoique dissimulés.

Avec cette affaire de bordels, nous nous situons encore une fois dans l’atmosphère de pression égalitaire et émancipatrice bien visible à tout propos au sein de nos sociétés. Il faut éliminer définitivement le machisme, et la prostitution en est l’une des expressions. Pour garantir et certifier cette évolution censée nous faire sortir d’une histoire mauvaise et à jeter, il faut tordre, briser, écraser, injurier les anciens comportements. C’est pourquoi le Manifeste indigne nos bobos jusqu’à la colère noire : les signataires ne sont pas seulement de pauvres réacs qui n’ont pas encore compris l’évolution, mais bien pire, des citoyens qui refusent brutalement l’Orthodoxie et même –ô parjure – s’en moquent. Si la cléricature bobo pouvait les tuer directement, elle le ferait sans doute avec bonheur.

Je dirais que ces inquisiteurs nous entraînent vers une situation de guerre civile. Si tant de gens nous signalent qu’ils vont finir par voter Le Pen, c’est pour faire aller si loin la dérision que l’Inquisition nous laissera tranquilles.

Au fond, ce que réclament les signataires du Manifeste derrière la façade provocatrice, c’est de n’être pas considérés comme des enfants, et ils le disent à la fin. Ce que les Lumières réclamaient (il suffit de lire le texte de Kant), c’est que la cléricature religieuse cesse de considérer les citoyens comme des enfants immatures auxquels il faudrait en permanence dicter leur conduite. L’État impose les lois, mais confondre les lois et la morale, c’est totalitaire. Lénine, dont nos bobos sont les héritiers, n’avait rien fait d’autre.

Et les gouvernements scandinaves, qui régentent à un cheveu près la vie morale de leurs citoyens, règnent sur des sociétés stérilisées et décervelées. La nouvelle cléricature bobo prétend nous dicter nos conduites comme à des enfants. En cela, elle retourne à la société pré-moderne qu’elle récuse. Raillerie, persiflage, brocard, dérision. Comme elle est sûre d’avoir raison ![/access]

*Photo : GIRAUD FLORE/SIPA. 00654197_000003.

Ukraine : Osez le Klitschko !

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Chez nous, le courageux Jean Lassalle vient d’achever son tour de France pedibus, à la rencontre de ses concitoyens, pour tâter l’atmosphère, humer les effluves de révolte et finalement s’inquiéter d’un désastre qui gronde.

De l’autre côté des Alpes, on brandit des fourches virtuelles comme jadis le mouvement paysan de Dorgères , dans l’indifférence générale au-delà des Alpes, et réclamant, -tiens comme c’est curieux- que cessent les pressions fiscales et que les pourris (entendez les politiciens) s’en aillent au diable (j’espère que comme moi, vous vous repassez en boucle cette vidéo des policiers enlevant leur casque pour rejoindre la foule).


Les policiers enlèvent leur casque et… par Spi0n

Bref, les populismes aussi divers que les pays font entendre leurs voix ; de l’Ukraine actuellement pacifiquement insurgée contre son président trop inféodé au grand frère (ennemi) russe nous vient une figure originale, façonnée au propre comme au figuré par les coups reçus, mais dans la pratique du noble art de la boxe. J’ai nommé Vitali Klitschko, l’un des leaders les plus populaires de l’opposition et pour cause : c’est un ancien champion et le peuple, généralement, aime ses champions. Abondamment relayé par les médias allemands, c’est au pays de Goethe et des Eros Center qu’il fit carrière, lui qui naquit au Kirghizstan d’un père aviateur, alors que son petit frère Wladimir (1.95m seulement contre 2m.02 pour le grand frère) naquit au Kazakhstan : de vrais enfants de la défunte Union Soviétique !

Vitali parle couramment l’idiome d’Angela quoiqu’avec un accent qui rappellerait légèrement celui de Francis Blanche. Ajoutons que l’actuel satrape Ianoukovitch lui met, si j’ose dire, des bâtons dans les roues, arguant qu’il n’est pas Ukrainien de « souche ».

Une jolie Ukrainienne me parle aujourd’hui de son pays et de Vitali, son héros. Elle est blonde évidemment et souriante comme peu de mes compatriotes savent encore l’être. Il y a un espoir à l’Est, prenons-en de la graine et osons le Klitschko…

L’intégration ne passera pas par la repentance

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integration immigration taubira

integration immigration taubira

L’actualité remet le couvert sur le discours de Chirac de juillet 1995 reconnaissant les crimes de Vichy contre les Juifs.

D’une part, le documentaire consacré à Pétain sur France 2 présente cette reconnaissance comme une réponse à une demande de la communauté juive.

Ce qui n’est pas le cas.

D’autre part, ce discours est invoqué dans tous les débats sur l’intégration comme exemple à suivre, un exemple de repentance de la France envers les descendants de l’esclavage et de la colonisation.

Une mise au point s’impose sur ce deux plans.

La demande de reconnaissance des crimes de l’État français de Vichy n’est pas venue de la communauté juive en 1995, comme le donne à penser le documentaire consacré à Pétain, excellent par ailleurs.

En juin 1992, parut dans Le Monde un appel du comité Vel’ d’Hiv’ 42 composé de 11 citoyens français juifs et non-juifs, qui demandait au président Mitterand de reconnaître officiellement les crimes de l’État français de Vichy contre les Juifs de France à l’occasion du cinquantième anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv’.

Le Monde publiait en même temps les noms de deux cents personnalités intellectuelles et artistiques qui soutenaient l’appel de ce comité.

Le 14 juillet 1992, dans l’interview qu’on voit dans le documentaire, Paul Amar demanda à Mitterrand s’il comptait répondre à cet appel. Son refus déclencha une vaste polémique dans tous les médias, qui contribua aux huées qui accueillirent Mitterrand quand il se résigna à venir à la cérémonie de commémoration du Vel’ d’Hiv’, mais sans y prendre la parole.

La demande de reconnaissance officielle formulée d’une façon très précise par le Comité Vel’ d’Hiv’ 42 n’était pas une demande de repentance, mais de vérité. L’important était que la vérité déjà établie par les historiens soit proclamée officiellement au nom de la France, pour devenir la mémoire commune de tous les Français. La reconnaissance officielle de la vérité historique est la condition d’une mémoire partagée. C’est ce que le discours de Chirac a parfaitement accompli, d’un seul coup.

Tel est également le seul usage légitime de ce discours : que la vérité historique ne soit l’objet d’un non dit officiel, qu’elle soit officiellement reconnue.

Car de même qu’il y a en France des Juifs français dont les parents ont vécu  cette période, il y a en France des Français ayant des ascendants Arabes et Noirs issus de pays hier colonisés et en particulier de parents ayant connu la guerre d’Algérie.

S’il existait un non-dit officiel sur ce passé colonial, comme c’était le cas avant 1995 en ce qui concerne la responsabilité de l‘État français de Vichy, il faudrait impérativement supprimer officiellement ce non-dit officiel. Et si ce non dit officiel était avéré, et si la vérité restait à reconnaître officiellement, il faudrait encore qu’elle ne soit pas tronquée, réduite à nos seules fautes, en raison de la mauvaise conscience de l’ex-colonisateur. Il faudrait aussi que la vérité sur les aspects négatifs de la colonisation et de la décolonisation soit reconnue toute, par la France et par les pays hier colonisés. Dans la guerre et l’après-guerre d’Algérie, la France n’a pas eu le monopole des crimes.

De même pour l’esclavage. Les Européens n’en ont pas eu le monopole.

Le discours prononcé par Chirac en 1995 ne doit pas servir à nourrir la demande de repentance et le ressentiment au détriment de la vérité.

 

*Photo : LEMOUTON-POOL/SIPA. 00641069_000014.

De la culture des navets en général

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kechiche von trier cinema

kechiche von trier cinema

À l’instigation de mes élèves, à qui l’on avait absolument recommandé, pour des raisons pédagogiques, d’aller voir la Vie d’Adèle, j’ai donc visionné le film d’Abdellatif Kechiche. Palme d’or du dernier Festival de Cannes.

170 mn. C’est long. C’est très long. C’est même interminable.
Ça ne l’est pas quand il s’agit du Guépard (205mn — Palme d’or 1963), d’Apocalypse now ou du Tambour (respectivement 221 et 162 mn, Palmes ex-aequo 1979). Mais n’est pas utilement long qui veut…

C’est un film de cul (si, si, et ceux qui vous disent qu’il s’agit d’un documentaire sur les valeurs gustatives de l’huître et des spaghetti bolognaise mentent — j’y reviendrai).
Ce ne serait pas grave s’il s’agissait de Blow up (Palme d’or 1967), de All that jazz (ah, le chef d’œuvre de Bob Fosse, primé en 1980) ou de la Leçon de piano (1993), trois films qui savent ce que baiser veut dire, et qui le disent bien.
C’est un film « social », avec toutes les caractéristiques techniques — pseudo-réalisme, caméra portée, jeu approximatif de tous les seconds rôles — du genre.
Ça ne me gênerait pas si La Vie d’Adèle avait, dans le genre social, la force de l’Affaire Mattei (1972) ou de l’Homme de fer (Wajda, 1981).
Mais depuis qu’il a primé Entre les murs, dont j’ai eu l’occasion de dire ici même tout le bien que j’en pensais, le Festival de Cannes n’est plus une référence.
Ou il est comme le pédagogisme : une boussole qui indique constamment le Sud.

La Vie d’Adèle un film fait par un Franco-Tunisien. Ça ne devrait avoir aucune importance — nous avons tous salué en son temps la Palme donnée à Chronique des années de braise, de Lakhdar-Hamina. Mais dans les éloges forcés accordés par une certaine presse bien-pensante, j’entends rugir le politiquement correct. Je l’entends même dans le silence médiatique sur le conflit entre Kechiche et la CGT du Spectacle — le metteur en scène ayant accablé l’équipe technique sous les heures sup non payées, dans un milieu où l’exploitation est pourtant la règle. Je l’entends aussi dans le silence gêné qui a accompagné les révélations des deux actrices principales sur le harcèlement auquel les a soumises le génie de Tunis. Ce ne sont pas toutes les jeunes femmes qui disent qu’elles se sont senties souillées comme des prostituées…

C’est une Palme de discrimination positive, je ne vois pas d’autre explication.
Kechiche d’ailleurs, ardemment soutenu par la pensée unique telle qu’elle s’exprime sur Rue89, enthousiaste dès la première heure (ont-ils regardé les deux suivantes ?), n’admet pas, en autocrate qu’il est apparemment, et en paranoïaque affirmé, la moindre contestation. Le Huffington Post s’est amusé des emballements hargneux de cet autocrate au petit pied. Franchement, invoquer la lutte des classes pour justifier sa violence, ce serait comique si ça ne témoignait pas d’une distorsion gravissime des valeurs. Un réalisateur peut-il tout se permettre, dès lors qu’il est franco-tunisien ? N’est pas Maurice Pialat qui veut…

La lutte des classes, parlons-en. Eliminons d’abord ce qui a fait polémique auprès de la presse bien-pensante : La Vie d’Adèle n’est pas un film lesbien — mais alors, pas du tout. C’est une suite de scènes d’échanges lesbiens jouées par deux hétérosexuelles et filmées par un Grand Mâle Dominant — autant aller sur des sites pornos spécialisés : « Pushing her tongue deep inside », sur RedTube, cela vous a une autre gueule que La Vie d’Adèle. Pour un hétéro.

Le choix d’une prise de vue constamment extérieure aux personnages est d’ailleurs révélateur du voyeurisme touche-pipi de Kechiche et de ceux qui l’encensent.
Les lesbiennes que je connais se sont étonnées de la très très longue séquence de kamasutra lesbien dès le premier contact (alors que ce qui précédait, les émois, les reculades, les effleurements, n’était pas dépourvu d’intérêt). L’absence d’hésitation. La récitation, en quelque sorte, d’exercices gymnastiques. L’amour se réduit-il à une feuille de rose ?

Ajoutez à cela que si vous imaginez un couple d’hétéros à la place des deux héroïnes, le film se révèle être ce qu’il est : un entassement sans intérêt de scènes plus ou moins hard, L’Amant en pire. Et je ne croyais pas possible de faire pire que L’Amant.

Sans compter que le réalisateur croit compenser la pornographie (au sens propre) du film par un romantisme de bazar — Adèle contemplant le soleil à travers les feuilles des arbres, cela rappelle furieusement Emma (Bovary…) trouvant dans le même plan un prétexte pour coucher avec Rodolphe dans la campagne humide… Sauf que Flaubert y mettait une ironie sauvage, montrait justement comment on succombe à un cliché — et que le film de Kechiche est bourré de clichés insérés là pour faire joli. Ou parce qu’il y croit.
Le « joli » est d’ailleurs la caractéristique de ce film pour bobos et midinettes. Elles sont mignonnes, elles n’ont pas un poil de cellulite, elles ont la perfection que confèrent automatiquement les clairs-obscurs, bref, c’est l’érotisme du papier glacé. Rien de vraiment charnel là-dedans.
Reste l’aspect « social ». Emma aime les huîtres (elle insiste lourdement pour bien nous faire comprendre ce qu’elle y boit, au point que le spectateur se demande quelle pudeur soudaine a empêché Kechiche de lui faire aimer les moules) et Adèle les spaghettis bolognaise — oui, et alors ? La lutte des classes réduite à un conflit gastronomique, ça me semble un peu court. On pouvait mieux attendre d’un film situé dans le Nord de la France, dans des zones sans emploi ni espérance — mais nous n’en saurons rien : la géographie, ici, est purement décorative.

C’est cet aspect, paraît-il, qui a incité un prof de Sciences Economiques et Sociales de mes connaissances à conseiller (imposer serait presque plus juste) le film à ses élèves. C’est de la sociologie comme certains en font aujourd’hui : un exemple, tirez-en les conclusions générales. À ce niveau, n’importe qui est sociologue.

Pour bien faire « social » (mais n’est pas Ken Loach qui veut), Kechiche filme avec la caméra sur l’épaule — un truc déjà utilisé dans l’Esquive, et qui donne mal au cœur en trois minutes. Comme dans l’Esquive, où des adolescents inaudibles ânonnaient le Jeu de l’amour et du hasard, ça commence par du Marivaux — quinze lignes de La Vie de Marianne, le seul moment réellement glamour du film. Pour tenir le choc, encore aurait-il fallu que le reste du dialogue fût à la hauteur. Mais bon, n’est pas Michel Deville qui veut : revoyez donc Raphaël ou le débauché, ça vous rafraîchira l’haleine et les tympans après La Vie d’Adèle.
Ne soyons pas absolument négatif : un vrai metteur en scène tirera le meilleur d’Adèle Exarchopoulos, qui a du talent. Mais un vrai producteur ne fera rien avec Abdellatif Kechiche, qui croit avoir du talent. Comme le résumait assez bien Le Figaro, il lui a manqué un Selznick (le producteur d’Autant en emporte le vent) pour l’obliger à tenir le cap, et à couper une heure et demie de son film.

Quant aux Sciences sociales… Ma foi, pour ce qui est de la lutte des classes, autant retourner voir la Part des anges, qui est un vrai film — où le whisky hors d’âge est un marqueur bien plus évident que les spaghettis bolognaise. Pour les amours lesbiennes, autant en revenir à Mulholland Drive, où les corps font sens. Pour le réalisme social, autant revoir À nos amours, où Pialat découvrait pour nous Sandrine Bonnaire. Et pour les chroniques saignantes sur le Nord de la France, voir L’humanité, de Bruno Dumont — Grand Prix à Cannes en 1999, l’année où avait triomphé Rosetta, autre vrai film social comme on les aime.

Peut-être pourrait-on insérer un petit cours de cinéma dans la formation des profs de SES ? Mais je ne veux pas les mettre tous dans le même sac : il en est qui ne s’aventureraient pas à proposer un film nul en exemple à des élèves qui ne lui ont rien fait. Mais il en est d’autres, les pauvres, qui s’enthousiasment sur trois fois rien. Défaut de culture ? Mais qu’ils poussent des élèves à partager leurs enthousiasmes adolescents, cela ne s’apparente-t-il pas à de la manipulation ?

 

Au poteau, les salauds!

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343 salauds feminisme

343 salauds feminisme

Parfois, chez Causeur, on est un peu poseur. C’est ce que m’a d’abord inspiré votre opération « 343 salauds », jusqu’à ce que je réalise qu’elle vous avait fait tomber le ciel sur la tête. N’étant pas amateur d’amours tarifées, je ne m’intéressais guère à ce qui me paraissait une espèce d’improvisation d’après-dîner, à l’heure du cognac. On discute en s’échauffant (ou l’inverse), on s’excite en rigolant, on écrit sur la nappe un manifeste « à la manière de », chipant la sémantique libertaire pour faire la nique à Libé et au Nouvel Obs, et pour finir on trouve archi-génial (avec un digestif dans le pif) un slogan comme « Touche pas à ma pute ». Pourquoi pas ?

Et voilà qu’on se retrouve sur un champ de bataille avec des balles qui sifflent de tous côtés. Pourtant, l’ex-chanteur et ex-lunettier Antoine, initiateur d’une pétition parfaitement identique sur le fond, ne ramasse pas le moindre Scud. Le problème, c’était la forme, trop vulgaire paraît-il, et plus encore les auteurs, non homologués comme provocateurs. Les libertaires se sont vexés. La rébellion, c’est leur chasse gardée depuis quarante-cinq ans. Ils ont vieilli et les vieux, voyez-vous, n’aiment pas qu’on change leurs habitudes. Or, au lieu de se faire courser par les juges et les flics, ce sont eux qui, devenus dominants, les lancent aux trousses des nouveaux chenapans. La honte. Et que cette leçon soit administrée sur le mode rigolard par des réacs-fachos-omniphobes, encore plus la honte.[access capability= »lire_inedits »]

Bref, si vous cherchiez la publicité, à Causeur, vous l’avez eue. Vous avez fait chauffer le braillomètre au rouge. Et comme si on avait voulu vous prouver que vous étiez des bouffons en matière de vulgarité de préau, on vous a traités de « connards ». Les vieux enfants sont des tyrans. Ils ne combattent pas des idées par d’autres idées, ils insultent et menacent. Épouvantés, deux salauds se sont « repentis », comme l’affiche triomphalement un site délateur, barrant leurs noms d’un rouge de honte.

Et puis la farce est devenue sinistre. En voyant, sur ce site, ces photos alignées comme au banc d’infamie et ces bandeaux rouges, en découvrant cet appel à la vindicte et au harcèlement, j’ai eu froid dans le dos. Certes, cette violence n’est pas physique, mais elle s’exerce contre des personnes, et ce n’est pas du tout bon signe dans un pays démocratique.

Pis encore, les concepteurs du site prétendent, avec une sidérante hypocrisie, qu’ils peuvent « appeler connards ceux qui se sont eux-mêmes érigés en “ salauds ” sans pour autant faire appel à la haine ». Désolé, mais c’est de la haine, ni plus ni moins. Ah oui, j’oubliais que la haine est le monopole du Front national. Les grandes consciences du Progrès ne sauraient haïr, puisqu’elles défendent ce qui est juste.

Qu’une telle initiative, d’inspiration totalitaire, n’émeuve personne, que les pouvoirs publics s’y montrent indifférents a de quoi inquiéter. N’est-ce pas là une vraie dérive, pire que les « dérapages » traqués sans relâche par les porte-voix du « politiquement correct » échauffés par leur ivresse inquisitoriale ? Ils réclament l’indulgence pour les propos haineux de rappeurs, mais les signataires du « Manifeste des 343 salauds », dont on ne sache pas qu’ils aient cautionné la moindre atteinte aux droits humains, doivent être dûment dénoncés et sanctionnés : ils ont « dérapé ». Et le camp du Progrès ne rigole pas avec les dérapeurs. Il mène une guerre sainte, les amis. Comme l’armée américaine en Irak, il utilise la tactique « Choc et effroi » : écraser l’adversaire sous un déluge de feu (en l’occurrence, d’imprécations et de menaces), dominer le champ de bataille (ici, les médias), multiplier les démonstrations de force pour paralyser l’ennemi et anéantir chez lui toute volonté de combattre.

L’empoignade emblématique de l’année 2013, autour de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, a illustré de façon paroxystique le recours à cette tactique guerrière dans le débat public. En plaçant le « mariage pour tous » sous le signe de la lutte contre l’homophobie, les promoteurs du texte ont transformé d’emblée la légitime controverse entre partisans et opposants en combat sans merci entre les bons et les méchants. Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai pris position, dans un article de Causeur, contre le projet de loi, avant de changer d’avis plusieurs semaines plus tard, parce que ma réflexion avait évolué.

Naïf que j’étais ! La violence des réactions m’a donné l’impression d’être un chat dans le tambour d’une machine à laver. Doublement traître, à une faction puis à l’autre, j’étais impardonnable. Il se trouve que, dans mon entourage, certains étaient contre le « mariage pour tous » et d’autres plutôt pour. En fin de compte, ce ne sont pas les commentaires énervés, voire hystériques, des lecteurs, qui m’ont le plus fait mal, mais la violence du cadrage idéologique au nom duquel on me sommait de renier une partie de mes proches – en l’occurrence les « anti-mariage gay ».

J’ai failli céder, avant de me ressaisir et de me rappeler ce que je savais : ce ne sont pas des salauds. Pour revenir à l’actualité, j’ai du mal à imaginer que Causeur n’ait pas prévu la dégelée qu’allait susciter le manifeste litigieux, qui refuse la logique binaire du bien et du mal. Les mécanismes à l’oeuvre dans cette affaire ont pourtant été analysés par une certaine Élisabeth Lévy, d’abord dans Les Maîtres censeurs, puis dans Notre métier a mal tourné, essai critique sur sa profession, écrit avec Philippe Cohen. (À l’intention des professionnels du soupçon, je n’ai aucun intérêt financier dans Causeur ni dans les maisons où ont paru ces deux ouvrages.)

La méthode de verrouillage est désormais bien rodée et interdit, dans la logosphère médiatique, tout débat digne de ce nom. Il faut faire preuve de courage pour émerger de la bouillabaisse politiquement correcte, car la peur est perceptible partout, même si elle ne s’avoue jamais. Peur de voir sa réputation ruinée, de perdre toute audience du jour au lendemain, d’être harcelé par des persécuteurs, voire traîné devant les tribunaux. Le public sent cette peur, ce couvercle de plomb, qui n’étouffe pas seulement la discussion politique, mais aussi la vie intellectuelle et le divertissement. Du jour au lendemain, n’importe qui, connu ou pas, et dans n’importe quel domaine, peut être cloué au pilori. Une personnalité politique. Un acteur. Un journaliste. Un historien. Vous, moi. Ce réprouvé subira les formes modernes du déshonneur : la ringardisation et la disqualification, le concert de ricanements qui, en France, ont remplacé l’humour.

Pendant ce temps, on s’obstine à chercher les racines de la crise française du côté de l’économie, du vivre-ensemble, sans oublier le climat rendu « délétère » par l’éternel retour de la Bête immonde. Mais sur les pratiques qui tétanisent le débat politique et médiatique, sur l’intimidation qui décourage toute velléité de divergence, pas un mot. Ces méthodes expliquent pourtant la difficulté de plus en plus grande des Français à échanger de façon policée dans l’espace commun – la politesse étant étymologiquement l’art de se conduire dans la Cité. En réalité, cette façon de les diviser arbitrairement entre vainqueurs et vaincus, modernes et ringards, salauds et héros, révolte nos compatriotes autant que l’injustice fiscale. La scène publique offre ainsi un spectacle brutal où l’agressivité, la vulgarité du langage, l’intimidation tuent ce qui fut si français : la recherche d’une vérité commune. Le siècle des Lumières l’appelait conversation et les salons célébraient celles et ceux qui y excellaient. Notre siècle, avec véhémence, promeut surtout des enragés (et peut-être plus encore des enragées) de l’interdit. Est-cela, vraiment, que nos brillants ancêtres appelaient Progrès ?[/access]