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Deux réacs au cinéma

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neuhoff dandrieu godard

Montesquieu disait n’avoir jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. C’est qu’il ne connaissait pas le cinéma. Pour être de grands lecteurs, Éric Neuhoff et Laurent Dandrieu qui publient, chacun de son côté, un dictionnaire du cinéma n’en sont pas moins les enfants des salles obscures, de la VHS et du DVD. Pour Neuhoff, le dictionnaire est chic ; pour Dandrieu, il est passionné. Autant dire, et c’est tant mieux, que nous avons affaire dans les deux cas à une subjectivité revendiquée, une certaine mauvaise foi même, mais qui fait partie du jeu pour le lecteur/spectateur qui cherchera d’abord ce qui est dit des films qu’il préfère.[access capability= »lire_inedits »] Il aura ainsi le plaisir de se mettre en rogne et, quelques pages plus loin, d’applaudir à la clairvoyance de l’auteur car la subjectivité, justement, est, surtout en matière de cinéma, la chose du monde la mieux partagée.

Méthodique, Dandrieu passe 6 000 films au crible, impitoyablement notés par des étoiles ou d’infamants ronds blancs. Pour notre part, nous aurons du mal à lui pardonner son jugement sans appel sur À bout de souffle de Godard, mais nous nous retrouverons avec lui sur Le Fanfaron de Risi et « son équilibre parfait entre le rire et la cruauté ». Il y a dans la préface de Dandrieu une exigence clairement morale. C’est un janséniste qui aimerait les actrices à condition qu’elles jouent dans des  films ne célébrant pas trop le relativisme moral.

Bref, Dandrieu est un réactionnaire assumé qui peut certes célébrer l’innovation formelle ou la série B, mais qui se refuse à trouver bon un film où la subversion lui semble être un accessoire à la mode. De Pasolini, il retient L’Évangile selon saint Matthieu mais refuse de se frotter à Salo ou les 120 journées.

Neuhoff est plus léger, même si Dandrieu n’est pas dépourvu d’humour dans l’assassinat. C’est que Neuhoff est un héritier assumé des « Hussards ». Il a le sens de la formule et du sarcasme : « La mauvaise conscience ne chôme jamais. Aujourd’hui les rebelles sont conviés aux César. Ils y vont sans cravate. Non mais. »

Le cinéma, pour Neuhoff, c’est à la fois son auberge espagnole – il y trouve ce qu’il y amène – et son école buissonnière : le cinéma est encore le meilleur moyen de sécher les cours et notamment ceux que donne avec une imperturbable cruauté le temps qui passe. Il y a dans le dictionnaire de Neuhoff une nostalgie pour la jeunesse qui est lente à mourir et un goût pour les films où des beautiful people ont des problèmes de beautiful people. Les entrées de son dictionnaire sont variées, on a le droit à de jolis portraits d’Audrey Hepburn, de Faye Dunaway, de Romy Schneider ou de Sylvia Kristel : « Elle fit beaucoup pour la commercialisation des fauteuils en osier. »

Ou encore, à la lettre « E comme ennuyeux », à une liste des films qui ont failli faire sortir Neuhoff avant la fin. Et Godard en prend là encore pour son grade avec La Chinoise qui est, pourtant, une amusante pochade maoïste. On se demande ce qu’il leur a fait, Godard, à ces deux-là.[/access]

 

Dictionnaire chic du cinéma, Éric Neuhoff, Écriture, 2013.

Dictionnaire passionné du cinéma, Laurent Dandrieu, L’Homme Nouveau, 2013.

*Photo : La Chinoise.

Des nouvelles entre réel et fantastique

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poitevin duquesne reveils

Boudé par les lecteurs, incompris des libraires, méprisé par les éditeurs, le genre littéraire de la nouvelle n’a pas le vent en poupe. C’est le moins qu’on puisse dire. A moins d’être édité chez l’une des six maisons majeures, titulaire d’un grand nombre de prix et de vendre des milliers d’exemplaires. Là, on vous édite comme si on acceptait que vous entreteniez une aventure passagère avec une danseuse ou une demi-mondaine.

Ce n’est pas le cas de Patrick Poitevin-Duquesne qui, au fond de sa province, avance, patiemment, têtu, avec ses textes courts qu’il publie de-ci, de-là, dans revues, journaux et blogs qui consentent à héberger son talent. Du talent, il en possède; c’est indéniable. La preuve, le premier recueil, Réveils difficiles…, qu’il vient d’éditer dans la collection Chiendents de l’éditeur nantais Le Petit Véhicule.

Neuf nouvelles, dont six déjà publiées, les trois autres sont inédites. Elles sont toutes du meilleur cru. Patrick Poitevin-Duquesne détient un univers; ça devient rare. Il oscille, mystérieux, envoûtant, entre le réalisme de terroir (il s’inspire souvent des paysages de Picardie où il vit) tissé de brumes urbaines, d’arbres aphylles, de départementales mornes, rectilignes, betteravières, et une manière de fantastique social qui pourrait l’apparenter à Pierre Mac Orlan, Maupassant ou Edgar Poe. Car, Poitevin Duquesne aime engager ses personnages dans des voies où les situations absurdes, dadaïstes, côtoient le surnaturel.

Ses outils sont simples. Il utilise peu d’effets, sauf quelques rares jeux de mots et métaphores. Son écriture est plus simple et limpide que réellement blanche. Il sait où il va; il n’a pas son pareil pour entraîner son lecteur par la main.

Exemple, « Etang donné », archétype même de la nouvelle fantastique, propose un narrateur bien ancré dans la réalité. Il enfourche son VTT, déboule sur les berges d’un fleuve (qui pourrait être la Somme), et, à la faveur d’un endormissement, se retrouve ailleurs, loin, avec, devant lui, une femme mystérieuse : Marie Greuète, celles des légendes qu’on n’a pas forcément envie de croiser.

Autre texte fort : « Quartiers chauds », une nouvelle animalière dont le chat Georges chausse les bottes du héros. On ne passera pas non plus à côté de « Tout le monde descend », avec un très beau portrait de femme, et de « Sable et mouvant… » texte surprenant et très… animalier.

Patrick Poitevin-Duquesne possède le sens de la brièveté. C’est une force. 

Réveils difficiles…, Patrick Poitevin-Duquesne, éd. Le Petit Véhicule (20, rue du Coudray, 44000 Nantes; éditions.petit.vehicule@gmail.com; 02 40 52 14 94), coll. Chiendent, 2013.

 

*Photo : NIKO/SIPA. 00611872_000002.

Raymond Chandler, Orson Welles : Mes haïkus visuels

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La pathologie du pouvoir

Just because

Ma princesse

Le Grand Sommeil

Hommage de Chandler à Orson Welles

Le choix impossible

Sous le ciel, l’enfer !

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peuples berges giraud

On ne dira jamais assez l’importance de la couverture dans le succès ou non d’un livre. Le Dilettante, maison de qualité, ne les choisit pas au hasard. Le lecteur, surtout dans la période qui précède Noël, est un être délicat en proie au doute. A l’entrée des librairies, il est comme pétrifié devant tous ces rayonnages criards, ces couvertures tapageuses, ces appels citoyens à lire…C’est indécent de laisser la lecture aux mains des marchands et des professeurs. Submergé par les assauts de cette alliance mortifère, le lecteur se défend tant bien que mal. Il résiste aux sirènes de la consommation jusqu’à ce qu’il craque pour un livre inutile, laid et cher. Même les plus avertis, ceux qui se targuent de connaître la Grande Littérature, se font avoir comme des bleus à quelques jours de la Nativité.

Et puis, parfois un miracle se produit, un livre se détache de ce magma indigeste, de cette foire aux égos. Il y a d’abord cette photographie parigote de Georges Dudognon, le noir et blanc poétique, la rue qui grimpe, éternelle Mouff’, des vieilles à cabas escaladeuses, deux clébards sans laisse et cet homme gapette en guise de couvre-chef, pantalon bouffant, mitaines cradingues, pas tout à fait glandilleux, pas très glorieux non plus. Ça sent la déveine. Le décor est planté. Nous sommes à Pantruche. Cet instantané des années 50/60 d’avant la destruction des Halles quand la Capitale marchait encore à l’essence populaire, est en soi un merveilleux témoignage sur notre passé récent. Un éditeur malveillant aurait pu rajouter une pastille mentionnant « avec de vrais gens à l’intérieur » comme d’autres abusent du « vu à la télé ». La photo suffit à poser le propos de Robert Giraud, résistant, journaliste, écrivain à succès avec Le vin des rues en 1955, disparu en 1997. Le Peuple des berges est un plongeon dans les eaux boueuses de la cloche. « La cloche en argot, c’est le ciel. Sont clochards tous ceux qui n’ont que le ciel pour toit. Paris compte quelque vingt-cinq mille individus dans ce cas » souligne Giraud, anthropologue du macadam. Il sera leur portraitiste bienveillant, lucide, curieux, infatigable arpenteur du Paris by night de la dèche, du froid et de la soif.

Chez Giraud, l’œil du reporter nous évite l’angélisme, l’apitoiement, l’absurde éloge de la Liberté. Ce Peuple des berges, recueil de neuf articles, a déjà été publié dans l’hebdomadaire Qui ? Détective du 8 octobre au 3 décembre 1956 sous le titre « La vie secrète des clochards de Paris » comme le précise Olivier Bailly dans son excellente préface. Ces neuf textes décrivent au plus près cette réalité misérable d’après-guerre où le génie de la débrouille, la mythomanie des individus qui ont tout perdu, leur quête obsessionnelle du liquide salvateur, en l’espèce, le vin rouge, forment un cocktail au gout amer. « Tout se transforme en bibine » est l’un des dix commandements de la rue. On a la tête qui tourne. C’est bon signe, l’ivresse littéraire est à ce prix-là. On navigue entre Les Biffins de Gonesse de Jacques Perret, Un idiot à Paris de René Fallet et ce peuple-là nous rappelle parfois les mendiants du Caire que l’on croise dans les romans d’Albert Cossery. Si on est loin de l’imagerie gouailleuse d’Archimède le clochard, la galerie de portraits de Giraud vaut le détour. Des frimes pas possibles, des blazes audiardesques. Des gueules surgies de nulle part : Léon la lune, Louis Robespierre, l’Amiral, Coclo, le Gitan, le Chat, Pépé le voleur de chiens, etc…Toutes ces mauvaises herbes du pavé survivent dans cet enfer de la noye. Giraud s’intéresse aussi aux anonymes, le clodo lambda qui brûle sur une grille, comme Gégène qui avoue avoir « le virus de l’honnêteté ». Car dans ce monde-là, tout s’achète, se vole, s’échange. Tout se mange comme ce rôti de hérisson, féérie gourmande de la débine. Ces Raboliot des villes, braconniers du bitume qui sillonnent la Mouff’, la Maub’, qui traversent la Seine ou les Halles à la nuit tombée sont notre miroir sombre. Si la couleur sépia des années 50 rend leur reflet plus acceptable, leurs héritiers n’ont pas pour autant disparu. Il suffit de se promener dans Paris, l’indigence est tenace.

Le Peuple des berges, Robert Giraud, Le dilettante, 2013.

*Photo : L’Atalante.

À l’Ouest, du nouveau !

bertrand tavernier western

Bertrand Tavernier est partout en ce moment. Sur les plateaux de télévision pour promouvoir son dernier long-métrage en date, la comédie politique à succès Quai d’Orsay ! Il est à Lyon pour animer l’Institut Lumière et le Festival du même métal qui a honoré des cinéastes aussi variés que Ken Loach, Quentin Tarantino ou Clint Eastwood. Bertrand Tavernier est aussi – simultanément – dans l’Amérique de ses songes, celle d’Hollywood et des grands espaces. Le réalisateur de Coup de torchon (qui est une sorte de western africain…), nous avait déjà rapporté de ces contrées lointaines une bible encyclopédique : 50 ans de cinéma américain, réservant naturellement une large part aux westerns. Mais le grand ouest, et sa mythologie parfois noble, souvent cruelle, a donné aussi d’excellents romans qui, pour certains, ont inspiré des scénarios de films légendaires. Actes Sud a donc demandé à Bertrand Tavernier de sélectionner des romans westerns marquants afin de les présenter au public français.

« J’ai choisi ces textes pour leur originalité – explique le réalisateur -, pour leur fidélité aux évènements historiques, pour leurs personnages attachants, le suspense qu’ils créent, mais aussi pour leur art d’évoquer des paysages si divers dont leurs auteurs sont amoureux : Oregon, Dakota, Texas, Arizona, Wyoming… »

Premier volume de cette collection prometteuse, et première excellente surprise : Terreur Apache  de William Riley Burnett (1899 – 1982). Plus connu pour ses polars (Asphalte jungle, The little Caesar) ou son travail dans les mines de sel hollywoodiennes (il a contribué aux scénarios de La grande évasion et de Scarface – celui de 1932), Burnett s’est aussi adonné avec bonheur à ce genre plus typiquement américain : le roman western, ou plutôt l’épopée western. Dans l’Arizona de la fin du XIXème siècle, le grand éclaireur Walter Grein, franc-tireur taciturne et solitaire, est mandaté par les autorités pour retrouver et neutraliser le chef Apache Toriano, qui est à l’origine d’une rébellion violente. Avec une poignée de fidèles, tous aussi marginaux que lui, Grein se lance dans une chasse à l’homme haletante émaillée d’épisodes élégiaques, où les protagonistes (blancs ou Apaches) ne font plus qu’un avec la campagne de l’Ouest profond, sa nuit étoilée, sa nature inquiétante, son horizon plein de promesses. Une chasse à l’homme qui, peu à peu, vire à la chasse à l’humain – tant Burnett sait souligner les enjeux presque métaphysiques qui se cachent derrière cette sombre quête de l’autre, sur cette terre promise sauvage. Burnett comparait les Apaches aux spartiates de la Grèce ancienne, avec leur âpreté, leur sens du combat, leur fierté collective ; et il voyait assurément le récit de la conquête de l’ouest comme une épopée. Et l’on sait, depuis Homère, que si les épopées commencent généralement par des guerres effroyables, elles se terminent toujours par le récit plus intimiste du destin d’un homme confronté aux autres et surtout à lui-même.

Terreur Apache est aussi une galerie de portraits vivants et sans concession (jusqu’à un certain cynisme) des hommes et des femmes qui ont fait l’ouest américain, avec leur part de mythologie : ses piliers de saloons, ses palefreniers, ses bureaucrates grotesques, ses cow-boys crottés, ses gradés de l’arrière, ses superbes indiennes vénéneuses, et ses aventuriers perdus… Partout l’auteur arrive à donner de l’épaisseur aux personnages par un sens inspiré de la description… Le réalisateur John Huston voyait les romans de Burnett comme habités d’un « étrange sentiment d’inéluctabilité, de fatalité, qui s’impose au fur et à mesure qu’on approfondit, qu’on rentre à l’intérieur des personnages… » Et l’on y pénètre jamais par la faille trop facile de la psychologie, mais par les interstices plus délicats du comportement, de l’attitude, des mimiques et des silences.

Quant à l’Arizona, il n’a pas à se plaindre. L’action se déploie dans des atmosphères partout suggestives, rendant hommage à la beauté pure des lieux… tel ce lever de soleil qui vaut par avance toutes les adaptations cinématographiques : « La lumière se déployait peu à peu. A l’est, le ciel se teintait d’or et de rose, et de minces traînées de nuages rouges flottaient sur les montagnes qui renaissaient à la couleur. Dans chaque buisson un oiseau chantait, célébrant avec bonheur la fin de la nuit. (…) Enfin, le soleil se leva, inondant un canyon de son aveuglante lumière. L’ombre des arbustes étincelants de rosée s’allongeait sur le sol. Chuck (le cheval de Grein) hennit pour accueillir l’astre montant ».

Le critique américain Andrew Sarris déclarait « W.R. Burnett a inspiré davantage de bons films que Dostoïevski ». Il n’avait pas tort. L’adaptation de Terreur Apache au cinéma a pour titre Le Sorcier du Rio Grande. Ce film, réalisé par Charles Marquis Warren en 1963, avec Charlton Heston dans le rôle de l’éclaireur et Jack Palance dans celui de l’Apache indomptable, trahit quelque peu l’esprit du roman, ajoutant çà et là des accents mélodramatiques et s’éloignant de la sobriété propre à l’univers de Burnett. Le réalisateur qui parvient le mieux à saisir les ombres et entrelacs de l’auteur de Terreur Apache est Robert Aldrich qui réalise une variation sur l’histoire de Burnett en 1972 : Fureur Apache (Ulzana’s Raid). Bertrand Tavernier, dans la postface qu’il signe, y voit le plus grand western des années 70. Une séance de visionnage s’impose après avoir refermé le livre de W.R Burnett.  Le second opus de la collection est déjà en librairie : Des clairons dans l’après-midi d’Ernest Haycox, un écrivain admiré par Hemingway et adapté au cinéma par John Huston et Cecil B. de Mille. Excusez du peu ! L’Ouest n’a pas fini de nous fasciner…

 

*Photo : Le Sorcier du Rio Grande.       

Candidature d’Edouard Martin : Sachons aussi nous réjouir!

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C’est toujours une bonne nouvelle, et même une très bonne nouvelle, quand en France quelqu’un venant du monde de l’entreprise s’investit dans la chose politique. Quand ce n’est pas un chef d’entreprise, l’entrée en politique se fait naturellement à gauche, mais l’important n’est pas là. L’important est ce qu’il apporte, car il y a gauche et gauche. À première vue, Edouard Martin connaît bien la crise industrielle. Il a envie d’y chercher des remèdes, sans se réfugier dans la simple dénonciation de la finance et autres âneries imposées. Et, incroyable, il se dit prêt à chercher des solutions à l’échelle européenne.

Vu qu’il sort de la CFDT, on l’imagine assez bien accordé à ses interlocuteurs allemands, qui sont enfoncés jusqu’au cou, et même jusqu’à la tête, dans la collaboration de classes et dans le compromis politique, bref dans ce qui fait cruellement défaut à la gauche française.

Si notre droite n’avait pas des réflexes politicards dont on a honte pour elle, elle se réjouirait d’avoir Edouard Martin pour prochain partenaire. Parce qu’au niveau européen, ce n’est pas d’adversaires politiciens que la droite et la France ont besoin, c’est de partenaires coopératifs et de gens capables d’inventer des réformes et de les mener à terme.

Et que pouvait-on attendre de mieux qu’une émule de Jacques Chérèque ?

Sans doute, personne ne peut jurer que la politique ne le corrompra pas. Mais tout de même, un homme qui refuse de prendre sa carte au PS, ça peut inspirer confiance.

Bref, camarades de droite, que demandez-vous de mieux ?

Série brune

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chainas obertone merot

Longtemps, c’est le roman noir, le « polar », comme on dit avec un léger mépris du côté de la littérature blanche, qui s’est attaqué à l’extrême droite. Et quand nous disons s’attaquer, le terme est à prendre dans son sens propre. Il y a eu un antifascisme littéraire, dans les années 1980 et 1990, sous les couvertures des collections spécialisées. Il s’est retrouvé, comme l’antifascisme politique de la même époque, à la fois désorienté et naïf face à la montée du Front national. Et contrairement à leurs glorieux ancêtres, comme le Malraux de L’Espoir, ces antifascistes de papier ont abouti le plus souvent à une vision caricaturale, manichéenne, qui a donné naissance à des fictions un peu trop calibrées pour être convaincantes, réduites à des grilles de lectures caduques pour comprendre un phénomène historique inédit. Le lecteur n’avait pas l’impression de lire des romans mais un catéchisme aussi prévisible qu’ennuyeux.

La morale, on le sait, donne rarement de la bonne littérature. Une des conséquences formelles de ces choix idéologiques a priori a été, par exemple, de refuser de faire parler à la première personne l’extrémiste de droite, le fasciste, le néo-nazi. [access capability= »lire_inedits »]Les auteurs, qui n’hésitaient pourtant pas à se mettre par ailleurs dans la peau de serial killers, avaient soudain très peur qu’on les confonde avec le narrateur. Cette distinction auteur/ narrateur qu’un bon élève de troisième saisit pourtant sans trop de problèmes était trop floue à leurs yeux.

Cette pusillanimité n’est pas sans fondement. Les mésaventures qui sont arrivées à Pierre Mérot et à son dernier roman, Toute la noirceur du monde, montrent en effet que critiques et éditeurs font parfois semblant, toujours au nom de la bonne conscience, de ne pas comprendre cette distinction. Toute la noirceur du monde avait été d’abord retenu par Richard Millet chez Gallimard. La disgrâce de Millet a fait passer le manuscrit à la trappe. Un roman qui faisait parler un facho presque psychopathe, le laissait dévider le fil de ses délires racistes, de sa violence toujours grandissante, de ses meurtres plus horribles les uns que les autres, édité par un Millet devenu infréquentable pour cause d’éloge littéraire de Breivik et de comptage des Blancs au métro Châtelet à 6 heures du soir, tout cela devenait un peu trop ambigu. Mérot s’est donc replié sur la collection bleue de Stock dirigée par Jean-Marc Roberts. Jean-Marc Roberts, qui savait lui aussi que la littérature, même scandaleuse, reste de la littérature, avait accepté le texte. Mais Jean-Marc Roberts décède et son successeur fait soudain dans l’antifascisme tendance 6e arrondissement et annonce qu’un tel roman ne cadre pas avec sa philosophie éditoriale. Toute la noirceur du monde de Pierre Mérot s’est donc retrouvé édité par Flammarion, qui a bien fait. Car malgré quelques limites, ce roman est une réussite.

On pourra certes reprocher à l’auteur d’avoir un peu trop pathologisé son narrateur, Jean Valmore, professeur de français en banlieue, veuf, égoïste, onaniste et écrivain raté qui ne supporte plus le monde multiracial dans lequel il est obligé d’évoluer. Le vrai pari aurait été d’imaginer un personnage un peu plus banal : en finir avec le confort intellectuel qui veut que l’on soit un monstre pour être d’extrême droite.

Cependant le talent de Mérot rend la lecture de Toute la noirceur du monde délicieusement étouffante. Il parvient à saisir les nuances, les glissements d’un Valmore qui, finissant par trouver trop mou un FN jamais nommé, grenouille dans un groupe identitaire clandestin qui massacre à tout-va. Valmore, c’est Meursault chez les fachos, avec un Glock en salle des profs.

Comme le héros de Camus, étranger au monde, il tente de lui redonner consistance par un engagement qui trouve plus facilement son expression dans l’extrémisme brun que dans la foi humaniste de l’auteur de La Peste. Mais ça, ce n’est pas la faute de Mérot, c’est celle de notre époque qui nous renvoie à nos propres contradictions. Mérot apporte une mauvaise nouvelle,

Mérot est désobligeant, Mérot est intempestif, c’est vrai. Mais Mérot ne fait que nous tendre un miroir à peine déformant. Autre exemple de monstre, autre exemple de tentative de plongée à la première personne dans la psyché d’un tueur d’extrême droite, Utoya

de Laurent Obertone. Là, l’affaire se complique encore. Le statut littéraire du livre, d’abord, qui récuse l’appellation de « roman » pour lui préférer celle de « récit » et la personne d’Obertone lui-même. Obertone a publié avec un certain succès l’année dernière La France Orange mécanique. Ce livre, dont Marine Le Pen se fit l’attachée de presse lors d’une émission politique de grande audience, était un document littérairement nul et politiquement plus que contestable : un collage de faits divers montés de façon tendancieuse afin de prouver que la France était à feu et à sang à cause d’une délinquance pour l’essentiel d’origine étrangère. On pouvait donc craindre le pire à la lecture d’Utøya, qui raconte le massacre de 77 jeunes travaillistes lors d’une université d’été, en juillet 2011, par Anders Behring Breivik. Raciste assumé qui avait auparavant inondé les sites spécialisés d’Internet de sa prose délirante, Breivik s’est vécu comme un templier, un combattant de pointe contre l’islamisation, Utoya devenant le Poitiers de l’Europe du XXIe siècle. Utøya est pourtant un bon livre, avouons-le.

Le récit d’Obertone, entrecoupé de documents comme les rapports de police ou même une lettre de victime, est efficace, renforcé par l’intuition que Breivik a aussi vécu le carnage comme un enfant des jeux vidéo et du virtuel. Obertone, dans la peau du monstre, en fait avant tout un garçon à problèmes sans pour autant lui trouver l’excuse de la folie. Quand bien même on ne serait pas d’accord avec sa thèse, qui voit en Breivik, d’après ses propres termes, « l’idiot utile » des sociétés multiculturelles, son portrait d’un jeune homme qui a carburé uniquement à la haine (celles des pédés, des communistes, des toxicos, des musulmans) est un vrai choc. Obertone n’avance pas masqué et semble nous dire, comme ailleurs Mérot : « Débrouillez-vous avec ça. »

Malgré tout, la vision la plus claire et la plus inédite de ce qui se passe vraiment, c’est-à-dire la banalisation de l’extrême droite, nous l’avons trouvée dans le roman d’Antoine Chainas, Pur.

Chainas appartient à cette génération d’auteurs de polars qui refusent le catéchisme dont nous parlions plus haut. Dans une narration inspirée par le nouveau roman et ses descriptions minutieuses, presque scientifiques − un visage qui rentre en contact avec un pare-brise devient un vrai poème en prose glacé − Chainas envisage l’extrême droite avec une objectivité sans faille, flaubertienne. Il n’est pas du genre à faire des professions de foi, même négatives comme Obertone, ou prudentes comme Mérot qui juge utile de mettre un avant-propos à son roman. Surtout, il ne s’agit pas pour lui de peindre des personnages aberrants mais des gens qui décident consciemment, froidement, de se retrancher d’un monde qui tourne mal.

Toute l’intrigue de Pur tourne autour d’une résidence sécurisée de luxe, quelque part dans les environs d’une grande ville du Sud-Est. Un sniper – en fait un adolescent manipulé par son père, le gourou de la résidence –, prend pour cible des voitures conduites par des Arabes sur les autoroutes de la région. Entre l’enquête de police, le désir de vengeance d’une victime survivante, les intrigues municipales à la veille d’une élection et la vie quotidienne dans la bulle panoptique de la résidence sécurisée, Chainas louvoie pour donner un panorama d’une faillite générale du « vouloir vivre ensemble », comme on dit. Il a compris, ce qui n’apparaît qu’à la marge pour Obertone et Mérot, que la victoire de l’extrême droite est silencieuse, feutrée, aseptisée et qu’elle se lit d’abord dans la banalité apparente des réorganisations urbaines, entre libanisation douce et apartheid feutré. À la manière d’un Ballard – on pense, en lisant Pur, à Crash ou au Massacre de Pangbourne – Chainas ne tient pas, à proprement parler, de discours sur l’extrême droite : il l’autopsie. Ni militant ni provocateur : simplement écrivain, ce qui est tout de même l’essentiel.[/access]

Toute la noirceur du monde, Pierre Mérot, Flammarion,2013.

Utoya, Laurent Obertone, Ring, 2013.

Pur, Antoine Chainas, Gallimard/Série Noire, 2013.

 

*Photo : Heiko Junge/AP/SIPA. 20120824.

Pourquoi les écrivains de droite avaient du style ?

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haedens nimier blondin

À la fin de l’année, nous célèbrerons les 100 ans de Kléber Headens, disparu en 1976. En dehors d’une polémique désastreuse sur un collège de banlieue qui aurait dû porter son nom, lit-on encore Haedens ? Pour beaucoup d’entre nous, son Histoire de la littérature française demeure un ouvrage essentiel, le maître-étalon vigoureux de tout critique qui a la prétention d’écrire sur les livres des autres. En 1996, Etienne de Montety avait relevé, dans son « Salut à Kléber Haedens », toute la truculence du personnage, ses foucades comme ses exercices d’admiration. Cet été, j’ai relu Haedens par souci de santé, la rentrée littéraire est un marathon qui mérite quelques pauses gourmandes, mais surtout par plaisir. Plaisir de retrouver Jérôme Dutoit, le héros d’Adios, ou Wilfrid Dorne, celui de Salut au Kentucky. Mon vieux livre de poche (millésime 1970), résumait ainsi le roman, après une courte notice biographique de l’auteur, : « Peut-être y-a-t-il cent façons d’occuper un bel été quand on a vingt ans, mais Wilfrid Dorne n’en voit pas de meilleure que tomber amoureux d’une jeune femme dont le portrait est exposé à la devanture d’un magasin d’antiquités ». Difficile de ne pas poursuivre plus loin cet apprentissage de la vie qui démarre à l’été 1869. Je me suis demandé pourquoi les écrivains de droite, bien que la plupart ne se reconnaissait dans aucun camp politique défini, m’apportaient tant de bonheur de lecture.

Excepté Vailland, Besson, Lacoche ou mon camarade Jérôme Leroy, je (re)lis Haedens mais aussi Blondin, Nimier, Laurent, Perret, Mohrt, Morand, Déon, etc… Je pourrais continuer comme ça la liste des réfractaires comme les appelle Bruno de Cessole dans son merveilleux Défilé (qui vient de reparaître dans la collection Tempus aux éditions Perrin) ou des désenchantés comme les nomme Alain Cresciucci. La gauche humaniste peut manifester, les étudiants se réunir en AG, les professeurs convoquer un conseil de discipline. L’écrivain de droite (jusqu’aux années 80) avait du style, c’est un fait irréfutable, historique. Après les Trente Glorieuses, l’écrivain de droite s’est financiarisé, il a voulu rentabiliser son investissement littéraire, toucher sa part du gâteau. Il avait la volonté de s’en sortir, de ne pas rester un anonyme, un obscur tailleur de mots. Il a perdu ce qui faisait tout son charme réactionnaire, ses emballements de vieux con, sa langue travaillée, son vocabulaire oublié, sa force lyrique, sa mélancolie lancinante, son phrasé intime, ses peurs d’enfant. À l’exigence, l’original, le fracassant, il a préféré le marketing, le commun, le bêtifiant. Aujourd’hui, l’écrivain de droite n’existe plus, c’est une chimère, il forme un même ensemble mou, flou avec son homologue de gauche. Ils partagent les mêmes théories bidons, l’expansion économique et la croissance, comme seuls phares de l’Humanité, l’universel au détriment de l’individuel. En réalité, ils prônent l’appauvrissement généralisé et le déshonneur qu’ils appellent entre eux le progrès et la modernité. Gare à ceux qui osent mettre en doute leurs belles âmes réunies, sous des allures de démocrates débonnaires, ils peuvent se montrer féroces. De vrais tyrans qui auront les moyens de vous faire taire.

Avant ce grand melting-pot culturel, l’écrivain de droite avait des manières d’anar, de dandy déclassé, d’aristo fauché. Il écrivait à l’ancienne, à la hussarde, ne s’embarrassait pas de raisonnements pompeux, de théories savantes, il jouait perso, montait dans la surface de réparation et tirait droit au but. Les coups de sifflet de l’arbitre et les insultes du public ne l’arrêtaient pas. L’écrivain de droite était un révolutionnaire, une forte tête, il désobéissait sans cesse, refusait les cases bien établies, les hiérarchies honteuses et les compromissions d’état. Il était soupe au lait, on l’aimait pour son tempérament volcanique. Il allait toujours à contre-courant, quand l’université se pâmait devant le nouveau roman, il redécouvrait Céline et Morand, quand Sartre imposait son magistère moral, il ressortait les vieilles histoires de l’Occupation et dénonçait les résistants d’opérette.

L’écrivain de droite ne croyait pas aux héros modernes. Il était sevré depuis la défaite de 40. Ses modèles, il fallait les chercher du côté des Mousquetaires, des bandits de grands chemins, des irrésistibles vamps. Cette nature instable charmait le public et inquiétait les élites. Son style était à son image. Il n’avait pas comme son confrère de gauche, un message à déclarer, une ode aux peuples opprimés à déclamer, il ne chantait pas les louanges de la fraternité. Il était libre donc dangereux. Libre d’écrire ce qui lui passait par la tête, libre de rouler à 200 km/h, libre d’aimer, libre de trouver son époque déplorable, lamentable. Il ne se privait pas pour cracher sur les institutions et la faiblesse des hommes. L’écrivain de droite ne pardonnait rien. Aucun parti ne surveillait sa prose. Souvent, il payait cher son irrévérence, sa misogynie, son snobisme, son aversion de la foule. L’écrivain de droite n’était pas dans la transmission des valeurs. Il opérait dans le champ de l’immoral. Quand l’écrivain de gauche se regardait dans la glace et se trouvait terriblement beau et bon, l’écrivain de droite ne supportait pas son reflet. À la lecture, ça fait toute la différence.

*Photo : FR : Antoine Blondin en 1976. 00259435_000002.

Contre la tentation de l’émotion, défendre la Loi Leonetti

euthanasie debre rousseau

Au Grand Journal de Canal + s’est tenu lundi soir un débat sur l’euthanasie – aussi appelé « suicide assisté »-, reprenant la fameuse proposition 21 du hollandisme révolutionnaire[1. Rappelons les termes exacts : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »], remise sur le tapis après la publication d’un rapport d’un panel représentatif de citoyens sur ce qu’on appelle administrativement la « fin de vie ». Pour discuter de la reconnaissance légale d’un droit à mourir dans la dignité, étaient invités Sandrine Rousseau, porte-parole nationale d’EELV, devenue récemment célèbre pour avoir pris parti pour l’euthanasie en racontant la « mort indigne » de sa mère, et Bernard Debré, député UMP, membre du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) et médecin.

L’incommensurabilité des positions en présence était particulièrement frappante :  tandis que Rousseau invoquait la douleur de sa « maman » (mot répété à plusieurs reprises qui suffit à décrire l’insupportable subjectivisation du débat), Debré entrait dans les subtilités jésuitiques de l’ « intentionnalité » et tentait en vain de défendre la loi Leonetti, coupé toutes les dix secondes par le tribunal cathodique.

De la lettre de Vincent Humbert en 2002, jeune tétraplégique qui réclamait un « droit de mourir » au Président de la République, jusqu’aux confessions intimes de Sandrine Rousseau, c’est toujours l’émotion médiatique qui semble présider au débat, glaçant d’avance tout argument rationnel par la logique compassionnelle et limitant le choix de société à l’horizon des tragédies individuelles. D’ailleurs, dans toute la plénitude de sa fausse naïveté, Apathie affirmait « je n’ai jamais rien compris à ceux qui sont contre l’euthanasie », estimant pour sa part que le débat n’était même pas envisageable, étant donné le caractère évident du droit des individus à disposer d’eux-mêmes. Que l’absence de compassion devant une souffrance affichée publiquement puisse être qualifié d’inhumain, d’accord, mais que cette compassion mène tout droit à la législation, voilà qui est moins évident.

Comme le pathos est la chose du monde la mieux partagée (de vous à moi, j’aimerais ne pas souffrir à l’heure du trépas, et j’ai promis à ma grand-mère de lui donner gentiment la cigüe aux premiers signes d’Azheimer), 92% des français, quand on leur présente la chose ainsi, se déclarent favorables à une légalisation de l’euthanasie. Mais j’ose espérer que ce soit plus du à un défaut d’information sur la loi existante qu’à une véritable volonté d’inscrire l’autorisation de tuer son prochain dans la loi.

En effet, même le rapport Sicard, remis en juillet dernier au président, le reconnait : la loi Leonetti est « un chemin mal connu et mal pratiqué et qui répond pourtant à la majorité des situations ».

Si on s’y penche de plus près, la loi Leonetti est même une loi excellente, qui protège les droits des patients tout en donnant la priorité sur la qualité plutôt que sur la durée de la vie, sujet d’admiration pour les experts en France et source d’inspiration pour les législations étrangères. Rappelons brièvement ce qu’elle permet :

–          l’interdiction de l’ « obstination déraisonnable » qui remplace l’acharnement thérapeutique, déjà interdit, mais soumis à des interprétations trop restrictives

–          autorisation de la sédation en phase terminale pour détresse, selon la doctrine dite du « double effet » (l’intention n’est pas de donner la mort, mais de soulager la souffrance, la mort n’étant qu’un effet secondaire)

–          mise en place de directives anticipées pour mieux encadrer la volonté du malade

–          le développement des soins palliatifs

Aucune loi, il est vrai, ne saurait répondre à l’intégralité des situations particulières. Mais une loi existe et elle est bonne, pour une fois. C’est même une des meilleures lois jamais votées sous la Cinquième République.

Il s’agit donc d’en convaincre les français, plutôt que d’emballer la machine législative dans un ultime rut qui risquerait d’aller trop loin. Or, légaliser le suicide assisté et créer une « exception d’euthanasie », c’est aller trop loin, c’est rompre l’équilibre d’un loi intelligente et ouvrir la porte à des dérives qui ont déjà lieu en Suisse et en Belgique (qui autorise le suicide assisté pour motifs psychologiques et s’apprête à légaliser l’euthanasie pour les mineurs).

Depuis la nuit des temps, on achève le soldat mourant sur le champ de bataille et on débranche discrètement les agonisants dans les hôpitaux. Mais il y a une différence énorme à reconnaître qu’une réalité existe, et à l’inscrire noir sur blanc dans le droit. Il y a une différence entre augmenter une dose de morphine et écrire dans la loi que le médecin a le droit de tuer[2. Ce qui est contraire au serment d’Hyppocrate. Ce qui n’embarrasse pas Jean-Luc Romero, président de l’Association du Droit de mourir dans la Dignité qui, dans un entretien à La Nouvelle République, déclarait « « Le serment d’Hippocrate n’est pas un argument valable. Ce texte est vieux de 2.000 ans, il faut tenir compte des réalités de notre époque.” On lui rappellera que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a déjà 200 ans…].Vide juridique ! invoquent ceux qui pensent que le droit doit réguler la moindre parcelle de nos existences. Pourtant, c’est avec raison que la loi Leonetti ménage un espace de non droit, un espace où seules la voix de la conscience, propre aux circonstances particulières, a une quelconque légitimité. « Ne légiférez qu’en tremblant », écrivait Carbonnier : sur la mort en particulier, la main du législateur ne doit s’avancer qu’en frissonnant de terreur et de respect.

En septembre dernier, Jean-Luc Romero écrivait une tribune intitulée « La mort est toujours triste, faisons en sorte qu’elle ne soit pas dramatique ». Pour ma part, je ne veux pas de ce monde aseptisé où la mort ne serait plus un drame, un dénouement tragique, encore moins une mort « digne », autorisée par voie parlementaire et pratiquée par injection létale. Mais je sais que dans le monde de Romero, la mort, elle, n’a jamais été aussi salement triste.

*Photo : Le Grand Journal.

Banquiers en prison, laïcité au balcon

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lyon turin smic

Résumons de manière synthétique le social-libéralisme actuellement au pouvoir : le même jour, les députés socialistes ont retiré la taxe à 75% pour le club de Monaco et Michel Sapin a annoncé une augmentation de 10 centimes du Smic horaire.

C’est vrai. Si les députés n’avaient pas exempté l’AS Monaco, les joueurs auraient pu menacer de partir jouer dans un paradis fiscal. Ou Monaco aurait pu quitter le championnat de France. On ne s’en serait pas remis. 10 centimes en plus pour le Smic horaire. Ça ne met même pas l’heure à 10 euros. 9,53  pour être précis. Un joueur de Monaco, il ne sait même plus à quoi ça ressemble un billet de 10 euros. Si ça se trouve, il ne sait même pas que ça existe, des coupures aussi petites.

En même temps, est-ce bien prudent une telle augmentation du Smic ? Les smicards ne risquent-ils pas de tout claquer en prostituées, cocaïne et voitures de sport ?

On vit une époque formidable. Le 16 novembre dernier, lors d’une manifestation assez violente, dans le Val de Suse, en Italie, contre la ligne de TGV Lyon-Turin qui est inutile et risque de dévaster une région magnifique, une des manifestantes a embrassé sur la bouche un policier anti-émeute. Le policier antiémeute a porté plainte pour intimidation sexuelle. On souhaite que lui et sa famille se remettent du traumatisme et puissent retrouver une vie normale. La manifestante a vraiment eu un comportement scandaleux. Un bon pavé dans la tronche, ou un cocktail Molotov, ça aurait quand même été mieux. Ils ne sont pas habitués aux baisers, les policiers anti-émeutes, surtout dans la vallée de Suse où la lutte dure depuis des années, mêlant activistes décroissants et population locale qui inventent de nouveaux modes de résistance et de coopération. Comme, en France, sur le chantier de Notre-Dame-Des-Landes. Se dire que loin des médias, ces mouvements s’enracinent et renouvellent une opposition concrète au système néo-libéral qui s’occupe de moins en moins de l’avis des peuples, ça vous rend le moral après les incessantes bisbilles du Front de gauche que Mélenchon n’a de cesse de vouloir faire imploser puisque les communistes ne sont pas le petit doigt sur la couture du pantalon.

On en parle trop peu, mais cette résistance que l’on trouve dans le Val de Suse ou à Notre Dame des Landes, elle s’est exprimée et elle a gagné à l’échelle de tout un pays. Non, pas au Venezuela mais, plus près de chez nous, en Islande, le pays des volcans facétieux, des grandes blondes et du polar lent. Les Islandais ont fait une véritable révolution en refusant de payer les conséquences de la crise financière de 2008. Ils ont viré leur gouvernement à plusieurs reprises, renversé leur parlement, réécrit leur constitution et refuser de rembourser les dettes de leurs banquiers. Mieux, ils les jugent : trois anciens dirigeants de la banque Kaupthing, ont été condamnés pour fraude, jeudi 12 décembre. Et ça ne rigole pas : l’ancien directeur général, Hreidar Mar Sigurdsson, a été condamné à cinq ans et demi de prison, et l’ancien président, Sigurdur Einarsson, à cinq ans. L’ancien directeur de la filiale luxembourgeoise, Magnus Gumundsson  a été condamné à trois ans et demi d’emprisonnement. Une peine de trois ans de prison a également été prononcée contre un actionnaire important, Olafur Olafsson. L’Islande, plus de 300 000 habitants et seulement 42 détenus va finir par être le seul pays au monde à être obligé d’agrandir son unique prison pour y mettre des banquiers. 

Un modèle pour nous tous, non ?

Le 13 décembre, à Lille, à l’initiative des Vétérans du Parti et des Jeunesses Communistes, il y a eu une belle rencontre autour de la laïcité en présence d’Anicet Le Pors et de Michelle Demessine. Je suis trop vieux pour faire encore partie des seconds et trop jeune, mais ça ne durera plus, pour faire partie des premiers. J’ai eu vingt ans dans les années 80, plus personne ne faisait de politique et encore moins en adhérant au PCF.

L’exposé d’Anicet Le Pors a été éblouissant, pendant plus d’une heure, sans la moindre note. Quand on pense que cet ancien de la « bande des quatre » ministres du Parti du gouvernement Mauroy a aujourd’hui 82 ans, on se dit que le communisme, ça conserve.  Plaisir aussi de se retrouver physiquement à côté un homme qui a écrit une partie de l’histoire récente, qui a vécu aux premières loges les trois seules années de gauche au pouvoir que la France ait connues depuis la fin de la guerre. Un homme qui a participé aux négociations du Programme Commun, pour les questions industrielles. Un homme qui a connu Marchais et Mitterrand s’engueulant autour d’une table.

Pendant le débat, Anicet Le Pors a remis à sa place quelques jeunes camarades légèrement contaminés par le gauchisme sociétal qui trouvaient que le voile c’était pas un problème, qu’il fallait être tolérant, tu vois, quoi, que la loi de 1905, enfin tu vois, quoi, il faudrait peut-être la repenser, tu vois, quoi.

Ça a été un non ferme, définitif, argumenté. Ce qu’il faut retenir de sa riche conférence, que l’on pourra lire sur son blog, c’est qu’il ne faut laisser personne, à l’extrême droite ou chez certains communautaristes, récupérer le sujet pour des raisons électoralistes qui sont à la fois inverses et complémentaires : focaliser évidemment sur la question de l’islamisme, histoire d’oublier tout le reste, ce que souhaitent aussi bien l’extrême droite identitaire que les barbus. Et comme par hasard, tout ce petit monde finit toujours par rajouter à chaque fois un adjectif ou un complément de nom au beau mot de laïcité afin de la diluer ou de la détourner. « Laïcité ouverte », « laïcité de combat », « laïcité positive » ?

Non : il y a la laïcité. Point à la ligne.

 

*Photo : FAYOLLE PASCAL/SIPA. 00654906_000018..

Deux réacs au cinéma

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neuhoff dandrieu godard

neuhoff dandrieu godard

Montesquieu disait n’avoir jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. C’est qu’il ne connaissait pas le cinéma. Pour être de grands lecteurs, Éric Neuhoff et Laurent Dandrieu qui publient, chacun de son côté, un dictionnaire du cinéma n’en sont pas moins les enfants des salles obscures, de la VHS et du DVD. Pour Neuhoff, le dictionnaire est chic ; pour Dandrieu, il est passionné. Autant dire, et c’est tant mieux, que nous avons affaire dans les deux cas à une subjectivité revendiquée, une certaine mauvaise foi même, mais qui fait partie du jeu pour le lecteur/spectateur qui cherchera d’abord ce qui est dit des films qu’il préfère.[access capability= »lire_inedits »] Il aura ainsi le plaisir de se mettre en rogne et, quelques pages plus loin, d’applaudir à la clairvoyance de l’auteur car la subjectivité, justement, est, surtout en matière de cinéma, la chose du monde la mieux partagée.

Méthodique, Dandrieu passe 6 000 films au crible, impitoyablement notés par des étoiles ou d’infamants ronds blancs. Pour notre part, nous aurons du mal à lui pardonner son jugement sans appel sur À bout de souffle de Godard, mais nous nous retrouverons avec lui sur Le Fanfaron de Risi et « son équilibre parfait entre le rire et la cruauté ». Il y a dans la préface de Dandrieu une exigence clairement morale. C’est un janséniste qui aimerait les actrices à condition qu’elles jouent dans des  films ne célébrant pas trop le relativisme moral.

Bref, Dandrieu est un réactionnaire assumé qui peut certes célébrer l’innovation formelle ou la série B, mais qui se refuse à trouver bon un film où la subversion lui semble être un accessoire à la mode. De Pasolini, il retient L’Évangile selon saint Matthieu mais refuse de se frotter à Salo ou les 120 journées.

Neuhoff est plus léger, même si Dandrieu n’est pas dépourvu d’humour dans l’assassinat. C’est que Neuhoff est un héritier assumé des « Hussards ». Il a le sens de la formule et du sarcasme : « La mauvaise conscience ne chôme jamais. Aujourd’hui les rebelles sont conviés aux César. Ils y vont sans cravate. Non mais. »

Le cinéma, pour Neuhoff, c’est à la fois son auberge espagnole – il y trouve ce qu’il y amène – et son école buissonnière : le cinéma est encore le meilleur moyen de sécher les cours et notamment ceux que donne avec une imperturbable cruauté le temps qui passe. Il y a dans le dictionnaire de Neuhoff une nostalgie pour la jeunesse qui est lente à mourir et un goût pour les films où des beautiful people ont des problèmes de beautiful people. Les entrées de son dictionnaire sont variées, on a le droit à de jolis portraits d’Audrey Hepburn, de Faye Dunaway, de Romy Schneider ou de Sylvia Kristel : « Elle fit beaucoup pour la commercialisation des fauteuils en osier. »

Ou encore, à la lettre « E comme ennuyeux », à une liste des films qui ont failli faire sortir Neuhoff avant la fin. Et Godard en prend là encore pour son grade avec La Chinoise qui est, pourtant, une amusante pochade maoïste. On se demande ce qu’il leur a fait, Godard, à ces deux-là.[/access]

 

Dictionnaire chic du cinéma, Éric Neuhoff, Écriture, 2013.

Dictionnaire passionné du cinéma, Laurent Dandrieu, L’Homme Nouveau, 2013.

*Photo : La Chinoise.

Des nouvelles entre réel et fantastique

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poitevin duquesne reveils

poitevin duquesne reveils

Boudé par les lecteurs, incompris des libraires, méprisé par les éditeurs, le genre littéraire de la nouvelle n’a pas le vent en poupe. C’est le moins qu’on puisse dire. A moins d’être édité chez l’une des six maisons majeures, titulaire d’un grand nombre de prix et de vendre des milliers d’exemplaires. Là, on vous édite comme si on acceptait que vous entreteniez une aventure passagère avec une danseuse ou une demi-mondaine.

Ce n’est pas le cas de Patrick Poitevin-Duquesne qui, au fond de sa province, avance, patiemment, têtu, avec ses textes courts qu’il publie de-ci, de-là, dans revues, journaux et blogs qui consentent à héberger son talent. Du talent, il en possède; c’est indéniable. La preuve, le premier recueil, Réveils difficiles…, qu’il vient d’éditer dans la collection Chiendents de l’éditeur nantais Le Petit Véhicule.

Neuf nouvelles, dont six déjà publiées, les trois autres sont inédites. Elles sont toutes du meilleur cru. Patrick Poitevin-Duquesne détient un univers; ça devient rare. Il oscille, mystérieux, envoûtant, entre le réalisme de terroir (il s’inspire souvent des paysages de Picardie où il vit) tissé de brumes urbaines, d’arbres aphylles, de départementales mornes, rectilignes, betteravières, et une manière de fantastique social qui pourrait l’apparenter à Pierre Mac Orlan, Maupassant ou Edgar Poe. Car, Poitevin Duquesne aime engager ses personnages dans des voies où les situations absurdes, dadaïstes, côtoient le surnaturel.

Ses outils sont simples. Il utilise peu d’effets, sauf quelques rares jeux de mots et métaphores. Son écriture est plus simple et limpide que réellement blanche. Il sait où il va; il n’a pas son pareil pour entraîner son lecteur par la main.

Exemple, « Etang donné », archétype même de la nouvelle fantastique, propose un narrateur bien ancré dans la réalité. Il enfourche son VTT, déboule sur les berges d’un fleuve (qui pourrait être la Somme), et, à la faveur d’un endormissement, se retrouve ailleurs, loin, avec, devant lui, une femme mystérieuse : Marie Greuète, celles des légendes qu’on n’a pas forcément envie de croiser.

Autre texte fort : « Quartiers chauds », une nouvelle animalière dont le chat Georges chausse les bottes du héros. On ne passera pas non plus à côté de « Tout le monde descend », avec un très beau portrait de femme, et de « Sable et mouvant… » texte surprenant et très… animalier.

Patrick Poitevin-Duquesne possède le sens de la brièveté. C’est une force. 

Réveils difficiles…, Patrick Poitevin-Duquesne, éd. Le Petit Véhicule (20, rue du Coudray, 44000 Nantes; éditions.petit.vehicule@gmail.com; 02 40 52 14 94), coll. Chiendent, 2013.

 

*Photo : NIKO/SIPA. 00611872_000002.

Raymond Chandler, Orson Welles : Mes haïkus visuels

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La pathologie du pouvoir

Just because

Ma princesse

Le Grand Sommeil

Hommage de Chandler à Orson Welles

Le choix impossible

Sous le ciel, l’enfer !

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peuples berges giraud

peuples berges giraud

On ne dira jamais assez l’importance de la couverture dans le succès ou non d’un livre. Le Dilettante, maison de qualité, ne les choisit pas au hasard. Le lecteur, surtout dans la période qui précède Noël, est un être délicat en proie au doute. A l’entrée des librairies, il est comme pétrifié devant tous ces rayonnages criards, ces couvertures tapageuses, ces appels citoyens à lire…C’est indécent de laisser la lecture aux mains des marchands et des professeurs. Submergé par les assauts de cette alliance mortifère, le lecteur se défend tant bien que mal. Il résiste aux sirènes de la consommation jusqu’à ce qu’il craque pour un livre inutile, laid et cher. Même les plus avertis, ceux qui se targuent de connaître la Grande Littérature, se font avoir comme des bleus à quelques jours de la Nativité.

Et puis, parfois un miracle se produit, un livre se détache de ce magma indigeste, de cette foire aux égos. Il y a d’abord cette photographie parigote de Georges Dudognon, le noir et blanc poétique, la rue qui grimpe, éternelle Mouff’, des vieilles à cabas escaladeuses, deux clébards sans laisse et cet homme gapette en guise de couvre-chef, pantalon bouffant, mitaines cradingues, pas tout à fait glandilleux, pas très glorieux non plus. Ça sent la déveine. Le décor est planté. Nous sommes à Pantruche. Cet instantané des années 50/60 d’avant la destruction des Halles quand la Capitale marchait encore à l’essence populaire, est en soi un merveilleux témoignage sur notre passé récent. Un éditeur malveillant aurait pu rajouter une pastille mentionnant « avec de vrais gens à l’intérieur » comme d’autres abusent du « vu à la télé ». La photo suffit à poser le propos de Robert Giraud, résistant, journaliste, écrivain à succès avec Le vin des rues en 1955, disparu en 1997. Le Peuple des berges est un plongeon dans les eaux boueuses de la cloche. « La cloche en argot, c’est le ciel. Sont clochards tous ceux qui n’ont que le ciel pour toit. Paris compte quelque vingt-cinq mille individus dans ce cas » souligne Giraud, anthropologue du macadam. Il sera leur portraitiste bienveillant, lucide, curieux, infatigable arpenteur du Paris by night de la dèche, du froid et de la soif.

Chez Giraud, l’œil du reporter nous évite l’angélisme, l’apitoiement, l’absurde éloge de la Liberté. Ce Peuple des berges, recueil de neuf articles, a déjà été publié dans l’hebdomadaire Qui ? Détective du 8 octobre au 3 décembre 1956 sous le titre « La vie secrète des clochards de Paris » comme le précise Olivier Bailly dans son excellente préface. Ces neuf textes décrivent au plus près cette réalité misérable d’après-guerre où le génie de la débrouille, la mythomanie des individus qui ont tout perdu, leur quête obsessionnelle du liquide salvateur, en l’espèce, le vin rouge, forment un cocktail au gout amer. « Tout se transforme en bibine » est l’un des dix commandements de la rue. On a la tête qui tourne. C’est bon signe, l’ivresse littéraire est à ce prix-là. On navigue entre Les Biffins de Gonesse de Jacques Perret, Un idiot à Paris de René Fallet et ce peuple-là nous rappelle parfois les mendiants du Caire que l’on croise dans les romans d’Albert Cossery. Si on est loin de l’imagerie gouailleuse d’Archimède le clochard, la galerie de portraits de Giraud vaut le détour. Des frimes pas possibles, des blazes audiardesques. Des gueules surgies de nulle part : Léon la lune, Louis Robespierre, l’Amiral, Coclo, le Gitan, le Chat, Pépé le voleur de chiens, etc…Toutes ces mauvaises herbes du pavé survivent dans cet enfer de la noye. Giraud s’intéresse aussi aux anonymes, le clodo lambda qui brûle sur une grille, comme Gégène qui avoue avoir « le virus de l’honnêteté ». Car dans ce monde-là, tout s’achète, se vole, s’échange. Tout se mange comme ce rôti de hérisson, féérie gourmande de la débine. Ces Raboliot des villes, braconniers du bitume qui sillonnent la Mouff’, la Maub’, qui traversent la Seine ou les Halles à la nuit tombée sont notre miroir sombre. Si la couleur sépia des années 50 rend leur reflet plus acceptable, leurs héritiers n’ont pas pour autant disparu. Il suffit de se promener dans Paris, l’indigence est tenace.

Le Peuple des berges, Robert Giraud, Le dilettante, 2013.

*Photo : L’Atalante.

À l’Ouest, du nouveau !

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bertrand tavernier western

bertrand tavernier western

Bertrand Tavernier est partout en ce moment. Sur les plateaux de télévision pour promouvoir son dernier long-métrage en date, la comédie politique à succès Quai d’Orsay ! Il est à Lyon pour animer l’Institut Lumière et le Festival du même métal qui a honoré des cinéastes aussi variés que Ken Loach, Quentin Tarantino ou Clint Eastwood. Bertrand Tavernier est aussi – simultanément – dans l’Amérique de ses songes, celle d’Hollywood et des grands espaces. Le réalisateur de Coup de torchon (qui est une sorte de western africain…), nous avait déjà rapporté de ces contrées lointaines une bible encyclopédique : 50 ans de cinéma américain, réservant naturellement une large part aux westerns. Mais le grand ouest, et sa mythologie parfois noble, souvent cruelle, a donné aussi d’excellents romans qui, pour certains, ont inspiré des scénarios de films légendaires. Actes Sud a donc demandé à Bertrand Tavernier de sélectionner des romans westerns marquants afin de les présenter au public français.

« J’ai choisi ces textes pour leur originalité – explique le réalisateur -, pour leur fidélité aux évènements historiques, pour leurs personnages attachants, le suspense qu’ils créent, mais aussi pour leur art d’évoquer des paysages si divers dont leurs auteurs sont amoureux : Oregon, Dakota, Texas, Arizona, Wyoming… »

Premier volume de cette collection prometteuse, et première excellente surprise : Terreur Apache  de William Riley Burnett (1899 – 1982). Plus connu pour ses polars (Asphalte jungle, The little Caesar) ou son travail dans les mines de sel hollywoodiennes (il a contribué aux scénarios de La grande évasion et de Scarface – celui de 1932), Burnett s’est aussi adonné avec bonheur à ce genre plus typiquement américain : le roman western, ou plutôt l’épopée western. Dans l’Arizona de la fin du XIXème siècle, le grand éclaireur Walter Grein, franc-tireur taciturne et solitaire, est mandaté par les autorités pour retrouver et neutraliser le chef Apache Toriano, qui est à l’origine d’une rébellion violente. Avec une poignée de fidèles, tous aussi marginaux que lui, Grein se lance dans une chasse à l’homme haletante émaillée d’épisodes élégiaques, où les protagonistes (blancs ou Apaches) ne font plus qu’un avec la campagne de l’Ouest profond, sa nuit étoilée, sa nature inquiétante, son horizon plein de promesses. Une chasse à l’homme qui, peu à peu, vire à la chasse à l’humain – tant Burnett sait souligner les enjeux presque métaphysiques qui se cachent derrière cette sombre quête de l’autre, sur cette terre promise sauvage. Burnett comparait les Apaches aux spartiates de la Grèce ancienne, avec leur âpreté, leur sens du combat, leur fierté collective ; et il voyait assurément le récit de la conquête de l’ouest comme une épopée. Et l’on sait, depuis Homère, que si les épopées commencent généralement par des guerres effroyables, elles se terminent toujours par le récit plus intimiste du destin d’un homme confronté aux autres et surtout à lui-même.

Terreur Apache est aussi une galerie de portraits vivants et sans concession (jusqu’à un certain cynisme) des hommes et des femmes qui ont fait l’ouest américain, avec leur part de mythologie : ses piliers de saloons, ses palefreniers, ses bureaucrates grotesques, ses cow-boys crottés, ses gradés de l’arrière, ses superbes indiennes vénéneuses, et ses aventuriers perdus… Partout l’auteur arrive à donner de l’épaisseur aux personnages par un sens inspiré de la description… Le réalisateur John Huston voyait les romans de Burnett comme habités d’un « étrange sentiment d’inéluctabilité, de fatalité, qui s’impose au fur et à mesure qu’on approfondit, qu’on rentre à l’intérieur des personnages… » Et l’on y pénètre jamais par la faille trop facile de la psychologie, mais par les interstices plus délicats du comportement, de l’attitude, des mimiques et des silences.

Quant à l’Arizona, il n’a pas à se plaindre. L’action se déploie dans des atmosphères partout suggestives, rendant hommage à la beauté pure des lieux… tel ce lever de soleil qui vaut par avance toutes les adaptations cinématographiques : « La lumière se déployait peu à peu. A l’est, le ciel se teintait d’or et de rose, et de minces traînées de nuages rouges flottaient sur les montagnes qui renaissaient à la couleur. Dans chaque buisson un oiseau chantait, célébrant avec bonheur la fin de la nuit. (…) Enfin, le soleil se leva, inondant un canyon de son aveuglante lumière. L’ombre des arbustes étincelants de rosée s’allongeait sur le sol. Chuck (le cheval de Grein) hennit pour accueillir l’astre montant ».

Le critique américain Andrew Sarris déclarait « W.R. Burnett a inspiré davantage de bons films que Dostoïevski ». Il n’avait pas tort. L’adaptation de Terreur Apache au cinéma a pour titre Le Sorcier du Rio Grande. Ce film, réalisé par Charles Marquis Warren en 1963, avec Charlton Heston dans le rôle de l’éclaireur et Jack Palance dans celui de l’Apache indomptable, trahit quelque peu l’esprit du roman, ajoutant çà et là des accents mélodramatiques et s’éloignant de la sobriété propre à l’univers de Burnett. Le réalisateur qui parvient le mieux à saisir les ombres et entrelacs de l’auteur de Terreur Apache est Robert Aldrich qui réalise une variation sur l’histoire de Burnett en 1972 : Fureur Apache (Ulzana’s Raid). Bertrand Tavernier, dans la postface qu’il signe, y voit le plus grand western des années 70. Une séance de visionnage s’impose après avoir refermé le livre de W.R Burnett.  Le second opus de la collection est déjà en librairie : Des clairons dans l’après-midi d’Ernest Haycox, un écrivain admiré par Hemingway et adapté au cinéma par John Huston et Cecil B. de Mille. Excusez du peu ! L’Ouest n’a pas fini de nous fasciner…

 

*Photo : Le Sorcier du Rio Grande.       

Candidature d’Edouard Martin : Sachons aussi nous réjouir!

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C’est toujours une bonne nouvelle, et même une très bonne nouvelle, quand en France quelqu’un venant du monde de l’entreprise s’investit dans la chose politique. Quand ce n’est pas un chef d’entreprise, l’entrée en politique se fait naturellement à gauche, mais l’important n’est pas là. L’important est ce qu’il apporte, car il y a gauche et gauche. À première vue, Edouard Martin connaît bien la crise industrielle. Il a envie d’y chercher des remèdes, sans se réfugier dans la simple dénonciation de la finance et autres âneries imposées. Et, incroyable, il se dit prêt à chercher des solutions à l’échelle européenne.

Vu qu’il sort de la CFDT, on l’imagine assez bien accordé à ses interlocuteurs allemands, qui sont enfoncés jusqu’au cou, et même jusqu’à la tête, dans la collaboration de classes et dans le compromis politique, bref dans ce qui fait cruellement défaut à la gauche française.

Si notre droite n’avait pas des réflexes politicards dont on a honte pour elle, elle se réjouirait d’avoir Edouard Martin pour prochain partenaire. Parce qu’au niveau européen, ce n’est pas d’adversaires politiciens que la droite et la France ont besoin, c’est de partenaires coopératifs et de gens capables d’inventer des réformes et de les mener à terme.

Et que pouvait-on attendre de mieux qu’une émule de Jacques Chérèque ?

Sans doute, personne ne peut jurer que la politique ne le corrompra pas. Mais tout de même, un homme qui refuse de prendre sa carte au PS, ça peut inspirer confiance.

Bref, camarades de droite, que demandez-vous de mieux ?

Série brune

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chainas obertone merot

chainas obertone merot

Longtemps, c’est le roman noir, le « polar », comme on dit avec un léger mépris du côté de la littérature blanche, qui s’est attaqué à l’extrême droite. Et quand nous disons s’attaquer, le terme est à prendre dans son sens propre. Il y a eu un antifascisme littéraire, dans les années 1980 et 1990, sous les couvertures des collections spécialisées. Il s’est retrouvé, comme l’antifascisme politique de la même époque, à la fois désorienté et naïf face à la montée du Front national. Et contrairement à leurs glorieux ancêtres, comme le Malraux de L’Espoir, ces antifascistes de papier ont abouti le plus souvent à une vision caricaturale, manichéenne, qui a donné naissance à des fictions un peu trop calibrées pour être convaincantes, réduites à des grilles de lectures caduques pour comprendre un phénomène historique inédit. Le lecteur n’avait pas l’impression de lire des romans mais un catéchisme aussi prévisible qu’ennuyeux.

La morale, on le sait, donne rarement de la bonne littérature. Une des conséquences formelles de ces choix idéologiques a priori a été, par exemple, de refuser de faire parler à la première personne l’extrémiste de droite, le fasciste, le néo-nazi. [access capability= »lire_inedits »]Les auteurs, qui n’hésitaient pourtant pas à se mettre par ailleurs dans la peau de serial killers, avaient soudain très peur qu’on les confonde avec le narrateur. Cette distinction auteur/ narrateur qu’un bon élève de troisième saisit pourtant sans trop de problèmes était trop floue à leurs yeux.

Cette pusillanimité n’est pas sans fondement. Les mésaventures qui sont arrivées à Pierre Mérot et à son dernier roman, Toute la noirceur du monde, montrent en effet que critiques et éditeurs font parfois semblant, toujours au nom de la bonne conscience, de ne pas comprendre cette distinction. Toute la noirceur du monde avait été d’abord retenu par Richard Millet chez Gallimard. La disgrâce de Millet a fait passer le manuscrit à la trappe. Un roman qui faisait parler un facho presque psychopathe, le laissait dévider le fil de ses délires racistes, de sa violence toujours grandissante, de ses meurtres plus horribles les uns que les autres, édité par un Millet devenu infréquentable pour cause d’éloge littéraire de Breivik et de comptage des Blancs au métro Châtelet à 6 heures du soir, tout cela devenait un peu trop ambigu. Mérot s’est donc replié sur la collection bleue de Stock dirigée par Jean-Marc Roberts. Jean-Marc Roberts, qui savait lui aussi que la littérature, même scandaleuse, reste de la littérature, avait accepté le texte. Mais Jean-Marc Roberts décède et son successeur fait soudain dans l’antifascisme tendance 6e arrondissement et annonce qu’un tel roman ne cadre pas avec sa philosophie éditoriale. Toute la noirceur du monde de Pierre Mérot s’est donc retrouvé édité par Flammarion, qui a bien fait. Car malgré quelques limites, ce roman est une réussite.

On pourra certes reprocher à l’auteur d’avoir un peu trop pathologisé son narrateur, Jean Valmore, professeur de français en banlieue, veuf, égoïste, onaniste et écrivain raté qui ne supporte plus le monde multiracial dans lequel il est obligé d’évoluer. Le vrai pari aurait été d’imaginer un personnage un peu plus banal : en finir avec le confort intellectuel qui veut que l’on soit un monstre pour être d’extrême droite.

Cependant le talent de Mérot rend la lecture de Toute la noirceur du monde délicieusement étouffante. Il parvient à saisir les nuances, les glissements d’un Valmore qui, finissant par trouver trop mou un FN jamais nommé, grenouille dans un groupe identitaire clandestin qui massacre à tout-va. Valmore, c’est Meursault chez les fachos, avec un Glock en salle des profs.

Comme le héros de Camus, étranger au monde, il tente de lui redonner consistance par un engagement qui trouve plus facilement son expression dans l’extrémisme brun que dans la foi humaniste de l’auteur de La Peste. Mais ça, ce n’est pas la faute de Mérot, c’est celle de notre époque qui nous renvoie à nos propres contradictions. Mérot apporte une mauvaise nouvelle,

Mérot est désobligeant, Mérot est intempestif, c’est vrai. Mais Mérot ne fait que nous tendre un miroir à peine déformant. Autre exemple de monstre, autre exemple de tentative de plongée à la première personne dans la psyché d’un tueur d’extrême droite, Utoya

de Laurent Obertone. Là, l’affaire se complique encore. Le statut littéraire du livre, d’abord, qui récuse l’appellation de « roman » pour lui préférer celle de « récit » et la personne d’Obertone lui-même. Obertone a publié avec un certain succès l’année dernière La France Orange mécanique. Ce livre, dont Marine Le Pen se fit l’attachée de presse lors d’une émission politique de grande audience, était un document littérairement nul et politiquement plus que contestable : un collage de faits divers montés de façon tendancieuse afin de prouver que la France était à feu et à sang à cause d’une délinquance pour l’essentiel d’origine étrangère. On pouvait donc craindre le pire à la lecture d’Utøya, qui raconte le massacre de 77 jeunes travaillistes lors d’une université d’été, en juillet 2011, par Anders Behring Breivik. Raciste assumé qui avait auparavant inondé les sites spécialisés d’Internet de sa prose délirante, Breivik s’est vécu comme un templier, un combattant de pointe contre l’islamisation, Utoya devenant le Poitiers de l’Europe du XXIe siècle. Utøya est pourtant un bon livre, avouons-le.

Le récit d’Obertone, entrecoupé de documents comme les rapports de police ou même une lettre de victime, est efficace, renforcé par l’intuition que Breivik a aussi vécu le carnage comme un enfant des jeux vidéo et du virtuel. Obertone, dans la peau du monstre, en fait avant tout un garçon à problèmes sans pour autant lui trouver l’excuse de la folie. Quand bien même on ne serait pas d’accord avec sa thèse, qui voit en Breivik, d’après ses propres termes, « l’idiot utile » des sociétés multiculturelles, son portrait d’un jeune homme qui a carburé uniquement à la haine (celles des pédés, des communistes, des toxicos, des musulmans) est un vrai choc. Obertone n’avance pas masqué et semble nous dire, comme ailleurs Mérot : « Débrouillez-vous avec ça. »

Malgré tout, la vision la plus claire et la plus inédite de ce qui se passe vraiment, c’est-à-dire la banalisation de l’extrême droite, nous l’avons trouvée dans le roman d’Antoine Chainas, Pur.

Chainas appartient à cette génération d’auteurs de polars qui refusent le catéchisme dont nous parlions plus haut. Dans une narration inspirée par le nouveau roman et ses descriptions minutieuses, presque scientifiques − un visage qui rentre en contact avec un pare-brise devient un vrai poème en prose glacé − Chainas envisage l’extrême droite avec une objectivité sans faille, flaubertienne. Il n’est pas du genre à faire des professions de foi, même négatives comme Obertone, ou prudentes comme Mérot qui juge utile de mettre un avant-propos à son roman. Surtout, il ne s’agit pas pour lui de peindre des personnages aberrants mais des gens qui décident consciemment, froidement, de se retrancher d’un monde qui tourne mal.

Toute l’intrigue de Pur tourne autour d’une résidence sécurisée de luxe, quelque part dans les environs d’une grande ville du Sud-Est. Un sniper – en fait un adolescent manipulé par son père, le gourou de la résidence –, prend pour cible des voitures conduites par des Arabes sur les autoroutes de la région. Entre l’enquête de police, le désir de vengeance d’une victime survivante, les intrigues municipales à la veille d’une élection et la vie quotidienne dans la bulle panoptique de la résidence sécurisée, Chainas louvoie pour donner un panorama d’une faillite générale du « vouloir vivre ensemble », comme on dit. Il a compris, ce qui n’apparaît qu’à la marge pour Obertone et Mérot, que la victoire de l’extrême droite est silencieuse, feutrée, aseptisée et qu’elle se lit d’abord dans la banalité apparente des réorganisations urbaines, entre libanisation douce et apartheid feutré. À la manière d’un Ballard – on pense, en lisant Pur, à Crash ou au Massacre de Pangbourne – Chainas ne tient pas, à proprement parler, de discours sur l’extrême droite : il l’autopsie. Ni militant ni provocateur : simplement écrivain, ce qui est tout de même l’essentiel.[/access]

Toute la noirceur du monde, Pierre Mérot, Flammarion,2013.

Utoya, Laurent Obertone, Ring, 2013.

Pur, Antoine Chainas, Gallimard/Série Noire, 2013.

 

*Photo : Heiko Junge/AP/SIPA. 20120824.

Pourquoi les écrivains de droite avaient du style ?

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haedens nimier blondin

haedens nimier blondin

À la fin de l’année, nous célèbrerons les 100 ans de Kléber Headens, disparu en 1976. En dehors d’une polémique désastreuse sur un collège de banlieue qui aurait dû porter son nom, lit-on encore Haedens ? Pour beaucoup d’entre nous, son Histoire de la littérature française demeure un ouvrage essentiel, le maître-étalon vigoureux de tout critique qui a la prétention d’écrire sur les livres des autres. En 1996, Etienne de Montety avait relevé, dans son « Salut à Kléber Haedens », toute la truculence du personnage, ses foucades comme ses exercices d’admiration. Cet été, j’ai relu Haedens par souci de santé, la rentrée littéraire est un marathon qui mérite quelques pauses gourmandes, mais surtout par plaisir. Plaisir de retrouver Jérôme Dutoit, le héros d’Adios, ou Wilfrid Dorne, celui de Salut au Kentucky. Mon vieux livre de poche (millésime 1970), résumait ainsi le roman, après une courte notice biographique de l’auteur, : « Peut-être y-a-t-il cent façons d’occuper un bel été quand on a vingt ans, mais Wilfrid Dorne n’en voit pas de meilleure que tomber amoureux d’une jeune femme dont le portrait est exposé à la devanture d’un magasin d’antiquités ». Difficile de ne pas poursuivre plus loin cet apprentissage de la vie qui démarre à l’été 1869. Je me suis demandé pourquoi les écrivains de droite, bien que la plupart ne se reconnaissait dans aucun camp politique défini, m’apportaient tant de bonheur de lecture.

Excepté Vailland, Besson, Lacoche ou mon camarade Jérôme Leroy, je (re)lis Haedens mais aussi Blondin, Nimier, Laurent, Perret, Mohrt, Morand, Déon, etc… Je pourrais continuer comme ça la liste des réfractaires comme les appelle Bruno de Cessole dans son merveilleux Défilé (qui vient de reparaître dans la collection Tempus aux éditions Perrin) ou des désenchantés comme les nomme Alain Cresciucci. La gauche humaniste peut manifester, les étudiants se réunir en AG, les professeurs convoquer un conseil de discipline. L’écrivain de droite (jusqu’aux années 80) avait du style, c’est un fait irréfutable, historique. Après les Trente Glorieuses, l’écrivain de droite s’est financiarisé, il a voulu rentabiliser son investissement littéraire, toucher sa part du gâteau. Il avait la volonté de s’en sortir, de ne pas rester un anonyme, un obscur tailleur de mots. Il a perdu ce qui faisait tout son charme réactionnaire, ses emballements de vieux con, sa langue travaillée, son vocabulaire oublié, sa force lyrique, sa mélancolie lancinante, son phrasé intime, ses peurs d’enfant. À l’exigence, l’original, le fracassant, il a préféré le marketing, le commun, le bêtifiant. Aujourd’hui, l’écrivain de droite n’existe plus, c’est une chimère, il forme un même ensemble mou, flou avec son homologue de gauche. Ils partagent les mêmes théories bidons, l’expansion économique et la croissance, comme seuls phares de l’Humanité, l’universel au détriment de l’individuel. En réalité, ils prônent l’appauvrissement généralisé et le déshonneur qu’ils appellent entre eux le progrès et la modernité. Gare à ceux qui osent mettre en doute leurs belles âmes réunies, sous des allures de démocrates débonnaires, ils peuvent se montrer féroces. De vrais tyrans qui auront les moyens de vous faire taire.

Avant ce grand melting-pot culturel, l’écrivain de droite avait des manières d’anar, de dandy déclassé, d’aristo fauché. Il écrivait à l’ancienne, à la hussarde, ne s’embarrassait pas de raisonnements pompeux, de théories savantes, il jouait perso, montait dans la surface de réparation et tirait droit au but. Les coups de sifflet de l’arbitre et les insultes du public ne l’arrêtaient pas. L’écrivain de droite était un révolutionnaire, une forte tête, il désobéissait sans cesse, refusait les cases bien établies, les hiérarchies honteuses et les compromissions d’état. Il était soupe au lait, on l’aimait pour son tempérament volcanique. Il allait toujours à contre-courant, quand l’université se pâmait devant le nouveau roman, il redécouvrait Céline et Morand, quand Sartre imposait son magistère moral, il ressortait les vieilles histoires de l’Occupation et dénonçait les résistants d’opérette.

L’écrivain de droite ne croyait pas aux héros modernes. Il était sevré depuis la défaite de 40. Ses modèles, il fallait les chercher du côté des Mousquetaires, des bandits de grands chemins, des irrésistibles vamps. Cette nature instable charmait le public et inquiétait les élites. Son style était à son image. Il n’avait pas comme son confrère de gauche, un message à déclarer, une ode aux peuples opprimés à déclamer, il ne chantait pas les louanges de la fraternité. Il était libre donc dangereux. Libre d’écrire ce qui lui passait par la tête, libre de rouler à 200 km/h, libre d’aimer, libre de trouver son époque déplorable, lamentable. Il ne se privait pas pour cracher sur les institutions et la faiblesse des hommes. L’écrivain de droite ne pardonnait rien. Aucun parti ne surveillait sa prose. Souvent, il payait cher son irrévérence, sa misogynie, son snobisme, son aversion de la foule. L’écrivain de droite n’était pas dans la transmission des valeurs. Il opérait dans le champ de l’immoral. Quand l’écrivain de gauche se regardait dans la glace et se trouvait terriblement beau et bon, l’écrivain de droite ne supportait pas son reflet. À la lecture, ça fait toute la différence.

*Photo : FR : Antoine Blondin en 1976. 00259435_000002.

Contre la tentation de l’émotion, défendre la Loi Leonetti

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euthanasie debre rousseau

euthanasie debre rousseau

Au Grand Journal de Canal + s’est tenu lundi soir un débat sur l’euthanasie – aussi appelé « suicide assisté »-, reprenant la fameuse proposition 21 du hollandisme révolutionnaire[1. Rappelons les termes exacts : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »], remise sur le tapis après la publication d’un rapport d’un panel représentatif de citoyens sur ce qu’on appelle administrativement la « fin de vie ». Pour discuter de la reconnaissance légale d’un droit à mourir dans la dignité, étaient invités Sandrine Rousseau, porte-parole nationale d’EELV, devenue récemment célèbre pour avoir pris parti pour l’euthanasie en racontant la « mort indigne » de sa mère, et Bernard Debré, député UMP, membre du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) et médecin.

L’incommensurabilité des positions en présence était particulièrement frappante :  tandis que Rousseau invoquait la douleur de sa « maman » (mot répété à plusieurs reprises qui suffit à décrire l’insupportable subjectivisation du débat), Debré entrait dans les subtilités jésuitiques de l’ « intentionnalité » et tentait en vain de défendre la loi Leonetti, coupé toutes les dix secondes par le tribunal cathodique.

De la lettre de Vincent Humbert en 2002, jeune tétraplégique qui réclamait un « droit de mourir » au Président de la République, jusqu’aux confessions intimes de Sandrine Rousseau, c’est toujours l’émotion médiatique qui semble présider au débat, glaçant d’avance tout argument rationnel par la logique compassionnelle et limitant le choix de société à l’horizon des tragédies individuelles. D’ailleurs, dans toute la plénitude de sa fausse naïveté, Apathie affirmait « je n’ai jamais rien compris à ceux qui sont contre l’euthanasie », estimant pour sa part que le débat n’était même pas envisageable, étant donné le caractère évident du droit des individus à disposer d’eux-mêmes. Que l’absence de compassion devant une souffrance affichée publiquement puisse être qualifié d’inhumain, d’accord, mais que cette compassion mène tout droit à la législation, voilà qui est moins évident.

Comme le pathos est la chose du monde la mieux partagée (de vous à moi, j’aimerais ne pas souffrir à l’heure du trépas, et j’ai promis à ma grand-mère de lui donner gentiment la cigüe aux premiers signes d’Azheimer), 92% des français, quand on leur présente la chose ainsi, se déclarent favorables à une légalisation de l’euthanasie. Mais j’ose espérer que ce soit plus du à un défaut d’information sur la loi existante qu’à une véritable volonté d’inscrire l’autorisation de tuer son prochain dans la loi.

En effet, même le rapport Sicard, remis en juillet dernier au président, le reconnait : la loi Leonetti est « un chemin mal connu et mal pratiqué et qui répond pourtant à la majorité des situations ».

Si on s’y penche de plus près, la loi Leonetti est même une loi excellente, qui protège les droits des patients tout en donnant la priorité sur la qualité plutôt que sur la durée de la vie, sujet d’admiration pour les experts en France et source d’inspiration pour les législations étrangères. Rappelons brièvement ce qu’elle permet :

–          l’interdiction de l’ « obstination déraisonnable » qui remplace l’acharnement thérapeutique, déjà interdit, mais soumis à des interprétations trop restrictives

–          autorisation de la sédation en phase terminale pour détresse, selon la doctrine dite du « double effet » (l’intention n’est pas de donner la mort, mais de soulager la souffrance, la mort n’étant qu’un effet secondaire)

–          mise en place de directives anticipées pour mieux encadrer la volonté du malade

–          le développement des soins palliatifs

Aucune loi, il est vrai, ne saurait répondre à l’intégralité des situations particulières. Mais une loi existe et elle est bonne, pour une fois. C’est même une des meilleures lois jamais votées sous la Cinquième République.

Il s’agit donc d’en convaincre les français, plutôt que d’emballer la machine législative dans un ultime rut qui risquerait d’aller trop loin. Or, légaliser le suicide assisté et créer une « exception d’euthanasie », c’est aller trop loin, c’est rompre l’équilibre d’un loi intelligente et ouvrir la porte à des dérives qui ont déjà lieu en Suisse et en Belgique (qui autorise le suicide assisté pour motifs psychologiques et s’apprête à légaliser l’euthanasie pour les mineurs).

Depuis la nuit des temps, on achève le soldat mourant sur le champ de bataille et on débranche discrètement les agonisants dans les hôpitaux. Mais il y a une différence énorme à reconnaître qu’une réalité existe, et à l’inscrire noir sur blanc dans le droit. Il y a une différence entre augmenter une dose de morphine et écrire dans la loi que le médecin a le droit de tuer[2. Ce qui est contraire au serment d’Hyppocrate. Ce qui n’embarrasse pas Jean-Luc Romero, président de l’Association du Droit de mourir dans la Dignité qui, dans un entretien à La Nouvelle République, déclarait « « Le serment d’Hippocrate n’est pas un argument valable. Ce texte est vieux de 2.000 ans, il faut tenir compte des réalités de notre époque.” On lui rappellera que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a déjà 200 ans…].Vide juridique ! invoquent ceux qui pensent que le droit doit réguler la moindre parcelle de nos existences. Pourtant, c’est avec raison que la loi Leonetti ménage un espace de non droit, un espace où seules la voix de la conscience, propre aux circonstances particulières, a une quelconque légitimité. « Ne légiférez qu’en tremblant », écrivait Carbonnier : sur la mort en particulier, la main du législateur ne doit s’avancer qu’en frissonnant de terreur et de respect.

En septembre dernier, Jean-Luc Romero écrivait une tribune intitulée « La mort est toujours triste, faisons en sorte qu’elle ne soit pas dramatique ». Pour ma part, je ne veux pas de ce monde aseptisé où la mort ne serait plus un drame, un dénouement tragique, encore moins une mort « digne », autorisée par voie parlementaire et pratiquée par injection létale. Mais je sais que dans le monde de Romero, la mort, elle, n’a jamais été aussi salement triste.

*Photo : Le Grand Journal.

Banquiers en prison, laïcité au balcon

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lyon turin smic

lyon turin smic

Résumons de manière synthétique le social-libéralisme actuellement au pouvoir : le même jour, les députés socialistes ont retiré la taxe à 75% pour le club de Monaco et Michel Sapin a annoncé une augmentation de 10 centimes du Smic horaire.

C’est vrai. Si les députés n’avaient pas exempté l’AS Monaco, les joueurs auraient pu menacer de partir jouer dans un paradis fiscal. Ou Monaco aurait pu quitter le championnat de France. On ne s’en serait pas remis. 10 centimes en plus pour le Smic horaire. Ça ne met même pas l’heure à 10 euros. 9,53  pour être précis. Un joueur de Monaco, il ne sait même plus à quoi ça ressemble un billet de 10 euros. Si ça se trouve, il ne sait même pas que ça existe, des coupures aussi petites.

En même temps, est-ce bien prudent une telle augmentation du Smic ? Les smicards ne risquent-ils pas de tout claquer en prostituées, cocaïne et voitures de sport ?

On vit une époque formidable. Le 16 novembre dernier, lors d’une manifestation assez violente, dans le Val de Suse, en Italie, contre la ligne de TGV Lyon-Turin qui est inutile et risque de dévaster une région magnifique, une des manifestantes a embrassé sur la bouche un policier anti-émeute. Le policier antiémeute a porté plainte pour intimidation sexuelle. On souhaite que lui et sa famille se remettent du traumatisme et puissent retrouver une vie normale. La manifestante a vraiment eu un comportement scandaleux. Un bon pavé dans la tronche, ou un cocktail Molotov, ça aurait quand même été mieux. Ils ne sont pas habitués aux baisers, les policiers anti-émeutes, surtout dans la vallée de Suse où la lutte dure depuis des années, mêlant activistes décroissants et population locale qui inventent de nouveaux modes de résistance et de coopération. Comme, en France, sur le chantier de Notre-Dame-Des-Landes. Se dire que loin des médias, ces mouvements s’enracinent et renouvellent une opposition concrète au système néo-libéral qui s’occupe de moins en moins de l’avis des peuples, ça vous rend le moral après les incessantes bisbilles du Front de gauche que Mélenchon n’a de cesse de vouloir faire imploser puisque les communistes ne sont pas le petit doigt sur la couture du pantalon.

On en parle trop peu, mais cette résistance que l’on trouve dans le Val de Suse ou à Notre Dame des Landes, elle s’est exprimée et elle a gagné à l’échelle de tout un pays. Non, pas au Venezuela mais, plus près de chez nous, en Islande, le pays des volcans facétieux, des grandes blondes et du polar lent. Les Islandais ont fait une véritable révolution en refusant de payer les conséquences de la crise financière de 2008. Ils ont viré leur gouvernement à plusieurs reprises, renversé leur parlement, réécrit leur constitution et refuser de rembourser les dettes de leurs banquiers. Mieux, ils les jugent : trois anciens dirigeants de la banque Kaupthing, ont été condamnés pour fraude, jeudi 12 décembre. Et ça ne rigole pas : l’ancien directeur général, Hreidar Mar Sigurdsson, a été condamné à cinq ans et demi de prison, et l’ancien président, Sigurdur Einarsson, à cinq ans. L’ancien directeur de la filiale luxembourgeoise, Magnus Gumundsson  a été condamné à trois ans et demi d’emprisonnement. Une peine de trois ans de prison a également été prononcée contre un actionnaire important, Olafur Olafsson. L’Islande, plus de 300 000 habitants et seulement 42 détenus va finir par être le seul pays au monde à être obligé d’agrandir son unique prison pour y mettre des banquiers. 

Un modèle pour nous tous, non ?

Le 13 décembre, à Lille, à l’initiative des Vétérans du Parti et des Jeunesses Communistes, il y a eu une belle rencontre autour de la laïcité en présence d’Anicet Le Pors et de Michelle Demessine. Je suis trop vieux pour faire encore partie des seconds et trop jeune, mais ça ne durera plus, pour faire partie des premiers. J’ai eu vingt ans dans les années 80, plus personne ne faisait de politique et encore moins en adhérant au PCF.

L’exposé d’Anicet Le Pors a été éblouissant, pendant plus d’une heure, sans la moindre note. Quand on pense que cet ancien de la « bande des quatre » ministres du Parti du gouvernement Mauroy a aujourd’hui 82 ans, on se dit que le communisme, ça conserve.  Plaisir aussi de se retrouver physiquement à côté un homme qui a écrit une partie de l’histoire récente, qui a vécu aux premières loges les trois seules années de gauche au pouvoir que la France ait connues depuis la fin de la guerre. Un homme qui a participé aux négociations du Programme Commun, pour les questions industrielles. Un homme qui a connu Marchais et Mitterrand s’engueulant autour d’une table.

Pendant le débat, Anicet Le Pors a remis à sa place quelques jeunes camarades légèrement contaminés par le gauchisme sociétal qui trouvaient que le voile c’était pas un problème, qu’il fallait être tolérant, tu vois, quoi, que la loi de 1905, enfin tu vois, quoi, il faudrait peut-être la repenser, tu vois, quoi.

Ça a été un non ferme, définitif, argumenté. Ce qu’il faut retenir de sa riche conférence, que l’on pourra lire sur son blog, c’est qu’il ne faut laisser personne, à l’extrême droite ou chez certains communautaristes, récupérer le sujet pour des raisons électoralistes qui sont à la fois inverses et complémentaires : focaliser évidemment sur la question de l’islamisme, histoire d’oublier tout le reste, ce que souhaitent aussi bien l’extrême droite identitaire que les barbus. Et comme par hasard, tout ce petit monde finit toujours par rajouter à chaque fois un adjectif ou un complément de nom au beau mot de laïcité afin de la diluer ou de la détourner. « Laïcité ouverte », « laïcité de combat », « laïcité positive » ?

Non : il y a la laïcité. Point à la ligne.

 

*Photo : FAYOLLE PASCAL/SIPA. 00654906_000018..