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Japon: le coeur battant de l’Histoire


Une statue de Ravaillac, l’assassin de Henri IV, place des Vosges à Paris ? Au Japon, l’idée ne semblerait pas si farfelue. Quatre siècles après sa mort, un traître régicide fait figure de star alors que le mystère de ses motivations passionne les historiens comme les profanes. Un signe de la bonne santé de l’histoire et du débat historiographique dans l’archipel.


Interviewé par Elisabeth Lévy le mois dernier sur REACnROLL, Marcel Gauchet faisait un triste constat : la France achève de sortir de l’Histoire sans même s’en émouvoir, trop occupée qu’elle est à se mettre au diapason américain. Disparus les Michelet, Grousset, Furet : le temps n’est plus aux questions ni même aux querelles mais aux problèmes. Au temps des déboulonnages de statues, le débat historiographique semble devoir se limiter à la question de savoir si Colbert était méchant.

Shôgun à la place du shôgun

Le Japon n’a pas ce problème. En témoigne cette initiative de la mairie de Fukuchiyama (région du nord-ouest de Kyôtô) qui a organisé, en collaboration avec le musée d’histoire de la ville, un questionnaire en ligne. Ce sondage portait sur le seigneur (daimyô) Akechi Mitsuhide, célébrité locale et protagoniste de la « grande histoire ». Car Mitsuhide n’est pas simplement le seigneur de Fukuchiyama : il est surtout un personnage de premier plan de l’histoire du Japon de l’époque des « provinces en guerre » (du milieu du XVème siècle à la fin du XVIème). Il y a forgé son obscure légende en trahissant l’homme le plus puissant de l’époque alors à son apogée, son seigneur Oda Nobunaga. Obscure car l’homme a péri sur les champs de bataille un mois après son forfait, emportant dans la tombe le secret de ses intentions. Un grand point d’interrogation plane sur ce personnage-clé de l’une des périodes les plus fascinantes de l’histoire du Japon, cet « univers sens dessus-dessous » où chacun se rêvait shôgun à la place du shôgun.

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Le débat est toujours ouvert parmi les spécialistes pour trouver la clé du « plus grand mystère de l’histoire du Japon » comme aime à l’appeler Tetsuô Owada, l’historien qu’a débauché la ville de Fukuchiyama pour soumettre cet épineux problème à la sagacité des internautes japonais… Pour l’occasion, Owada a proposé aux volontaires de faire leur choix parmi 50 explications différentes ! Témoignant au passage de l’indéfectible affection des Japonais pour les questionnaires à choix multiples (QCM). Y figurent des hypothèses classiques comme l’inimitié personnelle ou la soif de pouvoir aux côtés de propositions plus originales comme la « volonté [de Mitsuhide] d’arrêter le processus de déification [de son maître] ». L’opération a connu un franc succès avec un total de 35 359 votes des quatre coins du pays encore confiné. Précisons, à l’heure où les études statistiques sont jugées de près[tooltips content= »Cf. le LancetGate »]1[/tooltips], que ce questionnaire n’est probablement pas représentatif de l’ensemble de la population japonaise (la surreprésentation des jeunes liée à l’utilisation d’Internet semble assez évidente). Néanmoins c’est une bonne occasion d’explorer le rapport des Japonais à leur histoire et d’interroger certaines idées reçues.

La fidélité du guerrier ?

L’hypothèse qui a recueilli, de loin, le plus de suffrages (4 046) est la suivante : Akechi Mitsuhide a tué son suzerain Oda Nobunaga car celui-ci était devenu un tyran. C’est donc l’équilibre des pouvoirs qui aurait poussé le vassal idéaliste à commettre un mal pour un bien. Tetsuô Owada s’avoue surpris, s’attendant à voir en tête des explications plus traditionnelles comme le conflit d’egos et la lutte pour le pouvoir. Il n’est pas le seul : certains des plus grands journaux du pays[tooltips content= »Mainichi Shinbun, Yomiuri Shinbun, Sankei Shinbun… »]2[/tooltips] en ont parlé. Cet étonnant résultat, qui remet en cause le caractère sacré du devoir d’obéissance envers son seigneur, y est sans doute pour quelque chose.

Contrairement à une idée solidement ancrée[tooltips content= »Datant probablement de la codification du mythique code de l’honneur des guerriers japonais (le bushidô) dans le Hagakure en 1716. »]3[/tooltips] les liens entre vassaux et seigneurs reposaient rarement sur un devoir d’obéissance absolue tel qu’exposé dans le bushidô. En pratique les guerriers changent souvent d’allégeance en fonction de leurs proximités ou de leurs intérêts. La grande guerre qui court tout au long du XIIème siècle est souvent présentée comme ayant opposé le clan des Taira à celui des Minamoto. En réalité les deux clans comptaient chacun dans leurs rangs nombre de Taira et de Minamoto mélangés, même si les branches aînées s’opposaient distinctement (Cf. les ouvrages de Pierre-François Souyri, notamment Les guerriers dans la rizière et Histoire du Japon médiéval). La fidélité inconditionnelle a bien entendu existé mais on la trouve beaucoup plus parmi les « petits » (guerriers de la garde rapprochée…) que chez les puissants vassaux. De nombreuses histoires d’hommes-lige se sacrifiant héroïquement pour leur seigneur peuplent l’histoire et la mémoire collective japonaise. C’est le destin de Mori Ranmaru, dernier des fidèles d’Oda Nobunaga qui se sacrifia pour retarder l’entrée des troupes de Mitsuhide dans le temple de Honno-Ji et permettre à son maître de se suicider dignement. Nobunaga a-t-il été un « tyran » comme le suggère l’hypothèse gagnante ? L’opprobre en tout cas n’est pas jetée sur le traître qui pouvait fort bien avoir ses raisons. Gageons que cela ne diminue pas pour autant l’admiration pour ce héros populaire qu’est Ranmaru.

Les Japonais peu concernés par leur passé ?

Pour nombre d’internautes Mitsuhide n’a pas agi seul, c’était l’instrument d’un seigneur plus puissant, propulsé à la tête du pays : Toyotomi Hideyoshi. Pour certains ce serait même Hideyoshi qui aurait commis l’acte en personne (hypothèse qui arrive en 5ème position dans le classement). Les tenants de cette hypothèse auraient du mal échapper à l’accusation de complotisme sous nos latitudes où le souvenir de l’Histoire, de ses jeux de pouvoir et de ses luttes d’influence, est en train de disparaître. Pourtant ces hypothèses de « gouvernement de l’ombre », qui représentent plus de la moitié des choix proposés, témoignent d’une bonne connaissance de l’histoire nationale dont l’une des spécificités les plus marquées est que, bien souvent, le pouvoir réel échappe à celui qui en est officiellement le détenteur. Il faut ici saluer le travail des concepteurs qui, ayant pris le livre d’Odawa pour référence, ont su en tirer 50 propositions détaillées et les classer de manière claire, concise et convaincante.

Le sentiment de la continuité historique irrigue toujours l’archipel en profondeur. Cet épisode seul suffirait à le prouver s’il ne s’inscrivait pas en sus dans un cadre plus large. Tous les ans, sur toute l’année, la NHK (radio du service public) diffuse une série de fictions historiques à très gros budget appelée « Taiga Drama »[tooltips content= »Ce programme réunissait il y a 30 ans 40% des parts d’audience ! Ces records sont loins puisqu’il ne parvient aujourd’hui que difficilement à franchir la barre des 10% mais il ne faut pas sous-estimer son poids et son influence dans le paysage médiatique »]4[/tooltips], devenue une institution après presque 60 ans d’existence. Cette année le héros est… Akechi Mitsuhide ! Sans doute la série est-elle à l’origine du projet de la mairie de Fukuchiyama, surtout que l’historien du questionnaire, Tetsuô Odawa, est aussi le « conseiller histoire » de la série. Plus qu’une fierté personnelle la culture historique est un jardin secret entretenu par le groupe, qui n’affleure à la surface que lorsque l’émulation est collective. Au Japon, comme le dit Tadao Takemoto[tooltips content= »L’âme japonaise en miroir: Claudel, Malraux, Lévi-Strauss, Einstein…, p13 (préface d’Olivier Germain-Thomas) »]5[/tooltips], « l’essentiel est caché » et l’histoire ne fait pas exception. L’Occident sous influence américaine ne croit plus qu’au visible, au transparent, aux images. Ce drôle de questionnaire est d’autant plus rafraîchissant qu’il redonne toute sa place à la complexité de l’histoire humaine.

« Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde »

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Les habits neufs du totalitarisme


L’horreur réapparaît mais pas là où on l’attendait: antisionisme, antiracisme racialiste, islamisme, écologisme de purification, victimisation. Toujours en prétendant défendre les opprimés, en quête de perfection humaine et revisitant l’histoire et la biologie. Interdisant le débat et adepte du mensonge. « Celui qui contrôle le présent, contrôle le passé, mais celui qui contrôle le passé contrôle le futur. » (George Orwell). Une fois de plus, une masse de personnes sincères et de bonne foi vont suivre ces joueurs de flute, trompés et séduits par les revendications de justice affichées. Depuis des décennies, en effet, une grande partie de la jeunesse instruite, formatée par un conditionnement à la fausse tolérance et à la non-violence, rêve d’un monde débarrassé définitivement du racisme, de la haine, de la guerre et de toute pollution produite par l’homme.

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Obsédée par les abominations de la deuxième guerre mondiale ou plutôt désormais par ce qu’elle croit être son équivalent, la spoliation et la persécution des Palestiniens, cette jeunesse occidentale ne veut plus d’ennemis, alors qu’elle se donne à elle-même de nouveaux ennemis qui sont les protecteurs, certes très imparfaits et parfois même violents, d’un ordre démocratique, stable et civilisé. Cette exigence de pureté et de perfection qui veut s’appliquer aux sociétés a toujours engendré les différents totalitarismes.

A lire ensuite: Une amnistie pour tous les criminels «racisés»?

Le totalitarisme d’aujourd’hui n’a pas encore de nom mais il a pour adeptes passifs ou actifs et militants tous ceux qui refusent de voir qu’il est impossible d’éradiquer le mal du cœur des hommes et de la nature elle-même et qu’il faut seulement en limiter ses désastreuses manifestations. « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête », disait Pascal. C’est ainsi qu’il devient possible aux monstres du pouvoir et de la destruction de se nourrir de nos idéaux angéliques.

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Dorénavant, le « New York Times » écrira « Black » avec une majuscule

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Derrière cette décision éditoriale, une bien curieuse logique…


Nous vivons à une époque où de nombreuses personnes s’empressent d’exprimer leur solidarité avec les minorités opprimées en mettant un genou par terre. Peut-on reproduire le même geste sur le plan purement typographique ? Le très célèbre New York Times a décidé que oui, en annonçant le 30 juin que désormais l’adjectif « Noir » ou « Black » arborera une lettre majuscule quand il désignera des peuples ou des cultures d’origine africaine. Et cela, afin de faire preuve de respect envers toutes les communautés parmi leurs lecteurs. Cette décision serait en phase avec une autre, prise auparavant, consistant à donner une majuscule à « Native » et à « Indigenous » pour les membres des Premières Nations d’Amérique. C’est d’autant plus cohérent que d’autres termes, comme « Asian-American » (« Asio-Américain ») ou « Latino », portent des majuscules depuis toujours. Très cohérent, n’est-ce pas ? Sauf que « blanc », « white », gardera une minuscule. Pourquoi ? Parce que, pour le journal, ce terme aurait beaucoup moins tendance à évoquer « une culture et une histoire partagées ». Il s’ensuit donc, selon cette logique curieuse, que les Blancs ne constituent pas une communauté. Le Times se justifie en ajoutant que « White » avec majuscule est un usage qu’affectionnent les groupuscules de suprématistes blancs. Mais depuis quand ces groupuscules-là parlent-ils au nom de la communauté – ou de la non-communauté – des Blancs ?

« Privilège blanc »

En réalité, la décision du New York Times n’est pas isolée. Beaucoup d’autres publications l’ont précédé ces derniers temps, le Chicago Sun-Times allant jusqu’à donner aussi une majuscule à « Brown » pour désigner toutes les autres personnes de couleur, quoique celles-ci ne partagent certainement pas une histoire et une culture communes. Le débat sur la signification de tous ces termes, avec ou sans majuscules, n’est pas tranché chez les activistes noirs. Le grand militant pour les droits civiques, Jesse Jackson, refuse le terme de « Black », préférant « Afro-Américain », car selon lui il est essentiel de mettre en avant l’héritage plutôt que la couleur. D’autres activistes noirs trouvent que l’étiquette monolithique de « Black » gomme la diversité des expériences des différents peuples d’origine africaine. D’autres encore pensent que priver « white » de sa majuscule, c’est renforcer l’impression que les Blancs ne sont pas racialisés, qu’ils constituent la norme par rapport à laquelle les Noirs constituent l’autre.

A lire aussi, Aurélien Marq: Caricatures retirées du New York Times: ainsi meurt la liberté

Pourquoi donc le New York Times a-t-il décidé que les Blancs n’auront pas de majuscule ? La vraie raison en est que les plus radicaux des activistes croient que l’égalité de traitement devant la typographie ne peut pas être tolérée tant que les Blancs conserveront leur « privilège blanc » si injustement acquis. Le journal américain choisit donc de se plier devant les exigences des extrémistes. Cette même asymétrie dans le traitement des Noirs et des Blancs se retrouve ailleurs. Le site web communautaire, Reddit, vient de mettre à jour ses règles. Désormais, seront interdites les communautés qui incitent à la violence ou à la haine contre des groupes sur la base de l’identité ou de la vulnérabilité de ces groupes. On apprend que cette règle ne protège pas tous les groupes et toutes les formes d’identité. Certainement pas les groupes « qui constituent la majorité » ou qui promeuvent des attaques haineuses contre les minorités. Quelle peut être cette « majorité » en ligne ? On est obligé de déduire qu’il s’agit des majorités dans la plupart des pays occidentaux, c’est-à-dire des Blancs. Ceux-ci peuvent donc être haïs à volonté.

Revanche typographique

Cette asymétrie Noir/Blanc est un exemple inquiétant de ce que Douglas Murray, l’essayiste, journaliste et penseur conservateur, appelle la sur-correction dans son livre, La Guerre des communautés : Race, identité, genre, les ferments de la violence qui vient, qui sortira en français en octobre. Ces dernières années, on a beaucoup fait dans nos sociétés sur le plan juridique pour corriger les injustices et les inégalités dont souffraient différentes minorités – ethniques ou « genrées » – et une majorité, celle des femmes. Maintenant, il s’agit d’aller plus loin : plutôt que de viser la correction des inégalités, il s’agit d’infliger une correction aux majorités et surtout aux hommes. Nous vivons à l’ère de la vengeance. Même typographiquement.

Sur Sud Radio, notre directrice Elisabeth Lévy réagit à cette polémique

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Et si Macron était vraiment disruptif?

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Voici, à l’attention de M. Macron, une liste de propositions économiques qui pourrait en faire un président vraiment disruptif.


J’ai été très heureux de lire les intéressantes propositions de monsieur Nouailhac. Certes, elles ne brillent pas par leur originalité disruptive, mais elles ont le mérite de la sincérité. Moins d’Etat, moins de démocratie et plus de liberté à condition que celle-ci soit exclusivement limitée à une seule classe, celle des entrepreneurs. Il faudrait bien sûr garder une armée un peu puissante, au moins pour intervenir à l’intérieur, comme dans le Chili de Pinochet qui fut le premier pays à servir de terrain de jeu aux Chicago Boys.

Comme je suis moi-même passé de la fonction publique au secteur privé avec une partie de mon activité dans l’auto-entrepreneuriat, on me permettra d’exprimer à mon tour ce qui me semblerait une action nécessaire de la part du président Macron pour surmonter la crise économique qui vient, fille d’une crise sanitaire dont les parents sont la dégradation environnementale ainsi que le mode de production néolibéral et sa mondialisation délirante. La question pour la France n’est donc plus seulement de savoir qui va payer quoi mais d’éviter un effondrement et une tiers-mondisation accélérée.

A lire également, Jean Nouailhac : Pour Macron, c’est le moment ou jamais !

Réaliser au plus vite un audit de la dette

Le budget d’un État ne peut pas être comparé au budget d’une famille. Pour deux raisons essentielles. Primo, un État peut décider du montant de ses recettes par sa politique fiscale. Secundo, ses dépenses conditionneront ses recettes en finançant des infrastructures, des investissements, des salaires.

Si la dette publique augmente, c’est pour deux raisons:

  • la baisse des recettes fiscales avec les cadeaux fiscaux successifs aux entreprises et aux contribuables les plus riches;
  • l’interdiction que les gouvernements se sont imposés depuis 73 de faire financer les déficits publics par la banque de France puis par la BCE.

Heureusement, la mutualisation des dettes nationales au niveau européen semble prendre le bon chemin. Panser les blessures de la crise sanitaire, relancer l’activité en relançant la demande, rénover les systèmes scolaires et hospitaliers, créer les millions d’emplois dont on aura impérativement besoin pour la transition écologique.

Redéfinir le périmètre du marché

En 1945, une France en ruines est redevenue en quelques années une puissance économique et politique mondiale, avec un haut niveau de protection sociale. Le pragmatisme gaulliste a en effet compris que le secteur privé, après s’être largement déshonoré dans la collaboration, ne pouvait assurer une reconstruction digne de ce nom en étant seulement aiguillé par une vision comptable de rentabilité court-termiste.

Il a été donc été décidé par le CNR de nationaliser de larges pans de l’économie parce qu’ils appartenaient aux « communs » de la nation : les transports, l’énergie, les communications, la santé, l’éducation et une bonne partie du crédit. Il faut renouer d’urgence avec cette vision car nous sommes en guerre aujourd’hui contre un système mondial devenu fou qui court à sa perte et nous avec. Inutile de donner des milliards aux grands groupes qui s’en servent pour licencier massivement comme on le voit ces temps-ci.

Faisons-les plutôt rentrer dans le giron de la nation en expropriant les patrons et les actionnaires. Une économie de marché pourquoi pas, mais pas une société de marché: elle a fait preuve de sa toxicité depuis trente ans.

Promouvoir une politique salariale innovante

Plutôt que de fixer une rémunération maximale ou minimale, fixer un écart salarial qui aille de 1 à 15.

Aucune loi ne pourra empêcher des patrons de se rémunérer un million d’euros par mois, si le plus bas salaire de leur entreprise est aux alentours de 65000 euros, par exemple les techniciennes de surface. Qui peut dire en effet que son travail est quinze fois plus nécessaire que de récurer des toilettes ?

Redéfinir le temps de travail

Sa réduction est une nécessité impérieuse pour relancer l’activité qui consistera essentiellement à assurer la transition écologique. La convention citoyenne avait pensé à 28 heures, hélas tout de suite écartées par les archaïques tandis que la Nouvelle-Zélande est passée aux 32 heures. En effet, si on veut favoriser la relance par la demande dans une économie déprimée, il faut que tout le monde puisse travailler. Travailler plus d’un côté alors qu’on licencie est un non-sens, ou alors c’est encore une fois, mais je n’ose l’imaginer, que la durée du temps de travail et les plans sociaux seraient des variables d’ajustements pour maximiser les profits. Dans le même ordre d’idée, une retraite à 55 ans pour les métiers pénibles (policier, infirmière etc..) et à 60 ans pour les autres (y compris les éditorialistes des chaines infos) est urgente alors qu’arrive 800 000 jeunes sur le marché du travail en septembre.

En finir avec la Vème république

L’archaïsme d’une hyperprésidence aggravée par la coïncidence des présidentielles et des législatives est apparu en pleine lumière à l’occasion de cette crise sanitaire, surtout quand le président est mauvais ou très moyen.

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Il est temps de restaurer le rôle d’un parlement élu pour quatre ans à la proportionnelle intégrale par liste régionale à seuil de 3%. Le chef du parti arrivé en tête sera nommé Premier ministre. Chaque parlementaire sera révocable par ses électeurs à qui il rendra compte tous les six mois. Le même mécanisme de révocation des élus sera mis en place au niveau des régions, des départements et des communes.

Régularisation massive et automatique des sans-papiers

Comme l’a fait le Portugal pendant la crise, cette régularisation permettra aux sans-papiers de travailler dans un cadre légal et ainsi de cotiser, ce qui aidera grandement à équilibrer les comptes sociaux.

Repenser la fiscalité

Passer de cinq à quatorze tranches d’imposition. Traquer l’évasion fiscale qui se monte  annuellement aux alentours de 90 milliards d’euros. Déchoir de leur nationalité, comme aux Etats-Unis, les contribuables qui ne paient plus leurs impôts sur le territoire national.

Droit à l’expérimentation sociale

Sur le modèle de Notre-Dame-des-Landes et des communautés autonomes du Plateau de Millevaches, l’État pourra aider les modèles alternatifs et utopies concrètes qui se créent chaque jour et éventuellement s’inspirer de ces « laboratoires sociaux » qui créent les contours de la France de demain.

Alors, monsieur le Président, si vous voulez laisser votre marque dans l’histoire…

Requins: la mer de toutes les peurs

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En 1975, la caméra de Spielberg a substitué à la Bête du Gévaudan le requin blanc dans l’imaginaire populaire.


Le 20 juin 1975, Les dents de la mer, deuxième long métrage de Steven Spielberg, sortait sur les écrans aux États-Unis et au Canada. Ce film a non seulement eu un énorme succès commercial qui a lancé la carrière de son metteur en scène, mais il a introduit un nouveau monstre dans l’imaginaire de l’humanité : le grand requin blanc.

Un gros budget marketing

Depuis, la peur des requins fait partie intégrante de la culture populaire et les grands médias comme les chaînes consacrées à la nature ne cessent d’alimenter notre intérêt pour ce prédateur et d’entretenir notre désir de nous faire peur.  À la sortie du film, Universal studios avait accordé un gros budget marketing et diffusé – pour la première fois – des bandes-annonce (« teasers ») à la télévision aux heures de grande écoute. Autre phénomène inédit, la distribution du film s’accompagnait d’un véritable plan de « merchandising » incluant la vente de jouets, vêtements et articles à l’effigie du requin et de sa victime. Avant de voir le film et/ou d’acheter ses produits dérivés, beaucoup n’avaient jamais aperçu le moindre requin blanc, même en photo. L’écrasante majorité des humains ne connaissaient même pas suffisamment bien les requins pour pouvoir reconnaître une espèce spécifique. Mais peut-on attribuer ce succès très particulier des Dents de la mer uniquement à une campagne habile de communication ? 

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En février 1974, plus d’un an avant la sortie du film, Peter Benchley publie le roman qui allait fournir la trame de l’œuvre de Spielberg, rencontrant un grand succès en librairie. Déjà dans sa version papier, l’histoire d’une petite station balnéaire terrorisée par un requin blanc, transforme un animal marin largement méconnu en héros d’un énorme best-seller. Certes, le livre romancé de Benchley est inspiré des cas réels d’attaques de requins – dont un précédent en 1916. Mais avant la sortie des Dents de la mer, ces rares incidents étaient des faits divers au même titre que les attaques d’ours, de crocodiles ou d’autres animaux sauvages. Les tentatives pour reproduire le succès des Dents de la mer avec d’autres prédateurs – l’anaconda par exemple – n’ont pas eu le même succès ni su créer de véritable monstre dans les esprits.    

Les baignades troublées de Gil Mihaely 

Il ne faut pas non plus sous-estimer le génie unique de Steven Spielberg à utiliser le langage cinématographique – avec la célèbre et particulièrement efficace bande sonore de John Williams –   pour susciter chez les spectateurs une peur profonde et durable. Joanne Cantor de l’université de Wisconsin-Madison a signalé dans un article publié en 2004 que Les Dents de la Mer et Poltergeist (sortie en 1982) étaient les deux films provoquant chez les spectateurs le plus de réactions pendant le sommeil (en clair : des cauchemars) et l’éveil. En effet, 43% des personnes interrogées dans le cadre de cette étude déclaraient avoir peur lorsqu’elles nageaient – et pas seulement en mer… Pendant de longues années, lors de mes baignades en mer ou dans un lac, j’ai moi-même été hanté par mes souvenirs des Dents de la mer que je n’avais pourtant vu qu’une seule fois en 1976. Ceci est particulièrement vrai durant les baignades nocturnes, puisque mes petits camarades s’amusaient à faire des petits gestes évocateurs qui nous arrachaient un cri d’effroi. Bref, nous étions très nombreux à voir le film et continuer de le vivre des longues années après.

 

Et c’est justement ce que toute une génération Dents de la mer a vécu interroge. Pourquoi le requin ? La réponse est probablement liée à notre imaginaire collectif. Pendant des siècles, l’animal qui faisait peur en Occident était le loup. Quand l’Europe était un océan des forêts sauvages parsemé de quelques villes relativement sûres pour l’homme comme autant des îles désertes, les loups et leurs hurlements meublaient l’imaginaire en incarnant la peur du désert vert qui assiégeait ces îlots de civilisation.  Le Petit chaperon rouge, dont les premières versions françaises remontent au moins au XIVe siècle, en est l’exemple emblématique. Au-delà des interprétations symboliques et psychanalytiques, la peur du loup correspondait à la manière dont notre civilisation a « géré » les tensions entre nature (dont le lieu par excellence était la forêt) et culture (la ville avec la chaleur, la lumière, la nourriture et la sécurité). Les hommes qui trouvaient refuge en forêt (pour travailler ou pour fuir la ville) y faisaient des rencontres bizarres et représentaient des sortes de Robinson Crusoé, voire des passeurs entre deux mondes. Ceux qui y ont habité – charbonniers par exemple – étaient considérés dans les villes et villages comme des hommes à part.  

Nature marine et tourisme

Dans ce contexte, l’histoire de la bête du Gévaudan fut Les dents de la mer du XVIIIe siècle. Après une série d’attaques contre des hommes survenues entre juin 1764 et juin 1767, l’affaire est devenue une véritable psychose – notamment grâce à la presse naissante ainsi qu’aux représentations de la bête diffusées par l’imagerie populaire. Dans ce cas précis, les attaques se produisaient souvent dans des « entre-deux » (entre le village, espace de l’homme, les pâturages et d’autres endroits bordant la forêt sauvage). Beaucoup de victimes étaient des enfants accompagnant des troupeaux qui se nourrissaient dans ces lieux à la frontière entre culture et nature.

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Les XIXe et XXe siècles ont vu la fin de ce monde. La forêt a été domestiquée et ne fait plus peur. Les loups ont été éliminés et les villes sont devenues tellement énormes qu’elles ont coupé leurs habitants de tout contact avec la nature. La nature est devenue soit un parc d’attractions soit un film diffusé sur National Geographic. Dans le même temps, l’homme post-1945 a découvert une nouvelle frontière entre la nature et la culture : la plage. Le tourisme de masse transforme les plages : elles ne font plus partie de l’espace naturel et ne sont plus une extension de la mer sur terre. Aménagées et équipées depuis les années 1950-1960, elles forment l’extrémité de l’espace de l’homme où celui-ci prend de plus en plus ses aises. Si certains trouvent non sans raison que dans les Dents de la mer il y a quelque chose de Moby Dick, il est justement intéressant de souligner la grande différence : le Capitan Ahab, bien armé et équipé, part à la chasse de son monstre loin dans l’immensité des océans. Le requin de Bencheley et Spielberg vient chasser l’homme sans défense en villégiature dans une station balnéaire familiale. La terre jusqu’au bout est à l’homme mais la mer qui la borde reste difficile à maîtriser. Même si on s’y baigne, on n’est pas chez soi. Nous y sommes les invités de la nature. Or, comme avant elle la forêt, cette nature marine engendre et abrite des monstres. Le rôle joué par le loup n’est pas resté vacant longtemps. Le requin blanc l’a pris. Le génie de Benchley et Spielberg fut de l’exprimer.

Lettre de lecteur

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Les journaux français laissent de moins en moins de place au débat et de plus en plus aux monologues des opinions autorisées. C’est ce que montre très bien l’abandon du « courrier des lecteurs », autrefois l’occasion d’échanges exigeants. A ce rythme-là notre monde n’aura bientôt plus rien de « commun » et rétrécira en un ensemble de revendications vindicatives.


Le journalisme devenu monologue

Sauf La Croix, où un milieu clairement identifié échange opinions et expériences, nos journaux (cela n’est pas vrai dans tous les pays) ont renoncé au « courrier des lecteurs ». On peut douter qu’internet compense cette disparition. À travers la dichotomie entre le papier et l’électronique, on voit plutôt s’instituer une séparation entre ceux dont le statut est d’écrire et les autres : d’un côté, le monde des opinions reconnues, celles des journalistes et, dans les pages « idées » ou « débats », celles des gens qui ont pignon sur rue et, de l’autre, le monde indistinct, éruptif, suspect des « réseaux sociaux », que l’on connaît par ouï dire. Cette séparation assure à l’écrit une insularité et un poids nouveau dont l’allongement des textes publiés est une manifestation. Celui qui ouvre Le Monde par exemple est souvent exposé à l’autorité de textes sinon de grand style, du moins de grande surface qui se donnent d’emblée l’allure d’être exhaustifs. Nous sommes loin de l’époque où Pierre Vidal Naquet dans ses nombreuses lettres au Monde, manifestait sa confiance en même temps que sa vigilance : il y avait des choses qu’il n’entendait pas « laisser passer » comme il disait. Désormais, nous en laissons passer beaucoup.

A lire aussi, André Versaille : Zeev Sternhell, un historien à l’intransigeance stimulante

Je pensais à cette fermeture formelle au débat en lisant dans la rubrique « disparitions » du Monde la pleine page consacrée à Zeev Sternhell. Le parcours de cet Israélien se débattant avec la politique et la culture françaises, était retracé, en particulier son opposition au schéma de René Rémond sur les trois droites françaises (légitimiste, orléaniste, bonapartiste) où le fascisme n’a pas de place. Evoquant la querelle qui en a résulté, l’auteur de l’article, Nicolas Weill, oubliait le reproche fait plus d’une fois [tooltips content= »Fascisme français ? La controverse, sous la direction de Serge Berstein et de Michel Winock, CNRS édition, 1974. »](1)[/tooltips] à Sternhell, de n’avoir jamais construit d’idée cohérente d’un fascisme dont il parlait sans cesse, son fascisme étant un concept caméléon, applicable à volonté à une liste d‘auteurs extensible. Mais pas possible désormais d’objecter en écrivant au journal, le journalisme étant devenu monologique, l’affaire, pour le commun des lecteurs, apparaissait réglée.

Vulgate bourdieusienne

Peu importe, dira-t-on, ce n’est qu’un hommage funèbre un peu complaisant, laissons les morts enterrer les morts ! Mais la perte de la culture du débat (dont le courrier des lecteurs était un échelon essentiel) inquiète bien plus quand est concerné un domaine actuel et brûlant, comme celui des discriminations selon l’origine, telles qu’elles sont perçues et jugées. À cet égard, l’orientation de notre « journal du soir » n’est pas douteuse: en faveur d’une jeunesse allogène harcelée et offensée. On sonne l’alerte, la France proclame-t-on en gros caractères, est encore et toujours « à la traine ». Mais la question est de savoir si au Français mis en demeure, on donne les moyens de se faire une opinion éclairée. On se réfère à une littérature sociologique abondante, mais on a souvent le sentiment que les informations et les chiffres qu’on en extrait sont au service d’une doctrine transcendante plutôt que d’une réflexion exigeante.

« Le rapport avec la police se construit dès le plus jeune âge » affirme le titre [tooltips content= »Nicolas Chapuis, Le Monde, 23/06/20. »](2)[/tooltips]. Après quoi on présente le volet français d’une étude internationale  sur « la compréhension de la criminalité juvénile », volet qui a été dirigé par un universitaire reconnu, Sébastian Roché. Dans ce cadre on a interrogé 9 000 collégiens (5ème, 4ème, 3ème) des Bouches-du-Rhône, dont 727 (8%) ont eu affaire à la police en 2015, sans qu’on note de différence notable selon les origines géographiques regroupées en trois ensembles (Européens, Africains, autres origines). 399 ont subi un contrôle plus approfondi, 291 ont été fouillés. Parmi les contrôlés et les fouillés, les Africains sont relativement plus nombreux que les autres, ils le sont surtout parmi les multicontrôlés (+70% de ceux qui ont été contrôlés au moins 5 fois). De ces données on peut conclure d’abord (mais cela n’est pas dit) que la vulgate dominante est prise en défaut: le contrôle au faciès n’est pas généralisé, puisque les « bronzés » ne sont pas plus nombreux que les autres à déclarer qu’ils ont été interpellés et que, s’ils l’avaient tous été il y aurait eu bien plus de 727 interpellés dans l’année.

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Dans ces conditions, la clé du rapport négatif avec la police semble devoir être cherchée dans la catégorie des multicontrôlés. De cette catégorie on nous dit que les Africains y sont surreprésentés, mais on ne nous dit pas si elle est nombreuse ni comment on y entre : par hostilité au contexte ? par jeu ? en s’engageant dans de petits trafics ? Si dans l’article analysé on ne se soucie pas de le savoir, c’est à cause d’un préjugé de fond commun au journaliste et au sociologue : les adolescents, du moins ceux des catégories dominées, sont des victimes, donc des objets passifs, c’est l’action de la police qui détermine leur avenir. C’est pourquoi, après avoir promis de décrire une relation détraquée, on finit par se concentrer sur la seule police. « Si les contrôles ne sont pas tous discriminatoires », dit S. Roché cité par N. Chapuis, il reste « une part significative de contrôles discriminatoires ». Pour exacte qu’elle soit, cette  formule ne devrait pas suffire pour que, in fine, on néglige les autres raisons d’agir de la police et qu’on n’analyse pas le cadre dans lequel elle le fait. On finit logiquement par dire que la police agit en circuit fermé, inventant elle-même son travail. Un fait justifie cette interprétation péremptoire : 97% des interpellations n’auront pas de suite judiciaire, d’où on conclut que « L’essentiel de l’activité de contrôle consiste à déterminer qui est éligible au contrôle » donc à le faire subir à « des personnes auxquelles rien ne pourra être reproché par la justice ». Lisant on a l’impression d’assister « en direct » à la capitulation de la pensée du social. Voilà un article auquel j’aurais aimé répondre in situ, faute de le pouvoir, je me sens soumis à un arbitraire.

Frustration

Expédiée comme dans les nuages cette lettre d’un lecteur frustré voudrait pointer un trait général de notre situation, la difficulté de partager le monde dans le cadre d’un individualisme pointilleux. Nous produisons des revendications péremptoires et subjectives, des monologues personnels ou catégoriels mais, en même temps, le monde social dont nous nous sommes déchargés se venge, il s’affirme comme nous tenant et nous contenant mais déterminé du dehors, de manière « systémique ». Pour surmonter cette séparation de l’individu et de son monde, nous ne voyons que la mise en place de batteries de plus en plus serrées d’indicateurs par quoi on entend obliger les « dominants » à se regarder dans le miroir, à entrer dans une voie de culpabilisation, qui risque bien d’être aussi celle du ressentiment.

Que serait une stratégie de construction de l’intercompréhension et de la générosité ? Il serait temps d’y penser.

Pourquoi l’universalisme?


Contre ceux qui ne voient la société que comme le théâtre de la guerre des races, des sexes, des classes, contre ceux qui refusent de comprendre la richesse de chaque personne humaine pour enfermer et enrôler les individus dans des camps fixés dès la naissance, contre ceux pour qui la réalité se résume à des histoires d’oppressions systémiques et à une alternative absurde entre la dictature de la majorité et la tyrannie des minorités, contre eux tous, je suis universaliste.


Pourquoi l’universalime ?

Parce que n’en déplaise à Deleuze, à Foucault et aux héritiers de la « French Theory », la pure splendeur de la 5ème symphonie de Beethoven ne s’explique pas par des rapports de domination, quels qu’ils soient.

Parce qu’il ne suffit pas d’être pauvre pour être honnête, mais que prétendre que la délinquance ne serait qu’un produit de la misère est un crachat au visage de tous les pauvres qui sont honnêtes, et fait bien ricaner tous les criminels en cols blancs. Et que voir dans chaque bourgeois un oppresseur, c’est nier Nicolas Rolin, Guigone de Salins et Oskar Schindler.

Parce que j’admire à la fois le courage de Léonidas et celui de Yue Fei, celui de Jeanne d’Arc et celui de Charles N’Tchoréré, le génie politique d’Auguste et celui de Wu Zeitan, les poèmes de Victor Hugo, d’Omar Khayyâm et de Saigyô, les épopées d’Homère, de Ferdowsi et de Heinrich von dem Türlin, l’intelligence fulgurante d’Euclide, celle de Marie Curie et celle de Stephen Hawking, la cathédrale de Strasbourg, le Fushimi Inari Taisha, l’Alhambra et le Parthénon, l’héroïsme prodigieux d’Hermias d’Atarnée et celui de Jean Moulin, la sublime beauté des œuvres de Phidias, Li Sixun et Edmund Blair Leighton, la sagesse lumineuse de Mencius, celle de Hillel l’Ancien et celle de Plutarque.

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Parce que face à leur profonde et sublime humanité, prétendre que la couleur de peau d’Hippocrate ou celle de Denis Mukwege auraient la moindre importance serait aussi odieux que stupide. Parce que juger les écrits de Sénèque et de Cléanthe selon leurs possessions matérielles et leurs classes sociales serait ne rien y comprendre, et les rabaisser tous les deux.

Parce que la grandeur d’un être humain ne vient pas de sa naissance, mais de ce que les Grecs appelaient arétè, l’excellence : courage, intelligence, lucidité, générosité, dévouement…. Et si certaines cultures, certaines éducations sont de toute évidence plus propices que d’autres à l’éclosion et à l’épanouissement de ces qualités, à l’élan vers la plénitude de l’être que suppose la poursuite de l’arétè, celle-ci n’est l’apanage d’aucune couleur de peau, d’aucune ethnie, d’aucun sexe, d’aucune orientation sexuelle, d’aucun milieu social. Félix Éboué avait raison d’appeler les étudiants de Pointe-à-Pitre à « jouer le jeu », disant : « Jouer le jeu, c’est piétiner les préjugés, tous les préjugés, et apprendre à baser l’échelle des valeurs uniquement sur les critères de l’esprit. Et c’est se juger, soi et les autres, d’après cette gamme de valeurs. (….) Jouer le jeu, c’est savoir tirer son chapeau devant les authentiques valeurs qui s’imposent par la qualité de l’esprit, et faire un pied-de-nez aux pédants et aux attardés. » Et lui, le haut fonctionnaire Noir héros de la France Libre, dont les ancêtres avaient été émancipés de l’esclavage 40 ans seulement avant sa naissance, citait Épictète, philosophe, esclave et Blanc.

Parce que nos humaines faiblesses sont aussi universelles que ce qui fait notre grandeur, même si là encore il est des cultures et des éducations qui aident à les surmonter quand d’autres y enfoncent. Mais il n’est nulle turpitude humaine dont quiconque serait miraculeusement préservé, ou à laquelle quiconque serait irrémédiablement condamné, en raison de sa couleur de peau, de son ethnie, de son sexe, de son orientation sexuelle, de sa culture ou de son milieu social.

Parce que je refuse d’interdire à qui que ce soit d’aimer ce que j’aime, d’admirer ce que j’admire, de trouver de l’inspiration dans ce qui nourrit la mienne, et parce que d’expérience l’enracinement a encore plus de force que les racines.

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Parce que je continuerai à chanter les Dieux que j’ai choisis, même s’ils n’étaient pas ceux que priaient mes parents.

Parce qu’il est aussi monstrueux de traiter quelqu’un de « bounty » ou d’« arabe de service » que de « sale nègre », de « sale arabe » ou de « babtou fragile ».

Parce que je persiste à croire qu’il est de notre devoir de rechercher le bien commun, qui est infiniment plus que le seul intérêt général, plutôt que de nous résigner à la concurrence sans fin des intérêt particuliers, à la surenchère des subjectivités et à l’égoïsme débridé des individualismes ou des communautarismes.

Parce que si chaque peuple, chaque civilisation, chaque époque voit à sa manière le Vrai, le Beau, le Bon, le Juste, si aucune n’en a ni n’en aura jamais une parfaite connaissance, il n’en demeure pas moins que l’erreur n’est pas la vérité, que les sacrifices humains sont une abomination, que l’excision est un crime, que donc toutes les cultures ne se valent pas. Parce que les libertés de conscience, de pensée et d’expression sont nos plus précieuses conquêtes, et que nous avons la responsabilité de les défendre et de les transmettre.

Parce que le génie ne se trouve pas dans la dissolution du particulier dans l’universel, ni dans l’enfermement dans le particulier refusant de se nourrir de l’universel, mais dans la découverte de l’universel au cœur du particulier, et dans l’inscription du particulier au cœur de l’universel, étoile dans une constellation dans l’infini du ciel.

Parce que ceux qui croient que la dignité ou l’indignité résident dans la couleur de peau, le sexe ou l’origine sociale refusent par là même de reconnaître notre véritable dignité humaine, et tentent de nous couper de ce qui a toujours fait, fait et fera toujours les sages, les héros et les saints, et tout simplement, avec leurs gloires et leurs faiblesses, leur grandeur et leurs insuffisances, l’humanité des hommes.

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La guerre des symboles

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Le but des revendications actuelles concernant la « condition noire » n’est pas une demande de justice, mais un processus d’affirmation politique de forces anti-Etats, processus dans lequel les noirs sont manipulés.


Le génial David Galula, lorsqu’il décrit, dans son maître ouvrage « Contre-insurrection, théorie et pratique », la guerre insurrectionnelle et contre-insurrectionnelle (ce que l’on appelle un conflit « asymétrique », du faible au fort), nous enseigne avant tout que l’essentiel de la guerre, avant d’être militaire, est politique et symbolique. Il montre que, pour gagner une guerre, le plus important pour l’insurgé n’est pas de battre son ennemi militairement, mais de le « dévitaliser », de lui voler son pouvoir symbolique, en montrant que c’est lui-même, le « faible », qui porte, plus que le « fort », la légitimité, parce que le fort est incapable d’assumer son « contrat de confiance » vis-à-vis du peuple, à savoir, contre la remise entre ses mains du monopole de l’usage de la force, l’utilisation de cette même force pour sa mission de protection, par l’ordre et la justice à l’intérieur et la défense des frontières à l’extérieur. C’est ce que l’on appelle les « missions régaliennes de l’Etat », ce que Raymond Aron résumait par la formule « En paix à l’intérieur, respecté à l’extérieur ». Et ces missions sont « garanties » par ce que l’Etat montre symboliquement de sa propre puissance.

De fait, en politique, tout n’est que symbole : les gigantesques murailles et les jardins de Babylone, bâties pour impressionner les arrivants, les pyramides d’Egypte, les innombrables constructions romaines, la Cité Interdite et le Palais Topkapi, le faste des cours royales, avec les rois lointains et pleins de mystère, les armées défilant, avec armes, chevaux, uniformes rutilants et drapeaux, avec les chefs à leur tête, sous les Arcs de Triomphe, les châteaux forts, les grandes villes avec leurs artères, leurs monuments et leur « Grand Place », les procès retentissants et les exécutions, avec un maximum d’horreur et de « faste », des ennemis et des opposants politiques, la brutalité des répressions. De même, la Tour de Londres, le Camp du Drap d’Or, le château de Chambord, puis celui de Versailles. Plus près de nous, les traités de 1919 dans le faste de la Galerie des Glaces, la bombe d’Hiroshima, le grand procès de Nuremberg de 1945/46, les défilés militaires sur la Place Rouge ou les Champs Elysées, avec les avions et les chars, les grands discours, le mausolée de Mao et son portrait sur la Place Tien An Men, le drapeau américain déposé sur la lune, le 21 Juillet 69, ou pour la France, la bombe atomique, le Concorde, et aujourd’hui le porte-avion Charles-de-Gaulle. Tout est fait pour impressionner, dedans et dehors, et pour affirmer la puissance, garantie de « la paix à l’intérieur, le respect à l’extérieur ».

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A l’inverse, tout doit être bon pour un pouvoir contraire, qu’il soit ou non insurrectionnel, pour montrer, par le symbole également, que le pouvoir en place n’est qu’un « tigre de papier », faible, incapable d’assumer ses missions : au minimum, critiques ou libelles, railleries, présentation ridicule des dirigeants par la caricature, les « Guignols » ou autre « Muppet show », au pire murailles détruites ou villes rasées, populations déportées, rois ou chefs humiliés ou exécutés en public. Ainsi, il s’agira de mettre en scène la honte du pouvoir en place, et la fierté des opposants. Le but, toujours le même, est de montrer que c’est ce futur pouvoir qui assumera, avec sa puissance émergente, l’ordre, la justice et la protection pour le peuple, à la place de l’ancien, celui qui a failli. La prise de la Bastille, qui ne représentait aucun objectif militaire, tout comme l’obligation faite à Louis XVI de porter au balcon des Tuileries, à la place de sa couronne, le bonnet phrygien (au point de faire dire au jeune Bonaparte, spectateur parmi la foule, « que coglione ! », quel couillon…), étaient de cet ordre, tout comme, plus tard, la bataille symboliquement décisive de Diên Biên Phu, ou même l’attaque spectaculaire des Tours Jumelles de Manhattan. En effet, s’il n’y a plus de symboles, ou plutôt si les symboles sont détruits, il n’y a plus de pouvoir, et c’est celui qui a détruit les symboles qui a pris le pouvoir.

Du mariage homosexuel à la quête antiraciste, des combats par le symbole

On peut aussi classer dans cette catégorie l’obtention, par les lobbies homosexuels progressistes, du « Mariage pour tous ». En effet, il est douteux que les personnes homosexuelles, dans leur grande majorité, aient souhaité se marier, alors même que cette institution était perçue dès cette époque comme pratiquement inutile et obsolète, sauf pour quelques « traditionnels ». Par contre, le fait, pour des personnes qui n’en avaient certainement pour la plupart pas envie, d’en obtenir quand même le droit, quitte à ne pas l’exercer, était une grande victoire symbolique, parce que cela permettait de ridiculiser et d’abattre encore un peu plus une institution qui restait, malgré tout, symboliquement, une citadelle de la tradition et du conservatisme. Cela permettait ainsi d’affirmer, à l’inverse, la « fierté » et la puissance du lobby homosexuel et du progressisme sur l’ensemble de la société. Ce n’était pas une question de justice, mais une affirmation de pouvoir.

Ils ne veulent pas la disparition complète des Etats, mais leur asservissement consentant à leurs causes, leurs idéologies et leurs intérêts.

De même, on peut affirmer qu’aujourd’hui, l’injonction forte faite aux « blancs » de se mettre à genoux symboliquement, sous le prétexte d’un hommage rendu à Georges Floyd, devant la « condition noire », pour « demander pardon » pour de prétendus « crimes passés », ou bien la demande instante de modification des textes historiques, ou la pression faite sur les marques, ou bien les tentatives de vandalisme et de destruction des statues, n’ont rien à voir avec une véritable demande de justice. Si cela avait été le cas, c’est un processus de mémoire, pacifique, qui aurait été nécessaire. On aurait créé des commissions d’experts et d’historiens, à qui on aurait demandé de « revisiter » le passé, et d’en tirer des conclusions solides concernant les responsabilités des uns et des autres. De telles commissions auraient montré, d’ailleurs, que la démarche n’est pas si simple, et surtout qu’il n’y a jamais des victimes d’un côté et des bourreaux de l’autre, mais que chacun est en général, victime à un moment et bourreau à un autre, quand ce n’est pas les deux à la fois et en même temps…

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Ce n’est pas un processus pacifique de justice qui est ici demandé. C’est une guerre insurrectionnelle, telle que décrite par Galula, qui est menée. Ce qu’il s’agit de détruire, ce sont les instruments symboliques des pouvoirs en place : la police, les grands hommes, le récit historique, les frontières, la paix civile interne, le langage même. Ce qu’il s’agit de montrer, c’est leurs hésitations, leurs reculs, leur incompétence, leur humiliation, leur faiblesse et leur honte.  Il faut leur faire perdre la face, et partant la guerre symbolique. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ces pouvoirs, en tout cas en France, ne résistent pas beaucoup.

Ceux qui tirent les ficelles de cette affaire ne se cachent pas. Ce sont les forces progressistes et de marché, ceux qui ont intérêt, sinon à abattre, du moins à affaiblir plus encore les Etats traditionnels, derniers bastions susceptibles de règlementer, si peu que ce soit, le commerce et la finance totalitaires, (dans un processus si bien décrit par Jean-Luc Gréau dans « Le secret néolibéral »), et de s’opposer à la mondialisation progressiste galopante. Ce n’est pas un hasard si tous les patrons des GAFAM, et les grands groupes mondiaux, ont pris fait et cause pour les « insurgés ». Ils ne veulent pas la disparition complète des Etats, dont les structures leur restent malgré tout utiles, pour maintenir une apparence d’ordre et de justice, mais leur asservissement consentant à leurs causes, leurs idéologies et leurs intérêts. Les « noirs », dans ce processus, ne sont qu’un prétexte. Ils sont parfaitement manipulés. Ne nous trompons ni d’analyse, ni de combat !

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Pour Macron, c’est le moment ou jamais!

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S’il est lucide et s’il a bien en tête les immenses dégâts occasionnés depuis 40 ans par la haute fonction publique dans la conduite du pays, et encore dernièrement dans la gestion désastreuse du Covid-19, le président dispose aujourd’hui d’une occasion unique de réformer la France de fond en comble et de la faire entrer enfin dans le XXIe siècle. 


Personne n’a encore expliqué aux Français ce qui risque de leur arriver en cas de faillite effective de leur pays, comme en Argentine ou en Grèce. Chez nous, les milliards continuent de couler à gros bouillons au point qu’on peut voir un jeune ministre socialiste inconséquent faire le beau devant les médias en annonçant la distribution de six milliards d’euros pour augmenter les salaires dans la fonction publique hospitalière. Ou un ministre expérimenté, le plus jacobin de tous, façon archéo-gaulliste époque Pierre Guillaumat, en charge de l’Économie distribuer à tout-va des dizaines de milliards sous condition de ne plus licencier ou de ne pas payer sur le sol français, même temporairement, des ouvriers polonais appartenant pourtant à une seule et même grande entreprise française

L’énorme machine à perdre, qui a encore étalé les trous béants de son système de gestion dans la crise sanitaire, est repartie vers des profondeurs inconnues à ce jour depuis l’effondrement du pays en juin 1940. Le danger est immense de continuer à gérer la France comme elle l’a été pendant ces quarante dernières années par un État boulimique et obèse, irresponsable et impuissant, manipulé par des hauts fonctionnaires économiquement incompétents et idéologiquement sectaires, sans volonté ni courage, incapables de faire face à des syndicats réactionnaires destructeurs et des corporations momifiées. 

Comme à l’époque des taxis de la Marne 

Continuer à jeter des pelletées de charbon dans la chaudière vorace de la locomotive étatique conduirait immanquablement à la ruine et à des malheurs incalculables. Emmanuel Macron, quel que soit son nouveau gouvernement – il en faut bien un pour s’occuper de la paperasse ordinaire –, a devant lui une opportunité unique : éviter la descente aux enfers du « modèle français » vers un modèle italien, puis espagnol, pour finir en bas du toboggan comme une Argentine exsangue ou une Grèce écœurée, croulant sous le poids de leur dette et incapables de gérer leurs horreurs sociales. Par exemple, en Grèce, la baisse drastique des retraites et des traitements des fonctionnaires. En somme, comme le général Foch à l’époque des taxis de la Marne (« Ma droite est enfoncée, ma gauche cède, tout va bien, j’attaque ! »), il s’agit pour le président de prendre le taureau par les cornes et de s’attaquer enfin aux grands dysfonctionnements du pays, tant qu’il a une majorité à l’Assemblée nationale ou tant qu’il peut déclarer l’état d’urgence nationale comme il a déclaré l’état d’urgence sanitaire le 23 mars dernier. 

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Et d’abord soutenir vraiment, au lieu de continuer à donner des leçons et à accabler de contraintes supplémentaires, les entrepreneurs qui sont dans la situation du tiers-état en 1789 : ils portent sur leur dos la noblesse (le système politique) et le clergé (le système syndical) alors qu’ils sont les seuls capables de créer les richesses dont le pays a un besoin vital pour s’en sortir. Et les seuls à même de créer de vrais emplois. On prévoit actuellement dans certains cercles bien informés, mais en chuchotant, que la part du système étatique dans le PIB, qui était de 56,5% fin 2019, pourrait monter jusqu’à 65%, ne laissant plus qu’un tiers du PIB au secteur privé. Un rêve d’étatiste français, époque Louis XIV avec son colbertisme triomphant. 

Un chantier colossal 

Les communistes soviétiques avaient imposé chez eux, de force, une dictature du prolétariat. Les hauts fonctionnaires français veulent-ils vraiment nous infliger par la méthode douce une dictature du fonctionnariat ? C’est pourtant ce qui risque d’arriver si le président laisse filer les vrais problèmes, pour des raisons purement électorales (sa réélection en 2022), comme tous ses prédécesseurs l’ont fait depuis plus de 40 ans. 

C’est aujourd’hui et pas demain qu’il faut commencer à s’attaquer à la montagne des problèmes français. Finis les aménagements de bordures, les mesurettes, les vaticinations d’opérette, les demi-tours permanents et les faux semblants d’une Convention citoyenne qui n’a de citoyenne que le nom. Le chantier est colossal et un big-bang s’impose. 

Nous avons élu un président libéral, oui ou non?

Quelques exemples non limitatifs des réformes de fond qu’il faudrait entreprendre d’urgence avec méthode et fermeté : 

– Réduire clairement le mille-feuille territorial en supprimant par exemple les départements et les cantons et en réduisant à moins de 10 000 par des fusions systématiques toutes les entités administratives locales, communes et communautés de communes. 

– Réduire de moitié le nombre des députés et le ramener de 577 à 280, dès la prochaine législature. Quant au Sénat, le fusionner avec le Conseil économique (CESE), et ramener le tout à 280 titulaires au maximum. 

– Abolir le statut des fonctionnaires qui date de 1946, sauf en matière régalienne stricte, et interdire tout recrutement dans la fonction publique pendant cinq ans, sauf cas très particuliers cautionnés par un ministre de plein exercice. Supprimer tous les cumuls de mandats et interdire aux fonctionnaires de s’engager en politique, sauf à avoir démissionné préalablement de la fonction publique, sans retour possible à la case départ. 

– Supprimer tous les régimes spéciaux dans un délai raisonnable, ainsi que la quasi-totalité des primes attribuées aux fonctionnaires afin qu’ils aient comme tout le monde un salaire complet correspondant à leur poste et à leur travail effectif. 

– Pousser à 65 ans le départ à la retraite de tous les citoyens dans un délai de cinq ans pour le privé et de dix ans pour les fonctionnaires, en attendant le passage inéluctable pour tous à 67 ans. 

– Commencer à détricoter l’écheveau invraisemblable des 600 000 ou 700 000 normes – personne n’a jamais réussi à les compter – qui étouffent le système économique en général et le secteur privé et libéral en particulier. 

– Suspendre pendant cinq ans le droit de grève pour tous les salariés payés par des fonds publics ou parapublics et supprimer toutes les subventions publiques versées à des syndicats sous quelque forme que ce soit. Abolir le monopole syndical dans les élections professionnelles et instituer un contrat de travail unique avec une période d’essai de trois mois, renouvelable deux fois. 

– Démonter complètement le système paritaire dans l’économie sociale tel qu’il est appliqué aujourd’hui, grâce auquel des sommes considérables entrent dans les caisses des syndicats, y compris des syndicats patronaux qui ont trahi leur cause en étant les complices des syndicats destructeurs de valeur dans les entreprises. Et, dans la foulée, faire voter une loi pour obliger ces syndicats enragés à un véritable service minimum. 

– Abroger les diverses lois sur les 35 heures ainsi que le système des RTT. Supprimer le SMIC ainsi que l’application du Code du travail jusqu’à sa complète réécriture en moins d’un an sur un maximum de 100 pages. 

– Privatiser toutes les entreprises dans lesquelles l’État n’a rien à faire, à commencer par France Télévision et Radio France, en ne conservant qu’une seule chaîne de télévision (France 2 ?) et une seule radio (France Inter ou France Culture ?). Et, bien entendu, supprimer le CSA, cette anomalie stalinienne. 

– Instituer un « blocage » fiscal pendant trois ans : plus aucun impôt ou aucune taxe ne seraient créés ou augmentés pendant cette période, excepté la TVA et la CSG exclusivement en cas de force majeure. 

– Supprimer les tribunaux administratifs dans lesquels l’administration est à la fois juge et partie et amenée à se juger elle-même, une véritable hérésie judiciaire. Refonder complètement tout le système judiciaire en commençant par la suppression de la Cour de justice de la République et du Parquet national financier. Couper le lien de dépendance des parquets avec l’exécutif. 

Révolutionner la façon de gouverner 

Toutes ces réformes dont certaines peuvent apparaître comme très brutales ne sont pourtant que le début d’une liste beaucoup plus longue car tout est à refaire dans notre pays complètement ankylosé. Au stade où nous en sommes, rappelons-nous les mots devenus célèbres d’Abraham Lincoln prononcés en 1860 devant le Congrès des États-Unis à l’occasion de son élection à la présidence. 

A lire ensuite, Jean-Luc Gréau: Pour cinq cents milliards de plus

« Vous ne pouvez pas créer la prospérité en décourageant l’épargne, Vous ne pouvez pas donner de la force au faible en affaiblissant le fort, Vous ne pouvez pas aider le salarié en anéantissant l’employeur, Vous ne pouvez pas encourager la fraternité humaine en encourageant la lutte des classes, Vous ne pouvez pas aider le pauvre en ruinant le riche, Vous ne pouvez pas éviter les ennuis en dépensant plus que vous ne gagnez, Vous ne pouvez pas forger le caractère et le courage en décourageant l’initiative et l’indépendance, Vous ne pouvez pas aider les hommes continuellement en faisant pour eux ce qu’ils devraient faire eux-mêmes. » 

On comprend mieux ce qu’il nous reste à faire ! Une révolution dans la façon de gouverner. Bon courage, monsieur Macron ! Si vous y arrivez en ayant dit la vérité aux Français, vous aurez de fortes chances d’être réélu en 2022 et vous entrerez par la grande porte dans les livres d’Histoire. Sinon, la décadence de votre pays sera irréversible avec les conséquences extrêmes que cela entrainera pour vos concitoyens.

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Six milliards de touristes et moi et moi et moi

 


Tout en prétendant voyager pour se faire plaisir, le touriste moderne tente désespérément d’affirmer son statut social dans un monde où les modes de consommation sont le seul vecteur de reconnaissance. Radiographie du mensonge touristique.


Le bien et le mal tiennent souvent moins aux choses ou aux comportements en eux-mêmes qu’à l’échelle sur laquelle ils se déploient. Reiser l’a remarquablement illustré, il y a plus de quarante ans (On vit une époque formidable, 1976), dans une série de planches intitulée « Les riches et les pauvres ». Exemples : « Quand les riches avaient une auto, c’était un événement, quand les pauvres ont une auto, c’est une calamité. Quand les riches allaient aux bains de mer, c’était une curiosité, quand les pauvres vont aux bains de mer, c’est une invasion. Quand les riches se droguaient, c’était pittoresque, quand les pauvres se droguent, c’est un fléau national. » Cela est particulièrement vrai à propos du tourisme. Entre 1838, quand paraît Mémoires d’un touriste de Stendhal, et le début du XXIe siècle où, avant de brûler (peut-être de fatigue), Notre-Dame de Paris accueillait sa douzaine de millions de visiteurs par an, la différence est telle que manifestement, si le mot « tourisme » est resté le même, ce qu’il désigne a changé du tout au tout.

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D’un côté, on voit mal au nom de quoi on interdirait à tout un chacun de s’adonner à une activité autrefois réservée à une élite. D’un autre côté, pratiqué extensivement, le tourisme détruit les conditions qui valaient la peine de faire du tourisme. D’où cette conclusion tirée par l’écrivain colombien Nicolás Gómez Dávila : « En ce siècle de foules transhumantes qui profanent tout lieu illustre, le seul hommage qu’un pèlerin respectueux puisse rendre à un sanctuaire vénérable est de ne pas le visiter. »

Parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 20 avril 2019. Photo: Denis Meyer / Hans Lucas / AFP
Parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 20 avril 2019. Photo: Denis Meyer / Hans Lucas / AFP

Le tourisme, « pas pour le plaisir de voyager »

Ignorant ce précepte, les foules s’acharnent, et se précipitent toujours plus nombreuses vers des lieux dont les marées qui les envahissent réduisent à néant la possibilité de goûter les beautés. Au demeurant, il suffit d’observer les groupes qui arpentent harassés monuments, musées et trottoirs de Paris, une des villes les plus visitées au monde, pour savoir que l’enjeu véritable ne saurait être d’admirer ou de contempler. Quel est-il, alors ? « Nous ne voyageons pas pour le plaisir de voyager, que je sache. Nous sommes cons, mais pas à ce point », dit un personnage de Beckett. Il est rare que le touriste fasse preuve d’une telle franchise. Il prétend, contre toute évidence, que c’est pour « se faire plaisir » qu’il voyage ; de retour chez lui, il se déclare volontiers enchanté de son périple. Quelle réalité ces affirmations ont-elles mission de couvrir ?

Ainsi donc, quinze jours en Écosse, ce serait le niveau zéro. Rester chez soi ou aller chez mémé en Touraine, là, on se retrouve en territoire négatif

Dans sa Théorie de la classe de loisir, publiée en 1899, le sociologue Thorstein Veblen a attiré l’attention sur ce qu’il a nommé la conspicuous consumption, la « consommation ostentatoire », dont le but n’est pas de satisfaire un besoin, mais d’affirmer un certain statut social. L’ouvrage de Veblen a été publié à la fin de ce qu’on appelle, aux États-Unis, le « Gilded Age », l’âge doré (au sens de « plaqué or ») – cette période qui s’étend de la fin de la guerre de Sécession au début du XXe siècle, marquée par une croissance économique et industrielle explosive, une exploitation éhontée de la classe ouvrière, mais aussi la constitution de grandes fortunes et l’apparition d’une classe de « nouveaux riches », avides d’afficher leur réussite. Depuis cette époque, des franges toujours plus importantes de la population mondiale ont été intégrées à la société dite de consommation, où le besoin de reconnaissance dans l’espace social, si essentiel pour chaque être humain, est moins assouvi par l’appartenance à des communautés familiales et locales, pulvérisées par les modes de vie contemporains, que par l’image projetée autour de soi par ses modes de consommation.

Mais qui sera le meilleur touriste?

On comprend alors quel est le plus puissant moteur du tourisme aujourd’hui : le voyage lointain est ce que l’on se doit d’entreprendre pour ne pas paraître minable auprès des personnes que l’on est amené à fréquenter et, du même coup, à ses propres yeux. Reiser, toujours lui, avait parfaitement compris la dynamique, dans une suite de vignettes ainsi légendées :

Les pauvres restent à la maison / Les riches partent en vacances.
Les pauvres partent en vacances / Les riches vont sur la Côte d’Azur.
Les pauvres vont sur la Côte d’Azur / Les riches vont au Maroc.
Les pauvres vont au Maroc / Les riches vont au Kenya.
Demain, les pauvres iront au Kenya / Alors les riches feront le tour du monde.

Les pauvres aussi feront le tour du monde / Les riches feront deux fois le tour du monde…

Aux approches de l’été, la question fleurit entre collègues de bureau : « Et toi, qu’est-ce que tu fais pour les vacances ? » L’année dernière, j’entendais quelqu’un répondre : « Cet été, on ne fait rien. Juste quinze jours en Écosse au mois d’août. » Ainsi donc, quinze jours en Écosse, ce serait le niveau zéro. Rester chez soi ou aller chez mémé en Touraine, là, on se retrouve en territoire négatif.

A lire aussi, Jean-Baptiste Noé: Tourisme: le monde est à moi

Résumons : de même que plupart des personnes qu’on voit courir sur le bitume des grandes villes ne s’époumonent pas par amour de la course à pied, mais parce que des magazines les ont convaincus qu’ils devaient cela à leur santé ou à leur tour de taille, la plupart des personnes qui écument les grands musées, les sites classés, les terres lointaines, ne le font pas par amour de l’art, des vieilles pierres ou de l’exotisme, mais parce qu’ils doivent cela à leur statut social. Cela explique, au passage, la compulsion des touristes à photographier monuments, œuvres et paysages devant lesquels ils défilent, alors même que leurs images seront bien moins bonnes que celles qui se trouvent dans les livres ou sur internet. Seules des images self-made, avec tous leurs défauts, attestent que l’on s’est rendu en personne sur les lieux. Le propos de l’image n’est pas de capter la chose, mais de garder trace que l’on a été en présence de la chose.

Enfin, en présence… Le touriste sent bien, pris dans le flux de ses semblables, que cela va trop vite, qu’il n’est pas en condition d’apprécier, que quelque chose lui échappe. Alors il photographie, dans l’espoir qu’une fois rentré chez lui, au calme, il pourra enfin voir. Malheureusement, chez lui, il s’aperçoit que les images ne rendent rien, qu’il faudrait voir les choses en vrai. C’est un des aspects les plus diaboliques du tourisme : il s’alimente des déceptions qu’il engendre. D’autant que, très largement partagées, ces déceptions demeurent également très largement refoulées, dès lors que le voyage touristique, pour remplir correctement la fonction sociale qui est la sienne, se doit d’avoir été une réussite et de laisser de merveilleux souvenirs. C’est ce qui fait que le mensonge touristique a si longue vie. Ce printemps, le coronavirus a gelé la situation, mais pour combien de temps ?

A lire ensuite, du même auteur: Il faut dire non à Notre-Dame de Macron

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Japon: le coeur battant de l’Histoire

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Tous les ans en juin, les habitants de Toyoake reconstituent la célèbre bataille d'Okehazama (1560), la première victoire du futur mâitre du Japon Oda Nobunaga, 2 juin 2019. © Takahiro Yoshida / SOPA Images/S/SIPA

Une statue de Ravaillac, l’assassin de Henri IV, place des Vosges à Paris ? Au Japon, l’idée ne semblerait pas si farfelue. Quatre siècles après sa mort, un traître régicide fait figure de star alors que le mystère de ses motivations passionne les historiens comme les profanes. Un signe de la bonne santé de l’histoire et du débat historiographique dans l’archipel.


Interviewé par Elisabeth Lévy le mois dernier sur REACnROLL, Marcel Gauchet faisait un triste constat : la France achève de sortir de l’Histoire sans même s’en émouvoir, trop occupée qu’elle est à se mettre au diapason américain. Disparus les Michelet, Grousset, Furet : le temps n’est plus aux questions ni même aux querelles mais aux problèmes. Au temps des déboulonnages de statues, le débat historiographique semble devoir se limiter à la question de savoir si Colbert était méchant.

Shôgun à la place du shôgun

Le Japon n’a pas ce problème. En témoigne cette initiative de la mairie de Fukuchiyama (région du nord-ouest de Kyôtô) qui a organisé, en collaboration avec le musée d’histoire de la ville, un questionnaire en ligne. Ce sondage portait sur le seigneur (daimyô) Akechi Mitsuhide, célébrité locale et protagoniste de la « grande histoire ». Car Mitsuhide n’est pas simplement le seigneur de Fukuchiyama : il est surtout un personnage de premier plan de l’histoire du Japon de l’époque des « provinces en guerre » (du milieu du XVème siècle à la fin du XVIème). Il y a forgé son obscure légende en trahissant l’homme le plus puissant de l’époque alors à son apogée, son seigneur Oda Nobunaga. Obscure car l’homme a péri sur les champs de bataille un mois après son forfait, emportant dans la tombe le secret de ses intentions. Un grand point d’interrogation plane sur ce personnage-clé de l’une des périodes les plus fascinantes de l’histoire du Japon, cet « univers sens dessus-dessous » où chacun se rêvait shôgun à la place du shôgun.

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Le débat est toujours ouvert parmi les spécialistes pour trouver la clé du « plus grand mystère de l’histoire du Japon » comme aime à l’appeler Tetsuô Owada, l’historien qu’a débauché la ville de Fukuchiyama pour soumettre cet épineux problème à la sagacité des internautes japonais… Pour l’occasion, Owada a proposé aux volontaires de faire leur choix parmi 50 explications différentes ! Témoignant au passage de l’indéfectible affection des Japonais pour les questionnaires à choix multiples (QCM). Y figurent des hypothèses classiques comme l’inimitié personnelle ou la soif de pouvoir aux côtés de propositions plus originales comme la « volonté [de Mitsuhide] d’arrêter le processus de déification [de son maître] ». L’opération a connu un franc succès avec un total de 35 359 votes des quatre coins du pays encore confiné. Précisons, à l’heure où les études statistiques sont jugées de près[tooltips content= »Cf. le LancetGate »]1[/tooltips], que ce questionnaire n’est probablement pas représentatif de l’ensemble de la population japonaise (la surreprésentation des jeunes liée à l’utilisation d’Internet semble assez évidente). Néanmoins c’est une bonne occasion d’explorer le rapport des Japonais à leur histoire et d’interroger certaines idées reçues.

La fidélité du guerrier ?

L’hypothèse qui a recueilli, de loin, le plus de suffrages (4 046) est la suivante : Akechi Mitsuhide a tué son suzerain Oda Nobunaga car celui-ci était devenu un tyran. C’est donc l’équilibre des pouvoirs qui aurait poussé le vassal idéaliste à commettre un mal pour un bien. Tetsuô Owada s’avoue surpris, s’attendant à voir en tête des explications plus traditionnelles comme le conflit d’egos et la lutte pour le pouvoir. Il n’est pas le seul : certains des plus grands journaux du pays[tooltips content= »Mainichi Shinbun, Yomiuri Shinbun, Sankei Shinbun… »]2[/tooltips] en ont parlé. Cet étonnant résultat, qui remet en cause le caractère sacré du devoir d’obéissance envers son seigneur, y est sans doute pour quelque chose.

Contrairement à une idée solidement ancrée[tooltips content= »Datant probablement de la codification du mythique code de l’honneur des guerriers japonais (le bushidô) dans le Hagakure en 1716. »]3[/tooltips] les liens entre vassaux et seigneurs reposaient rarement sur un devoir d’obéissance absolue tel qu’exposé dans le bushidô. En pratique les guerriers changent souvent d’allégeance en fonction de leurs proximités ou de leurs intérêts. La grande guerre qui court tout au long du XIIème siècle est souvent présentée comme ayant opposé le clan des Taira à celui des Minamoto. En réalité les deux clans comptaient chacun dans leurs rangs nombre de Taira et de Minamoto mélangés, même si les branches aînées s’opposaient distinctement (Cf. les ouvrages de Pierre-François Souyri, notamment Les guerriers dans la rizière et Histoire du Japon médiéval). La fidélité inconditionnelle a bien entendu existé mais on la trouve beaucoup plus parmi les « petits » (guerriers de la garde rapprochée…) que chez les puissants vassaux. De nombreuses histoires d’hommes-lige se sacrifiant héroïquement pour leur seigneur peuplent l’histoire et la mémoire collective japonaise. C’est le destin de Mori Ranmaru, dernier des fidèles d’Oda Nobunaga qui se sacrifia pour retarder l’entrée des troupes de Mitsuhide dans le temple de Honno-Ji et permettre à son maître de se suicider dignement. Nobunaga a-t-il été un « tyran » comme le suggère l’hypothèse gagnante ? L’opprobre en tout cas n’est pas jetée sur le traître qui pouvait fort bien avoir ses raisons. Gageons que cela ne diminue pas pour autant l’admiration pour ce héros populaire qu’est Ranmaru.

Les Japonais peu concernés par leur passé ?

Pour nombre d’internautes Mitsuhide n’a pas agi seul, c’était l’instrument d’un seigneur plus puissant, propulsé à la tête du pays : Toyotomi Hideyoshi. Pour certains ce serait même Hideyoshi qui aurait commis l’acte en personne (hypothèse qui arrive en 5ème position dans le classement). Les tenants de cette hypothèse auraient du mal échapper à l’accusation de complotisme sous nos latitudes où le souvenir de l’Histoire, de ses jeux de pouvoir et de ses luttes d’influence, est en train de disparaître. Pourtant ces hypothèses de « gouvernement de l’ombre », qui représentent plus de la moitié des choix proposés, témoignent d’une bonne connaissance de l’histoire nationale dont l’une des spécificités les plus marquées est que, bien souvent, le pouvoir réel échappe à celui qui en est officiellement le détenteur. Il faut ici saluer le travail des concepteurs qui, ayant pris le livre d’Odawa pour référence, ont su en tirer 50 propositions détaillées et les classer de manière claire, concise et convaincante.

Le sentiment de la continuité historique irrigue toujours l’archipel en profondeur. Cet épisode seul suffirait à le prouver s’il ne s’inscrivait pas en sus dans un cadre plus large. Tous les ans, sur toute l’année, la NHK (radio du service public) diffuse une série de fictions historiques à très gros budget appelée « Taiga Drama »[tooltips content= »Ce programme réunissait il y a 30 ans 40% des parts d’audience ! Ces records sont loins puisqu’il ne parvient aujourd’hui que difficilement à franchir la barre des 10% mais il ne faut pas sous-estimer son poids et son influence dans le paysage médiatique »]4[/tooltips], devenue une institution après presque 60 ans d’existence. Cette année le héros est… Akechi Mitsuhide ! Sans doute la série est-elle à l’origine du projet de la mairie de Fukuchiyama, surtout que l’historien du questionnaire, Tetsuô Odawa, est aussi le « conseiller histoire » de la série. Plus qu’une fierté personnelle la culture historique est un jardin secret entretenu par le groupe, qui n’affleure à la surface que lorsque l’émulation est collective. Au Japon, comme le dit Tadao Takemoto[tooltips content= »L’âme japonaise en miroir: Claudel, Malraux, Lévi-Strauss, Einstein…, p13 (préface d’Olivier Germain-Thomas) »]5[/tooltips], « l’essentiel est caché » et l’histoire ne fait pas exception. L’Occident sous influence américaine ne croit plus qu’au visible, au transparent, aux images. Ce drôle de questionnaire est d’autant plus rafraîchissant qu’il redonne toute sa place à la complexité de l’histoire humaine.

« Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde »

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Manifestation le 27 juin 2020 à Seattle © AP Photo / Elaine Thompson / 2006280131

Les habits neufs du totalitarisme


L’horreur réapparaît mais pas là où on l’attendait: antisionisme, antiracisme racialiste, islamisme, écologisme de purification, victimisation. Toujours en prétendant défendre les opprimés, en quête de perfection humaine et revisitant l’histoire et la biologie. Interdisant le débat et adepte du mensonge. « Celui qui contrôle le présent, contrôle le passé, mais celui qui contrôle le passé contrôle le futur. » (George Orwell). Une fois de plus, une masse de personnes sincères et de bonne foi vont suivre ces joueurs de flute, trompés et séduits par les revendications de justice affichées. Depuis des décennies, en effet, une grande partie de la jeunesse instruite, formatée par un conditionnement à la fausse tolérance et à la non-violence, rêve d’un monde débarrassé définitivement du racisme, de la haine, de la guerre et de toute pollution produite par l’homme.

A lire aussi, Matthieu Creson : États-Unis: comment la gauche radicale social-étatiste exacerbe en fait le racisme

Obsédée par les abominations de la deuxième guerre mondiale ou plutôt désormais par ce qu’elle croit être son équivalent, la spoliation et la persécution des Palestiniens, cette jeunesse occidentale ne veut plus d’ennemis, alors qu’elle se donne à elle-même de nouveaux ennemis qui sont les protecteurs, certes très imparfaits et parfois même violents, d’un ordre démocratique, stable et civilisé. Cette exigence de pureté et de perfection qui veut s’appliquer aux sociétés a toujours engendré les différents totalitarismes.

A lire ensuite: Une amnistie pour tous les criminels «racisés»?

Le totalitarisme d’aujourd’hui n’a pas encore de nom mais il a pour adeptes passifs ou actifs et militants tous ceux qui refusent de voir qu’il est impossible d’éradiquer le mal du cœur des hommes et de la nature elle-même et qu’il faut seulement en limiter ses désastreuses manifestations. « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête », disait Pascal. C’est ainsi qu’il devient possible aux monstres du pouvoir et de la destruction de se nourrir de nos idéaux angéliques.

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Dorénavant, le « New York Times » écrira « Black » avec une majuscule

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Manifestation à New York, le 30 juin 2020 © STRF/STAR MAX/IPx/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22469190_000094

Derrière cette décision éditoriale, une bien curieuse logique…


Nous vivons à une époque où de nombreuses personnes s’empressent d’exprimer leur solidarité avec les minorités opprimées en mettant un genou par terre. Peut-on reproduire le même geste sur le plan purement typographique ? Le très célèbre New York Times a décidé que oui, en annonçant le 30 juin que désormais l’adjectif « Noir » ou « Black » arborera une lettre majuscule quand il désignera des peuples ou des cultures d’origine africaine. Et cela, afin de faire preuve de respect envers toutes les communautés parmi leurs lecteurs. Cette décision serait en phase avec une autre, prise auparavant, consistant à donner une majuscule à « Native » et à « Indigenous » pour les membres des Premières Nations d’Amérique. C’est d’autant plus cohérent que d’autres termes, comme « Asian-American » (« Asio-Américain ») ou « Latino », portent des majuscules depuis toujours. Très cohérent, n’est-ce pas ? Sauf que « blanc », « white », gardera une minuscule. Pourquoi ? Parce que, pour le journal, ce terme aurait beaucoup moins tendance à évoquer « une culture et une histoire partagées ». Il s’ensuit donc, selon cette logique curieuse, que les Blancs ne constituent pas une communauté. Le Times se justifie en ajoutant que « White » avec majuscule est un usage qu’affectionnent les groupuscules de suprématistes blancs. Mais depuis quand ces groupuscules-là parlent-ils au nom de la communauté – ou de la non-communauté – des Blancs ?

« Privilège blanc »

En réalité, la décision du New York Times n’est pas isolée. Beaucoup d’autres publications l’ont précédé ces derniers temps, le Chicago Sun-Times allant jusqu’à donner aussi une majuscule à « Brown » pour désigner toutes les autres personnes de couleur, quoique celles-ci ne partagent certainement pas une histoire et une culture communes. Le débat sur la signification de tous ces termes, avec ou sans majuscules, n’est pas tranché chez les activistes noirs. Le grand militant pour les droits civiques, Jesse Jackson, refuse le terme de « Black », préférant « Afro-Américain », car selon lui il est essentiel de mettre en avant l’héritage plutôt que la couleur. D’autres activistes noirs trouvent que l’étiquette monolithique de « Black » gomme la diversité des expériences des différents peuples d’origine africaine. D’autres encore pensent que priver « white » de sa majuscule, c’est renforcer l’impression que les Blancs ne sont pas racialisés, qu’ils constituent la norme par rapport à laquelle les Noirs constituent l’autre.

A lire aussi, Aurélien Marq: Caricatures retirées du New York Times: ainsi meurt la liberté

Pourquoi donc le New York Times a-t-il décidé que les Blancs n’auront pas de majuscule ? La vraie raison en est que les plus radicaux des activistes croient que l’égalité de traitement devant la typographie ne peut pas être tolérée tant que les Blancs conserveront leur « privilège blanc » si injustement acquis. Le journal américain choisit donc de se plier devant les exigences des extrémistes. Cette même asymétrie dans le traitement des Noirs et des Blancs se retrouve ailleurs. Le site web communautaire, Reddit, vient de mettre à jour ses règles. Désormais, seront interdites les communautés qui incitent à la violence ou à la haine contre des groupes sur la base de l’identité ou de la vulnérabilité de ces groupes. On apprend que cette règle ne protège pas tous les groupes et toutes les formes d’identité. Certainement pas les groupes « qui constituent la majorité » ou qui promeuvent des attaques haineuses contre les minorités. Quelle peut être cette « majorité » en ligne ? On est obligé de déduire qu’il s’agit des majorités dans la plupart des pays occidentaux, c’est-à-dire des Blancs. Ceux-ci peuvent donc être haïs à volonté.

Revanche typographique

Cette asymétrie Noir/Blanc est un exemple inquiétant de ce que Douglas Murray, l’essayiste, journaliste et penseur conservateur, appelle la sur-correction dans son livre, La Guerre des communautés : Race, identité, genre, les ferments de la violence qui vient, qui sortira en français en octobre. Ces dernières années, on a beaucoup fait dans nos sociétés sur le plan juridique pour corriger les injustices et les inégalités dont souffraient différentes minorités – ethniques ou « genrées » – et une majorité, celle des femmes. Maintenant, il s’agit d’aller plus loin : plutôt que de viser la correction des inégalités, il s’agit d’infliger une correction aux majorités et surtout aux hommes. Nous vivons à l’ère de la vengeance. Même typographiquement.

Sur Sud Radio, notre directrice Elisabeth Lévy réagit à cette polémique

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Et si Macron était vraiment disruptif?

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Emmanuel Macron pendant une conférence de presse après le G5 du Sahel, à Nouakchott, Mauritanie, le 30 juin. © ELIOT BLONDET-POOL/SIPA/2007011003

Voici, à l’attention de M. Macron, une liste de propositions économiques qui pourrait en faire un président vraiment disruptif.


J’ai été très heureux de lire les intéressantes propositions de monsieur Nouailhac. Certes, elles ne brillent pas par leur originalité disruptive, mais elles ont le mérite de la sincérité. Moins d’Etat, moins de démocratie et plus de liberté à condition que celle-ci soit exclusivement limitée à une seule classe, celle des entrepreneurs. Il faudrait bien sûr garder une armée un peu puissante, au moins pour intervenir à l’intérieur, comme dans le Chili de Pinochet qui fut le premier pays à servir de terrain de jeu aux Chicago Boys.

Comme je suis moi-même passé de la fonction publique au secteur privé avec une partie de mon activité dans l’auto-entrepreneuriat, on me permettra d’exprimer à mon tour ce qui me semblerait une action nécessaire de la part du président Macron pour surmonter la crise économique qui vient, fille d’une crise sanitaire dont les parents sont la dégradation environnementale ainsi que le mode de production néolibéral et sa mondialisation délirante. La question pour la France n’est donc plus seulement de savoir qui va payer quoi mais d’éviter un effondrement et une tiers-mondisation accélérée.

A lire également, Jean Nouailhac : Pour Macron, c’est le moment ou jamais !

Réaliser au plus vite un audit de la dette

Le budget d’un État ne peut pas être comparé au budget d’une famille. Pour deux raisons essentielles. Primo, un État peut décider du montant de ses recettes par sa politique fiscale. Secundo, ses dépenses conditionneront ses recettes en finançant des infrastructures, des investissements, des salaires.

Si la dette publique augmente, c’est pour deux raisons:

  • la baisse des recettes fiscales avec les cadeaux fiscaux successifs aux entreprises et aux contribuables les plus riches;
  • l’interdiction que les gouvernements se sont imposés depuis 73 de faire financer les déficits publics par la banque de France puis par la BCE.

Heureusement, la mutualisation des dettes nationales au niveau européen semble prendre le bon chemin. Panser les blessures de la crise sanitaire, relancer l’activité en relançant la demande, rénover les systèmes scolaires et hospitaliers, créer les millions d’emplois dont on aura impérativement besoin pour la transition écologique.

Redéfinir le périmètre du marché

En 1945, une France en ruines est redevenue en quelques années une puissance économique et politique mondiale, avec un haut niveau de protection sociale. Le pragmatisme gaulliste a en effet compris que le secteur privé, après s’être largement déshonoré dans la collaboration, ne pouvait assurer une reconstruction digne de ce nom en étant seulement aiguillé par une vision comptable de rentabilité court-termiste.

Il a été donc été décidé par le CNR de nationaliser de larges pans de l’économie parce qu’ils appartenaient aux « communs » de la nation : les transports, l’énergie, les communications, la santé, l’éducation et une bonne partie du crédit. Il faut renouer d’urgence avec cette vision car nous sommes en guerre aujourd’hui contre un système mondial devenu fou qui court à sa perte et nous avec. Inutile de donner des milliards aux grands groupes qui s’en servent pour licencier massivement comme on le voit ces temps-ci.

Faisons-les plutôt rentrer dans le giron de la nation en expropriant les patrons et les actionnaires. Une économie de marché pourquoi pas, mais pas une société de marché: elle a fait preuve de sa toxicité depuis trente ans.

Promouvoir une politique salariale innovante

Plutôt que de fixer une rémunération maximale ou minimale, fixer un écart salarial qui aille de 1 à 15.

Aucune loi ne pourra empêcher des patrons de se rémunérer un million d’euros par mois, si le plus bas salaire de leur entreprise est aux alentours de 65000 euros, par exemple les techniciennes de surface. Qui peut dire en effet que son travail est quinze fois plus nécessaire que de récurer des toilettes ?

Redéfinir le temps de travail

Sa réduction est une nécessité impérieuse pour relancer l’activité qui consistera essentiellement à assurer la transition écologique. La convention citoyenne avait pensé à 28 heures, hélas tout de suite écartées par les archaïques tandis que la Nouvelle-Zélande est passée aux 32 heures. En effet, si on veut favoriser la relance par la demande dans une économie déprimée, il faut que tout le monde puisse travailler. Travailler plus d’un côté alors qu’on licencie est un non-sens, ou alors c’est encore une fois, mais je n’ose l’imaginer, que la durée du temps de travail et les plans sociaux seraient des variables d’ajustements pour maximiser les profits. Dans le même ordre d’idée, une retraite à 55 ans pour les métiers pénibles (policier, infirmière etc..) et à 60 ans pour les autres (y compris les éditorialistes des chaines infos) est urgente alors qu’arrive 800 000 jeunes sur le marché du travail en septembre.

En finir avec la Vème république

L’archaïsme d’une hyperprésidence aggravée par la coïncidence des présidentielles et des législatives est apparu en pleine lumière à l’occasion de cette crise sanitaire, surtout quand le président est mauvais ou très moyen.

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Il est temps de restaurer le rôle d’un parlement élu pour quatre ans à la proportionnelle intégrale par liste régionale à seuil de 3%. Le chef du parti arrivé en tête sera nommé Premier ministre. Chaque parlementaire sera révocable par ses électeurs à qui il rendra compte tous les six mois. Le même mécanisme de révocation des élus sera mis en place au niveau des régions, des départements et des communes.

Régularisation massive et automatique des sans-papiers

Comme l’a fait le Portugal pendant la crise, cette régularisation permettra aux sans-papiers de travailler dans un cadre légal et ainsi de cotiser, ce qui aidera grandement à équilibrer les comptes sociaux.

Repenser la fiscalité

Passer de cinq à quatorze tranches d’imposition. Traquer l’évasion fiscale qui se monte  annuellement aux alentours de 90 milliards d’euros. Déchoir de leur nationalité, comme aux Etats-Unis, les contribuables qui ne paient plus leurs impôts sur le territoire national.

Droit à l’expérimentation sociale

Sur le modèle de Notre-Dame-des-Landes et des communautés autonomes du Plateau de Millevaches, l’État pourra aider les modèles alternatifs et utopies concrètes qui se créent chaque jour et éventuellement s’inspirer de ces « laboratoires sociaux » qui créent les contours de la France de demain.

Alors, monsieur le Président, si vous voulez laisser votre marque dans l’histoire…

Requins: la mer de toutes les peurs

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LOIC VENANCE / AFP

En 1975, la caméra de Spielberg a substitué à la Bête du Gévaudan le requin blanc dans l’imaginaire populaire.


Le 20 juin 1975, Les dents de la mer, deuxième long métrage de Steven Spielberg, sortait sur les écrans aux États-Unis et au Canada. Ce film a non seulement eu un énorme succès commercial qui a lancé la carrière de son metteur en scène, mais il a introduit un nouveau monstre dans l’imaginaire de l’humanité : le grand requin blanc.

Un gros budget marketing

Depuis, la peur des requins fait partie intégrante de la culture populaire et les grands médias comme les chaînes consacrées à la nature ne cessent d’alimenter notre intérêt pour ce prédateur et d’entretenir notre désir de nous faire peur.  À la sortie du film, Universal studios avait accordé un gros budget marketing et diffusé – pour la première fois – des bandes-annonce (« teasers ») à la télévision aux heures de grande écoute. Autre phénomène inédit, la distribution du film s’accompagnait d’un véritable plan de « merchandising » incluant la vente de jouets, vêtements et articles à l’effigie du requin et de sa victime. Avant de voir le film et/ou d’acheter ses produits dérivés, beaucoup n’avaient jamais aperçu le moindre requin blanc, même en photo. L’écrasante majorité des humains ne connaissaient même pas suffisamment bien les requins pour pouvoir reconnaître une espèce spécifique. Mais peut-on attribuer ce succès très particulier des Dents de la mer uniquement à une campagne habile de communication ? 

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En février 1974, plus d’un an avant la sortie du film, Peter Benchley publie le roman qui allait fournir la trame de l’œuvre de Spielberg, rencontrant un grand succès en librairie. Déjà dans sa version papier, l’histoire d’une petite station balnéaire terrorisée par un requin blanc, transforme un animal marin largement méconnu en héros d’un énorme best-seller. Certes, le livre romancé de Benchley est inspiré des cas réels d’attaques de requins – dont un précédent en 1916. Mais avant la sortie des Dents de la mer, ces rares incidents étaient des faits divers au même titre que les attaques d’ours, de crocodiles ou d’autres animaux sauvages. Les tentatives pour reproduire le succès des Dents de la mer avec d’autres prédateurs – l’anaconda par exemple – n’ont pas eu le même succès ni su créer de véritable monstre dans les esprits.    

Les baignades troublées de Gil Mihaely 

Il ne faut pas non plus sous-estimer le génie unique de Steven Spielberg à utiliser le langage cinématographique – avec la célèbre et particulièrement efficace bande sonore de John Williams –   pour susciter chez les spectateurs une peur profonde et durable. Joanne Cantor de l’université de Wisconsin-Madison a signalé dans un article publié en 2004 que Les Dents de la Mer et Poltergeist (sortie en 1982) étaient les deux films provoquant chez les spectateurs le plus de réactions pendant le sommeil (en clair : des cauchemars) et l’éveil. En effet, 43% des personnes interrogées dans le cadre de cette étude déclaraient avoir peur lorsqu’elles nageaient – et pas seulement en mer… Pendant de longues années, lors de mes baignades en mer ou dans un lac, j’ai moi-même été hanté par mes souvenirs des Dents de la mer que je n’avais pourtant vu qu’une seule fois en 1976. Ceci est particulièrement vrai durant les baignades nocturnes, puisque mes petits camarades s’amusaient à faire des petits gestes évocateurs qui nous arrachaient un cri d’effroi. Bref, nous étions très nombreux à voir le film et continuer de le vivre des longues années après.

 

Et c’est justement ce que toute une génération Dents de la mer a vécu interroge. Pourquoi le requin ? La réponse est probablement liée à notre imaginaire collectif. Pendant des siècles, l’animal qui faisait peur en Occident était le loup. Quand l’Europe était un océan des forêts sauvages parsemé de quelques villes relativement sûres pour l’homme comme autant des îles désertes, les loups et leurs hurlements meublaient l’imaginaire en incarnant la peur du désert vert qui assiégeait ces îlots de civilisation.  Le Petit chaperon rouge, dont les premières versions françaises remontent au moins au XIVe siècle, en est l’exemple emblématique. Au-delà des interprétations symboliques et psychanalytiques, la peur du loup correspondait à la manière dont notre civilisation a « géré » les tensions entre nature (dont le lieu par excellence était la forêt) et culture (la ville avec la chaleur, la lumière, la nourriture et la sécurité). Les hommes qui trouvaient refuge en forêt (pour travailler ou pour fuir la ville) y faisaient des rencontres bizarres et représentaient des sortes de Robinson Crusoé, voire des passeurs entre deux mondes. Ceux qui y ont habité – charbonniers par exemple – étaient considérés dans les villes et villages comme des hommes à part.  

Nature marine et tourisme

Dans ce contexte, l’histoire de la bête du Gévaudan fut Les dents de la mer du XVIIIe siècle. Après une série d’attaques contre des hommes survenues entre juin 1764 et juin 1767, l’affaire est devenue une véritable psychose – notamment grâce à la presse naissante ainsi qu’aux représentations de la bête diffusées par l’imagerie populaire. Dans ce cas précis, les attaques se produisaient souvent dans des « entre-deux » (entre le village, espace de l’homme, les pâturages et d’autres endroits bordant la forêt sauvage). Beaucoup de victimes étaient des enfants accompagnant des troupeaux qui se nourrissaient dans ces lieux à la frontière entre culture et nature.

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Les XIXe et XXe siècles ont vu la fin de ce monde. La forêt a été domestiquée et ne fait plus peur. Les loups ont été éliminés et les villes sont devenues tellement énormes qu’elles ont coupé leurs habitants de tout contact avec la nature. La nature est devenue soit un parc d’attractions soit un film diffusé sur National Geographic. Dans le même temps, l’homme post-1945 a découvert une nouvelle frontière entre la nature et la culture : la plage. Le tourisme de masse transforme les plages : elles ne font plus partie de l’espace naturel et ne sont plus une extension de la mer sur terre. Aménagées et équipées depuis les années 1950-1960, elles forment l’extrémité de l’espace de l’homme où celui-ci prend de plus en plus ses aises. Si certains trouvent non sans raison que dans les Dents de la mer il y a quelque chose de Moby Dick, il est justement intéressant de souligner la grande différence : le Capitan Ahab, bien armé et équipé, part à la chasse de son monstre loin dans l’immensité des océans. Le requin de Bencheley et Spielberg vient chasser l’homme sans défense en villégiature dans une station balnéaire familiale. La terre jusqu’au bout est à l’homme mais la mer qui la borde reste difficile à maîtriser. Même si on s’y baigne, on n’est pas chez soi. Nous y sommes les invités de la nature. Or, comme avant elle la forêt, cette nature marine engendre et abrite des monstres. Le rôle joué par le loup n’est pas resté vacant longtemps. Le requin blanc l’a pris. Le génie de Benchley et Spielberg fut de l’exprimer.

Moby Dick

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Lettre de lecteur

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Paul Thibaud Photo: Hannah Assouline

Les journaux français laissent de moins en moins de place au débat et de plus en plus aux monologues des opinions autorisées. C’est ce que montre très bien l’abandon du « courrier des lecteurs », autrefois l’occasion d’échanges exigeants. A ce rythme-là notre monde n’aura bientôt plus rien de « commun » et rétrécira en un ensemble de revendications vindicatives.


Le journalisme devenu monologue

Sauf La Croix, où un milieu clairement identifié échange opinions et expériences, nos journaux (cela n’est pas vrai dans tous les pays) ont renoncé au « courrier des lecteurs ». On peut douter qu’internet compense cette disparition. À travers la dichotomie entre le papier et l’électronique, on voit plutôt s’instituer une séparation entre ceux dont le statut est d’écrire et les autres : d’un côté, le monde des opinions reconnues, celles des journalistes et, dans les pages « idées » ou « débats », celles des gens qui ont pignon sur rue et, de l’autre, le monde indistinct, éruptif, suspect des « réseaux sociaux », que l’on connaît par ouï dire. Cette séparation assure à l’écrit une insularité et un poids nouveau dont l’allongement des textes publiés est une manifestation. Celui qui ouvre Le Monde par exemple est souvent exposé à l’autorité de textes sinon de grand style, du moins de grande surface qui se donnent d’emblée l’allure d’être exhaustifs. Nous sommes loin de l’époque où Pierre Vidal Naquet dans ses nombreuses lettres au Monde, manifestait sa confiance en même temps que sa vigilance : il y avait des choses qu’il n’entendait pas « laisser passer » comme il disait. Désormais, nous en laissons passer beaucoup.

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Je pensais à cette fermeture formelle au débat en lisant dans la rubrique « disparitions » du Monde la pleine page consacrée à Zeev Sternhell. Le parcours de cet Israélien se débattant avec la politique et la culture françaises, était retracé, en particulier son opposition au schéma de René Rémond sur les trois droites françaises (légitimiste, orléaniste, bonapartiste) où le fascisme n’a pas de place. Evoquant la querelle qui en a résulté, l’auteur de l’article, Nicolas Weill, oubliait le reproche fait plus d’une fois [tooltips content= »Fascisme français ? La controverse, sous la direction de Serge Berstein et de Michel Winock, CNRS édition, 1974. »](1)[/tooltips] à Sternhell, de n’avoir jamais construit d’idée cohérente d’un fascisme dont il parlait sans cesse, son fascisme étant un concept caméléon, applicable à volonté à une liste d‘auteurs extensible. Mais pas possible désormais d’objecter en écrivant au journal, le journalisme étant devenu monologique, l’affaire, pour le commun des lecteurs, apparaissait réglée.

Vulgate bourdieusienne

Peu importe, dira-t-on, ce n’est qu’un hommage funèbre un peu complaisant, laissons les morts enterrer les morts ! Mais la perte de la culture du débat (dont le courrier des lecteurs était un échelon essentiel) inquiète bien plus quand est concerné un domaine actuel et brûlant, comme celui des discriminations selon l’origine, telles qu’elles sont perçues et jugées. À cet égard, l’orientation de notre « journal du soir » n’est pas douteuse: en faveur d’une jeunesse allogène harcelée et offensée. On sonne l’alerte, la France proclame-t-on en gros caractères, est encore et toujours « à la traine ». Mais la question est de savoir si au Français mis en demeure, on donne les moyens de se faire une opinion éclairée. On se réfère à une littérature sociologique abondante, mais on a souvent le sentiment que les informations et les chiffres qu’on en extrait sont au service d’une doctrine transcendante plutôt que d’une réflexion exigeante.

« Le rapport avec la police se construit dès le plus jeune âge » affirme le titre [tooltips content= »Nicolas Chapuis, Le Monde, 23/06/20. »](2)[/tooltips]. Après quoi on présente le volet français d’une étude internationale  sur « la compréhension de la criminalité juvénile », volet qui a été dirigé par un universitaire reconnu, Sébastian Roché. Dans ce cadre on a interrogé 9 000 collégiens (5ème, 4ème, 3ème) des Bouches-du-Rhône, dont 727 (8%) ont eu affaire à la police en 2015, sans qu’on note de différence notable selon les origines géographiques regroupées en trois ensembles (Européens, Africains, autres origines). 399 ont subi un contrôle plus approfondi, 291 ont été fouillés. Parmi les contrôlés et les fouillés, les Africains sont relativement plus nombreux que les autres, ils le sont surtout parmi les multicontrôlés (+70% de ceux qui ont été contrôlés au moins 5 fois). De ces données on peut conclure d’abord (mais cela n’est pas dit) que la vulgate dominante est prise en défaut: le contrôle au faciès n’est pas généralisé, puisque les « bronzés » ne sont pas plus nombreux que les autres à déclarer qu’ils ont été interpellés et que, s’ils l’avaient tous été il y aurait eu bien plus de 727 interpellés dans l’année.

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Dans ces conditions, la clé du rapport négatif avec la police semble devoir être cherchée dans la catégorie des multicontrôlés. De cette catégorie on nous dit que les Africains y sont surreprésentés, mais on ne nous dit pas si elle est nombreuse ni comment on y entre : par hostilité au contexte ? par jeu ? en s’engageant dans de petits trafics ? Si dans l’article analysé on ne se soucie pas de le savoir, c’est à cause d’un préjugé de fond commun au journaliste et au sociologue : les adolescents, du moins ceux des catégories dominées, sont des victimes, donc des objets passifs, c’est l’action de la police qui détermine leur avenir. C’est pourquoi, après avoir promis de décrire une relation détraquée, on finit par se concentrer sur la seule police. « Si les contrôles ne sont pas tous discriminatoires », dit S. Roché cité par N. Chapuis, il reste « une part significative de contrôles discriminatoires ». Pour exacte qu’elle soit, cette  formule ne devrait pas suffire pour que, in fine, on néglige les autres raisons d’agir de la police et qu’on n’analyse pas le cadre dans lequel elle le fait. On finit logiquement par dire que la police agit en circuit fermé, inventant elle-même son travail. Un fait justifie cette interprétation péremptoire : 97% des interpellations n’auront pas de suite judiciaire, d’où on conclut que « L’essentiel de l’activité de contrôle consiste à déterminer qui est éligible au contrôle » donc à le faire subir à « des personnes auxquelles rien ne pourra être reproché par la justice ». Lisant on a l’impression d’assister « en direct » à la capitulation de la pensée du social. Voilà un article auquel j’aurais aimé répondre in situ, faute de le pouvoir, je me sens soumis à un arbitraire.

Frustration

Expédiée comme dans les nuages cette lettre d’un lecteur frustré voudrait pointer un trait général de notre situation, la difficulté de partager le monde dans le cadre d’un individualisme pointilleux. Nous produisons des revendications péremptoires et subjectives, des monologues personnels ou catégoriels mais, en même temps, le monde social dont nous nous sommes déchargés se venge, il s’affirme comme nous tenant et nous contenant mais déterminé du dehors, de manière « systémique ». Pour surmonter cette séparation de l’individu et de son monde, nous ne voyons que la mise en place de batteries de plus en plus serrées d’indicateurs par quoi on entend obliger les « dominants » à se regarder dans le miroir, à entrer dans une voie de culpabilisation, qui risque bien d’être aussi celle du ressentiment.

Que serait une stratégie de construction de l’intercompréhension et de la générosité ? Il serait temps d’y penser.

Pourquoi l’universalisme?

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Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen © D.R.

Contre ceux qui ne voient la société que comme le théâtre de la guerre des races, des sexes, des classes, contre ceux qui refusent de comprendre la richesse de chaque personne humaine pour enfermer et enrôler les individus dans des camps fixés dès la naissance, contre ceux pour qui la réalité se résume à des histoires d’oppressions systémiques et à une alternative absurde entre la dictature de la majorité et la tyrannie des minorités, contre eux tous, je suis universaliste.


Pourquoi l’universalime ?

Parce que n’en déplaise à Deleuze, à Foucault et aux héritiers de la « French Theory », la pure splendeur de la 5ème symphonie de Beethoven ne s’explique pas par des rapports de domination, quels qu’ils soient.

Parce qu’il ne suffit pas d’être pauvre pour être honnête, mais que prétendre que la délinquance ne serait qu’un produit de la misère est un crachat au visage de tous les pauvres qui sont honnêtes, et fait bien ricaner tous les criminels en cols blancs. Et que voir dans chaque bourgeois un oppresseur, c’est nier Nicolas Rolin, Guigone de Salins et Oskar Schindler.

Parce que j’admire à la fois le courage de Léonidas et celui de Yue Fei, celui de Jeanne d’Arc et celui de Charles N’Tchoréré, le génie politique d’Auguste et celui de Wu Zeitan, les poèmes de Victor Hugo, d’Omar Khayyâm et de Saigyô, les épopées d’Homère, de Ferdowsi et de Heinrich von dem Türlin, l’intelligence fulgurante d’Euclide, celle de Marie Curie et celle de Stephen Hawking, la cathédrale de Strasbourg, le Fushimi Inari Taisha, l’Alhambra et le Parthénon, l’héroïsme prodigieux d’Hermias d’Atarnée et celui de Jean Moulin, la sublime beauté des œuvres de Phidias, Li Sixun et Edmund Blair Leighton, la sagesse lumineuse de Mencius, celle de Hillel l’Ancien et celle de Plutarque.

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Parce que face à leur profonde et sublime humanité, prétendre que la couleur de peau d’Hippocrate ou celle de Denis Mukwege auraient la moindre importance serait aussi odieux que stupide. Parce que juger les écrits de Sénèque et de Cléanthe selon leurs possessions matérielles et leurs classes sociales serait ne rien y comprendre, et les rabaisser tous les deux.

Parce que la grandeur d’un être humain ne vient pas de sa naissance, mais de ce que les Grecs appelaient arétè, l’excellence : courage, intelligence, lucidité, générosité, dévouement…. Et si certaines cultures, certaines éducations sont de toute évidence plus propices que d’autres à l’éclosion et à l’épanouissement de ces qualités, à l’élan vers la plénitude de l’être que suppose la poursuite de l’arétè, celle-ci n’est l’apanage d’aucune couleur de peau, d’aucune ethnie, d’aucun sexe, d’aucune orientation sexuelle, d’aucun milieu social. Félix Éboué avait raison d’appeler les étudiants de Pointe-à-Pitre à « jouer le jeu », disant : « Jouer le jeu, c’est piétiner les préjugés, tous les préjugés, et apprendre à baser l’échelle des valeurs uniquement sur les critères de l’esprit. Et c’est se juger, soi et les autres, d’après cette gamme de valeurs. (….) Jouer le jeu, c’est savoir tirer son chapeau devant les authentiques valeurs qui s’imposent par la qualité de l’esprit, et faire un pied-de-nez aux pédants et aux attardés. » Et lui, le haut fonctionnaire Noir héros de la France Libre, dont les ancêtres avaient été émancipés de l’esclavage 40 ans seulement avant sa naissance, citait Épictète, philosophe, esclave et Blanc.

Parce que nos humaines faiblesses sont aussi universelles que ce qui fait notre grandeur, même si là encore il est des cultures et des éducations qui aident à les surmonter quand d’autres y enfoncent. Mais il n’est nulle turpitude humaine dont quiconque serait miraculeusement préservé, ou à laquelle quiconque serait irrémédiablement condamné, en raison de sa couleur de peau, de son ethnie, de son sexe, de son orientation sexuelle, de sa culture ou de son milieu social.

Parce que je refuse d’interdire à qui que ce soit d’aimer ce que j’aime, d’admirer ce que j’admire, de trouver de l’inspiration dans ce qui nourrit la mienne, et parce que d’expérience l’enracinement a encore plus de force que les racines.

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Parce que je continuerai à chanter les Dieux que j’ai choisis, même s’ils n’étaient pas ceux que priaient mes parents.

Parce qu’il est aussi monstrueux de traiter quelqu’un de « bounty » ou d’« arabe de service » que de « sale nègre », de « sale arabe » ou de « babtou fragile ».

Parce que je persiste à croire qu’il est de notre devoir de rechercher le bien commun, qui est infiniment plus que le seul intérêt général, plutôt que de nous résigner à la concurrence sans fin des intérêt particuliers, à la surenchère des subjectivités et à l’égoïsme débridé des individualismes ou des communautarismes.

Parce que si chaque peuple, chaque civilisation, chaque époque voit à sa manière le Vrai, le Beau, le Bon, le Juste, si aucune n’en a ni n’en aura jamais une parfaite connaissance, il n’en demeure pas moins que l’erreur n’est pas la vérité, que les sacrifices humains sont une abomination, que l’excision est un crime, que donc toutes les cultures ne se valent pas. Parce que les libertés de conscience, de pensée et d’expression sont nos plus précieuses conquêtes, et que nous avons la responsabilité de les défendre et de les transmettre.

Parce que le génie ne se trouve pas dans la dissolution du particulier dans l’universel, ni dans l’enfermement dans le particulier refusant de se nourrir de l’universel, mais dans la découverte de l’universel au cœur du particulier, et dans l’inscription du particulier au cœur de l’universel, étoile dans une constellation dans l’infini du ciel.

Parce que ceux qui croient que la dignité ou l’indignité résident dans la couleur de peau, le sexe ou l’origine sociale refusent par là même de reconnaître notre véritable dignité humaine, et tentent de nous couper de ce qui a toujours fait, fait et fera toujours les sages, les héros et les saints, et tout simplement, avec leurs gloires et leurs faiblesses, leur grandeur et leurs insuffisances, l’humanité des hommes.

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La guerre des symboles

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Alexandre Lacazette, comme tous les joueurs de Premier League, se met à genoux avant le début de chaque match © CHINE NOUVELLE/SIPA 00968578_000010

Le but des revendications actuelles concernant la « condition noire » n’est pas une demande de justice, mais un processus d’affirmation politique de forces anti-Etats, processus dans lequel les noirs sont manipulés.


Le génial David Galula, lorsqu’il décrit, dans son maître ouvrage « Contre-insurrection, théorie et pratique », la guerre insurrectionnelle et contre-insurrectionnelle (ce que l’on appelle un conflit « asymétrique », du faible au fort), nous enseigne avant tout que l’essentiel de la guerre, avant d’être militaire, est politique et symbolique. Il montre que, pour gagner une guerre, le plus important pour l’insurgé n’est pas de battre son ennemi militairement, mais de le « dévitaliser », de lui voler son pouvoir symbolique, en montrant que c’est lui-même, le « faible », qui porte, plus que le « fort », la légitimité, parce que le fort est incapable d’assumer son « contrat de confiance » vis-à-vis du peuple, à savoir, contre la remise entre ses mains du monopole de l’usage de la force, l’utilisation de cette même force pour sa mission de protection, par l’ordre et la justice à l’intérieur et la défense des frontières à l’extérieur. C’est ce que l’on appelle les « missions régaliennes de l’Etat », ce que Raymond Aron résumait par la formule « En paix à l’intérieur, respecté à l’extérieur ». Et ces missions sont « garanties » par ce que l’Etat montre symboliquement de sa propre puissance.

De fait, en politique, tout n’est que symbole : les gigantesques murailles et les jardins de Babylone, bâties pour impressionner les arrivants, les pyramides d’Egypte, les innombrables constructions romaines, la Cité Interdite et le Palais Topkapi, le faste des cours royales, avec les rois lointains et pleins de mystère, les armées défilant, avec armes, chevaux, uniformes rutilants et drapeaux, avec les chefs à leur tête, sous les Arcs de Triomphe, les châteaux forts, les grandes villes avec leurs artères, leurs monuments et leur « Grand Place », les procès retentissants et les exécutions, avec un maximum d’horreur et de « faste », des ennemis et des opposants politiques, la brutalité des répressions. De même, la Tour de Londres, le Camp du Drap d’Or, le château de Chambord, puis celui de Versailles. Plus près de nous, les traités de 1919 dans le faste de la Galerie des Glaces, la bombe d’Hiroshima, le grand procès de Nuremberg de 1945/46, les défilés militaires sur la Place Rouge ou les Champs Elysées, avec les avions et les chars, les grands discours, le mausolée de Mao et son portrait sur la Place Tien An Men, le drapeau américain déposé sur la lune, le 21 Juillet 69, ou pour la France, la bombe atomique, le Concorde, et aujourd’hui le porte-avion Charles-de-Gaulle. Tout est fait pour impressionner, dedans et dehors, et pour affirmer la puissance, garantie de « la paix à l’intérieur, le respect à l’extérieur ».

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A l’inverse, tout doit être bon pour un pouvoir contraire, qu’il soit ou non insurrectionnel, pour montrer, par le symbole également, que le pouvoir en place n’est qu’un « tigre de papier », faible, incapable d’assumer ses missions : au minimum, critiques ou libelles, railleries, présentation ridicule des dirigeants par la caricature, les « Guignols » ou autre « Muppet show », au pire murailles détruites ou villes rasées, populations déportées, rois ou chefs humiliés ou exécutés en public. Ainsi, il s’agira de mettre en scène la honte du pouvoir en place, et la fierté des opposants. Le but, toujours le même, est de montrer que c’est ce futur pouvoir qui assumera, avec sa puissance émergente, l’ordre, la justice et la protection pour le peuple, à la place de l’ancien, celui qui a failli. La prise de la Bastille, qui ne représentait aucun objectif militaire, tout comme l’obligation faite à Louis XVI de porter au balcon des Tuileries, à la place de sa couronne, le bonnet phrygien (au point de faire dire au jeune Bonaparte, spectateur parmi la foule, « que coglione ! », quel couillon…), étaient de cet ordre, tout comme, plus tard, la bataille symboliquement décisive de Diên Biên Phu, ou même l’attaque spectaculaire des Tours Jumelles de Manhattan. En effet, s’il n’y a plus de symboles, ou plutôt si les symboles sont détruits, il n’y a plus de pouvoir, et c’est celui qui a détruit les symboles qui a pris le pouvoir.

Du mariage homosexuel à la quête antiraciste, des combats par le symbole

On peut aussi classer dans cette catégorie l’obtention, par les lobbies homosexuels progressistes, du « Mariage pour tous ». En effet, il est douteux que les personnes homosexuelles, dans leur grande majorité, aient souhaité se marier, alors même que cette institution était perçue dès cette époque comme pratiquement inutile et obsolète, sauf pour quelques « traditionnels ». Par contre, le fait, pour des personnes qui n’en avaient certainement pour la plupart pas envie, d’en obtenir quand même le droit, quitte à ne pas l’exercer, était une grande victoire symbolique, parce que cela permettait de ridiculiser et d’abattre encore un peu plus une institution qui restait, malgré tout, symboliquement, une citadelle de la tradition et du conservatisme. Cela permettait ainsi d’affirmer, à l’inverse, la « fierté » et la puissance du lobby homosexuel et du progressisme sur l’ensemble de la société. Ce n’était pas une question de justice, mais une affirmation de pouvoir.

Ils ne veulent pas la disparition complète des Etats, mais leur asservissement consentant à leurs causes, leurs idéologies et leurs intérêts.

De même, on peut affirmer qu’aujourd’hui, l’injonction forte faite aux « blancs » de se mettre à genoux symboliquement, sous le prétexte d’un hommage rendu à Georges Floyd, devant la « condition noire », pour « demander pardon » pour de prétendus « crimes passés », ou bien la demande instante de modification des textes historiques, ou la pression faite sur les marques, ou bien les tentatives de vandalisme et de destruction des statues, n’ont rien à voir avec une véritable demande de justice. Si cela avait été le cas, c’est un processus de mémoire, pacifique, qui aurait été nécessaire. On aurait créé des commissions d’experts et d’historiens, à qui on aurait demandé de « revisiter » le passé, et d’en tirer des conclusions solides concernant les responsabilités des uns et des autres. De telles commissions auraient montré, d’ailleurs, que la démarche n’est pas si simple, et surtout qu’il n’y a jamais des victimes d’un côté et des bourreaux de l’autre, mais que chacun est en général, victime à un moment et bourreau à un autre, quand ce n’est pas les deux à la fois et en même temps…

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Ce n’est pas un processus pacifique de justice qui est ici demandé. C’est une guerre insurrectionnelle, telle que décrite par Galula, qui est menée. Ce qu’il s’agit de détruire, ce sont les instruments symboliques des pouvoirs en place : la police, les grands hommes, le récit historique, les frontières, la paix civile interne, le langage même. Ce qu’il s’agit de montrer, c’est leurs hésitations, leurs reculs, leur incompétence, leur humiliation, leur faiblesse et leur honte.  Il faut leur faire perdre la face, et partant la guerre symbolique. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ces pouvoirs, en tout cas en France, ne résistent pas beaucoup.

Ceux qui tirent les ficelles de cette affaire ne se cachent pas. Ce sont les forces progressistes et de marché, ceux qui ont intérêt, sinon à abattre, du moins à affaiblir plus encore les Etats traditionnels, derniers bastions susceptibles de règlementer, si peu que ce soit, le commerce et la finance totalitaires, (dans un processus si bien décrit par Jean-Luc Gréau dans « Le secret néolibéral »), et de s’opposer à la mondialisation progressiste galopante. Ce n’est pas un hasard si tous les patrons des GAFAM, et les grands groupes mondiaux, ont pris fait et cause pour les « insurgés ». Ils ne veulent pas la disparition complète des Etats, dont les structures leur restent malgré tout utiles, pour maintenir une apparence d’ordre et de justice, mais leur asservissement consentant à leurs causes, leurs idéologies et leurs intérêts. Les « noirs », dans ce processus, ne sont qu’un prétexte. Ils sont parfaitement manipulés. Ne nous trompons ni d’analyse, ni de combat !

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Pour Macron, c’est le moment ou jamais!

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Emmanuel Macron et Edouard Philippe dans les jardins de l'Elysée, le 29 juin 2020 © Stephane Lemouton-POOL/SIPA Numéro de reportage: 00969860_000007

S’il est lucide et s’il a bien en tête les immenses dégâts occasionnés depuis 40 ans par la haute fonction publique dans la conduite du pays, et encore dernièrement dans la gestion désastreuse du Covid-19, le président dispose aujourd’hui d’une occasion unique de réformer la France de fond en comble et de la faire entrer enfin dans le XXIe siècle. 


Personne n’a encore expliqué aux Français ce qui risque de leur arriver en cas de faillite effective de leur pays, comme en Argentine ou en Grèce. Chez nous, les milliards continuent de couler à gros bouillons au point qu’on peut voir un jeune ministre socialiste inconséquent faire le beau devant les médias en annonçant la distribution de six milliards d’euros pour augmenter les salaires dans la fonction publique hospitalière. Ou un ministre expérimenté, le plus jacobin de tous, façon archéo-gaulliste époque Pierre Guillaumat, en charge de l’Économie distribuer à tout-va des dizaines de milliards sous condition de ne plus licencier ou de ne pas payer sur le sol français, même temporairement, des ouvriers polonais appartenant pourtant à une seule et même grande entreprise française

L’énorme machine à perdre, qui a encore étalé les trous béants de son système de gestion dans la crise sanitaire, est repartie vers des profondeurs inconnues à ce jour depuis l’effondrement du pays en juin 1940. Le danger est immense de continuer à gérer la France comme elle l’a été pendant ces quarante dernières années par un État boulimique et obèse, irresponsable et impuissant, manipulé par des hauts fonctionnaires économiquement incompétents et idéologiquement sectaires, sans volonté ni courage, incapables de faire face à des syndicats réactionnaires destructeurs et des corporations momifiées. 

Comme à l’époque des taxis de la Marne 

Continuer à jeter des pelletées de charbon dans la chaudière vorace de la locomotive étatique conduirait immanquablement à la ruine et à des malheurs incalculables. Emmanuel Macron, quel que soit son nouveau gouvernement – il en faut bien un pour s’occuper de la paperasse ordinaire –, a devant lui une opportunité unique : éviter la descente aux enfers du « modèle français » vers un modèle italien, puis espagnol, pour finir en bas du toboggan comme une Argentine exsangue ou une Grèce écœurée, croulant sous le poids de leur dette et incapables de gérer leurs horreurs sociales. Par exemple, en Grèce, la baisse drastique des retraites et des traitements des fonctionnaires. En somme, comme le général Foch à l’époque des taxis de la Marne (« Ma droite est enfoncée, ma gauche cède, tout va bien, j’attaque ! »), il s’agit pour le président de prendre le taureau par les cornes et de s’attaquer enfin aux grands dysfonctionnements du pays, tant qu’il a une majorité à l’Assemblée nationale ou tant qu’il peut déclarer l’état d’urgence nationale comme il a déclaré l’état d’urgence sanitaire le 23 mars dernier. 

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Et d’abord soutenir vraiment, au lieu de continuer à donner des leçons et à accabler de contraintes supplémentaires, les entrepreneurs qui sont dans la situation du tiers-état en 1789 : ils portent sur leur dos la noblesse (le système politique) et le clergé (le système syndical) alors qu’ils sont les seuls capables de créer les richesses dont le pays a un besoin vital pour s’en sortir. Et les seuls à même de créer de vrais emplois. On prévoit actuellement dans certains cercles bien informés, mais en chuchotant, que la part du système étatique dans le PIB, qui était de 56,5% fin 2019, pourrait monter jusqu’à 65%, ne laissant plus qu’un tiers du PIB au secteur privé. Un rêve d’étatiste français, époque Louis XIV avec son colbertisme triomphant. 

Un chantier colossal 

Les communistes soviétiques avaient imposé chez eux, de force, une dictature du prolétariat. Les hauts fonctionnaires français veulent-ils vraiment nous infliger par la méthode douce une dictature du fonctionnariat ? C’est pourtant ce qui risque d’arriver si le président laisse filer les vrais problèmes, pour des raisons purement électorales (sa réélection en 2022), comme tous ses prédécesseurs l’ont fait depuis plus de 40 ans. 

C’est aujourd’hui et pas demain qu’il faut commencer à s’attaquer à la montagne des problèmes français. Finis les aménagements de bordures, les mesurettes, les vaticinations d’opérette, les demi-tours permanents et les faux semblants d’une Convention citoyenne qui n’a de citoyenne que le nom. Le chantier est colossal et un big-bang s’impose. 

Nous avons élu un président libéral, oui ou non?

Quelques exemples non limitatifs des réformes de fond qu’il faudrait entreprendre d’urgence avec méthode et fermeté : 

– Réduire clairement le mille-feuille territorial en supprimant par exemple les départements et les cantons et en réduisant à moins de 10 000 par des fusions systématiques toutes les entités administratives locales, communes et communautés de communes. 

– Réduire de moitié le nombre des députés et le ramener de 577 à 280, dès la prochaine législature. Quant au Sénat, le fusionner avec le Conseil économique (CESE), et ramener le tout à 280 titulaires au maximum. 

– Abolir le statut des fonctionnaires qui date de 1946, sauf en matière régalienne stricte, et interdire tout recrutement dans la fonction publique pendant cinq ans, sauf cas très particuliers cautionnés par un ministre de plein exercice. Supprimer tous les cumuls de mandats et interdire aux fonctionnaires de s’engager en politique, sauf à avoir démissionné préalablement de la fonction publique, sans retour possible à la case départ. 

– Supprimer tous les régimes spéciaux dans un délai raisonnable, ainsi que la quasi-totalité des primes attribuées aux fonctionnaires afin qu’ils aient comme tout le monde un salaire complet correspondant à leur poste et à leur travail effectif. 

– Pousser à 65 ans le départ à la retraite de tous les citoyens dans un délai de cinq ans pour le privé et de dix ans pour les fonctionnaires, en attendant le passage inéluctable pour tous à 67 ans. 

– Commencer à détricoter l’écheveau invraisemblable des 600 000 ou 700 000 normes – personne n’a jamais réussi à les compter – qui étouffent le système économique en général et le secteur privé et libéral en particulier. 

– Suspendre pendant cinq ans le droit de grève pour tous les salariés payés par des fonds publics ou parapublics et supprimer toutes les subventions publiques versées à des syndicats sous quelque forme que ce soit. Abolir le monopole syndical dans les élections professionnelles et instituer un contrat de travail unique avec une période d’essai de trois mois, renouvelable deux fois. 

– Démonter complètement le système paritaire dans l’économie sociale tel qu’il est appliqué aujourd’hui, grâce auquel des sommes considérables entrent dans les caisses des syndicats, y compris des syndicats patronaux qui ont trahi leur cause en étant les complices des syndicats destructeurs de valeur dans les entreprises. Et, dans la foulée, faire voter une loi pour obliger ces syndicats enragés à un véritable service minimum. 

– Abroger les diverses lois sur les 35 heures ainsi que le système des RTT. Supprimer le SMIC ainsi que l’application du Code du travail jusqu’à sa complète réécriture en moins d’un an sur un maximum de 100 pages. 

– Privatiser toutes les entreprises dans lesquelles l’État n’a rien à faire, à commencer par France Télévision et Radio France, en ne conservant qu’une seule chaîne de télévision (France 2 ?) et une seule radio (France Inter ou France Culture ?). Et, bien entendu, supprimer le CSA, cette anomalie stalinienne. 

– Instituer un « blocage » fiscal pendant trois ans : plus aucun impôt ou aucune taxe ne seraient créés ou augmentés pendant cette période, excepté la TVA et la CSG exclusivement en cas de force majeure. 

– Supprimer les tribunaux administratifs dans lesquels l’administration est à la fois juge et partie et amenée à se juger elle-même, une véritable hérésie judiciaire. Refonder complètement tout le système judiciaire en commençant par la suppression de la Cour de justice de la République et du Parquet national financier. Couper le lien de dépendance des parquets avec l’exécutif. 

Révolutionner la façon de gouverner 

Toutes ces réformes dont certaines peuvent apparaître comme très brutales ne sont pourtant que le début d’une liste beaucoup plus longue car tout est à refaire dans notre pays complètement ankylosé. Au stade où nous en sommes, rappelons-nous les mots devenus célèbres d’Abraham Lincoln prononcés en 1860 devant le Congrès des États-Unis à l’occasion de son élection à la présidence. 

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« Vous ne pouvez pas créer la prospérité en décourageant l’épargne, Vous ne pouvez pas donner de la force au faible en affaiblissant le fort, Vous ne pouvez pas aider le salarié en anéantissant l’employeur, Vous ne pouvez pas encourager la fraternité humaine en encourageant la lutte des classes, Vous ne pouvez pas aider le pauvre en ruinant le riche, Vous ne pouvez pas éviter les ennuis en dépensant plus que vous ne gagnez, Vous ne pouvez pas forger le caractère et le courage en décourageant l’initiative et l’indépendance, Vous ne pouvez pas aider les hommes continuellement en faisant pour eux ce qu’ils devraient faire eux-mêmes. » 

On comprend mieux ce qu’il nous reste à faire ! Une révolution dans la façon de gouverner. Bon courage, monsieur Macron ! Si vous y arrivez en ayant dit la vérité aux Français, vous aurez de fortes chances d’être réélu en 2022 et vous entrerez par la grande porte dans les livres d’Histoire. Sinon, la décadence de votre pays sera irréversible avec les conséquences extrêmes que cela entrainera pour vos concitoyens.

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Six milliards de touristes et moi et moi et moi

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L'Acropole d'Athènes, juillet 2019 © Nicolas Economou / NurPhoto / AFP

 


Tout en prétendant voyager pour se faire plaisir, le touriste moderne tente désespérément d’affirmer son statut social dans un monde où les modes de consommation sont le seul vecteur de reconnaissance. Radiographie du mensonge touristique.


Le bien et le mal tiennent souvent moins aux choses ou aux comportements en eux-mêmes qu’à l’échelle sur laquelle ils se déploient. Reiser l’a remarquablement illustré, il y a plus de quarante ans (On vit une époque formidable, 1976), dans une série de planches intitulée « Les riches et les pauvres ». Exemples : « Quand les riches avaient une auto, c’était un événement, quand les pauvres ont une auto, c’est une calamité. Quand les riches allaient aux bains de mer, c’était une curiosité, quand les pauvres vont aux bains de mer, c’est une invasion. Quand les riches se droguaient, c’était pittoresque, quand les pauvres se droguent, c’est un fléau national. » Cela est particulièrement vrai à propos du tourisme. Entre 1838, quand paraît Mémoires d’un touriste de Stendhal, et le début du XXIe siècle où, avant de brûler (peut-être de fatigue), Notre-Dame de Paris accueillait sa douzaine de millions de visiteurs par an, la différence est telle que manifestement, si le mot « tourisme » est resté le même, ce qu’il désigne a changé du tout au tout.

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D’un côté, on voit mal au nom de quoi on interdirait à tout un chacun de s’adonner à une activité autrefois réservée à une élite. D’un autre côté, pratiqué extensivement, le tourisme détruit les conditions qui valaient la peine de faire du tourisme. D’où cette conclusion tirée par l’écrivain colombien Nicolás Gómez Dávila : « En ce siècle de foules transhumantes qui profanent tout lieu illustre, le seul hommage qu’un pèlerin respectueux puisse rendre à un sanctuaire vénérable est de ne pas le visiter. »

Parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 20 avril 2019. Photo: Denis Meyer / Hans Lucas / AFP
Parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 20 avril 2019. Photo: Denis Meyer / Hans Lucas / AFP

Le tourisme, « pas pour le plaisir de voyager »

Ignorant ce précepte, les foules s’acharnent, et se précipitent toujours plus nombreuses vers des lieux dont les marées qui les envahissent réduisent à néant la possibilité de goûter les beautés. Au demeurant, il suffit d’observer les groupes qui arpentent harassés monuments, musées et trottoirs de Paris, une des villes les plus visitées au monde, pour savoir que l’enjeu véritable ne saurait être d’admirer ou de contempler. Quel est-il, alors ? « Nous ne voyageons pas pour le plaisir de voyager, que je sache. Nous sommes cons, mais pas à ce point », dit un personnage de Beckett. Il est rare que le touriste fasse preuve d’une telle franchise. Il prétend, contre toute évidence, que c’est pour « se faire plaisir » qu’il voyage ; de retour chez lui, il se déclare volontiers enchanté de son périple. Quelle réalité ces affirmations ont-elles mission de couvrir ?

Ainsi donc, quinze jours en Écosse, ce serait le niveau zéro. Rester chez soi ou aller chez mémé en Touraine, là, on se retrouve en territoire négatif

Dans sa Théorie de la classe de loisir, publiée en 1899, le sociologue Thorstein Veblen a attiré l’attention sur ce qu’il a nommé la conspicuous consumption, la « consommation ostentatoire », dont le but n’est pas de satisfaire un besoin, mais d’affirmer un certain statut social. L’ouvrage de Veblen a été publié à la fin de ce qu’on appelle, aux États-Unis, le « Gilded Age », l’âge doré (au sens de « plaqué or ») – cette période qui s’étend de la fin de la guerre de Sécession au début du XXe siècle, marquée par une croissance économique et industrielle explosive, une exploitation éhontée de la classe ouvrière, mais aussi la constitution de grandes fortunes et l’apparition d’une classe de « nouveaux riches », avides d’afficher leur réussite. Depuis cette époque, des franges toujours plus importantes de la population mondiale ont été intégrées à la société dite de consommation, où le besoin de reconnaissance dans l’espace social, si essentiel pour chaque être humain, est moins assouvi par l’appartenance à des communautés familiales et locales, pulvérisées par les modes de vie contemporains, que par l’image projetée autour de soi par ses modes de consommation.

Mais qui sera le meilleur touriste?

On comprend alors quel est le plus puissant moteur du tourisme aujourd’hui : le voyage lointain est ce que l’on se doit d’entreprendre pour ne pas paraître minable auprès des personnes que l’on est amené à fréquenter et, du même coup, à ses propres yeux. Reiser, toujours lui, avait parfaitement compris la dynamique, dans une suite de vignettes ainsi légendées :

Les pauvres restent à la maison / Les riches partent en vacances.
Les pauvres partent en vacances / Les riches vont sur la Côte d’Azur.
Les pauvres vont sur la Côte d’Azur / Les riches vont au Maroc.
Les pauvres vont au Maroc / Les riches vont au Kenya.
Demain, les pauvres iront au Kenya / Alors les riches feront le tour du monde.

Les pauvres aussi feront le tour du monde / Les riches feront deux fois le tour du monde…

Aux approches de l’été, la question fleurit entre collègues de bureau : « Et toi, qu’est-ce que tu fais pour les vacances ? » L’année dernière, j’entendais quelqu’un répondre : « Cet été, on ne fait rien. Juste quinze jours en Écosse au mois d’août. » Ainsi donc, quinze jours en Écosse, ce serait le niveau zéro. Rester chez soi ou aller chez mémé en Touraine, là, on se retrouve en territoire négatif.

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Résumons : de même que plupart des personnes qu’on voit courir sur le bitume des grandes villes ne s’époumonent pas par amour de la course à pied, mais parce que des magazines les ont convaincus qu’ils devaient cela à leur santé ou à leur tour de taille, la plupart des personnes qui écument les grands musées, les sites classés, les terres lointaines, ne le font pas par amour de l’art, des vieilles pierres ou de l’exotisme, mais parce qu’ils doivent cela à leur statut social. Cela explique, au passage, la compulsion des touristes à photographier monuments, œuvres et paysages devant lesquels ils défilent, alors même que leurs images seront bien moins bonnes que celles qui se trouvent dans les livres ou sur internet. Seules des images self-made, avec tous leurs défauts, attestent que l’on s’est rendu en personne sur les lieux. Le propos de l’image n’est pas de capter la chose, mais de garder trace que l’on a été en présence de la chose.

Enfin, en présence… Le touriste sent bien, pris dans le flux de ses semblables, que cela va trop vite, qu’il n’est pas en condition d’apprécier, que quelque chose lui échappe. Alors il photographie, dans l’espoir qu’une fois rentré chez lui, au calme, il pourra enfin voir. Malheureusement, chez lui, il s’aperçoit que les images ne rendent rien, qu’il faudrait voir les choses en vrai. C’est un des aspects les plus diaboliques du tourisme : il s’alimente des déceptions qu’il engendre. D’autant que, très largement partagées, ces déceptions demeurent également très largement refoulées, dès lors que le voyage touristique, pour remplir correctement la fonction sociale qui est la sienne, se doit d’avoir été une réussite et de laisser de merveilleux souvenirs. C’est ce qui fait que le mensonge touristique a si longue vie. Ce printemps, le coronavirus a gelé la situation, mais pour combien de temps ?

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