Cela fait des années que magistrat puis citoyen, je plaide en faveur d’une nouvelle responsabilité des magistrats. Le moins qu’on puisse dire est que cette obsession, centrale dans ma vision de la Justice, n’a jamais été bien accueillie. Comme si je portais atteinte à une sorte d’impunité.
Pourtant, j’ai toujours été persuadé que, loin de diminuer la confiance des citoyens à l’égard des magistrats, une responsabilité élargie mettant en cause défaillances professionnelles et faiblesses éthiques serait le meilleur moyen pour restaurer un lien fort entre la société et les juges. Plutôt que de pourfendre en général la Justice sans la connaître, on saurait alors précisément qui, quel magistrat a fauté. La médiocrité ne serait plus noyée dans une masse qui l’occulterait.
La mission de réflexion demandée par le président de la République n’a que le tort d’avoir été confiée au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Comme il est absurde de réclamer aux technocrates qu’ils réforment la technocratie, aux universitaires l’Université, il est peu efficient de solliciter d’un organe comme le CSM des avancées dans ce domaine de la responsabilité pourtant capital.
J’apprécie que le président ne se soit pas arrêté à la volonté « de rendre plus efficace le dispositif de plaintes de justiciables » puisqu’en six ans, le filtre mis en place a tellement bien fonctionné que « seules trois plaintes de justiciables ont donné lieu à un renvoi devant la formation disciplinaire ». Cette rareté était prévisible à cause du manque d’enthousiasme évident de la magistrature face à cette obligation démocratique. Sa mission essentielle sera, en effet, d’examiner « la possibilité de mieux appréhender l’insuffisance professionnelle du magistrat dans son office juridictionnel, dans le respect du principe d’indépendance ».
Pour la première fois, on ne semble pas exclure certaines pratiques judiciaires de la définition d’une responsabilité approfondie, en dépit des arguments fallacieux souvent évoqués sur la liberté du juge et les voies de recours. Par ailleurs la collégialité sera sans doute abordée par le CSM. Mais elle n’est pas invoquée d’emblée comme une impossibilité. En effet, il me semble que la responsabilité collective qu’implique la collégialité n’est pas forcément contradictoire avec la recherche d’une défaillance particulière en son sein.
Rien ne me paraît plus riche de sens que cette tentative de rechercher et d’identifier une responsabilité à portée disciplinaire au cœur d’une indépendance trop souvent perçue tel un bouclier absolu et vécue comme le droit de faire, dans une interprétation extensive ou malicieuse de la loi, à peu près n’importe quoi.
J’ai souvenir, par exemple, de l’arrêt d’une chambre d’accusation présidée par Gilbert Azibert, remettant en liberté « le Chinois », malgré une double condamnation criminelle à son casier judiciaire. Ce tueur a perpétré six mois plus tard, à nouveau, plusieurs crimes au Plessis-Trévise. Le président de cette juridiction n’est évidemment pas directement responsable de ces tueries, mais l’élargissement qu’il a permis, en dépit d’éléments objectifs qui auraient dû l’interdire, pourrait être soumis au regard disciplinaire. Prenons un exemple plus basique. Le juge des libertés et de la détention qui décide un simple contrôle judiciaire ou, pire, une liberté pure et simple pour un mis en examen sans véritable domicile et grevé d’un passif judiciaire lourd, commet à mon sens un acte qui malgré la voie de recours à venir constitue intrinsèquement une aberration procédurale, une démarche partisane ou un aveuglement humain. J’espère que le CSM aura le courage d’affronter les multiples problématiques qui peuvent être examinées même en tenant compte de la normalité de la liberté des juges et des voies de recours.
Si pour une fois le président disposait d’un rapport audacieux et consistant – on a le droit de rêver -, que de grâce il ne l’enterre pas en vertu de cette tradition qui fait que plus les conclusions sont pertinentes, moins on les met en œuvre !
Qu’on ne proteste pas non plus en se plaignant de voir la seule magistrature ciblée ! Le Barreau ne nous concerne pas, mais mon expérience de magistrat et de citoyen me permet d’affirmer que le corporatisme des avocats dépasse celui des juges et que les Conseils de l’ordre sont d’une extrême indulgence sur le plan disciplinaire. Selon que vous serez connu ou non, puissant ou non … La Fontaine toujours d’actualité !
En tout cas le président, avec cette responsabilité à amplifier, a ouvert un chantier capital. Bonheur de pouvoir mettre enfin une pierre positive dans la politique judiciaire d’Emmanuel Macron !
Aujourd’hui, il ne pourrait plus tourner Les Galettes de Pont-Aven. Son objectif à lui était de faire du cinéma, pas de la morale. Mais après « Balance ton porc » et dans l’ambiance générale de bien-pensance, ce genre de cinéma populaire et un peu cru est tout simplement impossible.
Joël Séria, au cinéma, ça éclabousse, « ça mitraille sec ». Pas de langue de bois ! Dans ses films, une jolie fille « mérite bien son petit coup de chevrotine » et si une petite pépée rend Marielle complètement dingo, c’est parce qu’elle « sent la pisse et pas l’eau bénite ». Dans son œuvre, on croise un type jaloux qui file une « avoinée » à une bonne femme qui a essayé de le doubler, des jeunes filles qui séduisent des messieurs, on parle de youpins et de petits culs, accoudés au comptoir en formica, en s’enfilant un petit blanc comme de bien entendu. Dans les films de Séria, on est souvent représentant de commerce, réparateur de frigo chez Frigolux, bouchère ou boulangère et on y parle la France des années 1970. La langue n’est pas de bois, mais de chair.
Morale: « Si j’avais 20 ans aujourd’hui… je ne sais pas ce que je ferais, ça fait peur »
Mais attention, ces petites gens qu’il met en scène ne sont jamais vulgaires ! Crus très souvent, grossiers parfois, mais Séria leur prête sa singulière poésie populaire, sa gouaille lyrique et musicalement composée… Et lorsque la voix qui donne vie à cette prose joyeusement fleurie est celle de Jean-Pierre Marielle, on frise l’orgasme ! Joël Séria est un homme du passé. Un passé dont l’insouciance et la liberté de ton font aujourd’hui rêver.
J’ai eu des acteurs tellement grandioses ! Marielle, Carmet, Galabru, Pieplu…
J’imaginais l’homme ronchon et réac, je me trompais. J’ai rencontré un petit garçon de 84 ans la tête dans les étoiles et les lèvres toujours prêtes à sourire. Un homme doux et sincère, un peu dépassé par le nouveau monde qu’il a du mal à comprendre tant il lui paraît absurde et qui l’inquiète tant il efface à grande vitesse tout ce qu’il a chéri, à commencer par la liberté et l’insouciance qui sont la grammaire de ses films.
Causeur. Pensez-vous qu’aujourd’hui vous pourriez tourner Les Galettes de Pont-Aven ou Comme la lune ?
Joël Séria. Oh non… ce serait impossible. Avec « Balance ton porc » et « Metoo », ce serait un scandale. Je trouve ahurissant tout ce qui se passe. Je ne comprends pas trop… On dirait que les féministes d’aujourd’hui détestent la drague. Des femmes font des scandales parce qu’on leur a touché le bras. Dans ces conditions, il n’y a plus rien de possible entre les hommes et les femmes, c’est tout. Vous imaginez si elles voyaient mes films ? Marielle leur touche un peu plus que le bras ! À la réflexion, plus personne n’oserait faire une comédie avec du cul. Or, il faut avouer que je suis très porté là-dessus. On me tomberait dessus.
Vous avez raison. Pour autant, il faut regarder la réalité dans son entièreté. Aujourd’hui, pour beaucoup de jeunes, Les Galettes de Pont-Aven est un film culte qui leur donne la nostalgie de cette époque de liberté qu’ils n’ont pas connue. En effet, malgré le politiquement correct totalitaire, les vraies gens continuent de parler entre eux de manière politiquement incorrecte. Les garçons parlent des filles comme vos personnages. Or le cinéma dit « populaire » d’aujourd’hui, soumis à la bien-pensance et à la morale, est déconnecté de la vraie vie, des vrais désirs sexuels, des vrais sentiments humains.
Et le pire, c’est l’autocensure ! Les réalisateurs ne se battent pas contre des censeurs, ils se soumettent à l’air du temps. Je crois qu’aujourd’hui, je n’essaierais même pas de faire des films. C’est décourageant.
Vouliez-vous provoquer, faire scandale avec vos films ?
Non, pas vraiment. Je ne leur trouvais rien de scandaleux. Comme je vous l’ai dit, j’ai toujours été très porté sur la chose, alors j’ai fait des films qui parlaient de ça ! Vous savez, à 17 ans, je me suis barré de chez mes parents et installé direct à Pigalle ! C’était le paradis pour moi. J’étais toujours fourré dans un bar à putes qui s’appelait le Nebraska. Il y avait une petite pépée pour qui j’avais le béguin. Elle me faisait monter gratuit ! Alors vous voyez… Mes films à tendance érotique, je les ai faits sincèrement sans trop me poser de question. D’ailleurs, à l’époque, ça n’a pas tellement choqué. Même pour Marie-poupée (1976) où un homme fétichiste, incarné par André Dussollier, déguise sa très jeune femme de 17 ans en poupée afin de la déshabiller comme un jouet et qui fait ensuite la même chose à une petite fille, je ne pensais pas que c’était scandaleux et personne ne le pensait. On ne se disait même pas « c’est un pédophile ». Vous qui êtes jeune, ça doit vous paraître incroyable et provocateur. À l’époque, j’ai eu de très bonnes critiques dans la presse.
Aujourd’hui, on vous ferait deux reproches. D’abord de faire rire, par exemple, avec un type qui par jalousie « file une avoinée à sa femme ». On vous accuserait, peut-être à raison, de plaisanter avec les violences conjugales, donc de les banaliser sans les condamner. Ensuite, on dénoncerait votre absence de morale. Vous ne pourriez parler d’un homme qui fantasme sur une fillette que pour le condamner en disant : « Hou ! Regardez ! Ce type est un méchant pédophile ! C’est une ordure ! »
Sans doute, mais justement, je n’ai pas fait du cinéma pour faire la morale. Comme beaucoup d’artistes de mon époque, je faisais passer l’art avant la morale. Sinon, j’aurais fait autre chose ! Aujourd’hui, le cinéma français est mort. Si j’avais 20 ans aujourd’hui… je ne sais pas ce que je ferais, ça fait peur.
L’autre problème du cinéma français est que les réalisateurs n’aiment plus les acteurs. On ne voit presque plus de grands numéros d’acteurs au cinéma ! Autrefois, Pagnol semblait écrire, non seulement pour porter une histoire à l’écran, mais aussi pour faire rayonner Raimu, pour le faire exploser ! Comme Cassavetes avec Gena Rowlands ! Comme Carné et Prévert avec Arletty ! Ou comme vous avec Marielle ! Du reste, ce n’est pas que les réalisateurs n’aiment pas les acteurs, ils en ont peur. Faire exploser un grand acteur à l’écran, c’est prendre le risque qu’il dépasse le film. Où sont passés les monstres sacrés ? Qui est aujourd’hui le grand acteur comique ? Qui a remplacé Jouvet ? Qui a remplacé de Funès ? D’ailleurs, question piège, si vous tourniez aujourd’hui Les Galettes de Pont-Aven, qui prendriez-vous pour jouer le rôle que vous aviez offert à Marielle ?
Je ne sais pas… (Très long silence…) Je ne sais vraiment pas. Attendez … (Encore un long silence…) Non, je ne vois pas.
Et les dialogues ? Il n’y a plus de dialogues au cinéma ! Quand on regarde un film de Duvivier dialogué par Charles Spaak ou un film de Carné dialogué par Prévert ou Jeanson, on est bouleversé par les dialogues. C’est de la littérature ! C’est de la poésie ! D’ailleurs, même des types comme Anouilh et Marcel Achard écrivaient des dialogues pour le cinéma. En tant qu’acteur, quand je regarde vos films, je me dis toutes les cinq minutes : « J’aurais adoré dire cette réplique ! » J’aurais adoré dire : « Creuse-toi bien, là. Ah ton cul, ton cul… c’est mon génie ! », « Un cul de bonne femme ! Il est magnifique ! Je vais le peindre en vert, en bleu, en rouge, en jaune. J’y passerai des jours, des nuits, des mois s’il le faut ! », « Regarde-moi la raie de son cul ! Il est quand même plus beau que la face de la vierge, non ? »
Vous connaissez bien dites donc ! Marielle n’a jamais changé un seul mot de mes dialogues. Enfin si, une seule fois. Il a refusé de dire, en parlant d’Angela : « C’était pas de la merde qu’elle chiait elle, c’était de la neige… » Je ne sais pas pourquoi, il n’a jamais voulu dire cette réplique. Sinon, il n’a jamais changé une virgule. Je sais qu’il se régalait avec les dialogues que je lui écrivais. Il était vraiment heureux de tourner mes films. Et moi j’étais tellement heureux d’avoir Marielle ! Mes dialogues prenaient une dimension incroyable avec lui. Vous avez raison, aujourd’hui je ne vois pas qui pourrait faire sonner mes répliques comme il le faisait. C’est vrai quand j’y pense… J’ai eu des acteurs tellement grandioses ! Marielle, Carmet, Galabru, Pieplu… c’est tout une époque. Ce n’étaient pas n’importe qui ! C’étaient des mecs hors du commun, des personnages.Tout est devenu tellement sage, tellement triste.
Que manque-t-il aux acteurs d’aujourd’hui ?
Une dimension. Une folie. Un mec comme Marielle avait une dimension supplémentaire, ça saute aux yeux, c’est écrasant. C’est ce qui fait qu’un acteur appartient à la race des très grands. À l’époque, il y avait même des seconds rôles qui étaient de sacrées personnalités, avec leur diction particulière, leur voix, leur gueule ! Aujourd’hui la France de mes films, la France populaire des bistrots de province, est en train de disparaître. Je suis heureux d’avoir connu cette époque.
En juin dernier, dans une déclaration martiale comme il a coutume de faire, Emmanuel Macron affirmait que la « République ne déboulonnera pas de statues ». Force est de constater que le contraire est arrivé dans plusieurs départements ultra marins. Dans son dernier essai[tooltips content= »Les statues de la discorde, Passés Composés, février 2021″](1)[/tooltips], l’historienne Jacqueline Lalouette recense statues et monuments vandalisés ou détruits par le mouvement antiraciste et décolonialiste dans différents pays du monde, des Etats-Unis à l’Australie en passant par des pays européens… en particulier la France. En s’appuyant très précisément sur divers exemples, elle montre comment certains militants antiracistes et décolonialistes manipulent l’histoire – à moins qu’ils l’ignorent – pour faire table rase d’un passé qu’ils jugent indésirable.
Isabelle Marchandier. Dans votre essai, vous faites la liste des statues et des monuments vandalisés ou détruits en France et dans le monde par la fureur iconoclaste du mouvement antiraciste et décolonialiste. Un continent y échappe : l’Asie. Comment expliquez-vous cette exception ?
Jacqueline Lalouette. Mon essai se rapporte uniquement aux événements de 2020. Si l’Asie n’y figure pas, c’est que, du moins dans les pays ayant été colonisés par la France, ne furent pas érigées de statues ayant un rapport avec l’esclavage. En revanche, il existait des statues de Français concepteurs ou acteurs de la colonisation : celles de Gambetta et de l’explorateur Francis Garnier à Saigon, celle de Jules Ferry – grand partisan de la colonisation – à Haiphong, celle de Paul Bert – résident général de l’Annam-Tonkin en 1886 – à Hanoï. En outre, Jules Ferry et Paul Bert, le second surtout, étaient partisans de la hiérarchisation des races et considéraient que la « race jaune » était inférieure à la « race blanche ». Ces statues ont toutes disparu après le départ des Français provoqué par la défaite de Dien-Bien-Phu et les accords de Genève (1954), ce qui a contribué à effacer le souvenir de la colonisation française. En Inde, la statue du Français Joseph François Dupleix, gouverneur de Pondichéry, érigée en 1870, fut transférée dans les jardins du Consulat français en 1965 ; à sa place, s’éleva celle du premier ministre Jawaharlal Nehru, figure de l’Indépendance indienne. Puis, en 1982, l’effigie de Dupleix fut installée dans le Children’s Park de la ville. Toujours en Inde, des statues d’Anglais furent détruites après l’Indépendance, mais, à Calcutta, le mémorial de la reine Victoria a été préservé.
La mort de George Flyod et les revendications du mouvement antiraciste Black Lives Matter ont allumé la mèche de cette fureur iconoclaste. Sans cet événement tragique, le tag « Négrophobie d’État » aurait-il été peint sur le piédestal de la statue de Colbert, devant l’Assemblée Nationale ?
Si l’épisode iconoclaste qui traversa la France en 2020 ne fut pas étranger à la fièvre états-unienne et planétaire consécutive à l’assassinat de George Floyd, il faut néanmoins relativiser cette concomitance, et rappeler que certaines statues érigées en France continentale ou ultramarine étaient contestées depuis plusieurs années.
Ainsi, en 2020, l’iconoclasme s’est manifesté en Martinique dès le 22 mai, date anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans ce département ultramarin, soit trois jours avant le meurtre de George Floyd. Même sans la mort de celui-ci, la statue de Colbert aurait sans doute été vandalisée, car elle est contestée depuis plusieurs années par le Collectif représentatif des associations noires (CRAN). Son président, Louis-Georges Tin, publia le 28 août 2017 dans le journal Libérationune tribune expliquant son hostilité à cette statue parisienne du grand ministre de Louis XIV. Au même moment, le mouvement Black Lives Matter, fondé en 2013, contestait la présence, dans le Sud des États-Unis, des statues des généraux confédérés qui étaient favorables au maintien de l’esclavage durant la Guerre de Sécession. Louis-Georges Tin expliqua alors que l’on ne pouvait pas approuver l’action des manifestants de Charlottesville et tolérer la présence de la statue de Colbert à Paris. Il y a donc bien un lien entre l’action des militants américains et celle des militants français, mais il est antérieur à 2020.
Le cas de Colbert est-il symptomatique de cette damnatio memoriæ, de ce châtiment post mortem jeté par un antiracisme en quête de réparation ?
Après avoir été pendant longtemps une personne relativement consensuelle pour les Français, Colbert a incarné la prétendue « négrophobie de l’Etat ». Le cas de Colbert est surtout symptomatique de l’ignorance de certains militants ou de leurs manipulations de l’histoire. On reproche à Colbert d’avoir rédigé et signé le « Code noir », expression apparue en 1718 pour désigner un ensemble de textes relatifs au statut des esclaves dans les colonies françaises. La première ordonnance, relative à la Martinique, fut achevée et signée au printemps 1685 : or Colbert est mort en septembre 1683. Cependant, c’est bien lui qui, en 1681, au nom de Louis XIV, a confié à l’intendant de la Martinique le soin de recueillir les informations concernant les esclaves de cette île. Il voulait imposer à tous les maîtres un règlement unique, d’origine royale, affirmer l’autorité de Louis XIV sur cette colonie et combler un vide juridique en codifiant tout ce qui concernait le statut des esclaves. La première signature figurant sur l’ordonnance est celle de Louis XIV, et la seconde est bien celle de Colbert, mais il s’agit du fils du Grand Colbert, qui avait pris la succession de son père. A partir de ce texte, la loi – et donc le roi – s’interposa, du moins en théorie, entre l’esclave et le maître et limita le pouvoir arbitraire de ce dernier. Cette ordonnance de 1685 n’incarne donc pas un racisme d’Etat, mais la puissance de la monarchie absolue. D’ailleurs, le document déplié sur les genoux de la statue de Colbert n’est pas l’ordonnance, mais le plan de l’hôtel des Invalides ! Affirmer que cette statue a été érigée à la gloire de l’esclavage est le fait de militants voulant faire de la France un État négrophobe régi par un « racisme systémique ».
Cette falsification historique est également à l’œuvre dans ce que vous appelez « la haine antischœlcherienne » à l’origine de la destruction des statues de Victor Schœlcher, le père de l’abolition de l’esclavage en France…
Hier encore, Schœlcher était grandement loué, entres autres, par des grandes figures de la scène littéraire comme Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire. En 2020, cinq des monuments à son effigie ont été tagués, abattus ou détruits en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Pourquoi une telle hostilité envers celui qui était jusqu’alors présenté comme le « père » du décret d’abolition de l’esclavage (27 avril 1848) – l’un des actes majeurs de la jeune Seconde République – et dont les cendres furent transférées au Panthéon en 1949 ? Des militants antillais indépendantistes lui reprochent, au contraire de ne pas avoir été l’abolitionniste et l’ami des noirs comme on l’a traditionnellement dépeint. Pour ce faire, ils tronquent et manipulent ses écrits afin de lui prêter des pensées racistes et de prétendre qu’il fut pendant longtemps opposé à l’abolition totale de l’esclavage.
Les militants du Mouvement International des Réparation (MIR) lui reprochent aussi d’avoir voulu que les propriétaires d’esclaves soient indemnisés de la perte de leurs « propriétés », et d’avoir été opposé à l’indemnisation des esclaves, ce qui est faux. Mais, lorsque la question des indemnités fut discutée, en 1849, Victor Schœlcher n’était plus sous-secrétaire d’État, il n’était qu’un député parmi d’autres et appartenait même à l’opposition ; son point de vue n’avait aucune chance d’être pris en compte.
Certains historiens et d’autres militants estiment aussi que la figure de Schœlcher a effacé le souvenir des luttes émancipatrices des esclaves. D’après eux, ce sont eux qui se sont libérés eux-mêmes. Leur point de vue s’explique par un épisode historique survenu au printemps 1848. En Martinique, après l’annonce de la signature du décret d’abolition de l’esclavage, les esclaves attendaient avec impatience leur libération, qui devait arriver deux mois après l’arrivée du nouveau gouverneur, qui débarqua le 3 juin. Entre temps, le 20 mai, une importante révolte éclata à la suite de l’emprisonnement d’un esclave par son maître. Pour y mettre fin, le 23 mai, le gouverneur provisoire décida de déclarer immédiatement l’abolition, qui est survenue ainsi 70 jours avant la date prévue. Aussi, des militants martiniquais estiment que les esclaves se sont libérés eux-mêmes et que Victor Schœlcher a été glorifié à leur détriment.
La statue de la petite sirène de Copenhague a fait également les frais de cette violence symbolique de l’antiracisme en se faisant taguer de « Racist Fish » alors que le conte d’Andersen ne contient aucune allusion raciste. Ces actes de vandalisme traduisent-ils un fanatisme inculte, cette « colère sans intelligence » qui selon le philosophe Peter Sloterdijck caractérise notre époque ?
A première vue, le vandalisme dont a été victime la statue de la petite sirène paraît totalement incompréhensible, car il n’y a rien de raciste dans le célèbre conte d’Andersen. Mais cette sirène est considérée comme le symbole de Copenhague, capitale du Danemark, pays qui a colonisé le Groenland, où la statue d’un missionnaire danois a d’ailleurs été vandalisée par des Inuits le 21 juin 2020. L’explication est peut-être à chercher du côté de l’histoire groenlandaise, la petite sirène n’ayant elle-même strictement rien à voir avec l’accusation de racisme. Une autre explication est envisageable : à côté d’autres héroïnes d’Andersen (la petite fille aux allumettes, la princesse au petit pois, etc.), la petite sirène peut symboliser aussi le célèbre écrivain lui-même. Or, celui-ci a publié au moins un conte indéniablement raciste, Le pou et le professeur, deux personnages qui arrivent dans un pays africain peuplé de sauvages anthropophages.
Votre livre s’intitule Les statues de la discorde. Quelles seraient les statues de la concorde ? Sont-elles encore possibles dans une nation fracturée par un identitarisme racialisé qui vise à diviser la communauté nationale en cultivant la lutte des races ?
Oui, je pense que l’on peut ériger des statues « de la concorde ». Il en existe d’ailleurs déjà outre les bustes d’Aimé Césaire. Ainsi, Toussaint-Louverture, qui a combattu le rétablissement de l’esclavage à Saint-Domingue, est statufié à Massy, Bordeaux et à La Rochelle. Louis Delgrès, qui est mort en 1802 en se battant contre le retour de l’esclavage en Guadeloupe, a de très nombreux bustes sur l’ile et figure également sur un beau monument installé au Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis. La mulâtresse Solitude, est statufiée en Guadeloupe et à Bagneux dans les Hauts-de-Seine. Plusieurs esclaves de La Réunion qui s’étaient révoltés en 1811 y sont statufiés. Or, ces statues, ces bustes ne semblent pas connus, peut-être parce qu’ils ne se trouvent pas à Paris. On peut encore penser à d’autres figures, par exemple à Ranavalo III, reine malgache privée de son trône par la France : pourquoi ne lui élèverait-on pas un buste dans des villes françaises où elle a séjourné comme à Saint-Germain-en-Laye, à Fontainebleau ou encore à Arcachon ? Statufier des figures emblématiques de pays autrefois colonisés par la France pourrait apporter une satisfaction symbolique à des populations qui estiment être discriminées ou insuffisamment prises en considération.
Contrairement à l’Histoire qui est par nature clivante, la Nature, elle, a l’avantage d’être neutre et consensuelle, faut-il s’attendre à statufier à l’avenir des arc en ciel, des arbres et des animaux ? Et à défaut de déboulonner, va-t-on végétaliser ces statues de la discorde ?
Vous ne croyez pas si bien dire. A Dijon, il existe un visage humain réalisé en feuilles d’arbre artificielles, d’un vert intense. A Lille, le nom de Faidherbe inspira un plaisantin qui suggéra de végétaliser sa statue, pour que ce général fût effectivement « fait d’herbe ». Quant aux animaux, ils sont eux aussi statufiés. La statue de la célèbre bête du Gévaudan se dresse à Marvejols en Lozère depuis 1958 ; et, depuis 1995, cet animal terrifiant est aussi représenté à Auvers, en Haute-Loire, face à une jeune fille qui parvint à le mettre en fuite. A Nîmes, deux célèbres statues de taureau existent. La plus ancienne, de facture classique, fut érigée en 1937 ; la seconde, de conception moderne, a pris place près des Arènes en 2018. En 2020, deux inconnus la dégradèrent en y inscrivant leurs prénoms. Il existe, en effet, un vandalisme que l’on pourrait qualifier d’imbécile, qu’aucun élément idéologique clivant ne peut expliquer, consistant à taguer, à briser un nez, des doigts, etc. Outre les statues de « grands hommes », la tendance est aussi à statufier des personnages anonymes, par exemple une jeune femme rêveuse, coiffée d’un large chapeau, assise sur un banc, rue Bonaparte à Paris, l’ensemble femme et banc étant en bronze.
Une résolution de conflit nécessaire à la stabilisation de la région
La reprise des tensions au Sahara occidental, entre les militants sahraouis du Front Polisario et le Maroc, depuis le mois de novembre dernier, pose la question d’un risque d’escalade dans une région où la donne sécuritaire est si sensible et si inflammable. Le terrorisme, les violences intercommunautaires, l’immigration clandestine et les trafics illégaux sont des défis communs à tous les pays de la zone sahélo-saharienne et du Maghreb.
L’instabilité du Sahara occidental où le plus grand danger est incarné par Adnane Abou Walid al-Sahraoui et son groupe État islamique au Grand Sahara (EIGS), adossé à l’instabilité régionale, a d’ailleurs encouragé la « jihadisation » d’une partie de la jeunesse sahraouie. Une escalade des tensions entre le Front Polisario et le Maroc bénéficierait donc, en premier lieu, aux organisations terroristes agissant dans la région.
Sur ce sujet comme d’autres, Algérie et Maroc ne parviennent pas à s’entendre
Le problème est qu’au contexte explosif du Sahara occidental s’ajoute le poids des relations conflictuelles entre Rabat et Alger qui reste l’un des principaux soutiens du Polisario. Bien que l’Algérie avance des arguments idéologiques de lutte anticoloniale pour justifier ce soutien, le pays semble surtout engagé avec le Polisario pour des intérêts politiques et stratégiques inavoués. En effet, ne souhaitant pas revenir sur la question de ses frontières avec le Maroc, le maintien d’une tension de basse intensité autour du Sahara occidental lui permet d’éviter les potentielles velléités du Royaume à ce sujet. L’opposition entre les deux puissances du Maghreb demeure donc un frein à la résolution du dossier sahraoui ainsi qu’aux échanges régionaux en matière de préservation de la paix, de libre-circulation et d’économie.
Pourtant une coopération à l’intérieur du Maghreb ainsi qu’entre le Maghreb et les pays du Sahel seraient la clé d’une meilleure appréhension des menaces sécuritaires pesant sur la région et qui sont, de facto, interconnectées. Alors que le sommet du G5 Sahel vient de se tenir à N’Djamena (Tchad), l’implication du Maroc autour de la région sahélo-saharienne (caractérisée par une collaboration sud-sud et nord-sud) se démarque. Après avoir fait face à un grand nombre d’attaques terroristes dès 2003, le gouvernement marocain a su détecter les foyers extrémistes et mettre en place une restructuration de la sphère religieuse par l’État (notamment avec la formation de ses imams), et des procédures pénales plus sévères en matière de terrorisme.
L’Algérie est déjà très occupée par ses troubles internes
Ces différentes initiatives lui ont permis de s’impliquer de façon proactive sur la scène internationale. Le royaume chérifien est désormais un partenaire clé de la coopération euro-méditerranéenne et continentale en matière d’anti-terrorisme et d’immigration. Il s’est également impliqué au niveau régional par son entrée au sein de l’Union africaine en 2017, suivie de sa demande d’intégration, la même année, au sein de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). L’ensemble de ces éléments font du Maroc un partenaire de premier plan pour les pays de la région, l’Europe et les États-Unis.
Quant à l’Algérie, le bilan de sa collaboration avec les pays du Sahel reste mitigé. Pourtant, le pays dispose de l’armée la plus puissante du continent qui lui permet, notamment, d’appuyer la Tunisie dans la sécurisation de ses frontières. Ce facteur décisif adossé à la fiabilité de l’Algérie dans la lutte anti-terroriste, pourrait permettre d’aider à faire face aux défis sécuritaires de la région. Paris aurait donc souhaité, en complément de la constitution du G5 Sahel, obtenir un appui du pays. Les accords d’Alger, signés à Bamako en 2015, allaient dans le sens de cette implication algérienne. Mais Alger semble en retrait depuis. En réalité, le pays doit faire face à d’immenses défis internes et la collaboration régionale en matière de lutte anti-terroriste ne semble pas être une priorité de ses généraux. Dans ce contexte, si Alger offrait à nouveau un appui militaire au Front Polisario (au moment même où le principe de non-ingérence de son armée a été abandonné), elle ferait une erreur stratégique de taille et provoquerait un conflit de plus dans la région. Le pays aurait davantage intérêt à sortir de sa logique insulaire pour mettre à profit ses nombreux atouts et favoriser une paix durable dans la région.
Pour faire face aux défis sécuritaires de la région, les pays du Maghreb et du Sahel doivent plus que jamais parvenir à une coordination au niveau du renseignement et des actions. Or cette collaboration se trouve limitée par le dossier du Sahara occidental et les divisions au sein du Maghreb. Clore ces conflits doit pourtant demeurer un objectif qui éviterait, notamment, de donner l’occasion à certains sahraouis maîtrisant la zone, de grossir le rang des jihadistes. À cet égard, si la résolution du conflit devait être comprise dans une perspective anti-terroriste, des renégociations autour de la proposition d’autonomie sous contrôle marocaine entre l’ONU, les puissances étrangères et les pays voisins, pourrait être une option sérieuse permettant la pacification de la région et la résolution de ce dossier vieux de quarante ans.
Le Soudanais qui a reconnu avoir tué le 19 février Cyril Pierreval, responsable d’un centre d’accueil de Pau, avait pu rester en France contre toute logique. Nos procédures d’éloignement ne sont pas appliquées, et une partie de la magistrature estime qu’entrer et rester en France est en quelque sorte un droit de l’homme.
Il y a quelques jours, un migrant soudanais a reconnu avoir poignardé à mort le responsable d’un centre d’accueil à Pau. Tragique fait divers, hélas révélateur de profonds dysfonctionnements, non seulement de l’État mais de notre société toute entière.
Entrer en France n’est pourtant pas un droit de l’homme
Faut-il le rappeler ? Tous les migrants ne sont pas des criminels, et tous les criminels ne sont pas des migrants. Reste que la délinquance de toutes origines déjà présente sur notre sol est un poison qui ronge notre société, qu’elle a été abondamment amplifiée par les flux migratoires – n’en déplaise aux belles âmes – et qu’il n’est clairement pas nécessaire d’en importer davantage. La présence d’un étranger sur le territoire français n’a rien d’un droit absolu, et s’il se montre dangereux il n’a bien évidemment rien à faire en France.
Or, que découvre-t-on ? Cet individu s’était vu refuser le statut de réfugié par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) – il est donc faux voire mensonger de le qualifier de « réfugié » comme l’ont fait de nombreux médias – avait été condamné à deux reprises en 2017 pour des faits de violence, et même emprisonné. Il aurait dû être expulsé, mais la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) s’y était opposée.
La CNDA joue contre nous
Impossible de ne pas songer à cette autre décision de la CNDA, confirmée ces jours-ci par le Conseil d’État, qui a invalidé la décision de l’OFPRA de retirer le statut de réfugié à une personne condamnée pour apologie du terrorisme. Espérons qu’elle n’entraînera pas d’aussi tragiques conséquences, mais gageons que si hélas cela devait être le cas, les responsables sauront une fois de plus échapper à toute sanction.
Qui sont-ils, ces responsables ? Les personnels débordés des centres d’accueil ? Nullement. Les agents de l’OFPRA ? Pas plus: dans les deux exemples évoqués, si on peut critiquer des délais importants la décision de l’OFPRA fut finalement celle du bon sens.
C’est bien, une fois de plus, la magistrature qui est en cause (ici administrative), en appliquant son interprétation de la loi au détriment du bien commun. Décidément, notre justice n’a pas besoin d’une réforme, mais d’une refondation. Mais ce n’est pas tout, et ne critiquer que les juges serait absurde. Car il y a surtout un manque criant de volonté politique. Les beaux discours et les gesticulations devant les caméras n’y changent rien: ce sont les élus qui font les lois, et permettent ces failles dont les magistrats savent jouer. Ce sont les élus qui ont renoncé à tenir tête au droit européen. Ce sont des élus qui ont choisi de signer le Pacte de Marrakech, que l’on dit non contraignant mais dont chacun sait qu’il ne sera pas sans effet, sinon pourquoi se donner la peine de l’élaborer et de le signer?
Une responsabilité collective
Et il ne faut pas nous arrêter là dans notre raisonnement. Ces élus n’ont pas pris le pouvoir par la force. Nous les avons élus. Nous avons voté pour eux. Nous les avons laissés faire, sans descendre dans la rue – alors que nous avons protesté avec succès pour bien d’autres choses, des limitations de vitesse au prix de l’essence. Depuis des décennies, nous savons que l’écrasante majorité des étrangers déboutés du droit d’asile n’est pas expulsée, et nous n’avons pas réagi. Depuis des décennies, nous constatons la dérive idéologique de la magistrature, et nous n’avons pas réagi. Nous avons suivi les « faiseurs d’opinion » quand ils nous vendaient des alternatives politiques qui n’en étaient pas. Contrairement à ce que prétend l’habituel discours gauchiste, nous ne sommes pas coupables d’avoir poussé ce migrant soudanais à assassiner un père de famille parce que nous l’aurions « mal accueilli », mais nous sommes coupables de ne pas l’en avoir empêché, ou plutôt: nous sommes coupables de ne pas avoir contraint ceux dont ce devrait être le rôle à l’en empêcher.
Les peuples ne sont jamais totalement innocents de leurs tyrans.
Alexandre Langlois, policier dans les Yvelines, secrétaire général du syndicat Vigi, auteur de L’Ennemi de l’intérieur: dérives et dysfonctionnements de la police nationale, Talma Studios, 2019.
Causeur. Vous avez annoncé votre départ de la police le 27 novembre, après quatorze ans de service, découragé par l’évolution de la maison. Où en êtes-vous ?
Je suis toujours policier. J’ai demandé une rupture conventionnelle, possibilité ouverte aux fonctionnaires depuis le 1er janvier 2020, mais l’instruction des dossiers a pris un retard invraisemblable. Le ministère de l’Intérieur a affecté une seule personne au traitement des demandes. Cela procède d’une volonté délibérée d’obstruction, dans la mesure où les demandes se comptent par centaines, en attendant la deuxième vague. La Covid a freiné certains projets de reconversion, mais c’est seulement partie remise.
Parce que l’institution s’effondre. Des policiers partis en disponibilité il y a quatre ou cinq ans et qui reviennent maintenant sont frappés par l’accélération du processus : nous ne sommes pas utilisés comme nous devrions l’être. On nous envoie réprimer des manifestations au lieu de protéger les manifestants contre les casseurs. On nous use à contrôler des attestations de sortie et à verbaliser des automobilistes qui roulent à 51 km/h en zone 50, avec consigne de ne pas trop regarder les cités livrées au trafic de drogue, au nom de la paix sociale. Quand j’entends que la police a collé des amendes de 135 euros à des dealers, à Marseille, je me demande ce qu’est devenu mon métier. Un dealer, on l’amène au poste. Je suis entré dans la police pour protéger les honnêtes gens, pas pour les enquiquiner. Gérald Darmanin se félicite que 60 % des Français ont une bonne image de la police[tooltips content= »Sondage IFOP pour CNews et Sud Radio de juin 2020 : la police inspirait de l’inquiétude (22 %) ou de l’hostilité (7 %) à près d’un sondé sur trois. »](1)[/tooltips]. Moi, je trouve le chiffre désastreux. On devrait être à 95 % de confiance.
Est-ce propre à la police, ou la gendarmerie est-elle également concernée ?
Les gendarmes sont des militaires non syndiqués, ce qui permet de planquer la poussière sous le tapis, mais la situation est plus grave côté police.
Nous sommes moins bien encadrés. La gendarmerie est dirigée par des gendarmes qui ont commencé lieutenant, alors que la police est dirigée par des gens qui ne connaissent pas le métier. Éric Morvan, directeur général de la police nationale d’août 2017 à février 2020, n’a jamais été policier. Zéro jour de terrain ! Il a coché une case dans un parcours préfectoral. Cette méconnaissance a des conséquences terribles. Notre hiérarchie n’a pas notion des sacrifices consentis par rapport à notre vie privée, elle sursollicite la police et lui demande des gestes qui ne passent pas. J’ai une collègue qui a été contrainte de tirer au LDB sur des pompiers, lors d’une manifestation de janvier 2020. Elle a démissionné ensuite.
*Auteur de L’Ennemi de l’intérieur : dérives et dysfonctionnements de la police nationale, Talma Studios, 2019.
[1]. Sondage IFOP pour CNews et Sud Radio de juin 2020 : la police inspirait de l’inquiétude (22 %) ou de l’hostilité (7 %) à près d’un sondé sur trois.
Lâchés par le président de la République, les policiers sont en colère et beaucoup demandent des ruptures conventionnelles. Or, les polices municipales recrutent à tour de bras. Conséquence, une vague de départs pourrait déstabiliser la police nationale.
Ils entendaient frapper l’opinion, ils ont réussi. Le 14 décembre, un tiers des policiers de l’Isère, soit 132 agents, ont déposé une demande de rupture conventionnelle en préfecture. Il faudra des mois pour que leurs demandes soient examinées, car le ministère joue la montre (voir entretien avec Alexandre Langlois), mais il semble peu probable que leur malaise se dissipe dans l’intervalle, tant la crise est profonde. Le geste des Isérois était une réponse à l’entretien accordé par le chef de l’État à Brut le 4 décembre. Emmanuel Macron s’était longuement appesanti sur la question des violences et des contrôles au faciès. Tous les policiers de France ont compris la manœuvre : il fallait éteindre l’incendie allumé par le passage à tabac du producteur de musique Michel Zecler, le 21 novembre dans le 17e arrondissement, parce qu’il ne portait pas son masque. « Le coup de communication présidentiel a été très mal perçu en interne, explique un gradé marseillais. Si la police grille son crédit auprès des citoyens en faisant du contrôle sanitaire et social, c’est à la demande du gouvernement. Si en plus le chef de l’État nous reproche d’être racistes, ça ne va plus. Qui ignore encore que les étrangers et les nationaux issus de l’immigration sont surreprésentés dans la criminalité ? »
Lâchés en direct par le chef de l’État, les policiers répliquent par l’insubordination larvée. La tendance existait déjà avant l’entretien à Brut. Le 9 juin 2020, par exemple, en pleine affaire George Floyd, la police avait été appelée en gare de Saint-Brieuc pour interpeller deux Nord-Africains agressifs, sans billets et sans papiers, que les contrôleurs voulaient faire descendre du TGV. Arrivés sur place avant le train, les policiers ont attendu une heure et demie pour agir… Et après l’interview présidentielle, les syndicats Alliance et Unité SGP-Police-FO ont appelé à passer en code 562, qui désigne le service minimum, dans le jargon maison. Passablement préoccupant pour le gouvernement : Unité SGP est son interlocuteur syndical privilégié dans la police.
Des départs vers la police municipale?
Ils râlent, mais partiront-ils? Selon nos informations, beaucoup de policiers isérois bluffaient, mais la tendance au départ est réelle. Les communicants qui ont préparé les éléments de langage du président pour son passage chez Brut n’ont peut-être pas mesuré à quel point quitter la police était aujourd’hui facile. Alors que la rupture conventionnelle est en phase de test pour tous les fonctionnaires depuis début 2020, des dizaines de maires ont fait campagne l’an dernier sur le renforcement des polices municipales et les villes recrutent à tour de bras. Non sans mal ! Clichy-sous-Bois a mis plus d’un an à trouver les huit agents qu’il lui fallait. Mi-janvier, les annonces sur le site de La Gazette des communes se comptaient par centaines : Thonon-les-Bains, Val-de-Reuil, Rennes, Vannes, Castillon-la-Bataille, Blois, Cannes… Les salaires des policiers municipaux sont fixés par une grille nationale, mais les villes surenchérissent pour attirer les candidats, promettant des primes et des heures supplémentaires. Elles font des efforts sur les horaires (moins de week-ends d’astreinte que dans la police nationale) et sur le matériel. Être plus performant que l’Intérieur dans ce registre n’est pas difficile. En 2018, la Cour des comptes relevait que près d’un véhicule de la police nationale sur quatre avait dépassé la limite d’usage (huit ans ou 170 000 km).
Le véritable appel d’air reste à venir. Dernière grande ville de France sans police municipale (avec Brest), Paris lance son service ce printemps, avec plus de 3 000 recrutements à la clé. Sur le site du Huffington Post, le 19 décembre 2020, l’adjoint parisien à la sécurité, Nicolas Nordman, se paye le luxe de faire la leçon au ministère de l’Intérieur. La police parisienne sera ce que « la police nationale n’est plus », à savoir une force « présente, disponible », détenant « une connaissance précieuse du terrain », à même de créer un lien de confiance que le « gouvernement échoue à instituer » ! Rien ne dit que la majorité d’Anne Hidalgo réussira, le refus d’armer les policiers parisiens laissant très sceptiques de nombreux spécialistes, mais le diagnostic est juste : non seulement le gouvernement n’a pas restauré le lien entre la population et les forces de l’ordre, mais il a perdu la confiance de sa police.
En même temps la guerre à l’islamo-gauchisme, et en même temps la dissolution de Génération Identitaire: un bien mauvais calcul.
On se doutait déjà, depuis son élection, que le « en même temps de droite, en même temps de gauche » de Macron ne voulait rien dire et masquait surtout une politique qui serait économiquement de droite et, à la marge, sociétalement de gauche. Et encore ne faut-il pas être trop exigeant sur le rallongement de la durée légale de l’avortement, par exemple.
Mais cette semaine, ce « en même temps » a montré, jusqu’au grotesque caricatural, ses limites. Parce que c’est « en même temps » qu’il envoie l’habituellement invisible Frédérique Vidal déclarer la guerre à l’islamo-gauchisme et en même temps qu’il demande à Darmanin, l’homme qui trouve Marine Le Pen « trop molle », de dissoudre Génération Identitaire, ce groupuscule de jeunes gens bien coiffés, aux 4X4 rutilants, qui rêvait sans doute quand ils étaient petits, de faire douanier ou chasseur alpin.
Sur le papier, ça vous aurait plutôt une belle allure. Un vrai beau gouvernement républicain, façon Georges Mandel, qui déclare la guerre aux factieux d’extrême-gauche et aux factieux d’extrême-droite. Mais c’est sur le papier seulement. Pour le reste, c’est surtout faire du bruit avec sa bouche parce que ça ne veut rien dire sinon que du côté du pouvoir, on prépare (mal) la présidentielle de 2022.
Auberge espagnole
L’islamo-gauchisme, c’est une auberge espagnole. Chacun y met le gloubiboulga de ses fantasmes et de ses trouilles. On peut être de gauche, mais si, et combattre sur le plan universitaire et politique des théories comme l’intersectionnalité ou ce poids de plus en plus important donné à la race contre la classe, ainsi que le montre par exemple le dernier livre de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud, Races et sciences sociales (Agone). Il n’empêche qu’un gouvernement qui s’attaque frontalement aux libertés académiques des chercheurs, c’est quelque chose que la droite de la droite adore en général par un anti-intellectualisme qui remonte au moins à l’affaire Dreyfus ou, précisément, paraît le mot pour désigner ceux qui soutenaient l’innocence du capitaine et déjà, étaient traités de complices du pouvoir occulte des Juifs et ennemis de la « race » française.
Quant à Génération Identitaire, on peut être de droite, mais si, et n’entretenir aucune sympathie pour ces agités ethniques. Tout le monde sait, en plus, qu’une dissolution, à part se faire plaisir, ne sert rigoureusement à rien. Génération Identitaire n’est que l’ultime surgeon d’Unité Radicale (dont le discours à l’époque était fixé sur le complot américano-sioniste, comme quoi on change…), dissoute après la tentative d’assassinat de Chirac en juillet 2002. Bref, ils existent, mais ils ne représentent qu’eux-mêmes et ont l’importance que veulent bien leur donner des médias complaisants lors de leurs actions anti-migrants en Méditerranée ou quand ils grimpent sur le toit d’une mosquée.
Comment perdre des voix des deux côtés
Dans les deux cas, ce « en même temps » macroniste indique surtout que le président, requis par la crise sanitaire, ne sait plus trop comment piquer des voix à Marine Le Pen sans perdre celles de la gauche dans l’abstention, face à un second tour qu’il croit écrit d’avance. Ce en quoi, il a évidemment tort. La dissolution de Génération Identitaire n’occultera jamais non seulement une attaque en règle contre la recherche universitaire qui est assez grande pour régler ses problèmes elle-même mais tout ce qui dans l’exercice du pouvoir actuel, de la répression des Gilets Jaunes à l’instrumentalisation de la laïcité, fait du macronisme un nouvel en même temps : « en même temps de droite et en même temps d’extrême-droite. »
Il n’y a pas que les comptes de Génération identitaire ou de Marion Maréchal qui sont visés par les GAFA…
Imaginez que Sud Radio ou RMC soit temporairement bannie de YouTube. Le 5 janvier, une radio britannique a connu cette mésaventure. La plate-forme vidéo, qui appartient à Google, a fermé la chaîne de Talk Radio, qu’elle accuse d’avoir diffusé des messages contredisant les conseils d’experts sur le coronavirus. Moins de douze heures plus tard, YouTube faisait volte-face et rétablissait la radio sur sa plate-forme, expliquant qu’elle tolérait certaines exceptions à ses règles de fiabilité des informations si le contexte était pédagogique, scientifique ou artistique. La radio, qui compte environ 42 4000 auditeurs et a plus de 240 000 abonnés sur YouTube, fait partie de l’empire de Rupert Murdoch.
Réglementée par Ofcom, le CSA britannique, elle utilise la plate-forme de Google – en plus d’autres médias – pour diffuser ses émissions en direct et archiver ses émissions passées. Certains de ses animateurs vedettes sont connus pour leurs critiques à l’égard des mesures de confinement du gouvernement de Boris Johnson. Pourtant, un des poids lourds du Parti conservateur, Michael Gove, figure majeure du Brexit, a condamné l’intervention de YouTube, proclamant que le gouvernement ne craignait ni le débat public ni la contradiction. Une association pour la défense de la liberté d’expression, Big Brother Watch, a comparé l’action de YouTube à la censure exercée par l’État chinois. Le tabloïd The Sun s’est empressé de citer des chaînes ouvertement racistes que YouTube n’avait pas encore bannies. Talk Radio a déclaré ne pas avoir reçu d’explication détaillée des raisons de cette censure. Comme le disait Samuel Johnson, célèbre homme de lettres du xviiie siècle et auteur du premier dictionnaire de la langue anglaise : « Parfois, la punition impose le silence, mais ne démontre pas l’erreur. »
Comme il fallait aux féministes «modernes» d’autres perspectives, elles ont dérivé, au nom de l’intersectionnalité des luttes, vers des options où la crapulerie le dispute à la bêtise. Dans ce texte mordant, Florence Dugas, auteur de romans érotiques, remet les pendules à l’heure…
J’ai combattu jadis avec des féministes « historiques » qui luttaient pour le droit à la contraception et à l’avortement, et pour imposer le « À travail égal, salaire égal », à une époque où l’écart de salaire entre hommes et femmes était en moyenne de 20% — pour le même travail.
Les acquis de ces luttes ne sont plus remis en cause. Mais comme il fallait aux féministes « modernes » d’autres perspectives, elles ont dérivé, au nom de l’intersectionnalité des luttes, vers des options où la crapulerie le dispute à la bêtise.
Alors, procédons par ordre.
– Une féministe favorable au port du voile, pour les fillettes comme pour les adultes, dans la rue ou au bureau, est une ordure qui entérine l’abaissement des femmes, au cœur de l’islam wahhabite.
– Une féministe qui ne dénonce pas les mutilations génitales ou la délivrance de « certificats de virginité » devrait être inculpée pour complicité de mutilations volontaires — un crime qui est puni de dix ans de prison au moins.
– Une féministe qui ne dénonce pas la polygamie, les bars ou les salons de coiffure interdits aux femmes, les quartiers quadrillés par les barbus, est une salope.
– Une féministe qui accepte les « stages racisés » organisés par les Indigènes de la République ou certains syndicats (SUD, pour ne pas le nommer) est une raciste — passible, elle aussi, des tribunaux.
– Une féministe qui croit que tous les hommes (les Blancs particulièrement) sont des violeurs devrait interroger ses fantasmes. Quant à celles qui affirment qu’un viol commis par un « racisé », à Hambourg, Le Caire ou ailleurs, n’en est pas vraiment un, car il faut le comprendre, le pauvre, elles devraient aussi interroger leur libido.
– Une féministe qui affirme que les gouines sont l’avenir de l’humanité devrait penser, outre l’absurdité de l’idée, que ses goûts la concernent et ne sont pas la vérité de la femme. A-t-elle tant de mal que ça à se recruter des copines, qu’il lui faille imposer le lesbianisme über alles ? D’autres affirment même que toute pénétration est un viol. Elles ne savent pas ce qu’elles méprisent…
– Une féministe qui croit malin de poursuivre un vieillard de 88 ans pour des faits prescrits qui se sont déroulés il y a soixante ans et ont été jugés en leur temps est une monomaniaque dont les obsessions s’interrogent.
– Une féministe arcboutée sur l’écriture « inclusive » et la féminisation urgente des titres et des fonctions, alors que tant de chantiers restent en friche, est une abrutie. Si en même temps elle est enseignante, elle devrait être révoquée pour outrage à la langue française, ce qui s’apparente à la haute trahison. Au passage, je serais curieuse de savoir comment ces grammairiennes de l’absurde féminisent « homme-grenouille ».
– Et une féministe qui revendique une parité hommes / femmes indépendamment du talent, qui n’a pas de sexe, n’a d’autre ambition que de propulser sa nullité à des postes de commandement. Sans doute veut-elle prouver, selon le Principe de Giroud (Françoise), que « la femme est vraiment l’égale de l’homme puisque désormais, sous prétexte de quotas, on désigne une femme incompétente à une fonction importante ». Et si on en restait au choix d’un individu choisi pour ses capacités, qu’il soit ou non porteur de roubignoles ?
Quant à celles qui liront ces quelques lignes et me voueront aux gémonies, qu’elles aillent se faire foutre. Vous verrez, c’est une activité passionnante, quand elle est bien menée.
Cela fait des années que magistrat puis citoyen, je plaide en faveur d’une nouvelle responsabilité des magistrats. Le moins qu’on puisse dire est que cette obsession, centrale dans ma vision de la Justice, n’a jamais été bien accueillie. Comme si je portais atteinte à une sorte d’impunité.
Pourtant, j’ai toujours été persuadé que, loin de diminuer la confiance des citoyens à l’égard des magistrats, une responsabilité élargie mettant en cause défaillances professionnelles et faiblesses éthiques serait le meilleur moyen pour restaurer un lien fort entre la société et les juges. Plutôt que de pourfendre en général la Justice sans la connaître, on saurait alors précisément qui, quel magistrat a fauté. La médiocrité ne serait plus noyée dans une masse qui l’occulterait.
La mission de réflexion demandée par le président de la République n’a que le tort d’avoir été confiée au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Comme il est absurde de réclamer aux technocrates qu’ils réforment la technocratie, aux universitaires l’Université, il est peu efficient de solliciter d’un organe comme le CSM des avancées dans ce domaine de la responsabilité pourtant capital.
J’apprécie que le président ne se soit pas arrêté à la volonté « de rendre plus efficace le dispositif de plaintes de justiciables » puisqu’en six ans, le filtre mis en place a tellement bien fonctionné que « seules trois plaintes de justiciables ont donné lieu à un renvoi devant la formation disciplinaire ». Cette rareté était prévisible à cause du manque d’enthousiasme évident de la magistrature face à cette obligation démocratique. Sa mission essentielle sera, en effet, d’examiner « la possibilité de mieux appréhender l’insuffisance professionnelle du magistrat dans son office juridictionnel, dans le respect du principe d’indépendance ».
Pour la première fois, on ne semble pas exclure certaines pratiques judiciaires de la définition d’une responsabilité approfondie, en dépit des arguments fallacieux souvent évoqués sur la liberté du juge et les voies de recours. Par ailleurs la collégialité sera sans doute abordée par le CSM. Mais elle n’est pas invoquée d’emblée comme une impossibilité. En effet, il me semble que la responsabilité collective qu’implique la collégialité n’est pas forcément contradictoire avec la recherche d’une défaillance particulière en son sein.
Rien ne me paraît plus riche de sens que cette tentative de rechercher et d’identifier une responsabilité à portée disciplinaire au cœur d’une indépendance trop souvent perçue tel un bouclier absolu et vécue comme le droit de faire, dans une interprétation extensive ou malicieuse de la loi, à peu près n’importe quoi.
J’ai souvenir, par exemple, de l’arrêt d’une chambre d’accusation présidée par Gilbert Azibert, remettant en liberté « le Chinois », malgré une double condamnation criminelle à son casier judiciaire. Ce tueur a perpétré six mois plus tard, à nouveau, plusieurs crimes au Plessis-Trévise. Le président de cette juridiction n’est évidemment pas directement responsable de ces tueries, mais l’élargissement qu’il a permis, en dépit d’éléments objectifs qui auraient dû l’interdire, pourrait être soumis au regard disciplinaire. Prenons un exemple plus basique. Le juge des libertés et de la détention qui décide un simple contrôle judiciaire ou, pire, une liberté pure et simple pour un mis en examen sans véritable domicile et grevé d’un passif judiciaire lourd, commet à mon sens un acte qui malgré la voie de recours à venir constitue intrinsèquement une aberration procédurale, une démarche partisane ou un aveuglement humain. J’espère que le CSM aura le courage d’affronter les multiples problématiques qui peuvent être examinées même en tenant compte de la normalité de la liberté des juges et des voies de recours.
Si pour une fois le président disposait d’un rapport audacieux et consistant – on a le droit de rêver -, que de grâce il ne l’enterre pas en vertu de cette tradition qui fait que plus les conclusions sont pertinentes, moins on les met en œuvre !
Qu’on ne proteste pas non plus en se plaignant de voir la seule magistrature ciblée ! Le Barreau ne nous concerne pas, mais mon expérience de magistrat et de citoyen me permet d’affirmer que le corporatisme des avocats dépasse celui des juges et que les Conseils de l’ordre sont d’une extrême indulgence sur le plan disciplinaire. Selon que vous serez connu ou non, puissant ou non … La Fontaine toujours d’actualité !
En tout cas le président, avec cette responsabilité à amplifier, a ouvert un chantier capital. Bonheur de pouvoir mettre enfin une pierre positive dans la politique judiciaire d’Emmanuel Macron !
Aujourd’hui, il ne pourrait plus tourner Les Galettes de Pont-Aven. Son objectif à lui était de faire du cinéma, pas de la morale. Mais après « Balance ton porc » et dans l’ambiance générale de bien-pensance, ce genre de cinéma populaire et un peu cru est tout simplement impossible.
Joël Séria, au cinéma, ça éclabousse, « ça mitraille sec ». Pas de langue de bois ! Dans ses films, une jolie fille « mérite bien son petit coup de chevrotine » et si une petite pépée rend Marielle complètement dingo, c’est parce qu’elle « sent la pisse et pas l’eau bénite ». Dans son œuvre, on croise un type jaloux qui file une « avoinée » à une bonne femme qui a essayé de le doubler, des jeunes filles qui séduisent des messieurs, on parle de youpins et de petits culs, accoudés au comptoir en formica, en s’enfilant un petit blanc comme de bien entendu. Dans les films de Séria, on est souvent représentant de commerce, réparateur de frigo chez Frigolux, bouchère ou boulangère et on y parle la France des années 1970. La langue n’est pas de bois, mais de chair.
Morale: « Si j’avais 20 ans aujourd’hui… je ne sais pas ce que je ferais, ça fait peur »
Mais attention, ces petites gens qu’il met en scène ne sont jamais vulgaires ! Crus très souvent, grossiers parfois, mais Séria leur prête sa singulière poésie populaire, sa gouaille lyrique et musicalement composée… Et lorsque la voix qui donne vie à cette prose joyeusement fleurie est celle de Jean-Pierre Marielle, on frise l’orgasme ! Joël Séria est un homme du passé. Un passé dont l’insouciance et la liberté de ton font aujourd’hui rêver.
J’ai eu des acteurs tellement grandioses ! Marielle, Carmet, Galabru, Pieplu…
J’imaginais l’homme ronchon et réac, je me trompais. J’ai rencontré un petit garçon de 84 ans la tête dans les étoiles et les lèvres toujours prêtes à sourire. Un homme doux et sincère, un peu dépassé par le nouveau monde qu’il a du mal à comprendre tant il lui paraît absurde et qui l’inquiète tant il efface à grande vitesse tout ce qu’il a chéri, à commencer par la liberté et l’insouciance qui sont la grammaire de ses films.
Causeur. Pensez-vous qu’aujourd’hui vous pourriez tourner Les Galettes de Pont-Aven ou Comme la lune ?
Joël Séria. Oh non… ce serait impossible. Avec « Balance ton porc » et « Metoo », ce serait un scandale. Je trouve ahurissant tout ce qui se passe. Je ne comprends pas trop… On dirait que les féministes d’aujourd’hui détestent la drague. Des femmes font des scandales parce qu’on leur a touché le bras. Dans ces conditions, il n’y a plus rien de possible entre les hommes et les femmes, c’est tout. Vous imaginez si elles voyaient mes films ? Marielle leur touche un peu plus que le bras ! À la réflexion, plus personne n’oserait faire une comédie avec du cul. Or, il faut avouer que je suis très porté là-dessus. On me tomberait dessus.
Vous avez raison. Pour autant, il faut regarder la réalité dans son entièreté. Aujourd’hui, pour beaucoup de jeunes, Les Galettes de Pont-Aven est un film culte qui leur donne la nostalgie de cette époque de liberté qu’ils n’ont pas connue. En effet, malgré le politiquement correct totalitaire, les vraies gens continuent de parler entre eux de manière politiquement incorrecte. Les garçons parlent des filles comme vos personnages. Or le cinéma dit « populaire » d’aujourd’hui, soumis à la bien-pensance et à la morale, est déconnecté de la vraie vie, des vrais désirs sexuels, des vrais sentiments humains.
Et le pire, c’est l’autocensure ! Les réalisateurs ne se battent pas contre des censeurs, ils se soumettent à l’air du temps. Je crois qu’aujourd’hui, je n’essaierais même pas de faire des films. C’est décourageant.
Vouliez-vous provoquer, faire scandale avec vos films ?
Non, pas vraiment. Je ne leur trouvais rien de scandaleux. Comme je vous l’ai dit, j’ai toujours été très porté sur la chose, alors j’ai fait des films qui parlaient de ça ! Vous savez, à 17 ans, je me suis barré de chez mes parents et installé direct à Pigalle ! C’était le paradis pour moi. J’étais toujours fourré dans un bar à putes qui s’appelait le Nebraska. Il y avait une petite pépée pour qui j’avais le béguin. Elle me faisait monter gratuit ! Alors vous voyez… Mes films à tendance érotique, je les ai faits sincèrement sans trop me poser de question. D’ailleurs, à l’époque, ça n’a pas tellement choqué. Même pour Marie-poupée (1976) où un homme fétichiste, incarné par André Dussollier, déguise sa très jeune femme de 17 ans en poupée afin de la déshabiller comme un jouet et qui fait ensuite la même chose à une petite fille, je ne pensais pas que c’était scandaleux et personne ne le pensait. On ne se disait même pas « c’est un pédophile ». Vous qui êtes jeune, ça doit vous paraître incroyable et provocateur. À l’époque, j’ai eu de très bonnes critiques dans la presse.
Aujourd’hui, on vous ferait deux reproches. D’abord de faire rire, par exemple, avec un type qui par jalousie « file une avoinée à sa femme ». On vous accuserait, peut-être à raison, de plaisanter avec les violences conjugales, donc de les banaliser sans les condamner. Ensuite, on dénoncerait votre absence de morale. Vous ne pourriez parler d’un homme qui fantasme sur une fillette que pour le condamner en disant : « Hou ! Regardez ! Ce type est un méchant pédophile ! C’est une ordure ! »
Sans doute, mais justement, je n’ai pas fait du cinéma pour faire la morale. Comme beaucoup d’artistes de mon époque, je faisais passer l’art avant la morale. Sinon, j’aurais fait autre chose ! Aujourd’hui, le cinéma français est mort. Si j’avais 20 ans aujourd’hui… je ne sais pas ce que je ferais, ça fait peur.
L’autre problème du cinéma français est que les réalisateurs n’aiment plus les acteurs. On ne voit presque plus de grands numéros d’acteurs au cinéma ! Autrefois, Pagnol semblait écrire, non seulement pour porter une histoire à l’écran, mais aussi pour faire rayonner Raimu, pour le faire exploser ! Comme Cassavetes avec Gena Rowlands ! Comme Carné et Prévert avec Arletty ! Ou comme vous avec Marielle ! Du reste, ce n’est pas que les réalisateurs n’aiment pas les acteurs, ils en ont peur. Faire exploser un grand acteur à l’écran, c’est prendre le risque qu’il dépasse le film. Où sont passés les monstres sacrés ? Qui est aujourd’hui le grand acteur comique ? Qui a remplacé Jouvet ? Qui a remplacé de Funès ? D’ailleurs, question piège, si vous tourniez aujourd’hui Les Galettes de Pont-Aven, qui prendriez-vous pour jouer le rôle que vous aviez offert à Marielle ?
Je ne sais pas… (Très long silence…) Je ne sais vraiment pas. Attendez … (Encore un long silence…) Non, je ne vois pas.
Et les dialogues ? Il n’y a plus de dialogues au cinéma ! Quand on regarde un film de Duvivier dialogué par Charles Spaak ou un film de Carné dialogué par Prévert ou Jeanson, on est bouleversé par les dialogues. C’est de la littérature ! C’est de la poésie ! D’ailleurs, même des types comme Anouilh et Marcel Achard écrivaient des dialogues pour le cinéma. En tant qu’acteur, quand je regarde vos films, je me dis toutes les cinq minutes : « J’aurais adoré dire cette réplique ! » J’aurais adoré dire : « Creuse-toi bien, là. Ah ton cul, ton cul… c’est mon génie ! », « Un cul de bonne femme ! Il est magnifique ! Je vais le peindre en vert, en bleu, en rouge, en jaune. J’y passerai des jours, des nuits, des mois s’il le faut ! », « Regarde-moi la raie de son cul ! Il est quand même plus beau que la face de la vierge, non ? »
Vous connaissez bien dites donc ! Marielle n’a jamais changé un seul mot de mes dialogues. Enfin si, une seule fois. Il a refusé de dire, en parlant d’Angela : « C’était pas de la merde qu’elle chiait elle, c’était de la neige… » Je ne sais pas pourquoi, il n’a jamais voulu dire cette réplique. Sinon, il n’a jamais changé une virgule. Je sais qu’il se régalait avec les dialogues que je lui écrivais. Il était vraiment heureux de tourner mes films. Et moi j’étais tellement heureux d’avoir Marielle ! Mes dialogues prenaient une dimension incroyable avec lui. Vous avez raison, aujourd’hui je ne vois pas qui pourrait faire sonner mes répliques comme il le faisait. C’est vrai quand j’y pense… J’ai eu des acteurs tellement grandioses ! Marielle, Carmet, Galabru, Pieplu… c’est tout une époque. Ce n’étaient pas n’importe qui ! C’étaient des mecs hors du commun, des personnages.Tout est devenu tellement sage, tellement triste.
Que manque-t-il aux acteurs d’aujourd’hui ?
Une dimension. Une folie. Un mec comme Marielle avait une dimension supplémentaire, ça saute aux yeux, c’est écrasant. C’est ce qui fait qu’un acteur appartient à la race des très grands. À l’époque, il y avait même des seconds rôles qui étaient de sacrées personnalités, avec leur diction particulière, leur voix, leur gueule ! Aujourd’hui la France de mes films, la France populaire des bistrots de province, est en train de disparaître. Je suis heureux d’avoir connu cette époque.
En juin dernier, dans une déclaration martiale comme il a coutume de faire, Emmanuel Macron affirmait que la « République ne déboulonnera pas de statues ». Force est de constater que le contraire est arrivé dans plusieurs départements ultra marins. Dans son dernier essai[tooltips content= »Les statues de la discorde, Passés Composés, février 2021″](1)[/tooltips], l’historienne Jacqueline Lalouette recense statues et monuments vandalisés ou détruits par le mouvement antiraciste et décolonialiste dans différents pays du monde, des Etats-Unis à l’Australie en passant par des pays européens… en particulier la France. En s’appuyant très précisément sur divers exemples, elle montre comment certains militants antiracistes et décolonialistes manipulent l’histoire – à moins qu’ils l’ignorent – pour faire table rase d’un passé qu’ils jugent indésirable.
Isabelle Marchandier. Dans votre essai, vous faites la liste des statues et des monuments vandalisés ou détruits en France et dans le monde par la fureur iconoclaste du mouvement antiraciste et décolonialiste. Un continent y échappe : l’Asie. Comment expliquez-vous cette exception ?
Jacqueline Lalouette. Mon essai se rapporte uniquement aux événements de 2020. Si l’Asie n’y figure pas, c’est que, du moins dans les pays ayant été colonisés par la France, ne furent pas érigées de statues ayant un rapport avec l’esclavage. En revanche, il existait des statues de Français concepteurs ou acteurs de la colonisation : celles de Gambetta et de l’explorateur Francis Garnier à Saigon, celle de Jules Ferry – grand partisan de la colonisation – à Haiphong, celle de Paul Bert – résident général de l’Annam-Tonkin en 1886 – à Hanoï. En outre, Jules Ferry et Paul Bert, le second surtout, étaient partisans de la hiérarchisation des races et considéraient que la « race jaune » était inférieure à la « race blanche ». Ces statues ont toutes disparu après le départ des Français provoqué par la défaite de Dien-Bien-Phu et les accords de Genève (1954), ce qui a contribué à effacer le souvenir de la colonisation française. En Inde, la statue du Français Joseph François Dupleix, gouverneur de Pondichéry, érigée en 1870, fut transférée dans les jardins du Consulat français en 1965 ; à sa place, s’éleva celle du premier ministre Jawaharlal Nehru, figure de l’Indépendance indienne. Puis, en 1982, l’effigie de Dupleix fut installée dans le Children’s Park de la ville. Toujours en Inde, des statues d’Anglais furent détruites après l’Indépendance, mais, à Calcutta, le mémorial de la reine Victoria a été préservé.
La mort de George Flyod et les revendications du mouvement antiraciste Black Lives Matter ont allumé la mèche de cette fureur iconoclaste. Sans cet événement tragique, le tag « Négrophobie d’État » aurait-il été peint sur le piédestal de la statue de Colbert, devant l’Assemblée Nationale ?
Si l’épisode iconoclaste qui traversa la France en 2020 ne fut pas étranger à la fièvre états-unienne et planétaire consécutive à l’assassinat de George Floyd, il faut néanmoins relativiser cette concomitance, et rappeler que certaines statues érigées en France continentale ou ultramarine étaient contestées depuis plusieurs années.
Ainsi, en 2020, l’iconoclasme s’est manifesté en Martinique dès le 22 mai, date anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans ce département ultramarin, soit trois jours avant le meurtre de George Floyd. Même sans la mort de celui-ci, la statue de Colbert aurait sans doute été vandalisée, car elle est contestée depuis plusieurs années par le Collectif représentatif des associations noires (CRAN). Son président, Louis-Georges Tin, publia le 28 août 2017 dans le journal Libérationune tribune expliquant son hostilité à cette statue parisienne du grand ministre de Louis XIV. Au même moment, le mouvement Black Lives Matter, fondé en 2013, contestait la présence, dans le Sud des États-Unis, des statues des généraux confédérés qui étaient favorables au maintien de l’esclavage durant la Guerre de Sécession. Louis-Georges Tin expliqua alors que l’on ne pouvait pas approuver l’action des manifestants de Charlottesville et tolérer la présence de la statue de Colbert à Paris. Il y a donc bien un lien entre l’action des militants américains et celle des militants français, mais il est antérieur à 2020.
Le cas de Colbert est-il symptomatique de cette damnatio memoriæ, de ce châtiment post mortem jeté par un antiracisme en quête de réparation ?
Après avoir été pendant longtemps une personne relativement consensuelle pour les Français, Colbert a incarné la prétendue « négrophobie de l’Etat ». Le cas de Colbert est surtout symptomatique de l’ignorance de certains militants ou de leurs manipulations de l’histoire. On reproche à Colbert d’avoir rédigé et signé le « Code noir », expression apparue en 1718 pour désigner un ensemble de textes relatifs au statut des esclaves dans les colonies françaises. La première ordonnance, relative à la Martinique, fut achevée et signée au printemps 1685 : or Colbert est mort en septembre 1683. Cependant, c’est bien lui qui, en 1681, au nom de Louis XIV, a confié à l’intendant de la Martinique le soin de recueillir les informations concernant les esclaves de cette île. Il voulait imposer à tous les maîtres un règlement unique, d’origine royale, affirmer l’autorité de Louis XIV sur cette colonie et combler un vide juridique en codifiant tout ce qui concernait le statut des esclaves. La première signature figurant sur l’ordonnance est celle de Louis XIV, et la seconde est bien celle de Colbert, mais il s’agit du fils du Grand Colbert, qui avait pris la succession de son père. A partir de ce texte, la loi – et donc le roi – s’interposa, du moins en théorie, entre l’esclave et le maître et limita le pouvoir arbitraire de ce dernier. Cette ordonnance de 1685 n’incarne donc pas un racisme d’Etat, mais la puissance de la monarchie absolue. D’ailleurs, le document déplié sur les genoux de la statue de Colbert n’est pas l’ordonnance, mais le plan de l’hôtel des Invalides ! Affirmer que cette statue a été érigée à la gloire de l’esclavage est le fait de militants voulant faire de la France un État négrophobe régi par un « racisme systémique ».
Cette falsification historique est également à l’œuvre dans ce que vous appelez « la haine antischœlcherienne » à l’origine de la destruction des statues de Victor Schœlcher, le père de l’abolition de l’esclavage en France…
Hier encore, Schœlcher était grandement loué, entres autres, par des grandes figures de la scène littéraire comme Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire. En 2020, cinq des monuments à son effigie ont été tagués, abattus ou détruits en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Pourquoi une telle hostilité envers celui qui était jusqu’alors présenté comme le « père » du décret d’abolition de l’esclavage (27 avril 1848) – l’un des actes majeurs de la jeune Seconde République – et dont les cendres furent transférées au Panthéon en 1949 ? Des militants antillais indépendantistes lui reprochent, au contraire de ne pas avoir été l’abolitionniste et l’ami des noirs comme on l’a traditionnellement dépeint. Pour ce faire, ils tronquent et manipulent ses écrits afin de lui prêter des pensées racistes et de prétendre qu’il fut pendant longtemps opposé à l’abolition totale de l’esclavage.
Les militants du Mouvement International des Réparation (MIR) lui reprochent aussi d’avoir voulu que les propriétaires d’esclaves soient indemnisés de la perte de leurs « propriétés », et d’avoir été opposé à l’indemnisation des esclaves, ce qui est faux. Mais, lorsque la question des indemnités fut discutée, en 1849, Victor Schœlcher n’était plus sous-secrétaire d’État, il n’était qu’un député parmi d’autres et appartenait même à l’opposition ; son point de vue n’avait aucune chance d’être pris en compte.
Certains historiens et d’autres militants estiment aussi que la figure de Schœlcher a effacé le souvenir des luttes émancipatrices des esclaves. D’après eux, ce sont eux qui se sont libérés eux-mêmes. Leur point de vue s’explique par un épisode historique survenu au printemps 1848. En Martinique, après l’annonce de la signature du décret d’abolition de l’esclavage, les esclaves attendaient avec impatience leur libération, qui devait arriver deux mois après l’arrivée du nouveau gouverneur, qui débarqua le 3 juin. Entre temps, le 20 mai, une importante révolte éclata à la suite de l’emprisonnement d’un esclave par son maître. Pour y mettre fin, le 23 mai, le gouverneur provisoire décida de déclarer immédiatement l’abolition, qui est survenue ainsi 70 jours avant la date prévue. Aussi, des militants martiniquais estiment que les esclaves se sont libérés eux-mêmes et que Victor Schœlcher a été glorifié à leur détriment.
La statue de la petite sirène de Copenhague a fait également les frais de cette violence symbolique de l’antiracisme en se faisant taguer de « Racist Fish » alors que le conte d’Andersen ne contient aucune allusion raciste. Ces actes de vandalisme traduisent-ils un fanatisme inculte, cette « colère sans intelligence » qui selon le philosophe Peter Sloterdijck caractérise notre époque ?
A première vue, le vandalisme dont a été victime la statue de la petite sirène paraît totalement incompréhensible, car il n’y a rien de raciste dans le célèbre conte d’Andersen. Mais cette sirène est considérée comme le symbole de Copenhague, capitale du Danemark, pays qui a colonisé le Groenland, où la statue d’un missionnaire danois a d’ailleurs été vandalisée par des Inuits le 21 juin 2020. L’explication est peut-être à chercher du côté de l’histoire groenlandaise, la petite sirène n’ayant elle-même strictement rien à voir avec l’accusation de racisme. Une autre explication est envisageable : à côté d’autres héroïnes d’Andersen (la petite fille aux allumettes, la princesse au petit pois, etc.), la petite sirène peut symboliser aussi le célèbre écrivain lui-même. Or, celui-ci a publié au moins un conte indéniablement raciste, Le pou et le professeur, deux personnages qui arrivent dans un pays africain peuplé de sauvages anthropophages.
Votre livre s’intitule Les statues de la discorde. Quelles seraient les statues de la concorde ? Sont-elles encore possibles dans une nation fracturée par un identitarisme racialisé qui vise à diviser la communauté nationale en cultivant la lutte des races ?
Oui, je pense que l’on peut ériger des statues « de la concorde ». Il en existe d’ailleurs déjà outre les bustes d’Aimé Césaire. Ainsi, Toussaint-Louverture, qui a combattu le rétablissement de l’esclavage à Saint-Domingue, est statufié à Massy, Bordeaux et à La Rochelle. Louis Delgrès, qui est mort en 1802 en se battant contre le retour de l’esclavage en Guadeloupe, a de très nombreux bustes sur l’ile et figure également sur un beau monument installé au Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis. La mulâtresse Solitude, est statufiée en Guadeloupe et à Bagneux dans les Hauts-de-Seine. Plusieurs esclaves de La Réunion qui s’étaient révoltés en 1811 y sont statufiés. Or, ces statues, ces bustes ne semblent pas connus, peut-être parce qu’ils ne se trouvent pas à Paris. On peut encore penser à d’autres figures, par exemple à Ranavalo III, reine malgache privée de son trône par la France : pourquoi ne lui élèverait-on pas un buste dans des villes françaises où elle a séjourné comme à Saint-Germain-en-Laye, à Fontainebleau ou encore à Arcachon ? Statufier des figures emblématiques de pays autrefois colonisés par la France pourrait apporter une satisfaction symbolique à des populations qui estiment être discriminées ou insuffisamment prises en considération.
Contrairement à l’Histoire qui est par nature clivante, la Nature, elle, a l’avantage d’être neutre et consensuelle, faut-il s’attendre à statufier à l’avenir des arc en ciel, des arbres et des animaux ? Et à défaut de déboulonner, va-t-on végétaliser ces statues de la discorde ?
Vous ne croyez pas si bien dire. A Dijon, il existe un visage humain réalisé en feuilles d’arbre artificielles, d’un vert intense. A Lille, le nom de Faidherbe inspira un plaisantin qui suggéra de végétaliser sa statue, pour que ce général fût effectivement « fait d’herbe ». Quant aux animaux, ils sont eux aussi statufiés. La statue de la célèbre bête du Gévaudan se dresse à Marvejols en Lozère depuis 1958 ; et, depuis 1995, cet animal terrifiant est aussi représenté à Auvers, en Haute-Loire, face à une jeune fille qui parvint à le mettre en fuite. A Nîmes, deux célèbres statues de taureau existent. La plus ancienne, de facture classique, fut érigée en 1937 ; la seconde, de conception moderne, a pris place près des Arènes en 2018. En 2020, deux inconnus la dégradèrent en y inscrivant leurs prénoms. Il existe, en effet, un vandalisme que l’on pourrait qualifier d’imbécile, qu’aucun élément idéologique clivant ne peut expliquer, consistant à taguer, à briser un nez, des doigts, etc. Outre les statues de « grands hommes », la tendance est aussi à statufier des personnages anonymes, par exemple une jeune femme rêveuse, coiffée d’un large chapeau, assise sur un banc, rue Bonaparte à Paris, l’ensemble femme et banc étant en bronze.
Adnane Abou Walid al-Sahraoui et son groupe, principal danger au Sahara occidental. Photo D.R.
Une résolution de conflit nécessaire à la stabilisation de la région
La reprise des tensions au Sahara occidental, entre les militants sahraouis du Front Polisario et le Maroc, depuis le mois de novembre dernier, pose la question d’un risque d’escalade dans une région où la donne sécuritaire est si sensible et si inflammable. Le terrorisme, les violences intercommunautaires, l’immigration clandestine et les trafics illégaux sont des défis communs à tous les pays de la zone sahélo-saharienne et du Maghreb.
L’instabilité du Sahara occidental où le plus grand danger est incarné par Adnane Abou Walid al-Sahraoui et son groupe État islamique au Grand Sahara (EIGS), adossé à l’instabilité régionale, a d’ailleurs encouragé la « jihadisation » d’une partie de la jeunesse sahraouie. Une escalade des tensions entre le Front Polisario et le Maroc bénéficierait donc, en premier lieu, aux organisations terroristes agissant dans la région.
Sur ce sujet comme d’autres, Algérie et Maroc ne parviennent pas à s’entendre
Le problème est qu’au contexte explosif du Sahara occidental s’ajoute le poids des relations conflictuelles entre Rabat et Alger qui reste l’un des principaux soutiens du Polisario. Bien que l’Algérie avance des arguments idéologiques de lutte anticoloniale pour justifier ce soutien, le pays semble surtout engagé avec le Polisario pour des intérêts politiques et stratégiques inavoués. En effet, ne souhaitant pas revenir sur la question de ses frontières avec le Maroc, le maintien d’une tension de basse intensité autour du Sahara occidental lui permet d’éviter les potentielles velléités du Royaume à ce sujet. L’opposition entre les deux puissances du Maghreb demeure donc un frein à la résolution du dossier sahraoui ainsi qu’aux échanges régionaux en matière de préservation de la paix, de libre-circulation et d’économie.
Pourtant une coopération à l’intérieur du Maghreb ainsi qu’entre le Maghreb et les pays du Sahel seraient la clé d’une meilleure appréhension des menaces sécuritaires pesant sur la région et qui sont, de facto, interconnectées. Alors que le sommet du G5 Sahel vient de se tenir à N’Djamena (Tchad), l’implication du Maroc autour de la région sahélo-saharienne (caractérisée par une collaboration sud-sud et nord-sud) se démarque. Après avoir fait face à un grand nombre d’attaques terroristes dès 2003, le gouvernement marocain a su détecter les foyers extrémistes et mettre en place une restructuration de la sphère religieuse par l’État (notamment avec la formation de ses imams), et des procédures pénales plus sévères en matière de terrorisme.
L’Algérie est déjà très occupée par ses troubles internes
Ces différentes initiatives lui ont permis de s’impliquer de façon proactive sur la scène internationale. Le royaume chérifien est désormais un partenaire clé de la coopération euro-méditerranéenne et continentale en matière d’anti-terrorisme et d’immigration. Il s’est également impliqué au niveau régional par son entrée au sein de l’Union africaine en 2017, suivie de sa demande d’intégration, la même année, au sein de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). L’ensemble de ces éléments font du Maroc un partenaire de premier plan pour les pays de la région, l’Europe et les États-Unis.
Quant à l’Algérie, le bilan de sa collaboration avec les pays du Sahel reste mitigé. Pourtant, le pays dispose de l’armée la plus puissante du continent qui lui permet, notamment, d’appuyer la Tunisie dans la sécurisation de ses frontières. Ce facteur décisif adossé à la fiabilité de l’Algérie dans la lutte anti-terroriste, pourrait permettre d’aider à faire face aux défis sécuritaires de la région. Paris aurait donc souhaité, en complément de la constitution du G5 Sahel, obtenir un appui du pays. Les accords d’Alger, signés à Bamako en 2015, allaient dans le sens de cette implication algérienne. Mais Alger semble en retrait depuis. En réalité, le pays doit faire face à d’immenses défis internes et la collaboration régionale en matière de lutte anti-terroriste ne semble pas être une priorité de ses généraux. Dans ce contexte, si Alger offrait à nouveau un appui militaire au Front Polisario (au moment même où le principe de non-ingérence de son armée a été abandonné), elle ferait une erreur stratégique de taille et provoquerait un conflit de plus dans la région. Le pays aurait davantage intérêt à sortir de sa logique insulaire pour mettre à profit ses nombreux atouts et favoriser une paix durable dans la région.
Pour faire face aux défis sécuritaires de la région, les pays du Maghreb et du Sahel doivent plus que jamais parvenir à une coordination au niveau du renseignement et des actions. Or cette collaboration se trouve limitée par le dossier du Sahara occidental et les divisions au sein du Maghreb. Clore ces conflits doit pourtant demeurer un objectif qui éviterait, notamment, de donner l’occasion à certains sahraouis maîtrisant la zone, de grossir le rang des jihadistes. À cet égard, si la résolution du conflit devait être comprise dans une perspective anti-terroriste, des renégociations autour de la proposition d’autonomie sous contrôle marocaine entre l’ONU, les puissances étrangères et les pays voisins, pourrait être une option sérieuse permettant la pacification de la région et la résolution de ce dossier vieux de quarante ans.
Le Soudanais qui a reconnu avoir tué le 19 février Cyril Pierreval, responsable d’un centre d’accueil de Pau, avait pu rester en France contre toute logique. Nos procédures d’éloignement ne sont pas appliquées, et une partie de la magistrature estime qu’entrer et rester en France est en quelque sorte un droit de l’homme.
Il y a quelques jours, un migrant soudanais a reconnu avoir poignardé à mort le responsable d’un centre d’accueil à Pau. Tragique fait divers, hélas révélateur de profonds dysfonctionnements, non seulement de l’État mais de notre société toute entière.
Entrer en France n’est pourtant pas un droit de l’homme
Faut-il le rappeler ? Tous les migrants ne sont pas des criminels, et tous les criminels ne sont pas des migrants. Reste que la délinquance de toutes origines déjà présente sur notre sol est un poison qui ronge notre société, qu’elle a été abondamment amplifiée par les flux migratoires – n’en déplaise aux belles âmes – et qu’il n’est clairement pas nécessaire d’en importer davantage. La présence d’un étranger sur le territoire français n’a rien d’un droit absolu, et s’il se montre dangereux il n’a bien évidemment rien à faire en France.
Or, que découvre-t-on ? Cet individu s’était vu refuser le statut de réfugié par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) – il est donc faux voire mensonger de le qualifier de « réfugié » comme l’ont fait de nombreux médias – avait été condamné à deux reprises en 2017 pour des faits de violence, et même emprisonné. Il aurait dû être expulsé, mais la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) s’y était opposée.
La CNDA joue contre nous
Impossible de ne pas songer à cette autre décision de la CNDA, confirmée ces jours-ci par le Conseil d’État, qui a invalidé la décision de l’OFPRA de retirer le statut de réfugié à une personne condamnée pour apologie du terrorisme. Espérons qu’elle n’entraînera pas d’aussi tragiques conséquences, mais gageons que si hélas cela devait être le cas, les responsables sauront une fois de plus échapper à toute sanction.
Qui sont-ils, ces responsables ? Les personnels débordés des centres d’accueil ? Nullement. Les agents de l’OFPRA ? Pas plus: dans les deux exemples évoqués, si on peut critiquer des délais importants la décision de l’OFPRA fut finalement celle du bon sens.
C’est bien, une fois de plus, la magistrature qui est en cause (ici administrative), en appliquant son interprétation de la loi au détriment du bien commun. Décidément, notre justice n’a pas besoin d’une réforme, mais d’une refondation. Mais ce n’est pas tout, et ne critiquer que les juges serait absurde. Car il y a surtout un manque criant de volonté politique. Les beaux discours et les gesticulations devant les caméras n’y changent rien: ce sont les élus qui font les lois, et permettent ces failles dont les magistrats savent jouer. Ce sont les élus qui ont renoncé à tenir tête au droit européen. Ce sont des élus qui ont choisi de signer le Pacte de Marrakech, que l’on dit non contraignant mais dont chacun sait qu’il ne sera pas sans effet, sinon pourquoi se donner la peine de l’élaborer et de le signer?
Une responsabilité collective
Et il ne faut pas nous arrêter là dans notre raisonnement. Ces élus n’ont pas pris le pouvoir par la force. Nous les avons élus. Nous avons voté pour eux. Nous les avons laissés faire, sans descendre dans la rue – alors que nous avons protesté avec succès pour bien d’autres choses, des limitations de vitesse au prix de l’essence. Depuis des décennies, nous savons que l’écrasante majorité des étrangers déboutés du droit d’asile n’est pas expulsée, et nous n’avons pas réagi. Depuis des décennies, nous constatons la dérive idéologique de la magistrature, et nous n’avons pas réagi. Nous avons suivi les « faiseurs d’opinion » quand ils nous vendaient des alternatives politiques qui n’en étaient pas. Contrairement à ce que prétend l’habituel discours gauchiste, nous ne sommes pas coupables d’avoir poussé ce migrant soudanais à assassiner un père de famille parce que nous l’aurions « mal accueilli », mais nous sommes coupables de ne pas l’en avoir empêché, ou plutôt: nous sommes coupables de ne pas avoir contraint ceux dont ce devrait être le rôle à l’en empêcher.
Les peuples ne sont jamais totalement innocents de leurs tyrans.
Alexandre Langlois, policier dans les Yvelines, secrétaire général du syndicat Vigi, auteur de L’Ennemi de l’intérieur: dérives et dysfonctionnements de la police nationale, Talma Studios, 2019.
Causeur. Vous avez annoncé votre départ de la police le 27 novembre, après quatorze ans de service, découragé par l’évolution de la maison. Où en êtes-vous ?
Je suis toujours policier. J’ai demandé une rupture conventionnelle, possibilité ouverte aux fonctionnaires depuis le 1er janvier 2020, mais l’instruction des dossiers a pris un retard invraisemblable. Le ministère de l’Intérieur a affecté une seule personne au traitement des demandes. Cela procède d’une volonté délibérée d’obstruction, dans la mesure où les demandes se comptent par centaines, en attendant la deuxième vague. La Covid a freiné certains projets de reconversion, mais c’est seulement partie remise.
Parce que l’institution s’effondre. Des policiers partis en disponibilité il y a quatre ou cinq ans et qui reviennent maintenant sont frappés par l’accélération du processus : nous ne sommes pas utilisés comme nous devrions l’être. On nous envoie réprimer des manifestations au lieu de protéger les manifestants contre les casseurs. On nous use à contrôler des attestations de sortie et à verbaliser des automobilistes qui roulent à 51 km/h en zone 50, avec consigne de ne pas trop regarder les cités livrées au trafic de drogue, au nom de la paix sociale. Quand j’entends que la police a collé des amendes de 135 euros à des dealers, à Marseille, je me demande ce qu’est devenu mon métier. Un dealer, on l’amène au poste. Je suis entré dans la police pour protéger les honnêtes gens, pas pour les enquiquiner. Gérald Darmanin se félicite que 60 % des Français ont une bonne image de la police[tooltips content= »Sondage IFOP pour CNews et Sud Radio de juin 2020 : la police inspirait de l’inquiétude (22 %) ou de l’hostilité (7 %) à près d’un sondé sur trois. »](1)[/tooltips]. Moi, je trouve le chiffre désastreux. On devrait être à 95 % de confiance.
Est-ce propre à la police, ou la gendarmerie est-elle également concernée ?
Les gendarmes sont des militaires non syndiqués, ce qui permet de planquer la poussière sous le tapis, mais la situation est plus grave côté police.
Nous sommes moins bien encadrés. La gendarmerie est dirigée par des gendarmes qui ont commencé lieutenant, alors que la police est dirigée par des gens qui ne connaissent pas le métier. Éric Morvan, directeur général de la police nationale d’août 2017 à février 2020, n’a jamais été policier. Zéro jour de terrain ! Il a coché une case dans un parcours préfectoral. Cette méconnaissance a des conséquences terribles. Notre hiérarchie n’a pas notion des sacrifices consentis par rapport à notre vie privée, elle sursollicite la police et lui demande des gestes qui ne passent pas. J’ai une collègue qui a été contrainte de tirer au LDB sur des pompiers, lors d’une manifestation de janvier 2020. Elle a démissionné ensuite.
*Auteur de L’Ennemi de l’intérieur : dérives et dysfonctionnements de la police nationale, Talma Studios, 2019.
[1]. Sondage IFOP pour CNews et Sud Radio de juin 2020 : la police inspirait de l’inquiétude (22 %) ou de l’hostilité (7 %) à près d’un sondé sur trois.
Lâchés par le président de la République, les policiers sont en colère et beaucoup demandent des ruptures conventionnelles. Or, les polices municipales recrutent à tour de bras. Conséquence, une vague de départs pourrait déstabiliser la police nationale.
Ils entendaient frapper l’opinion, ils ont réussi. Le 14 décembre, un tiers des policiers de l’Isère, soit 132 agents, ont déposé une demande de rupture conventionnelle en préfecture. Il faudra des mois pour que leurs demandes soient examinées, car le ministère joue la montre (voir entretien avec Alexandre Langlois), mais il semble peu probable que leur malaise se dissipe dans l’intervalle, tant la crise est profonde. Le geste des Isérois était une réponse à l’entretien accordé par le chef de l’État à Brut le 4 décembre. Emmanuel Macron s’était longuement appesanti sur la question des violences et des contrôles au faciès. Tous les policiers de France ont compris la manœuvre : il fallait éteindre l’incendie allumé par le passage à tabac du producteur de musique Michel Zecler, le 21 novembre dans le 17e arrondissement, parce qu’il ne portait pas son masque. « Le coup de communication présidentiel a été très mal perçu en interne, explique un gradé marseillais. Si la police grille son crédit auprès des citoyens en faisant du contrôle sanitaire et social, c’est à la demande du gouvernement. Si en plus le chef de l’État nous reproche d’être racistes, ça ne va plus. Qui ignore encore que les étrangers et les nationaux issus de l’immigration sont surreprésentés dans la criminalité ? »
Lâchés en direct par le chef de l’État, les policiers répliquent par l’insubordination larvée. La tendance existait déjà avant l’entretien à Brut. Le 9 juin 2020, par exemple, en pleine affaire George Floyd, la police avait été appelée en gare de Saint-Brieuc pour interpeller deux Nord-Africains agressifs, sans billets et sans papiers, que les contrôleurs voulaient faire descendre du TGV. Arrivés sur place avant le train, les policiers ont attendu une heure et demie pour agir… Et après l’interview présidentielle, les syndicats Alliance et Unité SGP-Police-FO ont appelé à passer en code 562, qui désigne le service minimum, dans le jargon maison. Passablement préoccupant pour le gouvernement : Unité SGP est son interlocuteur syndical privilégié dans la police.
Des départs vers la police municipale?
Ils râlent, mais partiront-ils? Selon nos informations, beaucoup de policiers isérois bluffaient, mais la tendance au départ est réelle. Les communicants qui ont préparé les éléments de langage du président pour son passage chez Brut n’ont peut-être pas mesuré à quel point quitter la police était aujourd’hui facile. Alors que la rupture conventionnelle est en phase de test pour tous les fonctionnaires depuis début 2020, des dizaines de maires ont fait campagne l’an dernier sur le renforcement des polices municipales et les villes recrutent à tour de bras. Non sans mal ! Clichy-sous-Bois a mis plus d’un an à trouver les huit agents qu’il lui fallait. Mi-janvier, les annonces sur le site de La Gazette des communes se comptaient par centaines : Thonon-les-Bains, Val-de-Reuil, Rennes, Vannes, Castillon-la-Bataille, Blois, Cannes… Les salaires des policiers municipaux sont fixés par une grille nationale, mais les villes surenchérissent pour attirer les candidats, promettant des primes et des heures supplémentaires. Elles font des efforts sur les horaires (moins de week-ends d’astreinte que dans la police nationale) et sur le matériel. Être plus performant que l’Intérieur dans ce registre n’est pas difficile. En 2018, la Cour des comptes relevait que près d’un véhicule de la police nationale sur quatre avait dépassé la limite d’usage (huit ans ou 170 000 km).
Le véritable appel d’air reste à venir. Dernière grande ville de France sans police municipale (avec Brest), Paris lance son service ce printemps, avec plus de 3 000 recrutements à la clé. Sur le site du Huffington Post, le 19 décembre 2020, l’adjoint parisien à la sécurité, Nicolas Nordman, se paye le luxe de faire la leçon au ministère de l’Intérieur. La police parisienne sera ce que « la police nationale n’est plus », à savoir une force « présente, disponible », détenant « une connaissance précieuse du terrain », à même de créer un lien de confiance que le « gouvernement échoue à instituer » ! Rien ne dit que la majorité d’Anne Hidalgo réussira, le refus d’armer les policiers parisiens laissant très sceptiques de nombreux spécialistes, mais le diagnostic est juste : non seulement le gouvernement n’a pas restauré le lien entre la population et les forces de l’ordre, mais il a perdu la confiance de sa police.
En même temps la guerre à l’islamo-gauchisme, et en même temps la dissolution de Génération Identitaire: un bien mauvais calcul.
On se doutait déjà, depuis son élection, que le « en même temps de droite, en même temps de gauche » de Macron ne voulait rien dire et masquait surtout une politique qui serait économiquement de droite et, à la marge, sociétalement de gauche. Et encore ne faut-il pas être trop exigeant sur le rallongement de la durée légale de l’avortement, par exemple.
Mais cette semaine, ce « en même temps » a montré, jusqu’au grotesque caricatural, ses limites. Parce que c’est « en même temps » qu’il envoie l’habituellement invisible Frédérique Vidal déclarer la guerre à l’islamo-gauchisme et en même temps qu’il demande à Darmanin, l’homme qui trouve Marine Le Pen « trop molle », de dissoudre Génération Identitaire, ce groupuscule de jeunes gens bien coiffés, aux 4X4 rutilants, qui rêvait sans doute quand ils étaient petits, de faire douanier ou chasseur alpin.
Sur le papier, ça vous aurait plutôt une belle allure. Un vrai beau gouvernement républicain, façon Georges Mandel, qui déclare la guerre aux factieux d’extrême-gauche et aux factieux d’extrême-droite. Mais c’est sur le papier seulement. Pour le reste, c’est surtout faire du bruit avec sa bouche parce que ça ne veut rien dire sinon que du côté du pouvoir, on prépare (mal) la présidentielle de 2022.
Auberge espagnole
L’islamo-gauchisme, c’est une auberge espagnole. Chacun y met le gloubiboulga de ses fantasmes et de ses trouilles. On peut être de gauche, mais si, et combattre sur le plan universitaire et politique des théories comme l’intersectionnalité ou ce poids de plus en plus important donné à la race contre la classe, ainsi que le montre par exemple le dernier livre de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud, Races et sciences sociales (Agone). Il n’empêche qu’un gouvernement qui s’attaque frontalement aux libertés académiques des chercheurs, c’est quelque chose que la droite de la droite adore en général par un anti-intellectualisme qui remonte au moins à l’affaire Dreyfus ou, précisément, paraît le mot pour désigner ceux qui soutenaient l’innocence du capitaine et déjà, étaient traités de complices du pouvoir occulte des Juifs et ennemis de la « race » française.
Quant à Génération Identitaire, on peut être de droite, mais si, et n’entretenir aucune sympathie pour ces agités ethniques. Tout le monde sait, en plus, qu’une dissolution, à part se faire plaisir, ne sert rigoureusement à rien. Génération Identitaire n’est que l’ultime surgeon d’Unité Radicale (dont le discours à l’époque était fixé sur le complot américano-sioniste, comme quoi on change…), dissoute après la tentative d’assassinat de Chirac en juillet 2002. Bref, ils existent, mais ils ne représentent qu’eux-mêmes et ont l’importance que veulent bien leur donner des médias complaisants lors de leurs actions anti-migrants en Méditerranée ou quand ils grimpent sur le toit d’une mosquée.
Comment perdre des voix des deux côtés
Dans les deux cas, ce « en même temps » macroniste indique surtout que le président, requis par la crise sanitaire, ne sait plus trop comment piquer des voix à Marine Le Pen sans perdre celles de la gauche dans l’abstention, face à un second tour qu’il croit écrit d’avance. Ce en quoi, il a évidemment tort. La dissolution de Génération Identitaire n’occultera jamais non seulement une attaque en règle contre la recherche universitaire qui est assez grande pour régler ses problèmes elle-même mais tout ce qui dans l’exercice du pouvoir actuel, de la répression des Gilets Jaunes à l’instrumentalisation de la laïcité, fait du macronisme un nouvel en même temps : « en même temps de droite et en même temps d’extrême-droite. »
Il n’y a pas que les comptes de Génération identitaire ou de Marion Maréchal qui sont visés par les GAFA…
Imaginez que Sud Radio ou RMC soit temporairement bannie de YouTube. Le 5 janvier, une radio britannique a connu cette mésaventure. La plate-forme vidéo, qui appartient à Google, a fermé la chaîne de Talk Radio, qu’elle accuse d’avoir diffusé des messages contredisant les conseils d’experts sur le coronavirus. Moins de douze heures plus tard, YouTube faisait volte-face et rétablissait la radio sur sa plate-forme, expliquant qu’elle tolérait certaines exceptions à ses règles de fiabilité des informations si le contexte était pédagogique, scientifique ou artistique. La radio, qui compte environ 42 4000 auditeurs et a plus de 240 000 abonnés sur YouTube, fait partie de l’empire de Rupert Murdoch.
Réglementée par Ofcom, le CSA britannique, elle utilise la plate-forme de Google – en plus d’autres médias – pour diffuser ses émissions en direct et archiver ses émissions passées. Certains de ses animateurs vedettes sont connus pour leurs critiques à l’égard des mesures de confinement du gouvernement de Boris Johnson. Pourtant, un des poids lourds du Parti conservateur, Michael Gove, figure majeure du Brexit, a condamné l’intervention de YouTube, proclamant que le gouvernement ne craignait ni le débat public ni la contradiction. Une association pour la défense de la liberté d’expression, Big Brother Watch, a comparé l’action de YouTube à la censure exercée par l’État chinois. Le tabloïd The Sun s’est empressé de citer des chaînes ouvertement racistes que YouTube n’avait pas encore bannies. Talk Radio a déclaré ne pas avoir reçu d’explication détaillée des raisons de cette censure. Comme le disait Samuel Johnson, célèbre homme de lettres du xviiie siècle et auteur du premier dictionnaire de la langue anglaise : « Parfois, la punition impose le silence, mais ne démontre pas l’erreur. »
Comme il fallait aux féministes «modernes» d’autres perspectives, elles ont dérivé, au nom de l’intersectionnalité des luttes, vers des options où la crapulerie le dispute à la bêtise. Dans ce texte mordant, Florence Dugas, auteur de romans érotiques, remet les pendules à l’heure…
J’ai combattu jadis avec des féministes « historiques » qui luttaient pour le droit à la contraception et à l’avortement, et pour imposer le « À travail égal, salaire égal », à une époque où l’écart de salaire entre hommes et femmes était en moyenne de 20% — pour le même travail.
Les acquis de ces luttes ne sont plus remis en cause. Mais comme il fallait aux féministes « modernes » d’autres perspectives, elles ont dérivé, au nom de l’intersectionnalité des luttes, vers des options où la crapulerie le dispute à la bêtise.
Alors, procédons par ordre.
– Une féministe favorable au port du voile, pour les fillettes comme pour les adultes, dans la rue ou au bureau, est une ordure qui entérine l’abaissement des femmes, au cœur de l’islam wahhabite.
– Une féministe qui ne dénonce pas les mutilations génitales ou la délivrance de « certificats de virginité » devrait être inculpée pour complicité de mutilations volontaires — un crime qui est puni de dix ans de prison au moins.
– Une féministe qui ne dénonce pas la polygamie, les bars ou les salons de coiffure interdits aux femmes, les quartiers quadrillés par les barbus, est une salope.
– Une féministe qui accepte les « stages racisés » organisés par les Indigènes de la République ou certains syndicats (SUD, pour ne pas le nommer) est une raciste — passible, elle aussi, des tribunaux.
– Une féministe qui croit que tous les hommes (les Blancs particulièrement) sont des violeurs devrait interroger ses fantasmes. Quant à celles qui affirment qu’un viol commis par un « racisé », à Hambourg, Le Caire ou ailleurs, n’en est pas vraiment un, car il faut le comprendre, le pauvre, elles devraient aussi interroger leur libido.
– Une féministe qui affirme que les gouines sont l’avenir de l’humanité devrait penser, outre l’absurdité de l’idée, que ses goûts la concernent et ne sont pas la vérité de la femme. A-t-elle tant de mal que ça à se recruter des copines, qu’il lui faille imposer le lesbianisme über alles ? D’autres affirment même que toute pénétration est un viol. Elles ne savent pas ce qu’elles méprisent…
– Une féministe qui croit malin de poursuivre un vieillard de 88 ans pour des faits prescrits qui se sont déroulés il y a soixante ans et ont été jugés en leur temps est une monomaniaque dont les obsessions s’interrogent.
– Une féministe arcboutée sur l’écriture « inclusive » et la féminisation urgente des titres et des fonctions, alors que tant de chantiers restent en friche, est une abrutie. Si en même temps elle est enseignante, elle devrait être révoquée pour outrage à la langue française, ce qui s’apparente à la haute trahison. Au passage, je serais curieuse de savoir comment ces grammairiennes de l’absurde féminisent « homme-grenouille ».
– Et une féministe qui revendique une parité hommes / femmes indépendamment du talent, qui n’a pas de sexe, n’a d’autre ambition que de propulser sa nullité à des postes de commandement. Sans doute veut-elle prouver, selon le Principe de Giroud (Françoise), que « la femme est vraiment l’égale de l’homme puisque désormais, sous prétexte de quotas, on désigne une femme incompétente à une fonction importante ». Et si on en restait au choix d’un individu choisi pour ses capacités, qu’il soit ou non porteur de roubignoles ?
Quant à celles qui liront ces quelques lignes et me voueront aux gémonies, qu’elles aillent se faire foutre. Vous verrez, c’est une activité passionnante, quand elle est bien menée.