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Flics Lives Matter

Révolte policière


Flics Lives Matter
Une voiture de police incendiée, lors d'une manifestation de policiers pour dénoncer la "haine antiflics", 18 mai 2016. © Crédit

La nouvelle offensive antiraciste revendique sa haine pour tout ce qui représente la nation française, son passé et ses institutions. Dans ce grand récit victimaire, les « violences policières » prétendument exercées contre les Noirs et les Arabes tiennent une place de choix. Cet amalgame injuste ignore l’ensauvagement d’une société dans laquelle les forces de l’ordre sont devenues des cibles.


Le scandale Adama Traoré n’est pas celui qu’on croit. Il ne réside pas dans la mort du jeune homme : aussi bête et triste soit celle-ci, elle ne cache aucun mystère, aucun secret inavoué. Sinon que s’il avait obtempéré, il serait sans doute en vie.

Un énorme bobard

Depuis quatre ans, l’instruction confiée à trois juges, preuve de l’importance que la Chancellerie accorde à cette affaire sensible, a retracé, minute par minute, les circonstances qui ont abouti à sa mort (voir le récit d’Erwan Seznec pages 38-41). Les magistrats n’ont pas relevé la moindre trace de brutalité disproportionnée ou de racisme. Les trois gendarmes concernés, longuement auditionnés, n’ont pas été mis en examen et n’ont subi aucune sanction. À ceci près qu’eux et leurs proches entendent quotidiennement parler d’eux comme de meurtriers. Et que leur vie a été dévastée.

Le scandale, c’est qu’un mensonge répété mille fois soit devenu une vérité – et, en prime, l’étendard d’une offensive idéologique contre l’idée même de nation française soumise à un impitoyable et interminable réquisitoire rétrospectif. Une phalange d’activistes de talent a réussi à vendre un énorme bobard à des médias qui ont fait preuve d’une complaisance inouïe et accrédité la thèse d’une « bavure » que rien ne vient étayer, tombant dans tous les panneaux agités devant eux, comme la fameuse « contre-expertise », signée par un unique expert choisi par la famille et opportunément tombée le 2 juin. Ce jour-là, surfant sur la vague George Floyd et le succès planétaire de #BlackLivesMatter, le comité Adama parvient, pour la première fois, à mobiliser au-delà de ses maigres troupes habituelles : 20 000 personnes sont rassemblées devant le palais de justice de Paris. Un policier noir est traité de « vendu » ! Le Monde publie un compte-rendu énamouré, les deux journalistes reprenant à leur compte sans la moindre distance le grossier amalgame entre George Floyd et Adama Traoré. Quant à Assa Traoré, elle y est présentée comme une « figure de proue de la lutte contre les violences policières ». Une icône est née. Quelques semaines plus tard, Christophe Castaner, interrogé sur les éventuelles poursuites intentées contre les organisateurs de cette manifestation illégale, lâchera son magistral aveu : « L’émotion doit prévaloir sur le droit. »

Ni justice ni paix ?

En quelques semaines la « sœur Courage » devient « la combattante », titre d’un long portrait presque intégralement hagiographique que lui consacre Le Parisien le 28 juin. On l’interroge sur ses intentions politiques. Ivre de sa notoriété, la nouvelle Angela Davis ne demande pas, elle exige. « Nous parlerons avec le gouvernement quand les gendarmes seront mis en examen. » Quand elle scande, « Pas de Justice, pas de paix », on entend « Ni Justice ni paix ».

Le comité Adama connaît son heure de gloire, au centre d’une agitation qui permet à l’islamo-gauche insoumise de se recycler dans la dénonciation du privilège blanc.

A lire également, Marcel Gauchet sur RnR : Affaire Traoré: La plupart des médias s’alignent sur cette ignorance militante satisfaite d’elle-même

S’agissant de la nouvelle offensive antiraciste et de sa haine proclamée pour tout ce qui représente notre passé, qu’on me permette de renvoyer aux excellents textes de Bérénice Levet, Jeremy Stubbs, Sami Biasoni, David Duquesne. Et d’adresser mes remerciements à Rokhaya Diallo, qui a accepté de venir défendre son point de vue dans nos colonnes (pages 54-56). Que nos désaccords abyssaux ne nous transforment pas en ennemies est un des rares signes d’espoir dans une période où ce qui semblait hier être une lubie d’Houria Bouteldja (la fondatrice du Parti des indigènes de la République), ou une invention foutraque de Muray, est devenu la norme. Hier, on comptait les femmes, et il n’y en avait jamais assez ; aujourd’hui on compte les Noirs.

Une pandémie idéologique

Tout est allé très vite. Citons deux faits qui ressemblent à des poissons d’avril.

Fin juin, L’Oréal annonçait la suppression des mots blanc/blanchissant, clair/éclaircissant, sur fond de campagne contre les produits éclaircissants, qui témoignent, paraît-il, de l’assignation des femmes de couleur aux stéréotypes « blancs » – nous voilà condamnés à utiliser un lexique qui nous brûle les lèvres. Mais quid des produits bronzants, ne devraient-ils pas être dénoncés comme vecteurs d’appropriation culturelle ?

Le 1er juillet, le New York Times déclare qu’il écrira désormais « Black » avec une majuscule et « white » en minuscule. Bien sûr, c’est l’Amérique. Mais si les vols transatlantiques sont interrompus, les idées voyagent de plus en plus vite. Chez nous, ça commence soft. Toutes les rédactions cherchent à recruter des journalistes noirs – pour le moment où on comptera. Le président défend Colbert, mais propose de débaptiser quelques rues pour leur donner des noms de combattants africains.

A lire aussi, Jeremy Stubbs : Dorénavant, le « New York Times » écrira « Black » avec une majuscule

Tout Blanc est un raciste, comme tout homme est un violeur et tout flic une brute. Aussi le policier a-t-il le douteux privilège d’être trois fois mauvais. Le comité Adama opère la jonction entre les deux fronts, celui du racisme et celui des « violences policières », qui seraient également systémiques. Et martèle quelques contre-vérités simples : les policiers contrôlent au faciès, les Arabes et les Noirs ont peur de la police. Il faut en finir avec cette affaire de contrôle au faciès. Les policiers contrôlent les populations qui se trouvent là où ils interviennent. Au lieu de brailler au racisme, on ferait mieux de s’interroger sur la surreprésentation des descendants d’immigrés parmi les délinquants condamnés. Les magistrats jugent-ils au faciès ?

Le paradoxe de la violence

Depuis une dizaine d’années au moins, pas une manifestation ou presque ne se finit sans violence. Les images de la place de la République ou de l’esplanade des Invalides, saturées par les gaz lacrymos et dévastées par de véritables batailles rangées entre « black blocks » et forces de l’ordre, nous sont désormais familières. « La société est plus violente, mais supporte de moins en moins la violence, souligne Jean-Michel Schlosser, ancien policier reconverti dans la sociologie. En 68, prendre un coup faisait partie du jeu, aujourd’hui, c’est tout de suite la plainte à l’IGPN, et tout le tremblement. »

Scènes d'émeutes à Sarcelles, en marge d'une manifestation contre l'intervention militaire israélienne dans la bande de Gaza, 20 juillet 2014. © Crédit
Scènes d’émeutes à Sarcelles, en marge d’une manifestation contre l’intervention militaire israélienne dans la bande de Gaza, 20 juillet 2014.
© Crédit

Parallèlement, on a enregistré une progression constante et une montée en puissance des violences antipolicières : « Entre les planches de 68 et l’acide de 2020, il y a une sacrée différence », résume Jean-Michel Schlosser. Caillassages, guet-apens, véhicules incendiés – sans oublier les insultes à jets continus –, des centaines de gendarmes et de policiers sont blessés dans des missions de sécurité publique et de maintien de l’ordre. Soumis à rude épreuve par les attentats de 2015 et par la lutte antiterroriste, ils n’étaient pas préparés à affronter la haine antiflics qui, de loi travail en réforme des retraites, s’est déployée au grand jour, jusque sur des affiches de la CGT.

La longue crise des Gilets jaunes a transformé le malaise en plaie vive. Beaucoup de policiers ont une âme de Gilet jaune, devoir les réprimer a été un crève-cœur. Chargés, samedi après samedi, de maintenir l’ordre dans des conditions chaotiques, ils ont dû obéir à des instructions souvent illisibles. Le nombre anormalement élevé de blessés graves parmi les manifestants traduit au minimum des erreurs techniques. Le flic de base, qui n’en peut mais, en a gros sur la patate. Quand ses chefs se plantent, c’est lui qui passe pour une brute. Et qui doit demander à ses enfants de ne pas parler de son métier.

La guerre des images 

Ils ont dû, de surcroît, travailler sous la surveillance constante des caméras et téléphones portables. Des vidéos ne montrant souvent qu’une partie de l’action étaient diffusées, accréditant l’idée de violences gratuites. Faute d’avoir été menée, la guerre des images a été perdue. Jusqu’à l’arrestation de l’infirmière-martyre qui crie « Je veux ma Ventoline » lors de la manifestation des soignants du 16 juin. Dans une nouvelle version diffusée quelques heures après la première, on découvre que, quelques secondes avant d’être arrêtée, elle insulte les policiers, leur fait des doigts d’honneur et leur envoie à la tête ce qui ressemble à un pavé (mais il paraît que ce sont des cailloux). La victime est l’agresseur.

Cependant, il serait absurde de le nier. S’il n’y a évidemment pas de violences policières, comme système destiné à asseoir une domination, il y a bel et bien des violences illégitimes commises par des policiers. La plupart relèvent de l’erreur, d’autres sans doute du sadisme ou du pétage de plomb. Sont-elles toutes sanctionnées ? Tous les responsables le jurent, la main sur le cœur. « Nous sommes l’administration la plus sanctionnée et la plus contrôlée du pays », affirme la syndicaliste policière Linda Kebbab (pages 46-49). On peut compter sur les victimes, très au fait de leurs droits, pour saisir les instances compétentes.

A lire également, Jean-Pascal Caravano : Le doux murmure de Castaner à l’oreille des “jeunes gens” des banlieues

Dans les commissariats, la grande majorité des policiers, qui font leur boulot dans des conditions éprouvantes, se sentent victimes d’un amalgame injuste. Alors, le 8 juin quand, au lieu de défendre ses flics, Christophe Castaner prend le parti de leurs accusateurs, la révolte gronde : « En cas de soupçon avéré de racisme, la suspension sera envisagée systématiquement. », lâche le ministre.  Un soupçon avéré, le bel oxymore que voilà. Les policiers comprennent qu’en cas de pépin, on les jettera aux chiens. Comme toujours. Ce commissaire parisien a gardé la foi. Et il rappelle que des milliers de gardes à vue se passent sans aucun problème. Mais il ne cache pas son inquiétude. « Zyed et Bouna sont morts électrocutés parce que des policiers couraient après des jeunes qu’on leur avait signalés. Ils faisaient leur travail. Pendant dix ans, on a raconté que la police était responsable. Et quand la Justice a tranché et a innocenté les policiers, on nous a dit : déni de justice. Alors que peut-on faire ? » Contre l’émotion érigée en pensée politique, pas grand-chose. Jeter ses menottes à terre. Et serrer les dents.

Et si la police lâchait ?

Les policiers supporteraient sans doute l’hostilité d’une partie de l’opinion, s’ils n’avaient pas le sentiment que le rapport de forces qui les oppose aux délinquants et aux criminels leur est de plus en plus défavorable. L’usage de la force, même dans des conditions parfaitement réglementaires, a beau être légal, il est toujours vaguement perçu comme illégitime. « Si vous voulez des policiers irréprochables, il faut des policiers protégés, suggère un responsable de la PJ. Un type de 50 ans qui se fait insulter durant des heures par des minots qui ont l’âge de ses enfants peut le supporter, s’il sait que son insulteur sera puni. Mais ce n’est jamais le cas. » C’est la question de la fameuse réponse pénale sur laquelle les policiers, tous services confondus, sont intarissables. À quoi bon se fatiguer à arrêter des délinquants que la Justice ne sanctionne pas ou si peu. C’est la principale raison de la souffrance policière.

Signe des temps, les policiers manifestent eux aussi. Ils jettent leurs menottes à terre, menacent de faire la grève des « interpell ». On se donne des frissons en se demandant ce qui se passerait si la police lâchait. Mais on n’y croit pas.

À Dijon, quatre nuits durant, des Tchétchènes venus de toute la France ont affronté des « Dijonnais », comme l’a drôlement écrit Le Monde – il s’agissait de Franco-Maghrébins. Une histoire d’adolescent tabassé, de vengeance et d’honneur. Les forces de police ne sont quasiment pas intervenues, peut-être parce qu’elles ne sont pas équipées pour jouer les Casques bleus entre deux bandes armées. Et la querelle s’est achevée par un pacte conclu à la mosquée du coin. Nous savons désormais à quoi ressemblerait un monde sans police.

A lire aussi, Isabelle Marchandier : Dijon brûle mais nous regardons ailleurs

Été 2020 – Causeur #81

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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