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Talibans VS Daesh: la nouvelle guerre (cartes)

La cartographie des actions terroristes en Afghanistan apporte une première explication à la prise rapide de Kaboul le 15 août 2021. Celle-ci montre la très forte augmentation des actions terroristes et de guérillas à partir de 2012, la localisation des attaques et la concurrence entre les talibans et l’État islamique. Des éléments indispensables à maitriser pour comprendre le déroulement de cette guerre. Jeudi 26 août, deux attaques suicides aux abords de l’aéroport ont tué plus de 100 Afghans décidés à quitter le pays, ainsi que treize militaires américains, selon l’AFP. La branche afghane de l’organisation État islamique a revendiqué le double attentat.


La prise de Kaboul par les talibans le 15 août 2021 est un évènement géopolitique majeur, dont les conséquences à court et moyen terme seront sans doute considérables. Au-delà de l’humiliante défaite de l’OTAN, de l’effondrement sans combat de l’État et de l’Armée afghane, et de l’impact que cette conclusion (provisoire) à vingt ans de guerre aura pour la dynamique du djihadisme global, il est capital de se mettre en mesure de tirer des enseignements géostratégiques et scientifiques des conditions qui ont rendu ce dénouement possible.

Dans ce but, en poursuivant nos recherches concernant l’espace-temps du terrorisme [1], on s’est attaché à fournir des éléments graphiques et cartographiques qui permettent d’engager une réflexion à vocation scientifique sur l’usage du terrorisme, entendu comme une technique particulière de communication violente [2], dans le contexte, ici, d’une insurrection victorieuse. On ne proposera donc pas maintenant une énième analyse « à chaud » de la situation géopolitique de l’Afghanistan actuel, mais bien quelques données de base qui peuvent servir de socle pour l’élaboration de recherches futures orientées à mieux comprendre le rôle du terrorisme dans l’évolution de la phase la plus récente de la « guerre afghane » qui débute en 2001. Pour ce faire, on procédera successivement à une analyse temporelle et spatiale de la violence (principalement) politique au cours de périodes successives, avant de nous intéresser aux actions de guérilla et terroristes réalisées par deux acteurs irréguliers que sont les talibans et l’émanation locale de l’État islamique.

L’espace-temps de la violence en Afghanistan, 1973-2019

Pour comprendre les changements temporels de la violence (surtout) politique [3] en Afghanistan, on a utilisé les données de la Global Terrorism Database (GTD) dont la couverture débute pour ce pays en 1973 et s’arrête actuellement en 2019 [4]. La figure 1 permet quelques constats préliminaires intéressants :

Figure 1. Évolution temporelle de la violence (surtout) politique en Afghanistan (1973-2019) en fonction de la nature des incidents

En distinguant les actes en fonction des cibles visées il est possible de départager, de façon certes préliminaire, mais cohérente, ceux qui relèvent d’actions de guérilla (s’attaquant aux Forces armées, à la Police et aux fonctionnaires gouvernementaux, porteurs d’une identité fonctionnelle), des autres cibles (civiles en général) dont l’identité vectorielle (susceptible de véhiculer des messages à différentes audiences) correspond au terrorisme proprement dit.

On constate alors une fréquence extrêmement révélatrice de ces deux catégories d’actions en fonction de périodes qui apparaissent clairement, et dont on peut rendre compte à l’aide d’une représentation cartographique adéquate. En tout état de cause le passage à la forme « guérilla » à partir de 2012 est un fait qui se dégage incontestablement de ce graphique, marquant un tournant majeur de l’insurrection. Les cartes rassemblées dans la figure 2 permettent d’approfondir substantiellement l’analyse :

Figure 2. Distribution spatio-temporelle de la violence (surtout) politique en Afghanistan (1973-2019)

Cette carte rend compte de la localisation de la totalité des incidents violents au cours des quatre périodes qui se dégagent de l’examen de la littérature [5], et des discontinuités qui apparaissent dans la figure 1. La dernière période inclut, en fond de carte, une représentation schématique de la distribution des principales ethnies : donnée d’une énorme importance sachant, par exemple, le poids immense des Pachtounes (et de leurs normes culturelles) dans le mouvement taliban [6].

La première période, antérieure à 2001, correspond essentiellement à la résistance à l’occupation soviétique (1979-1989), et à la guerre civile qui suivit jusqu’à la (première) prise de Kaboul par les talibans en 1996 avec le concours du Pakistan. Dans la mesure où la violence antisoviétique était entretenue et financée notamment par les États-Unis (et en partie canalisée par des relais comme Oussama ben Laden) on comprend que dans une base de données nord-américaine comme la GTD, peu d’actions soient répertoriées comme « terroristes » [7].

La deuxième période (2001-2005), correspond à l’invasion de l’Afghanistan dans le cadre de la « Guerre au terrorisme », et à la restructuration des talibans (et d’al-Qaïda) après leur défaite sur le terrain [8]. L’activité armée qui monte progressivement en puissance est partagée entre terrorisme et guérillas, et tend à se concentrer dans les aires de peuplement Pachtoun. La dynamique insurrectionnelle qui prend son essor en 2006 (troisième période) est perceptible tant sur l’histogramme que sur la carte correspondante. Les zones de violence deviennent plus étendues, et conforment une sorte d’anneau qui fait encore une large part au terrorisme, sans doute en relation avec les difficultés qu’éprouvent les insurgés à contrôler durablement des territoires. La dépendance des groupes armés envers plusieurs voisins (notamment le Pakistan, et dans une moindre mesure l’Iran et les groupes jihadistes des ex-républiques soviétiques au nord) contribue probablement à la localisation des zones d’activité armée à proximité de frontières internationales.

Enfin, la dernière période (2010-2018), correspond aux effets du désengagement graduel des États-Unis et de leurs alliés d’un bourbier afghan de moins en moins gérable aux plans militaire et politique. Cette nouvelle situation se manifeste en décembre 2009, lorsque le président Obama annonce simultanément une augmentation notable des troupes US envoyées en Afghanistan pour faire face à la pression croissante des insurgés, et le retrait, à partir de 2011, des soldats américains (donc de l’OTAN) du pays. Les conséquences de cette bévue stratégique majeure ne se font pas attendre. L’échéance annoncée fournit aux talibans et à l’ensemble de la mouvance insurgée un calendrier pour réoccuper le terrain et saper ce qui reste des institutions étatiques survivant sous perfusion occidentale.

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Dès lors la nature des incidents violents se transforme spectaculairement, comme le montre le graphique inclus dans la partie supérieure gauche de la figure 2. Il s’agit maintenant de conquérir du terrain, et la prédominance de la guérilla est indéniable (avec sans doute une urbanisation croissante du terrorisme, hypothèse qui reste à vérifier). Très rapidement, la dégradation sécuritaire du pays devient telle que les Nord-Américains finissent par entamer en 2018 des négociations avec les « terroristes » talibans, qui aboutirent aux accords de Doha, deux ans plus tard, et à la chute sans combat de Kaboul en 2021 [9].

Une analyse comme celle que nous venons d’esquisser n’épuise pas, bien évidemment, toute la complexité du processus insurrectionnel afghan et ne rend que partiellement compte des conditions du recours au terrorisme par différents acteurs. Elle permet, en revanche, de fonder des réflexions et des hypothèses sur des faits contrôlés, ce qui est à la base de la démarche scientifique, notamment en matière d’études sur le terrorisme. Et à partir des acquis de cette première étape de notre recherche, il est possible d’aborder de nouvelles questions. Parmi lesquelles celle de la compétition entre talibans et État islamique sur le terrain afghan mérite un bref commentaire.

La compétition entre talibans et État islamique

La dernière période de l’insurrection afghane a (aussi) vu se développer, à partir de 2014-2015, l’implantation d’une émanation de l’État islamique (souvent désigné dans les sources anglophones comme : Khorasan Chapter of the Islamic State). Les modalités d’adaptation de cette variante du jihadisme salafiste en terrain afghan sont encore incomplètement comprises [10], mais son hostilité aux talibans (considérés au mieux comme infidèles) est hors de doute. Et des affrontements armés se sont déjà souvent produits entre les deux entités, et sont sans doute appelés à se poursuivre, moins peut-être en raison …

>> Consulter la fin de l’article sur le site de la revue Conflits <<


[1] H. Théry ; D. Dory, « Espace-temps du terrorisme », Conflits, n°33, 2021, 47-50 ; H. Théry ; D. Dory, « Solhan : cartographier le terrorisme et la dynamique territoriale d’une insurrection », Mappemonde, n° 131, 2021, en ligne : https://journals.openedition.org/mappemonde/6129

[2] D. Dory, « Le terrorisme comme objet géographique : un état des lieux », Annales de Géographie, n° 728, 2019, 5-36 ; https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2019-4-page-5.htm

[3] On insiste sur le mot « surtout » car en Afghanistan (comme ailleurs) une partie de la violence susceptible d’être répertoriée comme « terroriste » relève plutôt d’enjeux criminels ; tels que ceux liés au trafic d’opium, activité dont participent les groupes insurrectionnels tout autant que les autorités étatiques mises en place par l’OTAN.

[4] https://www.start.umd.edu/gtd/  Sur les caractéristiques de cette source, voir les références citées en note 1.

[5] Pour des raisons qui restent à élucider, la littérature sur l’Afghanistan est relativement rare parmi les publications qui relèvent des terrorism studies. On peut cependant consulter avec profit: A. Giustozzi, « Insurgency in Afghanistan », in : P. Rich ; I. Duyvesteyn (Eds.), The Routledge Handbook of Insurgency and Counterinsurgency, Routledge, London-New York, 2014, 218-226 ; T. Bacon ; D. Byman, « De-Talibanization and the Onset of Insurgency in Afghanistan, Studies in Conflict and Terrorism, 2021, (preprint) : DOI: 10.1080/1057610X.2021.1872159. On trouvera aussi un récit utile de la partie afghane de la « Guerre contre le terrorisme » dans : M. Hecker ; E. Tenenbaum, La guerre de vingt ans, Robert Laffont, Paris, 2021.

[6] Sur ce point : N. Sahak, « Afghanistan : the Pashtun dimension of the war on terror », in : D. Martin Jones et Al. (Eds.), Handbook of Terrorism and Counterterrorism Post 9/11, Edward Elgar, Cheltenham, 2019, 179-195.

[7] Sur cette première période, on peut lire : I. Westwell, « Terror in Afghanistan », in : M. Crenshaw ; J. Pimlott (Eds.), Encyclopedia of World Terrorism, Sharpe, Armonk, 1997, Vol. 2, 504-505.

[8] Sur les perspectives de cette période on lira l’article remarquablement prémonitoire de G. Dorronsoro, « Afghanistan : chronique d’un échec annoncé », Critique internationale, n° 21, 2003, 17-23. https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2003-4-page-17.htm

[9] Une synthèse des aspects diplomatiques du conflit se trouve dans : M. Semple, « Terrorism and peace in Afghanistan », in : Global Terrorism Index 2020, IEP/START, Sidney, 2020, 89-91.

[10] Pour une bonne introduction au sujet, voir : A. Baczko ; G. Dorronsoro, « Logiques transfrontalières et salafisme globalisé : l’État islamique en Afghanistan », Critique internationale, N° 74, 2017, 137-152. https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2017-1-page-137.htm

L’agenda politique caché derrière la zadisation de Paris

Saccage de Paris. S’opérant jour après jour avec méthode, la vandalisation de la capitale par la majorité d’Anne Hidalgo (PS) ne doit rien au hasard.


Le terme de ZAD (zone à défendre) désigne un squat ou l’occupation d’un pan de territoire afin d’empêcher un projet d’aménagement. Les militants qui mènent ce type d’intervention sont le plus souvent issus des milieux écologistes radicaux et de la mouvance gauchiste. Ces zadistes qui s’opposent généralement à un pouvoir politique local, régional ou central, utilisent les zones qu’ils ont conquises pour y développer des contreprojets à vocation politique et sociale. 

Parler de « zadisation » de Paris peut donc apparaître doublement paradoxal. Tout d’abord parce que la mise à sac et la malpropreté qui accompagnent ces raids territoriaux sont ici en l’occurrence le fait de l’équipe politique en place et non d’activistes extérieurs à la ville. Le second paradoxe tient au fait qu’en l’espèce, il n’y a aucune remise en cause d’un quelconque projet innovant. Au contraire, cette zadisation vise bien plutôt à effacer et à supprimer toutes les sédimentations patrimoniales qui ont fait jusque-là de Paris une ville historique au cachet exceptionnel. Or, le patrimoine urbanistique qui s’enracine dans une histoire multiséculaire ayant structuré la morphologie de cette cité, se trouve désormais en péril.

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Partagés entre la fureur et la sidération, les Parisiens ne cessent depuis quelque temps de dénoncer le saccage de leur ville par l’équipe municipale elle-même, une coalition PS, PCF, EELV. Emmenés par Anne Hidalgo, les édiles de sa majorité travaillent en effet avec acharnement, – voire avec fanatisme – à zadiser Paris. Pourtant, sa beauté, son charme et sa grandeur faisaient il y a peu encore de la ville-lumière la première destination touristique au monde. Toutefois, depuis quelques années, la maire et ses conseillers ont gravement porté atteinte à son identité et à sa singularité, entraînant d’ores et déjà plusieurs dommages irréparables [1] et le départ de milliers de résidents. Ainsi, l’existant – qu’il s’agisse des perspectives, des jardins, des édifices ou encore du mobilier urbain – se retrouve-t-il bien souvent dénaturé, pillé, souillé ou même purement et simplement détruit, comme les fontaines Art Déco de la Porte de la Chapelle (XVIIIe arrondissement). Opérée méthodiquement, jour après jour, cette vandalisation, qui bat actuellement son plein, passe tout d’abord par le triomphe de la malpropreté, une donnée sur laquelle nous allons nous attarder à présent.

La tartufferie des Verts

Sous prétexte de préserver l’environnement, les Parisiens sont sommés d’être « écoresponsables participatifs et inclusifs » et de se livrer en outre au compostage, via d’immenses conteneurs installés plus ou moins partout [2]. Tartufferie suprême, la municipalité invoque cette norme prétendument « écoresponsable » afin d’user le moins possible d’eau pour nettoyer les rues, au motif qu’il conviendrait d’économiser ce bien commun. Son recours devenant par conséquent quasiment criminalisé, le service de la voirie ne lave plus la chaussée comme par le passé. Les Parisiens en sont donc réduits à attendre la pluie pour voir leurs trottoirs débarrassés des miasmes, souillures et autres salissures qui polluent leurs quartiers parfois transformés en décharges à ciel ouvert. Dans la même logique, ils constatent que l’équipe municipale laisse tous les espaces publics non balayés et envahis par les mauvaises herbes. Or, dans le même temps, ils notent avec stupéfaction l’abattage de très nombreux arbres sains et magnifiques – parfois centenaires comme la glycine patrimoniale de la Butte Montmartre – fréquemment sans motif valable. Certes, des raisons phytosanitaires sont quelquefois invoquées pour justifier certaines coupes, mais l’opacité de l’information prédominant, il y a lieu de mettre sérieusement en question la nécessité de tronçonner avec tant de zèle [3].

In fine, dans une ville abandonnée telle un terrain vague, toutes ces altérations urbaines conduisent naturellement à une détérioration du cadre de vie des Parisiens et à une dégradation générale du niveau sanitaire de la cité. Alors même que sévit une pandémie mondiale, on serait pourtant en droit d’attendre un surcroît de précautions et un renforcement des mesures en termes d’hygiène publique. Or, force est de constater au contraire que nombre de rues sont à présent devenues d’immondes dépotoirs. Perpétuellement maculées, taguées, souillées, elles sont envahies par les poubelles des immeubles qui trônent en permanence sans aucun respect d’horaires. Ces récipients malodorants obstruent de la sorte la circulation des piétons, lorsque ceux-ci ne sont pas condamnés à se frayer leur chemin entre plusieurs dépôts sauvages non sanctionnés. Dans ces conditions, avec des espaces publics envahis de détritus et d’immondices qui empestent si souvent l’urine, on ne s’étonnera pas qu’il puisse régner une insalubrité inquiétante en bien des endroits, sans même parler du nord-est livré au chaos engendré par le crack et ses violences. 

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Sans nul doute, nous sommes face ici à une régression institutionnalisée de grande ampleur. En effet, à partir du XVIIIe siècle, pour nettoyer la capitale on se souciait avant tout d’évacuer scrupuleusement les déchets et de recourir à l’eau comme stratégie de gestion collective. Un siècle plus tard, cette précieuse ressource naturelle devenait même un des éléments les plus importants du réaménagement urbain fondé sur le triptyque : propreté, beauté, santé. A contrario, il n’existe plus rien de tel aujourd’hui. Seuls les rats, visibles dans tous les arrondissements sans exclusive, se montrent des occupants pleinement satisfaits. Finalement, dans le Paris de madame Hidalgo, la crasse est partout et le bien-être est nulle part.

Entre récup’ et bricolage infantilisant

De surcroît, le règne de la récup’ domine désormais la moindre parcelle parisienne. Ainsi, voit-on proliférer tous azimuts, les palettes de chantier, les bidons en ferraille, les cagettes et autres ustensiles improbables qui sont destinés à « végétaliser les quartiers » ou bien à édifier des bancs de bric et de broc. Ces objets recyclés participent d’une laideur insoutenable comme les centaines de milliers de bittes jaunes ou blanches en plastique et les centaines de milliers de plots en béton monumentaux, qui balafrent les rues et obstruent la circulation. Tous plus aberrants les uns que les autres, ces dispositifs déplorables contribuent de la sorte à encrasser et enlaidir l’espace urbain. 

Avenue de l’Opéra à Paris, 2021 © Daniel Ino / Saccageparis

Mais les Parisiens doivent aussi compter avec le bricolage infantilisant du « do it yourself ». Ce mode d’appropriation individuelle, qui révoque toute politique d’ensemble harmonieuse, triomphe dorénavant dans tous les secteurs, saccageant harmonie, style, perspectives et patrimoine architectural. En vertu d’une démagogie municipale sans limites, n’importe quelle petite association subventionnée peut à présent se permettre de décider strictement n’importe quoi et n’importe où en matière d’équipement, notamment au pied des arbres où ne manquent plus que les nains de jardin, alors que les classiques grilles en fonte ont en revanche disparu. En l’espèce, la suprême perversité consiste à impliquer quelques habitants du coin pour pouvoir mieux les instrumentaliser ensuite, tout en s’exonérant de la moindre responsabilité.

10e arrondissement de Paris

Une zadisation vecteur de l’idéologie woke

Devant ce terrible état des lieux, il faut bien comprendre qu’il s’agit là d’une démarche systématique et globale et non d’un malheureux laisser-aller ou d’une simple divagation urbanistique qui donnerait lieu à une accumulation de négligences. Là où d’aucuns ne perçoivent qu’une regrettable inconséquence, voire une consternante incompétence, il convient de discerner plutôt une politique délibérée et planifiée qui déroule un agenda mortifère, celui de l’idéologie woke et de la cancel culture (culture de l’effacement) qui lui est associée. C’est en effet toute une construction symbolique lentement édifiée au cours des siècles qui est aujourd’hui remise brutalement et sauvagement en cause. Par conséquent, ne voyons pas le fruit du hasard dans ces enlaidissements réitérés ou cette malpropreté sans précédent qui gangrènent Paris. Au contraire, en souillant et en profanant tout autant la qualité de vie que l’héritage légué par les ans, la zadisation de Paris témoigne d’un processus de destitution. Ce dernier concourt à priver cette ville de son statut prestigieux et de son rayonnement mondial, lui ôtant ainsi son rang jusque-là si admiré et envié. 

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On l’aura compris, par-delà une saleté savamment entretenue d’année en année, l’équipe municipale entend faire avant tout table rase du passé. Il s’agit pour elle de déchoir la capitale, en la ravalant au niveau d’une vulgaire ZAD. De prime abord, une telle stratégie peut légitimement surprendre et paraître inexplicable. Mais il faut bien comprendre qu’elle n’est pas un but en soi. Elle constitue au contraire une simple étape faisant partie intégrante d’un projet plus vaste. En privant cette grande métropole de son image jadis si glorieuse, ces élus la réduisent à n’être plus qu’un vaste chantier d’expérimentation woke. Constatons en l’occurrence que madame Hidalgo et ses conseillers travaillent sans relâche à faire de Paris le centre mondial du wokisme dans lequel ils promeuvent pêle-mêle, une radicalité verte, une « égalité raciale » et une sacralisation des minorités [4]. En bref, il y a là une convergence des luttes qui œuvre pas à pas à une réécriture de l’histoire de la nation et à l’effacement de la culture française portée jusqu’ici par sa capitale. Nous vivons donc un tournant suffisamment inquiétant pour que le risque paraisse désormais bien réel de voir Paris devenir demain un champ de ruines. C’est dire l’impérieuse nécessité de mettre rapidement un terme définitif aux agissements malfaisants de cette politique de dévastation en marche.


[1] Mentionnons la disparition de nombreuses fontaines Wallace, des kiosques à journaux haussmanniens et de bien des lampadaires en bronze, ou encore celle de quantité de colonnes Morris.

[2] La Ville de Paris expérimente depuis 2017 la collecte des déchets alimentaires. Les 2e, 12e et 19e arrondissements sont pilotes en la matière.

[3] Plus de 15 000 arbres ont été abattus ces six dernières années (chiffre donné en février 2020 au quotidien Le Parisien par Pénélope Komitès, alors adjointe d’Anne Hidalgo chargée des espaces verts).

[4] La municipalité a, par exemple, édifié de manière définitive des passages pour piétons aux couleurs arc-en-ciel LGBTQI dans le 4e arrondissement de Paris.

Le retour du reptilien

Selon Céline Pina, en abandonnant tout idéal collectif et en misant sur la concurrence sociale, nos dirigeants n’ont fait qu’alimenter le cerveau reptilien au lieu de miser sur l’élévation des consciences. Les foules énervées sont les enfants des élites qu’elles conspuent…


Les samedis passent et se ressemblent. Alors que le dernier avatar du virus frappe, tue et provoque la panique là où les populations ne sont pas vaccinées et les services hospitaliers saturés, comme en Inde, en Tunisie ou dans les Outre mers, une foule conséquente choisit de lutter contre le vaccin plutôt que contre la maladie et érige en atteinte contre les libertés fondamentales, toutes les contraintes liées à la situation sanitaire.

Pour la responsabilité collective, on repassera

On peut s’étonner de cette curieuse inversion de sens et de ce que les appels à la responsabilité collective sont vus comme une soumission à l’arbitraire par une composante non négligeable de la population. On peut s’effrayer de ce que des discours, dont la composante complotiste et irrationnelle est indéniable, mobilisent bien au-delà de leurs cibles habituelles. Ce désordre récurrent, sur des bases bien moins légitimes au départ que la révolte des gilets jaunes, finit par redorer le blason d’Emmanuel Macron et sert ses perspectives d’avenir. Lui qui n’a jamais su sortir de l’incohérence du « et en même temps » et choisir une ligne claire d’action comme de communication, devient l’incarnation de la raison et de l’ordre public pour une partie de la population effrayée par les débordements des antivax.

Les samedis devraient continuer à se ressembler, unis sous la bannière du rejet d’élites qui pleurent les effets dont elles alimentent les causes

Ce qui est surtout paradoxal est que ces manifestations sont en fait le pur produit du système « libéral » que ce président incarne. Ils sont les héritiers accomplis du système qu’ils disent vouloir renverser. Cette foule hétéroclite unie par la frustration est le produit de la destruction du peuple, faute de perspective de progrès social, de possibilité de changement de condition. Elle est également le produit de l’absence de ce mélange de principes, d’idéaux, de lois, d’identité qui fondent l’existence d’une civilisation et d’un système politique et social stable. Cette foule est le résultat de la privatisation du bien commun et de la destruction de l’intérêt général au profit d’un petit nombre d’individus qui ne s’apparente plus à une élite éclairée, mais à une caste de privilégiés. La masse est ce qui demeure quand le peuple n’est plus et que l’élite l’a dissout. 

La notion de citoyenneté plus en vogue en France

Ce délitement de la figure même du citoyen a été synthétisé par Emmanuel Macron lorsque évoquant une gare, il parla d’un « lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien ». Ce dévoilement de l’esprit de caste, on le retrouve à maintes reprises dans le discours présidentiel, lorsqu’il dit qu’il faut que « les jeunes Français aient envie de devenir milliardaires » ou évoque les cailloux qui seraient jetés sur les « premiers de cordée ». Ce faisant Emmanuel Macron n’a rien de disruptif. Il est dans la droite ligne de ceux qui l’ont précédé et ont exercé le pouvoir économique, politique, médiatique mais aussi culturel depuis plus de 30 ans. Il n’est que le énième symptôme de l’abandon de toute élévation intellectuelle et sociale de ceux que l’on appelle « citoyen » mais que l’on conditionne à n’être que les données objectives d’un idéal gestionnaire.

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Cela se traduit par l’effacement de la nation au profit d’une entité bureaucratique sans dimension politique et culturelle, qu’est devenue l’Europe. Cela se traduit par l’abandon du progrès social au profit de la liberté d’entreprendre ; par le sacrifice des services publics au profit de la privatisation du bien commun ; par le recul de l’ordre public au profit de la sécurité privée ; par le rejet de l’identité culturelle au profit d’une injonction à la diversité dépourvue de toute colonne vertébrale ; par le refus d’agir pour la planète tout en mettant en avant un faux souci écologique. Que dire d’un pouvoir qui présente toutes les atteintes à la protection sociale comme des avancées vers la justice ? Que dire d’un président qui reconnait l’impossibilité de réguler l’immigration sans être capable de toucher aux vrais obstacles juridiques qui font qu’un pays en est réduit à ne plus pouvoir choisir qui s’installe chez lui et accorde la citoyenneté sans exigence ? Que dire d’une éducation nationale qui a tué toute perspective d’ascension sociale au nom de la mythification de l’élève au cœur du système ? Quand cette capitulation est de surcroît mise en œuvre par un personnel politique immature, qui donne des leçons sans avoir jamais rien réalisé et qui ne sert avant tout que sa carrière, le niveau de violence s’élève.

Le désespoir majoritaire

La colère que les manifestants expriment d’une façon souvent fruste puise ses racines dans le constat que font tous ceux qui ont arrêté de voter car ils ont perdu tout espoir. Or ils sont majoritaires dans le pays. Ils parlent de l’impossibilité de se projeter dans l’avenir sans que leur niveau de peur explose. Ils pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, connaîtront sans doute la guerre, le manque, la faim. Ils constatent que leur avenir personnel est déjà marqué par le déclassement. Ils voient la loi qui s’appuie sur un idéal partagé, disparaître au profit de la norme qui relativise tout et consacre dans les faits la force ou le pouvoir de nuisance. Leur État n’est plus leur garant, mais le premier à trahir les promesses d’une citoyenneté qu’on leur survend. 

Les intellectuels le savent mais peu ont le courage de le dire, comme si en ne prononçant pas les mots, on pouvait se préserver des conséquences. Sauf que condamner ces manifestations et les violences qu’elles portent en gestation, sans voir à quel point elles sont alimentées par ceux qui déclarent vouloir les résoudre et s’indignent de leur existence est sans issue.

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Elle n’est pas jolie, votre France des “territoires”

En abandonnant tout idéal collectif, en laissant exploser les inégalités et en misant sur la concurrence sociale, nos dirigeants n’ont fait qu’alimenter le cerveau reptilien au lieu de miser sur l’élévation des consciences. Ces foules énervées sont les enfants des élites qu’elles conspuent. Elles adhèrent au discours très libéral qui refuse l’idée même de nation et ne revendique des droits individuels que pour s’affranchir de tout devoir collectif. Le résultat du sacrifice de la responsabilité collective et du lien à la nation au profit d’un vivre ensemble sans consistance. La France n’est plus un imaginaire, un esprit et un corps symbolique, une histoire enracinée et un projet commun. Elle n’est plus qu’un territoire à revendiquer.


À l’approche de la présidentielle, l’absence de toute issue politique excite les extrêmes qui comptent sur le désordre pour prendre le pouvoir et soumet les effrayés qui sont prêts à reconduire, pour gagner un peu de temps contre ces mêmes extrêmes, ceux dont l’indigence politique alimente pourtant le désordre social. Les ennemis du commun républicain et civilisationnel peuvent perdre une fois encore cette présidentielle, ils savent que le temps permet de faire fructifier toutes les petites affaires communautaristes et totalitaires. En attendant, Emmanuel Macron (ou un de ses avatars) devrait être réélu puisqu’aucune proposition politique ne sort du chemin balisé du ventre mou du progressisme bien-pensant. C’est dire si les samedis devraient continuer à se ressembler, unis sous la bannière du rejet d’élites qui pleurent les effets dont elles alimentent les causes et si une fois de plus la présidentielle devrait atteindre des sommets d’abstention.

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Zabihullah Mujahid: l’égorgeur d’Allah

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Scandaleux, ce titre n’est autre que la traduction du nom et du prénom du porte-parole officiel des talibans. Maintenant que vous connaissez la signification du “blase” de cette “haute figure” afghane, libre à vous de continuer à croire au caractère moins radical du nouveau pouvoir à Kaboul. Analyse.


L’égorgeur d’Allah. Si scandaleux soit-il, ce titre est tout simplement la traduction du nom et du prénom du porte-parole officiel du mouvement taliban, qui vient de s’emparer du pouvoir au grand dam de l’Europe et avec l’aval explicite de Washington. Il s’appelle, ou s’est donné pour nom de guerre, Zabihullah Mujahid, c’est-à-dire textuellement « l’égorgeur d’Allah » ou « l’égorgé d’Allah » (prénom) et son « combattant » (nom), la racine commune d’égorgé et d’égorgeur étant le verbe arabe « zhabaha ». Les journalistes qui couvraient les événements en Afghanistan connaissaient depuis longtemps la voix de Zabihullah mais jamais son visage. Certains croyaient d’ailleurs que c’était un pseudonyme utilisé par plusieurs dirigeants interchangeables de l’organisation talibane pour revendiquer par téléphone telle ou telle action terroriste contre des « collabos » afghans ou des militaires occidentaux. Mais selon la correspondante de la BBC à Kaboul, présente à la première conférence de presse des talibans, le 17 août, Zabihullah Mujahid est bien l’homme avec lequel elle correspondait téléphoniquement ces dix dernières années. Surprise par ses déclarations conciliantes et rassurantes, notamment sur les femmes qui seront libres dans la stricte observance de la charia, elle le décrit tel qu’elle l’a connu au téléphone : un « personnage fanatique » et « assoiffé de sang occidental ».

Un mouvement réformé?

Le moins qu’on puisse dire est qu’il porte parfaitement bien son nom ! Dans les années qui viennent et malgré les promesses anesthésiantes de Zabihullah, les « égorgeurs d’Allah » ne vont pas chômer. Tous les « mauvais » Afghans qui ont cru aux valeurs occidentales, que les Américains, les Britanniques et les Allemands abandonnent aujourd’hui à leur triste destin, vont passer au fil de l’épée. L’identité ou le nom de guerre de ce porte-parole de l’émirat islamique d’Afghanistan annonce à lui seul tout le programme des talibans et il définit l’idéologie barbare, théocratique et totalitaire de cette secte qui a déferlé sur Kaboul le 15 août dernier. Il décline le projet purificateur et génocidaire de cette organisation dont certains médias islamiquement corrects nous présentent déjà comme un « mouvement politico-religieux réformé », ses dirigeants ayant appris de leurs erreurs du passé, plus précisément de leur règne cauchemardesque entre 1996 et 2001. Vingt ans après avoir été évincé du pouvoir, les talibans auraient changé ! C’est leur porte-parole lui-même qui nous le garantit. Et lorsqu’on est de bonne foi… islamique, pourquoi ne pas les croire ? Et même si les mois et les années à venir donneraient raison à Cassandre, il y aura toujours en Occident et notamment en France les tenants du relativisme culturel et les zélotes de l’islamisme « modéré » pour nous expliquer, de façon hégéliano-marxiste, que l’histoire est par définition même tragique et que les révolutions sont toujours violentes. Les plus sophistes gloseront alors sur les victimes expiatoires de la Révolution de 1789 et sur les crimes abominables de Robespierre. Quant aux plus islamophiles, dont les droit-de-l’hommistes et les islamo-gauchistes qui appellent déjà à accueillir les milliers des naufragés Afghans de la realpolitik américaine, ils nous jureraient sur la sainteté du prophète que les égorgés, les suppliciés et les lapidées en Afghanistan ne traduisent aucunement les injonctions d’une charia nécrosée et moyenâgeuse mais le libre arbitre (ijtihâd) de quelques brebis galeuses qui n’ont rien à voir avec le « véritable islam ».

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Nous l’avons écrit il y a 20 ans, « le talibanisme est un hybride qui doit sa naissance au prosélytisme saoudien, au cynisme pakistanais et au machiavélisme américain » pour saigner l’URSS (« L’islam, otage des talibans », Libération du 21 mars 2001). Il n’en demeure pas moins que ces « Moudjahidins de la CIA », comme les appelait Olivier Roy, s’inspirent et se ressourcent dans un Coran qui est allergique à l’herméneutique et d’une Sunna qui résiste à l’historicité. En d’autres termes, le talibanisme n’est pas une altération du vrai islam mais au contraire sa traduction radicalement authentique et littérale. La « cité vertueuse » des talibans n’est pas celle du philosophe platonicien Al-Farabi, mais, disent-ils, la cité fondée par le prophète de l’islam, à Médine, il y a de cela 15 siècles.

Intervenir en 2001 était légitime

Jadis et naguère figure flamboyante du progressisme américain, Madeleine Albright prêchait déjà, dans ses Mémoires (2003), l’ouverture du dialogue avec les « talibans modérés ». C’était à peine deux ans après le cataclysme du 11 septembre 2001 et la décision immédiate de George W. Bush de nettoyer l’Afghanistan du couple maléfique Taliban/Al-Qaïda, une décision que j’avais à l’époque justifiée (« Le virus théocratique », Le Figaro du 3 octobre 2001). Nonobstant la capitulation américaine et la débâcle occidentale du 15 août dernier, je persiste à croire que la destruction en octobre-novembre 2001 de cet « Etat » islamo-mafieux et terroriste était politiquement nécessaire et moralement légitime. Le mollah Omar et le cheikh Ben Laden – tous les deux sous protection pakistanaise – devaient impérativement être supprimés et leur sinistre nébuleuse devait être anéantie. Mais c’est dans la gestion de l’après-victoire, dans la pacification de la société afghane, je dirai même dans leur mission civilisatrice que les occidentaux ont lamentablement échoué, faisant preuve d’indigence, d’impéritie et de naïveté. En 2001, les occidentaux ne se sont pas trompés d’ennemis ni de cibles, mais de peuple ! Ils ont cru pouvoir apporter les Lumières à une société tribale, clanique et ataviquement plus attachée à la charia qu’à la liberté. Comme le disait si bien Rousseau, « La liberté est un aliment de bon suc et de forte digestion qu’il faut des estomacs bien sains pour le supporter ». L’obscurantisme islamiste résiste toujours aux Lumières émancipatrices ; et cela vaut aussi bien en Afghanistan qu’à Molenbeek ou dans certaines « banlieues de l’islam », pour reprendre cette expression à Gilles Kepel.

Et pour preuve : en vingt ans de présence américaine et sous les différents gouvernements « éclairés » qui ont gouverné l’Afghanistan, les burkas n’ont jamais disparu du paysage, ni les écoles coraniques, ni les mariages forcés de filles de douze ans, ni les amputations des voleurs, ni les flagellations publiques des femmes « impures », ni les lapidations d’épouses adultères, voire d’adolescentes coupables d’actes ou de gestes amoureux. Comme sous le régime barbare des talibans, sous l’« Administration intérimaire afghane » (2001), ou sous l’« État transitoire islamique d’Afghanistan » (2002), ou sous la « République islamique d’Afghanistan » (2004-2021), la charia était toujours la source de la constitution et les fatwas avaient force de loi. Malgré quelques acquis élémentaires en Occident mais gigantesques en Afghanistan, comme l’accès des filles à l’éducation et au travail, la réouverture des salles de cinéma, ou la disparition de la police chargée de promouvoir la vertu et de réprimer le vice, rien ou presque n’a véritablement changé dans cette société primitive, dans le sens anthropologique du terme. Sans manquer d’empathie pour ce peuple meurtri, c’est à se demander, avec Rousseau, si la démocratie n’était pas faite pour « un peuple de dieux » car, « un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». Sommes-nous encore capables de faire la distinction tocquevilienne entre la démocratie comme type de régime et la démocratie comme fait social ? Si la démocratie, la modernité, les droits-de-l’homme sont hypothétiquement universels, sont-ils pour autant exportables dans des pays où « la violence et le sacré » sont inextricablement liés et où la loi d’Allah est supérieure aux lois positives ? La démocratie n’est-elle pas consubstantiellement liée à la sécularisation ? 

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Le déclin de l’hyperpuissance américaine

Par-delà ces interrogations philosophiques que les idiots utiles de l’islamisme modéré ont largement le temps de méditer, l’heure est au bilan et surtout à l’anticipation des conséquences politiques, géopolitiques et sécuritaires du désastre afghan. Étonné que l’armée afghane n’ait point livré bataille face à la déferlante talibane, Joe Biden a déclaré : « nous avons dépensé plus de 1000 milliards de dollars sur 20 ans… Nous avons formé et équipé d’un matériel moderne plus de 300 000 soldats afghans ». Le président américain ne pouvait pas deviner l’évidence, à savoir que les soldats de cette armée biface et réversible sont d’abord des Afghans, que leur conception de l’islam est identique à celle des talibans, qu’au plus profond de leur conscience, il y a les envahisseurs impies et les libérateurs musulmans, qu’après tout, les talibans sont leurs compatriotes et leurs frères en religion, qu’après avoir incarné la vénalité, leur président Ashraf Ghani a été le premier à donner l’exemple du déserteur, qu’une grande partie des milliards de dollars est allée dans les poches des corrompus, du plus haut de la pyramide jusqu’à la base, que la corruption n’est jamais univoque mais réciproque, que leurs alliés pakistanais et qataris ont joué un rôle déterminant dans le triomphe des talibans et, après leur défaite de 2001, dans leur restructuration et leur résurrection…

Manifestation d’anciens interprètes afghans, interpellant les USA et l’OTAN, le 30 avril 2021, à Kaboul, Afghanistan © Mariam Zuhaib/AP/SIPA, Numéro de reportage : AP22567813_000014

Quant aux effets directs du fiasco américain en Afghanistan, ils seront considérables et de portée géopolitique majeure. Déjà amochée par la présidence clownesque de Donald Trump – le signataire des accords de Doha sur le transfert « pacifique » du pouvoir aux talibans -, une présidence qui s’est par ailleurs achevée dans l’invasion du Sénat par des hordes fanatisées, la démocratie américaine n’est plus un paradigme attrayant, encore moins un modèle mobilisateur pour les autres nations du monde. Le déclin de l’hyperpuissance, conjecturé par Hubert Védrine, est en marche et plus rien ne l’arrêtera. Première bénéficiaire de ce déclin, la Chine de Sun Tzu, de Mao Zedong et de Deng Xiaoping, qui trace paisiblement sa nouvelle route de la soie, qui lorgne déjà les richesses souterraines afghanes, un potentiel de 1000 milliards selon des estimations onusiennes, et qui ne va plus tergiverser dans l’annexion pure et simple de Taiwan.

Plus de 80% de l’opium consommé dans le monde

Considérée par les islamistes comme une victoire divine et une revanche posthume de Ben Laden, la chute de Kaboul annonce aussi la retransformation de l’Afghanistan en sanctuaire pour l’internationale islamo-terroriste, des Frères musulmans à Daech en passant par Al-Qaïda, Al-Nosra, Boko Haram… Toutes ces organisations terroristes qui ont voulu détruire la Syrie avec la complicité active des États-Unis et de l’Europe. La civilisation occidentale alliée à la barbarie islamiste ! Avec l’apothéose des talibans, la démultiplication des « égorgeurs d’Allah » dans le monde, notamment occidental, est inéluctable. La prolifération métastatique de la drogue l’est tout autant. Selon un rapport de l’ONU (UNODC) en 2020, 84% des drogues opiacées vendues dans le monde venaient d’Afghanistan. Il faut savoir que pour les narco-talibans, le pavot et l’héroïne constituent à la fois une manne colossale d’argent et une arme de destruction massive de l’ennemi occidental. Anéantir la civilisation de ces pays « décadents » et « mécréants » est un djihad licite, un devoir religieux.

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Cette destruction civilisationnelle s’effectuera également par les invasions migratoires, que certains continuent de couvrir pudiquement par la « libre circulation des personnes » ou le « droit humanitaire ». Depuis 2018, la France accueille chaque année près de 10 000 réfugiés afghans dont on célèbrera bientôt l’intégration de la culture pachtoune, au nom du multiculturalisme et de la diversité. Si le sauvetage des quelques centaines d’Afghans qui ont cru aux valeurs universelles et qui ont prêté main forte aux ONG et aux institutions occidentales est un devoir moral, l’accueil de milliers et de millions de fuyards Afghans serait en revanche une faute politique grave. Ces derniers doivent résister au régime taliban et le premier impératif moral, politique, géopolitique, civilisationnel et sécuritaire de l’Occident serait de les assister par tous les moyens en soutenant le premier des résistants irréductibles : Ahmad Massoud, le fils du légendaire « Lion du Panshir », trahi par l’Occident avant d’être assassiné, deux jours avant le cataclysme du 11 septembre 2001, par deux terroristes tunisiens, réfugiés « politiques » en Belgique après avoir mené le djihad en Tchétchénie ! C’était l’époque où l’islamisme et l’atlantisme faisait bon ménage. 

Non, Nicolas n’est pas le deuxième prénom le plus donné aux petits-fils d’immigrés maghrébins!

Un article scientifique d’avril 2019 dans la revue Population et sociétés indique qu’en France métropolitaine, en 2008, les prénoms les plus fréquents chez les petits-fils d’immigrés du Maghreb seraient « Yanis » et « Nicolas »


Vient de paraître, en ligne sur le portail scientifique HAL-SHS, une étude tout à fait singulière. 

Signée Jean-François Mignot, socio-démographe au CNRS associé au Groupe d’Étude des Méthodes de l’Analyse Sociologique (Gemass) à la Sorbonne, elle tente de reproduire une étude déjà publiée pour en vérifier les résultats. Il s’agit d’un Population & Sociétés sur les prénoms des descendants d’immigrés qui avait fait grand bruit à sa sortie dans la plupart des médias, du Monde à Valeurs actuelles, sans soulever la moindre interrogation car, comme l’écrivait Libération « cette fois-ci, c’est du lourd, c’est l’Institut national d’études démographiques ». Les auteurs en étaient Baptiste Coulmont, sociologue spécialiste des prénoms [1] et Patrick Simon, socio-démographe de l’Institut national d’études démographiques (Ined) qui travaille sur l’immigration et les discriminations. 

L’étude contestée a été menée à partir de l’enquête Trajectoires et origines de 2008 (TeO2008). Elle concluait que les petits-enfants d’immigrés du Maghreb recevaient des prénoms « proches de ceux que la population majoritaire donne à ses enfants ». Il faut entendre par population majoritaire, la population ne comprenant ni immigrés ni Domiens, ni leurs enfants. Nicolas aurait été ainsi le deuxième prénom le plus donné par les enfants d’immigrés maghrébins à leurs enfants et 23 % seulement des petits enfants d’immigrés maghrébins auraient reçu un prénom arabo-musulman. Soit à peine plus de prénoms typiques de leur origine que ceux des petits enfants d’immigrés d’Europe du Sud (16 %). 

Le Petit Nicolas a disparu

Jean-François Mignot s’est demandé comment les spécialistes de la question pouvaient être passés à côté d’un tel phénomène. Mais c’est le classement en deuxième position du prénom « Nicolas » parmi ceux attribués aux petits-enfants d’immigrés qui l’a fait tiquer. Il relevait ainsi que lorsqu’« on examine les prénoms attribués aux naissances annuelles en Seine-Saint-Denis de 1980 à 2014, le nombre de “Nicolas” n’a cessé de baisser (de 450 en 1980 à moins de 50 dans les années 2010) » (p. 13). Où se « cachaient » donc ces petits Nicolas s’ils n’étaient pas en Seine-Saint-Denis ? 

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Jean-François Mignot a donc cherché à savoir ce qu’avaient fait précisément les deux chercheurs en question : quelle méthodologie, quels échantillons précis retenus, sachant que l’information sur les petits-enfants est recueillie de manière indirecte à partir des déclarations des enfants d’immigrés enquêtés et que, par ailleurs, sont connus les prénoms de tous les habitants du ménage des enquêtés ? Le Population & Sociétés de quatre pages ne contient qu’un encadré méthodologique succinct livrant peu d’informations utiles, en tout cas rien qui permette de refaire le travail avec certitude. Et lorsque Jean-François Mignot a essayé d’en savoir un peu plus, il s’est rendu compte que la classification des prénoms utilisée n’était pas celle décrite dans l’encadré. Sa curiosité en a été piquée et il a cherché à obtenir les informations qui lui permettraient de refaire le travail afin de vérifier les résultats affichés dans le Population & Sociétés. Mal lui en a pris car les auteurs, l’Ined, sa directrice, le directeur de publication, le responsable de l’intégrité scientifique l’ont « balladé » pendant vingt mois et ont tout tenté pour éviter de lui communiquer les documents nécessaires à la reproduction du travail à partir de TeO2008. Lui furent au final communiqués une nomenclature des prénoms utilisable, après avoir essayé de lui en refourguer une qui ne l’était pas, et un programme informatique incomplet. « Entre tentatives d’esquive, manœuvres dilatoires, multiplication de fausses excuses, faux-semblants, mensonges purs et simples, non-respect des engagements pris et autres combines, les auteurs et l’INED n’ont pas cessé de violer les règles de l’intégrité scientifique et de la “Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche” » [2] écrit Jean-François Mignot (p. 23).

Une exploitation erronée de bonne foi ?

Après bien des péripéties, il a donc refait le travail au plus près de celui supposément conduit par les auteurs. Après avoir examiné les prénoms de l’entourage des petits enfants d’immigrés maghrébins et avoir établi des critères stricts de distinction, il s’est avéré que les Nicolas étaient presque tous des petits-fils de pieds-noirs dont les parents avaient été classés à tort comme enfants d’immigrés du Maghreb : 9 sur 11 Nicolas. D’ailleurs, l’auteur s’étonne à raison de la publication d’un résultat reposant sur un effectif aussi réduit de Nicolas. Quoi qu’il en soit, après avoir exclu les descendants de pieds-noirs indûment classés comme descendants d’immigrés du Maghreb, les deux prénoms les plus fréquents donnés aux petits-fils d’immigrés du Maghreb ne sont plus Yanis et Nicolas mais Karim et Nassim. Ce ne sont plus seulement 23 % des petits enfants d’immigrés du Maghreb qui ont reçu un prénom arabo-musulman mais 49 %, d’après la nomenclature de l’Ined.

Comment expliquer pareille impasse de la part des auteurs ?

Jean-François Mignot ne croit pas à une exploitation erronée de bonne foi. En effet, la difficulté posée par la distinction entre migrants d’Algérie et pieds-noirs dans les enquêtes est bien connue et ne peut avoir échappé aux deux chercheurs. Pour accepter leurs résultats, il leur a fallu trouver normal que la moitié seulement des petits-enfants d’immigrés du Maghreb aient au moins un parent musulman : « On peine à envisager que des chercheurs compétents, des spécialistes comme Coulmont et Simon aient pu croire en la fiabilité des résultats qu’ils ont publiés. Il est plus vraisemblable qu’ils ne savaient que trop bien que leurs spectaculaires résultats étaient faux. C’est pourquoi, dès fin avril, début mai 2019, ils ont empêché leur libre examen » (p. 66). 

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Cette « fraude scientifique » a été possible en raison de la complaisance de l’Ined, mais plus généralement de l’écosystème de recherche sur la question migratoire. Notamment celle des centaines de chercheurs de l’Institut Convergences Migrations dirigé par François Héran et où Patrick Simon est responsable de l’un des quatre départements (INTEGER). Jean-François Mignot évoque aussi « un climat d’impunité plus général en sciences sociales » (p. 71), domaine où la rétractation d’articles bidonnés est rarissime.

C’est pourtant ce qu’il demande, la rétractation en bonne et due forme (publication par l’Ined d’une notice de rétractation et article maintenu en ligne, barré en rouge par le mot « rétracté » sur chacune des quatre pages) du Population & Sociétés N° 565. Si l’Ined obtempère, ce serait une première !

Le travail de Jean-François Mignot est celui d’un chercheur n’appartenant ni au champ d’études des migrations ni à celui de l’étude des prénoms qui ne peut être soupçonné de quelque rivalité malsaine avec les deux auteurs. Jean-François Mignot est plutôt un lanceur d’alerte dans un milieu académique peu enclin à la remise en question : « En biaisant les faits publiés et communiqués aux journalistes, au grand public et aux pouvoirs publics, les méconduites scientifiques sapent la confiance dans la recherche et dégradent le débat démocratique. Si la recherche en sciences sociales doit aider à éclairer le débat public et à lutter contre certaines idées colportées par des militants de tous bords, c’est en apportant aux citoyens des arguments factuels, fondés sur une méthode scientifique dénuée d’idéologie » (p. 7). 

Pour conclure, il faut ajouter que le document mis en ligne, s’il compte 357 pages, est astucieusement conçu. Nul n’est obligé de tout lire pour savoir de quoi il retourne puisqu’il comprend un très court résumé d’une page (p. 2) [3] , un résumé de cinq pages (p. 3-7) et un texte plus développé (p. 8-85), suivi d’annexes détaillées que seuls les « mordus » liront…

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[1] Travaillant à l’Université Paris 8 au moment où il signe le Population & Sociétés.

[2] https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/16/ined_charte_deontologie.comite.ethique.fr.pdf

[3] Résumé qui figure aussi sur le site Academia et qui donne accès en un clic à l’ensemble du texte : https://www.academia.edu/50978335/Pr%C3%A9noms_des_descendants_dimmigr%C3%A9s_en_France_Essai_de_reproduction_dun_article_scientifique.

Darmanin bien seul face au trafic de drogue

Après la mort d’un adolescent de 14 ans sur fond de trafic de drogue à Marseille, le ministre de l’Intérieur assure dans les médias que son gouvernement met tout en place pour harceler les trafiquants. Selon lui, « fumer du cannabis, avoir de la cocaïne sur soi, c’est être complice de la mort de ce jeune homme » et « parfois, financer des réseaux criminels et terroristes. » Cela dit, tout le monde ne pense pas exactement la même chose dans la majorité, loin de là.


On peut ironiser sur l’hyperbole utilisée par Gérald Darmanin pour évoquer les revenus des dealers et appeler à moins de naïveté, reste que sur le fond le ministre de l’Intérieur à raison de réaffirmer la nécessité de lutter contre le trafic de drogue, y compris de cannabis. Il y a d’autres critiques à lui faire, mais se focaliser sur cette exagération rhétorique c’est lui intenter un mauvais procès au lieu de réfléchir à l’essentiel.

Oui, Gérald Darmanin a raison de rappeler clairement l’impérieuse nécessité du combat contre les trafics de drogues. Oui, il a raison de dire que la légalisation du cannabis serait une défaite morale. Oui, il a raison de déclarer que les consommateurs des « beaux quartiers » ont eux aussi une lourde part de responsabilité dans les crimes commis par ces trafiquants qu’ils contribuent à financer, et on ne peut que se réjouir que le ministre ait abordé ce point trop peu évoqué. Ce sont là des positions courageuses, et la détermination du ministre face au fléau de la drogue est d’autant plus louable qu’elle s’oppose aux souhaits d’une part non négligeable de l’électorat notoirement « bobo » de son parti.

Les trois erreurs de Darmanin

On connaît les arguments en faveur de la légalisation du cannabis, des mauvaises excuses de consommateurs mondains à l’espoir naïf qu’il sera plus facile de lutter contre un problème de santé publique que contre un problème de délinquance. Ce n’est malheureusement pas si simple : l’image « cool » de la drogue est en elle-même un fléau, dans lequel certains politiques ont d’ailleurs une lourde responsabilité, et la légalisation serait à la fois une défaite morale, une faute politique et une erreur stratégique. Il est heureux que le ministre de l’Intérieur partage cette analyse.

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Faut-il pour autant se contenter d’applaudir ? Non, hélas, car malgré toutes ses bonnes intentions Gérald Darmanin fait trois erreurs de fond.

La première est de ne pas aller au bout de sa propre réflexion lorsqu’il évoque l’incohérence – pour ne pas dire l’hypocrisie – de certaines municipalités, par exemple au sujet de la vidéo-protection. Le ministre n’en est évidemment pas responsable, pas plus qu’il n’est responsable de la tendance lourde de l’État, depuis des décennies, à se désengager de ses responsabilités régaliennes pour les transférer aux collectivités : le rôle de plus en plus crucial des polices municipales le prouve. Celles-ci ne cessent de monter en gamme, souvent plus présentes sur le terrain que la police nationale car moins vampirisées par les tâches annexes et le poids croissant du formalisme de la procédure pénale : plus des trois quarts du temps consacré à une enquête judiciaire est aujourd’hui accaparé par des points de pure forme au détriment de la recherche de la vérité. Reste que ce désengagement de l’État n’est pas acceptable : qu’en est-il des communes qui n’ont pas les moyens de financer des polices municipales suffisamment étoffées ? Qu’en est-il des habitants de ces villes dont, par idéologie ou clientélisme, les élus refusent de faire le nécessaire ? Les missions régaliennes sont à la fois la responsabilité de l’État et le fondement de sa légitimité, il est plus que temps qu’il les assume à nouveau, et il serait du devoir du ministre de l’Intérieur d’agir dans ce sens.

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Une priorité chasse l’autre

La seconde relève du management : à chaque fait divers, une priorité nouvelle. Aujourd’hui la drogue, demain les violences intra-familiales, après-demain l’immigration illégale, le jour suivant le contrôle des mesures « sanitaires », puis des manifestations anti-pass et de la contestation sociale, puis de nouveau la drogue, ad nauseam. Et les forces de l’ordre ont justement la nausée de ces chaises musicales de priorités, l’une chassant l’autre au gré des bandeaux de BFM TV et des indignations fluctuantes des réseaux sociaux. Quand tout est prioritaire, plus rien ne l’est. Il est probable que Gérald Darmanin prenne réellement à cœur la lutte contre les trafics de drogue, et c’est tout à son honneur : qu’il veille alors à ne pas démotiver ses troupes en cédant à la facilité de la « priorité du moment » qui ne sert qu’à se concilier temporairement telle ou telle association et surtout à se dédouaner en cas de coup dur : « j’avais donné des ordres » – sans jamais préciser que ces ordres étaient contradictoires, et rendus inutiles du seul fait de leur accumulation et de leur déconnexion totale des moyens humains et matériels dont disposent les services concernés.

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La troisième erreur, la plus grave, est de ne pas aborder de front le problème de la réponse pénale. Partout où les magistrats se montrent d’une complaisance coupable envers les dealers, le ministre de l’Intérieur et les forces de l’ordre sont impuissants, et tous les discours, toutes les déclarations d’intention, toutes les priorités affichées du monde n’y pourront rien changer. La contraventionnalisation de certains actes relatifs aux trafics de stupéfiants permet de contourner ce problème, en permettant une sanction systématique et non soumise à l’arbitraire de l’institution judiciaire, mais elle ne fait justement que contourner le problème, elle ne l’affronte pas. Il y a trois mois, les policiers descendaient dans la rue et huaient un garde des Sceaux applaudi par les détenus : tout est dans ce symbole. Bien sûr, les magistrats ne sont pas seuls responsables : ce sont les élus qui votent des lois systématiquement plus soucieuses des droits des criminels que de ceux de leurs victimes. Ce sont les élus qui valident l’impunité d’une corporation qui, de plus en plus, prétend se situer au-dessus de la volonté générale. Reste qu’il est grand temps que les juges, comme n’importe quel citoyen y compris dans l’exercice de sa profession, rendent des comptes sur les conséquences de leurs actes. Face à cet enjeu majeur, on aimerait que le ministre de l’Intérieur ne se contente pas de ronchonner en coulisses contre Dupond-Moretti pour finalement répéter comme lui à chaque drame absurde que « il n’y a pas eu de dysfonctionnement » car « l’état de droit a été respecté. »

En résumé, que Gérald Darmanin s’oppose à la franche la plus à gauche de LREM pour défendre la lutte contre les trafics de stupéfiants et refuser la légalisation du cannabis est une excellente chose. Mais tant que l’État se désengagera du régalien, que la valse des priorités au rythme des sautes d’humeur médiatiques perdurera, et que les juges pourront continuer à n’en faire qu’à leur tête sans devoir assumer les conséquences de leurs décisions, il est à craindre que les beaux discours ne restent, comme si souvent, que du marketing.

Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Seine Saint-Denis, Paris intra-muros… mais aussi Rennes ou Limoges (!): la proportion des 0-18 ans nés de parents extra-européens explose dans de nombreuses aires urbaines. Un basculement démographique historique. Analyses.


Depuis de nombreuses années, la question des statistiques ethniques constitue un sujet brûlant au sein des débats relatifs au fait migratoire, à son approche scientifique et à ses répercussions dans la société française. 

En effet, la jurisprudence en vigueur du Conseil constitutionnel considère que « si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes (…) peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race » (décision du 15 novembre 2007 [1]).

Néanmoins, si la constitution de bases de données fondées sur la « race » ou l’origine ethnique auto-déclarée – telles qu’elles existent notamment aux États-Unis ou en Grande-Bretagne – demeure formellement interdite, il n’en va pas de même quant à l’origine nationale des individus. En se fondant sur les données du recensement, l’INSEE entretient ainsi tout un appareil statistique relatif au nombre d’immigrés vivant en France (NB : sont seuls considérés comme immigrés les individus nés étrangers à l’étranger), au nombre d’enfants nés de parents immigrés et aux pays d’origine de ceux-ci.

C’est sur cette base que France Stratégie, organisme de prospective rattaché au Premier ministre, a rendu publique en 2020 une vaste étude consacrée à « la ségrégation résidentielle en France ».  

Le champ de l’étude

Se penchant sur les données INSEE disponibles pour les 55 « unités urbaines » françaises comptant plus de 100 000 habitants, les équipes de France Stratégie ont élaboré une cartographie détaillée visant à comprendre « l’inégale répartition dans l’espace urbain des différentes catégories de population » au regard de plusieurs critères mesurés en 2017 : la tranche d’âge, le statut d’activité (actifs occupés / chômeurs / inactifs), la catégorie socio-professionnelle, le statut d’occupation du logement (HLM ou autre)… Mais aussi l’origine migratoire directe : les immigrés et leurs enfants.

Grâce à un travail exhaustif de transposition cartographique qu’il convient de saluer, le site créé pour l’occasion permet de visualiser, pour chacune des grandes et moyennes agglomérations françaises :

  • Le pourcentage d’immigrés européens / extra-européens parmi les 25-54 ans ;
  • La part d’enfants nés de parents immigrés européens / extra-européens parmi les 0-18 ans.

En mobilisant la profondeur des données du recensement, ce site propose de visualiser l’historique de ces statistiques sur plusieurs jalons des cinquante dernières années : en 1968, 1975, 1990, 1999 et 2017 – dernière année étudiée. Il est ainsi possible d’obtenir une vision fidèle des transformations démographiques majeures qu’ont connu les villes françaises au cours du demi-siècle écoulé. 

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Ledit travail de cartographie est réalisé à la fois au niveau des communes et des zones IRIS (« Ilôts regroupés pour l’information statistique »), lesquelles correspondent à un découpage par quartier d’environ 2 000 habitants chacun appliqué par l’INSEE. Le choix de ce maillage fin nous offre une véritable précision dans l’analyse géographique des phénomènes.

Au regard des éléments très riches ainsi mis à disposition, force est de constater que les mutations générées par les flux migratoires sont particulièrement frappantes, tout comme les phénomènes de séparation géographique qu’elles induisent dans l’ensemble des métropoles. 

Nous proposons d’examiner ici quelques exemples significatifs, en nous focalisant sur un même indicateur : le pourcentage des 0-18 ans nés d’immigrés extra-européens et son évolution depuis 1990.

Commençons par deux zooms dans l’unité urbaine de Paris, qui porteront sur :

  1. Le département de la Seine-Saint-Denis,
  2. La capitale intra-muros.

La Seine-Saint-Denis

Les données INSEE cartographiées par France Stratégie nous apprennent que les enfants immigrés ou nés de parents immigrés extra-européens sont majoritaires parmi les 0-18 dans plus de la moitié des communes de Seine-Saint-Denis en 2017.

Ce basculement est particulièrement marqué dans certaines communes :

  • La Courneuve : 75% des 0-18 ans sont nés de parents immigrés extra-européens (moins d’un quart des mineurs résidant sur la commune est donc d’origine française ou européenne) 
  • Villetaneuse : 73%
  • Clichy-sous-Bois : 72%
  • Aubervilliers : 70%.
  • Pierrefitte-sur-Seine : 69%

Si l’on procède à la même analyse par zone IRIS, on se rend compte que les pourcentages concernés sont encore plus élevés dans certains quartiers de ces villes – jusqu’à 84% dans certaines zones de Clichy-sous-Bois :

En 1990, si ces taux étaient déjà nettement plus élevés en Seine-Saint-Denis que la moyenne nationale, ils étaient néanmoins beaucoup plus faibles qu’aujourd’hui :

  • A la Courneuve, la proportion d’enfants d’immigrés extra-européens a augmenté de 60% entre 1990 et 2017.
  • A Pierrefitte-sur-Seine, la proportion d’enfants d’immigrés extra-européens a augmenté de 102% : elle a donc plus que doublé.

Paris intra-muros

Les enfants d’immigrés extra-européens représentent jusqu’à la moitié des 0-18 ans résidant dans certains arrondissements parisiens :

  • 50% dans le XIXème arrondissement
  • 43% dans le XVIIIème
  • 42% dans le XXème
  • 41% dans le XIIIème

Au-delà des moyennes par arrondissement, l’analyse des statistiques disponibles par quartier permet d’identifier les zones de la capitale où cette mutation démographique est plus accentuée encore :

  • Clignancourt / Porte de Saint-Ouen (XVIIIème) : 72% des 0-18 ans sont issus de parents immigrés extra-européens
  • Stalingrad / avenue de Flandre (XIXème) : 71%
  • Porte de la Chapelle (XVIIIème) : 66%
  • Porte de Pantin (XIXème) : 66%

D’autre part, l’analyse au niveau des IRIS permet d’établir à quel point la population de Paris s’apparente désormais à un véritable « archipel » – pour reprendre l’expression fameuse de Jérôme Fourquet. Au sein d’un même arrondissement voisinent parfois des quartiers à la composition démographique radicalement différente. Il en va ainsi du XVIIIème :

  • Laumarck-Caulaincourt : 12% d’enfants d’immigrés extra-européens parmi les 0-18 ans
  • Château-Rouge (à 900 mètres de distance) : 66%

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En 1990, si la population immigrée était déjà plus forte à Paris qu’ailleurs, les taux en question étaient cependant beaucoup plus faibles. On a assisté à une explosion de la part de la natalité extra-européenne sur les trois dernières décennies : + 25 points en moyenne dans toute l’agglomération parisienne, avec une diffusion dans l’ensemble des arrondissements intra-muros.

Si la métropole parisienne constitue sans conteste la pointe avancée des transformations démographiques générées par l’immigration extra-européenne, les données compilées par France Stratégie démontrent néanmoins que les mêmes dynamiques sont à l’œuvre sur l’ensemble du territoire national. Nos lecteurs peuvent obtenir les données cartographiées pour leur ville sur le site https://francestrategie.shinyapps.io/app_seg/

Nous nous limiterons ici à analyser brièvement deux exemples particulièrement parlants, car portant sur des villes de province qui n’ont jamais constitué des « terres d’immigration » au XXème siècle :

  1. Une grande ville de l’Ouest : Rennes
  2. Une ville moyenne située dans la « diagonale du vide » : Limoges

Rennes et sa métropole

À l’instar du reste de la Bretagne, la région rennaise est longtemps restée à l’écart des différentes vagues d’immigration reçues par la France depuis le XIXème siècle. Cela est resté le cas pour les flux extra-européens… jusqu’à ces dernières années – ainsi que le démontrent les données INSEE.

Les enfants de parents immigrés extra-européens représentent désormais presqu’un quart (22,8%) des 0-18 ans vivant dans l’agglomération de Rennes en 2017. Si certaines communes périphériques restent encore peu concernées par cette mutation, celle-ci est spectaculaire dans plusieurs quartiers de Rennes – où les jeunes d’origine extra-européenne sont parfois majoritaires :

  • Le Blosne : 51% des 0-18 sont des enfants d’immigrés extra-européens
  • Villejean / Beauregard : 50%
  • Bréquigny : 45%

Cet aspect spectaculaire prend encore plus de sens lorsqu’il est mis en rapport avec les cartes de 1990 : le pourcentage d’enfants de parents extra-européens parmi les jeunes de la métropole rennaise a été multiplé par 3 en moins de 30 ans (passant de 7,7% à 22,8%). Dans certains quartiers, cette augmentation est vertigineuse :

  • À Villejean-Beauregard, la part des jeunes nés d’immigrés extra-européens a augmenté de 355% en 27 ans
  • À Brequigny, cette proportion a augmenté de 221%

Limoges et son aire urbaine

Capitale du Limousin rural et enclavé, la ville de Limoges et ses environs n’ont – comme la Bretagne – pas constitué un lieu d’arrivée ordinaire des flux d’immigration vers la France. L’isolement géographique et la structure économique de la région ne se prêtaient pas à une « attractivité » de cette nature. Pourtant, en 2017, les cartes de France Stratégie dévoilent une démographie limougeaude largement perfusée par l’immigration extra-européenne. 

Les enfants de parents immigrés extra-européens représentent en moyenne plus d’un quart (27,5%) des 0-18 ans vivant dans l’unité urbaine de Limoges. Ils sont même nettement majoritaires dans certains quartiers :

  • Les Portes Ferrées / Saint-Lazare : 61% des 0-18 sont des enfants d’immigrés extra-européens
  • Ester / Beaubreuil : 61%
  • Corgnac / Val de l’Aurance : 58%

En 1990, les enfants de parents extra-européens ne représentaient que 10,2% des 0-18 ans dans l’agglomération de Limoges ; leur part a donc augmenté de 170% en moins de trente ans. Si cette hausse est générale, les mêmes quartiers sont à la pointe de ce phénomène :

  • Dans la zone de Corgnac / Val de l’Aurance, la part des jeunes nés d’immigrés extra-européens a augmenté par exemple de 262% en 27 ans
  • Aux Portes Ferrées, elle a augmenté de 165%

Cependant, outre la hausse globale, l’aspect le plus remarquable de la situation limougeaude réside dans des communes et des quartiers qui n’étaient absolument pas concernés par l’immigration extra-européenne voici 27 ans, mais dont la population jeune en est aujourd’hui issue dans une part importante. Pour citer quelques uns de ces territoires :

  • Dans la ville de Panazol (la plus peuplée de l’unité urbaine après Limoges), les enfants d’immigrés extra-européens représentaient 1% des 0-18 sur le territoire communal en 1990 ; ils sont désormais 15% en 2017 – soit une multiplication par quinze de cette part ;
  • À Isle, ils étaient 2% en 1990 ; ils sont 18% en 2017 – soit une multiplication par neuf ;
  • Au Palais-sur-Vienne, ils étaient 5% en 1990 ; ils sont 24% en 2017 – soit une multiplication par cinq.

Les angles morts de cette étude

Il apparaît utile de préciser que les données INSEE mobilisées par France Stratégie seraient sous-évaluées si l’on cherchait à les utiliser pour estimer la part complète de telle ou telle origine « ethnique » au sein d’une population – et ce pour deux raisons principales : 

  1. Ce calcul n’inclut pas la « troisième génération », celle des enfants nés de grands-parents immigrés extra-européens ;
  2. Il n’intègre probablement que très partiellement la présence de mineurs immigrés clandestins (sachant que la population totale des immigrés illégaux dans la seule Seine-Saint-Denis est estimée entre 150 000 et 450 000 individus d’après un rapport parlementaire de 2018 [2]).

Les données ici présentées ne remplacent donc pas les « statistiques ethniques », objets récurrents de polémiques et d’obstacles juridiques, dont la démographe Michèle Tribalat considère pourtant qu’elles sont « indispensables à la connaissance » [3].

Par ailleurs, la double dynamique induite par la surnatalité des populations immigrés et l’accélération de l’immigration au cours des dernières années (cf partie « Pourquoi un tel bouleversement ? ») conduisent à penser que les données ici compilées en 2017 sont déjà significativement dépassées.

Enfin, l’approche englobante de la catégorie des « 0-18 ans » ne donne pas une idée aussi précise que possible des dynamiques en cours. Au vu de la tendance dessinée par ces cartes, on peut imaginer que la proportion d’enfants d’immigrés extra-européens est plus forte chez les 0-5 ans ou les 0-10 ans que chez les 10-18 ans. Une telle segmentation statistique aurait permis de percevoir de façon plus précise l’accélération des transformations démographiques en cours, ainsi que leur impact à venir sur l’ensemble des catégories d’âge 

Pourquoi un tel bouleversement ?

Les transformations démographiques ici décrites – qu’il faut bien reconnaître comme sans précédent dans notre Histoire par leur nature, leur ampleur et leur rapidité – sont liées à la conjonction de deux moteurs migratoires, lesquels ne cessent d’accélérer leurs cadences et de se nourrir réciproquement :

  1. La poursuite et l’accélération de l’immigration vers la France

Pour la seule année 2019, 469 000 étrangers se sont légalement installés sur le territoire national (titres de séjour accordés + demandes d’asile enregistrées + mineurs étrangers reconnus « isolés » [4]), soit un record absolu. Il faut ajouter à cela les entrées clandestines, difficiles à chiffrer par nature mais que l’on peut estimer à plusieurs dizaines de milliers par an.

  1. La surnatalité des populations immigrées par rapport aux natifs. 

Sur une période de vingt années entre 1998 et 2018 :

  • Le nombre de naissances d’enfants dont au moins un parent est étranger a augmenté de 63,6%
  • Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont étrangers a progressé de 43%.
  • Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont français a baissé de 13,7% [5].

En 2018, près d’un tiers des enfants nés en France (31,4%) ont au moins un parent né à l’étranger [6].

Emmanuel Macron à Montpellier le 19/04 © Patrick Aventurier-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01015121_000106

Les femmes immigrées ont un taux de fécondité de 2,73 enfants par femme en moyenne, contre 1,9 pour les natives [7]. Ce contraste est encore plus marqué pour certaines nationalités extra-européennes : ledit taux s’élève à 3,6 enfants par femme en moyenne pour les immigrées algériennes, 3,5 enfants par femme pour les immigrées tunisiennes, 3,4 enfants par femme pour les immigrées marocaines et 3,1 enfants par femme pour les immigrées turques, ce qui est plus élevé que la fécondité de leurs pays d’origine (respectivement 3 ; 2,4 ; 2,2 ; 2,1).

Malgré ses limites, l’analyse à laquelle nous venons de nous livrer démontre que les effets cumulés de l’immigration et des différentiels de fécondité ont d’ores et déjà modifié significativement la population française dans les grandes et moyennes agglomérations – et qu’ils continuent de le faire. 

Une fois posé ce diagnostic incontestable, il est permis à chacun de s’interroger sur les conséquences d’un tel basculement à court, moyen et long terme, étant entendu qu’il ne pourra cesser de s’amplifier « naturellement » sans la mise en œuvre d’une volonté politique contraire.

> Retrouvez l’intégralité des articles de l’Observatoire sur leur site http://observatoire-immigration.fr <


[1] Décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, « Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile » (site du Conseil constitutionnel)

[2] Rapport d’information sur l’évaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2018 (rapport CORNUT-GENTILLE-KOKOUENDO).

[3] Entretien au Figaro, 26 février 2016 (lien)

[4] Sources : Ministère de l’Intérieur et OFPRA

[5] Statistiques de l’état civil de l’INSEE et du document « T37BIS : Nés vivants selon la nationalité des parents (Union européenne à 28 ou non). Calculs : OID. https://observatoire-immigration.fr/natalite-et-immigration/

[6] Op. cit.

[7] Interview de François Héran, professeur de démographie au Collège de France, par Ivanne Trippenbach pour L’Opinion, 4 octobre 2019 (Lien

[8] François Héran, op. cit.

Les antivax, une minorité vindicative pas tout à fait comme les autres

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Le complotisme est un nouvel axe du mal. Et si le choc des civilisations redouté par Samuel Huntington était interne, finalement? À droite, entre ceux qui acceptent la politique sanitaire et les anti-vaccins, le dialogue est rompu.


L’été dernier fut celui des déboulonneurs, souilleurs, censeurs et autres effaceurs de la cancel culture. 

Il fallait en finir avec les statues, les livres, les films et tout ce que les nouveaux éveillés (« woke ») considéraient comme patriarcal, sexiste ou colonialiste (la maison de Dickens, la Petite Sirène de Copenhague, Scarlett O’Hara et même la musique de Beethoven considérée comme trop « blanche »). Cet été aura été celui des conspi antivax, anti-passe et dissidents en tout genre. Pour eux, il s’agissait de dénoncer la « dictature sanitaire », l’hitlérisation des gouvernants et pour certains, l’empoisonnement pur et simple de la population. 

Minorités bruyantes

Dans les deux cas, nous aurons eu affaire à une offensive des minorités. Aux sectes universitaires soi-disant éclairées se seront ajoutées les sectes anti-sanitaires soi-disant libres. À la déconstruction culturelle aura fait écho la déconstruction médicale. L’inclusif se sera senti pousser des ailes, l’obscurantiste aura eu le vent en poupe. Contre toute attente, aura eu lieu cette intersectionnalité aberrante (et inconsciente) des puritains et des anarchistes, des rigoristes et des rebelles, des pointures et des ploucs, chacun s’enfermant dans sa communauté, jouissant de la révolution culturelle à faire ou de l’apocalypse politique à venir. Plèbe d’en haut, plèbe d’en bas, comme aurait dit Nietzsche. Et guerre non plus tant entre cultures qu’à l’intérieur même de notre culture. C’est cela qu’a révélé cette crise sanitaire, la plus clivante de l’histoire récente et qui nous oblige à revoir nos logiciels. 

On ne peut certes présager de l’avenir mais telles que les choses se passent, et si elles continuent, on est en droit de se demander si ce fameux « choc des civilisations » cher à Samuel Huntington ne sera pas externe mais interne. Non le Nord contre le Sud, l’occidental contre l’oriental, le chrétien contre le musulman ou le blanc contre le noir – mais le savant contre l’ignorant (ou le je-sais-tout, ce qui revient au même), le scientifique contre le youtubeur, le professionnel contre l’ubérisé, l’officiel contre l’occulte, le légitimiste contre le factieux, l’avisé contre le looser, le courageux contre le trouillard (car il ne faut jamais l’oublier, dans cette affaire, les trouillards, ont toujours été les antivax) – et à la fin Robert Ménard contre les blaireaux de l’ultra-droite. 

Une droite clivée, violente et intolérante

Car il faut le reconnaitre, c’est bien plus à droite qu’à gauche que le clivage est le plus violent. 

Contrairement à l’ultra gauche, n’ayant que foutre de la liberté, et pour qui la contestation contre le passe sanitaire n’est qu’un prétexte pour mettre à mal le gouvernement et faire le Grand Soir, la droite, naturellement attachée à la liberté, est touchée dans son ADN. Cela serait tout à son honneur si la droite n’en venait pas à défendre dans cette affaire la partie la plus basse, imbécile, asociale, anomique d’elle-même, tombant dans l’idéologie la plus éhontée sinon la plus délirante. Un comble quand on sait qu’elle a passé sa vie à donner des leçons de réalité à ses adversaires, et une honte pour ceux de son camp qui refusent de la suivre dans sa nouvelle aptitude au mensonge QAnonisé. En fait, jamais la droite (celle qui conteste, grogne et défile) n’a été aussi irréelle – et, pour une partie d’entre elle, révolutionnaire. Or, la droite révolutionnaire (et je suis désolé d’avoir à le dire comme si j’étais le premier gauchiste venu, mais il n’y a pas d’autre mot) ça peut tourner au fascisme. Et c’est pourquoi, contre les inénarrables Philippot, Dupont-Aignan et Asselineau qu’il a qualifiés de « barjos », Robert Ménard sauve l’honneur de son camp. Si souvent politiquement incorrect, le maire de Béziers se retrouve, dans cette affaire, sanitairement correct – ce qui dans son milieu est quasi héroïque.

Alors, c’est vrai que nous, les provax et pro passe, pouvons apparaître péremptoires, intolérants, peut-être même méprisants. Mais quoi ? Il faut bien protéger les gens contre eux-mêmes – que ce soit sur le plan sanitaire comme intellectuel. Impossible de mettre leur « doute », « questionnement » et autre « réflexion » au niveau des nôtres. Impossible même de considérer qu’ils font partie de la dialectique d’où surgirait une vérité supérieure. Croire le contraire serait comme mettre l’OMS au niveau d’Inspecteur Gadget. 

Dialogue rompu

Allez donc tenter de discuter avec eux. Aussitôt, leurs mensonges (souvent bien plus au point que nos vérités) nous submergent, leur dinguerie nous lamine, leurs sifflets nous sidèrent. Même Donald Trump y a eu droit récemment pour avoir exhorté ses partisans à se faire vacciner ! 

C’est qu’à l’instar des négationnistes avec les chambres à gaz, les conspi connaissent souvent le sujet mieux que nous et ont beau jeu de nous enfoncer dans leur connerie, s’amusant à nous « coincer » avec leur scepticisme arbitraire, leur doute inébranlable, leur orwellisme indécent, leur bigoterie décomplexée : « le vaccin est un viol génétique », me soutenait un ami catho – encore que les cathos n’ont pas de chance avec leur pape qui a déclaré que la vaccination était un acte d’amour. Mais l’amour ! La solidarité ! Le bon sens ! Ils en font des gorges chaudes, les insoumis du samedi. Et l’on a beau faire, beau dire, on perd toujours devant cette incompétence qui ne se laisse pas faire, ce charlatanisme pervers qui invente des arguments au fur et à mesure, un peu comme Keiser Söse inventait sa version des faits dans Usual Suspects. D’ailleurs, si l’on voulait trouver du diabolique dans cette affaire, c’est du côté de ce scepticisme occulte, de cette ultra-critique mâtinée de traditionalisme, de cette propension à la fake news tous azimuts que l’on devrait chercher. Jamais le Neuvième Commandement : « tu ne porteras de faux témoignage » n’aura autant été violé que par ces intégristes manipulateurs. Marc-Edouard Nabe avait raison : le complotisme est le nouvel axe du mal. Et ça se passe chez nous, pire – entre nous.

Lui, un dictateur?

S’accommoder avec l’idée que nous serions en « dictature sanitaire » est la pire des attitudes à avoir


Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.

Je suis désolé de citer une fois de plus cette phrase d’Albert Camus, tellement exploitée. Mais comment ne pas la retenir quand on constate que « face aux anti-passe, Macron opte pour l’intransigeance » dans Le Monde ? J’ai découvert il y a peu le réseau TikTok et dans une vidéo j’ai indiqué que pour être globalement critique à l’encontre du président, notamment sur sa faiblesse régalienne, on avait le droit cependant d’approuver telle ou telle mesure de sa politique sans risquer d’être insulté. Pourtant, de la part de ses opposants systématiques, parfois fanatiques, la moindre concession à son égard est un scandale. Ce président est à détester en gros et ne peut être racheté au détail.

Les réfractaires à la politique sanitaire se radicalisent-ils?

Je ne peux cependant m’empêcher de l’approuver quand, « dénonçant avec force les manifestants anti-passe », il fustige « ces quelques dizaines de milliers de citoyens en perte de sens telle qu’ils peuvent dire qu’on vit en dictature » et cette « violence radicale ». Si on est tenté de nuancer, de rappeler que cette banalisation des mots et de l’Histoire, ces comparaisons absurdes et choquantes, cette référence odieuse et offensante au nazisme et aux camps ne datent pas d’aujourd’hui, il faut se garder de cette tentation.

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Si on se croit autorisé à souligner que ce n’est pas par hasard que ce délire a surgi particulièrement sous le macronisme et cette étrange et paradoxale sensation de vivre sous une démocratie autoritaire mais en réalité tellement impuissante, il convient de se défier de cette envie. Parce que, dans tous les cas, parler de dictature pour la France d’aujourd’hui relève d’une inanité, d’une bêtise, d’un abus, d’une honte. La pire des attitudes serait de s’accommoder de cette ineptie qui, pour se rapporter à la relation entre le pouvoir et une minorité de citoyens, n’en acquiert pas un caractère noble et politique mais demeure dans le registre le plus sot et délirant.

Une profanation

Le comble serait d’accepter que la légitimité d’une cause discutant le passe sanitaire puisse s’octroyer, par extension et sulfureuse contagion, la liberté de s’exprimer n’importe comment et avec un vocabulaire dont l’enflure intellectuelle et historique, l’usurpation démocratique ne peuvent qu’indigner.

Ce n’est pas parce que le président de la République a totalement raison cette fois-ci qu’il doit être crédité globalement.

Ce n’est pas parce que je le loue sur ce plan que je dois être traité tel un traître.

Mais nous ne sommes pas en dictature. Dire le contraire est profaner la République.

Se perdre en montagne avec Charles-Ferdinand Ramuz

En ces temps troublés, il est plaisant de relire Derborence, roman de Charles-Ferdinand Ramuz qui nous raconte l’histoire d’un village montagnard confronté à un drame.


En 1714, le massif vaudois des Diablerets est frappé par des éboulements successifs. À Derborence, un berger, Antoine Pont, parti, avec son oncle, Séraphin, faire paître le troupeau dans les alpages, a survécu sous les pierres pendant des mois. Revenu, par miracle, au village, véritable mort vivant sorti du tombeau, on le prend pour une âme errante. Malgré l’amour de Thérèse, sa femme, Antoine, incapable de revivre au village, retourne dans la montagne chercher Séraphin qu’il croit toujours vivant. Le temps passe. Antoine ne revient pas. Thérèse, enceinte, part, seule, à sa recherche dans la montagne éboulée.

Un récit magistral

Le récit est d’une technicité magistrale. Aucun romanesque inutile pour rendre la vie archaïque d’une communauté montagnarde. Tout y est réduit à l’élémentaire. Le personnage principal est la montagne, massif tout puissant, étrange et majestueux. Les paysans sont présents par les dialogues, selon une écriture proche du cinéma. Le récit avance par vagues de schiste glissant les unes sur les autres que casse la lumière. Quel dépaysement !

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Narrative, l’œuvre est une métaphore de la condition humaine. Nouvel Adam, extirpé du sol, montagnard et nomade, Antoine ressuscite d’un monde originel. Mais le récit est surtout une Odyssée : celle du retour du revenant de l’autre monde qui ne trouve plus, au milieu des siens, sa place ni son identité. La scène des retrouvailles est une réussite. Qui est Antoine ? Pour lui et pour les autres ? Peu avant l’éboulement, la tête contre le mur, il avait vu, au cours d’une rêverie mêlant réel et imaginaire, Thérèse « glanant les nuages. » De retour au village, il ne la reconnaît plus et la laisse seule, le soir même. Mais c’est Thérèse qui le ramènera du monde de la mort. Tache de lumière à l’assaut de la montagne, nous saurons qu’elle et Antoine se sont retrouvés, à la tache plus sombre qui la rejoint au bout d’une ascension fantastique. L’avant-dernier chapitre du roman est elliptique. Des années après, dans le silence des pierres, s’entend toujours « le bruit des brebis passant près de vous… comme d’une grosse averse » ou celui de « petites vagues rapides de leur langue quand elles broutent. » Vaincue, la montagne a gardé son bien dans la personne de Séraphin. 

Un écrivain majeur de la Suisse romande

Derborence (1934) est un chef-d’œuvre de la littérature française. Par les temps violents que nous vivons, rien de tel qu’une pareille lecture pour faire un filtre entre nous et la réalité. Loin de toute vision idyllique et « républicaine… qui chante les glaciers sublimes » comme dit Ramuz, la montagne est évoquée dans son silence, sa solitude et sa violence. Tableau cosmique mais sans excès, le livre est  illustré par les encres sobres de Guy Toubon.

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Que Derborence au doux nom pour évoquer un monde si étrange soit l’occasion de découvrir cet écrivain majeur de la Suisse romande, à l’œuvre immense, que fut Charles-Ferdinand Ramuz. Auteur du livret de Histoire du Soldat de Stravinski, ballet-opéra déroutant où œuvre le diable, joué en 2018, au Théâtre des Champs Elysées, avec Denis Podalydès, Ramuz est aussi l’auteur du triste et beau roman Aline réédité récemment, aux éditions Grasset.

Talibans VS Daesh: la nouvelle guerre (cartes)

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La cartographie des actions terroristes en Afghanistan apporte une première explication à la prise rapide de Kaboul le 15 août 2021. Celle-ci montre la très forte augmentation des actions terroristes et de guérillas à partir de 2012, la localisation des attaques et la concurrence entre les talibans et l’État islamique. Des éléments indispensables à maitriser pour comprendre le déroulement de cette guerre. Jeudi 26 août, deux attaques suicides aux abords de l’aéroport ont tué plus de 100 Afghans décidés à quitter le pays, ainsi que treize militaires américains, selon l’AFP. La branche afghane de l’organisation État islamique a revendiqué le double attentat.


La prise de Kaboul par les talibans le 15 août 2021 est un évènement géopolitique majeur, dont les conséquences à court et moyen terme seront sans doute considérables. Au-delà de l’humiliante défaite de l’OTAN, de l’effondrement sans combat de l’État et de l’Armée afghane, et de l’impact que cette conclusion (provisoire) à vingt ans de guerre aura pour la dynamique du djihadisme global, il est capital de se mettre en mesure de tirer des enseignements géostratégiques et scientifiques des conditions qui ont rendu ce dénouement possible.

Dans ce but, en poursuivant nos recherches concernant l’espace-temps du terrorisme [1], on s’est attaché à fournir des éléments graphiques et cartographiques qui permettent d’engager une réflexion à vocation scientifique sur l’usage du terrorisme, entendu comme une technique particulière de communication violente [2], dans le contexte, ici, d’une insurrection victorieuse. On ne proposera donc pas maintenant une énième analyse « à chaud » de la situation géopolitique de l’Afghanistan actuel, mais bien quelques données de base qui peuvent servir de socle pour l’élaboration de recherches futures orientées à mieux comprendre le rôle du terrorisme dans l’évolution de la phase la plus récente de la « guerre afghane » qui débute en 2001. Pour ce faire, on procédera successivement à une analyse temporelle et spatiale de la violence (principalement) politique au cours de périodes successives, avant de nous intéresser aux actions de guérilla et terroristes réalisées par deux acteurs irréguliers que sont les talibans et l’émanation locale de l’État islamique.

L’espace-temps de la violence en Afghanistan, 1973-2019

Pour comprendre les changements temporels de la violence (surtout) politique [3] en Afghanistan, on a utilisé les données de la Global Terrorism Database (GTD) dont la couverture débute pour ce pays en 1973 et s’arrête actuellement en 2019 [4]. La figure 1 permet quelques constats préliminaires intéressants :

Figure 1. Évolution temporelle de la violence (surtout) politique en Afghanistan (1973-2019) en fonction de la nature des incidents

En distinguant les actes en fonction des cibles visées il est possible de départager, de façon certes préliminaire, mais cohérente, ceux qui relèvent d’actions de guérilla (s’attaquant aux Forces armées, à la Police et aux fonctionnaires gouvernementaux, porteurs d’une identité fonctionnelle), des autres cibles (civiles en général) dont l’identité vectorielle (susceptible de véhiculer des messages à différentes audiences) correspond au terrorisme proprement dit.

On constate alors une fréquence extrêmement révélatrice de ces deux catégories d’actions en fonction de périodes qui apparaissent clairement, et dont on peut rendre compte à l’aide d’une représentation cartographique adéquate. En tout état de cause le passage à la forme « guérilla » à partir de 2012 est un fait qui se dégage incontestablement de ce graphique, marquant un tournant majeur de l’insurrection. Les cartes rassemblées dans la figure 2 permettent d’approfondir substantiellement l’analyse :

Figure 2. Distribution spatio-temporelle de la violence (surtout) politique en Afghanistan (1973-2019)

Cette carte rend compte de la localisation de la totalité des incidents violents au cours des quatre périodes qui se dégagent de l’examen de la littérature [5], et des discontinuités qui apparaissent dans la figure 1. La dernière période inclut, en fond de carte, une représentation schématique de la distribution des principales ethnies : donnée d’une énorme importance sachant, par exemple, le poids immense des Pachtounes (et de leurs normes culturelles) dans le mouvement taliban [6].

La première période, antérieure à 2001, correspond essentiellement à la résistance à l’occupation soviétique (1979-1989), et à la guerre civile qui suivit jusqu’à la (première) prise de Kaboul par les talibans en 1996 avec le concours du Pakistan. Dans la mesure où la violence antisoviétique était entretenue et financée notamment par les États-Unis (et en partie canalisée par des relais comme Oussama ben Laden) on comprend que dans une base de données nord-américaine comme la GTD, peu d’actions soient répertoriées comme « terroristes » [7].

La deuxième période (2001-2005), correspond à l’invasion de l’Afghanistan dans le cadre de la « Guerre au terrorisme », et à la restructuration des talibans (et d’al-Qaïda) après leur défaite sur le terrain [8]. L’activité armée qui monte progressivement en puissance est partagée entre terrorisme et guérillas, et tend à se concentrer dans les aires de peuplement Pachtoun. La dynamique insurrectionnelle qui prend son essor en 2006 (troisième période) est perceptible tant sur l’histogramme que sur la carte correspondante. Les zones de violence deviennent plus étendues, et conforment une sorte d’anneau qui fait encore une large part au terrorisme, sans doute en relation avec les difficultés qu’éprouvent les insurgés à contrôler durablement des territoires. La dépendance des groupes armés envers plusieurs voisins (notamment le Pakistan, et dans une moindre mesure l’Iran et les groupes jihadistes des ex-républiques soviétiques au nord) contribue probablement à la localisation des zones d’activité armée à proximité de frontières internationales.

Enfin, la dernière période (2010-2018), correspond aux effets du désengagement graduel des États-Unis et de leurs alliés d’un bourbier afghan de moins en moins gérable aux plans militaire et politique. Cette nouvelle situation se manifeste en décembre 2009, lorsque le président Obama annonce simultanément une augmentation notable des troupes US envoyées en Afghanistan pour faire face à la pression croissante des insurgés, et le retrait, à partir de 2011, des soldats américains (donc de l’OTAN) du pays. Les conséquences de cette bévue stratégique majeure ne se font pas attendre. L’échéance annoncée fournit aux talibans et à l’ensemble de la mouvance insurgée un calendrier pour réoccuper le terrain et saper ce qui reste des institutions étatiques survivant sous perfusion occidentale.

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Dès lors la nature des incidents violents se transforme spectaculairement, comme le montre le graphique inclus dans la partie supérieure gauche de la figure 2. Il s’agit maintenant de conquérir du terrain, et la prédominance de la guérilla est indéniable (avec sans doute une urbanisation croissante du terrorisme, hypothèse qui reste à vérifier). Très rapidement, la dégradation sécuritaire du pays devient telle que les Nord-Américains finissent par entamer en 2018 des négociations avec les « terroristes » talibans, qui aboutirent aux accords de Doha, deux ans plus tard, et à la chute sans combat de Kaboul en 2021 [9].

Une analyse comme celle que nous venons d’esquisser n’épuise pas, bien évidemment, toute la complexité du processus insurrectionnel afghan et ne rend que partiellement compte des conditions du recours au terrorisme par différents acteurs. Elle permet, en revanche, de fonder des réflexions et des hypothèses sur des faits contrôlés, ce qui est à la base de la démarche scientifique, notamment en matière d’études sur le terrorisme. Et à partir des acquis de cette première étape de notre recherche, il est possible d’aborder de nouvelles questions. Parmi lesquelles celle de la compétition entre talibans et État islamique sur le terrain afghan mérite un bref commentaire.

La compétition entre talibans et État islamique

La dernière période de l’insurrection afghane a (aussi) vu se développer, à partir de 2014-2015, l’implantation d’une émanation de l’État islamique (souvent désigné dans les sources anglophones comme : Khorasan Chapter of the Islamic State). Les modalités d’adaptation de cette variante du jihadisme salafiste en terrain afghan sont encore incomplètement comprises [10], mais son hostilité aux talibans (considérés au mieux comme infidèles) est hors de doute. Et des affrontements armés se sont déjà souvent produits entre les deux entités, et sont sans doute appelés à se poursuivre, moins peut-être en raison …

>> Consulter la fin de l’article sur le site de la revue Conflits <<


[1] H. Théry ; D. Dory, « Espace-temps du terrorisme », Conflits, n°33, 2021, 47-50 ; H. Théry ; D. Dory, « Solhan : cartographier le terrorisme et la dynamique territoriale d’une insurrection », Mappemonde, n° 131, 2021, en ligne : https://journals.openedition.org/mappemonde/6129

[2] D. Dory, « Le terrorisme comme objet géographique : un état des lieux », Annales de Géographie, n° 728, 2019, 5-36 ; https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2019-4-page-5.htm

[3] On insiste sur le mot « surtout » car en Afghanistan (comme ailleurs) une partie de la violence susceptible d’être répertoriée comme « terroriste » relève plutôt d’enjeux criminels ; tels que ceux liés au trafic d’opium, activité dont participent les groupes insurrectionnels tout autant que les autorités étatiques mises en place par l’OTAN.

[4] https://www.start.umd.edu/gtd/  Sur les caractéristiques de cette source, voir les références citées en note 1.

[5] Pour des raisons qui restent à élucider, la littérature sur l’Afghanistan est relativement rare parmi les publications qui relèvent des terrorism studies. On peut cependant consulter avec profit: A. Giustozzi, « Insurgency in Afghanistan », in : P. Rich ; I. Duyvesteyn (Eds.), The Routledge Handbook of Insurgency and Counterinsurgency, Routledge, London-New York, 2014, 218-226 ; T. Bacon ; D. Byman, « De-Talibanization and the Onset of Insurgency in Afghanistan, Studies in Conflict and Terrorism, 2021, (preprint) : DOI: 10.1080/1057610X.2021.1872159. On trouvera aussi un récit utile de la partie afghane de la « Guerre contre le terrorisme » dans : M. Hecker ; E. Tenenbaum, La guerre de vingt ans, Robert Laffont, Paris, 2021.

[6] Sur ce point : N. Sahak, « Afghanistan : the Pashtun dimension of the war on terror », in : D. Martin Jones et Al. (Eds.), Handbook of Terrorism and Counterterrorism Post 9/11, Edward Elgar, Cheltenham, 2019, 179-195.

[7] Sur cette première période, on peut lire : I. Westwell, « Terror in Afghanistan », in : M. Crenshaw ; J. Pimlott (Eds.), Encyclopedia of World Terrorism, Sharpe, Armonk, 1997, Vol. 2, 504-505.

[8] Sur les perspectives de cette période on lira l’article remarquablement prémonitoire de G. Dorronsoro, « Afghanistan : chronique d’un échec annoncé », Critique internationale, n° 21, 2003, 17-23. https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2003-4-page-17.htm

[9] Une synthèse des aspects diplomatiques du conflit se trouve dans : M. Semple, « Terrorism and peace in Afghanistan », in : Global Terrorism Index 2020, IEP/START, Sidney, 2020, 89-91.

[10] Pour une bonne introduction au sujet, voir : A. Baczko ; G. Dorronsoro, « Logiques transfrontalières et salafisme globalisé : l’État islamique en Afghanistan », Critique internationale, N° 74, 2017, 137-152. https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2017-1-page-137.htm

L’agenda politique caché derrière la zadisation de Paris

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Le maire de Paris Anne Hidalgo, mai 2021 © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA Numéro de reportage : 01018330_000032

Saccage de Paris. S’opérant jour après jour avec méthode, la vandalisation de la capitale par la majorité d’Anne Hidalgo (PS) ne doit rien au hasard.


Le terme de ZAD (zone à défendre) désigne un squat ou l’occupation d’un pan de territoire afin d’empêcher un projet d’aménagement. Les militants qui mènent ce type d’intervention sont le plus souvent issus des milieux écologistes radicaux et de la mouvance gauchiste. Ces zadistes qui s’opposent généralement à un pouvoir politique local, régional ou central, utilisent les zones qu’ils ont conquises pour y développer des contreprojets à vocation politique et sociale. 

Parler de « zadisation » de Paris peut donc apparaître doublement paradoxal. Tout d’abord parce que la mise à sac et la malpropreté qui accompagnent ces raids territoriaux sont ici en l’occurrence le fait de l’équipe politique en place et non d’activistes extérieurs à la ville. Le second paradoxe tient au fait qu’en l’espèce, il n’y a aucune remise en cause d’un quelconque projet innovant. Au contraire, cette zadisation vise bien plutôt à effacer et à supprimer toutes les sédimentations patrimoniales qui ont fait jusque-là de Paris une ville historique au cachet exceptionnel. Or, le patrimoine urbanistique qui s’enracine dans une histoire multiséculaire ayant structuré la morphologie de cette cité, se trouve désormais en péril.

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Partagés entre la fureur et la sidération, les Parisiens ne cessent depuis quelque temps de dénoncer le saccage de leur ville par l’équipe municipale elle-même, une coalition PS, PCF, EELV. Emmenés par Anne Hidalgo, les édiles de sa majorité travaillent en effet avec acharnement, – voire avec fanatisme – à zadiser Paris. Pourtant, sa beauté, son charme et sa grandeur faisaient il y a peu encore de la ville-lumière la première destination touristique au monde. Toutefois, depuis quelques années, la maire et ses conseillers ont gravement porté atteinte à son identité et à sa singularité, entraînant d’ores et déjà plusieurs dommages irréparables [1] et le départ de milliers de résidents. Ainsi, l’existant – qu’il s’agisse des perspectives, des jardins, des édifices ou encore du mobilier urbain – se retrouve-t-il bien souvent dénaturé, pillé, souillé ou même purement et simplement détruit, comme les fontaines Art Déco de la Porte de la Chapelle (XVIIIe arrondissement). Opérée méthodiquement, jour après jour, cette vandalisation, qui bat actuellement son plein, passe tout d’abord par le triomphe de la malpropreté, une donnée sur laquelle nous allons nous attarder à présent.

La tartufferie des Verts

Sous prétexte de préserver l’environnement, les Parisiens sont sommés d’être « écoresponsables participatifs et inclusifs » et de se livrer en outre au compostage, via d’immenses conteneurs installés plus ou moins partout [2]. Tartufferie suprême, la municipalité invoque cette norme prétendument « écoresponsable » afin d’user le moins possible d’eau pour nettoyer les rues, au motif qu’il conviendrait d’économiser ce bien commun. Son recours devenant par conséquent quasiment criminalisé, le service de la voirie ne lave plus la chaussée comme par le passé. Les Parisiens en sont donc réduits à attendre la pluie pour voir leurs trottoirs débarrassés des miasmes, souillures et autres salissures qui polluent leurs quartiers parfois transformés en décharges à ciel ouvert. Dans la même logique, ils constatent que l’équipe municipale laisse tous les espaces publics non balayés et envahis par les mauvaises herbes. Or, dans le même temps, ils notent avec stupéfaction l’abattage de très nombreux arbres sains et magnifiques – parfois centenaires comme la glycine patrimoniale de la Butte Montmartre – fréquemment sans motif valable. Certes, des raisons phytosanitaires sont quelquefois invoquées pour justifier certaines coupes, mais l’opacité de l’information prédominant, il y a lieu de mettre sérieusement en question la nécessité de tronçonner avec tant de zèle [3].

In fine, dans une ville abandonnée telle un terrain vague, toutes ces altérations urbaines conduisent naturellement à une détérioration du cadre de vie des Parisiens et à une dégradation générale du niveau sanitaire de la cité. Alors même que sévit une pandémie mondiale, on serait pourtant en droit d’attendre un surcroît de précautions et un renforcement des mesures en termes d’hygiène publique. Or, force est de constater au contraire que nombre de rues sont à présent devenues d’immondes dépotoirs. Perpétuellement maculées, taguées, souillées, elles sont envahies par les poubelles des immeubles qui trônent en permanence sans aucun respect d’horaires. Ces récipients malodorants obstruent de la sorte la circulation des piétons, lorsque ceux-ci ne sont pas condamnés à se frayer leur chemin entre plusieurs dépôts sauvages non sanctionnés. Dans ces conditions, avec des espaces publics envahis de détritus et d’immondices qui empestent si souvent l’urine, on ne s’étonnera pas qu’il puisse régner une insalubrité inquiétante en bien des endroits, sans même parler du nord-est livré au chaos engendré par le crack et ses violences. 

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Sans nul doute, nous sommes face ici à une régression institutionnalisée de grande ampleur. En effet, à partir du XVIIIe siècle, pour nettoyer la capitale on se souciait avant tout d’évacuer scrupuleusement les déchets et de recourir à l’eau comme stratégie de gestion collective. Un siècle plus tard, cette précieuse ressource naturelle devenait même un des éléments les plus importants du réaménagement urbain fondé sur le triptyque : propreté, beauté, santé. A contrario, il n’existe plus rien de tel aujourd’hui. Seuls les rats, visibles dans tous les arrondissements sans exclusive, se montrent des occupants pleinement satisfaits. Finalement, dans le Paris de madame Hidalgo, la crasse est partout et le bien-être est nulle part.

Entre récup’ et bricolage infantilisant

De surcroît, le règne de la récup’ domine désormais la moindre parcelle parisienne. Ainsi, voit-on proliférer tous azimuts, les palettes de chantier, les bidons en ferraille, les cagettes et autres ustensiles improbables qui sont destinés à « végétaliser les quartiers » ou bien à édifier des bancs de bric et de broc. Ces objets recyclés participent d’une laideur insoutenable comme les centaines de milliers de bittes jaunes ou blanches en plastique et les centaines de milliers de plots en béton monumentaux, qui balafrent les rues et obstruent la circulation. Tous plus aberrants les uns que les autres, ces dispositifs déplorables contribuent de la sorte à encrasser et enlaidir l’espace urbain. 

Avenue de l’Opéra à Paris, 2021 © Daniel Ino / Saccageparis

Mais les Parisiens doivent aussi compter avec le bricolage infantilisant du « do it yourself ». Ce mode d’appropriation individuelle, qui révoque toute politique d’ensemble harmonieuse, triomphe dorénavant dans tous les secteurs, saccageant harmonie, style, perspectives et patrimoine architectural. En vertu d’une démagogie municipale sans limites, n’importe quelle petite association subventionnée peut à présent se permettre de décider strictement n’importe quoi et n’importe où en matière d’équipement, notamment au pied des arbres où ne manquent plus que les nains de jardin, alors que les classiques grilles en fonte ont en revanche disparu. En l’espèce, la suprême perversité consiste à impliquer quelques habitants du coin pour pouvoir mieux les instrumentaliser ensuite, tout en s’exonérant de la moindre responsabilité.

10e arrondissement de Paris

Une zadisation vecteur de l’idéologie woke

Devant ce terrible état des lieux, il faut bien comprendre qu’il s’agit là d’une démarche systématique et globale et non d’un malheureux laisser-aller ou d’une simple divagation urbanistique qui donnerait lieu à une accumulation de négligences. Là où d’aucuns ne perçoivent qu’une regrettable inconséquence, voire une consternante incompétence, il convient de discerner plutôt une politique délibérée et planifiée qui déroule un agenda mortifère, celui de l’idéologie woke et de la cancel culture (culture de l’effacement) qui lui est associée. C’est en effet toute une construction symbolique lentement édifiée au cours des siècles qui est aujourd’hui remise brutalement et sauvagement en cause. Par conséquent, ne voyons pas le fruit du hasard dans ces enlaidissements réitérés ou cette malpropreté sans précédent qui gangrènent Paris. Au contraire, en souillant et en profanant tout autant la qualité de vie que l’héritage légué par les ans, la zadisation de Paris témoigne d’un processus de destitution. Ce dernier concourt à priver cette ville de son statut prestigieux et de son rayonnement mondial, lui ôtant ainsi son rang jusque-là si admiré et envié. 

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On l’aura compris, par-delà une saleté savamment entretenue d’année en année, l’équipe municipale entend faire avant tout table rase du passé. Il s’agit pour elle de déchoir la capitale, en la ravalant au niveau d’une vulgaire ZAD. De prime abord, une telle stratégie peut légitimement surprendre et paraître inexplicable. Mais il faut bien comprendre qu’elle n’est pas un but en soi. Elle constitue au contraire une simple étape faisant partie intégrante d’un projet plus vaste. En privant cette grande métropole de son image jadis si glorieuse, ces élus la réduisent à n’être plus qu’un vaste chantier d’expérimentation woke. Constatons en l’occurrence que madame Hidalgo et ses conseillers travaillent sans relâche à faire de Paris le centre mondial du wokisme dans lequel ils promeuvent pêle-mêle, une radicalité verte, une « égalité raciale » et une sacralisation des minorités [4]. En bref, il y a là une convergence des luttes qui œuvre pas à pas à une réécriture de l’histoire de la nation et à l’effacement de la culture française portée jusqu’ici par sa capitale. Nous vivons donc un tournant suffisamment inquiétant pour que le risque paraisse désormais bien réel de voir Paris devenir demain un champ de ruines. C’est dire l’impérieuse nécessité de mettre rapidement un terme définitif aux agissements malfaisants de cette politique de dévastation en marche.


[1] Mentionnons la disparition de nombreuses fontaines Wallace, des kiosques à journaux haussmanniens et de bien des lampadaires en bronze, ou encore celle de quantité de colonnes Morris.

[2] La Ville de Paris expérimente depuis 2017 la collecte des déchets alimentaires. Les 2e, 12e et 19e arrondissements sont pilotes en la matière.

[3] Plus de 15 000 arbres ont été abattus ces six dernières années (chiffre donné en février 2020 au quotidien Le Parisien par Pénélope Komitès, alors adjointe d’Anne Hidalgo chargée des espaces verts).

[4] La municipalité a, par exemple, édifié de manière définitive des passages pour piétons aux couleurs arc-en-ciel LGBTQI dans le 4e arrondissement de Paris.

Le retour du reptilien

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La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

Selon Céline Pina, en abandonnant tout idéal collectif et en misant sur la concurrence sociale, nos dirigeants n’ont fait qu’alimenter le cerveau reptilien au lieu de miser sur l’élévation des consciences. Les foules énervées sont les enfants des élites qu’elles conspuent…


Les samedis passent et se ressemblent. Alors que le dernier avatar du virus frappe, tue et provoque la panique là où les populations ne sont pas vaccinées et les services hospitaliers saturés, comme en Inde, en Tunisie ou dans les Outre mers, une foule conséquente choisit de lutter contre le vaccin plutôt que contre la maladie et érige en atteinte contre les libertés fondamentales, toutes les contraintes liées à la situation sanitaire.

Pour la responsabilité collective, on repassera

On peut s’étonner de cette curieuse inversion de sens et de ce que les appels à la responsabilité collective sont vus comme une soumission à l’arbitraire par une composante non négligeable de la population. On peut s’effrayer de ce que des discours, dont la composante complotiste et irrationnelle est indéniable, mobilisent bien au-delà de leurs cibles habituelles. Ce désordre récurrent, sur des bases bien moins légitimes au départ que la révolte des gilets jaunes, finit par redorer le blason d’Emmanuel Macron et sert ses perspectives d’avenir. Lui qui n’a jamais su sortir de l’incohérence du « et en même temps » et choisir une ligne claire d’action comme de communication, devient l’incarnation de la raison et de l’ordre public pour une partie de la population effrayée par les débordements des antivax.

Les samedis devraient continuer à se ressembler, unis sous la bannière du rejet d’élites qui pleurent les effets dont elles alimentent les causes

Ce qui est surtout paradoxal est que ces manifestations sont en fait le pur produit du système « libéral » que ce président incarne. Ils sont les héritiers accomplis du système qu’ils disent vouloir renverser. Cette foule hétéroclite unie par la frustration est le produit de la destruction du peuple, faute de perspective de progrès social, de possibilité de changement de condition. Elle est également le produit de l’absence de ce mélange de principes, d’idéaux, de lois, d’identité qui fondent l’existence d’une civilisation et d’un système politique et social stable. Cette foule est le résultat de la privatisation du bien commun et de la destruction de l’intérêt général au profit d’un petit nombre d’individus qui ne s’apparente plus à une élite éclairée, mais à une caste de privilégiés. La masse est ce qui demeure quand le peuple n’est plus et que l’élite l’a dissout. 

La notion de citoyenneté plus en vogue en France

Ce délitement de la figure même du citoyen a été synthétisé par Emmanuel Macron lorsque évoquant une gare, il parla d’un « lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien ». Ce dévoilement de l’esprit de caste, on le retrouve à maintes reprises dans le discours présidentiel, lorsqu’il dit qu’il faut que « les jeunes Français aient envie de devenir milliardaires » ou évoque les cailloux qui seraient jetés sur les « premiers de cordée ». Ce faisant Emmanuel Macron n’a rien de disruptif. Il est dans la droite ligne de ceux qui l’ont précédé et ont exercé le pouvoir économique, politique, médiatique mais aussi culturel depuis plus de 30 ans. Il n’est que le énième symptôme de l’abandon de toute élévation intellectuelle et sociale de ceux que l’on appelle « citoyen » mais que l’on conditionne à n’être que les données objectives d’un idéal gestionnaire.

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Cela se traduit par l’effacement de la nation au profit d’une entité bureaucratique sans dimension politique et culturelle, qu’est devenue l’Europe. Cela se traduit par l’abandon du progrès social au profit de la liberté d’entreprendre ; par le sacrifice des services publics au profit de la privatisation du bien commun ; par le recul de l’ordre public au profit de la sécurité privée ; par le rejet de l’identité culturelle au profit d’une injonction à la diversité dépourvue de toute colonne vertébrale ; par le refus d’agir pour la planète tout en mettant en avant un faux souci écologique. Que dire d’un pouvoir qui présente toutes les atteintes à la protection sociale comme des avancées vers la justice ? Que dire d’un président qui reconnait l’impossibilité de réguler l’immigration sans être capable de toucher aux vrais obstacles juridiques qui font qu’un pays en est réduit à ne plus pouvoir choisir qui s’installe chez lui et accorde la citoyenneté sans exigence ? Que dire d’une éducation nationale qui a tué toute perspective d’ascension sociale au nom de la mythification de l’élève au cœur du système ? Quand cette capitulation est de surcroît mise en œuvre par un personnel politique immature, qui donne des leçons sans avoir jamais rien réalisé et qui ne sert avant tout que sa carrière, le niveau de violence s’élève.

Le désespoir majoritaire

La colère que les manifestants expriment d’une façon souvent fruste puise ses racines dans le constat que font tous ceux qui ont arrêté de voter car ils ont perdu tout espoir. Or ils sont majoritaires dans le pays. Ils parlent de l’impossibilité de se projeter dans l’avenir sans que leur niveau de peur explose. Ils pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, connaîtront sans doute la guerre, le manque, la faim. Ils constatent que leur avenir personnel est déjà marqué par le déclassement. Ils voient la loi qui s’appuie sur un idéal partagé, disparaître au profit de la norme qui relativise tout et consacre dans les faits la force ou le pouvoir de nuisance. Leur État n’est plus leur garant, mais le premier à trahir les promesses d’une citoyenneté qu’on leur survend. 

Les intellectuels le savent mais peu ont le courage de le dire, comme si en ne prononçant pas les mots, on pouvait se préserver des conséquences. Sauf que condamner ces manifestations et les violences qu’elles portent en gestation, sans voir à quel point elles sont alimentées par ceux qui déclarent vouloir les résoudre et s’indignent de leur existence est sans issue.

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Elle n’est pas jolie, votre France des “territoires”

En abandonnant tout idéal collectif, en laissant exploser les inégalités et en misant sur la concurrence sociale, nos dirigeants n’ont fait qu’alimenter le cerveau reptilien au lieu de miser sur l’élévation des consciences. Ces foules énervées sont les enfants des élites qu’elles conspuent. Elles adhèrent au discours très libéral qui refuse l’idée même de nation et ne revendique des droits individuels que pour s’affranchir de tout devoir collectif. Le résultat du sacrifice de la responsabilité collective et du lien à la nation au profit d’un vivre ensemble sans consistance. La France n’est plus un imaginaire, un esprit et un corps symbolique, une histoire enracinée et un projet commun. Elle n’est plus qu’un territoire à revendiquer.


À l’approche de la présidentielle, l’absence de toute issue politique excite les extrêmes qui comptent sur le désordre pour prendre le pouvoir et soumet les effrayés qui sont prêts à reconduire, pour gagner un peu de temps contre ces mêmes extrêmes, ceux dont l’indigence politique alimente pourtant le désordre social. Les ennemis du commun républicain et civilisationnel peuvent perdre une fois encore cette présidentielle, ils savent que le temps permet de faire fructifier toutes les petites affaires communautaristes et totalitaires. En attendant, Emmanuel Macron (ou un de ses avatars) devrait être réélu puisqu’aucune proposition politique ne sort du chemin balisé du ventre mou du progressisme bien-pensant. C’est dire si les samedis devraient continuer à se ressembler, unis sous la bannière du rejet d’élites qui pleurent les effets dont elles alimentent les causes et si une fois de plus la présidentielle devrait atteindre des sommets d’abstention.

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Zabihullah Mujahid: l’égorgeur d’Allah

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Conférence de presse de Zabihullah Mujahid, Kaboul, 17 août 2021 © Rahmat Gul/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22596605_000054

Scandaleux, ce titre n’est autre que la traduction du nom et du prénom du porte-parole officiel des talibans. Maintenant que vous connaissez la signification du “blase” de cette “haute figure” afghane, libre à vous de continuer à croire au caractère moins radical du nouveau pouvoir à Kaboul. Analyse.


L’égorgeur d’Allah. Si scandaleux soit-il, ce titre est tout simplement la traduction du nom et du prénom du porte-parole officiel du mouvement taliban, qui vient de s’emparer du pouvoir au grand dam de l’Europe et avec l’aval explicite de Washington. Il s’appelle, ou s’est donné pour nom de guerre, Zabihullah Mujahid, c’est-à-dire textuellement « l’égorgeur d’Allah » ou « l’égorgé d’Allah » (prénom) et son « combattant » (nom), la racine commune d’égorgé et d’égorgeur étant le verbe arabe « zhabaha ». Les journalistes qui couvraient les événements en Afghanistan connaissaient depuis longtemps la voix de Zabihullah mais jamais son visage. Certains croyaient d’ailleurs que c’était un pseudonyme utilisé par plusieurs dirigeants interchangeables de l’organisation talibane pour revendiquer par téléphone telle ou telle action terroriste contre des « collabos » afghans ou des militaires occidentaux. Mais selon la correspondante de la BBC à Kaboul, présente à la première conférence de presse des talibans, le 17 août, Zabihullah Mujahid est bien l’homme avec lequel elle correspondait téléphoniquement ces dix dernières années. Surprise par ses déclarations conciliantes et rassurantes, notamment sur les femmes qui seront libres dans la stricte observance de la charia, elle le décrit tel qu’elle l’a connu au téléphone : un « personnage fanatique » et « assoiffé de sang occidental ».

Un mouvement réformé?

Le moins qu’on puisse dire est qu’il porte parfaitement bien son nom ! Dans les années qui viennent et malgré les promesses anesthésiantes de Zabihullah, les « égorgeurs d’Allah » ne vont pas chômer. Tous les « mauvais » Afghans qui ont cru aux valeurs occidentales, que les Américains, les Britanniques et les Allemands abandonnent aujourd’hui à leur triste destin, vont passer au fil de l’épée. L’identité ou le nom de guerre de ce porte-parole de l’émirat islamique d’Afghanistan annonce à lui seul tout le programme des talibans et il définit l’idéologie barbare, théocratique et totalitaire de cette secte qui a déferlé sur Kaboul le 15 août dernier. Il décline le projet purificateur et génocidaire de cette organisation dont certains médias islamiquement corrects nous présentent déjà comme un « mouvement politico-religieux réformé », ses dirigeants ayant appris de leurs erreurs du passé, plus précisément de leur règne cauchemardesque entre 1996 et 2001. Vingt ans après avoir été évincé du pouvoir, les talibans auraient changé ! C’est leur porte-parole lui-même qui nous le garantit. Et lorsqu’on est de bonne foi… islamique, pourquoi ne pas les croire ? Et même si les mois et les années à venir donneraient raison à Cassandre, il y aura toujours en Occident et notamment en France les tenants du relativisme culturel et les zélotes de l’islamisme « modéré » pour nous expliquer, de façon hégéliano-marxiste, que l’histoire est par définition même tragique et que les révolutions sont toujours violentes. Les plus sophistes gloseront alors sur les victimes expiatoires de la Révolution de 1789 et sur les crimes abominables de Robespierre. Quant aux plus islamophiles, dont les droit-de-l’hommistes et les islamo-gauchistes qui appellent déjà à accueillir les milliers des naufragés Afghans de la realpolitik américaine, ils nous jureraient sur la sainteté du prophète que les égorgés, les suppliciés et les lapidées en Afghanistan ne traduisent aucunement les injonctions d’une charia nécrosée et moyenâgeuse mais le libre arbitre (ijtihâd) de quelques brebis galeuses qui n’ont rien à voir avec le « véritable islam ».

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Nous l’avons écrit il y a 20 ans, « le talibanisme est un hybride qui doit sa naissance au prosélytisme saoudien, au cynisme pakistanais et au machiavélisme américain » pour saigner l’URSS (« L’islam, otage des talibans », Libération du 21 mars 2001). Il n’en demeure pas moins que ces « Moudjahidins de la CIA », comme les appelait Olivier Roy, s’inspirent et se ressourcent dans un Coran qui est allergique à l’herméneutique et d’une Sunna qui résiste à l’historicité. En d’autres termes, le talibanisme n’est pas une altération du vrai islam mais au contraire sa traduction radicalement authentique et littérale. La « cité vertueuse » des talibans n’est pas celle du philosophe platonicien Al-Farabi, mais, disent-ils, la cité fondée par le prophète de l’islam, à Médine, il y a de cela 15 siècles.

Intervenir en 2001 était légitime

Jadis et naguère figure flamboyante du progressisme américain, Madeleine Albright prêchait déjà, dans ses Mémoires (2003), l’ouverture du dialogue avec les « talibans modérés ». C’était à peine deux ans après le cataclysme du 11 septembre 2001 et la décision immédiate de George W. Bush de nettoyer l’Afghanistan du couple maléfique Taliban/Al-Qaïda, une décision que j’avais à l’époque justifiée (« Le virus théocratique », Le Figaro du 3 octobre 2001). Nonobstant la capitulation américaine et la débâcle occidentale du 15 août dernier, je persiste à croire que la destruction en octobre-novembre 2001 de cet « Etat » islamo-mafieux et terroriste était politiquement nécessaire et moralement légitime. Le mollah Omar et le cheikh Ben Laden – tous les deux sous protection pakistanaise – devaient impérativement être supprimés et leur sinistre nébuleuse devait être anéantie. Mais c’est dans la gestion de l’après-victoire, dans la pacification de la société afghane, je dirai même dans leur mission civilisatrice que les occidentaux ont lamentablement échoué, faisant preuve d’indigence, d’impéritie et de naïveté. En 2001, les occidentaux ne se sont pas trompés d’ennemis ni de cibles, mais de peuple ! Ils ont cru pouvoir apporter les Lumières à une société tribale, clanique et ataviquement plus attachée à la charia qu’à la liberté. Comme le disait si bien Rousseau, « La liberté est un aliment de bon suc et de forte digestion qu’il faut des estomacs bien sains pour le supporter ». L’obscurantisme islamiste résiste toujours aux Lumières émancipatrices ; et cela vaut aussi bien en Afghanistan qu’à Molenbeek ou dans certaines « banlieues de l’islam », pour reprendre cette expression à Gilles Kepel.

Et pour preuve : en vingt ans de présence américaine et sous les différents gouvernements « éclairés » qui ont gouverné l’Afghanistan, les burkas n’ont jamais disparu du paysage, ni les écoles coraniques, ni les mariages forcés de filles de douze ans, ni les amputations des voleurs, ni les flagellations publiques des femmes « impures », ni les lapidations d’épouses adultères, voire d’adolescentes coupables d’actes ou de gestes amoureux. Comme sous le régime barbare des talibans, sous l’« Administration intérimaire afghane » (2001), ou sous l’« État transitoire islamique d’Afghanistan » (2002), ou sous la « République islamique d’Afghanistan » (2004-2021), la charia était toujours la source de la constitution et les fatwas avaient force de loi. Malgré quelques acquis élémentaires en Occident mais gigantesques en Afghanistan, comme l’accès des filles à l’éducation et au travail, la réouverture des salles de cinéma, ou la disparition de la police chargée de promouvoir la vertu et de réprimer le vice, rien ou presque n’a véritablement changé dans cette société primitive, dans le sens anthropologique du terme. Sans manquer d’empathie pour ce peuple meurtri, c’est à se demander, avec Rousseau, si la démocratie n’était pas faite pour « un peuple de dieux » car, « un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». Sommes-nous encore capables de faire la distinction tocquevilienne entre la démocratie comme type de régime et la démocratie comme fait social ? Si la démocratie, la modernité, les droits-de-l’homme sont hypothétiquement universels, sont-ils pour autant exportables dans des pays où « la violence et le sacré » sont inextricablement liés et où la loi d’Allah est supérieure aux lois positives ? La démocratie n’est-elle pas consubstantiellement liée à la sécularisation ? 

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Le déclin de l’hyperpuissance américaine

Par-delà ces interrogations philosophiques que les idiots utiles de l’islamisme modéré ont largement le temps de méditer, l’heure est au bilan et surtout à l’anticipation des conséquences politiques, géopolitiques et sécuritaires du désastre afghan. Étonné que l’armée afghane n’ait point livré bataille face à la déferlante talibane, Joe Biden a déclaré : « nous avons dépensé plus de 1000 milliards de dollars sur 20 ans… Nous avons formé et équipé d’un matériel moderne plus de 300 000 soldats afghans ». Le président américain ne pouvait pas deviner l’évidence, à savoir que les soldats de cette armée biface et réversible sont d’abord des Afghans, que leur conception de l’islam est identique à celle des talibans, qu’au plus profond de leur conscience, il y a les envahisseurs impies et les libérateurs musulmans, qu’après tout, les talibans sont leurs compatriotes et leurs frères en religion, qu’après avoir incarné la vénalité, leur président Ashraf Ghani a été le premier à donner l’exemple du déserteur, qu’une grande partie des milliards de dollars est allée dans les poches des corrompus, du plus haut de la pyramide jusqu’à la base, que la corruption n’est jamais univoque mais réciproque, que leurs alliés pakistanais et qataris ont joué un rôle déterminant dans le triomphe des talibans et, après leur défaite de 2001, dans leur restructuration et leur résurrection…

Manifestation d’anciens interprètes afghans, interpellant les USA et l’OTAN, le 30 avril 2021, à Kaboul, Afghanistan © Mariam Zuhaib/AP/SIPA, Numéro de reportage : AP22567813_000014

Quant aux effets directs du fiasco américain en Afghanistan, ils seront considérables et de portée géopolitique majeure. Déjà amochée par la présidence clownesque de Donald Trump – le signataire des accords de Doha sur le transfert « pacifique » du pouvoir aux talibans -, une présidence qui s’est par ailleurs achevée dans l’invasion du Sénat par des hordes fanatisées, la démocratie américaine n’est plus un paradigme attrayant, encore moins un modèle mobilisateur pour les autres nations du monde. Le déclin de l’hyperpuissance, conjecturé par Hubert Védrine, est en marche et plus rien ne l’arrêtera. Première bénéficiaire de ce déclin, la Chine de Sun Tzu, de Mao Zedong et de Deng Xiaoping, qui trace paisiblement sa nouvelle route de la soie, qui lorgne déjà les richesses souterraines afghanes, un potentiel de 1000 milliards selon des estimations onusiennes, et qui ne va plus tergiverser dans l’annexion pure et simple de Taiwan.

Plus de 80% de l’opium consommé dans le monde

Considérée par les islamistes comme une victoire divine et une revanche posthume de Ben Laden, la chute de Kaboul annonce aussi la retransformation de l’Afghanistan en sanctuaire pour l’internationale islamo-terroriste, des Frères musulmans à Daech en passant par Al-Qaïda, Al-Nosra, Boko Haram… Toutes ces organisations terroristes qui ont voulu détruire la Syrie avec la complicité active des États-Unis et de l’Europe. La civilisation occidentale alliée à la barbarie islamiste ! Avec l’apothéose des talibans, la démultiplication des « égorgeurs d’Allah » dans le monde, notamment occidental, est inéluctable. La prolifération métastatique de la drogue l’est tout autant. Selon un rapport de l’ONU (UNODC) en 2020, 84% des drogues opiacées vendues dans le monde venaient d’Afghanistan. Il faut savoir que pour les narco-talibans, le pavot et l’héroïne constituent à la fois une manne colossale d’argent et une arme de destruction massive de l’ennemi occidental. Anéantir la civilisation de ces pays « décadents » et « mécréants » est un djihad licite, un devoir religieux.

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Cette destruction civilisationnelle s’effectuera également par les invasions migratoires, que certains continuent de couvrir pudiquement par la « libre circulation des personnes » ou le « droit humanitaire ». Depuis 2018, la France accueille chaque année près de 10 000 réfugiés afghans dont on célèbrera bientôt l’intégration de la culture pachtoune, au nom du multiculturalisme et de la diversité. Si le sauvetage des quelques centaines d’Afghans qui ont cru aux valeurs universelles et qui ont prêté main forte aux ONG et aux institutions occidentales est un devoir moral, l’accueil de milliers et de millions de fuyards Afghans serait en revanche une faute politique grave. Ces derniers doivent résister au régime taliban et le premier impératif moral, politique, géopolitique, civilisationnel et sécuritaire de l’Occident serait de les assister par tous les moyens en soutenant le premier des résistants irréductibles : Ahmad Massoud, le fils du légendaire « Lion du Panshir », trahi par l’Occident avant d’être assassiné, deux jours avant le cataclysme du 11 septembre 2001, par deux terroristes tunisiens, réfugiés « politiques » en Belgique après avoir mené le djihad en Tchétchénie ! C’était l’époque où l’islamisme et l’atlantisme faisait bon ménage. 

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Non, Nicolas n’est pas le deuxième prénom le plus donné aux petits-fils d’immigrés maghrébins!

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Image d'illustration / Unsplash

Un article scientifique d’avril 2019 dans la revue Population et sociétés indique qu’en France métropolitaine, en 2008, les prénoms les plus fréquents chez les petits-fils d’immigrés du Maghreb seraient « Yanis » et « Nicolas »


Vient de paraître, en ligne sur le portail scientifique HAL-SHS, une étude tout à fait singulière. 

Signée Jean-François Mignot, socio-démographe au CNRS associé au Groupe d’Étude des Méthodes de l’Analyse Sociologique (Gemass) à la Sorbonne, elle tente de reproduire une étude déjà publiée pour en vérifier les résultats. Il s’agit d’un Population & Sociétés sur les prénoms des descendants d’immigrés qui avait fait grand bruit à sa sortie dans la plupart des médias, du Monde à Valeurs actuelles, sans soulever la moindre interrogation car, comme l’écrivait Libération « cette fois-ci, c’est du lourd, c’est l’Institut national d’études démographiques ». Les auteurs en étaient Baptiste Coulmont, sociologue spécialiste des prénoms [1] et Patrick Simon, socio-démographe de l’Institut national d’études démographiques (Ined) qui travaille sur l’immigration et les discriminations. 

L’étude contestée a été menée à partir de l’enquête Trajectoires et origines de 2008 (TeO2008). Elle concluait que les petits-enfants d’immigrés du Maghreb recevaient des prénoms « proches de ceux que la population majoritaire donne à ses enfants ». Il faut entendre par population majoritaire, la population ne comprenant ni immigrés ni Domiens, ni leurs enfants. Nicolas aurait été ainsi le deuxième prénom le plus donné par les enfants d’immigrés maghrébins à leurs enfants et 23 % seulement des petits enfants d’immigrés maghrébins auraient reçu un prénom arabo-musulman. Soit à peine plus de prénoms typiques de leur origine que ceux des petits enfants d’immigrés d’Europe du Sud (16 %). 

Le Petit Nicolas a disparu

Jean-François Mignot s’est demandé comment les spécialistes de la question pouvaient être passés à côté d’un tel phénomène. Mais c’est le classement en deuxième position du prénom « Nicolas » parmi ceux attribués aux petits-enfants d’immigrés qui l’a fait tiquer. Il relevait ainsi que lorsqu’« on examine les prénoms attribués aux naissances annuelles en Seine-Saint-Denis de 1980 à 2014, le nombre de “Nicolas” n’a cessé de baisser (de 450 en 1980 à moins de 50 dans les années 2010) » (p. 13). Où se « cachaient » donc ces petits Nicolas s’ils n’étaient pas en Seine-Saint-Denis ? 

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Jean-François Mignot a donc cherché à savoir ce qu’avaient fait précisément les deux chercheurs en question : quelle méthodologie, quels échantillons précis retenus, sachant que l’information sur les petits-enfants est recueillie de manière indirecte à partir des déclarations des enfants d’immigrés enquêtés et que, par ailleurs, sont connus les prénoms de tous les habitants du ménage des enquêtés ? Le Population & Sociétés de quatre pages ne contient qu’un encadré méthodologique succinct livrant peu d’informations utiles, en tout cas rien qui permette de refaire le travail avec certitude. Et lorsque Jean-François Mignot a essayé d’en savoir un peu plus, il s’est rendu compte que la classification des prénoms utilisée n’était pas celle décrite dans l’encadré. Sa curiosité en a été piquée et il a cherché à obtenir les informations qui lui permettraient de refaire le travail afin de vérifier les résultats affichés dans le Population & Sociétés. Mal lui en a pris car les auteurs, l’Ined, sa directrice, le directeur de publication, le responsable de l’intégrité scientifique l’ont « balladé » pendant vingt mois et ont tout tenté pour éviter de lui communiquer les documents nécessaires à la reproduction du travail à partir de TeO2008. Lui furent au final communiqués une nomenclature des prénoms utilisable, après avoir essayé de lui en refourguer une qui ne l’était pas, et un programme informatique incomplet. « Entre tentatives d’esquive, manœuvres dilatoires, multiplication de fausses excuses, faux-semblants, mensonges purs et simples, non-respect des engagements pris et autres combines, les auteurs et l’INED n’ont pas cessé de violer les règles de l’intégrité scientifique et de la “Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche” » [2] écrit Jean-François Mignot (p. 23).

Une exploitation erronée de bonne foi ?

Après bien des péripéties, il a donc refait le travail au plus près de celui supposément conduit par les auteurs. Après avoir examiné les prénoms de l’entourage des petits enfants d’immigrés maghrébins et avoir établi des critères stricts de distinction, il s’est avéré que les Nicolas étaient presque tous des petits-fils de pieds-noirs dont les parents avaient été classés à tort comme enfants d’immigrés du Maghreb : 9 sur 11 Nicolas. D’ailleurs, l’auteur s’étonne à raison de la publication d’un résultat reposant sur un effectif aussi réduit de Nicolas. Quoi qu’il en soit, après avoir exclu les descendants de pieds-noirs indûment classés comme descendants d’immigrés du Maghreb, les deux prénoms les plus fréquents donnés aux petits-fils d’immigrés du Maghreb ne sont plus Yanis et Nicolas mais Karim et Nassim. Ce ne sont plus seulement 23 % des petits enfants d’immigrés du Maghreb qui ont reçu un prénom arabo-musulman mais 49 %, d’après la nomenclature de l’Ined.

Comment expliquer pareille impasse de la part des auteurs ?

Jean-François Mignot ne croit pas à une exploitation erronée de bonne foi. En effet, la difficulté posée par la distinction entre migrants d’Algérie et pieds-noirs dans les enquêtes est bien connue et ne peut avoir échappé aux deux chercheurs. Pour accepter leurs résultats, il leur a fallu trouver normal que la moitié seulement des petits-enfants d’immigrés du Maghreb aient au moins un parent musulman : « On peine à envisager que des chercheurs compétents, des spécialistes comme Coulmont et Simon aient pu croire en la fiabilité des résultats qu’ils ont publiés. Il est plus vraisemblable qu’ils ne savaient que trop bien que leurs spectaculaires résultats étaient faux. C’est pourquoi, dès fin avril, début mai 2019, ils ont empêché leur libre examen » (p. 66). 

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Cette « fraude scientifique » a été possible en raison de la complaisance de l’Ined, mais plus généralement de l’écosystème de recherche sur la question migratoire. Notamment celle des centaines de chercheurs de l’Institut Convergences Migrations dirigé par François Héran et où Patrick Simon est responsable de l’un des quatre départements (INTEGER). Jean-François Mignot évoque aussi « un climat d’impunité plus général en sciences sociales » (p. 71), domaine où la rétractation d’articles bidonnés est rarissime.

C’est pourtant ce qu’il demande, la rétractation en bonne et due forme (publication par l’Ined d’une notice de rétractation et article maintenu en ligne, barré en rouge par le mot « rétracté » sur chacune des quatre pages) du Population & Sociétés N° 565. Si l’Ined obtempère, ce serait une première !

Le travail de Jean-François Mignot est celui d’un chercheur n’appartenant ni au champ d’études des migrations ni à celui de l’étude des prénoms qui ne peut être soupçonné de quelque rivalité malsaine avec les deux auteurs. Jean-François Mignot est plutôt un lanceur d’alerte dans un milieu académique peu enclin à la remise en question : « En biaisant les faits publiés et communiqués aux journalistes, au grand public et aux pouvoirs publics, les méconduites scientifiques sapent la confiance dans la recherche et dégradent le débat démocratique. Si la recherche en sciences sociales doit aider à éclairer le débat public et à lutter contre certaines idées colportées par des militants de tous bords, c’est en apportant aux citoyens des arguments factuels, fondés sur une méthode scientifique dénuée d’idéologie » (p. 7). 

Pour conclure, il faut ajouter que le document mis en ligne, s’il compte 357 pages, est astucieusement conçu. Nul n’est obligé de tout lire pour savoir de quoi il retourne puisqu’il comprend un très court résumé d’une page (p. 2) [3] , un résumé de cinq pages (p. 3-7) et un texte plus développé (p. 8-85), suivi d’annexes détaillées que seuls les « mordus » liront…

>> Retrouvez plus d’articles sur la démographie sur le blog de Michèle Tribalat <<


[1] Travaillant à l’Université Paris 8 au moment où il signe le Population & Sociétés.

[2] https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/16/ined_charte_deontologie.comite.ethique.fr.pdf

[3] Résumé qui figure aussi sur le site Academia et qui donne accès en un clic à l’ensemble du texte : https://www.academia.edu/50978335/Pr%C3%A9noms_des_descendants_dimmigr%C3%A9s_en_France_Essai_de_reproduction_dun_article_scientifique.

Darmanin bien seul face au trafic de drogue

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Après la mort d’un adolescent de 14 ans sur fond de trafic de drogue à Marseille, le ministre de l’Intérieur assure dans les médias que son gouvernement met tout en place pour harceler les trafiquants. Selon lui, « fumer du cannabis, avoir de la cocaïne sur soi, c’est être complice de la mort de ce jeune homme » et « parfois, financer des réseaux criminels et terroristes. » Cela dit, tout le monde ne pense pas exactement la même chose dans la majorité, loin de là.


On peut ironiser sur l’hyperbole utilisée par Gérald Darmanin pour évoquer les revenus des dealers et appeler à moins de naïveté, reste que sur le fond le ministre de l’Intérieur à raison de réaffirmer la nécessité de lutter contre le trafic de drogue, y compris de cannabis. Il y a d’autres critiques à lui faire, mais se focaliser sur cette exagération rhétorique c’est lui intenter un mauvais procès au lieu de réfléchir à l’essentiel.

Oui, Gérald Darmanin a raison de rappeler clairement l’impérieuse nécessité du combat contre les trafics de drogues. Oui, il a raison de dire que la légalisation du cannabis serait une défaite morale. Oui, il a raison de déclarer que les consommateurs des « beaux quartiers » ont eux aussi une lourde part de responsabilité dans les crimes commis par ces trafiquants qu’ils contribuent à financer, et on ne peut que se réjouir que le ministre ait abordé ce point trop peu évoqué. Ce sont là des positions courageuses, et la détermination du ministre face au fléau de la drogue est d’autant plus louable qu’elle s’oppose aux souhaits d’une part non négligeable de l’électorat notoirement « bobo » de son parti.

Les trois erreurs de Darmanin

On connaît les arguments en faveur de la légalisation du cannabis, des mauvaises excuses de consommateurs mondains à l’espoir naïf qu’il sera plus facile de lutter contre un problème de santé publique que contre un problème de délinquance. Ce n’est malheureusement pas si simple : l’image « cool » de la drogue est en elle-même un fléau, dans lequel certains politiques ont d’ailleurs une lourde responsabilité, et la légalisation serait à la fois une défaite morale, une faute politique et une erreur stratégique. Il est heureux que le ministre de l’Intérieur partage cette analyse.

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Faut-il pour autant se contenter d’applaudir ? Non, hélas, car malgré toutes ses bonnes intentions Gérald Darmanin fait trois erreurs de fond.

La première est de ne pas aller au bout de sa propre réflexion lorsqu’il évoque l’incohérence – pour ne pas dire l’hypocrisie – de certaines municipalités, par exemple au sujet de la vidéo-protection. Le ministre n’en est évidemment pas responsable, pas plus qu’il n’est responsable de la tendance lourde de l’État, depuis des décennies, à se désengager de ses responsabilités régaliennes pour les transférer aux collectivités : le rôle de plus en plus crucial des polices municipales le prouve. Celles-ci ne cessent de monter en gamme, souvent plus présentes sur le terrain que la police nationale car moins vampirisées par les tâches annexes et le poids croissant du formalisme de la procédure pénale : plus des trois quarts du temps consacré à une enquête judiciaire est aujourd’hui accaparé par des points de pure forme au détriment de la recherche de la vérité. Reste que ce désengagement de l’État n’est pas acceptable : qu’en est-il des communes qui n’ont pas les moyens de financer des polices municipales suffisamment étoffées ? Qu’en est-il des habitants de ces villes dont, par idéologie ou clientélisme, les élus refusent de faire le nécessaire ? Les missions régaliennes sont à la fois la responsabilité de l’État et le fondement de sa légitimité, il est plus que temps qu’il les assume à nouveau, et il serait du devoir du ministre de l’Intérieur d’agir dans ce sens.

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Une priorité chasse l’autre

La seconde relève du management : à chaque fait divers, une priorité nouvelle. Aujourd’hui la drogue, demain les violences intra-familiales, après-demain l’immigration illégale, le jour suivant le contrôle des mesures « sanitaires », puis des manifestations anti-pass et de la contestation sociale, puis de nouveau la drogue, ad nauseam. Et les forces de l’ordre ont justement la nausée de ces chaises musicales de priorités, l’une chassant l’autre au gré des bandeaux de BFM TV et des indignations fluctuantes des réseaux sociaux. Quand tout est prioritaire, plus rien ne l’est. Il est probable que Gérald Darmanin prenne réellement à cœur la lutte contre les trafics de drogue, et c’est tout à son honneur : qu’il veille alors à ne pas démotiver ses troupes en cédant à la facilité de la « priorité du moment » qui ne sert qu’à se concilier temporairement telle ou telle association et surtout à se dédouaner en cas de coup dur : « j’avais donné des ordres » – sans jamais préciser que ces ordres étaient contradictoires, et rendus inutiles du seul fait de leur accumulation et de leur déconnexion totale des moyens humains et matériels dont disposent les services concernés.

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La troisième erreur, la plus grave, est de ne pas aborder de front le problème de la réponse pénale. Partout où les magistrats se montrent d’une complaisance coupable envers les dealers, le ministre de l’Intérieur et les forces de l’ordre sont impuissants, et tous les discours, toutes les déclarations d’intention, toutes les priorités affichées du monde n’y pourront rien changer. La contraventionnalisation de certains actes relatifs aux trafics de stupéfiants permet de contourner ce problème, en permettant une sanction systématique et non soumise à l’arbitraire de l’institution judiciaire, mais elle ne fait justement que contourner le problème, elle ne l’affronte pas. Il y a trois mois, les policiers descendaient dans la rue et huaient un garde des Sceaux applaudi par les détenus : tout est dans ce symbole. Bien sûr, les magistrats ne sont pas seuls responsables : ce sont les élus qui votent des lois systématiquement plus soucieuses des droits des criminels que de ceux de leurs victimes. Ce sont les élus qui valident l’impunité d’une corporation qui, de plus en plus, prétend se situer au-dessus de la volonté générale. Reste qu’il est grand temps que les juges, comme n’importe quel citoyen y compris dans l’exercice de sa profession, rendent des comptes sur les conséquences de leurs actes. Face à cet enjeu majeur, on aimerait que le ministre de l’Intérieur ne se contente pas de ronchonner en coulisses contre Dupond-Moretti pour finalement répéter comme lui à chaque drame absurde que « il n’y a pas eu de dysfonctionnement » car « l’état de droit a été respecté. »

En résumé, que Gérald Darmanin s’oppose à la franche la plus à gauche de LREM pour défendre la lutte contre les trafics de stupéfiants et refuser la légalisation du cannabis est une excellente chose. Mais tant que l’État se désengagera du régalien, que la valse des priorités au rythme des sautes d’humeur médiatiques perdurera, et que les juges pourront continuer à n’en faire qu’à leur tête sans devoir assumer les conséquences de leurs décisions, il est à craindre que les beaux discours ne restent, comme si souvent, que du marketing.

Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Nord de Paris, novembre 2020 © Michel Setboun/SIPA Numéro de reportage : 00993582_000028

Seine Saint-Denis, Paris intra-muros… mais aussi Rennes ou Limoges (!): la proportion des 0-18 ans nés de parents extra-européens explose dans de nombreuses aires urbaines. Un basculement démographique historique. Analyses.


Depuis de nombreuses années, la question des statistiques ethniques constitue un sujet brûlant au sein des débats relatifs au fait migratoire, à son approche scientifique et à ses répercussions dans la société française. 

En effet, la jurisprudence en vigueur du Conseil constitutionnel considère que « si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes (…) peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race » (décision du 15 novembre 2007 [1]).

Néanmoins, si la constitution de bases de données fondées sur la « race » ou l’origine ethnique auto-déclarée – telles qu’elles existent notamment aux États-Unis ou en Grande-Bretagne – demeure formellement interdite, il n’en va pas de même quant à l’origine nationale des individus. En se fondant sur les données du recensement, l’INSEE entretient ainsi tout un appareil statistique relatif au nombre d’immigrés vivant en France (NB : sont seuls considérés comme immigrés les individus nés étrangers à l’étranger), au nombre d’enfants nés de parents immigrés et aux pays d’origine de ceux-ci.

C’est sur cette base que France Stratégie, organisme de prospective rattaché au Premier ministre, a rendu publique en 2020 une vaste étude consacrée à « la ségrégation résidentielle en France ».  

Le champ de l’étude

Se penchant sur les données INSEE disponibles pour les 55 « unités urbaines » françaises comptant plus de 100 000 habitants, les équipes de France Stratégie ont élaboré une cartographie détaillée visant à comprendre « l’inégale répartition dans l’espace urbain des différentes catégories de population » au regard de plusieurs critères mesurés en 2017 : la tranche d’âge, le statut d’activité (actifs occupés / chômeurs / inactifs), la catégorie socio-professionnelle, le statut d’occupation du logement (HLM ou autre)… Mais aussi l’origine migratoire directe : les immigrés et leurs enfants.

Grâce à un travail exhaustif de transposition cartographique qu’il convient de saluer, le site créé pour l’occasion permet de visualiser, pour chacune des grandes et moyennes agglomérations françaises :

  • Le pourcentage d’immigrés européens / extra-européens parmi les 25-54 ans ;
  • La part d’enfants nés de parents immigrés européens / extra-européens parmi les 0-18 ans.

En mobilisant la profondeur des données du recensement, ce site propose de visualiser l’historique de ces statistiques sur plusieurs jalons des cinquante dernières années : en 1968, 1975, 1990, 1999 et 2017 – dernière année étudiée. Il est ainsi possible d’obtenir une vision fidèle des transformations démographiques majeures qu’ont connu les villes françaises au cours du demi-siècle écoulé. 

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Ledit travail de cartographie est réalisé à la fois au niveau des communes et des zones IRIS (« Ilôts regroupés pour l’information statistique »), lesquelles correspondent à un découpage par quartier d’environ 2 000 habitants chacun appliqué par l’INSEE. Le choix de ce maillage fin nous offre une véritable précision dans l’analyse géographique des phénomènes.

Au regard des éléments très riches ainsi mis à disposition, force est de constater que les mutations générées par les flux migratoires sont particulièrement frappantes, tout comme les phénomènes de séparation géographique qu’elles induisent dans l’ensemble des métropoles. 

Nous proposons d’examiner ici quelques exemples significatifs, en nous focalisant sur un même indicateur : le pourcentage des 0-18 ans nés d’immigrés extra-européens et son évolution depuis 1990.

Commençons par deux zooms dans l’unité urbaine de Paris, qui porteront sur :

  1. Le département de la Seine-Saint-Denis,
  2. La capitale intra-muros.

La Seine-Saint-Denis

Les données INSEE cartographiées par France Stratégie nous apprennent que les enfants immigrés ou nés de parents immigrés extra-européens sont majoritaires parmi les 0-18 dans plus de la moitié des communes de Seine-Saint-Denis en 2017.

Ce basculement est particulièrement marqué dans certaines communes :

  • La Courneuve : 75% des 0-18 ans sont nés de parents immigrés extra-européens (moins d’un quart des mineurs résidant sur la commune est donc d’origine française ou européenne) 
  • Villetaneuse : 73%
  • Clichy-sous-Bois : 72%
  • Aubervilliers : 70%.
  • Pierrefitte-sur-Seine : 69%

Si l’on procède à la même analyse par zone IRIS, on se rend compte que les pourcentages concernés sont encore plus élevés dans certains quartiers de ces villes – jusqu’à 84% dans certaines zones de Clichy-sous-Bois :

En 1990, si ces taux étaient déjà nettement plus élevés en Seine-Saint-Denis que la moyenne nationale, ils étaient néanmoins beaucoup plus faibles qu’aujourd’hui :

  • A la Courneuve, la proportion d’enfants d’immigrés extra-européens a augmenté de 60% entre 1990 et 2017.
  • A Pierrefitte-sur-Seine, la proportion d’enfants d’immigrés extra-européens a augmenté de 102% : elle a donc plus que doublé.

Paris intra-muros

Les enfants d’immigrés extra-européens représentent jusqu’à la moitié des 0-18 ans résidant dans certains arrondissements parisiens :

  • 50% dans le XIXème arrondissement
  • 43% dans le XVIIIème
  • 42% dans le XXème
  • 41% dans le XIIIème

Au-delà des moyennes par arrondissement, l’analyse des statistiques disponibles par quartier permet d’identifier les zones de la capitale où cette mutation démographique est plus accentuée encore :

  • Clignancourt / Porte de Saint-Ouen (XVIIIème) : 72% des 0-18 ans sont issus de parents immigrés extra-européens
  • Stalingrad / avenue de Flandre (XIXème) : 71%
  • Porte de la Chapelle (XVIIIème) : 66%
  • Porte de Pantin (XIXème) : 66%

D’autre part, l’analyse au niveau des IRIS permet d’établir à quel point la population de Paris s’apparente désormais à un véritable « archipel » – pour reprendre l’expression fameuse de Jérôme Fourquet. Au sein d’un même arrondissement voisinent parfois des quartiers à la composition démographique radicalement différente. Il en va ainsi du XVIIIème :

  • Laumarck-Caulaincourt : 12% d’enfants d’immigrés extra-européens parmi les 0-18 ans
  • Château-Rouge (à 900 mètres de distance) : 66%

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En 1990, si la population immigrée était déjà plus forte à Paris qu’ailleurs, les taux en question étaient cependant beaucoup plus faibles. On a assisté à une explosion de la part de la natalité extra-européenne sur les trois dernières décennies : + 25 points en moyenne dans toute l’agglomération parisienne, avec une diffusion dans l’ensemble des arrondissements intra-muros.

Si la métropole parisienne constitue sans conteste la pointe avancée des transformations démographiques générées par l’immigration extra-européenne, les données compilées par France Stratégie démontrent néanmoins que les mêmes dynamiques sont à l’œuvre sur l’ensemble du territoire national. Nos lecteurs peuvent obtenir les données cartographiées pour leur ville sur le site https://francestrategie.shinyapps.io/app_seg/

Nous nous limiterons ici à analyser brièvement deux exemples particulièrement parlants, car portant sur des villes de province qui n’ont jamais constitué des « terres d’immigration » au XXème siècle :

  1. Une grande ville de l’Ouest : Rennes
  2. Une ville moyenne située dans la « diagonale du vide » : Limoges

Rennes et sa métropole

À l’instar du reste de la Bretagne, la région rennaise est longtemps restée à l’écart des différentes vagues d’immigration reçues par la France depuis le XIXème siècle. Cela est resté le cas pour les flux extra-européens… jusqu’à ces dernières années – ainsi que le démontrent les données INSEE.

Les enfants de parents immigrés extra-européens représentent désormais presqu’un quart (22,8%) des 0-18 ans vivant dans l’agglomération de Rennes en 2017. Si certaines communes périphériques restent encore peu concernées par cette mutation, celle-ci est spectaculaire dans plusieurs quartiers de Rennes – où les jeunes d’origine extra-européenne sont parfois majoritaires :

  • Le Blosne : 51% des 0-18 sont des enfants d’immigrés extra-européens
  • Villejean / Beauregard : 50%
  • Bréquigny : 45%

Cet aspect spectaculaire prend encore plus de sens lorsqu’il est mis en rapport avec les cartes de 1990 : le pourcentage d’enfants de parents extra-européens parmi les jeunes de la métropole rennaise a été multiplé par 3 en moins de 30 ans (passant de 7,7% à 22,8%). Dans certains quartiers, cette augmentation est vertigineuse :

  • À Villejean-Beauregard, la part des jeunes nés d’immigrés extra-européens a augmenté de 355% en 27 ans
  • À Brequigny, cette proportion a augmenté de 221%

Limoges et son aire urbaine

Capitale du Limousin rural et enclavé, la ville de Limoges et ses environs n’ont – comme la Bretagne – pas constitué un lieu d’arrivée ordinaire des flux d’immigration vers la France. L’isolement géographique et la structure économique de la région ne se prêtaient pas à une « attractivité » de cette nature. Pourtant, en 2017, les cartes de France Stratégie dévoilent une démographie limougeaude largement perfusée par l’immigration extra-européenne. 

Les enfants de parents immigrés extra-européens représentent en moyenne plus d’un quart (27,5%) des 0-18 ans vivant dans l’unité urbaine de Limoges. Ils sont même nettement majoritaires dans certains quartiers :

  • Les Portes Ferrées / Saint-Lazare : 61% des 0-18 sont des enfants d’immigrés extra-européens
  • Ester / Beaubreuil : 61%
  • Corgnac / Val de l’Aurance : 58%

En 1990, les enfants de parents extra-européens ne représentaient que 10,2% des 0-18 ans dans l’agglomération de Limoges ; leur part a donc augmenté de 170% en moins de trente ans. Si cette hausse est générale, les mêmes quartiers sont à la pointe de ce phénomène :

  • Dans la zone de Corgnac / Val de l’Aurance, la part des jeunes nés d’immigrés extra-européens a augmenté par exemple de 262% en 27 ans
  • Aux Portes Ferrées, elle a augmenté de 165%

Cependant, outre la hausse globale, l’aspect le plus remarquable de la situation limougeaude réside dans des communes et des quartiers qui n’étaient absolument pas concernés par l’immigration extra-européenne voici 27 ans, mais dont la population jeune en est aujourd’hui issue dans une part importante. Pour citer quelques uns de ces territoires :

  • Dans la ville de Panazol (la plus peuplée de l’unité urbaine après Limoges), les enfants d’immigrés extra-européens représentaient 1% des 0-18 sur le territoire communal en 1990 ; ils sont désormais 15% en 2017 – soit une multiplication par quinze de cette part ;
  • À Isle, ils étaient 2% en 1990 ; ils sont 18% en 2017 – soit une multiplication par neuf ;
  • Au Palais-sur-Vienne, ils étaient 5% en 1990 ; ils sont 24% en 2017 – soit une multiplication par cinq.

Les angles morts de cette étude

Il apparaît utile de préciser que les données INSEE mobilisées par France Stratégie seraient sous-évaluées si l’on cherchait à les utiliser pour estimer la part complète de telle ou telle origine « ethnique » au sein d’une population – et ce pour deux raisons principales : 

  1. Ce calcul n’inclut pas la « troisième génération », celle des enfants nés de grands-parents immigrés extra-européens ;
  2. Il n’intègre probablement que très partiellement la présence de mineurs immigrés clandestins (sachant que la population totale des immigrés illégaux dans la seule Seine-Saint-Denis est estimée entre 150 000 et 450 000 individus d’après un rapport parlementaire de 2018 [2]).

Les données ici présentées ne remplacent donc pas les « statistiques ethniques », objets récurrents de polémiques et d’obstacles juridiques, dont la démographe Michèle Tribalat considère pourtant qu’elles sont « indispensables à la connaissance » [3].

Par ailleurs, la double dynamique induite par la surnatalité des populations immigrés et l’accélération de l’immigration au cours des dernières années (cf partie « Pourquoi un tel bouleversement ? ») conduisent à penser que les données ici compilées en 2017 sont déjà significativement dépassées.

Enfin, l’approche englobante de la catégorie des « 0-18 ans » ne donne pas une idée aussi précise que possible des dynamiques en cours. Au vu de la tendance dessinée par ces cartes, on peut imaginer que la proportion d’enfants d’immigrés extra-européens est plus forte chez les 0-5 ans ou les 0-10 ans que chez les 10-18 ans. Une telle segmentation statistique aurait permis de percevoir de façon plus précise l’accélération des transformations démographiques en cours, ainsi que leur impact à venir sur l’ensemble des catégories d’âge 

Pourquoi un tel bouleversement ?

Les transformations démographiques ici décrites – qu’il faut bien reconnaître comme sans précédent dans notre Histoire par leur nature, leur ampleur et leur rapidité – sont liées à la conjonction de deux moteurs migratoires, lesquels ne cessent d’accélérer leurs cadences et de se nourrir réciproquement :

  1. La poursuite et l’accélération de l’immigration vers la France

Pour la seule année 2019, 469 000 étrangers se sont légalement installés sur le territoire national (titres de séjour accordés + demandes d’asile enregistrées + mineurs étrangers reconnus « isolés » [4]), soit un record absolu. Il faut ajouter à cela les entrées clandestines, difficiles à chiffrer par nature mais que l’on peut estimer à plusieurs dizaines de milliers par an.

  1. La surnatalité des populations immigrées par rapport aux natifs. 

Sur une période de vingt années entre 1998 et 2018 :

  • Le nombre de naissances d’enfants dont au moins un parent est étranger a augmenté de 63,6%
  • Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont étrangers a progressé de 43%.
  • Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont français a baissé de 13,7% [5].

En 2018, près d’un tiers des enfants nés en France (31,4%) ont au moins un parent né à l’étranger [6].

Emmanuel Macron à Montpellier le 19/04 © Patrick Aventurier-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01015121_000106

Les femmes immigrées ont un taux de fécondité de 2,73 enfants par femme en moyenne, contre 1,9 pour les natives [7]. Ce contraste est encore plus marqué pour certaines nationalités extra-européennes : ledit taux s’élève à 3,6 enfants par femme en moyenne pour les immigrées algériennes, 3,5 enfants par femme pour les immigrées tunisiennes, 3,4 enfants par femme pour les immigrées marocaines et 3,1 enfants par femme pour les immigrées turques, ce qui est plus élevé que la fécondité de leurs pays d’origine (respectivement 3 ; 2,4 ; 2,2 ; 2,1).

Malgré ses limites, l’analyse à laquelle nous venons de nous livrer démontre que les effets cumulés de l’immigration et des différentiels de fécondité ont d’ores et déjà modifié significativement la population française dans les grandes et moyennes agglomérations – et qu’ils continuent de le faire. 

Une fois posé ce diagnostic incontestable, il est permis à chacun de s’interroger sur les conséquences d’un tel basculement à court, moyen et long terme, étant entendu qu’il ne pourra cesser de s’amplifier « naturellement » sans la mise en œuvre d’une volonté politique contraire.

> Retrouvez l’intégralité des articles de l’Observatoire sur leur site http://observatoire-immigration.fr <


[1] Décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, « Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile » (site du Conseil constitutionnel)

[2] Rapport d’information sur l’évaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2018 (rapport CORNUT-GENTILLE-KOKOUENDO).

[3] Entretien au Figaro, 26 février 2016 (lien)

[4] Sources : Ministère de l’Intérieur et OFPRA

[5] Statistiques de l’état civil de l’INSEE et du document « T37BIS : Nés vivants selon la nationalité des parents (Union européenne à 28 ou non). Calculs : OID. https://observatoire-immigration.fr/natalite-et-immigration/

[6] Op. cit.

[7] Interview de François Héran, professeur de démographie au Collège de France, par Ivanne Trippenbach pour L’Opinion, 4 octobre 2019 (Lien

[8] François Héran, op. cit.

Les antivax, une minorité vindicative pas tout à fait comme les autres

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Au sein de la droite "hors les murs", le maire de Béziers Robert Ménard (ici photographié en juin) est l'un des rares à répliquer aux antivax. © Alain ROBERT/SIPA Numéro de reportage : 01025124_000005

Le complotisme est un nouvel axe du mal. Et si le choc des civilisations redouté par Samuel Huntington était interne, finalement? À droite, entre ceux qui acceptent la politique sanitaire et les anti-vaccins, le dialogue est rompu.


L’été dernier fut celui des déboulonneurs, souilleurs, censeurs et autres effaceurs de la cancel culture. 

Il fallait en finir avec les statues, les livres, les films et tout ce que les nouveaux éveillés (« woke ») considéraient comme patriarcal, sexiste ou colonialiste (la maison de Dickens, la Petite Sirène de Copenhague, Scarlett O’Hara et même la musique de Beethoven considérée comme trop « blanche »). Cet été aura été celui des conspi antivax, anti-passe et dissidents en tout genre. Pour eux, il s’agissait de dénoncer la « dictature sanitaire », l’hitlérisation des gouvernants et pour certains, l’empoisonnement pur et simple de la population. 

Minorités bruyantes

Dans les deux cas, nous aurons eu affaire à une offensive des minorités. Aux sectes universitaires soi-disant éclairées se seront ajoutées les sectes anti-sanitaires soi-disant libres. À la déconstruction culturelle aura fait écho la déconstruction médicale. L’inclusif se sera senti pousser des ailes, l’obscurantiste aura eu le vent en poupe. Contre toute attente, aura eu lieu cette intersectionnalité aberrante (et inconsciente) des puritains et des anarchistes, des rigoristes et des rebelles, des pointures et des ploucs, chacun s’enfermant dans sa communauté, jouissant de la révolution culturelle à faire ou de l’apocalypse politique à venir. Plèbe d’en haut, plèbe d’en bas, comme aurait dit Nietzsche. Et guerre non plus tant entre cultures qu’à l’intérieur même de notre culture. C’est cela qu’a révélé cette crise sanitaire, la plus clivante de l’histoire récente et qui nous oblige à revoir nos logiciels. 

On ne peut certes présager de l’avenir mais telles que les choses se passent, et si elles continuent, on est en droit de se demander si ce fameux « choc des civilisations » cher à Samuel Huntington ne sera pas externe mais interne. Non le Nord contre le Sud, l’occidental contre l’oriental, le chrétien contre le musulman ou le blanc contre le noir – mais le savant contre l’ignorant (ou le je-sais-tout, ce qui revient au même), le scientifique contre le youtubeur, le professionnel contre l’ubérisé, l’officiel contre l’occulte, le légitimiste contre le factieux, l’avisé contre le looser, le courageux contre le trouillard (car il ne faut jamais l’oublier, dans cette affaire, les trouillards, ont toujours été les antivax) – et à la fin Robert Ménard contre les blaireaux de l’ultra-droite. 

Une droite clivée, violente et intolérante

Car il faut le reconnaitre, c’est bien plus à droite qu’à gauche que le clivage est le plus violent. 

Contrairement à l’ultra gauche, n’ayant que foutre de la liberté, et pour qui la contestation contre le passe sanitaire n’est qu’un prétexte pour mettre à mal le gouvernement et faire le Grand Soir, la droite, naturellement attachée à la liberté, est touchée dans son ADN. Cela serait tout à son honneur si la droite n’en venait pas à défendre dans cette affaire la partie la plus basse, imbécile, asociale, anomique d’elle-même, tombant dans l’idéologie la plus éhontée sinon la plus délirante. Un comble quand on sait qu’elle a passé sa vie à donner des leçons de réalité à ses adversaires, et une honte pour ceux de son camp qui refusent de la suivre dans sa nouvelle aptitude au mensonge QAnonisé. En fait, jamais la droite (celle qui conteste, grogne et défile) n’a été aussi irréelle – et, pour une partie d’entre elle, révolutionnaire. Or, la droite révolutionnaire (et je suis désolé d’avoir à le dire comme si j’étais le premier gauchiste venu, mais il n’y a pas d’autre mot) ça peut tourner au fascisme. Et c’est pourquoi, contre les inénarrables Philippot, Dupont-Aignan et Asselineau qu’il a qualifiés de « barjos », Robert Ménard sauve l’honneur de son camp. Si souvent politiquement incorrect, le maire de Béziers se retrouve, dans cette affaire, sanitairement correct – ce qui dans son milieu est quasi héroïque.

Alors, c’est vrai que nous, les provax et pro passe, pouvons apparaître péremptoires, intolérants, peut-être même méprisants. Mais quoi ? Il faut bien protéger les gens contre eux-mêmes – que ce soit sur le plan sanitaire comme intellectuel. Impossible de mettre leur « doute », « questionnement » et autre « réflexion » au niveau des nôtres. Impossible même de considérer qu’ils font partie de la dialectique d’où surgirait une vérité supérieure. Croire le contraire serait comme mettre l’OMS au niveau d’Inspecteur Gadget. 

Dialogue rompu

Allez donc tenter de discuter avec eux. Aussitôt, leurs mensonges (souvent bien plus au point que nos vérités) nous submergent, leur dinguerie nous lamine, leurs sifflets nous sidèrent. Même Donald Trump y a eu droit récemment pour avoir exhorté ses partisans à se faire vacciner ! 

C’est qu’à l’instar des négationnistes avec les chambres à gaz, les conspi connaissent souvent le sujet mieux que nous et ont beau jeu de nous enfoncer dans leur connerie, s’amusant à nous « coincer » avec leur scepticisme arbitraire, leur doute inébranlable, leur orwellisme indécent, leur bigoterie décomplexée : « le vaccin est un viol génétique », me soutenait un ami catho – encore que les cathos n’ont pas de chance avec leur pape qui a déclaré que la vaccination était un acte d’amour. Mais l’amour ! La solidarité ! Le bon sens ! Ils en font des gorges chaudes, les insoumis du samedi. Et l’on a beau faire, beau dire, on perd toujours devant cette incompétence qui ne se laisse pas faire, ce charlatanisme pervers qui invente des arguments au fur et à mesure, un peu comme Keiser Söse inventait sa version des faits dans Usual Suspects. D’ailleurs, si l’on voulait trouver du diabolique dans cette affaire, c’est du côté de ce scepticisme occulte, de cette ultra-critique mâtinée de traditionalisme, de cette propension à la fake news tous azimuts que l’on devrait chercher. Jamais le Neuvième Commandement : « tu ne porteras de faux témoignage » n’aura autant été violé que par ces intégristes manipulateurs. Marc-Edouard Nabe avait raison : le complotisme est le nouvel axe du mal. Et ça se passe chez nous, pire – entre nous.

Lui, un dictateur?

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Emmanuel Macron à l'Élysée, le 24 août 2021 © Sarah Meyssonnier/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22598812_000001

S’accommoder avec l’idée que nous serions en « dictature sanitaire » est la pire des attitudes à avoir


Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.

Je suis désolé de citer une fois de plus cette phrase d’Albert Camus, tellement exploitée. Mais comment ne pas la retenir quand on constate que « face aux anti-passe, Macron opte pour l’intransigeance » dans Le Monde ? J’ai découvert il y a peu le réseau TikTok et dans une vidéo j’ai indiqué que pour être globalement critique à l’encontre du président, notamment sur sa faiblesse régalienne, on avait le droit cependant d’approuver telle ou telle mesure de sa politique sans risquer d’être insulté. Pourtant, de la part de ses opposants systématiques, parfois fanatiques, la moindre concession à son égard est un scandale. Ce président est à détester en gros et ne peut être racheté au détail.

Les réfractaires à la politique sanitaire se radicalisent-ils?

Je ne peux cependant m’empêcher de l’approuver quand, « dénonçant avec force les manifestants anti-passe », il fustige « ces quelques dizaines de milliers de citoyens en perte de sens telle qu’ils peuvent dire qu’on vit en dictature » et cette « violence radicale ». Si on est tenté de nuancer, de rappeler que cette banalisation des mots et de l’Histoire, ces comparaisons absurdes et choquantes, cette référence odieuse et offensante au nazisme et aux camps ne datent pas d’aujourd’hui, il faut se garder de cette tentation.

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Si on se croit autorisé à souligner que ce n’est pas par hasard que ce délire a surgi particulièrement sous le macronisme et cette étrange et paradoxale sensation de vivre sous une démocratie autoritaire mais en réalité tellement impuissante, il convient de se défier de cette envie. Parce que, dans tous les cas, parler de dictature pour la France d’aujourd’hui relève d’une inanité, d’une bêtise, d’un abus, d’une honte. La pire des attitudes serait de s’accommoder de cette ineptie qui, pour se rapporter à la relation entre le pouvoir et une minorité de citoyens, n’en acquiert pas un caractère noble et politique mais demeure dans le registre le plus sot et délirant.

Une profanation

Le comble serait d’accepter que la légitimité d’une cause discutant le passe sanitaire puisse s’octroyer, par extension et sulfureuse contagion, la liberté de s’exprimer n’importe comment et avec un vocabulaire dont l’enflure intellectuelle et historique, l’usurpation démocratique ne peuvent qu’indigner.

Ce n’est pas parce que le président de la République a totalement raison cette fois-ci qu’il doit être crédité globalement.

Ce n’est pas parce que je le loue sur ce plan que je dois être traité tel un traître.

Mais nous ne sommes pas en dictature. Dire le contraire est profaner la République.

Se perdre en montagne avec Charles-Ferdinand Ramuz

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Ramuz © Centre des littératures en Suisse romande

En ces temps troublés, il est plaisant de relire Derborence, roman de Charles-Ferdinand Ramuz qui nous raconte l’histoire d’un village montagnard confronté à un drame.


En 1714, le massif vaudois des Diablerets est frappé par des éboulements successifs. À Derborence, un berger, Antoine Pont, parti, avec son oncle, Séraphin, faire paître le troupeau dans les alpages, a survécu sous les pierres pendant des mois. Revenu, par miracle, au village, véritable mort vivant sorti du tombeau, on le prend pour une âme errante. Malgré l’amour de Thérèse, sa femme, Antoine, incapable de revivre au village, retourne dans la montagne chercher Séraphin qu’il croit toujours vivant. Le temps passe. Antoine ne revient pas. Thérèse, enceinte, part, seule, à sa recherche dans la montagne éboulée.

Un récit magistral

Le récit est d’une technicité magistrale. Aucun romanesque inutile pour rendre la vie archaïque d’une communauté montagnarde. Tout y est réduit à l’élémentaire. Le personnage principal est la montagne, massif tout puissant, étrange et majestueux. Les paysans sont présents par les dialogues, selon une écriture proche du cinéma. Le récit avance par vagues de schiste glissant les unes sur les autres que casse la lumière. Quel dépaysement !

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Narrative, l’œuvre est une métaphore de la condition humaine. Nouvel Adam, extirpé du sol, montagnard et nomade, Antoine ressuscite d’un monde originel. Mais le récit est surtout une Odyssée : celle du retour du revenant de l’autre monde qui ne trouve plus, au milieu des siens, sa place ni son identité. La scène des retrouvailles est une réussite. Qui est Antoine ? Pour lui et pour les autres ? Peu avant l’éboulement, la tête contre le mur, il avait vu, au cours d’une rêverie mêlant réel et imaginaire, Thérèse « glanant les nuages. » De retour au village, il ne la reconnaît plus et la laisse seule, le soir même. Mais c’est Thérèse qui le ramènera du monde de la mort. Tache de lumière à l’assaut de la montagne, nous saurons qu’elle et Antoine se sont retrouvés, à la tache plus sombre qui la rejoint au bout d’une ascension fantastique. L’avant-dernier chapitre du roman est elliptique. Des années après, dans le silence des pierres, s’entend toujours « le bruit des brebis passant près de vous… comme d’une grosse averse » ou celui de « petites vagues rapides de leur langue quand elles broutent. » Vaincue, la montagne a gardé son bien dans la personne de Séraphin. 

Un écrivain majeur de la Suisse romande

Derborence (1934) est un chef-d’œuvre de la littérature française. Par les temps violents que nous vivons, rien de tel qu’une pareille lecture pour faire un filtre entre nous et la réalité. Loin de toute vision idyllique et « républicaine… qui chante les glaciers sublimes » comme dit Ramuz, la montagne est évoquée dans son silence, sa solitude et sa violence. Tableau cosmique mais sans excès, le livre est  illustré par les encres sobres de Guy Toubon.

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Que Derborence au doux nom pour évoquer un monde si étrange soit l’occasion de découvrir cet écrivain majeur de la Suisse romande, à l’œuvre immense, que fut Charles-Ferdinand Ramuz. Auteur du livret de Histoire du Soldat de Stravinski, ballet-opéra déroutant où œuvre le diable, joué en 2018, au Théâtre des Champs Elysées, avec Denis Podalydès, Ramuz est aussi l’auteur du triste et beau roman Aline réédité récemment, aux éditions Grasset.