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Paris, la poubelle ville du monde

Cette "nouvelle esthétique" qui saccage Paris


Paris, la poubelle ville du monde
Le marché de Château-Rouge dans le 18e arrondissement de Paris © Hannah Assouline

Triomphalement réélue il y a un an avec 17% des inscrits, Anne Hidalgo a des rêves de grandeurs nationales. Et cela se voit : saleté, dégradations, circulation impossible… Paradoxalement, la capitale n’est pas délaissée, elle est victime d’un acharnement destructeur de la part de ses édiles. Du jamais-vu dans l’histoire.


« La capitale est plus belle depuis que je suis arrivée aux responsabilités. » Anne Hidalgo fait cette déclaration, (si, si, elle a osé mais c’est à ça qu’on les reconnaît), sur France 2 le 15 avril dernier, alors que naît une vague de ras-le-bol sans précédent. Sous le mot-dièse #saccageparis, des Parisiens exaspérés par l’état d’abandon de la ville partagent des milliers de photos prouvant une réalité qui n’arrive pas jusqu’aux fenêtres de l’Hôtel de Ville. Pour l’équipe municipale, ce mouvement n’est qu’une manifestation « d’extrême droite ».

Au terme d’une campagne bouleversée par la crise du coronavirus, la maire sortante est arrivée le 15 mars 2020 en tête du premier tour de l’élection municipale avec plus de 29 % des suffrages. Le 28 juin, elle a remporté le deuxième tour avec 48,7 % des voix après avoir noué une alliance avec le candidat Europe Écologie Les Verts, David Belliard. Notons toutefois qu’elle a triomphé avec seulement 224 790 suffrages exprimés, la participation n’ayant été que de 36,68 %, soit le plus faible taux jamais enregistré depuis 1977. Le 3 juillet, les 163 nouveaux conseillers de Paris ont donc reconduit Anne Hidalgo à la tête de la Ville.

État des lieux

Les critiques qui font rage peuvent être regroupées sous trois grandes rubriques : la saleté, l’enlaidissement et les entraves à la circulation.

La malpropreté est une question récurrente depuis le premier mandat d’Hidalgo. Enfermée dans un stupéfiant déni de réalité, celle-ci se contente de promettre, dans la novlangue dont elle use et abuse, un « big bang de la proximité » à propos de son projet visant à donner plus de pouvoirs aux maires d’arrondissement. Elle s’engage par ailleurs à doubler le budget consacré à la propreté, pour le porter à un milliard d’euros par an, alors que la ville est déjà endettée à hauteur de plus de 7 milliards d’euros. En attendant, les Parisiens se plaignent de vivre dans une « ville-poubelle », « une ville-dépotoir » dont ils ont honte, tandis que les rats pullulent et que décharges sauvages, tags et autres souillures se multiplient en toute impunité. Quant au ramassage des ordures, il laisse régulièrement à désirer lorsque le service n’est pas purement et simplement en grève. Sur les réseaux sociaux, les habitants soulignent que la crasse est un enjeu de salubrité publique et une urgence sanitaire et que la tiers-mondisation de leur ville met en péril son attractivité touristique.

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Quant à l’enlaidissement de la capitale, les Parisiens déplorent un processus de zadisation là où Anne Hidalgo ose évoquer une « nouvelle esthétique ». Médusés et très en colère, ils constatent l’enlèvement systématique du mobilier urbain traditionnel. D’aucuns parlent même de « pillage » et de mise à sac du patrimoine. Qu’il s’agisse des célèbres bancs Davioud (voir encadré), des fontaines Wallace, des lampadaires ou bien encore des colonnes Morris, ils observent que la mairie ne les entretient absolument pas, préférant les laisser pourrir ou bien les retirer subrepticement avant que certains d’entre eux soient retrouvés dans des ventes aux enchères, chez des antiquaires ou même au marché aux puces, par exemple les plaques de fonte destinées aux arbres. Mais il y a pire encore, comme le cas des deux fontaines monumentales Art déco de la porte de La Chapelle. Retirées provisoirement le temps des travaux du tramway T3, elles étaient prétendument égarées avant qu’on apprenne qu’elles avaient été purement et simplement détruites. La municipalité substitue systématiquement à ces pièces du mobilier disparate, toujours très bas de gamme.

Une autre manière d’enlaidir la ville consiste à abattre sans raison des dizaines et des dizaines d’arbres magnifiques et centenaires, tandis que dans le même temps on pollue visuellement les rues avec les permis de végétaliser lancés en 2015. Des centaines de milliers d’euros sont gaspillés ainsi chaque année pour « retrouver un lien avec la nature. […] Rencontrer, partager et créer de nouveaux liens avec ses voisins. […] Participer au développement de la biodiversité (sic). »  Ces pratiques infantiles, incohérentes et démagogiques ravalent Paris au rang de Notre-Dame-des-Landes.

Avenue de l’Opéra à Paris, le provisoire qui dure © Daniel Ino / Saccageparis

Dans ce rappel non exhaustif des horreurs visuelles (et d’une gabegie généralisée) infligées aux Parisiens, signalons également les « uritrottoirs » ou « pissotières écologiques » (sic) couplées à une jardinière destinée à recycler l’urine des Parisiens et des visiteurs « pour faire pousser des plantes » (sic). D’un rouge criard, ces « équipements sanitaires » disposés au cœur du Paris historique – et notamment sur les quais de Seine – qui conjuguent laideur, vulgarité, obscénité, voire encouragement à l’exhibitionnisme, constituent autant d’offenses aussi bien esthétiques qu’olfactives. Espérons qu’ils disparaîtront comme les abominables « sanisettes écoresponsables » installées porte de La Chapelle (40 000 euros pièce) et finalement démantelées, tant elles indisposaient les riverains.

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On ne saurait clore cette chronique de l’enlaidissement de Paris sans mentionner les 450 « poubelles intelligentes et hautement écologiques » (BigBelly), avec panneau photovoltaïque sur la partie supérieure, capables de compacter les déchets. Énormes, noires et d’une laideur insoutenable, elles sont reliées à un ordinateur central et coûtent la bagatelle de 5 000 euros l’unité. Et n’oublions pas les poubelles géantes – dénommées dans le sabir municipal des « containers de collecte de proximité » –, espèces de sarcophages noirs de deux mètres cubes qui couvrent environ deux emplacements de parking. Quelques-uns ont déjà été installés dans le 14e arrondissement, mais ils ont vocation à essaimer partout dans la capitale. Ajoutons les boîtes à vélos, gigantesques parkings métalliques conçus pour sécuriser le stationnement, en phase d’expérimentation dans le 4e arrondissement, mais appelées à se répandre aux termes du plan vélo 2015-2020.

Nul n’ignore que l’équipe municipale a déclaré la guerre aux voitures, sans se soucier du préjudice lourd causé aux commerces, aux artisans et aux Franciliens qui viennent travailler à Paris. La suppression de 60 000 places de stationnement et la réduction massive des voies autorisées aux voitures (rue de Rivoli, avenue de l’Opéra et bien d’autres) ont créé des embouteillages là où Paris n’en avait jamais connus auparavant. Elles ont aussi accru la pollution. La sacralisation des vélos et des trottinettes encourage par ailleurs les Parisiens à roulettes à multiplier les infractions en toute impunité. Tous ces maux risquent d’être aggravés par la volonté de la municipalité d’interdire le centre de Paris aux véhicules de transit dès 2022. Cette obsession anti-auto a également entraîné l’apparition de milliers de panneaux métalliques, de bittes jaunes en plastique et de gros plots de béton (d’autres sont actuellement stockés dans le bois de Boulogne pour être bientôt installés dans Paris). Ce dispositif aberrant à la finalité problématique, clairement attentatoire à la liberté de circuler, a été rebaptisé « aménagements tactiles ».

Enfin, comment ne pas évoquer les 7 000 chantiers en cours dans Paris et dont certains n’ont pas évolué depuis des mois, voire des années ? Pour les Parisiens, c’est la double peine : ils voient leur liberté d’aller et venir se réduire comme peau de chagrin, tout en subissant une agression visuelle et sonore permanente. Dans ces conditions, comment ne fulmineraient-ils pas de voir leurs trottoirs défoncés, la chaussée souvent éventrée, jamais entretenue et en piteux état, au point que les trous et autres nids de poule sont à l’origine de nombreux accidents ? La municipalité voudrait acculer les Parisiens à quitter la capitale qu’elle ne s’y prendrait pas autrement [1].

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Confrontés à un cadre de vie globalement détérioré, sale, enlaidi, entravé et de plus en plus dangereux (colline du crack et salle de shoot du 10e), certains Parisiens s’en prennent parfois directement à la personne d’Anne Hidalgo. Ils stigmatisent sa prétendue incompétence, son mauvais goût, ou encore sa présumée sottise ou folie. Ces vaines considérations psychologisantes n’offrent aucun cadre d’analyse. Anne Hidalgo gère Paris avec l’aide d’une lourde équipe composée de socialistes, de communistes et de Verts. Toutes ces personnes partagent une idéologie qu’il convient de passer au crible.

Paris, laboratoire de l’idéologie woke

Depuis que l’équipe socialiste-communiste-Verts est aux commandes, tout ce qui dans la capitale symbolise l’histoire glorieuse de la France doit être dégradé, destitué, effacé. À ses yeux, la ville est coupable et doit expier son passé. Il faut qu’elle paie (endettement massif), d’où cet acharnement frénétique à bouleverser sa morphologie et à détruire son mobilier urbain (Second Empire, Belle Époque par exemple), comme ses arbres et sa glycine montmartroise centenaires. Autant de témoins des riches heures de la cité d’ores et déjà remplacés par de vulgaires objets passe-partout, laids et interchangeables.

Conformément à la cancel culture, Paris est vandalisée pour ce qu’elle a été : le cœur d’une monarchie absolue, d’un empire et d’une puissance coloniale. Aussi l’objectif patent de ces responsables politiques est-il de déconstruire son passé. Cette culture de l’effacement est donc aussi un effacement de la culture, une réécriture de l’histoire. Pour les Parisiens, leur ville est donc en train de devenir un camp de rééducation. Or, si l’on en juge par les dévastations déjà irréversibles et celles qui sont opérées chaque jour à marche forcée, l’exécution de ce programme semble tout à fait à la portée de cette municipalité. Dans l’esprit d’un Lyssenko, il s’agit d’édifier une nouvelle capitale, une capitale woke fondée sur les intersectionnalités [2] et l’inclusivité qui sera peuplée de nouveaux Parisiens. Soulignons à cet égard une implacable cohérence dans la démarche poursuivie. Grâce à cette équipe farouche partisane de l’écriture inclusive [3], Paris est désormais devenue la Mecque incontestable de la novlangue.

Avec l’équipe d’Anne Hidalgo, l’idéologie woke a enfin trouvé en France des maîtres d’œuvre à la hauteur de sa haine et de sa logique de destruction civilisationnelle [4]. Au grand désespoir des Parisiens.

Banc sur les doigts !
Jonathan Siksou
Si l’opposition politique est inaudible, l’opposition citoyenne s’organise. Grâce à #saccageparis, tout Parisien peut prouver l’état de délabrement dans lequel se trouve la capitale. Hidalgo et ses équipes « veulent transformer Paris car ils n’aiment pas cette ville, souligne Didier Rykner, fondateur de la très active Tribune de l’Art. Le monde entier vient admirer l’esthétique de Paris et ces gens veulent la modifier, la détruire. Il faut mettre Paris sous tutelle ! » tempête-t-il. Leur incompétence n’ayant d’égale que leur susceptibilité, la dernière initiative de #saccageparis passe plutôt mal à l’Hôtel de Ville. Ce caillou dans l’escarpin de Mme Hidalgo prend la forme d’un banc Davioud. Un beau banc parisien en fonte et en bois, silhouette « iconique » imaginée sous le Second Empire. Alors que la municipalité les supprime dans de nombreux quartiers et les remplace – parfois – par d’horribles bancs en récup’ vite dégradés, l’un d’eux était (ô mystère) mis en vente le mois dernier à Drouot. Ni une ni deux, #saccageparis lançait une souscription pour l’acheter afin de l’offrir à la municipalité ! Une formidable mobilisation permit l’acquisition du banc qui fut, fin mai, porté en triomphe devant l’Hôtel de Ville. Coincé par tant de générosité, le premier adjoint d’Hidalgo, Emmanuel Grégoire, dut accepter le présent tout en défendant sa super-politique patrimoniale. Il promit ainsi que ce banc « retrouvera sa fonction initiale de banc public parisien » (sic). Avant cela, il sera restauré et exposé au Pavillon de l’Arsenal. Ironie de l’histoire, l’expo (très bonne) que présente actuellement l’Arsenal s’intitule « La beauté d’une ville ».

[1] Tous les ans, Paris perd 12 000 habitants.

[2] La mairie de Paris vient de promouvoir un « atelier vélo participatif et solidaire » interdit aux hommes et ouvert aux « femmes, personnes trans, personnes non binaires ».

[3] Josepha Laroche, « L’écriture inclusive, une novlangue inquiétante », Revue des Deux Mondes, juil.-août 2020, pp. 143-149. Depuis 2017, Anne Hidalgo et son équipe n’ont cessé de défendre l’écriture inclusive.

[4] Josepha Laroche, « La pulsion de mort : la décivilisation à l’œuvre », Revue des Deux Mondes, déc.-janv. 2021, pp. 132-137.

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Été 2021 – Causeur #92

Article extrait du Magazine Causeur




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Josepha Laroche est professeur de science politique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages en relations internationales. Elle vient de faire paraître aux éditions Vérone une trilogie consacrée à Freud ("Freud à Paris", "Freud 1917" et "Freud 1918-1939. La détresse d’une époque").

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