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Antivax et complotistes: une violence rhétorique nourrie par l’inculture

Ils refusent toute opinion contradictoire et agissent en meute sur les réseaux


Antivax et complotistes: une violence rhétorique nourrie par l’inculture
Slogan anti-vaccin obligatoire sur la poitrine d'une femme, le 15 octobre à Lyon lors d'une manifestation. © KONRAD K./SIPA Numéro de reportage: 00827640_000008

Prendre position pour une vaccination obligatoire des soignants expose à des attaques violentes sur les réseaux sociaux. Notre chroniqueuse Céline Pina vient d’en faire l’expérience. Elle analyse ici l’argumentation des antivax et des complotistes.


« Saloperie»,  « pute », « nazie », « connasse », « collabo », « fasciste », « pétainiste », « paranoïaque », « raclure », « quand je l’écoute, j’ai la machette qui me démange », « une balle et c’est réglé », « un véto pour la piquer » et j’en oublie des dizaines et des dizaines du même acabit, voilà ce que m’a valu le fait de prendre une position ferme sur la question de la vaccination des soignants.

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Je ne m’attendais pas à une telle vague de violences et d’insultes, ni à avoir affaire sur les questions de vaccination à des réseaux structurés qui fonctionnent de la même manière que fonctionnent les réseaux islamistes : on met sur des sites militants un extrait d’intervention et des éléments de langage et une meute hystérique les relaie et vient vous attaquer sur les réseaux en mode harcèlement. Le niveau de haine et de violence verbale est d’ailleurs très proche mais il faut reconnaître une différence notable avec les islamistes, pour le moment les antivax ne nous font pas patauger dans le sang.

Je ne demande pas ici à ce que l’on me plaigne et ne cherche pas à me victimiser. Quand on a un peu de notoriété il faut savoir accepter la violence, l’aigreur, la jalousie et l’insulte, surtout quand elles ne se déversent que sur les réseaux sociaux, ne mettent pas votre intégrité physique en danger et ne s’en prennent pas à votre famille. Ce qui m’a intéressé dans cette histoire, c’est ce que cela dit de notre temps et des recompositions politiques des extrêmes.

L’obligation vaccinale à la source des problèmes

Ce qui me vaut d’être traitée de nazie, de suppôt de Big Brother ou de vendue à Big Pharma est le fait qu’à la question : « Faut-il rendre le vaccin obligatoire pour les soignants ? » et devant le tollé que le fait même de la poser suscitait, j’ai osé expliquer que l’on ne faisait pas société en refusant toute contrainte parce que l’on ressent toute obligation comme une atteinte à ses droits et à sa liberté. Que non seulement la question était légitime mais qu’elle se justifiait eu égard à la position des soignants : ils sont les plus exposés et au contact des plus faibles. Dans leur cas l’obligation vaccinale est liée à leurs responsabilités et à leurs obligations vis-à-vis des malades qui leur sont confiées. C’est ce qui justifie l’obligation qu’ont par exemple les soignants de se faire vacciner contre l’hépatite B. Ces obligations étant liées à la nature de la profession et aux responsabilités qui lui sont liées, j’ai donc conclu en précisant qu’un soignant, qui refuserait de se faire vacciner, devrait s’interroger sur son rapport à son métier. J’ai précisé ensuite que lorsque les personnes n’acceptent pas les règles inhérentes à leur fonction, je n’étais pas sûre qu’il faille les garder.

Cette position n’est pas celle choisie par le gouvernement et qu’elle puisse heurter, je le comprends.  D’autant plus que la technologie de l’ARN messager n’est pas connue du grand public et que nombre de documentaires complotistes ont introduit l’idée que toutes les précautions n’avaient pas été prises sur le développement des vaccins ou que les études scientifiques n’avaient pas été publiées. Que certains soignants y soient favorables et d’autres opposées auraient pu mener à un débat constructif, sur les bénéfices-risques du vaccin, sur l’immunité attendue d’une vaccination massive…

Pierre Barnerias, realisateur du film "HOLD UP" © AUDEBERT DIDIER/SIPA Numéro de reportage : 00991347_000001
Pierre Barnerias, realisateur du film « HOLD UP » © AUDEBERT DIDIER/SIPA Numéro de reportage : 00991347_000001

Le souci est que sous ce terme de soignant, popularisé pour rendre hommage à tous ceux qui se dévouent au sein de nos hôpitaux, ont été rangées des personnes ayant une véritable formation scientifique, comme les médecins et les biologistes, mais aussi un personnel dont les compétences scientifiques sont bien moindres, les aides-soignants et les infirmiers. Certes ces personnels sont aussi souvent l’âme et l’humanité de l’hôpital, mais ils ne maîtrisent pas forcément les sujets dont ils s’emparent et se réclament parfois d’une expertise qu’ils ne possèdent pas. Ceux-ci auraient été néanmoins légitimes à exposer leurs craintes et leurs réticences mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

Chasse à l’homme organisée

Cette réponse n’a suscité aucun débat, mais plutôt une chasse à l’homme organisée, dont les messages reçus donnent une idée du niveau. L’extrait de l’émission dans lequel j’expose mon point de vue a été partagé sur nombre de sites d’extrême-droite et sur les réseaux QAnon et antivax. Ainsi la vidéo a tourné sur « Riposte Laïque », « Le Libre penseur » (site complotiste lié à l’extrême-droite animé par un musulman radicalisé qui fait la synthèse entre islamisme, antivax et conspirationnisme), « La vraie démocratie » ou « le réveil citoyen », sites ouvertement conspirationnistes,  « Balance ton média »… On retrouve sur certains de ces sites tous les éléments de langage que je vais lire plus tard sur Twitter et Facebook, insultes comprises parfois.

Ces réactions sont à la fois intéressantes et inquiétantes. Elles témoignent d’une société qui n’a plus de rapports à ses devoirs et réclame des droits comme un dû sans se rendre compte que ce sont les devoirs acceptés qui font les droits partagés. Elle parle aussi non pas du peuple mais d’une certaine populace, poche d’aigreur et de frustration en formation qui se prend pour le peuple et n’en est que la décomposition.

La populace réclame des têtes

C’est en son sein, que je distingue du véritable peuple, que tous les fascismes ont fait leur marché, qu’ils soient verts, rouges ou bruns. Car là où un peuple éclairé essaie de se construire un destin, la populace elle se contente de réclamer des têtes. Le premier est exigeant, la deuxième n’est que pulsion. C’est ce type de personne qui a marché sur le Capitole aux États-Unis, qui nourrit le complotisme, qui fait les choux gras des racialistes et que travaillent au corps les islamistes. Ce sont eux qui nourrissent les extrêmes qu’ils soient de gauche ou de droite et qui constituent la chair à canon de l’emprise totalitaire par leur simplisme et leur violence.

Chez les antivax, elle se nourrit d’un discours où Big Pharma et Big Brother marchent main dans la main pour esclavagiser les citoyens. Ceux-ci n’ont aucune culture scientifique et racontent n’importe quoi, mais leur simplisme les rend efficaces et crée une solidarité forte: ils sont menacés par la dictature des élites. La question de la vaccination est détournée pour délivrer un discours où des gouvernements criminels auraient infecté leur population dans le but de faire réaliser des bénéfices fabuleux à Big Pharma car ce sont tous des mafieux et des vendus.

Certes les réseaux sociaux sont des miroirs déformants mais fut un temps les délires QAnon paraissaient marginaux et ridicules. Ce sont pourtant ceux qui se réclament de ce mouvement qui a réussi aux États-Unis à envahir le Capitole. Ce que les réseaux sociaux font émerger à la conscience de tous, c’est ce que devient le peuple quand il n’est pas éclairé. Là où un peuple éclairé et conscient de lui-même, de ses idéaux, de ses principes, de ses devoirs et de ses responsabilités est le garant de la démocratie ; la populace, pulsionnelle et dépourvue de limites, en est le liquidateur.

Ce qui est frappant dans ces attaques, c’est aussi le niveau d’immaturité de ces adultes. Leur rapport à la liberté est celui d’un ado de 13 ans qui ne veut faire que ce qu’il veut. Il n’y a aucune conscience des responsabilités liées à la liberté. Ils vivent toute limite comme une violence, toute prise en compte d’autrui comme une entrave.

Refus des opinions contraires

Ces personnes qui traitent tout le monde de fasciste ont un fonctionnement pour le coup réellement totalitaire: ils n’acceptent aucune opinion contraire aux leurs, déshumanisent ceux qui les expriment et appellent à la violence de façon totalement décomplexée. Le plus drôle est leur absence totale de rapport à la réalité. Je ne suis pas décideur ni élue. Mon opinion sur les vaccins n’est qu’une opinion et je n’ai pas les moyens ni la légitimité pour l’imposer à quiconque. On peut donc être d’accord ou non avec une opinion mais qu’elle suscite une haine aussi délirante pour quelqu’un dénué de pouvoir est juste stupéfiant.

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Nombre de personnes qui ont basculé dans le complotisme se revendiquent anciens Gilets jaunes et se déclarent constituer le peuple. Elles se vivent comme l’armée de réserve de la contestation sociale que va générer la crise. Le problème c’est que celles-ci n’ont rien à voir avec un prolétariat politisé et syndiqué, luttant rationnellement pour améliorer ses conditions de vie et faire progresser ce qui lui apparait comme la justice sociale. Là on a plutôt affaire à un regroupement d’aigreur et de frustration peu éclairées que la crise pourrait faire basculer dans la violence politique et qui trouvera des mouvements pour à terme récupérer et manipuler cette violence. Avec la crise économique qui va succéder à la crise sanitaire, ces profils d’extrême-droite complotistes, radicalisés et chauffés à blanc, n’appartenant pas directement à un parti et parfaitement incontrôlables vont investir la rue. Rejoignant de fait une extrême-gauche déchainée, des islamistes et des racialistes excités par la faiblesse du gouvernement et le discrédit qui touche les élites. 2021 devrait être une année de décompensation. Pas sûre qu’elle ouvre vers des lendemains qui chantent.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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