Accueil Site Page 990

L’erreur afghane

Les Russes avaient compris les premiers qu’on n’impose pas le socialisme à un pays musulman. Les Américains viennent de comprendre qu’on n’impose pas la démocratie à un pays islamique. Le bilan amer de Jean-Paul Brighelli sur le drame afghan.


Voici un pays qui a sensiblement la même taille que la France (autour de 650 000 km2), défendue par une armée de (nominalement) 300 000 hommes. En fait, 110 000, la différence étant constituée d’unités fantômes pour lesquelles les commandants percevaient une solde qu’ils se hâtaient d’empocher, et des armes sophistiquées qu’ils offraient à leurs futurs adversaires. Lesquels n’en ont que faire, vu qu’ils préfèrent des armes de basse technologie (les kalachs, dont on façonne n’importe quelle pièce sur une forge improvisée, et les mortiers home made) plutôt que des outils qui demandent d’avoir fait des études ailleurs que dans le Coran.

Intervenir en 2001 en Afghanistan était de bonne guerre — au sens propre du terme. Mais il fallait s’en retirer très vite…

Ce pays immense et naturellement hostile est tombé dans l’escarcelle des Talibans (70 000 hommes, estimation moyenne) en une semaine. Dans leurs rêves, les Américains pensaient que cela leur prendrait deux mois. Manifestement, ils n’ont rien retenu du Vietnam.

Imaginez quelles conditions politico-stratégiques il faudrait pour que la France soit territorialement conquise en une semaine, les villes prises l’une après l’autre, et son armée évaporée.

A lire aussi: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Qu’est-ce à dire ? Une pareille réussite militaire serait impossible si la population était hostile aux Talibans. On nous montre des images d’Afghans affolés, candidats à l’immigration. Quelques milliers, soit. Mais on ne nous montre pas les millions d’Afghans applaudissant le retour des « étudiants en religion ». Et la réimposition d’un ordre islamique.

Rejet de greffe

La greffe démocratique que les nations occidentales, qui se sont bercées d’illusions, ont cru imposer à ce pays tribal n’a pas pris. Elle ne le pouvait pas. Mille milliards de dollars plus tard, force est de constater que le régime des tribus a repris le dessus. On leur coupe les vivres ? La belle affaire ! Ils replanteront des pavots. Justement la consommation d’héroïne repart à la hausse.

Les belles consciences professionnelles, bobos de droite et de gauche, hurlent devant le retour de la loi islamique, qui n’est pas tendre. Mais qui est ce qu’une majorité d’Afghans réclament. Mais si ! Sinon, ils n’auraient jamais ouvert les bras à cette allure à leurs « libérateurs » — et je ne devrais pas mettre de guillemets. Les Russes avaient compris les premiers qu’on n’impose pas le socialisme à un pays musulman. Les Américains viennent de comprendre qu’on n’impose pas la démocratie à un pays islamique.

La démocratie est un concept européen, taillé pour des peuples européens. Elle convient bien à la Grèce du Ve siècle, à la Rome antique, et à quelques nations qui ont emprunté avec succès la voie républicaine. Elle ne convient pas à l’Afghanistan, ni à la Libye, ni à l’Arabie Saoudite, ni à l’Irak, ni… Pas plus que la charia ne convient à la France. Je suggère à celles et ceux qui en feraient volontiers leurs choux gras de s’exiler à Kaboul (ou Ryad, ou Bagdad, ou Téhéran). Ils y trouveront leur rêve. Femmes grillagées là-bas, et mini-jupes ici. Celles qui ont cru au mirage occidental sont bien peu nombreuses, elles sont la croûte alphabétisée dans un pays qui ne l’est guère.

Intervenir en 2001 en Afghanistan était de bonne guerre — au sens propre du terme. Mais il fallait s’en retirer très vite. Personne — sauf, brièvement, l’armée d’Alexandre — n’est venu à bout des Afghans, qui tiennent férocement à leurs principes, à leurs montagnes arides bourrées de métaux rares, et à leur mode de vie. Pas même les Anglais au faîte de leur puissance coloniale.

Un curieux paternalisme

Il ne faut pas forcer les peuples à être autre chose qu’eux-mêmes. C’est pire que du colonialisme, qui a au moins l’avantage d’annoncer la couleur : c’est de la bêtise pure. Xi Jinping ou Poutine usent de procédés qui nous révulsent ? Mais ils sont plébiscités par les Russes, qui aiment les tsars, et par les Chinois, qui ne détestent pas les empereurs. Il va falloir vous y faire, parce que la Chine va dominer le monde incessamment sous peu. 

A lire aussi: Accueillir les Afghans ?

Mais je ne crois pas les Chinois assez stupides pour imposer leur système politique à des nations étrangères qu’ils auront économiquement conquises. Alors, épargnons-leur les leçons. Les belles âmes ici s’enthousiasment pour un dissident emprisonné, pour des populations déplacées. Curieux paternalisme, qui nous fait juger d’autrui selon nos critères. Nous fabriquons des « tribunaux internationaux » soi-disant compétents extra-territorialement. Mais quelle compétence ont-ils dans des pays qui non seulement ne les reconnaissent pas, mais sont incapables d’en comprendre les ressorts et les motifs ?

Les tribunaux américains se prétendent compétents dans le monde entier dès que des intérêts américains sont en jeu. C’est la limite de l’interventionnisme. En 1801 puis à nouveau en 1815, ces mêmes Américains, qui expérimentaient les jeunes ressorts du système démocratique qu’ils venaient d’instaurer, envoyèrent des bateaux de guerre au Maghreb dans le cadre des « guerres barbaresques » — parce que la piraterie maure gênait leur commerce. Pas pour imposer la démocratie — et d’ailleurs, la victoire acquise, ils se retirèrent intelligemment : Jefferson ou Madison étaient bien plus sensés que Bush Jr, Obama, Trump ou le dernier de la classe, Joe Biden. Les intérêts commerciaux sont compréhensibles et peuvent légitimer l’emploi de la force. Les intérêts moraux sont si fluctuants, d’un pays à l’autre, qu’ils ne peuvent servir de base d’action à qui que ce soit. Pas de façon efficace.
Laissons les Afghans se débrouiller entre eux — et surveillons les gens qu’ils fréquentent, au lieu de les armer, ce que les Etats-Unis firent avec Ben Laden dans les années 1980. Occupons-nous de notre pré carré, au lieu de rêver à des expéditions lointaines. La catastrophe libyenne aurait dû éclairer les philanthropes à jolies chemises. Il n’en est rien, ils veulent encore tenter l’aventure — et jouer la carte d’un autre fiasco.

Paris jadis

0

« Des enfants gâtés », mon Tavernier préféré disponible en VOD


« Et Bertrand Tavernier, il sent le pâté ? ». Certains parmi vous se sont offusqués de mon silence, en mars dernier, à la disparition du réalisateur français. Nécrologue officiel du journal, grand ordonnateur de papier, j’aurais volontairement omis de traiter ce décès célèbre. D’autres m’ont, par le passé, déjà reproché d’avoir embaumé Annie Cordy et Charles Gérard, ne comprenant pas ma logique des pompes funèbres. La nécrologie comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique. Je ne suis pas le poinçonneur des chrysanthèmes. 

A lire aussi, Jérôme Leroy: Bertrand Tavernier, un souvenir

Il n’y avait aucune intention de ma part, aucun calcul. Et je ne cours pas après le dernier mort en vogue. L’actualité m’avait, ce jour-là, orienté vers d’autres cieux. Aujourd’hui, au cœur de l’été, je tiens à réparer cette injustice en exhumant « Des enfants gâtés », film de 1977, disponible sur CANAL VOD. Pourquoi ce long-métrage et pas un autre ? Je vous répondrai : arbitraire du chroniqueur et sentimentalisme d’après-crise du pétrole, goût pour la moquette et affres intérieurs des cadres moyens. Tavernier en a écrit et réalisé probablement de meilleurs, de mieux construits, de moins explicatifs, de moins militants et cependant le charme automnal de cette tranche de vie a quelque chose de purement mélancolique. 

Un film qui déboussole et console à la fois

D’une puissance évocatrice que seule la littérature est d’habitude susceptible de provoquer chez moi. « Des enfants gâtés » rend triste et heureux, amer et vivant, dans cette incertitude poisseuse que les enfants uniques connaissent depuis leur naissance. La solitude, cette compagne versatile, nous a appris à composer avec l’insatisfaction de l’existence. Ce film inspire un état de transition fort agréable comme une journée à la plage sous la pluie ou une avant-veille de rentrée scolaire. Il déboussole et console. « Tu es tout chose, mon petit », me répétait ma grand-mère soucieuse de mon équilibre mental. « Des enfants gâtés » me produit ce même effet bizarre. Tavernier a capturé, malgré quelques lignes de dialogue trop sociologisantes, les éraflures du quotidien, misères domestiques et amours en filigrane, états d’âme couleur menthe à l’eau et rêves en formica, dans sa boule à neige.

A lire aussi, du même auteur: On regarde quoi cet été? 

On éprouve un plaisir immense à revoir ce film et à s’imprégner de cette France en voie d’urbanisation au forceps. Un rideau de tergal nimbe alors l’avenir des classes moyennes, entre appétit de consommer et conscience politique. Au-delà de la crise immobilière et des expulsions qu’il condamne, de l’âpreté des promoteurs aux locataires réunis en comité de défense, ce film vaut pour l’atmosphère de cette fin 1970. Dans une impasse scénaristique, Bernard Rougerie (Michel Piccoli) s’installe dans une HLM pour terminer son film, il est aidé par Pierre (Michel Aumont). Au même moment, les locataires de l’immeuble où il réside provisoirement, partent en guerre contre leur propriétaire (Georges Riquier). Bernard Rougerie, unique célébrité au milieu de tant d’anonymes, va voir son quotidien bousculé par une jeune voisine (Christine Pascal) et son film prendra alors une autre trajectoire.

Apnée nostalgique

Tavernier portraiture à merveille cette coalition hétéroclite d’anti-héros ; fonctionnaires, commerçants ou demandeurs d’emploi qui cherchent à se loger au juste prix et s’invitent pour des soirées diapos. Il livre le visage d’un pays en mutation sans faire preuve d’un excès d’angélisme ou de défaitisme. Il navigue aux portes de la capitale dans un territoire griffé par des grues géantes et de voraces excavatrices. Les Halles Baltard n’existent déjà plus. Le béton coule le paysage. On continue pourtant de mettre de la cannelle sur les tartes et à s’acheter des meubles chez Habitat. À vrai dire, tout ça est accessoire, non essentiel, comme dirait un progressiste. C’est de l’ordre du décor. Lorsque la reine Christine Pascal pénètre dans l’écran, on se fout des loyers modérés, des clauses abusives et de la construction sous Giscard. L’émotion a trouvé sa muse. Fragile et volcanique, Christine se pose sur la caméra de Tavernier. Il n’a presque plus rien à faire. Il a trouvé son métronome. Elle est là, intensément, avec ce désespoir en bandoulière qui fit chavirer les adolescents de ma génération. 

A lire aussi, Christophe Despaux: Passion simple, ce film qu’il serait plus “simple” de détester

Chaque réplique foudroie par sa justesse et sa révolte. Piccoli, superbe comme souvent, admet la supériorité de cette voisine au corps délié pour qui l’amour est une aventure pas si ordinaire que ça. C’est elle qui désormais rythmera le film, lui donnera son relief, son apnée nostalgique et ses sanglots retenus. Je pourrais vous parler de la musique de Philippe Sarde, de la chanson d’ouverture interprétée par Marielle et Rochefort, de la présence des membres du Splendid encore inconnus, de cette phrase balancée par Jugnot qui me ravit : « Je suis Renault à mort » ou celle de Michel Aumont : « À Paris, t’es noyé, en Province, les choses sont plus cernées […] Je vois ça (le film) à Saint-Etienne ». Mais, par honnêteté intellectuelle, je ne me souviens que de Christine Pascal.  

Des enfants gâtés (1977), de Bertrand Tavernier – CANAL VOD.

des Enfants gâtés

Price: 161,00 €

7 used & new available from 49,99 €

Ce film qu’il serait plus « simple » de détester

Cela a beau être une adaptation d’un roman de la pénible Annie Ernaux, le film de Danielle Arbid est plutôt convaincant.


Parfois, on souhaiterait de toutes ses fibres détester un film, et on n’y parvient pas. 

Non pas qu’on l’adore, mais il nous contraint à faire la part des choses et à réviser pour un temps nos a priori. Ainsi “Passion simple” signé Danielle Arbid, d’après Annie Ernaux. Le problème au départ n’est pas ici la réalisatrice. Celle que son principale contempteur Richard Millet appelle Anus Ernie depuis qu’elle est parvenue à l’évincer de Gallimard par un procédé woke limite stalinien, est une sorte de Pandore de l’auto-sociologie en eau de boudin. Auto-sociologie à quoi se résume désormais une grande partie de la litter-ature française pour reprendre l’orthographe carrollienne (litter = ordure) ! 

Soyons honnêtes

Ernaux, c’est un peu Martine au pays de Bourdieu. Et on pourrait égrener ses livres sur le mode de la série pour enfants : Martine dépucelée, Martine se souvient des années 80, Martine avorte, Martine orpheline, etc. Un.e écrivain.e dont les rejetons les plus systémiques sont Christine Angot et Edouard Louis ne peut que prêter à tous les soupçons, surtout si i.el a une passion conjointe pour son nombril comme sujet d’étude et pour le neutre comme scalpel. 

Mais, soyons honnêtes, nous ne gardons pas un mauvais souvenir du roman Passion simple (sa brièveté extrême, moins de 80 pages, l’en empêcherait de toute façon). Martine-Annie y narrait sa passion pour un diplomate russe, son cadet d’une dizaine d’années, qui la baise – bien – et avec qui elle n’a rien en commun – à part la baise justement. Elle ne pense qu’à lui, elle dépérit quand il n’est pas avec elle, et un jour il part. Voilà.

Qu’en faire au cinéma ? Quel scalpel filmique à la place de l’écriture de bon ton, blanche (Gallimard) et neutre pré-genderfluid ? Reconnaissons que Danielle Arbid sait où elle va et livre une œuvre réfléchie, cohérente et, partiellement, convaincante. L’actualisation à notre époque (le livre se passe en 1992) est bienvenue avec l’omniprésence et l’immédiateté des moyens de communication qui redoublent la rémanence de l’être aimé, toujours capable de surgir à l’esprit par un texto ou au détour d’internet. 

Des flous omniprésents, des tatouages

Arbid construit son film à partir de deux très insistantes figures de style : le flou et la superposition, qui tous deux empêchent la juste perception. Les vitres sont ainsi omniprésentes, elles permettent de voir à travers mais aussi de s’y refléter. La maison de l’héroïne rappelle deux fameuses demeures chabroliennes à la fois, celle de “Juste avant la nuit” (pour l’omniprésence des baies vitrées et l’impression bizarre qu’un côté est aveugle), et celle de “La Femme infidèle” (pour le jardin presque parc qui y mène). “Passion simple” pourrait d’ailleurs passer pour une version du film “La Femme infidèle” du point de vue de l’épouse, où le mari serait remplacé par l’enfant ici particulièrement maussade (jusqu’aux prénoms qui empruntent aux Chabrol des années 70 : Hélène et Paul d’ailleurs). 

A lire ensuite: OSS 117: permis de ronronner

Arbid épouse clairement le point de vue de son héroïne, professeur de littérature à la Sorbonne, tourneboulée par cet amant avec qui elle ne partage rien que le plaisir, mais elle a besoin de traduire la distance du regard d’Ernaux, d’où les expédients déjà cités qui donnent lieu à quelques plans remarquables dont plusieurs fondus, l’un assez abouti entre Laetitia Dosch et un feuillage baigné de soleil. Idée magnifique, Arbid fragmente chaque rencontre en autant de positions qui permettent de découvrir un peu plus le corps de son acteur, par le biais de ses nombreux tatouages qui apparaissent l’un après l’autre dans le champ. Il ne faut pas manquer le dialogue où Sergei Lopunin avoue à Dosch qu’elle est son meilleur coup, alors que le Joker sur son biceps gauche semble la dévisager.

Une fin peu convaincante

Mais une fois que le spectateur connaît l’anatomie de l’acteur sous toutes les coutures, son personnage disparaît corps et biens, et le film flirtant avec les tropes de la souffrance amoureuse devient beaucoup plus commun. Une seule scène est vraiment bonne dans la seconde moitié, la filature/apparition de l’amant spectral dans la rue. 

Arbid réussit bien à créer un personnage, celui d’Alexandre – incroyablement servi par Lopunin -, à partir d’un corps fragmenté et de quelques répliques ou bribes de scène, mais échoue à figurer celui de l’héroïne qui monopolise pourtant le film. Sur la longueur, on ne peut que regretter le choix de Laetitia Dosch, excellente actrice comique (son meilleur rôle dans “Gaspard va au mariage” d’Antony Cordier) mais beaucoup plus discutable dans le registre « dramatique ». En intellectuelle espiègle et glamourisée théorisant sa souffrance, Dosch fait un peu pschiitt. À part son fils et son amant, tout ce qui la touche est attendu, mauvais ou sonne mal, à l’image des quelques dialogues avec son amie féministe (interprétée par Caroline Ducey, la lointaine héroïne du scandaleux “Romance”). Même l’excellent Grégoire Colin ne peut rien en suppôt vengeur du patriarcat. 

C’est qu’Arbid est au fond écartelée entre deux inspirations contraires, le sensoriel-vaporeux d’une Claire Denis et le « ma chatte dans ta gueule » de Catherine Breillat. Au milieu du gué, “Passion simple” fond sur la banquise, d’autant que la fin positive livrée en voix off par l’héroïne fait penser à un dossier de Psychologie Magazine. La splendide reprise de Yazoo qui l’accompagne – Only you a cappella par les Flying Pickets – si elle ne peut qu’émouvoir (Wong Kar-wai l’a déjà utilisée il y a 20 ans) laisse donc une impression paradoxale et mitigée : celle d’une eau de rose congelée. Le female gaze a encore quelques progrès à faire.

Photo: Julien Roche / Pyramide

Charlie Watts, le métronome des Rolling Stones arrête d’indiquer le rythme

Sans lui, la musique des Rolling Stones ne sera jamais plus tout à fait la même.


J’étais en train de cuisiner un risotto, je jette un œil sur les réseaux sociaux, et j’apprends la mort de Charlie Watts, le batteur des Stones, à l’âge de quatre-vingt ans.

Je m’y attendais cependant, on avait annoncé qu’il ne serait pas de la prochaine tournée des Stones. Le moins scandaleux de la bande, celui qui n’était pas couvert de groupies, d’ailleurs il n’aimait pas ça, qui est resté avec la même femme toute sa vie, a tiré sa révérence le premier (exception faite de Brian et sa piscine). Il était le pilier des Stones, le métronome, lit-on partout, imperturbable et so british derrière sa batterie, pendant qui Mick se contorsionnait. Keith disait de lui qu’il était « le lit sur lequel il était allongé », sa colonne vertébrale en quelque sorte. Avec son  élégance et son air de ne pas y toucher.

La parole aux spécialistes

J’ai toujours en tête cette photo du groupe période Aftermaths. La photo est en noir et blanc, ils marchent tous les cinq côte à côte, Brian était bien sûr toujours en vie, il est, avec Keith, le plus excentrique, avec sa tenue d’Oscar Wilde hippie, Keith avec une fourrure blanche négligemment jetée sur ses épaules. Et Charlie est le seul à être en costard cravate, un pantalon un peu feu de plancher cependant, nous sommes au mitan des années 60. Il esquisse presque un sourire. Ils sont beaux, la quintessence de l’élégance rock’n’roll. J’avais épinglé cette photo au mur de mon studio d’étudiante, que j’avais arrachée je crois, dans Les Inrocks à l’époque où ils étaient dignes. Et comme je ne suis pas rock critic, juste une ex groupie que le rock’n’roll aura aidée à vivre, je vais laisser la parole aux spécialistes.

A lire aussi: Arte: vie et mort de Brian Jones, écarté des Rolling Stones

Le DJ Jérôme Pigeon lui rend sur Facebook un bel hommage : « Il reste le plus charmeur et le plus inspiré des batteurs de rock, lui qui n’écoutait que du jazz, il aura été le ciment des Stones, une vie passée entre deux drama queen. Merci pour tout Charlie ».

Accro à l’héro

Dans une interview accordée à Télérama en 1998, il raconte avoir détesté la période 60-70 du groupe : « Toutes ces gamines hurlant pendant nos concerts, et le prétendu mode de vie « sex drugs and rock’n’roll » m’ont toujours paru ridicules et malsains ». Il sacrifiera cependant au mode de vie rock’n’roll, ayant été accro à l’héroïne à l’âge de quarante ans. Bizarrement. La colonne vertébrale a un peu vacillé. Il se voit, non pas comme le plus sage du groupe, mais le plus intègre, il est toujours resté très proche de Mick et Keith, musicalement dans son rôle, essentiel, de batteur. « Ma position ? Celle de tout batteur : assurer la rythmique, maintenir la cohésion musicale entre chaque instrument et fournir une plate-forme musicale aux autres ». Le ciment du groupe disait Jérôme Pigeon. C’est Brian qui l’a déniché en 63, alors qu’il faisait la tournée des boites de Londres qui jouaient du blues pour recruter des musiciens. Charlie était, avec Brian, peut-être le plus grand musicien du plus grand groupe de rock’n’roll du monde. Le plus grand batteur du monde ? Je suis trop béotienne pour en juger.

Ce dont je suis sûre, c’est que celui qui disait détester le rock’n’roll, qui n’aimait rien tant qu’accompagner des petits groupes dans de petits clubs de jazz, est maintenant quelque part au firmament des rock stars. It’s only rock’n’roll, Charlie, and we like it.

Il faudrait à la France deux présidents intermittents!

0

C’est une utopie démocratique mais il me semble qu’elle ne serait pas si absurde que cela. Démonstration.


Aussi bien pour la France que sur le plan international, ces dernières années nous ont démontré qu’il y a des hommes ou des femmes de pouvoir qui ne sont pas adaptés à tous les terrains et à tous les moments mais les uns plus faits pour les temps de crise et les autres pour les temps calmes. Ce constat aboutirait, pour rester dans l’incongru, à élire deux personnalités qui, selon la situation de leur pays et celle du monde, seraient appelées à se succéder, à prendre la relève de l’une ou de l’autre selon les modifications, l’aggravation ou non de la conjoncture.

Il y a le feu près des cages françaises!

La comparaison est vulgaire mais dans les matchs de foot, quand on arrive aux tirs au but après prolongation, l’entraîneur a le droit de changer son gardien de but pour en faire rentrer un seulement pour cet exercice très particulier où il a montré qu’il excellait. L’épreuve des penaltys est comme un pays en temps de crise.

Même si cette réflexion ne m’est pas venue d’aujourd’hui mais s’est beaucoup nourrie du quinquennat de Nicolas Sarkozy, je ne suis pas le seul à avoir été stupéfié par l’incurie de Joe Biden en ce qui concerne la politique américaine de retrait en Afghanistan, depuis l’arrivée annoncée puis précipitée, enfin trop réelle des talibans.

A lire aussi, Philippe Bilger: Ces démagos en guerre contre le “contrôle au faciès”

Le fiasco est total qui non seulement a vu le président américain ne rien comprendre aux signes précurseurs pourtant sans équivoque et laisser s’accomplir dans le désordre et la confusion des opérations qu’un autre aurait su gérer autrement. Pourtant il continue à se féliciter d’un tel désastre en affirmant qu’il a pris les bonnes mesures. Son entourage démocrate n’a jamais osé le contredire en lui disant la vérité. À l’évidence Joe Biden a perdu un capital de réussite relative qu’il avait construit depuis son élection, tant il était facile dans un premier temps de ne pas faire regretter Donald Trump. Celui-ci a eu sa part de responsabilité dans la décision mal négociée de retrait mais bizarrement, avec l’impéritie de Biden, il retrouve un semblant de plausibilité.

Washington, 26 janvier 2021 © Doug Mills/UPI/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40822094_000018

Joe Biden n’est pas fait pour les temps de crise. Alors que Nicolas Sarkozy, quoi qu’on pense de lui, n’était au contraire qu’un président accordé à ces périodes où son agitation et son énergie trouvaient un exutoire naturel et se révélaient d’une indéniable efficacité. Mais les temps calmes l’ennuyaient en le contraignant à se réduire à un rôle de gestionnaire pour lequel il n’était pas fait.

Un peu d’histoire

L’immobilisme de Jacques Chirac – à l’exception de l’opposition à l’intervention américaine en Irak, résumée à du verbe à l’ONU – – était la conséquence d’une présidence tranquille, plus morale que dynamique, imprégnée de tout ce qu’il ne fallait pas faire pour que la France progresse dans l’audace et le progrès. Le principe de précaution était de la précaution mise en politique.

Un Kennedy, aussi discutable qu’il ait pu être dans ses rapports troubles avec la mafia et ses aventures amoureuses inquiétant les services secrets, était un président – Cuba l’a démontré – doué pour les « coups de chaud » alors qu’Obama, à cause de son talent oratoire, n’était pas à la hauteur des tensions et des crises : la Syrie en a été la preuve avec le lâchage au dernier moment de François Hollande.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: L’erreur afghane

Je pourrais prendre d’autres exemples qui justifieraient ma théorie du président intermittent. Le bon pour la normalité tranquille puis le bon pour les crises de toutes sortes.

Le président Macron superficiel face aux périls actuels?

Il serait intéressant de se pencher sur le quinquennat d’Emmanuel Macron dont on peut dire, à l’exception de la première année, qu’il n’a été irrigué que par des tensions, des tragédies, du terrorisme, une insécurité galopante, des révoltes sociales et une épidémie gravissime inédite. Il me semble qu’une perception lucide aurait pu le conduire à une présidence constamment inspirée par les temps de crise. Je n’ai pas l’impression qu’il ait choisi cette voie mais plutôt l’envie permanente de traiter l’extra-ordinaire en ordinaire, les choix à effectuer sous le pavillon stérile du « en même temps », un pays en délitement avec des invocations superficiellement guerrières.

Le président Macron, juillet 2021 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01027765_000001

Combien de fois, comme citoyen, me suis-je dit qu’à tel moment il faudrait faire revenir tel président, à tel autre, rentrer telle personnalité !

Paradoxalement je devine pourquoi les temps de crise ne sont pas honnis par les gouvernants, et même obscurément désirés : la réalité est univoque et son enseignement est clair. Il faut se battre, résister, on est moins jugé, l’unité est favorisée, on est aimé tout simplement parce qu’on est là !

Un jour, qui sait, la République nous offrira un président achevé, complet.

Quand le sous-préfet de Lyon fait contrôler un riverain qu’il vient d’étiqueter à l’«extrême droite»

0

Lors d’un contrôle des passes sanitaires dans le Vieux Lyon, le directeur de cabinet du préfet refuse de polémiquer avec un activiste militant contre l’insécurité dans d’autres parties de la ville. Mais ce dernier a la mauvaise idée d’insister, alors qu’ils sont filmés. Vidéo et réaction de l’homme que nous avons retrouvé et qui se présente comme militant activiste enraciné…


« Dans la banlieue lyonnaise et même à l’intérieur de Lyon, il y a une insécurité galopante. On sait donc très bien ce que les gens viennent chercher dans le Vieux-Lyon. C’est un quartier où il fait très bon vivre et où les gens ne sont pas en contact avec la délinquance, avec la racaille. Il y a aussi des gens de ces quartiers qui en ont marre d’être embêtés chaque jour, et qui viennent chercher un peu de répit dans le Vieux-Lyon », m’explique Étienne Cormier à la terrasse d’un café parisien. 

Depuis plus de dix jours, une vidéo fait du bruit sur internet. On y voit l’étudiant en marketing de 23 ans se faire contrôler sur ordre du préfet de Lyon, Jean-Daniel Montet-Jourdran, directeur de cabinet du préfet du Rhône. La vidéo aurait déjà été vue 300 000 fois. 

A lire aussi: Immigration: le boom démographique algérien est devant nous

« Je vois que j’ai affaire à l’extrême droite, je vous laisse »

Le vendredi 13 août vers 21h, alors qu’il revient d’une randonnée dans les Alpes, ce Parisien d’origine ayant succombé au charme de la belle Lyonnaise depuis cinq ans, flâne dans le centre. Lieu chargé d’histoire, le Vieux-Lyon abrite la splendide cathédrale Saint-Jean, la plus ancienne église d’Occident après celle de Rome. Le soir, le Vieux-Lyon brille par son art de vivre. Ainsi, depuis le début de l’été, Lyonnais et touristes s’attablent en terrasse, renouant avec la gastronomie du « monde d’avant » les confinements. Mais ces fines gueules ont-elles bien leur passe sanitaire ? Une opération de contrôle dans le Vieux-Lyon n’étant pas des plus risquées, Jean-Daniel Montet-Jourdran vient s’en charger personnellement avec une vingtaine de policiers.

En face de la cathédrale Saint-Jean, Étienne Cormier va voir le sous-préfet. « On aimerait juste savoir ce que vous faites ici », lui demande-t-il. « Je fais un contrôle du passe sanitaire », répond ce dernier en gardant bien ses distances de sécurité. « Très bien, et pourquoi n’êtes-vous pas de l’autre côté de la presqu’île ? », s’enquiert alors le jeune homme. « C’est-à-dire ? », demande le sous-préfet avec un air surpris. « Bah tous les soirs, y’a des agressions, tous les soirs y’a des viols, tous les soirs y’a des gens qui se font racketter ». Face au sous-préfet qui lui suggère de développer, il continue : « à la Guillotière, à Vénissieux, y’a un jeune handicapé qui s’est fait agresser par la racaille.. ça vous embête pas d’embêter des Français qui… ». « Je vois que j’ai affaire à l’extrême droite, je vous laisse », l’interrompt le sous-préfet avec un air hautain, avant de tourner le dos à l’intouchable. 

Clap de fin ? Non, car ce dernier le suit et lance : « Quand les questions vous dérangent, vous vous en allez ? » Une question rhétorique qui contrarie le sous-préfet au point qu’il enjoint à son escorte de contrôler le jeune homme. S’ensuit une palpation contre le mur par des policiers qui traînent des pieds. Sans même avoir mis leur brassard « police » sur le bras, les agents prennent cependant une photo de sa carte d’identité avec un smartphone. La vidéo aurait déjà été vue plus de 300 000 fois sur internet. Outre les prévisibles soutiens de Gilbert Collard, Florian Philippot, Philippe Olivier, Julien Odoul ou Nicolas Dupont-Aignan, la vidéo a aussi suscité l’indignation de la sénatrice LR Valérie Boyer ou de Jean Quatremer, correspondant à Libération qu’il sera difficile de ranger parmi les soutiens habituels de l’ « extrême droite ». « Aucune base juridique [au contrôle] même. Dès qu’on pose une question, on est d’extrême droite, forcément… », a-t-il tweeté. 

De l’usage du mot « racaille »

Interrogée par Le Progrès, la préfecture du Rhône a incriminé l’usage du mot « racaille ». Qu’en est-il de l’usage de ce terme ? S’il suscite aujourd’hui des cris d’orfraie chez les lettrés, il n’en a pas toujours été ainsi. Ainsi, sous la plume de Jean De La Fontaine, lequel n’a pas (encore) été classé à l’ « extrême droite » de la littérature, un faucon s’adresse à un chapon en ces termes : « Vous n’êtes que racaille, gens sans esprits, à qui l’on n’apprend rien ». « Pourrais-je fermer ma porte, n’ayant point de portier, à toute la racaille des polissons, soi-disant gens de lettres, qui auraient la sotte curiosité de venir voir mon squelette », écrivit quant à lui Voltaire. Plus tard, bien plus tard, Nicolas Sarkozy suscitera l’indignation en clamant à Argenteuil : « On va vous en débarrasser de cette racaille ». En verlan, le terme racaille se dit « caillera ». Ce dernier et son diminutif « caill’ » sont d’ailleurs copieusement utilisés par la jeunesse des banlieues ou des beaux-quartiers. 

A lire aussi: Renaud Camus: “La liberté d’expression dans la France de 2020 n’est pas menacée: elle n’existe pas”


« À mon avis, cette vidéo est devenue virale car elle a mis en lumière une certaine déconnexion des élites et un refus du dialogue. Le Covid permet de ne pas parler des sujets qui dérangent vraiment, tels que l’immigration, l’insécurité ou l’économie. L’État arrive à être très fort pour contrôler tout ce qui est lié au Covid. En revanche, les Français voient bien le laxisme qu’il y a au jour le jour face à la délinquance classique. L’État sait montrer les crocs, s’il le voulait vraiment, il pourrait régler beaucoup de problèmes », analyse Étienne Cormier. « J’attendais au moins quelques phrases d’explications », déplore l’étudiant, qui souhaite encore discuter avec le sous-préfet. Après sa rencontre avec l’ «extrême droite » dans le Vieux-Lyon, ce dernier préférera-t-il superviser des « contrôles de passes sanitaires » à la Guillotière ?

“Vice”: l’hommage rendu par Laurent Chalumeau à la musique country

Journaliste et dialoguiste, Laurent Chalumeau est aussi romancier. D’ordinaire, il fraye du côté de la littérature noire. Mais avec son petit dernier, Vice, il prend le large. Et le moins que l’on puisse dire est que le résultat est concluant et prometteur…


C’est moins vrai depuis quelques années mais, en France, les amateurs de country ne sont pas nombreux à assumer leur intérêt pour cette musique originaire d’outre-Atlantique. C’est que, pour beaucoup de leurs congénères hexagonaux, comme l’indique d’ailleurs son nom originel (Hillbilly music, c’est-à-dire « musique de péquenots »), cette dernière est l’apanage des ploucs américains. Ceux qui portent un Stetson et des bottes de cowboys, crient « Yiiha ! » à tout bout de champ et s’écroulent ivres morts dans un abreuvoir à bestiaux en sortant du saloon. Ou alors ceux, plus contemporains, qui roulent en pick-up, agitent des drapeaux sudistes et revendiquent leur droit d’arborer une nuque rougie par le soleil, mais aussi celui de proférer les pires horreurs ou, encore, de posséder des fusils d’assaut « pour se défendre ». Dans ces conditions, difficile, c’est vrai, de clamer son amour pour la country. Et c’est bien dommage. Car la musique country est à des années lumières de ces clichés. 

La musique country : une cathédrale et ses chapelles

Avec un étonnant et agréable « Que sais-je ? » (La country music, PUF, n°2134), le musicologue Gérard Hershaft avait depuis un bail révélé la richesse de ce syncrétisme musical, qui a vu le jour dans les Appalaches du XVIIIème siècle avant d’essaimer dans toute l’Amérique du Nord dès le XIXème et de partir à la conquête du monde dans la deuxième moitié du « court XXème siècle » (Eric J. Hobsbawm). 

A lire aussi, Sophie Bachat: La traductrice française de Charles Manson

Loin d’être monolithique, la country est en effet une cathédrale, faite de chapelles consacrées au Bluegrass de Bill Monroe, au Honky Tonk de Jimmy Rodgers ou, encore, au Outlaw de Willie Nelson – pour ne citer que celles-ci. Elle n’est plus, en outre, la chasse gardée des États-Unis, comme pouvait l’être l’Amérique du Sud, au temps de la « doctrine Monroe ». Le répertoire fourni des Cowboys fringants, groupe connu pour ses textes bien troussés mais aussi son engagement en faveur de l’indépendance du Québec, l’illustre parfaitement. L’existence, en France, depuis 2008, d’une publication telle que Country Music Mag ou l’organisation – hors période de Covid-19 bien sûr – de « festivals folk & country » témoignent par ailleurs d’un certain engouement français pour cette musique. 

Mais s’il est une personne qui aura beaucoup fait ces derniers temps pour rendre à la country ses lettres de noblesse, c’est probablement Laurent Chalumeau avec son dernier roman, Vice. Dans les années 1980 et 1990, celui-ci fut critique au magazine Rock & Folk, dans lequel sévissent aujourd’hui les talentueuses plumes de Nicolas Ungemuth et Patrick Eudeline. Et, à lire ce qu’il écrivait à l’époque, il n’avait guère d’atomes crochus avec cette musique. Aussi, s’attendre à en découvrir un tel hommage dans Vice n’allait-il pas de soi. Comme quoi l’on peut s’attendre à tout avec un tel homme, y compris à tomber sur une atypique mais jouissive fusion du polar avec la comédie de mœurs (Bonus, Grasset, 2010). 

L’art du clair-obscur

Dès les premières pages, Laurent Chalumeau, avec son style nerveux et reconnaissable entre tous, ne tourne pas autour du pot. Pour la soundtrack de son biopic dédié à la quarantenaire Esperanza Running-Wolf, il dépasse, et de loin, le Quentin Tarantino qui s’est naguère illustré par une propension à exhumer des hits country oubliés de tous – avec “Reservoir Dogs” notamment, grâce à une intrigue rythmée par le personnage du DJ K-Billy’s et son programme musical, le Super Sounds of the Seventies. Il a choisi son camp, le camarade Chalumeau. Mais attention, s’il délaisse le triptyque classique du rock (guitare électrique, guitare basse, batterie) au profit du banjo, de la steel-guitar, de l’harmonica et de la mandoline, ce n’est pas pour accréditer le préjugé selon lequel la country serait une musique par essence conservatrice, prisée des nostalgiques du temps d’avant la Guerre de Sécession ou des admirateurs du général Custer. Il entend au contraire lui rendre toute sa complexité. 

Comment ? D’abord en rappelant par la bande, que « beaucoup d’Indiens sont venus à la country dans les années 70, encouragés par l’attitude des ‘hors-la-loi’ de l’époque », ce qui allait « des nattes rousses de Willie Nelson au mariage de Kristofferson avec une Cherokee, en passant par les déclarations de Waylon Jennings ou l’album de Johnny Cash consacré au génocide. » En suggérant ensuite que « la country, en fin de compte, c’est (…) l’horizon, les distances, la solitude, le grand air, le cœur brisé, la trahison », autrement dit les thèmes récurrents de la chanson française à texte, ou peu s’en faut. Et surtout, enfin, en ne niant jamais qu’elle est aussi écoutée et jouée par des brutes épaisses, des alcooliques et des têtes pleines d’eau, cumulant même parfois ces trois « qualités ». Bref, en dressant un singulier portrait en clair-obscur de cette musique. 

A lire aussi, Pascal Louvrier: Un souvenir avec Michel Déon

À ce propos, le clair-obscur, Laurent Chalumeau semble l’aimer. Les femmes et les hommes qu’il dépeint, dont les relations tumultueuses et complexes constituent la toile de fond de Vice,  n’apparaissent en tout cas que pétris d’ombres et de lumières. C’est par exemple le cas de l’héroïne Esperanza, dont il nous narre à la fois les efforts pour vivre libre dans un monde qui la souhaiterait plus soumise aux hommes, en tout cas moins libérée, mais aussi les confondantes contradictions. C’est le cas, aussi, de chacun des mecs qu’elle consomme à la chaine, voire en même temps, et qui tous cachent bien leur jeu. Souvent pour le pire… 

Ce goût que semble avoir Laurent Chalumeau pour le clair-obscur n’est pas ce qu’il y a de plus déplaisant chez lui, au contraire. C’est même ce qui permet d’affirmer que derrière le critique de Rock & Folk et l’auteur, pendant plusieurs années, de textes pour l’émission phare de Canal + (Nulle part ailleurs), se cachait non seulement un sacré romancier mais peut-être bien, aussi, pour peu qu’il nous gratifie encore de livres de l’acabit de Vice, un écrivain digne de ce nom. Et donc à suivre. Évidemment.

Laurent Chalumeau, Vice, Grasset, 2021.

Vice

Price: 19,00 €

23 used & new available from 2,46 €

La Country Music

Price: 10,00 €

16 used & new available from 4,64 €

Brésil, le coup d’état permanent

Dans le plus grand pays d’Amérique du Sud, un groupuscule d’individus s’est emparé du pouvoir politique. Il s’agit des… magistrats de la Cour suprême.


Éric Zemmour vient de faire l’expérience de la censure sur Instagram où son profil a été suspendu pendant 24h. Coïncidence saisissante, la justice brésilienne vient d’ordonner à Instagram et à d’autres réseaux sociaux de démonétiser une dizaine de profils de droite, parmi les plus importants du pays.  Dans les deux cas, l’opposition est expulsée du champ démocratique au moyen du délit d’opinion. Ne sont autorisés à s’exprimer que les oppositions inutiles, celles qui ont fait allégeance à l’establishment pour « avoir la vie sauve » et celles dont l’incompétence fonde l’innocuité.

L’establishment contre la démocratie

Cela dit, le Brésil a une longueur d’avance sur la France, car ici l’establishment a fait son coming out et assume ouvertement la censure. Il en a confié la mise en œuvre aux plus hautes juridictions du pays, qui désignent leurs cibles aux GAFAM. Les réseaux sociaux ont d’ailleurs intérêt à s’exécuter, sous peine d’amende.

Si le Brésil a déjà basculé dans le monde d’après, c’est que sa Cour suprême a accompli un véritable coup d’état judiciaire. Un coup d’état pacifique et à bas bruit. En avril 2020, la Cour suprême a décrété qu’elle était victime d’une conspiration visant à salir sa réputation et à remettre en cause la démocratie. Cette menace coordonnée aurait deux visages :  la « propagation de fake news » et la « promotion d’actes antidémocratiques ». Or, aucun de ces crimes n’est prévu dans la législation brésilienne, celle-ci prévoyant d’autres infractions comme l’injure, la calomnie, la diffamation et bien entendu la subversion. Peu importe, la Cour suprême a décidé de mener une croisade contre des crimes virtuels qui n’existent que dans l’esprit de ses membres.

Le blogueur Oswlado Eustaquio a été une des premières victimes du coup d’état judiciaire. En décembre 2020, il a été placé en détention à Brasilia pour « actes antidémocratiques », il a quitté la prison quelques semaines plus tard, en chaise roulante et tétraplégique. Il affirme avoir été torturé ; les autorités répondent qu’il a subi une chute en cellule. Qui croire ?  En tout cas, il n’avait rien à faire en prison parce qu’inciter à la commission d’actes antidémocratiques est une vue de l’esprit : ça n’existe pas dans le code pénal brésilien.

À lire aussi du même auteur : Bolsonaro, l’ennemi idéal

Roberto Jefferson (centre-droit), un ancien député a été mis en taule la semaine dernière pour le même motif virtuel : acte anti-démocratique. Un autre député, celui-ci en exercice, Daniel Silveira (droite), est actuellement en prison pour un prétexte similaire. Au diable l’immunité parlementaire !

La machine est devenue folle et ne se préoccupe plus de préserver les apparences. Les avocats des prévenus ont eu le plus grand mal au monde à accéder aux pièces du dossier. La personne se retrouve donc en prison sans savoir ce qui lui est reproché ! La Cour suprême ne prend même pas la peine de consulter le Parquet qui, au Brésil, dispose du monopole de la recherche de l’infraction et du monopole de l’information judiciaire. Désormais, la Cour Suprême est procureur, juge et enquêteur. Violation totale et sans équivoque des principes fondamentaux du droit brésilien.

Une police de la pensée

Un précédent a été installé. On peut désormais persécuter les Brésiliens au nom de crimes fictifs et au mépris du code de la procédure. Il suffit qu’ils pensent mal. Si un député est derrière les barreaux pour ses opinions, à quoi peut s’attendre un simple citoyen?

La folie est désormais licite tout comme l’arbitraire. Le Parlement vient de lever le secret bancaire d’un site de droite, accusé d’être « l’allié du virus ». Comme si le virus était un agent politique avec lequel on pourrait faire alliance et conspirer ! Délire total et chasse aux sorcières ! En réalité, ce qui est reproché au site en question, Brasil Paralelo, est d’être devenu le Netflix de la droite brésilienne, avec plus de 200.000 abonnés payants. Les parlementaires qui ont commis cette « bêtise » agissent dans le cadre d’une commission d’enquête instaurée par la Cour suprême en avril 2021, au mépris de la séparation des pouvoirs.

Le contexte de la pandémie a rendu possible le coup d’état. La presse aux ordres a anesthésié les consciences et a instauré un climat d’exception permettant de faire passer l’Impensable. Cet impensable correspond à une politique, bien réfléchie, qui consiste d’une part à faire taire les opposants et d’autre part à libérer les amis de la caste. Ainsi, Lula, par décision de la Cour suprême, a été non seulement libéré mais aussi blanchi !

Traumatisé par l’élection-surprise de Bolsonaro, l’establishment a repris la main et soigne ses candidats en vue de la présidentielle de 2022. Il ne sait pas encore s’il va choisir le populisme de gauche (Lula) ou bien pousser une sorte de Macron brésilien, capable de vendre tout et son contraire avec un sourire angélique. Pour tenir le rôle du gendre idéal, la castepeut compter sur João Doria (le gouverneur de São Paulo, adepte du masque et du vaccin), Luciano Huck (un présentateur télé progressiste) ou bien Eduardo Leite (un jeune gouverneur de centre-gauche).

En attendant, la démocratie se meurt. Les journalistes de droite prennent le chemin de l’exil. Ana Paula Henkel s’exprime depuis la Californie, Allan dos Santos et Paulo Figuereido ont trouvé refuge en Floride.  En 2022, le Brésil aura peut-être ses premières élections au suffrage universel sous la « dictature » :  des élections sans liberté d’expression et sans pluralisme. Des élections sans le peuple.

À lire aussi: Anthony Reisberg, Eric Zemmour censuré par Instagram

Il ne sert à rien de pleurer et de s’indigner. La seule question qui en vaut la peine est : qu’avons-nous fait pour contrer les mauvaises intentions de l’oligarchie ? Cela vaut pour le Brésil et pour la France aussi. Nous n’avons aucune excuse, le scénario a été exposé et mis en œuvre aux États-Unis, sous nos yeux et en direct sur CNN. Censure systématique et assumée, collusion entre le grand capital et le Parti démocrate, violence contrôlée des Black Lives Matter, isolement des individus (donc des insurgés potentiels) au nom du virus, manipulation des élections. Il n’y a plus d’Etat de droit, tout est possible désormais au nom de la « lutte contre la désinformation et le covid ».

Une insurrection urgente

A la censure des GAFAM, il faut opposer un retour partiel à l’analogique : journaux, magazines, radios FM et AM, télévisions par satellite émettant depuis des « pays libres ».  A la persécution politique, il faut répondre par une culture d’insurgés : semi-clandestine, dissimulée, autosuffisante, à cheval sur plusieurs pays, financée à bas bruit.

La démocratie fait partie du passé. L’establishment a déjà dépassé la démocratie. Il prépare l’avènement d’un nouvel ordre. Bientôt, le cadre institutionnel sera mis à jour, c’est-à-dire que la Constitution sera changée. Pour cela, il « faut » un choc systémique de plus : une nouvelle pandémie, une intifada des banlieues en France ou une insurrection des mafias au Brésil… Lors du prochain choc, sera probablement mise sur la table une nouvelle constitution, plus adaptée à la manière dont la caste souhaite nous gouverner.

Ce n’est ni une théorie de la conspiration ni une figure de style. Les constitutions changent, les institutions meurent et d’autres prennent leur place. Nous sommes dans une phase de transition tout simplement. Du coup d’état permanent que nous vivons ces jours-ci, nous passerons vers un nouvel état d’équilibre. Installés dans cette nouvelle gouvernance, nous regarderons probablement en arrière, la conscience tranquille, et nous dirons à nous-mêmes : « qu’il est bon d’avoir renoncé à la démocratie et aux droits de l’homme, nous sommes tellement mieux maintenant, convertis en rats de laboratoire et en machines à influencer ».

C’est le moment d’agir, vite et bien. L’ennemi est implacable et ne nous laissera pas une seconde chance de lui tordre le cou.

Mon père, le Maroc et moi: Une chronique contemporaine

Price: 18,00 €

12 used & new available from 18,00 €

David Galula et la théorie de la contre-insurrection

Price: 17,00 €

7 used & new available from 17,00 €

Et si on faisait entrer au Panthéon le Français lambda?

0

Sous cette présidence, on panthéonise à foison !


Le 30 novembre ce sera au tour de Joséphine Baker. Sans aucun doute une femme remarquable à beaucoup d’égards mais je me demande tout de même si à force de banaliser cet honneur après la mort, on ne va plus être assez exigeant avec la vie !

Mais, au risque de me faire reprocher une posture démagogique que j’assume, mon irritation concerne moins le Panthéon que la multitude des destinées qui auront passé leur existence dans la discrétion et se seront effacées dans l’obscurité.

Ceux qu’on panthéonise auront généralement connu les honneurs de leur vivant.

Je voudrais qu’on rende hommage au Français inconnu. Qui est souvent d’ailleurs une Française…

Certes on a déjà notre « soldat inconnu » mais le Français inconnu sera citoyen et en temps de paix.

Il aura vécu, probablement en province, éloigné de Paris et du pouvoir central.

Mère ou père, il aura tenté tant bien que mal de faire vivre sa famille, ses enfants.

Il se sera accroché à son métier ou aura tout fait pour retrouver du travail avec l’angoisse fréquente de se heurter à la crise, à des refus, à la désindustrialisation.

Les fins de mois auront été difficiles.

Il aura été victime d’un vol, on lui aura arraché son sac, il aura du mal à déposer plainte à la police ou à la gendarmerie et il n’aura plus jamais de nouvelles des autorités, de la justice. Il sera indigné mais cela ne servira à rien.

Il aura appris avec horreur les crimes terroristes et naïvement se sera demandé ce que font ceux qui gouvernent.

Il aura appris la fermeture prochaine de l’école de son village, peut-être celle de l’hôpital qui déjà n’était pas tout près. Des commerces auxquels il tenait auront disparu.

Il aura écrit à son député mais sans qu’on lui réponde. Il aura adressé des courriers à des administrations mais en vain. Pas le moindre accusé de réception.

Il aura toujours eu l’impression d’être oublié, abandonné.

Il aura peut-être un jour été invité dans un média, par pure curiosité de la part de l’élite, mais traité avec condescendance, une sorte de mépris distingué.

Il aura trop souvent dû se débrouiller avec des professeurs en grève, protester contre les violences, se plaindre des rackets.

Il se fera du souci pour l’avenir de ses enfants. Sans que son existence soit facile, il aura peur que la leur soit encore pire.

Il aura voté au début puis il aura arrêté. Il ne croira plus aux promesses des politiciens.

Il aura perçu son pays comme s’il était double, divisé. La France officielle, ses droits, ses privilèges et ses lumières, la sienne sombre, injuste, sans espoir.

Il aura été courageux dans sa quotidienneté, il se sera battu autant qu’il aura pu, il aura été reconnaissant pour les aides qu’on lui aura octroyées mais l’un dans dans l’autre il n’aura pas été humainement et socialement heureux.

Il aura eu l’impression que l’argent coule à flots ailleurs mais que c’est comme ça. Il aura douté de l’utilité de la révolte. Il se sera enlisé.

Il n’aura jamais commis le moindre délit et regardant les feuilletons à la télévision ou autre chose, il sera étonné de la publicité faite à des malfaisants.

Il tentera de faire du fil de ses jours des petites joies pour ne pas être trop mélancolique.

Il n’aura jamais été envieux mais tout le temps il sera habité par la sensation d’un « ce n’est pas juste, pas équitable ».

Parfait honnête homme, ayant assumé le moins mal possible ses devoirs, il finira sa vie, entouré d’affection familiale et dans l’anonymat.

Il aura été ce Français inconnu sur lequel les pouvoirs devraient se pencher pour lui rendre hommage.

Comment le reconnaître alors qu’ils sont nombreux à endurer cette grisaille et à combattre un sort qu’ils ne voudraient pas juger fatal ?

C’est simple : il est parmi ceux dont on ne parle jamais, qu’on étouffe, qu’on néglige. Il est Français mais se demande ce que la France fait pour lui.

Il mérite mieux que le Panthéon.

Accueillir les Afghans ?

Il faut n’avoir aucun cœur pour ne pas vouloir secourir les Afghans qui fuient la double monstruosité de la charia et des guerres tribales. Il faut n’avoir aucune conscience pour vouloir lâcher des gens forgés par des siècles de combats, de razzias et de fanatisme au milieu de son propre peuple désarmé.


Une république corrompue portée à bouts de bras par les USA a été renversée par l’armée d’une théocratie totalitaire soutenue par le Pakistan et le Qatar. Difficile de nier le rôle de l’Occident, et en particulier de l’Amérique, bien que l’on puisse, et doive, se demander ce qui relève de l’arrogance, de l’incompétence, des mauvaises excuses que l’on donne pour sauver la face, et de l’hypocrisie cynique et calculatrice. Difficile de nier l’aveuglement plus ou moins volontaire de nombre de commentateurs depuis 40 ans, dont Le Monde Diplomatique a rassemblé un saisissant florilège, et on se demande s’il faut rire ou pleurer de voir que plusieurs auteurs des pires absurdités de l’époque sévissent encore comme donneurs de leçons subventionnés.

Mais enfin ! A écouter certains, on en arriverait à croire que l’Occident n’a rien fait pour l’Afghanistan, et que les Afghans n’ont aucune part de responsabilité dans la situation de leur pays. Comme le rappelle le général François Chauvancy dans une excellente analyse, « près de 1.700 milliards d’euros ont été dépensés en Afghanistan par les États-Unis soit près de six fois le budget annuel de la France, près de 2.500 Américains tués et 20.000 blessés, pour leurs alliés quelques centaines de tués (France 89, Royaume-Uni 453) et des milliers de blessés souvent amputés. » Quant aux Talibans, ils sont tout aussi afghans que les civils qui fuient la prise de Kaboul – ce qui ne veut pas dire grand-chose dans un pays de conflits séculaires entre tribus, mais devrait suffire à disqualifier quiconque nous explique qu’il est urgent d’accueillir « tous les Afghans ».

À lire aussi: Serge Féray, Pour un émirat inclusif

Y a-t-il, parmi les futurs migrants afghans qui ne manqueront pas de frapper à nos portes, des gens bien, des gens qui aspirent simplement à vivre sans faire de mal à personne et méritent toute notre compassion et notre hospitalité ? Oui, assurément. Y a-t-il des gens que nous avons le devoir d’accueillir ? Oui, bien entendu, à commencer par nos anciens auxiliaires, dont le trop long abandon est une souillure sur notre honneur, et une faute lourde des gouvernements successifs et du ministère des Armées.

Mais :

En 2013, le Pew Research Institute observait que 99% des musulmans afghans souhaitaient que la charia soit la loi officielle du pays, 85% étaient favorables à la lapidation des femmes adultères, et 79% considéraient que les apostats quittant l’islam devaient être mis à mort. Gageons que les cours sur la théorie du genre financés par les USA n’y auront pas changé grand-chose… Les légions de l’Urbs considéraient qu’il fallait au moins trois générations pour romaniser un pays conquis, et pourtant leur vision du monde était « légèrement » plus solide et convaincante que le wokisme.

Parmi ceux qui fuient les Talibans, il n’y a pas que des habitants occidentalisés de Kaboul, mais aussi des personnes qui n’ont pas un seul instant l’intention de s’adapter à nous si nous les accueillons, et sont au contraire bien déterminés à persévérer dans leurs modes de vie. Ainsi des criminels auteurs de tragiques faits divers, dont il faut bien se demander s’ils ne sont que des faits divers ou les révélateurs d’un mal plus profond. Ainsi des adeptes de l’abjecte tradition des « bacha bazi », ces adolescents et pré-adolescents utilisés comme esclaves sexuels, et on pense à ce garçon de 12 ans violé en 2018 par un migrant afghan à Saint-Brieuc. Rappelons donc que les Talibans avaient interdit cette pratique : entre les islamistes, qui pratiquent le viol et le mariage forcé des filles, et leurs ennemis qui pratiquent le viol et l’esclavage sexuel des jeunes garçons, on est loin du cliché hollywoodien bien-pensant selon lequel nous devrions accueillir à bras ouverts les gentils qui fuient les méchants – qui fuient au lieu de combattre, d’ailleurs. Il est frappant de voir une fois de plus que les foules de « réfugiés » qu’on nous montre ne sont pas des familles mais des groupes de jeunes hommes en âge de combattre mais qui abandonnent leurs familles derrière eux.

On se souvient aussi – ou on devrait se souvenir – qu’en octobre 2020 Kaboul fut le théâtre d’importantes manifestations anti-françaises : nous avions commis le crime impardonnable de ne pas nous plier à la soif de censure de l’islam. Et les Talibans n’étaient pas encore au pouvoir dans la capitale afghane….

À lire aussi: Driss Ghali, Ode aux Talibans

Quant aux rivaux des Talibans dans les luttes claniques, dans le trafic de drogue endémique (l’Afghanistan produirait selon les estimations entre 50% et 90% de l’héroïne mondiale), qu’ils veuillent échapper aux nouveaux maîtres du pays ne fait pas d’eux de braves gens. Sans oublier, naturellement, ceux des 99% qui approuvent la charia, n’ont pas de désaccord philosophique majeur avec les Talibans, mais qui, voyant nos frontières ouvertes, se diront que les allocations et le confort d’un pays de kouffars offert à la prédation valent bien de supporter un peu de mécréance.

Alors que faire ? D’abord se poser les bonnes questions, et surtout se les poser dans le bon ordre. Il ne faut pas nous demander combien de réfugiés afghans nous devons ou voulons accueillir, puis comment les intégrer, mais il faut au contraire nous demander quel degré de coercition nous sommes prêts à exercer sur ceux que nous accueillerons pour les forcer à s’assimiler – car nos civilisations sont trop profondément différentes pour que la seule intégration suffise. Jusqu’à quel point, aussi, voulons-nous d’une société de surveillance pour gérer des populations ne partageant en rien notre « common decency » (selon le terme d’Orwell), et que nous aurons faites venir ? Répondre à ces questions nous dira combien nous pouvons accueillir de ces réfugiés, et ensuite seulement nous serons en mesure de nous demander combien nous voulons en accueillir.

Le constat, hélas, est tragique. Notre capacité à contraindre pour obliger à l’assimilation est devenue désespérément faible : nous sommes désarmés, juridiquement, intellectuellement et moralement, nous avons été désarmés par des dirigeants dont les priorités sont la docilité du contribuable solvable et l’achat de la « paix sociale » et des voix des minorités vagissantes, et nous nous sommes désarmés nous-mêmes – il faut lire à la fois Ibn Khaldoun et Soljenitsyne.

Après 1905, il a fallu imposer la laïcité par la force aux catholiques de France, et il y eut des affrontements violents avec les forces de l’ordre, les gendarmes étant parfois contraints d’ouvrir le feu – et pourtant, ces catholiques qu’ils affrontaient partageaient depuis des siècles le substrat culturel ayant conduit à la loi de 1905. Sommes-nous prêts, aujourd’hui, à ce que les gendarmes ouvrent le feu pour imposer la laïcité aux musulmans en France ? Pour l’imposer aux migrants afghans ? Ceux-là viennent d’une culture guerrière, violente, rustique, profondément attachée à la loi religieuse. Qui peut croire un seul instant que le Syndicat de la Magistrature et les rodomontades de Darmanin vont les impressionner ? Dans leur monde, on ne respecte que ceux qui savent se faire respecter. Sommes-nous prêts au degré de brutalité et de combativité nécessaire pour leur imposer de nous respecter ?

À lire aussi du même auteur : Le feu et le sang

Voilà notre faute. Nous pourrions donner asile aux migrants afghans si nous étions capables de mater ceux d’entre eux qui refuseront d’obéir à nos lois et d’adopter nos mœurs. Mais nous y avons renoncé, au nom de la « tolérance », au nom de « l’ouverture à l’Autre ». Nos dirigeants et toute la caste des bien-pensants larmoient devant les souffrances des Afghans, et haussent les épaules devant celles des Français. Nous pourrions être un havre, un sanctuaire où ceux qui fuient l’horreur de la charia trouveraient un abri, mais nous ne sommes plus qu’un territoire ouvert à tous les vents et déchiré par son incapacité à défendre sa civilisation contre ceux qui veulent la détruire. Ceux qui veulent que nous ouvrions grand nos portes à toute personne fuyant les Talibans veulent aussi que nous ouvrions grand nos portes à l’idéologie des Talibans.

Le monde musulman – 48 pays en plus de l’Afghanistan – n’a pas nos scrupules. Il pourrait accueillir ceux qui quittent l’Afghanistan : il a les moyens de construire des pistes de ski artificielles dans le désert et le plus haut gratte-ciel du monde, il a les moyens de financer un prosélytisme agressif sur la planète entière, des mosquées et des écoles coraniques jusque dans nos petites villes de province, d’acheter des joueurs au PSG pour des sommes qui nourriraient des milliers de réfugiés pendant des années, et d’œuvrer à l’instauration d’une censure mondiale au nom de la lutte contre « la diffamation des religions ». Et il n’aurait pas les moyens d’accueillir des Afghans en fuite ? A d’autres ! Au moins, le déracinement et le choc culturel seraient moins rudes pour les réfugiés, et ils ne seraient pas confrontés à ce que tant et tant de leurs coreligionnaires nomment notre « islamophobie ».

Je devine de fortes réticences. Alors, que ceux qui refusent cette solution se demandent pourquoi. Si l’on considère que les réfugiés afghans, et notamment les femmes, seraient opprimés partout dans le monde musulman, n’est-ce pas la preuve d’un problème systémique, la preuve que l’islam n’est pas que « paix et tolérance » ? Il faut choisir : si l’on considère de notre devoir d’accueillir ceux qui fuient la mise en œuvre de la charia, alors il est aussi de notre devoir de refuser l’idéologie qui sous-tend la charia. Ce qui est monstrueux en Afghanistan ne devient pas une « diversité qui est une chance pour la France et un enrichissement culturel venu d’une minorité qu’il ne faut pas stigmatiser » une fois installé au coin de la rue.

Alors que faire ? Nous réarmer moralement, intellectuellement et juridiquement. Oser reconquérir notre pays et y faire respecter partout nos lois et notre art de vivre, à la lumière des principes éthiques et anthropologiques qui définissent notre civilisation au moins depuis la première fois où Homère a chanté. N’accueillir que ceux à qui nous saurons imposer l’assimilation – soit qu’ils la souhaitent déjà, soit que nous soyons en mesure de les y contraindre – et refuser les autres.

N’en déplaise aux « progressistes » pour qui « discriminer » est le pire des crimes, nous n’avons pas à traiter de la même manière une adolescente afghane qui vient chez nous pour échapper à un mariage forcé et est prête à adopter notre culture, et un migrant qui veut vivre ici mais a la ferme intention de continuer à interdire à sa femme de sortir, et enseignera soigneusement à ses futurs enfants qu’il serait grand temps que la France s’adapte à la charia – enfants qui, bien sûr, auront le droit de vote comme le veut le droit du sol, aussi absurde qu’irresponsable.

Le droit d’asile, ce n’est pas d’ouvrir les portes de la bergerie aux loups, même aux loups blessés.

L’erreur afghane

2
Un Taliban à Mehtarlam, est de l'Afghanistan, 18 août 2021 © Auteurs : Stringer/SPUTNIK/SIPA Numéro de reportage : 01034180_000001

Les Russes avaient compris les premiers qu’on n’impose pas le socialisme à un pays musulman. Les Américains viennent de comprendre qu’on n’impose pas la démocratie à un pays islamique. Le bilan amer de Jean-Paul Brighelli sur le drame afghan.


Voici un pays qui a sensiblement la même taille que la France (autour de 650 000 km2), défendue par une armée de (nominalement) 300 000 hommes. En fait, 110 000, la différence étant constituée d’unités fantômes pour lesquelles les commandants percevaient une solde qu’ils se hâtaient d’empocher, et des armes sophistiquées qu’ils offraient à leurs futurs adversaires. Lesquels n’en ont que faire, vu qu’ils préfèrent des armes de basse technologie (les kalachs, dont on façonne n’importe quelle pièce sur une forge improvisée, et les mortiers home made) plutôt que des outils qui demandent d’avoir fait des études ailleurs que dans le Coran.

Intervenir en 2001 en Afghanistan était de bonne guerre — au sens propre du terme. Mais il fallait s’en retirer très vite…

Ce pays immense et naturellement hostile est tombé dans l’escarcelle des Talibans (70 000 hommes, estimation moyenne) en une semaine. Dans leurs rêves, les Américains pensaient que cela leur prendrait deux mois. Manifestement, ils n’ont rien retenu du Vietnam.

Imaginez quelles conditions politico-stratégiques il faudrait pour que la France soit territorialement conquise en une semaine, les villes prises l’une après l’autre, et son armée évaporée.

A lire aussi: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Qu’est-ce à dire ? Une pareille réussite militaire serait impossible si la population était hostile aux Talibans. On nous montre des images d’Afghans affolés, candidats à l’immigration. Quelques milliers, soit. Mais on ne nous montre pas les millions d’Afghans applaudissant le retour des « étudiants en religion ». Et la réimposition d’un ordre islamique.

Rejet de greffe

La greffe démocratique que les nations occidentales, qui se sont bercées d’illusions, ont cru imposer à ce pays tribal n’a pas pris. Elle ne le pouvait pas. Mille milliards de dollars plus tard, force est de constater que le régime des tribus a repris le dessus. On leur coupe les vivres ? La belle affaire ! Ils replanteront des pavots. Justement la consommation d’héroïne repart à la hausse.

Les belles consciences professionnelles, bobos de droite et de gauche, hurlent devant le retour de la loi islamique, qui n’est pas tendre. Mais qui est ce qu’une majorité d’Afghans réclament. Mais si ! Sinon, ils n’auraient jamais ouvert les bras à cette allure à leurs « libérateurs » — et je ne devrais pas mettre de guillemets. Les Russes avaient compris les premiers qu’on n’impose pas le socialisme à un pays musulman. Les Américains viennent de comprendre qu’on n’impose pas la démocratie à un pays islamique.

La démocratie est un concept européen, taillé pour des peuples européens. Elle convient bien à la Grèce du Ve siècle, à la Rome antique, et à quelques nations qui ont emprunté avec succès la voie républicaine. Elle ne convient pas à l’Afghanistan, ni à la Libye, ni à l’Arabie Saoudite, ni à l’Irak, ni… Pas plus que la charia ne convient à la France. Je suggère à celles et ceux qui en feraient volontiers leurs choux gras de s’exiler à Kaboul (ou Ryad, ou Bagdad, ou Téhéran). Ils y trouveront leur rêve. Femmes grillagées là-bas, et mini-jupes ici. Celles qui ont cru au mirage occidental sont bien peu nombreuses, elles sont la croûte alphabétisée dans un pays qui ne l’est guère.

Intervenir en 2001 en Afghanistan était de bonne guerre — au sens propre du terme. Mais il fallait s’en retirer très vite. Personne — sauf, brièvement, l’armée d’Alexandre — n’est venu à bout des Afghans, qui tiennent férocement à leurs principes, à leurs montagnes arides bourrées de métaux rares, et à leur mode de vie. Pas même les Anglais au faîte de leur puissance coloniale.

Un curieux paternalisme

Il ne faut pas forcer les peuples à être autre chose qu’eux-mêmes. C’est pire que du colonialisme, qui a au moins l’avantage d’annoncer la couleur : c’est de la bêtise pure. Xi Jinping ou Poutine usent de procédés qui nous révulsent ? Mais ils sont plébiscités par les Russes, qui aiment les tsars, et par les Chinois, qui ne détestent pas les empereurs. Il va falloir vous y faire, parce que la Chine va dominer le monde incessamment sous peu. 

A lire aussi: Accueillir les Afghans ?

Mais je ne crois pas les Chinois assez stupides pour imposer leur système politique à des nations étrangères qu’ils auront économiquement conquises. Alors, épargnons-leur les leçons. Les belles âmes ici s’enthousiasment pour un dissident emprisonné, pour des populations déplacées. Curieux paternalisme, qui nous fait juger d’autrui selon nos critères. Nous fabriquons des « tribunaux internationaux » soi-disant compétents extra-territorialement. Mais quelle compétence ont-ils dans des pays qui non seulement ne les reconnaissent pas, mais sont incapables d’en comprendre les ressorts et les motifs ?

Les tribunaux américains se prétendent compétents dans le monde entier dès que des intérêts américains sont en jeu. C’est la limite de l’interventionnisme. En 1801 puis à nouveau en 1815, ces mêmes Américains, qui expérimentaient les jeunes ressorts du système démocratique qu’ils venaient d’instaurer, envoyèrent des bateaux de guerre au Maghreb dans le cadre des « guerres barbaresques » — parce que la piraterie maure gênait leur commerce. Pas pour imposer la démocratie — et d’ailleurs, la victoire acquise, ils se retirèrent intelligemment : Jefferson ou Madison étaient bien plus sensés que Bush Jr, Obama, Trump ou le dernier de la classe, Joe Biden. Les intérêts commerciaux sont compréhensibles et peuvent légitimer l’emploi de la force. Les intérêts moraux sont si fluctuants, d’un pays à l’autre, qu’ils ne peuvent servir de base d’action à qui que ce soit. Pas de façon efficace.
Laissons les Afghans se débrouiller entre eux — et surveillons les gens qu’ils fréquentent, au lieu de les armer, ce que les Etats-Unis firent avec Ben Laden dans les années 1980. Occupons-nous de notre pré carré, au lieu de rêver à des expéditions lointaines. La catastrophe libyenne aurait dû éclairer les philanthropes à jolies chemises. Il n’en est rien, ils veulent encore tenter l’aventure — et jouer la carte d’un autre fiasco.

Paris jadis

0

« Des enfants gâtés », mon Tavernier préféré disponible en VOD


« Et Bertrand Tavernier, il sent le pâté ? ». Certains parmi vous se sont offusqués de mon silence, en mars dernier, à la disparition du réalisateur français. Nécrologue officiel du journal, grand ordonnateur de papier, j’aurais volontairement omis de traiter ce décès célèbre. D’autres m’ont, par le passé, déjà reproché d’avoir embaumé Annie Cordy et Charles Gérard, ne comprenant pas ma logique des pompes funèbres. La nécrologie comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique. Je ne suis pas le poinçonneur des chrysanthèmes. 

A lire aussi, Jérôme Leroy: Bertrand Tavernier, un souvenir

Il n’y avait aucune intention de ma part, aucun calcul. Et je ne cours pas après le dernier mort en vogue. L’actualité m’avait, ce jour-là, orienté vers d’autres cieux. Aujourd’hui, au cœur de l’été, je tiens à réparer cette injustice en exhumant « Des enfants gâtés », film de 1977, disponible sur CANAL VOD. Pourquoi ce long-métrage et pas un autre ? Je vous répondrai : arbitraire du chroniqueur et sentimentalisme d’après-crise du pétrole, goût pour la moquette et affres intérieurs des cadres moyens. Tavernier en a écrit et réalisé probablement de meilleurs, de mieux construits, de moins explicatifs, de moins militants et cependant le charme automnal de cette tranche de vie a quelque chose de purement mélancolique. 

Un film qui déboussole et console à la fois

D’une puissance évocatrice que seule la littérature est d’habitude susceptible de provoquer chez moi. « Des enfants gâtés » rend triste et heureux, amer et vivant, dans cette incertitude poisseuse que les enfants uniques connaissent depuis leur naissance. La solitude, cette compagne versatile, nous a appris à composer avec l’insatisfaction de l’existence. Ce film inspire un état de transition fort agréable comme une journée à la plage sous la pluie ou une avant-veille de rentrée scolaire. Il déboussole et console. « Tu es tout chose, mon petit », me répétait ma grand-mère soucieuse de mon équilibre mental. « Des enfants gâtés » me produit ce même effet bizarre. Tavernier a capturé, malgré quelques lignes de dialogue trop sociologisantes, les éraflures du quotidien, misères domestiques et amours en filigrane, états d’âme couleur menthe à l’eau et rêves en formica, dans sa boule à neige.

A lire aussi, du même auteur: On regarde quoi cet été? 

On éprouve un plaisir immense à revoir ce film et à s’imprégner de cette France en voie d’urbanisation au forceps. Un rideau de tergal nimbe alors l’avenir des classes moyennes, entre appétit de consommer et conscience politique. Au-delà de la crise immobilière et des expulsions qu’il condamne, de l’âpreté des promoteurs aux locataires réunis en comité de défense, ce film vaut pour l’atmosphère de cette fin 1970. Dans une impasse scénaristique, Bernard Rougerie (Michel Piccoli) s’installe dans une HLM pour terminer son film, il est aidé par Pierre (Michel Aumont). Au même moment, les locataires de l’immeuble où il réside provisoirement, partent en guerre contre leur propriétaire (Georges Riquier). Bernard Rougerie, unique célébrité au milieu de tant d’anonymes, va voir son quotidien bousculé par une jeune voisine (Christine Pascal) et son film prendra alors une autre trajectoire.

Apnée nostalgique

Tavernier portraiture à merveille cette coalition hétéroclite d’anti-héros ; fonctionnaires, commerçants ou demandeurs d’emploi qui cherchent à se loger au juste prix et s’invitent pour des soirées diapos. Il livre le visage d’un pays en mutation sans faire preuve d’un excès d’angélisme ou de défaitisme. Il navigue aux portes de la capitale dans un territoire griffé par des grues géantes et de voraces excavatrices. Les Halles Baltard n’existent déjà plus. Le béton coule le paysage. On continue pourtant de mettre de la cannelle sur les tartes et à s’acheter des meubles chez Habitat. À vrai dire, tout ça est accessoire, non essentiel, comme dirait un progressiste. C’est de l’ordre du décor. Lorsque la reine Christine Pascal pénètre dans l’écran, on se fout des loyers modérés, des clauses abusives et de la construction sous Giscard. L’émotion a trouvé sa muse. Fragile et volcanique, Christine se pose sur la caméra de Tavernier. Il n’a presque plus rien à faire. Il a trouvé son métronome. Elle est là, intensément, avec ce désespoir en bandoulière qui fit chavirer les adolescents de ma génération. 

A lire aussi, Christophe Despaux: Passion simple, ce film qu’il serait plus “simple” de détester

Chaque réplique foudroie par sa justesse et sa révolte. Piccoli, superbe comme souvent, admet la supériorité de cette voisine au corps délié pour qui l’amour est une aventure pas si ordinaire que ça. C’est elle qui désormais rythmera le film, lui donnera son relief, son apnée nostalgique et ses sanglots retenus. Je pourrais vous parler de la musique de Philippe Sarde, de la chanson d’ouverture interprétée par Marielle et Rochefort, de la présence des membres du Splendid encore inconnus, de cette phrase balancée par Jugnot qui me ravit : « Je suis Renault à mort » ou celle de Michel Aumont : « À Paris, t’es noyé, en Province, les choses sont plus cernées […] Je vois ça (le film) à Saint-Etienne ». Mais, par honnêteté intellectuelle, je ne me souviens que de Christine Pascal.  

Des enfants gâtés (1977), de Bertrand Tavernier – CANAL VOD.

des Enfants gâtés

Price: 161,00 €

7 used & new available from 49,99 €

Ce film qu’il serait plus « simple » de détester

1
Sergei Polunin et Laetitia Dosch dans "Passion simple" de Danielle Arbid. Photo: Julien Roche / Pyramide Films.

Cela a beau être une adaptation d’un roman de la pénible Annie Ernaux, le film de Danielle Arbid est plutôt convaincant.


Parfois, on souhaiterait de toutes ses fibres détester un film, et on n’y parvient pas. 

Non pas qu’on l’adore, mais il nous contraint à faire la part des choses et à réviser pour un temps nos a priori. Ainsi “Passion simple” signé Danielle Arbid, d’après Annie Ernaux. Le problème au départ n’est pas ici la réalisatrice. Celle que son principale contempteur Richard Millet appelle Anus Ernie depuis qu’elle est parvenue à l’évincer de Gallimard par un procédé woke limite stalinien, est une sorte de Pandore de l’auto-sociologie en eau de boudin. Auto-sociologie à quoi se résume désormais une grande partie de la litter-ature française pour reprendre l’orthographe carrollienne (litter = ordure) ! 

Soyons honnêtes

Ernaux, c’est un peu Martine au pays de Bourdieu. Et on pourrait égrener ses livres sur le mode de la série pour enfants : Martine dépucelée, Martine se souvient des années 80, Martine avorte, Martine orpheline, etc. Un.e écrivain.e dont les rejetons les plus systémiques sont Christine Angot et Edouard Louis ne peut que prêter à tous les soupçons, surtout si i.el a une passion conjointe pour son nombril comme sujet d’étude et pour le neutre comme scalpel. 

Mais, soyons honnêtes, nous ne gardons pas un mauvais souvenir du roman Passion simple (sa brièveté extrême, moins de 80 pages, l’en empêcherait de toute façon). Martine-Annie y narrait sa passion pour un diplomate russe, son cadet d’une dizaine d’années, qui la baise – bien – et avec qui elle n’a rien en commun – à part la baise justement. Elle ne pense qu’à lui, elle dépérit quand il n’est pas avec elle, et un jour il part. Voilà.

Qu’en faire au cinéma ? Quel scalpel filmique à la place de l’écriture de bon ton, blanche (Gallimard) et neutre pré-genderfluid ? Reconnaissons que Danielle Arbid sait où elle va et livre une œuvre réfléchie, cohérente et, partiellement, convaincante. L’actualisation à notre époque (le livre se passe en 1992) est bienvenue avec l’omniprésence et l’immédiateté des moyens de communication qui redoublent la rémanence de l’être aimé, toujours capable de surgir à l’esprit par un texto ou au détour d’internet. 

Des flous omniprésents, des tatouages

Arbid construit son film à partir de deux très insistantes figures de style : le flou et la superposition, qui tous deux empêchent la juste perception. Les vitres sont ainsi omniprésentes, elles permettent de voir à travers mais aussi de s’y refléter. La maison de l’héroïne rappelle deux fameuses demeures chabroliennes à la fois, celle de “Juste avant la nuit” (pour l’omniprésence des baies vitrées et l’impression bizarre qu’un côté est aveugle), et celle de “La Femme infidèle” (pour le jardin presque parc qui y mène). “Passion simple” pourrait d’ailleurs passer pour une version du film “La Femme infidèle” du point de vue de l’épouse, où le mari serait remplacé par l’enfant ici particulièrement maussade (jusqu’aux prénoms qui empruntent aux Chabrol des années 70 : Hélène et Paul d’ailleurs). 

A lire ensuite: OSS 117: permis de ronronner

Arbid épouse clairement le point de vue de son héroïne, professeur de littérature à la Sorbonne, tourneboulée par cet amant avec qui elle ne partage rien que le plaisir, mais elle a besoin de traduire la distance du regard d’Ernaux, d’où les expédients déjà cités qui donnent lieu à quelques plans remarquables dont plusieurs fondus, l’un assez abouti entre Laetitia Dosch et un feuillage baigné de soleil. Idée magnifique, Arbid fragmente chaque rencontre en autant de positions qui permettent de découvrir un peu plus le corps de son acteur, par le biais de ses nombreux tatouages qui apparaissent l’un après l’autre dans le champ. Il ne faut pas manquer le dialogue où Sergei Lopunin avoue à Dosch qu’elle est son meilleur coup, alors que le Joker sur son biceps gauche semble la dévisager.

Une fin peu convaincante

Mais une fois que le spectateur connaît l’anatomie de l’acteur sous toutes les coutures, son personnage disparaît corps et biens, et le film flirtant avec les tropes de la souffrance amoureuse devient beaucoup plus commun. Une seule scène est vraiment bonne dans la seconde moitié, la filature/apparition de l’amant spectral dans la rue. 

Arbid réussit bien à créer un personnage, celui d’Alexandre – incroyablement servi par Lopunin -, à partir d’un corps fragmenté et de quelques répliques ou bribes de scène, mais échoue à figurer celui de l’héroïne qui monopolise pourtant le film. Sur la longueur, on ne peut que regretter le choix de Laetitia Dosch, excellente actrice comique (son meilleur rôle dans “Gaspard va au mariage” d’Antony Cordier) mais beaucoup plus discutable dans le registre « dramatique ». En intellectuelle espiègle et glamourisée théorisant sa souffrance, Dosch fait un peu pschiitt. À part son fils et son amant, tout ce qui la touche est attendu, mauvais ou sonne mal, à l’image des quelques dialogues avec son amie féministe (interprétée par Caroline Ducey, la lointaine héroïne du scandaleux “Romance”). Même l’excellent Grégoire Colin ne peut rien en suppôt vengeur du patriarcat. 

C’est qu’Arbid est au fond écartelée entre deux inspirations contraires, le sensoriel-vaporeux d’une Claire Denis et le « ma chatte dans ta gueule » de Catherine Breillat. Au milieu du gué, “Passion simple” fond sur la banquise, d’autant que la fin positive livrée en voix off par l’héroïne fait penser à un dossier de Psychologie Magazine. La splendide reprise de Yazoo qui l’accompagne – Only you a cappella par les Flying Pickets – si elle ne peut qu’émouvoir (Wong Kar-wai l’a déjà utilisée il y a 20 ans) laisse donc une impression paradoxale et mitigée : celle d’une eau de rose congelée. Le female gaze a encore quelques progrès à faire.

Photo: Julien Roche / Pyramide

Charlie Watts, le métronome des Rolling Stones arrête d’indiquer le rythme

0
Charlie Watts photographié en 1963 © Dezo Hoffman/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40880466_000008

Sans lui, la musique des Rolling Stones ne sera jamais plus tout à fait la même.


J’étais en train de cuisiner un risotto, je jette un œil sur les réseaux sociaux, et j’apprends la mort de Charlie Watts, le batteur des Stones, à l’âge de quatre-vingt ans.

Je m’y attendais cependant, on avait annoncé qu’il ne serait pas de la prochaine tournée des Stones. Le moins scandaleux de la bande, celui qui n’était pas couvert de groupies, d’ailleurs il n’aimait pas ça, qui est resté avec la même femme toute sa vie, a tiré sa révérence le premier (exception faite de Brian et sa piscine). Il était le pilier des Stones, le métronome, lit-on partout, imperturbable et so british derrière sa batterie, pendant qui Mick se contorsionnait. Keith disait de lui qu’il était « le lit sur lequel il était allongé », sa colonne vertébrale en quelque sorte. Avec son  élégance et son air de ne pas y toucher.

La parole aux spécialistes

J’ai toujours en tête cette photo du groupe période Aftermaths. La photo est en noir et blanc, ils marchent tous les cinq côte à côte, Brian était bien sûr toujours en vie, il est, avec Keith, le plus excentrique, avec sa tenue d’Oscar Wilde hippie, Keith avec une fourrure blanche négligemment jetée sur ses épaules. Et Charlie est le seul à être en costard cravate, un pantalon un peu feu de plancher cependant, nous sommes au mitan des années 60. Il esquisse presque un sourire. Ils sont beaux, la quintessence de l’élégance rock’n’roll. J’avais épinglé cette photo au mur de mon studio d’étudiante, que j’avais arrachée je crois, dans Les Inrocks à l’époque où ils étaient dignes. Et comme je ne suis pas rock critic, juste une ex groupie que le rock’n’roll aura aidée à vivre, je vais laisser la parole aux spécialistes.

A lire aussi: Arte: vie et mort de Brian Jones, écarté des Rolling Stones

Le DJ Jérôme Pigeon lui rend sur Facebook un bel hommage : « Il reste le plus charmeur et le plus inspiré des batteurs de rock, lui qui n’écoutait que du jazz, il aura été le ciment des Stones, une vie passée entre deux drama queen. Merci pour tout Charlie ».

Accro à l’héro

Dans une interview accordée à Télérama en 1998, il raconte avoir détesté la période 60-70 du groupe : « Toutes ces gamines hurlant pendant nos concerts, et le prétendu mode de vie « sex drugs and rock’n’roll » m’ont toujours paru ridicules et malsains ». Il sacrifiera cependant au mode de vie rock’n’roll, ayant été accro à l’héroïne à l’âge de quarante ans. Bizarrement. La colonne vertébrale a un peu vacillé. Il se voit, non pas comme le plus sage du groupe, mais le plus intègre, il est toujours resté très proche de Mick et Keith, musicalement dans son rôle, essentiel, de batteur. « Ma position ? Celle de tout batteur : assurer la rythmique, maintenir la cohésion musicale entre chaque instrument et fournir une plate-forme musicale aux autres ». Le ciment du groupe disait Jérôme Pigeon. C’est Brian qui l’a déniché en 63, alors qu’il faisait la tournée des boites de Londres qui jouaient du blues pour recruter des musiciens. Charlie était, avec Brian, peut-être le plus grand musicien du plus grand groupe de rock’n’roll du monde. Le plus grand batteur du monde ? Je suis trop béotienne pour en juger.

Ce dont je suis sûre, c’est que celui qui disait détester le rock’n’roll, qui n’aimait rien tant qu’accompagner des petits groupes dans de petits clubs de jazz, est maintenant quelque part au firmament des rock stars. It’s only rock’n’roll, Charlie, and we like it.

Il faudrait à la France deux présidents intermittents!

0
Philippe Bilger D.R.

C’est une utopie démocratique mais il me semble qu’elle ne serait pas si absurde que cela. Démonstration.


Aussi bien pour la France que sur le plan international, ces dernières années nous ont démontré qu’il y a des hommes ou des femmes de pouvoir qui ne sont pas adaptés à tous les terrains et à tous les moments mais les uns plus faits pour les temps de crise et les autres pour les temps calmes. Ce constat aboutirait, pour rester dans l’incongru, à élire deux personnalités qui, selon la situation de leur pays et celle du monde, seraient appelées à se succéder, à prendre la relève de l’une ou de l’autre selon les modifications, l’aggravation ou non de la conjoncture.

Il y a le feu près des cages françaises!

La comparaison est vulgaire mais dans les matchs de foot, quand on arrive aux tirs au but après prolongation, l’entraîneur a le droit de changer son gardien de but pour en faire rentrer un seulement pour cet exercice très particulier où il a montré qu’il excellait. L’épreuve des penaltys est comme un pays en temps de crise.

Même si cette réflexion ne m’est pas venue d’aujourd’hui mais s’est beaucoup nourrie du quinquennat de Nicolas Sarkozy, je ne suis pas le seul à avoir été stupéfié par l’incurie de Joe Biden en ce qui concerne la politique américaine de retrait en Afghanistan, depuis l’arrivée annoncée puis précipitée, enfin trop réelle des talibans.

A lire aussi, Philippe Bilger: Ces démagos en guerre contre le “contrôle au faciès”

Le fiasco est total qui non seulement a vu le président américain ne rien comprendre aux signes précurseurs pourtant sans équivoque et laisser s’accomplir dans le désordre et la confusion des opérations qu’un autre aurait su gérer autrement. Pourtant il continue à se féliciter d’un tel désastre en affirmant qu’il a pris les bonnes mesures. Son entourage démocrate n’a jamais osé le contredire en lui disant la vérité. À l’évidence Joe Biden a perdu un capital de réussite relative qu’il avait construit depuis son élection, tant il était facile dans un premier temps de ne pas faire regretter Donald Trump. Celui-ci a eu sa part de responsabilité dans la décision mal négociée de retrait mais bizarrement, avec l’impéritie de Biden, il retrouve un semblant de plausibilité.

Washington, 26 janvier 2021 © Doug Mills/UPI/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40822094_000018

Joe Biden n’est pas fait pour les temps de crise. Alors que Nicolas Sarkozy, quoi qu’on pense de lui, n’était au contraire qu’un président accordé à ces périodes où son agitation et son énergie trouvaient un exutoire naturel et se révélaient d’une indéniable efficacité. Mais les temps calmes l’ennuyaient en le contraignant à se réduire à un rôle de gestionnaire pour lequel il n’était pas fait.

Un peu d’histoire

L’immobilisme de Jacques Chirac – à l’exception de l’opposition à l’intervention américaine en Irak, résumée à du verbe à l’ONU – – était la conséquence d’une présidence tranquille, plus morale que dynamique, imprégnée de tout ce qu’il ne fallait pas faire pour que la France progresse dans l’audace et le progrès. Le principe de précaution était de la précaution mise en politique.

Un Kennedy, aussi discutable qu’il ait pu être dans ses rapports troubles avec la mafia et ses aventures amoureuses inquiétant les services secrets, était un président – Cuba l’a démontré – doué pour les « coups de chaud » alors qu’Obama, à cause de son talent oratoire, n’était pas à la hauteur des tensions et des crises : la Syrie en a été la preuve avec le lâchage au dernier moment de François Hollande.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: L’erreur afghane

Je pourrais prendre d’autres exemples qui justifieraient ma théorie du président intermittent. Le bon pour la normalité tranquille puis le bon pour les crises de toutes sortes.

Le président Macron superficiel face aux périls actuels?

Il serait intéressant de se pencher sur le quinquennat d’Emmanuel Macron dont on peut dire, à l’exception de la première année, qu’il n’a été irrigué que par des tensions, des tragédies, du terrorisme, une insécurité galopante, des révoltes sociales et une épidémie gravissime inédite. Il me semble qu’une perception lucide aurait pu le conduire à une présidence constamment inspirée par les temps de crise. Je n’ai pas l’impression qu’il ait choisi cette voie mais plutôt l’envie permanente de traiter l’extra-ordinaire en ordinaire, les choix à effectuer sous le pavillon stérile du « en même temps », un pays en délitement avec des invocations superficiellement guerrières.

Le président Macron, juillet 2021 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01027765_000001

Combien de fois, comme citoyen, me suis-je dit qu’à tel moment il faudrait faire revenir tel président, à tel autre, rentrer telle personnalité !

Paradoxalement je devine pourquoi les temps de crise ne sont pas honnis par les gouvernants, et même obscurément désirés : la réalité est univoque et son enseignement est clair. Il faut se battre, résister, on est moins jugé, l’unité est favorisée, on est aimé tout simplement parce qu’on est là !

Un jour, qui sait, la République nous offrira un président achevé, complet.

Quand le sous-préfet de Lyon fait contrôler un riverain qu’il vient d’étiqueter à l’«extrême droite»

0
Image: D.R.

Lors d’un contrôle des passes sanitaires dans le Vieux Lyon, le directeur de cabinet du préfet refuse de polémiquer avec un activiste militant contre l’insécurité dans d’autres parties de la ville. Mais ce dernier a la mauvaise idée d’insister, alors qu’ils sont filmés. Vidéo et réaction de l’homme que nous avons retrouvé et qui se présente comme militant activiste enraciné…


« Dans la banlieue lyonnaise et même à l’intérieur de Lyon, il y a une insécurité galopante. On sait donc très bien ce que les gens viennent chercher dans le Vieux-Lyon. C’est un quartier où il fait très bon vivre et où les gens ne sont pas en contact avec la délinquance, avec la racaille. Il y a aussi des gens de ces quartiers qui en ont marre d’être embêtés chaque jour, et qui viennent chercher un peu de répit dans le Vieux-Lyon », m’explique Étienne Cormier à la terrasse d’un café parisien. 

Depuis plus de dix jours, une vidéo fait du bruit sur internet. On y voit l’étudiant en marketing de 23 ans se faire contrôler sur ordre du préfet de Lyon, Jean-Daniel Montet-Jourdran, directeur de cabinet du préfet du Rhône. La vidéo aurait déjà été vue 300 000 fois. 

A lire aussi: Immigration: le boom démographique algérien est devant nous

« Je vois que j’ai affaire à l’extrême droite, je vous laisse »

Le vendredi 13 août vers 21h, alors qu’il revient d’une randonnée dans les Alpes, ce Parisien d’origine ayant succombé au charme de la belle Lyonnaise depuis cinq ans, flâne dans le centre. Lieu chargé d’histoire, le Vieux-Lyon abrite la splendide cathédrale Saint-Jean, la plus ancienne église d’Occident après celle de Rome. Le soir, le Vieux-Lyon brille par son art de vivre. Ainsi, depuis le début de l’été, Lyonnais et touristes s’attablent en terrasse, renouant avec la gastronomie du « monde d’avant » les confinements. Mais ces fines gueules ont-elles bien leur passe sanitaire ? Une opération de contrôle dans le Vieux-Lyon n’étant pas des plus risquées, Jean-Daniel Montet-Jourdran vient s’en charger personnellement avec une vingtaine de policiers.

En face de la cathédrale Saint-Jean, Étienne Cormier va voir le sous-préfet. « On aimerait juste savoir ce que vous faites ici », lui demande-t-il. « Je fais un contrôle du passe sanitaire », répond ce dernier en gardant bien ses distances de sécurité. « Très bien, et pourquoi n’êtes-vous pas de l’autre côté de la presqu’île ? », s’enquiert alors le jeune homme. « C’est-à-dire ? », demande le sous-préfet avec un air surpris. « Bah tous les soirs, y’a des agressions, tous les soirs y’a des viols, tous les soirs y’a des gens qui se font racketter ». Face au sous-préfet qui lui suggère de développer, il continue : « à la Guillotière, à Vénissieux, y’a un jeune handicapé qui s’est fait agresser par la racaille.. ça vous embête pas d’embêter des Français qui… ». « Je vois que j’ai affaire à l’extrême droite, je vous laisse », l’interrompt le sous-préfet avec un air hautain, avant de tourner le dos à l’intouchable. 

Clap de fin ? Non, car ce dernier le suit et lance : « Quand les questions vous dérangent, vous vous en allez ? » Une question rhétorique qui contrarie le sous-préfet au point qu’il enjoint à son escorte de contrôler le jeune homme. S’ensuit une palpation contre le mur par des policiers qui traînent des pieds. Sans même avoir mis leur brassard « police » sur le bras, les agents prennent cependant une photo de sa carte d’identité avec un smartphone. La vidéo aurait déjà été vue plus de 300 000 fois sur internet. Outre les prévisibles soutiens de Gilbert Collard, Florian Philippot, Philippe Olivier, Julien Odoul ou Nicolas Dupont-Aignan, la vidéo a aussi suscité l’indignation de la sénatrice LR Valérie Boyer ou de Jean Quatremer, correspondant à Libération qu’il sera difficile de ranger parmi les soutiens habituels de l’ « extrême droite ». « Aucune base juridique [au contrôle] même. Dès qu’on pose une question, on est d’extrême droite, forcément… », a-t-il tweeté. 

De l’usage du mot « racaille »

Interrogée par Le Progrès, la préfecture du Rhône a incriminé l’usage du mot « racaille ». Qu’en est-il de l’usage de ce terme ? S’il suscite aujourd’hui des cris d’orfraie chez les lettrés, il n’en a pas toujours été ainsi. Ainsi, sous la plume de Jean De La Fontaine, lequel n’a pas (encore) été classé à l’ « extrême droite » de la littérature, un faucon s’adresse à un chapon en ces termes : « Vous n’êtes que racaille, gens sans esprits, à qui l’on n’apprend rien ». « Pourrais-je fermer ma porte, n’ayant point de portier, à toute la racaille des polissons, soi-disant gens de lettres, qui auraient la sotte curiosité de venir voir mon squelette », écrivit quant à lui Voltaire. Plus tard, bien plus tard, Nicolas Sarkozy suscitera l’indignation en clamant à Argenteuil : « On va vous en débarrasser de cette racaille ». En verlan, le terme racaille se dit « caillera ». Ce dernier et son diminutif « caill’ » sont d’ailleurs copieusement utilisés par la jeunesse des banlieues ou des beaux-quartiers. 

A lire aussi: Renaud Camus: “La liberté d’expression dans la France de 2020 n’est pas menacée: elle n’existe pas”


« À mon avis, cette vidéo est devenue virale car elle a mis en lumière une certaine déconnexion des élites et un refus du dialogue. Le Covid permet de ne pas parler des sujets qui dérangent vraiment, tels que l’immigration, l’insécurité ou l’économie. L’État arrive à être très fort pour contrôler tout ce qui est lié au Covid. En revanche, les Français voient bien le laxisme qu’il y a au jour le jour face à la délinquance classique. L’État sait montrer les crocs, s’il le voulait vraiment, il pourrait régler beaucoup de problèmes », analyse Étienne Cormier. « J’attendais au moins quelques phrases d’explications », déplore l’étudiant, qui souhaite encore discuter avec le sous-préfet. Après sa rencontre avec l’ «extrême droite » dans le Vieux-Lyon, ce dernier préférera-t-il superviser des « contrôles de passes sanitaires » à la Guillotière ?

“Vice”: l’hommage rendu par Laurent Chalumeau à la musique country

0
L'écrivain Laurent Chalumeau © JF Paga

Journaliste et dialoguiste, Laurent Chalumeau est aussi romancier. D’ordinaire, il fraye du côté de la littérature noire. Mais avec son petit dernier, Vice, il prend le large. Et le moins que l’on puisse dire est que le résultat est concluant et prometteur…


C’est moins vrai depuis quelques années mais, en France, les amateurs de country ne sont pas nombreux à assumer leur intérêt pour cette musique originaire d’outre-Atlantique. C’est que, pour beaucoup de leurs congénères hexagonaux, comme l’indique d’ailleurs son nom originel (Hillbilly music, c’est-à-dire « musique de péquenots »), cette dernière est l’apanage des ploucs américains. Ceux qui portent un Stetson et des bottes de cowboys, crient « Yiiha ! » à tout bout de champ et s’écroulent ivres morts dans un abreuvoir à bestiaux en sortant du saloon. Ou alors ceux, plus contemporains, qui roulent en pick-up, agitent des drapeaux sudistes et revendiquent leur droit d’arborer une nuque rougie par le soleil, mais aussi celui de proférer les pires horreurs ou, encore, de posséder des fusils d’assaut « pour se défendre ». Dans ces conditions, difficile, c’est vrai, de clamer son amour pour la country. Et c’est bien dommage. Car la musique country est à des années lumières de ces clichés. 

La musique country : une cathédrale et ses chapelles

Avec un étonnant et agréable « Que sais-je ? » (La country music, PUF, n°2134), le musicologue Gérard Hershaft avait depuis un bail révélé la richesse de ce syncrétisme musical, qui a vu le jour dans les Appalaches du XVIIIème siècle avant d’essaimer dans toute l’Amérique du Nord dès le XIXème et de partir à la conquête du monde dans la deuxième moitié du « court XXème siècle » (Eric J. Hobsbawm). 

A lire aussi, Sophie Bachat: La traductrice française de Charles Manson

Loin d’être monolithique, la country est en effet une cathédrale, faite de chapelles consacrées au Bluegrass de Bill Monroe, au Honky Tonk de Jimmy Rodgers ou, encore, au Outlaw de Willie Nelson – pour ne citer que celles-ci. Elle n’est plus, en outre, la chasse gardée des États-Unis, comme pouvait l’être l’Amérique du Sud, au temps de la « doctrine Monroe ». Le répertoire fourni des Cowboys fringants, groupe connu pour ses textes bien troussés mais aussi son engagement en faveur de l’indépendance du Québec, l’illustre parfaitement. L’existence, en France, depuis 2008, d’une publication telle que Country Music Mag ou l’organisation – hors période de Covid-19 bien sûr – de « festivals folk & country » témoignent par ailleurs d’un certain engouement français pour cette musique. 

Mais s’il est une personne qui aura beaucoup fait ces derniers temps pour rendre à la country ses lettres de noblesse, c’est probablement Laurent Chalumeau avec son dernier roman, Vice. Dans les années 1980 et 1990, celui-ci fut critique au magazine Rock & Folk, dans lequel sévissent aujourd’hui les talentueuses plumes de Nicolas Ungemuth et Patrick Eudeline. Et, à lire ce qu’il écrivait à l’époque, il n’avait guère d’atomes crochus avec cette musique. Aussi, s’attendre à en découvrir un tel hommage dans Vice n’allait-il pas de soi. Comme quoi l’on peut s’attendre à tout avec un tel homme, y compris à tomber sur une atypique mais jouissive fusion du polar avec la comédie de mœurs (Bonus, Grasset, 2010). 

L’art du clair-obscur

Dès les premières pages, Laurent Chalumeau, avec son style nerveux et reconnaissable entre tous, ne tourne pas autour du pot. Pour la soundtrack de son biopic dédié à la quarantenaire Esperanza Running-Wolf, il dépasse, et de loin, le Quentin Tarantino qui s’est naguère illustré par une propension à exhumer des hits country oubliés de tous – avec “Reservoir Dogs” notamment, grâce à une intrigue rythmée par le personnage du DJ K-Billy’s et son programme musical, le Super Sounds of the Seventies. Il a choisi son camp, le camarade Chalumeau. Mais attention, s’il délaisse le triptyque classique du rock (guitare électrique, guitare basse, batterie) au profit du banjo, de la steel-guitar, de l’harmonica et de la mandoline, ce n’est pas pour accréditer le préjugé selon lequel la country serait une musique par essence conservatrice, prisée des nostalgiques du temps d’avant la Guerre de Sécession ou des admirateurs du général Custer. Il entend au contraire lui rendre toute sa complexité. 

Comment ? D’abord en rappelant par la bande, que « beaucoup d’Indiens sont venus à la country dans les années 70, encouragés par l’attitude des ‘hors-la-loi’ de l’époque », ce qui allait « des nattes rousses de Willie Nelson au mariage de Kristofferson avec une Cherokee, en passant par les déclarations de Waylon Jennings ou l’album de Johnny Cash consacré au génocide. » En suggérant ensuite que « la country, en fin de compte, c’est (…) l’horizon, les distances, la solitude, le grand air, le cœur brisé, la trahison », autrement dit les thèmes récurrents de la chanson française à texte, ou peu s’en faut. Et surtout, enfin, en ne niant jamais qu’elle est aussi écoutée et jouée par des brutes épaisses, des alcooliques et des têtes pleines d’eau, cumulant même parfois ces trois « qualités ». Bref, en dressant un singulier portrait en clair-obscur de cette musique. 

A lire aussi, Pascal Louvrier: Un souvenir avec Michel Déon

À ce propos, le clair-obscur, Laurent Chalumeau semble l’aimer. Les femmes et les hommes qu’il dépeint, dont les relations tumultueuses et complexes constituent la toile de fond de Vice,  n’apparaissent en tout cas que pétris d’ombres et de lumières. C’est par exemple le cas de l’héroïne Esperanza, dont il nous narre à la fois les efforts pour vivre libre dans un monde qui la souhaiterait plus soumise aux hommes, en tout cas moins libérée, mais aussi les confondantes contradictions. C’est le cas, aussi, de chacun des mecs qu’elle consomme à la chaine, voire en même temps, et qui tous cachent bien leur jeu. Souvent pour le pire… 

Ce goût que semble avoir Laurent Chalumeau pour le clair-obscur n’est pas ce qu’il y a de plus déplaisant chez lui, au contraire. C’est même ce qui permet d’affirmer que derrière le critique de Rock & Folk et l’auteur, pendant plusieurs années, de textes pour l’émission phare de Canal + (Nulle part ailleurs), se cachait non seulement un sacré romancier mais peut-être bien, aussi, pour peu qu’il nous gratifie encore de livres de l’acabit de Vice, un écrivain digne de ce nom. Et donc à suivre. Évidemment.

Laurent Chalumeau, Vice, Grasset, 2021.

Vice

Price: 19,00 €

23 used & new available from 2,46 €

La Country Music

Price: 10,00 €

16 used & new available from 4,64 €

Brésil, le coup d’état permanent

0
Manifestation contre deux juges de la Cour suprême brésilienne, Brasilia, 17/2/2021 Eraldo Peres/AP/SIPA AP22540624_000001

Dans le plus grand pays d’Amérique du Sud, un groupuscule d’individus s’est emparé du pouvoir politique. Il s’agit des… magistrats de la Cour suprême.


Éric Zemmour vient de faire l’expérience de la censure sur Instagram où son profil a été suspendu pendant 24h. Coïncidence saisissante, la justice brésilienne vient d’ordonner à Instagram et à d’autres réseaux sociaux de démonétiser une dizaine de profils de droite, parmi les plus importants du pays.  Dans les deux cas, l’opposition est expulsée du champ démocratique au moyen du délit d’opinion. Ne sont autorisés à s’exprimer que les oppositions inutiles, celles qui ont fait allégeance à l’establishment pour « avoir la vie sauve » et celles dont l’incompétence fonde l’innocuité.

L’establishment contre la démocratie

Cela dit, le Brésil a une longueur d’avance sur la France, car ici l’establishment a fait son coming out et assume ouvertement la censure. Il en a confié la mise en œuvre aux plus hautes juridictions du pays, qui désignent leurs cibles aux GAFAM. Les réseaux sociaux ont d’ailleurs intérêt à s’exécuter, sous peine d’amende.

Si le Brésil a déjà basculé dans le monde d’après, c’est que sa Cour suprême a accompli un véritable coup d’état judiciaire. Un coup d’état pacifique et à bas bruit. En avril 2020, la Cour suprême a décrété qu’elle était victime d’une conspiration visant à salir sa réputation et à remettre en cause la démocratie. Cette menace coordonnée aurait deux visages :  la « propagation de fake news » et la « promotion d’actes antidémocratiques ». Or, aucun de ces crimes n’est prévu dans la législation brésilienne, celle-ci prévoyant d’autres infractions comme l’injure, la calomnie, la diffamation et bien entendu la subversion. Peu importe, la Cour suprême a décidé de mener une croisade contre des crimes virtuels qui n’existent que dans l’esprit de ses membres.

Le blogueur Oswlado Eustaquio a été une des premières victimes du coup d’état judiciaire. En décembre 2020, il a été placé en détention à Brasilia pour « actes antidémocratiques », il a quitté la prison quelques semaines plus tard, en chaise roulante et tétraplégique. Il affirme avoir été torturé ; les autorités répondent qu’il a subi une chute en cellule. Qui croire ?  En tout cas, il n’avait rien à faire en prison parce qu’inciter à la commission d’actes antidémocratiques est une vue de l’esprit : ça n’existe pas dans le code pénal brésilien.

À lire aussi du même auteur : Bolsonaro, l’ennemi idéal

Roberto Jefferson (centre-droit), un ancien député a été mis en taule la semaine dernière pour le même motif virtuel : acte anti-démocratique. Un autre député, celui-ci en exercice, Daniel Silveira (droite), est actuellement en prison pour un prétexte similaire. Au diable l’immunité parlementaire !

La machine est devenue folle et ne se préoccupe plus de préserver les apparences. Les avocats des prévenus ont eu le plus grand mal au monde à accéder aux pièces du dossier. La personne se retrouve donc en prison sans savoir ce qui lui est reproché ! La Cour suprême ne prend même pas la peine de consulter le Parquet qui, au Brésil, dispose du monopole de la recherche de l’infraction et du monopole de l’information judiciaire. Désormais, la Cour Suprême est procureur, juge et enquêteur. Violation totale et sans équivoque des principes fondamentaux du droit brésilien.

Une police de la pensée

Un précédent a été installé. On peut désormais persécuter les Brésiliens au nom de crimes fictifs et au mépris du code de la procédure. Il suffit qu’ils pensent mal. Si un député est derrière les barreaux pour ses opinions, à quoi peut s’attendre un simple citoyen?

La folie est désormais licite tout comme l’arbitraire. Le Parlement vient de lever le secret bancaire d’un site de droite, accusé d’être « l’allié du virus ». Comme si le virus était un agent politique avec lequel on pourrait faire alliance et conspirer ! Délire total et chasse aux sorcières ! En réalité, ce qui est reproché au site en question, Brasil Paralelo, est d’être devenu le Netflix de la droite brésilienne, avec plus de 200.000 abonnés payants. Les parlementaires qui ont commis cette « bêtise » agissent dans le cadre d’une commission d’enquête instaurée par la Cour suprême en avril 2021, au mépris de la séparation des pouvoirs.

Le contexte de la pandémie a rendu possible le coup d’état. La presse aux ordres a anesthésié les consciences et a instauré un climat d’exception permettant de faire passer l’Impensable. Cet impensable correspond à une politique, bien réfléchie, qui consiste d’une part à faire taire les opposants et d’autre part à libérer les amis de la caste. Ainsi, Lula, par décision de la Cour suprême, a été non seulement libéré mais aussi blanchi !

Traumatisé par l’élection-surprise de Bolsonaro, l’establishment a repris la main et soigne ses candidats en vue de la présidentielle de 2022. Il ne sait pas encore s’il va choisir le populisme de gauche (Lula) ou bien pousser une sorte de Macron brésilien, capable de vendre tout et son contraire avec un sourire angélique. Pour tenir le rôle du gendre idéal, la castepeut compter sur João Doria (le gouverneur de São Paulo, adepte du masque et du vaccin), Luciano Huck (un présentateur télé progressiste) ou bien Eduardo Leite (un jeune gouverneur de centre-gauche).

En attendant, la démocratie se meurt. Les journalistes de droite prennent le chemin de l’exil. Ana Paula Henkel s’exprime depuis la Californie, Allan dos Santos et Paulo Figuereido ont trouvé refuge en Floride.  En 2022, le Brésil aura peut-être ses premières élections au suffrage universel sous la « dictature » :  des élections sans liberté d’expression et sans pluralisme. Des élections sans le peuple.

À lire aussi: Anthony Reisberg, Eric Zemmour censuré par Instagram

Il ne sert à rien de pleurer et de s’indigner. La seule question qui en vaut la peine est : qu’avons-nous fait pour contrer les mauvaises intentions de l’oligarchie ? Cela vaut pour le Brésil et pour la France aussi. Nous n’avons aucune excuse, le scénario a été exposé et mis en œuvre aux États-Unis, sous nos yeux et en direct sur CNN. Censure systématique et assumée, collusion entre le grand capital et le Parti démocrate, violence contrôlée des Black Lives Matter, isolement des individus (donc des insurgés potentiels) au nom du virus, manipulation des élections. Il n’y a plus d’Etat de droit, tout est possible désormais au nom de la « lutte contre la désinformation et le covid ».

Une insurrection urgente

A la censure des GAFAM, il faut opposer un retour partiel à l’analogique : journaux, magazines, radios FM et AM, télévisions par satellite émettant depuis des « pays libres ».  A la persécution politique, il faut répondre par une culture d’insurgés : semi-clandestine, dissimulée, autosuffisante, à cheval sur plusieurs pays, financée à bas bruit.

La démocratie fait partie du passé. L’establishment a déjà dépassé la démocratie. Il prépare l’avènement d’un nouvel ordre. Bientôt, le cadre institutionnel sera mis à jour, c’est-à-dire que la Constitution sera changée. Pour cela, il « faut » un choc systémique de plus : une nouvelle pandémie, une intifada des banlieues en France ou une insurrection des mafias au Brésil… Lors du prochain choc, sera probablement mise sur la table une nouvelle constitution, plus adaptée à la manière dont la caste souhaite nous gouverner.

Ce n’est ni une théorie de la conspiration ni une figure de style. Les constitutions changent, les institutions meurent et d’autres prennent leur place. Nous sommes dans une phase de transition tout simplement. Du coup d’état permanent que nous vivons ces jours-ci, nous passerons vers un nouvel état d’équilibre. Installés dans cette nouvelle gouvernance, nous regarderons probablement en arrière, la conscience tranquille, et nous dirons à nous-mêmes : « qu’il est bon d’avoir renoncé à la démocratie et aux droits de l’homme, nous sommes tellement mieux maintenant, convertis en rats de laboratoire et en machines à influencer ».

C’est le moment d’agir, vite et bien. L’ennemi est implacable et ne nous laissera pas une seconde chance de lui tordre le cou.

Mon père, le Maroc et moi: Une chronique contemporaine

Price: 18,00 €

12 used & new available from 18,00 €

David Galula et la théorie de la contre-insurrection

Price: 17,00 €

7 used & new available from 17,00 €

Et si on faisait entrer au Panthéon le Français lambda?

0
Josephine Baker en 1957 © AP/SIPA Numéro de reportage : AP20453398_000001

Sous cette présidence, on panthéonise à foison !


Le 30 novembre ce sera au tour de Joséphine Baker. Sans aucun doute une femme remarquable à beaucoup d’égards mais je me demande tout de même si à force de banaliser cet honneur après la mort, on ne va plus être assez exigeant avec la vie !

Mais, au risque de me faire reprocher une posture démagogique que j’assume, mon irritation concerne moins le Panthéon que la multitude des destinées qui auront passé leur existence dans la discrétion et se seront effacées dans l’obscurité.

Ceux qu’on panthéonise auront généralement connu les honneurs de leur vivant.

Je voudrais qu’on rende hommage au Français inconnu. Qui est souvent d’ailleurs une Française…

Certes on a déjà notre « soldat inconnu » mais le Français inconnu sera citoyen et en temps de paix.

Il aura vécu, probablement en province, éloigné de Paris et du pouvoir central.

Mère ou père, il aura tenté tant bien que mal de faire vivre sa famille, ses enfants.

Il se sera accroché à son métier ou aura tout fait pour retrouver du travail avec l’angoisse fréquente de se heurter à la crise, à des refus, à la désindustrialisation.

Les fins de mois auront été difficiles.

Il aura été victime d’un vol, on lui aura arraché son sac, il aura du mal à déposer plainte à la police ou à la gendarmerie et il n’aura plus jamais de nouvelles des autorités, de la justice. Il sera indigné mais cela ne servira à rien.

Il aura appris avec horreur les crimes terroristes et naïvement se sera demandé ce que font ceux qui gouvernent.

Il aura appris la fermeture prochaine de l’école de son village, peut-être celle de l’hôpital qui déjà n’était pas tout près. Des commerces auxquels il tenait auront disparu.

Il aura écrit à son député mais sans qu’on lui réponde. Il aura adressé des courriers à des administrations mais en vain. Pas le moindre accusé de réception.

Il aura toujours eu l’impression d’être oublié, abandonné.

Il aura peut-être un jour été invité dans un média, par pure curiosité de la part de l’élite, mais traité avec condescendance, une sorte de mépris distingué.

Il aura trop souvent dû se débrouiller avec des professeurs en grève, protester contre les violences, se plaindre des rackets.

Il se fera du souci pour l’avenir de ses enfants. Sans que son existence soit facile, il aura peur que la leur soit encore pire.

Il aura voté au début puis il aura arrêté. Il ne croira plus aux promesses des politiciens.

Il aura perçu son pays comme s’il était double, divisé. La France officielle, ses droits, ses privilèges et ses lumières, la sienne sombre, injuste, sans espoir.

Il aura été courageux dans sa quotidienneté, il se sera battu autant qu’il aura pu, il aura été reconnaissant pour les aides qu’on lui aura octroyées mais l’un dans dans l’autre il n’aura pas été humainement et socialement heureux.

Il aura eu l’impression que l’argent coule à flots ailleurs mais que c’est comme ça. Il aura douté de l’utilité de la révolte. Il se sera enlisé.

Il n’aura jamais commis le moindre délit et regardant les feuilletons à la télévision ou autre chose, il sera étonné de la publicité faite à des malfaisants.

Il tentera de faire du fil de ses jours des petites joies pour ne pas être trop mélancolique.

Il n’aura jamais été envieux mais tout le temps il sera habité par la sensation d’un « ce n’est pas juste, pas équitable ».

Parfait honnête homme, ayant assumé le moins mal possible ses devoirs, il finira sa vie, entouré d’affection familiale et dans l’anonymat.

Il aura été ce Français inconnu sur lequel les pouvoirs devraient se pencher pour lui rendre hommage.

Comment le reconnaître alors qu’ils sont nombreux à endurer cette grisaille et à combattre un sort qu’ils ne voudraient pas juger fatal ?

C’est simple : il est parmi ceux dont on ne parle jamais, qu’on étouffe, qu’on néglige. Il est Français mais se demande ce que la France fait pour lui.

Il mérite mieux que le Panthéon.

Accueillir les Afghans ?

1
Affiches pour une manifestation à Paris, dimanche 22 août 2021 Adrienne Surprenant/AP/SIPA AP22598252_000008

Il faut n’avoir aucun cœur pour ne pas vouloir secourir les Afghans qui fuient la double monstruosité de la charia et des guerres tribales. Il faut n’avoir aucune conscience pour vouloir lâcher des gens forgés par des siècles de combats, de razzias et de fanatisme au milieu de son propre peuple désarmé.


Une république corrompue portée à bouts de bras par les USA a été renversée par l’armée d’une théocratie totalitaire soutenue par le Pakistan et le Qatar. Difficile de nier le rôle de l’Occident, et en particulier de l’Amérique, bien que l’on puisse, et doive, se demander ce qui relève de l’arrogance, de l’incompétence, des mauvaises excuses que l’on donne pour sauver la face, et de l’hypocrisie cynique et calculatrice. Difficile de nier l’aveuglement plus ou moins volontaire de nombre de commentateurs depuis 40 ans, dont Le Monde Diplomatique a rassemblé un saisissant florilège, et on se demande s’il faut rire ou pleurer de voir que plusieurs auteurs des pires absurdités de l’époque sévissent encore comme donneurs de leçons subventionnés.

Mais enfin ! A écouter certains, on en arriverait à croire que l’Occident n’a rien fait pour l’Afghanistan, et que les Afghans n’ont aucune part de responsabilité dans la situation de leur pays. Comme le rappelle le général François Chauvancy dans une excellente analyse, « près de 1.700 milliards d’euros ont été dépensés en Afghanistan par les États-Unis soit près de six fois le budget annuel de la France, près de 2.500 Américains tués et 20.000 blessés, pour leurs alliés quelques centaines de tués (France 89, Royaume-Uni 453) et des milliers de blessés souvent amputés. » Quant aux Talibans, ils sont tout aussi afghans que les civils qui fuient la prise de Kaboul – ce qui ne veut pas dire grand-chose dans un pays de conflits séculaires entre tribus, mais devrait suffire à disqualifier quiconque nous explique qu’il est urgent d’accueillir « tous les Afghans ».

À lire aussi: Serge Féray, Pour un émirat inclusif

Y a-t-il, parmi les futurs migrants afghans qui ne manqueront pas de frapper à nos portes, des gens bien, des gens qui aspirent simplement à vivre sans faire de mal à personne et méritent toute notre compassion et notre hospitalité ? Oui, assurément. Y a-t-il des gens que nous avons le devoir d’accueillir ? Oui, bien entendu, à commencer par nos anciens auxiliaires, dont le trop long abandon est une souillure sur notre honneur, et une faute lourde des gouvernements successifs et du ministère des Armées.

Mais :

En 2013, le Pew Research Institute observait que 99% des musulmans afghans souhaitaient que la charia soit la loi officielle du pays, 85% étaient favorables à la lapidation des femmes adultères, et 79% considéraient que les apostats quittant l’islam devaient être mis à mort. Gageons que les cours sur la théorie du genre financés par les USA n’y auront pas changé grand-chose… Les légions de l’Urbs considéraient qu’il fallait au moins trois générations pour romaniser un pays conquis, et pourtant leur vision du monde était « légèrement » plus solide et convaincante que le wokisme.

Parmi ceux qui fuient les Talibans, il n’y a pas que des habitants occidentalisés de Kaboul, mais aussi des personnes qui n’ont pas un seul instant l’intention de s’adapter à nous si nous les accueillons, et sont au contraire bien déterminés à persévérer dans leurs modes de vie. Ainsi des criminels auteurs de tragiques faits divers, dont il faut bien se demander s’ils ne sont que des faits divers ou les révélateurs d’un mal plus profond. Ainsi des adeptes de l’abjecte tradition des « bacha bazi », ces adolescents et pré-adolescents utilisés comme esclaves sexuels, et on pense à ce garçon de 12 ans violé en 2018 par un migrant afghan à Saint-Brieuc. Rappelons donc que les Talibans avaient interdit cette pratique : entre les islamistes, qui pratiquent le viol et le mariage forcé des filles, et leurs ennemis qui pratiquent le viol et l’esclavage sexuel des jeunes garçons, on est loin du cliché hollywoodien bien-pensant selon lequel nous devrions accueillir à bras ouverts les gentils qui fuient les méchants – qui fuient au lieu de combattre, d’ailleurs. Il est frappant de voir une fois de plus que les foules de « réfugiés » qu’on nous montre ne sont pas des familles mais des groupes de jeunes hommes en âge de combattre mais qui abandonnent leurs familles derrière eux.

On se souvient aussi – ou on devrait se souvenir – qu’en octobre 2020 Kaboul fut le théâtre d’importantes manifestations anti-françaises : nous avions commis le crime impardonnable de ne pas nous plier à la soif de censure de l’islam. Et les Talibans n’étaient pas encore au pouvoir dans la capitale afghane….

À lire aussi: Driss Ghali, Ode aux Talibans

Quant aux rivaux des Talibans dans les luttes claniques, dans le trafic de drogue endémique (l’Afghanistan produirait selon les estimations entre 50% et 90% de l’héroïne mondiale), qu’ils veuillent échapper aux nouveaux maîtres du pays ne fait pas d’eux de braves gens. Sans oublier, naturellement, ceux des 99% qui approuvent la charia, n’ont pas de désaccord philosophique majeur avec les Talibans, mais qui, voyant nos frontières ouvertes, se diront que les allocations et le confort d’un pays de kouffars offert à la prédation valent bien de supporter un peu de mécréance.

Alors que faire ? D’abord se poser les bonnes questions, et surtout se les poser dans le bon ordre. Il ne faut pas nous demander combien de réfugiés afghans nous devons ou voulons accueillir, puis comment les intégrer, mais il faut au contraire nous demander quel degré de coercition nous sommes prêts à exercer sur ceux que nous accueillerons pour les forcer à s’assimiler – car nos civilisations sont trop profondément différentes pour que la seule intégration suffise. Jusqu’à quel point, aussi, voulons-nous d’une société de surveillance pour gérer des populations ne partageant en rien notre « common decency » (selon le terme d’Orwell), et que nous aurons faites venir ? Répondre à ces questions nous dira combien nous pouvons accueillir de ces réfugiés, et ensuite seulement nous serons en mesure de nous demander combien nous voulons en accueillir.

Le constat, hélas, est tragique. Notre capacité à contraindre pour obliger à l’assimilation est devenue désespérément faible : nous sommes désarmés, juridiquement, intellectuellement et moralement, nous avons été désarmés par des dirigeants dont les priorités sont la docilité du contribuable solvable et l’achat de la « paix sociale » et des voix des minorités vagissantes, et nous nous sommes désarmés nous-mêmes – il faut lire à la fois Ibn Khaldoun et Soljenitsyne.

Après 1905, il a fallu imposer la laïcité par la force aux catholiques de France, et il y eut des affrontements violents avec les forces de l’ordre, les gendarmes étant parfois contraints d’ouvrir le feu – et pourtant, ces catholiques qu’ils affrontaient partageaient depuis des siècles le substrat culturel ayant conduit à la loi de 1905. Sommes-nous prêts, aujourd’hui, à ce que les gendarmes ouvrent le feu pour imposer la laïcité aux musulmans en France ? Pour l’imposer aux migrants afghans ? Ceux-là viennent d’une culture guerrière, violente, rustique, profondément attachée à la loi religieuse. Qui peut croire un seul instant que le Syndicat de la Magistrature et les rodomontades de Darmanin vont les impressionner ? Dans leur monde, on ne respecte que ceux qui savent se faire respecter. Sommes-nous prêts au degré de brutalité et de combativité nécessaire pour leur imposer de nous respecter ?

À lire aussi du même auteur : Le feu et le sang

Voilà notre faute. Nous pourrions donner asile aux migrants afghans si nous étions capables de mater ceux d’entre eux qui refuseront d’obéir à nos lois et d’adopter nos mœurs. Mais nous y avons renoncé, au nom de la « tolérance », au nom de « l’ouverture à l’Autre ». Nos dirigeants et toute la caste des bien-pensants larmoient devant les souffrances des Afghans, et haussent les épaules devant celles des Français. Nous pourrions être un havre, un sanctuaire où ceux qui fuient l’horreur de la charia trouveraient un abri, mais nous ne sommes plus qu’un territoire ouvert à tous les vents et déchiré par son incapacité à défendre sa civilisation contre ceux qui veulent la détruire. Ceux qui veulent que nous ouvrions grand nos portes à toute personne fuyant les Talibans veulent aussi que nous ouvrions grand nos portes à l’idéologie des Talibans.

Le monde musulman – 48 pays en plus de l’Afghanistan – n’a pas nos scrupules. Il pourrait accueillir ceux qui quittent l’Afghanistan : il a les moyens de construire des pistes de ski artificielles dans le désert et le plus haut gratte-ciel du monde, il a les moyens de financer un prosélytisme agressif sur la planète entière, des mosquées et des écoles coraniques jusque dans nos petites villes de province, d’acheter des joueurs au PSG pour des sommes qui nourriraient des milliers de réfugiés pendant des années, et d’œuvrer à l’instauration d’une censure mondiale au nom de la lutte contre « la diffamation des religions ». Et il n’aurait pas les moyens d’accueillir des Afghans en fuite ? A d’autres ! Au moins, le déracinement et le choc culturel seraient moins rudes pour les réfugiés, et ils ne seraient pas confrontés à ce que tant et tant de leurs coreligionnaires nomment notre « islamophobie ».

Je devine de fortes réticences. Alors, que ceux qui refusent cette solution se demandent pourquoi. Si l’on considère que les réfugiés afghans, et notamment les femmes, seraient opprimés partout dans le monde musulman, n’est-ce pas la preuve d’un problème systémique, la preuve que l’islam n’est pas que « paix et tolérance » ? Il faut choisir : si l’on considère de notre devoir d’accueillir ceux qui fuient la mise en œuvre de la charia, alors il est aussi de notre devoir de refuser l’idéologie qui sous-tend la charia. Ce qui est monstrueux en Afghanistan ne devient pas une « diversité qui est une chance pour la France et un enrichissement culturel venu d’une minorité qu’il ne faut pas stigmatiser » une fois installé au coin de la rue.

Alors que faire ? Nous réarmer moralement, intellectuellement et juridiquement. Oser reconquérir notre pays et y faire respecter partout nos lois et notre art de vivre, à la lumière des principes éthiques et anthropologiques qui définissent notre civilisation au moins depuis la première fois où Homère a chanté. N’accueillir que ceux à qui nous saurons imposer l’assimilation – soit qu’ils la souhaitent déjà, soit que nous soyons en mesure de les y contraindre – et refuser les autres.

N’en déplaise aux « progressistes » pour qui « discriminer » est le pire des crimes, nous n’avons pas à traiter de la même manière une adolescente afghane qui vient chez nous pour échapper à un mariage forcé et est prête à adopter notre culture, et un migrant qui veut vivre ici mais a la ferme intention de continuer à interdire à sa femme de sortir, et enseignera soigneusement à ses futurs enfants qu’il serait grand temps que la France s’adapte à la charia – enfants qui, bien sûr, auront le droit de vote comme le veut le droit du sol, aussi absurde qu’irresponsable.

Le droit d’asile, ce n’est pas d’ouvrir les portes de la bergerie aux loups, même aux loups blessés.