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Se perdre en montagne avec Charles-Ferdinand Ramuz

"Derborence", un chef-d’œuvre de Charles-Ferdinand Ramuz à redécouvrir


Se perdre en montagne avec Charles-Ferdinand Ramuz
Ramuz © Centre des littératures en Suisse romande

En ces temps troublés, il est plaisant de relire Derborence, roman de Charles-Ferdinand Ramuz qui nous raconte l’histoire d’un village montagnard confronté à un drame.


En 1714, le massif vaudois des Diablerets est frappé par des éboulements successifs. À Derborence, un berger, Antoine Pont, parti, avec son oncle, Séraphin, faire paître le troupeau dans les alpages, a survécu sous les pierres pendant des mois. Revenu, par miracle, au village, véritable mort vivant sorti du tombeau, on le prend pour une âme errante. Malgré l’amour de Thérèse, sa femme, Antoine, incapable de revivre au village, retourne dans la montagne chercher Séraphin qu’il croit toujours vivant. Le temps passe. Antoine ne revient pas. Thérèse, enceinte, part, seule, à sa recherche dans la montagne éboulée.

Un récit magistral

Le récit est d’une technicité magistrale. Aucun romanesque inutile pour rendre la vie archaïque d’une communauté montagnarde. Tout y est réduit à l’élémentaire. Le personnage principal est la montagne, massif tout puissant, étrange et majestueux. Les paysans sont présents par les dialogues, selon une écriture proche du cinéma. Le récit avance par vagues de schiste glissant les unes sur les autres que casse la lumière. Quel dépaysement !

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Narrative, l’œuvre est une métaphore de la condition humaine. Nouvel Adam, extirpé du sol, montagnard et nomade, Antoine ressuscite d’un monde originel. Mais le récit est surtout une Odyssée : celle du retour du revenant de l’autre monde qui ne trouve plus, au milieu des siens, sa place ni son identité. La scène des retrouvailles est une réussite. Qui est Antoine ? Pour lui et pour les autres ? Peu avant l’éboulement, la tête contre le mur, il avait vu, au cours d’une rêverie mêlant réel et imaginaire, Thérèse « glanant les nuages. » De retour au village, il ne la reconnaît plus et la laisse seule, le soir même. Mais c’est Thérèse qui le ramènera du monde de la mort. Tache de lumière à l’assaut de la montagne, nous saurons qu’elle et Antoine se sont retrouvés, à la tache plus sombre qui la rejoint au bout d’une ascension fantastique. L’avant-dernier chapitre du roman est elliptique. Des années après, dans le silence des pierres, s’entend toujours « le bruit des brebis passant près de vous… comme d’une grosse averse » ou celui de « petites vagues rapides de leur langue quand elles broutent. » Vaincue, la montagne a gardé son bien dans la personne de Séraphin. 

Un écrivain majeur de la Suisse romande

Derborence (1934) est un chef-d’œuvre de la littérature française. Par les temps violents que nous vivons, rien de tel qu’une pareille lecture pour faire un filtre entre nous et la réalité. Loin de toute vision idyllique et « républicaine… qui chante les glaciers sublimes » comme dit Ramuz, la montagne est évoquée dans son silence, sa solitude et sa violence. Tableau cosmique mais sans excès, le livre est  illustré par les encres sobres de Guy Toubon.

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Que Derborence au doux nom pour évoquer un monde si étrange soit l’occasion de découvrir cet écrivain majeur de la Suisse romande, à l’œuvre immense, que fut Charles-Ferdinand Ramuz. Auteur du livret de Histoire du Soldat de Stravinski, ballet-opéra déroutant où œuvre le diable, joué en 2018, au Théâtre des Champs Elysées, avec Denis Podalydès, Ramuz est aussi l’auteur du triste et beau roman Aline réédité récemment, aux éditions Grasset.

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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