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Le foyer impossible

Venu du court, Yassine Qnia réussit son premier long-métrage, le portrait d’un homme de trop. « De bas étage », actuellement au cinéma.


Il est reposant de découvrir un film français se refusant à tout tape-à-l’œil. Il est pratiquement miraculeux de s’apercevoir que c’est de plus le tout premier long d’un réalisateur autodidacte.

“De bas étage” – beau titre périlleux – s’attache à un perceur de coffre-fort à la petite semaine qui, au moment où le récit commence, paye ses choix de vie par la séparation d’avec la mère de son fils âgé d’un an. Il suffit de deux minutes à Yassine Qnia pour nous rassurer sur sa volonté à n’emprunter aucune des deux voies royales et dominantes du naturalisme, la haute en couleurs cruelles à la Kechiche ou la sociale évangélique de genre Dardenne. Naturalisme est même presque un gros mot quand on voit le travail d’orfèvre avec lequel il pose et développe ses caractères et situations. Qnia retranche de la vie tout ce qui pourrait faire diversion, pour saisir plus qu’une épure, un naturel purement construit par écriture, direction d’acteurs, mise en scène et montage. C’est un art discret qui impressionne lentement mais sûrement. 

L’observation amoureuse et le guet se confondent souvent dans “De bas étage”. On désire de loin, à l’image des premier et dernier plans. L’interprétation est tout simplement exceptionnelle : Soufiane Guerrab et Souheila Yacoub, parfaitement dirigés, enlèvent toute vulgarité, toute facilité à leurs personnages. Chacun de leurs échanges tendus est le sismographe de leur incompatibilité mais aussi de l’amour qu’ils se portent envers et contre tout. Guerrab surtout parvient à humaniser un héros, sur le papier assez manipulateur et par moments infect, en jouant le refus de monnayer sa valeur et un désir inexpugnable de quant-à-soi. Son Mehdi est un homme qui, ne pouvant franchir une ligne invisible, se perd et fait le malheur autour de lui. La justesse de chaque scène, de chaque réplique, les plans ne durant jamais plus qu’il ne faut, est telle qu’on reprocherait presque à Qnia de tenter une dramatisation mesurée vers le second tiers, mais il aura le bon goût de ne pas la mener à terme. Il lui suffit des teintes sombres d’un hiver sans répit, l’hiver des vies qu’on mène mal et à bas bruit, pour imposer son regard. 

© Photo: Shanna Besson

“De bas étage” est tout simplement le premier film français le plus frappant qu’on ait vu depuis des lustres.

En salle depuis le 4 août

Thierry Marignac, les traversées de l’indompté

Écrivain mal vu du milieu littéraire à cause d’un certain franc-parler, Thierry Marignac a su réunir avec le temps un cercle de lecteurs fervents…


À propos de Morphine monojet, l’un des précédents romans de Thierry Marignac, je disais ceci : « l’auteur de polars aussi originaux que Milieu hostile et Renegade Boxing Club a, de haute lutte, conquis sa place d’orfèvre par la grâce d’une langue drue et d’un œil de lynx. » 

Ce verdict, je le maintiens mordicus à la lecture de Terminal Croisière, le roman qu’il a eu la gentillesse de me dédier. Depuis quelques années déjà, je l’exhortais à utiliser sa connaissance de la capitale de l’Union européenne dans un roman. C’est chose faite, et de façon plus qu’originale, puisque l’intrigue ne se passe ni aux alentours du Parlement ou de la Commission, ni dans ces pubs irlandais ou ces trattorias de luxe où surnagent chargés de communication et trafiquants d’influence, attachés parlementaires et barbouzes – « cette ambiance de sac et de corde ». 

Une fascination pour les zones portuaires

Non, Thierry Marignac nous décrit ce petit monde aussi corrompu que condescendant de façon indirecte, sur un paquebot de luxe et dans des containers de la police des douanes. Depuis A Quai et Cargo sobre, nous savons à quel point Thierry Marignac est fasciné par les zones portuaires et les huis-clos maritimes : Terminal Croisière en constitue la quintessence.

A lire aussi, Thierry Marignac: Ma virée littéraire à Kazan

Nous y retrouvons, vieilli et passablement assagi, Thomas Dessaignes, traducteur de son métier, ex-facilitateur ONG, ex-employé de la Croix-Rouge expulsé de Moscou et lié naguère à la pègre des ghettos noirs, « demi-solde d’une caste inférieure d’employés internationaux ». Pour l’heure, familier des commissariats et des tribunaux bruxellois où il opère comme interprète de l’anglais et du russe, Dessaignes travaille pour le Ministère belge de la Justice. L’art de l’interrogatoire joue d’ailleurs un rôle essentiel dans ce roman complexe et d’une rare finesse psychologique qui rend bien le caractère tortueux du jeu cruel entre le policier, le suspect et leur interprète… qui, lui, ne croit à aucun des deux susmentionnés.

Le style Marignac

Invité par le Pen-Club à un séminaire sur le poète russe Derjavine, jadis garde des Sceaux du Tsar, Dessaignes, qui est aussi traducteur de poésie russe (il s’agit bien d’une sorte de double de l’auteur), y fait la rencontre d’une journaliste russe, Svetlana, « aux yeux ardoise luisante de pluie » qui, elle, participe à un séminaire de la presse eurasiatique. L’arrestation d’un jeune Tchétchène pour détention d’opium, l’agression manquée contre cette journaliste trop indépendante, des paris clandestins à fond de cale, une mystérieuse panne des smartfaunes en pleine mer, les interrogatoires serrés d’un homme d’affaires britannique et d’intermédiaires kazakh et géorgien scandent ce roman ficelé avec brio. Les allusions à un réseau d’influence kazakh comme à de mirifiques contrats pour un aéroport d’Asie centrale nous plongent dans les dessous de l’histoire contemporaine. Enfin, la description parfois lyrique des mélancoliques amours de Dessaignes, passées et présentes, illustrent ce syllogisme de l’amertume du regretté Cioran : « Plus un esprit est revenu de tout, plus il risque, si l’amour le frappe, de réagir en midinette ».

Le style de Thierry Marignac, sec et vif ; sa parfaite maîtrise du récit et de ses parenthèses temporelles, la finesse des observations  – et surtout des allusions – font de Terminal Croisière un magistral roman de maturité. 

Thierry Marignac, Terminal Croisière, Auda Isarn.

Les dieux et les vitamines

Le billet du vaurien


Jon Ferguson est un mormon et une gloire du basket américain. Peut-être se souviendra-t-on de lui pour ces deux raisons, alors qu’ il a abandonné la foi de son enfance à vingt ans et renoncé au basket depuis des décennies. Il s’est installé à Morges au bord du lac Léman où il écrit des romans et des ouvrages de philosophie dans la ligne de Nietzsche. 

Questions lausannoises

Lors de la soirée que nous avons passée ensemble au Lausanne-Palace, il a posé la question suivante : de quoi auraient eu l’air les écrits de Nietzsche si Lou Salomé et lui avaient été fous amoureux l’un de l’autre ? Est-ce que la naissance de l’amour aurait remplacé la mort de Dieu ? Probablement. Et cela n’aurait plus eu aucune importance que Dieu eût été mort ou vif.

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Comme nous dînions dans la brasserie du Lausanne – Palace, il nous a fait remarquer que les Grecs ne savaient pas ce qu’étaient les vitamines, mais qu’ils adoraient les dieux. Aujourd’hui, nous ne savons pas ce sont les dieux, mais nous adorons les vitamines. Quelle sera la situation dans deux mille ans ? L’homme aura-t-il dépassé les dieux et les vitamines ?

Nous nous sommes également demandés si le nombre d’orgasmes que nous pouvons atteindre dans un hôtel est inversement proportionnel au nombre d’étoiles attribuées à l’établissement ? Serait-ce vrai pour tout dans la vie ?

A la recherche de lecteurs

Ces questions paradoxales émaillent le livre de Jon Ferguson : Ouvrir la fenêtre dans lequel je furète, surpris qu’il n’ait pas encore trouvé des lecteurs qui apprécient sa forme d’humour. Parfois, il se sent seul. Alors il remercie Dieu pour chaque appel téléphonique indésirable. Il note également que ces dernières années ont été une lutte afin d’éviter de devenir fou. Y a-t-il plus noble cause pour partir en guerre ?

Et, pour conclure, nous sommes revenus à Cioran qui est bien l’un des premiers penseurs occidentaux à avoir érigé un simple choix  diététique en un véritable dilemme philosophique. Son « To be or not to be » se résumait pour lui en « Des légumes à l’eau ou la mort. »

Ennio Flaiano, mon snobisme de l’été

Après le 15 août, seule la lecture de La solitude du satyre peut sauver l’estivant déprimé.


Le critique littéraire est, par nature, un être snob. Pour faire le malin et se distinguer de la troupe, il se veut le défenseur des auteurs réprouvés (c’est-à-dire des écrivains qui ne vendent pas). Braquer sa plume sur un inconnu des librairies est une manière peu coûteuse de passer pour un type qui a du flair et du goût. Mais quand ce dernier, cet anonyme, a le malheur d’accéder à une notoriété plus large, nous l’abandonnons sur le champ par dépit amoureux, nous reprochant d’avoir été son strapontin vers une gloire, le plus souvent posthume. Par la suite, nous lui trouverons tous les défauts du monde, raillant sa prose bancale et maudissant notre naïveté. Le critique étant lui-même un auteur dans une majorité écrasante des cas, nous avons toujours plus de mal à vanter le travail d’un vivant que celui d’un mort. Question de pudeur, peut-être.

Avec un défunt, la concurrence nous semble moins déloyale. Avec nos contemporains, la jalousie et l’amertume, le dédain et la lassitude nous empêchent de juger sereinement une œuvre, c’est pourquoi, par principe de précaution, nous préférons la taire. Une forme de névrose très ancienne a perverti notre métier qui se passionne avant tout pour l’artiste déclassé. Le best-seller, le pauvre, n’intéresse personne comme le premier de la classe. C’est donc à celui qui dénichera l’écrivain le plus obscur, le plus oublié, le moins traduit ou le moins disant pour se faire remarquer en société. Chaque confrère cultive sa marotte, par fétichisme et aussi par défense de son propre territoire. 

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Je ne m’aventurerai pas à évoquer Levet, Jouhandeau, Calet, Perros, Mirmont, Pirotte, Fargue ou Bove, d’autres que moi ont payé leur patente. Comme avec les inventeurs d’une grotte, il serait discourtois de venir chasser dans le pré-carré du voisin. Parfois le critique littéraire met une vie à débusquer son auteur fétiche qui n’a fait l’objet encore d’aucune biographie ou d’aucune thèse. Le jour où l’Université met le doigt sur un écrivain, c’en est fini des espérances. Au mieux, elle risque de le déconsidérer ; au pire de faire fuir les véritables lecteurs. J’entends l’un de mes jeunes confrères se pâmer d’une strophe de Toulet comme s’il dissertait sur les vertus des putes de la Havane : « Il y a dans le déhanché de sa phrase comme une montée ardente du désir, comme un appel poétique au corps-à-corps ». J’applaudis, l’artiste. Le talent des autres est un puissant aphrodisiaque. Moi aussi, j’ai cherché longtemps mon Toulet, je me suis bien aventuré chez Cossery, l’Égyptien du boulevard Saint-Germain, j’ai tâté du Guimard, du Perret et du Fallet, j’ai même défriché du Conchon et du Boussinot. Je cherchais ma route. J’attendais le déclic salvateur. 

L’Italie au tournant des années 60

Ma révélation remonte à exactement vingt-cinq ans quand j’ai acheté dans une librairie indépendante de Bourges, La solitude du satyre d’Ennio Flaiano (1910-1972) traduit par Brigitte Pérol aux éditions Le Promeneur. Temps béni où il était possible, en province, de se procurer une littérature dissidente et dépourvue de morale sans heurter les convictions progressistes du commerçant. J’avais enfin trouvé mon maître en saillies désopilantes, concentré en nostalgies tristes. Flaiano n’écrivait jamais à blanc. Toutes ses chroniques étaient chargées d’un ton moqueur et de cette émotion contenue qui s’appelle aussi l’élégance de style. Il exprimait une romanité comique et tendre, désespérée et sensuelle, bien avant que le cinéma de Sorrentino ne s’en empare. 

Au tournant des années 1960, il a assisté aux bouleversements esthétiques et sociologiques de la via Veneto, ses feuillets, notes éparses écrites entre 1952 et 1962, sont éblouissants. Célèbre en Italie, Flaiano n’était connu en France que des cercles cinéphiles, il fut scénariste de La strada, de La dolce vita, de Huit et demi et de Juliette des esprits pour Fellini, de La nuit d’Antonioni ou encore de Vacances romaines de William Wyler. Son côté touche-à-tout, épistolier du quotidien, m’a enchanté immédiatement. Son éditeur français le présentait comme un essayiste, romancier, nouvelliste, auteur de théâtre et éminent journaliste transalpin, insistant sur le prix Strega obtenu en 1947 pour son Tempo di uccidere

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La collection du Promeneur, dans ces années torves du passage de la Mitterrandie à la Chiraquie, était remarquable de beauté, la qualité de fabrication du livre (choix du papier et des illustrations) et la variété du catalogue concourraient à un plaisir raffiné. Le lecteur se sentait esthète, il était flatté. À cette époque, la littérature italienne était superbement représentée par Mario Soldati, Giorgio Manganelli ou Alberto Arbasino. Selon moi, Flaiano surclassait ses compatriotes car il avait du chien comme lorsque Lea Massari répondait en 1977 aux questions de Christian Defaye sur la TSR. Une sorte de détachement intelligent que l’on a envie d’imiter. Quand on aime trop un auteur, on n’a pas souvent les mots adéquats, on perd ses moyens. Alors je laisse la place à Flaiano pour deux courts extraits, ils suffisent pour emporter la mise :

Enfin le Romain n’a pas besoin de se sentir différent de ce qu’il est, de s’exalter ; il s’admire déjà suffisamment, il se promène perpétuellement avec ses plus beaux vêtements, regarde tout, se sent imbattable dans au moins deux des principales activités de l’esprit : la critique cinématographique et la critique automobile.

-Une société vulgaire, qui exprime sa froide envie de vivre davantage en s’exhibant qu’en jouissant réellement de la vie, mérite des photographes effrontés.

La solitude du satyre d’Ennio Flaiano – Le Promeneur

Mince, rouler en ville à 30 km/h pollue beaucoup plus qu’à 50 km/h!

Selon une étude récente du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques), un véhicule à moteur thermique qui circule en ville consomme plus et pollue donc bien plus à 30 km/h qu’à 50 km/h. Plus surprenant, à 30 kilomètres heure, il pollue autant qu’à 130 kilomètres heure… On peut légitimement se demander pourquoi les municipalités des grandes villes, à commencer par celle de Paris, généralisent les limites de vitesse à 30 km/h et à partir de quelles études d’impact et de quelles compétences des décisions de ce type sont prises…


Les grandes villes françaises, à commencer par Paris, multiplient et même généralisent les zones de limite de vitesse à 30 kilomètres à l’heure au lieu de 50 km/h. L’objectif proclamé est de réduire la pollution atmosphérique et les émissions de polluants, particules fines et autre dioxyde d’azote. Mais il y a comme un problème. Un véhicule à moteur thermique pollue bien plus à 30 km/h qu’à 50 km/h…

A 30 km/h un véhicule à moteur thermique pollue autant qu’à 130 hm/h!

C’est ce que démontre une étude récente du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques) rendue publique le 17 août et réalisée à la demande de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la merLa France est un pays où les agences et les organismes publics travaillent avant tout les uns pour les autres… En tout cas, cette étude mesure les effets des limitations de vitesse sur la pollution automobile. Il en ressort que pour les véhicules dotés d’un moteur thermique essence ou diesel, la vitesse idéale pour limiter au maximum les émissions nocives (particules fines, Nox) est de 70 km/h. À des vitesses inférieurs ou supérieures, le véhicule consomme davantage et donc pollue davantage. L’étude montre qu’en roulant à 30 km/h, un véhicule thermique pollue environ 15% de plus qu’à 50 km/h. Et plus étonnant, à cette vitesse réduite, il pollue autant qu’à 130 km/h!

«Pour les véhicules légers comme pour les poids-lourds, les émissions sont importantes à très faible vitesse (jusqu’à 30 km/h environ), ce qui signifie que les situations de congestion du trafic routier sont très pénalisantes du point de vue de la qualité de l’air», résume le Cerema. Il s’en prend au passage à la stratégie de réduction de la place de l’automobile dans les métropoles, qui en soi n’est pas contestable, par la multiplication des entraves à la circulation et la création d’embouteillages «artificiels». Une stratégie suivie par la ville de Paris depuis plusieurs années… Cela confirme aussi ce que préconisent les spécialistes indépendants de la circulation routière sur la meilleure méthode pour réduire la pression automobile dans les villes. Il faut restreindre les accès de l’automobile à la ville et en revanche, quand les véhicules sont entrés dans la ville, rendre la circulation la plus fluide possible pour qu’ils y restent le moins longtemps. Exactement le contraire de la stratégie suivie à Paris qui consiste à laisser les véhicules pénétrer dans la capitale et à multiplier ensuite les «pincements» de trafic en espérant ainsi décourager les automobilistes.

A lire aussi: L’agenda politique caché derrière la zadisation de Paris

L’impact d’une vitesse faible sur la pollution est particulièrement explicite dans le graphique (ci-dessous) sur les émissions de CO2 publié par le Cerema. Pour atténuer un peu l’effet du graphique, des courbes prenant en compte l’hypothèse d’une conversion massive du parc automobile à l’électrique dans les prochaines décennies ont été ajoutées.

Des décisions prises au doigt mouillé qui tiennent avant tout de la communication politique

Rouler en ville à 30 kilomètres heures pollue beaucoup plus qu’à 50 km/h

En tout cas, une fois encore on découvre avec stupeur que des décisions prises par les pouvoirs publics, en l’occurrence les municipalités, au nom de grands principes, ne servent à rien et sont même contre-productives. Elles ne reposent sur aucune étude d’impact sérieuse et aucune compétence. Elles s’inscrivent avant tout dans une logique de communication politique et même dans celle de l’air du temps, c’est le cas de le dire.

Autre exemple similaire, celui des pics de pollution aux particules fines. Ils ont été…

>>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue « Transitions & énergies » <<<

Les Républicains et les médias démocrates militent à présent pour une présidence Harris

Après la prise de Kaboul et les attentats de jeudi, Joe Biden est affaibli mais Kamala Harris est curieusement épargnée par les critiques qui fusent. Pourquoi?


Kamala Harris se trouvait à Pearl Harbour quelques heures après l’attentat aux abords de l’aéroport de Kaboul qui a fait des dizaines de morts et blessés, dont 11 marines et un infirmier de l’US Navy. Un symbole. La vice-présidente américaine qui terminait son voyage de cinq jours en Asie du Sud-Est évite autant que possible les questions concernant le retrait d’Afghanistan et même celles quant à l’attentat. De manière générale, les médias démocrates et les Républicains épargnent celle qui est la première dans l’ordre de succession présidentielle et concentrent leurs attaques sur Joe Biden, cachant plus ou moins leur volonté de voir Kamala Harris lui succéder rapidement. Chaque camp ayant son agenda politique.

Le lendemain du double attentat à la bombe près de l’aéroport perpétré le 26 août 2021 et revendiqué par l’Etat islamique, un Taliban sur les lieux, Kaboul, Adghanistan © WAKIL KOHSAR / AFP

La page de la Maison-Blanche n’indique pas le seul nom du président mais « The Biden-Harris Administration », reconnaissant une place inhabituelle à la vice-présidence. Kamala Harris occupe les premiers rôles dans la diplomatie américaine, elle prend notamment des appels importants en lieu et place de Biden. Mais ce sont le président, le secrétaire d’État Antony Blinken et Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense, qui sont critiqués par médias.

Kamala Harris s’était mise en avant le 25 avril en déclarant sur CNN avoir sa part de responsabilité dans le choix du retrait d’Afghanistan. Lors d’un entretien avec Dana Bash, la vice-présidente avait assuré avoir été la dernière personne présente dans la salle lors de décisions importantes, notamment quant à la décision de quitter l’Afghanistan. Prétendant que Joe Biden avait pris là une décision pas forcément populaire, elle avait ajouté qu’il avait « une quantité de courage extraordinaire ». Désormais, Harris fait profil bas et montre d’une remarquable discrétion. Le 18 août, six jours après la prise de Kaboul par les Talibans, le New York Post constatait que la vice-présidente n’avait toujours pas fait d’apparition publique, n’était visible que sur des photos diffusées par la Maison-Blanche alors qu’elle se tenait jusque-là aux côtés de Biden à d’autres occasions. 

Le rire de Harris quant à l’Afghanistan ignoré par les médias qu’elle évite

Questionnée par une journaliste alors qu’elle s’apprêtait à embarquer pour l’Asie du Sud-Est, Harris ne l’a pas laissé terminer sa question portant sur les Américains en Afghanistan : après un éclat de rire, la vice-présidente s’est contentée d’une réponse évasive : « Attendez ! attendez ! Un peu moins vite… Ha ! ha ! ha ! Hum, je veux parler de deux choses. Premièrement, l’Afghanistan : nous ne saurions avoir de plus grande priorité en ce moment », avant de mentionner l’évacuation des Américains et des Afghans ayant assisté les États-Unis. Une réponse passée sous silence par la majorité des médias alors qu’elle a été largement critiquée sur les réseaux sociaux.

Ce que l’on retiendra du voyage de Harris, c’est notamment son propos, lors d’une table ronde à Singapour, conseillant d’acheter maintenant des jouets pour les enfants afin de les recevoir à temps pour Noël « en raison des histoires que nous entendons maintenant [et qui] nous mettent en garde »… La vice-présidente faisait là allusion à la pandémie de Covid-19. Elle s’est également exprimée sur le changement climatique, mais a évité autant que possible les questions des journalistes sur l’Afghanistan. Son équipe a expliqué que son voyage visait à mettre l’accent sur l’importance que le président accorde à l’Asie du Sud-Est. Là, également, son propos n’a été que très peu relayé et critiqué dans les médias.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: L’erreur afghane

Peu avant l’escale à Hawaï de l’avion ramenant la vice-présidente sur le continent, les journalistes à bord de l’appareil ont appris qu’ils ne pourraient pas la questionner une fois posés sur l’île. Son bureau a transmis aux médias une description de son intervention sur la base navale de Pearl Habor. Tout juste a-t-elle relayé quelques tweets de Joe Biden pour le soutenir du bout des lèvres. Pourtant, son attitude comme sa responsabilité dans la crise ne sont pas pointées du doigt par les médias, ni même par les Républicains les plus virulents.

Biden sous le feu des critiques des médias et des républicains

De son côté, Joe Biden ne cesse d’être contesté par les médias qui relèvent désormais toutes ses incohérences alors qu’ils les glissaient jusque-là sous le tapis la plupart du temps. CNN, dont un responsable avait avoué sans savoir qu’il était enregistré que la chaîne avait manipulé l’information pour faire battre Trump, n’essaie plus de présenter Biden comme un homme en forme et pleine possession de ses moyens. Instruisant à charge, CNN a notamment titré un article « Joe Biden fait face à une crise de compétence », dans lequel le président est même dénigré pour sa gestion du Covid-19. Même son de cloche ailleurs, ainsi le Washington Post qui publie une critique sous le titre : « La promesse de Biden de restaurer une présidence compétente est minée par le chaos en Afghanistan ». Dans son article, le quotidien reproche à Biden de ne pas assumer ses responsabilités, lorsqu’il accuse son prédécesseur, Donald Trump, et dénonce une « incapacité à planifier, une sous-estimation d’un adversaire étranger, un effort inefficace pour se démener et se rattraper. » Le Washington Post s’était notamment illustré en décidant de ne plus vérifier les dires de Joe Biden, au motif que la nouvelle présidence serait fiable, comme l’était supposément celle de Barack Obama, ce après avoir vérifié tous ceux de Trump et parfois considéré un propos jugé faux comme représentant des centaines de mensonges. Moins critique envers Biden, le New York Times évite cependant de sermonner Harris et mentionne son propos quant à sa promesse d’aider les femmes et les enfants afghans, sans rappeler sa responsabilité dans ce retrait mal préparé.

Mais les médias ne sont pas seuls à attaquer Biden. Nombreux sont les élus républicains, dont des caciques, à réclamer la tête de Joe Biden. Parmi eux, un certain Donald Trump. L’ancien président a appelé son successeur à démissionner en reconnaissance de la disgrâce de l’ensemble de sa politique. Trump avait conditionné le retrait d’Afghanistan au respect par les Talibans des accords de Doha en février 2020 les engageant à ne pas s’emparer du pouvoir par la force. Dans la foulée de la prise de Kaboul par les Talibans, des élus républicains ont appelé à l’utilisation du 25e amendement pour que le vice-président accède au Bureau ovale en lieu et place du président déclaré incapable. Le représentant républicain Madison Cawthorn a même écrit à Kamala Harris pour lui demander de mettre en œuvre cet amendement. Et, suite à l’attentat près de l’aéroport de Kaboul, nombreux sont les Républicains à demander la destitution ou la démission de Biden.

Si les médias démocrates ne soutiennent plus Joe Biden, voire l’attaquent ouvertement, leurs motivations ne rejoignent pas celles des élus républicains qui expriment, eux, à haute voix leur volonté de voir Joe Biden partir, et ne mentionnent pas la responsabilité de Kamala Harris dans cet échec. La volonté de voir Harris succéder à Biden est forte chez les médias les plus orientés à gauche, car ils se sont désormais éloignés du centre. Les Républicains, eux, peuvent espérer une présidence Harris ratée. Si elle voulait succéder à Biden en 2024, elle pourrait avoir ses chances ; ces dernières seraient nettement réduites si elle remplaçait Biden assez rapidement pour être médiatiquement très exposée. 

En effet, d’une part, Harris se situe très à gauche et avait dû renoncer avant les primaires démocrates, plafonnant au moment de son retrait à 3% dans les sondages ; d’autre part, son bilan en tant que vice-présidente était très critiqué avant la prise de Kaboul. Elle ne s’était par exemple rendue à la frontière avec le Mexique, débordée par les migrants, qu’après que le gouverneur du Texas eut invité Trump, et elle avait déjà déclaré sarcastiquement ne pas comprendre la crise migratoire, car elle n’était jamais allée en Europe. Une présidente Harris ne pourrait plus être couverte par le paravent Biden, semblent espérer les Républicains.

Cependant, d’autres membres du Parti de l’Éléphant s’inquiètent toujours pour leur pays d’une hypothétique présidence Harris, à l’instar de Nikki Hailey, l’ancienne ambassadrice auprès des Nations unies, qui met en garde contre ce qu’elle estime encore pire que l’actuelle présidence…

Millet et moi

La carte postale de Pascal Louvrier


Sur l’écran de mon portable apparaît une photo. Elle me rappelle où je me trouvais il y a deux ans. Ces appareils avec de la mémoire et pas de souvenirs…

Les Confessions de saint Augustin ne quitte jamais Gérard Depardieu en voyage. L’ouvrage Pensées et Opuscules de Pascal, dans l’édition Brunschvicg, accompagne toujours Richard Millet. Les textes où il est question de Dieu sont indispensables à l’heure de la marée montante du nihilisme. Je ne me sépare pas, depuis le printemps, de L’Orient désert, de Richard Millet. À propos de ce récit, son auteur me confie : « Il a été écrit à partir de notes prises au Liban et en Syrie au cours de l’été 2006. » Il tient à ajouter : « Voyage douloureux, en partie mystique, salvateur. » 

Affinités électives

Je peux donc parler d’affinités électives entre l’écrivain et moi. Il n’est pas question de revenir sur la mort sociale de Richard Millet après son pamphlet publié par Pierre-Guillaume de Roux, Éloge littéraire d’Anders Breivik. Quand on évoquait son soutien à Pierre Laval et son poste d’ambassadeur en Roumanie (1943/1944), Paul Morand répondait qu’il avait aussi écrit des livres. Millet a aussi écrit des romans où il est question de l’homme face aux grandes situations existentielles (la rupture amoureuse, la solitude, la maladie…) L’écrivain a combattu au Liban, aux côtés des milices chrétiennes, en guerre contre les Palestiniens, plus tard appelés « Islamo-progressistes ». Il avait alors 22 ans, l’âge où « le cœur se brise ou se bronze », il fuyait les hautes terres du Limousin, ses paysages d’enfance. De cette expérience du pire, il en a tiré un livre puissant, La Confession négative, servi par une langue admirable où, dans la fournaise beyrouthine, l’obsession de la mort et des odeurs ne peut s’oublier, non plus que l’abjection dont l’homme se rend coupable. De six à quatorze ans, ce fils né d’un jeune protestant et d’une belle catholique, femme sévère aux jugements péremptoires, a vécu au Liban. Il y retourne en 2006 par fidélité à un rêve d’enfance illustré par une carte postale. Ou comme il l’écrit : pour y chercher « une lumière qui ne soit pas celle du jour. » 

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Une femme a quitté le narrateur. Peu importe de connaître son identité ni de savoir pourquoi elle est partie. Ce qu’il écrit tient de l’universalité de la douleur éprouvée. Les larmes lui viennent plus vite que les mots. Il évoque le suicide de Pavese dans sa chambre d’hôtel à Turin, se tuant pour une femme qui ne le désirait plus. Il part sur les routes du Liban, se souvient qu’il est né chrétien, « debout face à la Croix », homme désormais en lambeaux, en mouvement sur la terre rouge de la Bekaa, entre deux chaines de montagne, qui rappellent celles du pays d’enfance, il se confie, non sans éprouver une certaine volupté dans la souffrance : « Peut-être ne suis-je là que pour oublier ce qu’une femme a fait de moi : un être hors de lui, condamné à marcher, penser, parler seul (trois langues à la bouche et nulle envie qu’elles s’ébruitent dans l’après-midi poussiéreuse). » Il sait son visage laid, « la laideur étant le propre de l’homme brusquement rendu à lui-même par une femme. » 

Le crépuscule de la chrétienté

Cette phrase, je la souligne d’un trait de crayon à papier, une habitude très tôt prise au collège. À mon tour je marche sur le territoire rural de l’écrivain qui déplore le crépuscule de la chrétienté d’Occident, écrivain qui me conduit à Antioche, et me rappelle que c’est dans cette ville que les disciples de Jésus reçurent pour la première fois le nom de chrétiens, je marche en direction de Meymac, dans le crépuscule bleuté d’un été qui lentement décline. Millet : « Je croyais encore pouvoir conjuguer l’amour et l’écriture. » Équilibre précaire, illusoire, que l’écrivain-funambule croit maîtriser malgré le déchirement permanent, jusqu’à ce que la folie finisse par le faire vaciller. Dans Huppert et moi (Pierre-Guillaume de Roux, 2019), un essai original sur l’actrice dont on ne sait presque rien, comme quoi le jardin secret peut résister à la célébrité, à condition qu’on le veuille, Millet précise : « Et être fou, c’est ne plus faire de séparation entre l’intérieur et le dehors, soit qu’on se laisse envahir par le dehors, soit (j’en sais quelque chose) qu’on se mure dans la forteresse intérieure dont les murs deviennent la peau même. »

Chaque page mériterait d’être citée, commentée, lu à haute voix même, tant le style de l’écrivain est musical. On voit Millet marcher dans la terre rocailleuse, sous le soleil, souffle court, tête ceinte d’un keffieh acheté au souk d’Alep, ventre volontairement vide, parmi les ruines de villes mortes où les premiers chrétiens élevèrent des églises et des basiliques. Une phrase soudain, constat implacable : « L’effondrement de la syntaxe va de pair avec la fin du christianisme. » Ou celle-ci, comme une griffure : « Ce qui est perdu me parle éternellement de toi. » Ou encore : « N’exhibe plus ta blessure amoureuse : autant donner à voir tes excréments, ton sexe recroquevillé, tes crachats, tes poils de barbe composant des caractères japonais au fond du lavabo. » 

À la fin du voyage, Millet évoque la Vierge noire de l’église de Meymac. La prière doit être un acte solitaire, dans le silence des pierres (de Pierre), pour réfuter les simulacres et les falsifications de la mondialisation horizontale. Après, mais après seulement, je reprendrais la marche sur le plateau de Millevaches, où soufflent les grands vents, et où l’art roman est né.

Millet, pour conclure : « Que la prière soit ta seule mémoire. » La boucle est bouclée.

Richard Millet, L’Orient désert, Folio.

La confession négative

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Et Yalom a pleuré…

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Le billet du vaurien


Les Français ont Lacan. Les Américains ont Irvin Yalom. Quand j’ai vu le film de Sabine Gisiger : Irvin Yalom, la thérapie du bonheur, j’ai compris pourquoi il n’y avait dans la grande salle de l’Arlequin que trois spectateurs : une très vieille dame, le romancier américain Steven Sampson et moi- même. Sur l’écran Yalom, visiblement affaibli par l’âge, citait Kant et Schopenhauer. Il donnait l’impression d’un homme apaisé qui ne verra plus le soleil, mais qui contemple une dernière fois le ciel étoilé face à la mer. Ce qu’il avait retenu de ses années de psychiatrie tenait en quelques phrases plutôt banales du genre : les hommes sont toujours plus malheureux qu’ils ne l’imaginent et par ailleurs ils n’accèdent qu’exceptionnellement à l’âge adulte dont personne ne sait précisément en quoi il consiste.


La seule différence entre les enfants et les adultes est le prix de leurs jouets.

Une petite épicerie à Washington

Ce qui est émouvant chez Yalom, c’est qu’il ne cherche jamais à paraître plus grand qu’il n’est. Le film que lui a consacré Sabine Gisiger est une leçon d’humilité. Qualité peu répandue en France et encore moins chez les lacaniens. Yalom est demeuré ce petit garçon juif dont les parents avaient fui les pogroms dans les années 1920. Il n’a jamais très bien su d’où il venait – Russie ou Pologne sans doute -, ni pratiqué une religion. Ses parents tenaient une petite épicerie à Washington, les seuls juifs blancs dans un quartier noir. Irvin ne parlait pas à sa mère et avait peu de contact avec son père qu’il jugeait trop soumis. Bien des années plus tard quand il donnait des conférences sur la psychiatrie, sa mère quittait l’auditoire au moment des questions : elle avait peur qu’il ne trouve pas la bonne réponse. Tout ce qu’il dit avec une simplicité émouvante dans ce film pourrait s’adresser à sa mère.  » Tu vois, maman, nous sommes tous embraqués sur le même bateau, nous sommes tous confrontés à notre disparition et nous nous demandons quel sens ce voyage incertain a bien pu avoir. »

Quand il l’a découvert, il a pleuré. Tout ce que je viens de raconter là fera sans doute ricaner des psychanalystes français. Il y a une forme d’humanité qui vaut toutes les acrobaties intellectuelles. Irvin Yalom l’incarne dans ce documentaire par ailleurs trop lisse et trop convenu. Et si l’on pouvait définitivement arrêter de filmer les bas-fonds marins pour évoquer les forces obscures de l’inconscient, quel soulagement ce serait !

Irvin Yalom, la thérapie du bonheur, 1 h 40, 2015.

Afghanistan: relevons les défis

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Une tribune libre de Marine Le Pen, député du Pas-de-Calais, présidente du Rassemblement national


La débandade américaine en Afghanistan n’est pas seulement une défaite militaire et politique d’une ampleur comparable à la chute de Saïgon ou à l’accession au pouvoir des ayatollahs iraniens, cet abandon est aussi un naufrage moral et humain. 

Alors que l’islamisme était défait en Syrie, la victoire des talibans va finir d’ébranler les chancelants États de l’Afrique subsaharienne guettés par la constitution imminente d’un califat africain.

Deux menaces immédiates planent sur l’Europe : une menace migratoire avec une vague prévisible de réfugiés et une menace sécuritaire avec une réactivation du terrorisme islamiste par des éléments dormants ou infiltrés dans le flot des réfugiés.

Oser nommer et affronter les problèmes

La question terroriste est bien connue et la solution existe, pour peu qu’il existe une prise de conscience et une volonté politique. Elle n’est rien d’autre qu’une guerre qui nous est menée par une idéologie conquérante et meurtrière mue par l’ambition d’une hégémonie mondiale. Elle appelle de bannir tout esprit munichois et, en pratique, à mettre en œuvre une législation adaptée, c’est-à-dire une législation de guerre.

Face aux flots annoncés de réfugiés, le gouvernement comme l’UE n’envisagent, d’entrée, qu’une seule et unique solution, la grande migration vers l’Europe, cet eldorado qui n’en est plus un.

Refuser les solutions irréfléchies 

Face au drame de l’Afghanistan, nos pays seraient ainsi condamnés au choix binaire du tout ou rien : soit laisser mourir des réfugiés, soit accueillir chez nous des millions de réfugiés. Dans les deux cas, ce serait une faute morale.

Certes, nous devons penser au présent et offrir des solutions qui permettent une mise à l’abri rapide des personnes réellement menacées. Pour être efficace et rapide, ce secours pour les réfugiés doit s’effectuer au plus proche des frontières de l’Afghanistan et être accessible par des couloirs humanitaires. 

Mais, il nous faut aussi croire en l’avenir, c’est-à-dire penser que le régime des talibans ne durera pas et que ceux qui le fuient puissent garder l’espoir de revenir chez eux, sur leurs terres, sur la terre de leurs ancêtres.

Le projet « Asilias »

La solution qui concilierait les exigences apparemment contradictoires entre l’abandon et la migration serait la constitution de zones de protection, en pratique des cités d’accueil à la périphérie de l’Afghanistan à l’instar des «Asilias » décrites par Adjieedj Bakas [1], un intellectuel néerlandais de renom. 

Les emprises foncières de ces sanctuaires humanitaires seraient louées pour 30 ans aux pays d’accueil limitrophes de l’Afghanistan par la communauté internationale ; les puissances disposant de ressources – USA, UE, Japon ou pays du Golfe – seraient mises à contribution soit financièrement, soit par la fourniture de matériaux de construction, soit par la mise à disposition de coopérants. 

Instruction, formation professionnelle, activités économiques seraient pilotées et financées par l’aide internationale. Ces villes disposeraient d’écoles, d’installations médicales, d’entreprises agricoles, artisanales ou même industrielles. Après y avoir trouvé un accueil immédiat, les réfugiés y trouveraient un logement qu’ils aideraient à construire, un emploi, une sécurité de vie, et surtout, l’espoir de retrouver un jour leur pays. 

Sauf secours d’urgence, rien n’y serait gratuit. L’idée serait d’y faire émerger une véritable économie pour des personnes qui, par dignité et réalisme, n’auraient pas vocation à vivre éternellement de l’assistanat mondial.

La question des réfugiés n’est pas nouvelle mais son ampleur prévisible exige de sortir des solutions malavisées dans leur mise en œuvre ou leur application. Les réponses à la question des réfugiés sont prioritairement régionales.

Le projet « Asilias » doit être mis en œuvre aujourd’hui pour l’Afghanistan et la France doit prendre les initiatives diplomatiques en ce sens. Il trouvera très vite à s’appliquer à cette Afrique qui saigne et voit mourir ses enfants sur les routes et sur les mers de l’Europe. 


[1] « Blanc foncé : comment sera le monde après l’ère corona. »

Petit abécédaire des idées reçues

De A à Z


Au roman Bouvard et Pécuchet publié après sa mort, « véritable encyclopédie de la bêtise humaine » selon l’auteur, Flaubert aurait adjoint un Dictionnaire des idées reçues. À sa manière, il est tentant d’esquisser un abécédaire de quelques idées reçues de notre époque. 

Ludiques ou idéologiques, simples clichés ou carrément fascistes, les mots reflètent l’air du temps mieux que tout discours. 

AFFINITES : et plus, si affinités. ARABE : Sans les traductions arabes, comment connaîtrions-nous Aristote ? BIKINI : Atoll du Pacifique. Ne pas confondre avec burkini. Une femme « en itsy bitsy tout petit bikini » pour désigner une bombe sexuelle (sens vieilli). BOULGI-BOULGA : chez les cathos, désigne l’avis du CCNE sur la loi bioéthique. CANCEL : Cancel Culture, quand tu nous tiens ! CARABISTOUILLE : Fake news belge. En vogue chez certains philosophes et politiques. (syn : galéjades). CHIFFRE (arabe sifr) : romain, disparaît des musées. Charles 10. CHRISTIANISME : en voie d’extinction depuis deux mille ans. CLITORIS : gagne à être connu. Le clitoris du parvis des Droits de l’homme. CONTI  (Quai de) : connu pour sa vieille dame. CORPS : Le vôtre vous appartient. Habeas corpus. COVID (nom fém.) : l’Arlésienne aux mille et un variants. DAMAS : Paul, le foudroyé de Damas. EPICENE : on l’est sans le savoir. ERRATIQUE (parler chic) : une politique erratique. FAIRE (vulg.) : faire famille, faire nation, faire église. FOI : perdue à la puberté, se retrouve, après une crise mystique, quand on a été enfant de chœur. FRAGILE (pl.) : les enfants, les sans-abri, les migrants, les assassins présumés, les pauvres d’esprit. « Je pense aux plus fragiles » : phrase obligée de tout discours politique, religieux, sanitaire. GAZELLE : toujours pudique. Synonyme : violette. GENRE : ignoré du turc. Être genré : avoir du chien.  HERITAGE : Fait pour être dilapidé : héritage gréco-romain. HOMME : Qui vous dit que je suis un homme ? HUMAINS : les droits humains, par analogie avec les droits des animaux. HUMANISME : athée, toujours un drame. HUSSARDE (à la hussarde) : manière cavalière de faire l’amour. Seul emploi féminin admis par l’Académie. IDENTITE : tabou. Voir Z.IMPROBABLE : flou artistique, inattendu. Un mari, un parapluie improbables. INCONTOURNABLE : toujours avec sujet. Un sujet incontournable. INNOCENT : toujours présumé. INTERSECTIONNALITE : a tué le féminisme en l’enfermant dans ses contradictions. LESBIENNE : une écriture lesbienne. ŒDIPE :  le complexe a fait long feu. Oedipe Reine. PATRIARCAL(E) : société. Subsiste dans les départements amazoniens de l’EHESS. PAPA/MAMAN : Le papa de l’acteur P. est décédé. La chanteuse Mylène, âgée de 80 ans, pleure la mort de sa maman. PERLIMPINPIN (onomatopée) : La fermeture des frontières est de la poudre de perlimpinpin. PROBLEMATIQUE : la problématique de votre fuite d’eau a été résolue par La Brigade des Fluides. PROGRES : ne s’arrête jamais aux passages à niveau. QUEER : (religion) Entrer en queer. REGLES : discriminantes. La Ministre à l’Égalité a levé le tabou des règles. RELIGION : toujours en sortie : La sortie de la religion. RESSENTI : supérieur à la température réelle. Fig. Le ressenti après un meurtre. SEXE : refuser toute assignation. SYSTEMIQUE : caractérise les maux français. START-UP (vieilli) : L’Académie recommande  « jeune pousse ». VAGIN : voué au monologue. VALEURS : Les valeurs de la République. « Vous et moi, nous n’avons pas les mêmes valeurs » : slogan publicitaire des rillettes Bordeau Chesnel. VIOL (agric) : La culture du viol. WOKISME : « Vous chantiez ? J’en suis fort aise / Eh bien, Wokez maintenant ! » La Fontaine. Z : désir qui monte en puissance. Les Z célèbres : Zadig et Voltaire, Z. Marcas. Z/S., Zazie dans le métro, Zoo (ou la troisième Héloïse).

Le foyer impossible

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Souheila Yacoub et Soufiane Guerrab dans "De bas étage (2021) de Yassine Qnia © Shanna Besson

Venu du court, Yassine Qnia réussit son premier long-métrage, le portrait d’un homme de trop. « De bas étage », actuellement au cinéma.


Il est reposant de découvrir un film français se refusant à tout tape-à-l’œil. Il est pratiquement miraculeux de s’apercevoir que c’est de plus le tout premier long d’un réalisateur autodidacte.

“De bas étage” – beau titre périlleux – s’attache à un perceur de coffre-fort à la petite semaine qui, au moment où le récit commence, paye ses choix de vie par la séparation d’avec la mère de son fils âgé d’un an. Il suffit de deux minutes à Yassine Qnia pour nous rassurer sur sa volonté à n’emprunter aucune des deux voies royales et dominantes du naturalisme, la haute en couleurs cruelles à la Kechiche ou la sociale évangélique de genre Dardenne. Naturalisme est même presque un gros mot quand on voit le travail d’orfèvre avec lequel il pose et développe ses caractères et situations. Qnia retranche de la vie tout ce qui pourrait faire diversion, pour saisir plus qu’une épure, un naturel purement construit par écriture, direction d’acteurs, mise en scène et montage. C’est un art discret qui impressionne lentement mais sûrement. 

L’observation amoureuse et le guet se confondent souvent dans “De bas étage”. On désire de loin, à l’image des premier et dernier plans. L’interprétation est tout simplement exceptionnelle : Soufiane Guerrab et Souheila Yacoub, parfaitement dirigés, enlèvent toute vulgarité, toute facilité à leurs personnages. Chacun de leurs échanges tendus est le sismographe de leur incompatibilité mais aussi de l’amour qu’ils se portent envers et contre tout. Guerrab surtout parvient à humaniser un héros, sur le papier assez manipulateur et par moments infect, en jouant le refus de monnayer sa valeur et un désir inexpugnable de quant-à-soi. Son Mehdi est un homme qui, ne pouvant franchir une ligne invisible, se perd et fait le malheur autour de lui. La justesse de chaque scène, de chaque réplique, les plans ne durant jamais plus qu’il ne faut, est telle qu’on reprocherait presque à Qnia de tenter une dramatisation mesurée vers le second tiers, mais il aura le bon goût de ne pas la mener à terme. Il lui suffit des teintes sombres d’un hiver sans répit, l’hiver des vies qu’on mène mal et à bas bruit, pour imposer son regard. 

© Photo: Shanna Besson

“De bas étage” est tout simplement le premier film français le plus frappant qu’on ait vu depuis des lustres.

En salle depuis le 4 août

Thierry Marignac, les traversées de l’indompté

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Thierry Marignac a

Écrivain mal vu du milieu littéraire à cause d’un certain franc-parler, Thierry Marignac a su réunir avec le temps un cercle de lecteurs fervents…


À propos de Morphine monojet, l’un des précédents romans de Thierry Marignac, je disais ceci : « l’auteur de polars aussi originaux que Milieu hostile et Renegade Boxing Club a, de haute lutte, conquis sa place d’orfèvre par la grâce d’une langue drue et d’un œil de lynx. » 

Ce verdict, je le maintiens mordicus à la lecture de Terminal Croisière, le roman qu’il a eu la gentillesse de me dédier. Depuis quelques années déjà, je l’exhortais à utiliser sa connaissance de la capitale de l’Union européenne dans un roman. C’est chose faite, et de façon plus qu’originale, puisque l’intrigue ne se passe ni aux alentours du Parlement ou de la Commission, ni dans ces pubs irlandais ou ces trattorias de luxe où surnagent chargés de communication et trafiquants d’influence, attachés parlementaires et barbouzes – « cette ambiance de sac et de corde ». 

Une fascination pour les zones portuaires

Non, Thierry Marignac nous décrit ce petit monde aussi corrompu que condescendant de façon indirecte, sur un paquebot de luxe et dans des containers de la police des douanes. Depuis A Quai et Cargo sobre, nous savons à quel point Thierry Marignac est fasciné par les zones portuaires et les huis-clos maritimes : Terminal Croisière en constitue la quintessence.

A lire aussi, Thierry Marignac: Ma virée littéraire à Kazan

Nous y retrouvons, vieilli et passablement assagi, Thomas Dessaignes, traducteur de son métier, ex-facilitateur ONG, ex-employé de la Croix-Rouge expulsé de Moscou et lié naguère à la pègre des ghettos noirs, « demi-solde d’une caste inférieure d’employés internationaux ». Pour l’heure, familier des commissariats et des tribunaux bruxellois où il opère comme interprète de l’anglais et du russe, Dessaignes travaille pour le Ministère belge de la Justice. L’art de l’interrogatoire joue d’ailleurs un rôle essentiel dans ce roman complexe et d’une rare finesse psychologique qui rend bien le caractère tortueux du jeu cruel entre le policier, le suspect et leur interprète… qui, lui, ne croit à aucun des deux susmentionnés.

Le style Marignac

Invité par le Pen-Club à un séminaire sur le poète russe Derjavine, jadis garde des Sceaux du Tsar, Dessaignes, qui est aussi traducteur de poésie russe (il s’agit bien d’une sorte de double de l’auteur), y fait la rencontre d’une journaliste russe, Svetlana, « aux yeux ardoise luisante de pluie » qui, elle, participe à un séminaire de la presse eurasiatique. L’arrestation d’un jeune Tchétchène pour détention d’opium, l’agression manquée contre cette journaliste trop indépendante, des paris clandestins à fond de cale, une mystérieuse panne des smartfaunes en pleine mer, les interrogatoires serrés d’un homme d’affaires britannique et d’intermédiaires kazakh et géorgien scandent ce roman ficelé avec brio. Les allusions à un réseau d’influence kazakh comme à de mirifiques contrats pour un aéroport d’Asie centrale nous plongent dans les dessous de l’histoire contemporaine. Enfin, la description parfois lyrique des mélancoliques amours de Dessaignes, passées et présentes, illustrent ce syllogisme de l’amertume du regretté Cioran : « Plus un esprit est revenu de tout, plus il risque, si l’amour le frappe, de réagir en midinette ».

Le style de Thierry Marignac, sec et vif ; sa parfaite maîtrise du récit et de ses parenthèses temporelles, la finesse des observations  – et surtout des allusions – font de Terminal Croisière un magistral roman de maturité. 

Thierry Marignac, Terminal Croisière, Auda Isarn.

Les dieux et les vitamines

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Jon Ferguson Photo: D.R.

Le billet du vaurien


Jon Ferguson est un mormon et une gloire du basket américain. Peut-être se souviendra-t-on de lui pour ces deux raisons, alors qu’ il a abandonné la foi de son enfance à vingt ans et renoncé au basket depuis des décennies. Il s’est installé à Morges au bord du lac Léman où il écrit des romans et des ouvrages de philosophie dans la ligne de Nietzsche. 

Questions lausannoises

Lors de la soirée que nous avons passée ensemble au Lausanne-Palace, il a posé la question suivante : de quoi auraient eu l’air les écrits de Nietzsche si Lou Salomé et lui avaient été fous amoureux l’un de l’autre ? Est-ce que la naissance de l’amour aurait remplacé la mort de Dieu ? Probablement. Et cela n’aurait plus eu aucune importance que Dieu eût été mort ou vif.

A lire aussi: Jacqueline de Ribes, une reine proustienne

Comme nous dînions dans la brasserie du Lausanne – Palace, il nous a fait remarquer que les Grecs ne savaient pas ce qu’étaient les vitamines, mais qu’ils adoraient les dieux. Aujourd’hui, nous ne savons pas ce sont les dieux, mais nous adorons les vitamines. Quelle sera la situation dans deux mille ans ? L’homme aura-t-il dépassé les dieux et les vitamines ?

Nous nous sommes également demandés si le nombre d’orgasmes que nous pouvons atteindre dans un hôtel est inversement proportionnel au nombre d’étoiles attribuées à l’établissement ? Serait-ce vrai pour tout dans la vie ?

A la recherche de lecteurs

Ces questions paradoxales émaillent le livre de Jon Ferguson : Ouvrir la fenêtre dans lequel je furète, surpris qu’il n’ait pas encore trouvé des lecteurs qui apprécient sa forme d’humour. Parfois, il se sent seul. Alors il remercie Dieu pour chaque appel téléphonique indésirable. Il note également que ces dernières années ont été une lutte afin d’éviter de devenir fou. Y a-t-il plus noble cause pour partir en guerre ?

Et, pour conclure, nous sommes revenus à Cioran qui est bien l’un des premiers penseurs occidentaux à avoir érigé un simple choix  diététique en un véritable dilemme philosophique. Son « To be or not to be » se résumait pour lui en « Des légumes à l’eau ou la mort. »

Ennio Flaiano, mon snobisme de l’été

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L'écrivain Ennio Flaiano Photo: Wikimedia Commons

Après le 15 août, seule la lecture de La solitude du satyre peut sauver l’estivant déprimé.


Le critique littéraire est, par nature, un être snob. Pour faire le malin et se distinguer de la troupe, il se veut le défenseur des auteurs réprouvés (c’est-à-dire des écrivains qui ne vendent pas). Braquer sa plume sur un inconnu des librairies est une manière peu coûteuse de passer pour un type qui a du flair et du goût. Mais quand ce dernier, cet anonyme, a le malheur d’accéder à une notoriété plus large, nous l’abandonnons sur le champ par dépit amoureux, nous reprochant d’avoir été son strapontin vers une gloire, le plus souvent posthume. Par la suite, nous lui trouverons tous les défauts du monde, raillant sa prose bancale et maudissant notre naïveté. Le critique étant lui-même un auteur dans une majorité écrasante des cas, nous avons toujours plus de mal à vanter le travail d’un vivant que celui d’un mort. Question de pudeur, peut-être.

Avec un défunt, la concurrence nous semble moins déloyale. Avec nos contemporains, la jalousie et l’amertume, le dédain et la lassitude nous empêchent de juger sereinement une œuvre, c’est pourquoi, par principe de précaution, nous préférons la taire. Une forme de névrose très ancienne a perverti notre métier qui se passionne avant tout pour l’artiste déclassé. Le best-seller, le pauvre, n’intéresse personne comme le premier de la classe. C’est donc à celui qui dénichera l’écrivain le plus obscur, le plus oublié, le moins traduit ou le moins disant pour se faire remarquer en société. Chaque confrère cultive sa marotte, par fétichisme et aussi par défense de son propre territoire. 

A lire aussi, du même auteur: Paris jadis

Je ne m’aventurerai pas à évoquer Levet, Jouhandeau, Calet, Perros, Mirmont, Pirotte, Fargue ou Bove, d’autres que moi ont payé leur patente. Comme avec les inventeurs d’une grotte, il serait discourtois de venir chasser dans le pré-carré du voisin. Parfois le critique littéraire met une vie à débusquer son auteur fétiche qui n’a fait l’objet encore d’aucune biographie ou d’aucune thèse. Le jour où l’Université met le doigt sur un écrivain, c’en est fini des espérances. Au mieux, elle risque de le déconsidérer ; au pire de faire fuir les véritables lecteurs. J’entends l’un de mes jeunes confrères se pâmer d’une strophe de Toulet comme s’il dissertait sur les vertus des putes de la Havane : « Il y a dans le déhanché de sa phrase comme une montée ardente du désir, comme un appel poétique au corps-à-corps ». J’applaudis, l’artiste. Le talent des autres est un puissant aphrodisiaque. Moi aussi, j’ai cherché longtemps mon Toulet, je me suis bien aventuré chez Cossery, l’Égyptien du boulevard Saint-Germain, j’ai tâté du Guimard, du Perret et du Fallet, j’ai même défriché du Conchon et du Boussinot. Je cherchais ma route. J’attendais le déclic salvateur. 

L’Italie au tournant des années 60

Ma révélation remonte à exactement vingt-cinq ans quand j’ai acheté dans une librairie indépendante de Bourges, La solitude du satyre d’Ennio Flaiano (1910-1972) traduit par Brigitte Pérol aux éditions Le Promeneur. Temps béni où il était possible, en province, de se procurer une littérature dissidente et dépourvue de morale sans heurter les convictions progressistes du commerçant. J’avais enfin trouvé mon maître en saillies désopilantes, concentré en nostalgies tristes. Flaiano n’écrivait jamais à blanc. Toutes ses chroniques étaient chargées d’un ton moqueur et de cette émotion contenue qui s’appelle aussi l’élégance de style. Il exprimait une romanité comique et tendre, désespérée et sensuelle, bien avant que le cinéma de Sorrentino ne s’en empare. 

Au tournant des années 1960, il a assisté aux bouleversements esthétiques et sociologiques de la via Veneto, ses feuillets, notes éparses écrites entre 1952 et 1962, sont éblouissants. Célèbre en Italie, Flaiano n’était connu en France que des cercles cinéphiles, il fut scénariste de La strada, de La dolce vita, de Huit et demi et de Juliette des esprits pour Fellini, de La nuit d’Antonioni ou encore de Vacances romaines de William Wyler. Son côté touche-à-tout, épistolier du quotidien, m’a enchanté immédiatement. Son éditeur français le présentait comme un essayiste, romancier, nouvelliste, auteur de théâtre et éminent journaliste transalpin, insistant sur le prix Strega obtenu en 1947 pour son Tempo di uccidere

A lire aussi, du même auteur: On lit quoi cet été?

La collection du Promeneur, dans ces années torves du passage de la Mitterrandie à la Chiraquie, était remarquable de beauté, la qualité de fabrication du livre (choix du papier et des illustrations) et la variété du catalogue concourraient à un plaisir raffiné. Le lecteur se sentait esthète, il était flatté. À cette époque, la littérature italienne était superbement représentée par Mario Soldati, Giorgio Manganelli ou Alberto Arbasino. Selon moi, Flaiano surclassait ses compatriotes car il avait du chien comme lorsque Lea Massari répondait en 1977 aux questions de Christian Defaye sur la TSR. Une sorte de détachement intelligent que l’on a envie d’imiter. Quand on aime trop un auteur, on n’a pas souvent les mots adéquats, on perd ses moyens. Alors je laisse la place à Flaiano pour deux courts extraits, ils suffisent pour emporter la mise :

Enfin le Romain n’a pas besoin de se sentir différent de ce qu’il est, de s’exalter ; il s’admire déjà suffisamment, il se promène perpétuellement avec ses plus beaux vêtements, regarde tout, se sent imbattable dans au moins deux des principales activités de l’esprit : la critique cinématographique et la critique automobile.

-Une société vulgaire, qui exprime sa froide envie de vivre davantage en s’exhibant qu’en jouissant réellement de la vie, mérite des photographes effrontés.

La solitude du satyre d’Ennio Flaiano – Le Promeneur

Mince, rouler en ville à 30 km/h pollue beaucoup plus qu’à 50 km/h!

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Anne Hidalgo en 2014 © LCHAM/SIPA Numéro de reportage : 00679778_000122

Selon une étude récente du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques), un véhicule à moteur thermique qui circule en ville consomme plus et pollue donc bien plus à 30 km/h qu’à 50 km/h. Plus surprenant, à 30 kilomètres heure, il pollue autant qu’à 130 kilomètres heure… On peut légitimement se demander pourquoi les municipalités des grandes villes, à commencer par celle de Paris, généralisent les limites de vitesse à 30 km/h et à partir de quelles études d’impact et de quelles compétences des décisions de ce type sont prises…


Les grandes villes françaises, à commencer par Paris, multiplient et même généralisent les zones de limite de vitesse à 30 kilomètres à l’heure au lieu de 50 km/h. L’objectif proclamé est de réduire la pollution atmosphérique et les émissions de polluants, particules fines et autre dioxyde d’azote. Mais il y a comme un problème. Un véhicule à moteur thermique pollue bien plus à 30 km/h qu’à 50 km/h…

A 30 km/h un véhicule à moteur thermique pollue autant qu’à 130 hm/h!

C’est ce que démontre une étude récente du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques) rendue publique le 17 août et réalisée à la demande de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la merLa France est un pays où les agences et les organismes publics travaillent avant tout les uns pour les autres… En tout cas, cette étude mesure les effets des limitations de vitesse sur la pollution automobile. Il en ressort que pour les véhicules dotés d’un moteur thermique essence ou diesel, la vitesse idéale pour limiter au maximum les émissions nocives (particules fines, Nox) est de 70 km/h. À des vitesses inférieurs ou supérieures, le véhicule consomme davantage et donc pollue davantage. L’étude montre qu’en roulant à 30 km/h, un véhicule thermique pollue environ 15% de plus qu’à 50 km/h. Et plus étonnant, à cette vitesse réduite, il pollue autant qu’à 130 km/h!

«Pour les véhicules légers comme pour les poids-lourds, les émissions sont importantes à très faible vitesse (jusqu’à 30 km/h environ), ce qui signifie que les situations de congestion du trafic routier sont très pénalisantes du point de vue de la qualité de l’air», résume le Cerema. Il s’en prend au passage à la stratégie de réduction de la place de l’automobile dans les métropoles, qui en soi n’est pas contestable, par la multiplication des entraves à la circulation et la création d’embouteillages «artificiels». Une stratégie suivie par la ville de Paris depuis plusieurs années… Cela confirme aussi ce que préconisent les spécialistes indépendants de la circulation routière sur la meilleure méthode pour réduire la pression automobile dans les villes. Il faut restreindre les accès de l’automobile à la ville et en revanche, quand les véhicules sont entrés dans la ville, rendre la circulation la plus fluide possible pour qu’ils y restent le moins longtemps. Exactement le contraire de la stratégie suivie à Paris qui consiste à laisser les véhicules pénétrer dans la capitale et à multiplier ensuite les «pincements» de trafic en espérant ainsi décourager les automobilistes.

A lire aussi: L’agenda politique caché derrière la zadisation de Paris

L’impact d’une vitesse faible sur la pollution est particulièrement explicite dans le graphique (ci-dessous) sur les émissions de CO2 publié par le Cerema. Pour atténuer un peu l’effet du graphique, des courbes prenant en compte l’hypothèse d’une conversion massive du parc automobile à l’électrique dans les prochaines décennies ont été ajoutées.

Des décisions prises au doigt mouillé qui tiennent avant tout de la communication politique

Rouler en ville à 30 kilomètres heures pollue beaucoup plus qu’à 50 km/h

En tout cas, une fois encore on découvre avec stupeur que des décisions prises par les pouvoirs publics, en l’occurrence les municipalités, au nom de grands principes, ne servent à rien et sont même contre-productives. Elles ne reposent sur aucune étude d’impact sérieuse et aucune compétence. Elles s’inscrivent avant tout dans une logique de communication politique et même dans celle de l’air du temps, c’est le cas de le dire.

Autre exemple similaire, celui des pics de pollution aux particules fines. Ils ont été…

>>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue « Transitions & énergies » <<<

Les Républicains et les médias démocrates militent à présent pour une présidence Harris

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Pearl Harbor, 26 août 2021 © Evelyn Hockstein/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22599792_000012

Après la prise de Kaboul et les attentats de jeudi, Joe Biden est affaibli mais Kamala Harris est curieusement épargnée par les critiques qui fusent. Pourquoi?


Kamala Harris se trouvait à Pearl Harbour quelques heures après l’attentat aux abords de l’aéroport de Kaboul qui a fait des dizaines de morts et blessés, dont 11 marines et un infirmier de l’US Navy. Un symbole. La vice-présidente américaine qui terminait son voyage de cinq jours en Asie du Sud-Est évite autant que possible les questions concernant le retrait d’Afghanistan et même celles quant à l’attentat. De manière générale, les médias démocrates et les Républicains épargnent celle qui est la première dans l’ordre de succession présidentielle et concentrent leurs attaques sur Joe Biden, cachant plus ou moins leur volonté de voir Kamala Harris lui succéder rapidement. Chaque camp ayant son agenda politique.

Le lendemain du double attentat à la bombe près de l’aéroport perpétré le 26 août 2021 et revendiqué par l’Etat islamique, un Taliban sur les lieux, Kaboul, Adghanistan © WAKIL KOHSAR / AFP

La page de la Maison-Blanche n’indique pas le seul nom du président mais « The Biden-Harris Administration », reconnaissant une place inhabituelle à la vice-présidence. Kamala Harris occupe les premiers rôles dans la diplomatie américaine, elle prend notamment des appels importants en lieu et place de Biden. Mais ce sont le président, le secrétaire d’État Antony Blinken et Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense, qui sont critiqués par médias.

Kamala Harris s’était mise en avant le 25 avril en déclarant sur CNN avoir sa part de responsabilité dans le choix du retrait d’Afghanistan. Lors d’un entretien avec Dana Bash, la vice-présidente avait assuré avoir été la dernière personne présente dans la salle lors de décisions importantes, notamment quant à la décision de quitter l’Afghanistan. Prétendant que Joe Biden avait pris là une décision pas forcément populaire, elle avait ajouté qu’il avait « une quantité de courage extraordinaire ». Désormais, Harris fait profil bas et montre d’une remarquable discrétion. Le 18 août, six jours après la prise de Kaboul par les Talibans, le New York Post constatait que la vice-présidente n’avait toujours pas fait d’apparition publique, n’était visible que sur des photos diffusées par la Maison-Blanche alors qu’elle se tenait jusque-là aux côtés de Biden à d’autres occasions. 

Le rire de Harris quant à l’Afghanistan ignoré par les médias qu’elle évite

Questionnée par une journaliste alors qu’elle s’apprêtait à embarquer pour l’Asie du Sud-Est, Harris ne l’a pas laissé terminer sa question portant sur les Américains en Afghanistan : après un éclat de rire, la vice-présidente s’est contentée d’une réponse évasive : « Attendez ! attendez ! Un peu moins vite… Ha ! ha ! ha ! Hum, je veux parler de deux choses. Premièrement, l’Afghanistan : nous ne saurions avoir de plus grande priorité en ce moment », avant de mentionner l’évacuation des Américains et des Afghans ayant assisté les États-Unis. Une réponse passée sous silence par la majorité des médias alors qu’elle a été largement critiquée sur les réseaux sociaux.

Ce que l’on retiendra du voyage de Harris, c’est notamment son propos, lors d’une table ronde à Singapour, conseillant d’acheter maintenant des jouets pour les enfants afin de les recevoir à temps pour Noël « en raison des histoires que nous entendons maintenant [et qui] nous mettent en garde »… La vice-présidente faisait là allusion à la pandémie de Covid-19. Elle s’est également exprimée sur le changement climatique, mais a évité autant que possible les questions des journalistes sur l’Afghanistan. Son équipe a expliqué que son voyage visait à mettre l’accent sur l’importance que le président accorde à l’Asie du Sud-Est. Là, également, son propos n’a été que très peu relayé et critiqué dans les médias.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: L’erreur afghane

Peu avant l’escale à Hawaï de l’avion ramenant la vice-présidente sur le continent, les journalistes à bord de l’appareil ont appris qu’ils ne pourraient pas la questionner une fois posés sur l’île. Son bureau a transmis aux médias une description de son intervention sur la base navale de Pearl Habor. Tout juste a-t-elle relayé quelques tweets de Joe Biden pour le soutenir du bout des lèvres. Pourtant, son attitude comme sa responsabilité dans la crise ne sont pas pointées du doigt par les médias, ni même par les Républicains les plus virulents.

Biden sous le feu des critiques des médias et des républicains

De son côté, Joe Biden ne cesse d’être contesté par les médias qui relèvent désormais toutes ses incohérences alors qu’ils les glissaient jusque-là sous le tapis la plupart du temps. CNN, dont un responsable avait avoué sans savoir qu’il était enregistré que la chaîne avait manipulé l’information pour faire battre Trump, n’essaie plus de présenter Biden comme un homme en forme et pleine possession de ses moyens. Instruisant à charge, CNN a notamment titré un article « Joe Biden fait face à une crise de compétence », dans lequel le président est même dénigré pour sa gestion du Covid-19. Même son de cloche ailleurs, ainsi le Washington Post qui publie une critique sous le titre : « La promesse de Biden de restaurer une présidence compétente est minée par le chaos en Afghanistan ». Dans son article, le quotidien reproche à Biden de ne pas assumer ses responsabilités, lorsqu’il accuse son prédécesseur, Donald Trump, et dénonce une « incapacité à planifier, une sous-estimation d’un adversaire étranger, un effort inefficace pour se démener et se rattraper. » Le Washington Post s’était notamment illustré en décidant de ne plus vérifier les dires de Joe Biden, au motif que la nouvelle présidence serait fiable, comme l’était supposément celle de Barack Obama, ce après avoir vérifié tous ceux de Trump et parfois considéré un propos jugé faux comme représentant des centaines de mensonges. Moins critique envers Biden, le New York Times évite cependant de sermonner Harris et mentionne son propos quant à sa promesse d’aider les femmes et les enfants afghans, sans rappeler sa responsabilité dans ce retrait mal préparé.

Mais les médias ne sont pas seuls à attaquer Biden. Nombreux sont les élus républicains, dont des caciques, à réclamer la tête de Joe Biden. Parmi eux, un certain Donald Trump. L’ancien président a appelé son successeur à démissionner en reconnaissance de la disgrâce de l’ensemble de sa politique. Trump avait conditionné le retrait d’Afghanistan au respect par les Talibans des accords de Doha en février 2020 les engageant à ne pas s’emparer du pouvoir par la force. Dans la foulée de la prise de Kaboul par les Talibans, des élus républicains ont appelé à l’utilisation du 25e amendement pour que le vice-président accède au Bureau ovale en lieu et place du président déclaré incapable. Le représentant républicain Madison Cawthorn a même écrit à Kamala Harris pour lui demander de mettre en œuvre cet amendement. Et, suite à l’attentat près de l’aéroport de Kaboul, nombreux sont les Républicains à demander la destitution ou la démission de Biden.

Si les médias démocrates ne soutiennent plus Joe Biden, voire l’attaquent ouvertement, leurs motivations ne rejoignent pas celles des élus républicains qui expriment, eux, à haute voix leur volonté de voir Joe Biden partir, et ne mentionnent pas la responsabilité de Kamala Harris dans cet échec. La volonté de voir Harris succéder à Biden est forte chez les médias les plus orientés à gauche, car ils se sont désormais éloignés du centre. Les Républicains, eux, peuvent espérer une présidence Harris ratée. Si elle voulait succéder à Biden en 2024, elle pourrait avoir ses chances ; ces dernières seraient nettement réduites si elle remplaçait Biden assez rapidement pour être médiatiquement très exposée. 

En effet, d’une part, Harris se situe très à gauche et avait dû renoncer avant les primaires démocrates, plafonnant au moment de son retrait à 3% dans les sondages ; d’autre part, son bilan en tant que vice-présidente était très critiqué avant la prise de Kaboul. Elle ne s’était par exemple rendue à la frontière avec le Mexique, débordée par les migrants, qu’après que le gouverneur du Texas eut invité Trump, et elle avait déjà déclaré sarcastiquement ne pas comprendre la crise migratoire, car elle n’était jamais allée en Europe. Une présidente Harris ne pourrait plus être couverte par le paravent Biden, semblent espérer les Républicains.

Cependant, d’autres membres du Parti de l’Éléphant s’inquiètent toujours pour leur pays d’une hypothétique présidence Harris, à l’instar de Nikki Hailey, l’ancienne ambassadrice auprès des Nations unies, qui met en garde contre ce qu’elle estime encore pire que l’actuelle présidence…

Millet et moi

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L'écrivain Richard Millet © IAFRATE PATRICK/SIPA Numéro de reportage : 00642628_000008

La carte postale de Pascal Louvrier


Sur l’écran de mon portable apparaît une photo. Elle me rappelle où je me trouvais il y a deux ans. Ces appareils avec de la mémoire et pas de souvenirs…

Les Confessions de saint Augustin ne quitte jamais Gérard Depardieu en voyage. L’ouvrage Pensées et Opuscules de Pascal, dans l’édition Brunschvicg, accompagne toujours Richard Millet. Les textes où il est question de Dieu sont indispensables à l’heure de la marée montante du nihilisme. Je ne me sépare pas, depuis le printemps, de L’Orient désert, de Richard Millet. À propos de ce récit, son auteur me confie : « Il a été écrit à partir de notes prises au Liban et en Syrie au cours de l’été 2006. » Il tient à ajouter : « Voyage douloureux, en partie mystique, salvateur. » 

Affinités électives

Je peux donc parler d’affinités électives entre l’écrivain et moi. Il n’est pas question de revenir sur la mort sociale de Richard Millet après son pamphlet publié par Pierre-Guillaume de Roux, Éloge littéraire d’Anders Breivik. Quand on évoquait son soutien à Pierre Laval et son poste d’ambassadeur en Roumanie (1943/1944), Paul Morand répondait qu’il avait aussi écrit des livres. Millet a aussi écrit des romans où il est question de l’homme face aux grandes situations existentielles (la rupture amoureuse, la solitude, la maladie…) L’écrivain a combattu au Liban, aux côtés des milices chrétiennes, en guerre contre les Palestiniens, plus tard appelés « Islamo-progressistes ». Il avait alors 22 ans, l’âge où « le cœur se brise ou se bronze », il fuyait les hautes terres du Limousin, ses paysages d’enfance. De cette expérience du pire, il en a tiré un livre puissant, La Confession négative, servi par une langue admirable où, dans la fournaise beyrouthine, l’obsession de la mort et des odeurs ne peut s’oublier, non plus que l’abjection dont l’homme se rend coupable. De six à quatorze ans, ce fils né d’un jeune protestant et d’une belle catholique, femme sévère aux jugements péremptoires, a vécu au Liban. Il y retourne en 2006 par fidélité à un rêve d’enfance illustré par une carte postale. Ou comme il l’écrit : pour y chercher « une lumière qui ne soit pas celle du jour. » 

A lire aussi, du même auteur: Gide l’oublié

Une femme a quitté le narrateur. Peu importe de connaître son identité ni de savoir pourquoi elle est partie. Ce qu’il écrit tient de l’universalité de la douleur éprouvée. Les larmes lui viennent plus vite que les mots. Il évoque le suicide de Pavese dans sa chambre d’hôtel à Turin, se tuant pour une femme qui ne le désirait plus. Il part sur les routes du Liban, se souvient qu’il est né chrétien, « debout face à la Croix », homme désormais en lambeaux, en mouvement sur la terre rouge de la Bekaa, entre deux chaines de montagne, qui rappellent celles du pays d’enfance, il se confie, non sans éprouver une certaine volupté dans la souffrance : « Peut-être ne suis-je là que pour oublier ce qu’une femme a fait de moi : un être hors de lui, condamné à marcher, penser, parler seul (trois langues à la bouche et nulle envie qu’elles s’ébruitent dans l’après-midi poussiéreuse). » Il sait son visage laid, « la laideur étant le propre de l’homme brusquement rendu à lui-même par une femme. » 

Le crépuscule de la chrétienté

Cette phrase, je la souligne d’un trait de crayon à papier, une habitude très tôt prise au collège. À mon tour je marche sur le territoire rural de l’écrivain qui déplore le crépuscule de la chrétienté d’Occident, écrivain qui me conduit à Antioche, et me rappelle que c’est dans cette ville que les disciples de Jésus reçurent pour la première fois le nom de chrétiens, je marche en direction de Meymac, dans le crépuscule bleuté d’un été qui lentement décline. Millet : « Je croyais encore pouvoir conjuguer l’amour et l’écriture. » Équilibre précaire, illusoire, que l’écrivain-funambule croit maîtriser malgré le déchirement permanent, jusqu’à ce que la folie finisse par le faire vaciller. Dans Huppert et moi (Pierre-Guillaume de Roux, 2019), un essai original sur l’actrice dont on ne sait presque rien, comme quoi le jardin secret peut résister à la célébrité, à condition qu’on le veuille, Millet précise : « Et être fou, c’est ne plus faire de séparation entre l’intérieur et le dehors, soit qu’on se laisse envahir par le dehors, soit (j’en sais quelque chose) qu’on se mure dans la forteresse intérieure dont les murs deviennent la peau même. »

Chaque page mériterait d’être citée, commentée, lu à haute voix même, tant le style de l’écrivain est musical. On voit Millet marcher dans la terre rocailleuse, sous le soleil, souffle court, tête ceinte d’un keffieh acheté au souk d’Alep, ventre volontairement vide, parmi les ruines de villes mortes où les premiers chrétiens élevèrent des églises et des basiliques. Une phrase soudain, constat implacable : « L’effondrement de la syntaxe va de pair avec la fin du christianisme. » Ou celle-ci, comme une griffure : « Ce qui est perdu me parle éternellement de toi. » Ou encore : « N’exhibe plus ta blessure amoureuse : autant donner à voir tes excréments, ton sexe recroquevillé, tes crachats, tes poils de barbe composant des caractères japonais au fond du lavabo. » 

À la fin du voyage, Millet évoque la Vierge noire de l’église de Meymac. La prière doit être un acte solitaire, dans le silence des pierres (de Pierre), pour réfuter les simulacres et les falsifications de la mondialisation horizontale. Après, mais après seulement, je reprendrais la marche sur le plateau de Millevaches, où soufflent les grands vents, et où l’art roman est né.

Millet, pour conclure : « Que la prière soit ta seule mémoire. » La boucle est bouclée.

Richard Millet, L’Orient désert, Folio.

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Et Yalom a pleuré…

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Yalom's Cure, film de Sabine Gisiger Photo: Autlook Filmsales GmbH

Le billet du vaurien


Les Français ont Lacan. Les Américains ont Irvin Yalom. Quand j’ai vu le film de Sabine Gisiger : Irvin Yalom, la thérapie du bonheur, j’ai compris pourquoi il n’y avait dans la grande salle de l’Arlequin que trois spectateurs : une très vieille dame, le romancier américain Steven Sampson et moi- même. Sur l’écran Yalom, visiblement affaibli par l’âge, citait Kant et Schopenhauer. Il donnait l’impression d’un homme apaisé qui ne verra plus le soleil, mais qui contemple une dernière fois le ciel étoilé face à la mer. Ce qu’il avait retenu de ses années de psychiatrie tenait en quelques phrases plutôt banales du genre : les hommes sont toujours plus malheureux qu’ils ne l’imaginent et par ailleurs ils n’accèdent qu’exceptionnellement à l’âge adulte dont personne ne sait précisément en quoi il consiste.


La seule différence entre les enfants et les adultes est le prix de leurs jouets.

Une petite épicerie à Washington

Ce qui est émouvant chez Yalom, c’est qu’il ne cherche jamais à paraître plus grand qu’il n’est. Le film que lui a consacré Sabine Gisiger est une leçon d’humilité. Qualité peu répandue en France et encore moins chez les lacaniens. Yalom est demeuré ce petit garçon juif dont les parents avaient fui les pogroms dans les années 1920. Il n’a jamais très bien su d’où il venait – Russie ou Pologne sans doute -, ni pratiqué une religion. Ses parents tenaient une petite épicerie à Washington, les seuls juifs blancs dans un quartier noir. Irvin ne parlait pas à sa mère et avait peu de contact avec son père qu’il jugeait trop soumis. Bien des années plus tard quand il donnait des conférences sur la psychiatrie, sa mère quittait l’auditoire au moment des questions : elle avait peur qu’il ne trouve pas la bonne réponse. Tout ce qu’il dit avec une simplicité émouvante dans ce film pourrait s’adresser à sa mère.  » Tu vois, maman, nous sommes tous embraqués sur le même bateau, nous sommes tous confrontés à notre disparition et nous nous demandons quel sens ce voyage incertain a bien pu avoir. »

Quand il l’a découvert, il a pleuré. Tout ce que je viens de raconter là fera sans doute ricaner des psychanalystes français. Il y a une forme d’humanité qui vaut toutes les acrobaties intellectuelles. Irvin Yalom l’incarne dans ce documentaire par ailleurs trop lisse et trop convenu. Et si l’on pouvait définitivement arrêter de filmer les bas-fonds marins pour évoquer les forces obscures de l’inconscient, quel soulagement ce serait !

Irvin Yalom, la thérapie du bonheur, 1 h 40, 2015.

Afghanistan: relevons les défis

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Une tribune libre de Marine Le Pen, député du Pas-de-Calais, présidente du Rassemblement national


La débandade américaine en Afghanistan n’est pas seulement une défaite militaire et politique d’une ampleur comparable à la chute de Saïgon ou à l’accession au pouvoir des ayatollahs iraniens, cet abandon est aussi un naufrage moral et humain. 

Alors que l’islamisme était défait en Syrie, la victoire des talibans va finir d’ébranler les chancelants États de l’Afrique subsaharienne guettés par la constitution imminente d’un califat africain.

Deux menaces immédiates planent sur l’Europe : une menace migratoire avec une vague prévisible de réfugiés et une menace sécuritaire avec une réactivation du terrorisme islamiste par des éléments dormants ou infiltrés dans le flot des réfugiés.

Oser nommer et affronter les problèmes

La question terroriste est bien connue et la solution existe, pour peu qu’il existe une prise de conscience et une volonté politique. Elle n’est rien d’autre qu’une guerre qui nous est menée par une idéologie conquérante et meurtrière mue par l’ambition d’une hégémonie mondiale. Elle appelle de bannir tout esprit munichois et, en pratique, à mettre en œuvre une législation adaptée, c’est-à-dire une législation de guerre.

Face aux flots annoncés de réfugiés, le gouvernement comme l’UE n’envisagent, d’entrée, qu’une seule et unique solution, la grande migration vers l’Europe, cet eldorado qui n’en est plus un.

Refuser les solutions irréfléchies 

Face au drame de l’Afghanistan, nos pays seraient ainsi condamnés au choix binaire du tout ou rien : soit laisser mourir des réfugiés, soit accueillir chez nous des millions de réfugiés. Dans les deux cas, ce serait une faute morale.

Certes, nous devons penser au présent et offrir des solutions qui permettent une mise à l’abri rapide des personnes réellement menacées. Pour être efficace et rapide, ce secours pour les réfugiés doit s’effectuer au plus proche des frontières de l’Afghanistan et être accessible par des couloirs humanitaires. 

Mais, il nous faut aussi croire en l’avenir, c’est-à-dire penser que le régime des talibans ne durera pas et que ceux qui le fuient puissent garder l’espoir de revenir chez eux, sur leurs terres, sur la terre de leurs ancêtres.

Le projet « Asilias »

La solution qui concilierait les exigences apparemment contradictoires entre l’abandon et la migration serait la constitution de zones de protection, en pratique des cités d’accueil à la périphérie de l’Afghanistan à l’instar des «Asilias » décrites par Adjieedj Bakas [1], un intellectuel néerlandais de renom. 

Les emprises foncières de ces sanctuaires humanitaires seraient louées pour 30 ans aux pays d’accueil limitrophes de l’Afghanistan par la communauté internationale ; les puissances disposant de ressources – USA, UE, Japon ou pays du Golfe – seraient mises à contribution soit financièrement, soit par la fourniture de matériaux de construction, soit par la mise à disposition de coopérants. 

Instruction, formation professionnelle, activités économiques seraient pilotées et financées par l’aide internationale. Ces villes disposeraient d’écoles, d’installations médicales, d’entreprises agricoles, artisanales ou même industrielles. Après y avoir trouvé un accueil immédiat, les réfugiés y trouveraient un logement qu’ils aideraient à construire, un emploi, une sécurité de vie, et surtout, l’espoir de retrouver un jour leur pays. 

Sauf secours d’urgence, rien n’y serait gratuit. L’idée serait d’y faire émerger une véritable économie pour des personnes qui, par dignité et réalisme, n’auraient pas vocation à vivre éternellement de l’assistanat mondial.

La question des réfugiés n’est pas nouvelle mais son ampleur prévisible exige de sortir des solutions malavisées dans leur mise en œuvre ou leur application. Les réponses à la question des réfugiés sont prioritairement régionales.

Le projet « Asilias » doit être mis en œuvre aujourd’hui pour l’Afghanistan et la France doit prendre les initiatives diplomatiques en ce sens. Il trouvera très vite à s’appliquer à cette Afrique qui saigne et voit mourir ses enfants sur les routes et sur les mers de l’Europe. 


[1] « Blanc foncé : comment sera le monde après l’ère corona. »

Petit abécédaire des idées reçues

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Image d'illustration Pixabay

De A à Z


Au roman Bouvard et Pécuchet publié après sa mort, « véritable encyclopédie de la bêtise humaine » selon l’auteur, Flaubert aurait adjoint un Dictionnaire des idées reçues. À sa manière, il est tentant d’esquisser un abécédaire de quelques idées reçues de notre époque. 

Ludiques ou idéologiques, simples clichés ou carrément fascistes, les mots reflètent l’air du temps mieux que tout discours. 

AFFINITES : et plus, si affinités. ARABE : Sans les traductions arabes, comment connaîtrions-nous Aristote ? BIKINI : Atoll du Pacifique. Ne pas confondre avec burkini. Une femme « en itsy bitsy tout petit bikini » pour désigner une bombe sexuelle (sens vieilli). BOULGI-BOULGA : chez les cathos, désigne l’avis du CCNE sur la loi bioéthique. CANCEL : Cancel Culture, quand tu nous tiens ! CARABISTOUILLE : Fake news belge. En vogue chez certains philosophes et politiques. (syn : galéjades). CHIFFRE (arabe sifr) : romain, disparaît des musées. Charles 10. CHRISTIANISME : en voie d’extinction depuis deux mille ans. CLITORIS : gagne à être connu. Le clitoris du parvis des Droits de l’homme. CONTI  (Quai de) : connu pour sa vieille dame. CORPS : Le vôtre vous appartient. Habeas corpus. COVID (nom fém.) : l’Arlésienne aux mille et un variants. DAMAS : Paul, le foudroyé de Damas. EPICENE : on l’est sans le savoir. ERRATIQUE (parler chic) : une politique erratique. FAIRE (vulg.) : faire famille, faire nation, faire église. FOI : perdue à la puberté, se retrouve, après une crise mystique, quand on a été enfant de chœur. FRAGILE (pl.) : les enfants, les sans-abri, les migrants, les assassins présumés, les pauvres d’esprit. « Je pense aux plus fragiles » : phrase obligée de tout discours politique, religieux, sanitaire. GAZELLE : toujours pudique. Synonyme : violette. GENRE : ignoré du turc. Être genré : avoir du chien.  HERITAGE : Fait pour être dilapidé : héritage gréco-romain. HOMME : Qui vous dit que je suis un homme ? HUMAINS : les droits humains, par analogie avec les droits des animaux. HUMANISME : athée, toujours un drame. HUSSARDE (à la hussarde) : manière cavalière de faire l’amour. Seul emploi féminin admis par l’Académie. IDENTITE : tabou. Voir Z.IMPROBABLE : flou artistique, inattendu. Un mari, un parapluie improbables. INCONTOURNABLE : toujours avec sujet. Un sujet incontournable. INNOCENT : toujours présumé. INTERSECTIONNALITE : a tué le féminisme en l’enfermant dans ses contradictions. LESBIENNE : une écriture lesbienne. ŒDIPE :  le complexe a fait long feu. Oedipe Reine. PATRIARCAL(E) : société. Subsiste dans les départements amazoniens de l’EHESS. PAPA/MAMAN : Le papa de l’acteur P. est décédé. La chanteuse Mylène, âgée de 80 ans, pleure la mort de sa maman. PERLIMPINPIN (onomatopée) : La fermeture des frontières est de la poudre de perlimpinpin. PROBLEMATIQUE : la problématique de votre fuite d’eau a été résolue par La Brigade des Fluides. PROGRES : ne s’arrête jamais aux passages à niveau. QUEER : (religion) Entrer en queer. REGLES : discriminantes. La Ministre à l’Égalité a levé le tabou des règles. RELIGION : toujours en sortie : La sortie de la religion. RESSENTI : supérieur à la température réelle. Fig. Le ressenti après un meurtre. SEXE : refuser toute assignation. SYSTEMIQUE : caractérise les maux français. START-UP (vieilli) : L’Académie recommande  « jeune pousse ». VAGIN : voué au monologue. VALEURS : Les valeurs de la République. « Vous et moi, nous n’avons pas les mêmes valeurs » : slogan publicitaire des rillettes Bordeau Chesnel. VIOL (agric) : La culture du viol. WOKISME : « Vous chantiez ? J’en suis fort aise / Eh bien, Wokez maintenant ! » La Fontaine. Z : désir qui monte en puissance. Les Z célèbres : Zadig et Voltaire, Z. Marcas. Z/S., Zazie dans le métro, Zoo (ou la troisième Héloïse).