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La France: un Far West sans shérifs?

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Notre chroniqueur voit dans les émeutes urbaines récentes à Limoges ou à Nîmes du droit commun qui sent le soufre de la guerre civile. Il souhaite que les personnes interpellées dans une foule menaçante puissent plus efficacement être sanctionnées.


Dans les titres qu’on choisit, on a le droit d’exagérer. À vrai dire, je me demande si mon interrogation est outrancière et provocatrice ou si elle annonce un pire dont aujourd’hui nous n’avons qu’une faible idée.

La France hors de contrôle

Ce qui s’est passé à Nîmes et tout récemment à Limoges, puis à Béziers, ne relève plus, en effet, de la délinquance ordinaire avec le sentiment rassurant que celle-ci peut être d’une certaine manière maîtrisable et que l’impuissance de l’État et des forces régaliennes n’est pas fatale.

Le maire de Limoges Émile Roger Lombertie a tout dit au sujet de la prise de possession, dans la nuit du 18 juillet, des environs de sa ville et de la RN 41 par une centaine de voyous cagoulés et armés s’en prenant à des automobilistes et à la police. Sans mobile particulier sinon montrer physiquement qu’ils étaient le pouvoir et qu’ils constituaient un groupe qui ne dépendait nullement de nos règles ordinaires et de notre si piètre démocratie. En s’abandonnant à la pure jouissance d’une malfaisance sans contrôle. L’édile y a vu en effet une manière « de vouloir simplement montrer que le territoire leur appartient[1] ».

Cette dénonciation est à peu près applicable à toutes ces violences collectives urbaines ou périphériques, à ces émeutes dont la motivation, derrière des ressorts apparents, est de manifester à quel point ces bandes sont de plus en plus conscientes de leur impunité et donc d’une arrogance agressive sans pareille.

On a totalement changé de registre. Sinon dans l’inexorable montée des délits et des crimes, du moins dans l’invention de plus en plus perverse, sadique et spontanée de modalités qui font apparaître la délinquance d’hier comme presque rationnelle et humaine. C’est du droit commun qui sent le soufre de la guerre civile.

La peur a changé de camp

Rien ne serait pire, comme la routine intellectuelle nous y entraîne, que de ne pas prendre la mesure de ce qu’il y a de terriblement nouveau dans les malfaisances qui surgissent au fil du temps.

D’abord un changement radical du rapport de force. On ne résiste plus au policier, c’est le policier qui dorénavant résiste au délinquant. Ce dernier a pris la main. Il n’attend plus d’être interpellé, il prend les devants. Le fonctionnaire de police est un ennemi auquel on tend des guet-apens, qu’on veut blesser, qu’on souhaite tuer.

Ensuite l’amplification des violences, des dégradations et des dévastations de groupes parce que l’union fait la nuisance maximale et qu’avec notre système de preuve infirme, elle protège chacun des transgresseurs derrière le caractère indivisible du collectif. Ce qui explique le peu de personnes déférées et la plupart du temps, quand elles existent, les sanctions ridicules – sursis ou travail d’intérêt général.

Enfin la quasi-abolition de la distinction entre mineurs et majeurs, les premiers participant de plus en plus activement, et de plus en plus précocement, aux violences, aux homicides, aux assassinats commandés et au narcotrafic.

Je ne suis pas de ceux qui s’abandonnent aux trop faciles « il n’y a qu’à, il faut qu’on », précisément parce qu’ayant été magistrat durant quarante ans et plus de vingt ans pour les affaires les plus graves, je sais que tout ne s’apaise pas, ne s’éradique pas, avec un claquement de doigts.

Darmanin et Retailleau face au mur

Je ne suis que trop sensible à ce paradoxe saumâtre qui nous permet d’avoir un couple régalien de qualité et accordé, dont la bonne volonté, la compétence, la philosophie et l’énergie sont irréprochables mais qui paraît ne pas avoir la moindre influence sur le cours sombre de la vie sociale, sur la multiplication, avec des originalités atroces, des crimes et des délits. Comme s’il était impossible, même pour l’action politique la plus déterminée, de pouvoir peser sur ce qui au quotidien affecte, vole, blesse ou tue nos concitoyens.

Nous pouvons considérer, pour reprendre la métaphore de mon titre, que nous avons deux shérifs ministériels qui font tout ce qu’ils peuvent. Mais avec ce handicap que le shérif suprême, le président de la République, est plus un frein qu’un aiguillon.

Par ailleurs, au risque de contredire les adeptes d’un État de droit intangible, il conviendrait, essentiellement en matière pénale, de modifier celui-ci pour que, confit dans sa solennité, il ne regarde pas passer les infractions contre lesquelles il ne peut plus grand-chose. Qui n’a pas constaté que la preuve singulière et l’individualisation des peines sont aujourd’hui le moyen le plus pervers pour entraîner les pires injustices, les laxismes les plus choquants ou même les relaxes les plus discutables ? Ne faudrait-il pas s’arrêter à un régime où les infractions seraient seulement évaluées au regard de leur gravité intrinsèque ?

Sa simplification devrait nous faire sortir, police et gendarmerie ainsi que magistrats prioritairement concernés, de la bureaucratie, de procédures et d’une justice de papier pour que soit restauré le temps utile des enquêtes, une justice des visages, le dépassement des formes accumulées comme par plaisir, afin de retrouver des voies plus rapides et plus efficaces pour découvrir la vérité.

Il ne serait pas iconoclaste non plus de fixer comme objectif principal à l’institution judiciaire de faire juger immédiatement tous les dossiers, quelle que soit leur nature, quand la cause est entendue et la vérité indiscutable. Pour les autres qui seraient à élucider, on aurait les processus classiques.

On ne peut passer sous silence le fait que le bras armé de la Justice et de la démocratie – les forces de l’ordre de plus en plus sollicitées mais de moins en moins soutenues – est placé systématiquement en état de faiblesse, et d’abord à cause d’une présomption de culpabilité pesant sur elles de la part de l’extrême gauche et de médias engagés.

La question de la légitime défense des forces de l’ordre toujours sur la table

Surtout parce que les forces de l’ordre n’ont jamais le droit, alors que de multiples situations d’intimidation, d’attaque, de provocation, de résistance et de guet-apens le justifieraient, d’user de la plénitude de ce que la loi leur offre comme pouvoir, latitude et riposte, notamment pour la légitime défense. Je n’ose imaginer les controverses qui seraient engendrées par le seul fait d’une police parfaitement républicaine mais aussi forte que la quotidienneté l’autoriserait à être.

Cette décivilisation, cet ensauvagement, ce saisissement qui nous pétrifient chaque jour, dans les campagnes et dans les cités, sont ceux qui ont défiguré notre France en un Far West où nos shérifs, quelles que soient leur conscience et leur obsession d’être utiles, sont tragiquement démunis pour défendre la majorité des honnêtes gens.

Nous sommes dans un monde où le délinquant a moins peur de commettre le mal que nous de le sanctionner. Délinquant dont la condamnation est rarement assez sévère pour lui faire oublier la volupté de la transgression d’hier et ne pas lui faire espérer celle de demain. La société est seule perdante.


[1] https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/limoges-en-pleine-nuit-une-centaine-dindividus-masques-sen-prennent-aux-forces-de-lordre-38584aae-649d-11f0-8d96-1f3c0ceaabc2

Sophia, Najat, honneur et déshonneur

Alors que certains s’étranglent de voir Sophia Aram récompensée, bien qu’elle ne suive pas la voie tracée par l’islamo-gauchisme (alors qu’elle est de gauche et a tout de même des origines maghrébines), d’autres hurlent au scandale en voyant Najat Vallaud-Belkacem rentrer à la Cour des comptes. Commentateurs et éditocrates sortent les tests PCR idéologiques.


Sophia Aram, donc, a été promue dans l’ordre de la Légion d’honneur au grade de chevalier (Merci de saluer la formulation que j’adopte afin d’échapper aux injonctions de la pitoyable dictature inclusive qui aurait exigé le féminin chevalière).

Sophia Aram, qui a plus d’une corde à son arc, est surtout connue en tant qu’humoriste. Et c’est en particulier sur les ondes du service public, à France Inter, qu’elle intervient. Selon moi, ce qui la distingue de la plupart des autres humoristes, notamment ceux qui officient sur ce même service public, c’est qu’elle, au moins, est drôle. Drôle et libre d’esprit. Notable exception dans ce petit marigot.

Mauvaise chapelle

Toujours à mon humble avis, qu’elle sache être drôle sur ces ondes-là justifiait amplement, à soi seul, qu’elle fût décorée de la Légion d’honneur. On l’eût faite d’emblée Grand Croix que je n’aurais pas vraiment trouvé à y redire, tant la performance me semble relever de l’exploit et de l’exception.

D’ailleurs, dans un article publié en 2023, Libération apportait en quelque sorte de l’eau à mon moulin, livrant de Sophia Aram un portrait des plus flatteurs, quasiment une bénédiction, un appel à canonisation. Elle donne « des coups à l’extrême droite, à l’extrême gauche, écrivait le quotidien, aux religieux, islamistes en particulier, aux gilets jaunes, aux antivaccins, à Raoult, à Bolloré et à ses affidés. » Découvrant ces lignes, on pouvait penser que la décoration était en très bonne voie. Ou en tout cas, d’ores et déjà légitimée.

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Deux ans ont passé et, aujourd’hui, l’attribution du ruban en défrise quelques-uns. Pascal Boniface, notamment, monté en première ligne, bouche amère, nez pincé. Passé maître dans l’art toujours si plaisant de la mauvaise foi, le censeur s’interroge. Ce n’est pas qu’il se permettrait de remettre en cause l’attribution en question, non, pas du tout, mais tout de même, s’émeut-il, la récipiendaire ne serait-elle pas un peu trop engagée ? Je veux dire, engagée dans la mauvaise chapelle ? Rendez-vous compte, elle ne sent pas obligée de hurler au génocide comme tout le monde-qui-pense-comme-il-faut, d’applaudir à la virée en barcasse des Thunberg et Hassan, de voir dans la moindre critique de l’islamisme une hystérique poussée d’islamophobie. Pas obligée non plus de chanter à l’unisson de sa corporation d’artistes lorsqu’elle reçoit, en 2023, le Molière de l’Humour, dénonçant « le silence assourdissant du monde de la culture » sur le carnage terroriste antisémite du 7-Octobre perpétré par le Hamas au nom de la cause palestinienne.

Là, voyez-vous, M. Boniface s’étrangle. Il trouve lui que, au contraire, on en a beaucoup parlé. Trop peut-être ? Sauf que la fringante moliérisée avait pris soin de préciser qu’elle visait le monde de la culture, le sien. Ce que bien entendu, le sourcilleux contempteur s’empresse de négliger. Or, s’il est une chose avérée, c’est bien celle-là. Bien peu de cœurs ont saigné sur les martyrs du 7-Octobre dans ce microcosme. Ou si certains ont saigné, ce fut dans la plus remarquable des discrétions.

En fait, confondant de candeur, ce que M. Boniface trouve à redire à la promotion de Sophia Haram, tient en quelques mots, d’une banale évidence, et que d’ailleurs il lâche en fin de déclaration. On ne devrait décorer que des personnes investies dans la défense des droits de l’homme. Droits de gauche et homme de gauche, bien entendu. En clair, à l’écouter, Sophia Aram présentait à peu près toutes les vertus d’engagement requises pour être honorée de la Légion d’honneur, sauf qu’elle se serait trompée de monture. Il fallait choisir la mule bien grasse du conformisme. Elle préfère caracoler sur la licorne de la liberté. Dommage pour M. Boniface.

Surprenante nomination

Par chance, l’actualité lui apporte sur un plateau matière à consolation. La surprenante, oui, la très surprenante nomination de Najat Vallaud-Belkacem à la Cour des Comptes. Voilà en effet qui doit le ravir. Elle au moins se situe dans la bonne mouvance. Cela dit, on ne peut s’empêcher de penser au Figaro de Beaumarchais, à propos d’une place en vue: « Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint ». En effet, on ne voit pas bien quels seraient, dans son parcours, les éléments de compétences indiscutables qui auraient prédisposé l’heureuse nommée à ce genre de poste. On n’en voit pas davantage d’ailleurs dans son bilan de ministre, par exemple.

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Mais, à l’instar de M. Bayrou, lui-même Premier ministre de rencontre, il se peut que, dans la macronie agonisante, gagnée un peu plus chaque jour par la panique, l’incompétence – ou, esprit d’indulgence oblige, la non-compétence – soit devenue le critère majeur permettant d’accéder aux plus hautes fonctions. À cet égard, on réalise mieux à présent que la tout aussi incongrue nomination de M. Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel ne faisait qu’ouvrir le bal. Le bal des copains à recaser, bien sûr. Et ça en fait, du monde…

30 GLORIEUSES - LA DÉCONSTRUCTION EN MARCHE

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Histoire géo: un cours magistral!

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Bien des considérations de Vers l’armée de métier n’ont pas pris une ride. Mais le style littéraire de l’essai publié en 1934 n’existe malheureusement plus.


Le livre paraît en mai 1934. Il est signé Charles de Gaulle. Deux ans plus tôt, le futur grand homme, qui n’était alors que commandant, avait donné un essai baptisé : Au fil de l’épée. Mais comme l’observe Hervé Gaymard, notre ancien ministre de l’Economie démissionnaire (cf.  « l’affaire Gaymard », en 2005[1]), désormais membre de l’Institut et président de la Fondation Charles-de-Gaulle, dans la longue présentation qui introduit au texte de Vers l’armée de métier : « c’est le géographe et le géopoliticien de talent qui s’affirme, servi par un style dépouillé et affermi, qui peut rappeler quelques belles pages de Julien Gracq, ce grand paysagiste de la littérature française ». Très utilement annotée par les soins scrupuleux d’Hervé Gaymard, complétée en annexe par le Mémorendum adressé par le colonel De Gaulle à l’état-major et aux autorités, en janvier 1940, la présente édition atteste, s’il en était besoin, de la hauteur de vues de l’homme d’Etat féru d’histoire et de géographie, qui est déjà là tout entier, en puissance.  

Pages prémonitoires

Le lecteur de 2025, instruit qu’il est, rétrospectivement, par la suite des événements, n’a pas, à l’évidence, la même lecture de ces pages prémonitoires que celui, non prévenu, de l’entre-deux guerres, dans un temps où rien n’est encore joué, la France se berçant d’illusions sur sa propre capacité de résistance face aux naissantes revendications territoriales du Führer, à la tête d’un Troisième Reich à peine éclos.

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En fait, à distance de près d’un siècle, encore davantage que sa dimension visionnaire, confirmée à foison par les événements, frappe surtout la sublimité de cette prose. La plume oraculaire du « Général », âgé alors de 44 ans –  le grand Charles n’accèdera au grade de colonel que le 25 décembre 1937 – se hisse d’emblée à ces hauteurs vertigineuses où s’essore dans la moindre ligne la tradition multiséculaire du Grand style mémorialiste, de Saint-Simon à Chateaubriand. La phrase gaullienne est déjà achevée, dans ses périodes, ses élans, ses chutes, son tempo – partition de haute maîtrise. Des exemples ? Sur l’Italie fasciste : « Mais, dans la Péninsule, un grand Etat s’est formé que sa fièvre de croissance jette en des cauchemars d’Empire ». Sur la menace d’invasion : « Où qu’elle passe, la frontière franco-allemande est la lèvre d’une blessure. D’où qu’il souffle, le vent qui la balaie est gonflé d’arrière-pensées ».[…] « Mais il a disparu, cet échiquier d’une partie classique où, combinant la force et l’intrigue, nous tenions en suspens la fureur des Teutons ». Ô Corneille, l’écho de tes alexandrins résonne jusque dans nos bois !

Envolées

Ordonnancée en deux grandes parties, l’admonestation gaullienne en faveur d’une réforme urgente de l’appareil militaire français, fondée sur la professionnalisation, la spécialisation, le réarmement de nos forces en engins offensifs, véloces, motorisés plutôt que sous la forme de fortifications défensives (la fatale Ligne Maginot), avant de détailler le « Comment ? », introduit sous l’intitulé « Pourquoi ? » une longue remise en perspective, aussi belle que le demeurent devant l’Eternité certains sermons de Bossuet, telle déploration des Mémoires d’outre-tombe, un envoi de Victor Hugo ! On y voit décrite l’Allemagne, « force de la nature à laquelle elle tient au plus près, faisceau d’instincts puissants mais troubles, artistes nés qui n’ont point de goût, techniciens restés féodaux, pères de famille belliqueux, restaurants qui sont des temples, usines dans les forêts, palais gothiques pour les nécessités, séparatistes obéissants au doigt et à l’œil, chevaliers du myosotis qui se font vomir leur bière, route que Siegfried Le Limousin [allusion à un roman de Giraudoux] voit épique le matin, romantique le soir, océan sublime et glauque d’où le filet retire pêle-mêle des monstres et des trésors, cathédrale dont la nef polychrome, assemblant de nobles arceaux, emplis de sons nuancés, organise en symphonie, pour les sens, pour la pensée, pour l’âme, l’émotion, la lumière et la religion du monde, mais dont le transept obscur, retentissant d’une rumeur barbare, heurte  les yeux, l’esprit et le cœur ».  Il fallait tout de même oser de telles envolées, dans un essai argumenté pour que des décisions soient prises sans délai !  

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Aux actuels graphomanes de rapports prospectifs sous licence de l’Union européenne, la littérature, placée à cette altitude, pourra-t-elle enseigner jamais l’art du rythme ternaire et de la péroraison ? Sait-on jamais. Toujours est-il qu’à relire les classiques – et De Gaulle en est un, définitivement – on gagne à prendre un peu de distance par rapport à l’aveugle précipitation des événements. Bien des considérations, dans ces pages, n’ont pas pris une ride : « Le monde retentit de clameurs : ‘’Le tort qu’on m’a causé, l’injustice qui m’est faite, la place qui me revient ‘’. Et, dans le même temps où nous prétendons mettre la guerre hors-la-loi, où nous affectons d’effacer le glaive de l’Histoire et jusque des monnaies, ailleurs on acclame la force, on proclame bonne et nécessaire la nostalgie du danger, on exige des armes, on se groupe en milices, cohortes, sections d’assaut. Où donc est la digue du torrent ? ».      

 A lire : Vers l’armée de métier, de Charles de Gaulle. Perrin, 264p.

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[1] Le 15 février 2005 un article du Canard enchaîné révèle que Hervé Gaymard loge dans un duplex parisien de 600 m2 payé 14 400 euros par mois par l’État. Le 16 février 2005, Hervé Gaymard déclare qu’il quitte l’appartement en question.

D’un canapé à un fauteuil

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Monsieur Nostalgie continue sa série d’été consacrée aux auteurs vivants et indispensables. Il s’intéresse aujourd’hui à Olivier Barrot, ce cousin d’Amérique, cinéphile et voyageur qui, du journalisme de télévision à l’écriture de romans sensitifs a creusé le sillon d’une mélancolie élégante. L’immortalité le guette…


Dans la vie d’un écrivain, soyons plus humble, disons d’un auteur débutant, il y a des étapes qui marquent, qui solidifient une carrière, qui valident un choix hasardeux fait à l’âge de vingt-cinq ans dans l’innocence béate de la création. On se croit créateur, invincible comme Obélix, à cet âge-là ; la maladie et le doute n’atteignent pas les rêveurs du livre. Car le livre se rêve plus qu’il ne se réalise. C’est une chimère. Alors, on se fait des films, on suppute des succès d’estime qui se transformeront en rentes viagères. On thésaurise sur un maigre talent, parce qu’un jour, nous avons articulé une phrase pas trop mal balancée et qu’un aîné nous aura félicité. La mauvaise graine était semée. Le vice de l’écriture est un chiendent tenace qui grippe les meilleurs cerveaux. On s’inventera alors des succès et des admiratrices, des conférences à l’étranger et des breloques au veston. Les prix d’automne seront à une poignée de main, il nous suffira de nous baisser pour les ramasser et les avances girondes à cinq chiffres pleuvront sur nos comptes en banque épars. Nous nagerons en plein ruissellement.

Nos mères, circonspectes par nature, provinciales que personne ne dupe, auraient préféré que l’on ouvre cette étude notariale ou que l’on boursicote sur les marchés asiatiques. Certainement pas que l’on écrive des romans sans histoire et des essais sans thème. Nous aurions dû les écouter. Mais, à la vérité, il ne suffit pas d’écrire pour exister, encore faut-il être publié pour valider cette orientation douteuse qui ne fait pas l’unanimité autour de nous. La parution ne garantit aucunement la reconnaissance, ni même un lecteur égaré dans les rayons d’un supermarché. Le silence gênant qui entoure la sortie d’un texte est le lot de tous les apprentis baladins de notre espèce. Jadis, Bernard Pivot matérialisait la réussite en vous invitant sur son plateau ; en une soirée, il asseyait votre statut véritable d’écrivain et vous permettait le lendemain matin d’être salué par vos anciens professeurs sur un marché du Berry alors que jusque-là, ils vous ignoraient magistralement et se gaussaient de cette soudaine envie d’écrire chez un individu qui ne brillait ni par son intelligence, ni par ses carnets scolaires. On l’oublie, Pivot ne fut pas le seul Monsieur livre du poste. Pendant presque trente ans, du début des années 1990 jusqu’à 2018, un autre journaliste-producteur, érudit cinéphile, croqueur de mots tendres, capteur d’images sépia, professeur de New-York à la rue Saint-Guillaume, avait pris son relais cathodique. Il rendait compte de l’actualité littéraire chaque jour de la semaine dans un programme court. « Un livre, un jour » d’Olivier Barrot durait peu, moins de cinq minutes et imprégna fortement toute une génération de lycéens fascinée par sa diction et sa bibliothèque.

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Bien plus tard, j’eus la chance de faire partie de son casting. C’était ma médaille de la Libération. Il y avait d’abord ce générique hypnotique, sorte de sas spatiotemporel étrange, qui nous sortait des grilles hurlantes et des animateurs gueulards, puis la voix d’Olivier, posée et délicate, enjouée et fluide, un délice d’Ancien régime par sa précision et son onde partageuse. La voix la plus littéraire du PAF par la richesse de ses arcanes. Une assurance qui n’aurait pas totalement annihilée une tristesse lancinante. Je m’explique : la voix d’Olivier véhicule des entrelacs, des tourbillons, des arrière-scènes et des élans qui constituent, à mon sens, la matière première, l’humus de la littérature. C’est à la fois un grenier à souvenirs et une porte sur l’aventure. Sa voix lève le rideau sur les présentiments. Nous l’aurions écouté des heures. Il parlait des livres dans une langue charnue et claire, c’est-à-dire sans prétention, sans esprit de caste. Ses goûts n’étaient pas déterminés par les aléas du monde et les modes faisandées. Il choisissait, il piochait dans le patrimoine, pouvant mettre en lumière un primo-romancier ou s’enthousiasmer pour la réédition d’un styliste oublié. Il n’était d’aucune brigade intellectuelle, d’aucun parti-pris, seul le plaisir gourmand des mots avait droit de cité chez lui. Son émission fut notre cabane au Canada. Dans une société qui commençait à se fragmenter ; sans militantisme, sans folklore mielleux, il prônait la liberté du beau texte. L’émission connut des horaires et des décors différents au fil des années et au gré des présidences, mais l’animateur résista à la vulgarité ambiante. Cette bulle hors du temps, souvent diffusée en fin d’après-midi sur la « 3 », était un rendez-vous à la Truffaut. Malgré le format comprimé, à chaque fois, on y puisait une source d’émerveillement,

Olivier incarnait, incarne la littérature dans ce qu’elle a de plus vivace et intemporelle. Son visage m’était familier, je l’avais déjà vu à l’heure du déjeuner sur Canal + parlant de voyages dans une Grande Famille au temps où cette chaîne cryptée avait des audaces. J’avais suivi également l’épopée éditoriale Senso pleine de panache et de champagne avec le camarade Thierry Taittinger. Ces seigneurs de la presse magazine pouvaient s’enorgueillir de faire travailler des écrivains avant qu’ils ne deviennent des parias. J’ai d’abord fréquenté l’homme d’images de mon canapé avant de lire l’écrivain pluriel qu’il est, féru de salles obscures, de revues littéraires et de figures méconnues. Il m’a instruit. Sa stèle littéraire à Gérard Philippe reste inégalée, et surtout j’ai aimé ses romans de la dernière période, tous édités chez Gallimard (Mitteleuropa, Boréales, Les Voyages de Feininger, Vaisseau fantôme, Portrait d’Itkine), il y condense pudiquement toutes ses échappées intimes. Barrot est un dentellier, il ne vocifère pas, il avance mezza voce, peu importe le genre, carnets, portraits, fictions, il brode une tapisserie des âges immémoriaux. Maintenant que je l’ai beaucoup regardé de mon canapé, je souhaiterais le voir prendre de la hauteur, par exemple, dans un fauteuil, quai de Conti.

Il y a une vie après l’Assemblée…

Pendant que le Conseil constitutionnel censure une grande partie de la loi sur la justice pénale des mineurs, rappelant qu’il vaut mieux « éduquer » que « sanctionner », l’Assemblée nationale s’écharpe sur la possibilité de marier ou non les clandestins sous OQTF… Bienvenue en absurdie !


La gifle

Vous avez évidemment vu cette vidéo de la « gifle » donnée par la première dame à son époux de président. D’abord paniqué par l’emballement des réseaux sociaux, l’Élysée a commencé par évoquer « un possible trucage » de la vidéo. Encore un coup de l’intelligence artificielle ! La vidéo provenait pourtant de l’agence Associated Press. Il a donc fallu revoir la copie. On a alors eu droit à un « moment de complicité » entre Brigitte et Emmanuel Macron. Plutôt cocasse… Si je reviens sur cet épisode, ce n’est pas pour ricaner. Ni pour monter l’histoire en épingle. Une dispute dans un couple, ça peut arriver à tout le monde. Non, le problème, c’est le mensonge de l’Élysée. Qui pourra croire, après de semblables revirements, les accusations régulières de l’Élysée contre les « complotistes » et autres actions de déstabilisation menées, notamment, par la Russie ? Le président joue un jeu dangereux. Voltaire disait déjà que « la politique est l’art de mentir à propos ». On dirait bien qu’Emmanuel Macron a définitivement perdu le sens du timing

OQTF

Puisqu’on parle « timing », Laurent Wauquiez et ses députés LR semblent avoir un petit problème… Quelle mouche les a donc piqués pour être si peu nombreux à l’Assemblée nationale le jour de l’examen de la proposition de loi permettant à un maire de ne pas marier un étranger en situation irrégulière ? Bonjour la solidarité ! Un sacré manque de jugeote et une belle boulette… Rien d’étonnant en revanche dans l’attitude grotesque des députés LFI (et plus généralement le côté gauche de l’hémicycle) qui ont fait de l’obstruction toute la journée pour empêcher que le texte soit voté… Deux beaux exemples de politique politicienne au ras des pâquerettes. Qui a parlé d’intérêt général ?

Racailles

Deux morts et 563 interpellations après des violences et des pillages en marge des « célébrations » de la victoire du PSG en Ligue des champions. Les individus interpellés avaient, selon le préfet de police de Paris, un point commun : « la volonté d’en découdre, de casser, de détruire, et ce, peu importe le résultat du match », puisque la plupart d’entre eux ne le regardaient même pas. Les condamnations paraissent peu sévères compte tenu de l’ampleur des faits et des dégâts causés lors de cette soirée du 31 mai. Mais très vite, on entend qu’il faudrait faire un distinguo entre les « vrais » supporters et les autres. Bref, entre les gens bien et les racailles. Le foot m’intéresse peu, mais j’aimerais savoir : les supporters du PSG qui descendent sur la pelouse du stade de Munich pour arracher des morceaux de la pelouse, on les classe dans quelle catégorie ?

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Conclave

Non, je ne vous parlerai pas du pape Léon, mais bien des retraites et du Rassemblement national. Pourfendeur de la réforme, on avait assisté entre les deux tours des élections législatives « post-dissolution » à des revirements sur le sujet de la part de Jordan Bardella. « Nous verrons. […] On va devoir réparer les bêtises économiques qui ont été faites… », avait-il alors déclaré. Des déclarations bien plus mesurées qu’une année auparavant, quand il trouvait que « la retraite, ce n’est pas de la comptabilité, comme le considère le gouvernement, c’est un choix de société. » Depuis, l’inéligibilité de Marine Le Pen étant passée par là, on sent le parti encore plus frileux… « Le moment de vérité pour la censure, ça va être le budget » a déjà prévenu Jordan Bardella. En clair, pas le conclave des retraites, quelle que soit son issue. Bah oui, ils auraient l’air de quoi au RN, s’ils votaient la censure et que s’ensuivait une nouvelle dissolution ? Marine Le Pen ayant passé le flambeau de la présidence du parti à son jeune ex-protégé, puis perdu son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais, il ne lui reste plus que celui de député pour exister… Et si la peine infligée à la patronne du RN pour détournement de fonds publics est confirmée, cela veut dire cinq années sans élection… Loin des yeux, loin des cœurs ?

Alzheimer ?

Après le meurtre au couteau d’une surveillante par un élève de 14 ans au collège de Nogent (Haute-Marne), Emmanuel Macron a réagi, sur France 2, en proposant une nouvelle fois l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. J’ai dû mal entendre… Au printemps 2023, un député de la majorité présidentielle (Horizons), Laurent Marcangeli, a en effet proposé la création d’une majorité numérique à 15 ans. Sa proposition de loi a alors été adoptée à l’unanimité, et promulguée par Emmanuel Macron en juillet 2023 ! Problème, les décrets d’application n’ont jamais été pris, parce que la mesure a été jugée contraire au droit européen. Emmanuel Macron ou la mécanique enrayée…

Nouveau trophée à Béziers !

On savait déjà – n’en déplaise aux Marseillais – que Béziers est la plus ancienne ville de France. Et depuis le 27 juin, le plus beau marché de France du concours organisé par TF1 ! Mais c’est un autre record que nous battons, semble-t-il chaque année, avec notre centre pénitentiaire. En France, la consommation moyenne d’eau pour une personne est de 150 litres d’eau potable par jour. Dans notre prison du Gasquinoy, la consommation est de… 289 litres par jour et par détenu ! Presque le double ! Sans que le propriétaire de l’établissement, le groupe Eiffage, en ait encore trouvé la cause… Bonne nouvelle en revanche, le niveau scolaire de nos détenus augmente. Comme quoi, rien ne sert de désespérer.

Boualem

À l’instar de plusieurs dizaines de villes en France, Béziers a participé à l’opération nationale #JeLisSansal. Il s’agissait de rendre hommage à l’auteur franco-algérien toujours emprisonné en lisant à voix haute, durant un jour entier, une de ses œuvres. Nous avons choisi 2084, la fin du monde, grand prix du roman de l’Académie française en 2015. Une journée très émouvante, durant laquelle de nombreux volontaires se sont succédé pour lire quelques lignes – en l’absence notoire de la classe politique locale, de « très à droite » à « très à gauche ». Une journée qui a permis de rappeler que l’écrivain franco-algérien, condamné à cinq ans de prison, risque aujourd’hui de voir sa peine doubler et croupit toujours dans les geôles du régime algérien. Tout simplement « coupable » d’avoir émis une opinion qui n’a pas plu à la dictature FLN qui règne sur l’Algérie. Boualem, nous ne t’oublions pas 

Gaston sauvé des eaux

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


La journée avait pourtant bien commencé. La veille, Béa et Tio Guy, mes voisins bien aimés, avaient taillé le forsythia de mon jardin qui s’appuyait un peu trop sur notre clôture mitoyenne. En ce samedi matin-là, vif comme une épinoche, je me rendis à la déchèterie Nord d’Amiens pour y déposer les déchets verts. Alors que je brandissais ma carte d’usager sous le nez d’un employé fort aimable, fier de prouver que je ne l’avais point égarée, celui-ci me fit savoir qu’elle était devenue obsolète, et m’indiqua, non loin de la porte d’entrée, un QR code qu’il m’invita à shooter. « Ainsi, vous pourrez faire valider votre inscription », dit-il.

Rétif aux technologies et à l’informatique en particulier, je photographiais avec bien du mal l’espèce de machin à damier. « Arrivé chez vous, avec ça, vous accéderez au site et en cinq minutes vous pourrez vous inscrire », poursuivit-il en prenant ma belle petite carte en plastique, bien réelle, elle. J’en éprouvais une pointe d’émotion, moi, le boomer hostile au monde virtuel. Je me rassérénais en songeant que j’étais parvenu à capter le fameux QR code et qu’il ne me faudrait que cinq minutes pour devenir membre du très fermé club de la Déchèterie.

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Pauvre de moi ! Je ne savais pas ce qui m’attendait. Montre en main, il me fallut deux heures et demie pour parvenir à mes fins. Pas moyens d’en sortir. Une horreur ! Afin de prouver que je n’étais pas un robot, on exigea que je reconnusse sur des dizaines et des dizaines de photos-vignettes, là des vélos, là des passages protégés, là des trottinettes. Je cochais ; je cochais sans fin. Lorsque j’en avais enfin terminé, mon identité et autres informations préalablement données, disparaissaient du fumier de formulaire. Et on m’intimait l’ordre de les décliner. Deux heures et demie, oui ; c’était à devenir cinglé. Je me mis à hurler, à gémir comme un vieux daim blessé par un chasseur en veston nubuck fredonnant « Blue Suede Shoes », façon Perkins et Presley. Le site était-il en maintenance ? Rien ne l’indiquait. Etais-je victime de ma techno phobie ? Je ne le saurais jamais. Alertée par mes cris, ma Sauvageonne, plus sexy que jamais, vint à mon secours. Elle aussi peina et finit par admettre qu’il n’était pas très gentil d’avoir conçu un outil pareil. Cependant, elle parvint après bien des efforts à procéder à la satanée inscription. Pendant ce temps, je m’étais assis sur le canapé, abattu, abasourdi par le stress. Afin de me requinquer, elle me proposa de faire une promenade à pied pour redescendre.

Nous nous dirigeâmes vers le quartier Saint-Leu, dégustâmes une glace ; arrivés sur le chemin de halage, nous nous posâmes sur un banc qui contemplait la Somme de son regard de bois. Alors que je rêvassais et repensais, non sans douleur, à l’horrible site, mon attention fut attirée par un pigeon mal en point qui était en train de se noyer dans l’onde samarienne. Il s’agrippait à des îlots d’algues vertes, frappait ses ailes déplumées sur les vaguelettes. On eût dit un social-démocrate qui tentait de survivre dans une république mélenchonnisée. D’emblée, je me mis à prénommer l’oiseau Gaston. (Peut-être avais-je pensé à Gaston Defferre ?) Subrepticement, je me levai, ramassai une branche et courut pour tenter de le secourir. Ma Sauvageonne crut peut-être que j’allais me jeter à l’eau, miné par mon bad trip sur le site de la déchetterie. « Où vas-tu, vieux Yak ? » hurla-t-elle. « Je vais sauver Gaston ! », lui répondis-je. J’essayais d’abord avec la branche que je venais de saisir. Elle ne convenait pas. J’en trouvais une autre, en forme de fourche. Gaston – qui avait vu en moi son sauveur potentiel – s’agrippa à une branchette ; ainsi, je pus le remonter sur la berge. Il tremblotait, piquait du bec vers sa gorge bleutée. Je sentais son petit cœur de Sagan battre la chamade. Je finis par lui trouver une manière de cachette au creux d’une haie verdoyante, posai à ses côtés le pot vide de mon sorbet citron que je pris soin de remplir d’eau Cristaline. En revenant sur le banc au côté de ma Sauvageonne, je constatai, amusé, que ma chronique Les Dessous chics avait accueilli en deux semaines, deux pigeons en son sein. Lors du concert de l’Orchestre universitaire de Picardie n’avais-je pas observé un pigeon à une patte ? « Tu es vraiment un drôle de zèbre, vieux Yak ! », sourit ma Sauvageonne. Elle n’avait pas tort…

L’un sort de prison, les autres n’iront pas…

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Le terroriste Georges Ibrahim Abdallah va être libéré et sera expulsé vers le Liban dans quelques jours. Pourtant, ses convictions politiques seraient restées intactes. Pendant ce temps, confronté à la surpopulation carcérale, le procureur de Bobigny suspend les mises en détention jusqu’à la rentrée pour désengorger les cellules.


Le hasard judiciaire permet un rapprochement, pas si incongru que cela, entre la libération de Georges Ibrahim Abdallah après 41 années d’incarcération pour des crimes terroristes et la décision du procureur de Bobigny de limiter les détentions à cause de la surpopulation pénitentiaire.

Sur ce dernier point, je comprends mal que dans l’arbitrage à opérer entre la sauvegarde sociale et la protection des personnes d’un côté, et de l’autre le souci carcéral, on ne considère pas comme naturellement prioritaire les premières. Quel que soit le triste état de certains établissements et leur densité d’occupation, ces éléments ne devraient pas l’emporter sur le devoir de la Justice de placer au-dessus de tout la sécurité des citoyens, « la majorité des honnêtes gens ». D’autant plus que pour une fois nous n’avons pas un garde des Sceaux qui laisse ce problème de la surpopulation et la honte des trop nombreux matelas à l’abandon !

La libération de Georges Ibrahim Abdallah est tout sauf à saluer. Mais à déplorer. Sauf si on est Éric Coquerel et qu’on appartient à la mouvance qui n’a rien appris, et jamais rien renié. Pour laquelle Georges Abdallah demeure un héros.

Même au bout de 41 ans, le sang n’a pas forcément séché et l’horreur terroriste des agissements demeure.

Il convient d’autant plus de les garder en mémoire que les prémices de ce dossier ont été largement gangrenées, au niveau des réquisitions, par un Parquet dépassé et trop sensible à la raison d’État. Heureusement, Me Georges Kiejman, pour l’ambassade des États-Unis, a convaincu la cour d’assises spéciale d’édicter la réclusion criminelle à perpétuité.

Georges Abdallah, criminel atypique contestant, malgré les preuves matérielles et balistiques, avoir perpétré ces forfaits, tout en admettant sa responsabilité politique – c’est bien commode ! -, a pris acte du caractère inespéré de cette libération puisqu’il a remercié la mobilisation qui l’a permise, et donc l’idéologie qui l’inspirait.

Il y a dans cette personnalité quelque chose qui fait songer à Cesare Battisti, adulé en France par les intellectuels de gauche. Mais lui a eu le courage de détruire les illusions qu’on avait formées à son sujet. Sur le tard, il a admis sa totale culpabilité.

Georges Ibrahim Abdallah n’a rien regretté des horreurs terroristes commises et il sera donc libéré comme il est entré : en plein contentement de lui-même et de ses crimes. Susceptible, donc, d’en attiser d’autres.

Il aurait dû purger sa peine jusqu’au bout en prison.

Ayant relié Bobigny à Georges Abdallah, je ne peux que constater, sur ces deux plans, une double indulgence de type différent mais incontestable.

L’une a bénéficié à Georges Abdallah, l’autre bénéficiera aux délinquants qui n’iront pas en prison.

J’espère que la société ne trinquera pas.

Claude Simon, l’enfant du désastre

Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (3)


Ayant achevé un livre sur André Malraux, je sais que seul l’art peut tenir en respect la mort, et même la surmonter parfois. Avant de quitter Paris, et après avoir écrit un article sur Claude Simon pour Causeur de juillet-août, j’ai cherché sa tombe au cimetière de Montmartre. Il faisait très chaud et les chats ne m’ont pas aidé. Les arbres n’étaient pas des acacias, l’arbre préféré de Simon depuis l’enfance passée dans la maison familiale située à Salses-le-Château, en plein cœur du pays catalan, l’été. Avec la patience d’un horloger suisse, j’ai fini par la trouver. Le temps a oblitéré nom, prénom et dates qui encadrent une vie, ainsi que celui de sa compagne, Réa. À peine peut-on deviner son patronyme. La sépulture est grise, piquée de mousse, jamais entretenue. Elle ressemble à celle de Georges Bataille, dans le cimetière de Vézelay. Elle est aussi hideuse. Claude Simon, amarré par paresse au Nouveau Roman, a pourtant écrit de superbes livres. Son œuvre, grâce à Philippe Sollers, est éditée dans la Bibliothèque de la Pléiade, elle fut couronnée par le prix Nobel, en 1985. L’essentiel a vaincu la mort, le reste n’est que poussière. À condition qu’il y ait encore quelques intercesseurs pour la faire découvrir à des lecteurs curieux et exigeants. Car le style de Simon est l’un des plus puissants de la littérature du XXème siècle.

Dans un roman de Claude Simon, on retrouve souvent les mêmes morceaux d’un puzzle à reconstituer, écrits différemment, avec quelques variantes, quelques détails complémentaires, le tout servi par une écriture ample, des phrases ductiles, dynamisées par les participes présents et les métaphores audacieuses. Ça ressemble à un acacia. J’ai donc décidé de relire ce roman portant le nom de cet arbre révéré par Simon, né en 1913 et mort il y a tout juste vingt ans, un 6 juillet. Voici les dernières lignes de L’Acacia (1989), écrites par un homme de plus de soixante-dix ans : « La fenêtre de la chambre était ouverte sur la nuit tiède. L’une des branches du grand acacia qui poussait dans le jardin touchait presque le mur, et il pouvait voir les plus proches rameaux éclairés par la lampe, avec leurs feuilles semblables à des plumes palpitant faiblement sur le fond des ténèbres (…) ». Ça continue ainsi sur plusieurs lignes, jusqu’au mot final : « Immobilité ». Le roman est alors achevé. On ne touche plus à rien. La postérité le retient. L’arbre symbolise l’œuvre qui se déploie grâce au tronc strié, gorgé de sève surabondante.

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L’ouverture du roman décrit trois femmes en deuil qui crapahutent dans la boue. Elles sont accompagnées d’un jeune garçon. C’est l’histoire de Claude Simon contraint de suivre sa mère, et ses tantes, à la recherche de la tombe de son mari mort à la Grande Guerre. Elle s’entête, et cet entêtement dévaste l’enfance de son fils. C’est le point de départ, la naissance de l’écrivain et sa scène fondatrice, sans cesse revisitée, comme dans un cauchemar, sans nom, sans visage, juste des silhouettes maigres erratiques. Puis en 1940, ayant survécu à la débâcle, un jeune homme tente de retrouver ses repères dans une société bouleversée par la défaite militaire. Claude Simon, sans jamais se nommer, raconte sa propre expérience de soldat à cheval lancé contre l’aviation. Un assaut anachronique, presque sacrificiel. Entre ces deux tableaux – Simon est un peintre contrarié – la reconstitution familiale et l’exhumation des origines de ses ancêtres. Un lien infrangible : la guerre.

La guerre, oui. Celle d’Espagne où l’on croise le jeune Simon, trafiquant d’armes dans les rues de Barcelone, résistant aux franquistes, répétition générale de la déflagration de 1939, soulignant le naufrage moral des démocraties. La captivité ensuite du soldat, puis son évasion, qui connaît la faim, la saleté, la peur, ce retour à l’élémentaire, voire l’animalité, avec l’expérience de la mort pleine de fureur et de bruit – influence de Faulkner sur Simon. Pas de noms propres, j’insiste, mais des périphrases. Claude Simon ne raconte pas, il décrit l’homme au milieu du chaos, solitaire et abandonné. C’est ensuite le ressourcement vital avec la visite au bordel du coin et la chaleur des corps prostitués. Eros coûte que coûte pour résister aux desseins de Thanatos – Simon va plus loin, dans Les Géorgiques (1981), en imaginant la jouissance de sa mère au moment de sa conception.

Grâce à l’écriture, devant l’acacia, le travail de reconstitution s’opère. Le résultat est entre nos mains, il est vertigineux, unique, impossible à résumer, au fond.

Claude Simon n’a jamais retrouvé la tombe de son père qu’il n’aura pas vraiment connu – Simon est né en 1913, son père est mort l’année suivante. Je suis devant celle de l’écrivain, les nuages sont menaçants dans le ciel délavé. Cette bribe de phrase, à partir de laquelle tout commence, me revient soudain : « (…) depuis qu’encore enfant il avait été traîné dans un paysage d’apocalypse à la recherche d’un introuvable squelette (…) ».

Claude Simon, L’Acacia, Les Éditions de Minuit. 400 pages

Résister à l’ambiance – Une Franco-Israélienne au festival d’Avignon 

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On ne peut communier en excommuniant.


Les billets étaient pris. Le voyage prévu depuis longtemps. Et voilà que le 2 juillet, le festival d’Avignon, par la voix de son directeur, publie sur son compte officiel :« le festival se passe tandis qu’un massacre de masse se produit à Gaza ». 

La Franco-Israélienne que je suis se demande alors : « mais que vais-je faire dans cette galère ? »

Sur place, je m’attends au pire. Je guette le moment où l’on me prendra à partie, où des paroles m’atteindront, où mon cordon jaune aux couleurs de la libération des otages sera trop encombrant, mais rien. Ou presque. Ici, on s’affaire à une sorte de marathon culturel et divertissant à grande échelle, on passe d’un théâtre à un autre, on épluche les critiques et on traque LA pièce à ne pas rater. 

Je m’assois à une terrasse de café pour reprendre mon souffle. Un Allemand me tend un tract pour « Le Marchand de Venise », de Shakespeare, il veut causer avec moi, je lui dis que j’habite en Israël. Baissant la voix, il me lâche cette phrase : « Être antisémite est devenu illégal et condamnable. Alors la forme a changé, on s’en prend à Israël au lieu de s’en prendre ouvertement aux Juifs, mais le fond est resté le même ». 

Je remonte les rues brûlantes, quelques affiches sur Gaza et la Palestine perdues dans le flot infini des spectacles que l’on placarde. Un drapeau palestinien, un keffieh, il semble que la mayonnaise de la polémique n’a pas vraiment pris. Mais le mal est fait. Et le cœur n’y est plus. C’est la raison pour laquelle les mots de Saint-Exupéry, par la voix du talentueux Franck Desmedt, me parlent avec clarté : « le véritable courage, c’est de résister à l’ambiance. »

Résister à l’ambiance, pour moi, c’est passer outre, feindre la normalité, tout en ne cédant rien aux poncifs paresseux. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » disait Camus, tristement mis à l’honneur dans une pièce ratée du festival au théâtre Essaion. 

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Ce sanctuaire de la création théâtrale, censé incarner le souffle le plus vivant de l’art, s’est transformé en une parodie pathétique de lui-même.

« On ne voit bien qu’avec le cœur » nous dit encore Saint-Exupéry. Au milieu des spectacles qui se réclament haut et fort de « l’humanisme », des « droits de l’homme » et d’autres combats éminemment vertueux, mon cœur ressent que l’âme du festival a été capturée.

Le théâtre défiguré a perdu sa vocation universelle : extraire le spectateur de son propre système de croyances, l’inviter, par la justesse des textes, à s’identifier à des émotions qu’il n’a pas directement vécues, et ainsi communier avec ses frères humains d’autres époques et contrées, pour donner un sens plus grand à sa propre existence. 

À Avignon, je redécouvre cette évidence : on ne peut communier en excommuniant.

Toute prétention à l’universel en devient une trahison quand, au nom de la « Morale » ou du « Droit », on se met à exclure une partie de l’humanité, désignée par la bien-pensance commune comme incarnation du Mal absolu. C’est cette même fausse vertu qui prend l’art en otage de sa bêtise et de son narcissisme lorsqu’on voit certains artistes annuler leur venue aux Francofolies de Spa sous prétexte de la présence du chanteur franco-israélien Amir…

De ce festival détourné de son essence, je repars vers mon peuple, si injustement stigmatisé, boycotté, vilipendé, vers cet « autre universel » qui m’a appris à unir le respect de soi à celui de l’Autre, la fierté nationale à la reconnaissance de toutes les identités.

C’est dans cette nouvelle patrie que je continuerai désormais à faire vibrer l’âme du théâtre français… en attendant que mon pays natal trouve enfin le courage de « résister à l’ambiance » …

Et maintenant ?

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.


Avant l’intervention israélienne en Iran du 13 juin, Benyamin Netanyahou était en grande difficulté. D’abord sur le plan intérieur, avec ses alliés gouvernementaux d’extrême droite qui, refusant la participation des ultra-orthodoxes au service militaire, le menaçaient d’une dissolution de la Knesset. Habile tacticien, le Premier ministre israélien semblait pourtant de plus en plus acculé en ayant qu’un seul horizon pour se maintenir : poursuivre la destruction de Gaza. Un carnage sans issue après le pogrom du 7 octobre 2023 perpétré par les terroristes islamistes du Hamas. La riposte légitime s’est transformée en une vengeance disproportionnée, depuis plus de vingt mois, contre le peuple palestinien enfermé dans une enclave de douleur et de mort, de colères et de ressentiments. Sans parler des exactions du gouvernement israélien en Cisjordanie. De plus en plus d’Israéliens, dans ce pays démocratique, ne voulaient plus de cela, d’un horizon obstrué et d’un isolement international.

Avant l’intervention israélienne puis américaine sur l’Iran, deux processus diplomatiques étaient engagés. D’abord des échanges directs, à Oman, entre Américains et Iraniens sur la question du nucléaire. Puis, la conférence programmée à New York, du 17 au 20 juin, à l’initiative de la France et de l’Arabie saoudite, pour la reconnaissance de l’État palestinien. Et aussi – cela a été trop peu rappelé – pour une reconnaissance d’Israël par des pays arabes. Bref, il était question de diplomatie et de politique. D’avenir commun, de sécurité collective pour éviter une escalade dans une région poudrière où toute déflagration peut avoir des conséquences vertigineusement dangereuses.

A relire, du même auteur: Ce que je reproche le plus à Nétanyahou

Puis, après l’intervention israélienne et américaine en Iran, tout cela a été déchiré. Éparpillé aux quatre vents d’un Proche-Orient en état de choc. À l’heure où ces lignes sont écrites, les commentaires portent sur les performances de la bombe GBU-57. C’est impressionnant quand même notre capacité à être tour à tour infectiologues (au temps du Covid), sélectionneurs (pour les JO ou le PSG) et maintenant spécialistes des bombardiers B-2 et de l’uranium enrichi. Il est aussi question de ce que pourrait être la riposte iranienne, de la dimension stratégique du détroit d’Ormuz, de la possible flambée du prix du pétrole. Et de l’impuissance française et européenne. Seul le chancelier allemand a eu un propos audible en indiquant que Benyamin Netanyahou avait fait le « sale boulot » pour nous tous.

Le Premier ministre israélien a obtenu à la fois le précieux soutien américain et un nouveau théâtre d’opérations. On sait qu’il peut faire la guerre. On sait qu’il peut imposer la loi du plus fort. Surtout s’il est soutenu par plus fort que lui encore. On sait qu’il est un politique capable, dans des situations particulièrement difficiles pour lui, de se tirer d’affaire pour mieux se relancer et s’imposer.

Mais pour quelle issue ? Pour quel projet politique ? Celui des partis religieux d’extrême droite qui, il y a peu d’années encore, n’auraient jamais pu intégrer un gouvernement israélien ?

Je n’ai jamais confondu l’État d’Israël avec son gouvernement. Alors que l’antisionisme est devenu un antisémitisme, on doit pouvoir continuer à critiquer, si nécessaire, la politique du gouvernement israélien.

D’accord ?

La France: un Far West sans shérifs?

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Notre chroniqueur voit dans les émeutes urbaines récentes à Limoges ou à Nîmes du droit commun qui sent le soufre de la guerre civile. Il souhaite que les personnes interpellées dans une foule menaçante puissent plus efficacement être sanctionnées.


Dans les titres qu’on choisit, on a le droit d’exagérer. À vrai dire, je me demande si mon interrogation est outrancière et provocatrice ou si elle annonce un pire dont aujourd’hui nous n’avons qu’une faible idée.

La France hors de contrôle

Ce qui s’est passé à Nîmes et tout récemment à Limoges, puis à Béziers, ne relève plus, en effet, de la délinquance ordinaire avec le sentiment rassurant que celle-ci peut être d’une certaine manière maîtrisable et que l’impuissance de l’État et des forces régaliennes n’est pas fatale.

Le maire de Limoges Émile Roger Lombertie a tout dit au sujet de la prise de possession, dans la nuit du 18 juillet, des environs de sa ville et de la RN 41 par une centaine de voyous cagoulés et armés s’en prenant à des automobilistes et à la police. Sans mobile particulier sinon montrer physiquement qu’ils étaient le pouvoir et qu’ils constituaient un groupe qui ne dépendait nullement de nos règles ordinaires et de notre si piètre démocratie. En s’abandonnant à la pure jouissance d’une malfaisance sans contrôle. L’édile y a vu en effet une manière « de vouloir simplement montrer que le territoire leur appartient[1] ».

Cette dénonciation est à peu près applicable à toutes ces violences collectives urbaines ou périphériques, à ces émeutes dont la motivation, derrière des ressorts apparents, est de manifester à quel point ces bandes sont de plus en plus conscientes de leur impunité et donc d’une arrogance agressive sans pareille.

On a totalement changé de registre. Sinon dans l’inexorable montée des délits et des crimes, du moins dans l’invention de plus en plus perverse, sadique et spontanée de modalités qui font apparaître la délinquance d’hier comme presque rationnelle et humaine. C’est du droit commun qui sent le soufre de la guerre civile.

La peur a changé de camp

Rien ne serait pire, comme la routine intellectuelle nous y entraîne, que de ne pas prendre la mesure de ce qu’il y a de terriblement nouveau dans les malfaisances qui surgissent au fil du temps.

D’abord un changement radical du rapport de force. On ne résiste plus au policier, c’est le policier qui dorénavant résiste au délinquant. Ce dernier a pris la main. Il n’attend plus d’être interpellé, il prend les devants. Le fonctionnaire de police est un ennemi auquel on tend des guet-apens, qu’on veut blesser, qu’on souhaite tuer.

Ensuite l’amplification des violences, des dégradations et des dévastations de groupes parce que l’union fait la nuisance maximale et qu’avec notre système de preuve infirme, elle protège chacun des transgresseurs derrière le caractère indivisible du collectif. Ce qui explique le peu de personnes déférées et la plupart du temps, quand elles existent, les sanctions ridicules – sursis ou travail d’intérêt général.

Enfin la quasi-abolition de la distinction entre mineurs et majeurs, les premiers participant de plus en plus activement, et de plus en plus précocement, aux violences, aux homicides, aux assassinats commandés et au narcotrafic.

Je ne suis pas de ceux qui s’abandonnent aux trop faciles « il n’y a qu’à, il faut qu’on », précisément parce qu’ayant été magistrat durant quarante ans et plus de vingt ans pour les affaires les plus graves, je sais que tout ne s’apaise pas, ne s’éradique pas, avec un claquement de doigts.

Darmanin et Retailleau face au mur

Je ne suis que trop sensible à ce paradoxe saumâtre qui nous permet d’avoir un couple régalien de qualité et accordé, dont la bonne volonté, la compétence, la philosophie et l’énergie sont irréprochables mais qui paraît ne pas avoir la moindre influence sur le cours sombre de la vie sociale, sur la multiplication, avec des originalités atroces, des crimes et des délits. Comme s’il était impossible, même pour l’action politique la plus déterminée, de pouvoir peser sur ce qui au quotidien affecte, vole, blesse ou tue nos concitoyens.

Nous pouvons considérer, pour reprendre la métaphore de mon titre, que nous avons deux shérifs ministériels qui font tout ce qu’ils peuvent. Mais avec ce handicap que le shérif suprême, le président de la République, est plus un frein qu’un aiguillon.

Par ailleurs, au risque de contredire les adeptes d’un État de droit intangible, il conviendrait, essentiellement en matière pénale, de modifier celui-ci pour que, confit dans sa solennité, il ne regarde pas passer les infractions contre lesquelles il ne peut plus grand-chose. Qui n’a pas constaté que la preuve singulière et l’individualisation des peines sont aujourd’hui le moyen le plus pervers pour entraîner les pires injustices, les laxismes les plus choquants ou même les relaxes les plus discutables ? Ne faudrait-il pas s’arrêter à un régime où les infractions seraient seulement évaluées au regard de leur gravité intrinsèque ?

Sa simplification devrait nous faire sortir, police et gendarmerie ainsi que magistrats prioritairement concernés, de la bureaucratie, de procédures et d’une justice de papier pour que soit restauré le temps utile des enquêtes, une justice des visages, le dépassement des formes accumulées comme par plaisir, afin de retrouver des voies plus rapides et plus efficaces pour découvrir la vérité.

Il ne serait pas iconoclaste non plus de fixer comme objectif principal à l’institution judiciaire de faire juger immédiatement tous les dossiers, quelle que soit leur nature, quand la cause est entendue et la vérité indiscutable. Pour les autres qui seraient à élucider, on aurait les processus classiques.

On ne peut passer sous silence le fait que le bras armé de la Justice et de la démocratie – les forces de l’ordre de plus en plus sollicitées mais de moins en moins soutenues – est placé systématiquement en état de faiblesse, et d’abord à cause d’une présomption de culpabilité pesant sur elles de la part de l’extrême gauche et de médias engagés.

La question de la légitime défense des forces de l’ordre toujours sur la table

Surtout parce que les forces de l’ordre n’ont jamais le droit, alors que de multiples situations d’intimidation, d’attaque, de provocation, de résistance et de guet-apens le justifieraient, d’user de la plénitude de ce que la loi leur offre comme pouvoir, latitude et riposte, notamment pour la légitime défense. Je n’ose imaginer les controverses qui seraient engendrées par le seul fait d’une police parfaitement républicaine mais aussi forte que la quotidienneté l’autoriserait à être.

Cette décivilisation, cet ensauvagement, ce saisissement qui nous pétrifient chaque jour, dans les campagnes et dans les cités, sont ceux qui ont défiguré notre France en un Far West où nos shérifs, quelles que soient leur conscience et leur obsession d’être utiles, sont tragiquement démunis pour défendre la majorité des honnêtes gens.

Nous sommes dans un monde où le délinquant a moins peur de commettre le mal que nous de le sanctionner. Délinquant dont la condamnation est rarement assez sévère pour lui faire oublier la volupté de la transgression d’hier et ne pas lui faire espérer celle de demain. La société est seule perdante.


[1] https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/limoges-en-pleine-nuit-une-centaine-dindividus-masques-sen-prennent-aux-forces-de-lordre-38584aae-649d-11f0-8d96-1f3c0ceaabc2

Sophia, Najat, honneur et déshonneur

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La Légion d'honneur remise à la chroniqueuse laïque Sophia Aram (ici photohraphiée au Grand Rex à Paris, le 20 mai 2025) déplait à gauche © Thierry Le Fouille/SIPA

Alors que certains s’étranglent de voir Sophia Aram récompensée, bien qu’elle ne suive pas la voie tracée par l’islamo-gauchisme (alors qu’elle est de gauche et a tout de même des origines maghrébines), d’autres hurlent au scandale en voyant Najat Vallaud-Belkacem rentrer à la Cour des comptes. Commentateurs et éditocrates sortent les tests PCR idéologiques.


Sophia Aram, donc, a été promue dans l’ordre de la Légion d’honneur au grade de chevalier (Merci de saluer la formulation que j’adopte afin d’échapper aux injonctions de la pitoyable dictature inclusive qui aurait exigé le féminin chevalière).

Sophia Aram, qui a plus d’une corde à son arc, est surtout connue en tant qu’humoriste. Et c’est en particulier sur les ondes du service public, à France Inter, qu’elle intervient. Selon moi, ce qui la distingue de la plupart des autres humoristes, notamment ceux qui officient sur ce même service public, c’est qu’elle, au moins, est drôle. Drôle et libre d’esprit. Notable exception dans ce petit marigot.

Mauvaise chapelle

Toujours à mon humble avis, qu’elle sache être drôle sur ces ondes-là justifiait amplement, à soi seul, qu’elle fût décorée de la Légion d’honneur. On l’eût faite d’emblée Grand Croix que je n’aurais pas vraiment trouvé à y redire, tant la performance me semble relever de l’exploit et de l’exception.

D’ailleurs, dans un article publié en 2023, Libération apportait en quelque sorte de l’eau à mon moulin, livrant de Sophia Aram un portrait des plus flatteurs, quasiment une bénédiction, un appel à canonisation. Elle donne « des coups à l’extrême droite, à l’extrême gauche, écrivait le quotidien, aux religieux, islamistes en particulier, aux gilets jaunes, aux antivaccins, à Raoult, à Bolloré et à ses affidés. » Découvrant ces lignes, on pouvait penser que la décoration était en très bonne voie. Ou en tout cas, d’ores et déjà légitimée.

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Deux ans ont passé et, aujourd’hui, l’attribution du ruban en défrise quelques-uns. Pascal Boniface, notamment, monté en première ligne, bouche amère, nez pincé. Passé maître dans l’art toujours si plaisant de la mauvaise foi, le censeur s’interroge. Ce n’est pas qu’il se permettrait de remettre en cause l’attribution en question, non, pas du tout, mais tout de même, s’émeut-il, la récipiendaire ne serait-elle pas un peu trop engagée ? Je veux dire, engagée dans la mauvaise chapelle ? Rendez-vous compte, elle ne sent pas obligée de hurler au génocide comme tout le monde-qui-pense-comme-il-faut, d’applaudir à la virée en barcasse des Thunberg et Hassan, de voir dans la moindre critique de l’islamisme une hystérique poussée d’islamophobie. Pas obligée non plus de chanter à l’unisson de sa corporation d’artistes lorsqu’elle reçoit, en 2023, le Molière de l’Humour, dénonçant « le silence assourdissant du monde de la culture » sur le carnage terroriste antisémite du 7-Octobre perpétré par le Hamas au nom de la cause palestinienne.

Là, voyez-vous, M. Boniface s’étrangle. Il trouve lui que, au contraire, on en a beaucoup parlé. Trop peut-être ? Sauf que la fringante moliérisée avait pris soin de préciser qu’elle visait le monde de la culture, le sien. Ce que bien entendu, le sourcilleux contempteur s’empresse de négliger. Or, s’il est une chose avérée, c’est bien celle-là. Bien peu de cœurs ont saigné sur les martyrs du 7-Octobre dans ce microcosme. Ou si certains ont saigné, ce fut dans la plus remarquable des discrétions.

En fait, confondant de candeur, ce que M. Boniface trouve à redire à la promotion de Sophia Haram, tient en quelques mots, d’une banale évidence, et que d’ailleurs il lâche en fin de déclaration. On ne devrait décorer que des personnes investies dans la défense des droits de l’homme. Droits de gauche et homme de gauche, bien entendu. En clair, à l’écouter, Sophia Aram présentait à peu près toutes les vertus d’engagement requises pour être honorée de la Légion d’honneur, sauf qu’elle se serait trompée de monture. Il fallait choisir la mule bien grasse du conformisme. Elle préfère caracoler sur la licorne de la liberté. Dommage pour M. Boniface.

Surprenante nomination

Par chance, l’actualité lui apporte sur un plateau matière à consolation. La surprenante, oui, la très surprenante nomination de Najat Vallaud-Belkacem à la Cour des Comptes. Voilà en effet qui doit le ravir. Elle au moins se situe dans la bonne mouvance. Cela dit, on ne peut s’empêcher de penser au Figaro de Beaumarchais, à propos d’une place en vue: « Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint ». En effet, on ne voit pas bien quels seraient, dans son parcours, les éléments de compétences indiscutables qui auraient prédisposé l’heureuse nommée à ce genre de poste. On n’en voit pas davantage d’ailleurs dans son bilan de ministre, par exemple.

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Mais, à l’instar de M. Bayrou, lui-même Premier ministre de rencontre, il se peut que, dans la macronie agonisante, gagnée un peu plus chaque jour par la panique, l’incompétence – ou, esprit d’indulgence oblige, la non-compétence – soit devenue le critère majeur permettant d’accéder aux plus hautes fonctions. À cet égard, on réalise mieux à présent que la tout aussi incongrue nomination de M. Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel ne faisait qu’ouvrir le bal. Le bal des copains à recaser, bien sûr. Et ça en fait, du monde…

30 GLORIEUSES - LA DÉCONSTRUCTION EN MARCHE

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Histoire géo: un cours magistral!

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Perrin

Bien des considérations de Vers l’armée de métier n’ont pas pris une ride. Mais le style littéraire de l’essai publié en 1934 n’existe malheureusement plus.


Le livre paraît en mai 1934. Il est signé Charles de Gaulle. Deux ans plus tôt, le futur grand homme, qui n’était alors que commandant, avait donné un essai baptisé : Au fil de l’épée. Mais comme l’observe Hervé Gaymard, notre ancien ministre de l’Economie démissionnaire (cf.  « l’affaire Gaymard », en 2005[1]), désormais membre de l’Institut et président de la Fondation Charles-de-Gaulle, dans la longue présentation qui introduit au texte de Vers l’armée de métier : « c’est le géographe et le géopoliticien de talent qui s’affirme, servi par un style dépouillé et affermi, qui peut rappeler quelques belles pages de Julien Gracq, ce grand paysagiste de la littérature française ». Très utilement annotée par les soins scrupuleux d’Hervé Gaymard, complétée en annexe par le Mémorendum adressé par le colonel De Gaulle à l’état-major et aux autorités, en janvier 1940, la présente édition atteste, s’il en était besoin, de la hauteur de vues de l’homme d’Etat féru d’histoire et de géographie, qui est déjà là tout entier, en puissance.  

Pages prémonitoires

Le lecteur de 2025, instruit qu’il est, rétrospectivement, par la suite des événements, n’a pas, à l’évidence, la même lecture de ces pages prémonitoires que celui, non prévenu, de l’entre-deux guerres, dans un temps où rien n’est encore joué, la France se berçant d’illusions sur sa propre capacité de résistance face aux naissantes revendications territoriales du Führer, à la tête d’un Troisième Reich à peine éclos.

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En fait, à distance de près d’un siècle, encore davantage que sa dimension visionnaire, confirmée à foison par les événements, frappe surtout la sublimité de cette prose. La plume oraculaire du « Général », âgé alors de 44 ans –  le grand Charles n’accèdera au grade de colonel que le 25 décembre 1937 – se hisse d’emblée à ces hauteurs vertigineuses où s’essore dans la moindre ligne la tradition multiséculaire du Grand style mémorialiste, de Saint-Simon à Chateaubriand. La phrase gaullienne est déjà achevée, dans ses périodes, ses élans, ses chutes, son tempo – partition de haute maîtrise. Des exemples ? Sur l’Italie fasciste : « Mais, dans la Péninsule, un grand Etat s’est formé que sa fièvre de croissance jette en des cauchemars d’Empire ». Sur la menace d’invasion : « Où qu’elle passe, la frontière franco-allemande est la lèvre d’une blessure. D’où qu’il souffle, le vent qui la balaie est gonflé d’arrière-pensées ».[…] « Mais il a disparu, cet échiquier d’une partie classique où, combinant la force et l’intrigue, nous tenions en suspens la fureur des Teutons ». Ô Corneille, l’écho de tes alexandrins résonne jusque dans nos bois !

Envolées

Ordonnancée en deux grandes parties, l’admonestation gaullienne en faveur d’une réforme urgente de l’appareil militaire français, fondée sur la professionnalisation, la spécialisation, le réarmement de nos forces en engins offensifs, véloces, motorisés plutôt que sous la forme de fortifications défensives (la fatale Ligne Maginot), avant de détailler le « Comment ? », introduit sous l’intitulé « Pourquoi ? » une longue remise en perspective, aussi belle que le demeurent devant l’Eternité certains sermons de Bossuet, telle déploration des Mémoires d’outre-tombe, un envoi de Victor Hugo ! On y voit décrite l’Allemagne, « force de la nature à laquelle elle tient au plus près, faisceau d’instincts puissants mais troubles, artistes nés qui n’ont point de goût, techniciens restés féodaux, pères de famille belliqueux, restaurants qui sont des temples, usines dans les forêts, palais gothiques pour les nécessités, séparatistes obéissants au doigt et à l’œil, chevaliers du myosotis qui se font vomir leur bière, route que Siegfried Le Limousin [allusion à un roman de Giraudoux] voit épique le matin, romantique le soir, océan sublime et glauque d’où le filet retire pêle-mêle des monstres et des trésors, cathédrale dont la nef polychrome, assemblant de nobles arceaux, emplis de sons nuancés, organise en symphonie, pour les sens, pour la pensée, pour l’âme, l’émotion, la lumière et la religion du monde, mais dont le transept obscur, retentissant d’une rumeur barbare, heurte  les yeux, l’esprit et le cœur ».  Il fallait tout de même oser de telles envolées, dans un essai argumenté pour que des décisions soient prises sans délai !  

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Aux actuels graphomanes de rapports prospectifs sous licence de l’Union européenne, la littérature, placée à cette altitude, pourra-t-elle enseigner jamais l’art du rythme ternaire et de la péroraison ? Sait-on jamais. Toujours est-il qu’à relire les classiques – et De Gaulle en est un, définitivement – on gagne à prendre un peu de distance par rapport à l’aveugle précipitation des événements. Bien des considérations, dans ces pages, n’ont pas pris une ride : « Le monde retentit de clameurs : ‘’Le tort qu’on m’a causé, l’injustice qui m’est faite, la place qui me revient ‘’. Et, dans le même temps où nous prétendons mettre la guerre hors-la-loi, où nous affectons d’effacer le glaive de l’Histoire et jusque des monnaies, ailleurs on acclame la force, on proclame bonne et nécessaire la nostalgie du danger, on exige des armes, on se groupe en milices, cohortes, sections d’assaut. Où donc est la digue du torrent ? ».      

 A lire : Vers l’armée de métier, de Charles de Gaulle. Perrin, 264p.

Vers l'armée de métier

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[1] Le 15 février 2005 un article du Canard enchaîné révèle que Hervé Gaymard loge dans un duplex parisien de 600 m2 payé 14 400 euros par mois par l’État. Le 16 février 2005, Hervé Gaymard déclare qu’il quitte l’appartement en question.

D’un canapé à un fauteuil

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L'écrivain Olivier Barrot, 2022, Paris © Aurelien Morissard/AP/SIPA

Monsieur Nostalgie continue sa série d’été consacrée aux auteurs vivants et indispensables. Il s’intéresse aujourd’hui à Olivier Barrot, ce cousin d’Amérique, cinéphile et voyageur qui, du journalisme de télévision à l’écriture de romans sensitifs a creusé le sillon d’une mélancolie élégante. L’immortalité le guette…


Dans la vie d’un écrivain, soyons plus humble, disons d’un auteur débutant, il y a des étapes qui marquent, qui solidifient une carrière, qui valident un choix hasardeux fait à l’âge de vingt-cinq ans dans l’innocence béate de la création. On se croit créateur, invincible comme Obélix, à cet âge-là ; la maladie et le doute n’atteignent pas les rêveurs du livre. Car le livre se rêve plus qu’il ne se réalise. C’est une chimère. Alors, on se fait des films, on suppute des succès d’estime qui se transformeront en rentes viagères. On thésaurise sur un maigre talent, parce qu’un jour, nous avons articulé une phrase pas trop mal balancée et qu’un aîné nous aura félicité. La mauvaise graine était semée. Le vice de l’écriture est un chiendent tenace qui grippe les meilleurs cerveaux. On s’inventera alors des succès et des admiratrices, des conférences à l’étranger et des breloques au veston. Les prix d’automne seront à une poignée de main, il nous suffira de nous baisser pour les ramasser et les avances girondes à cinq chiffres pleuvront sur nos comptes en banque épars. Nous nagerons en plein ruissellement.

Nos mères, circonspectes par nature, provinciales que personne ne dupe, auraient préféré que l’on ouvre cette étude notariale ou que l’on boursicote sur les marchés asiatiques. Certainement pas que l’on écrive des romans sans histoire et des essais sans thème. Nous aurions dû les écouter. Mais, à la vérité, il ne suffit pas d’écrire pour exister, encore faut-il être publié pour valider cette orientation douteuse qui ne fait pas l’unanimité autour de nous. La parution ne garantit aucunement la reconnaissance, ni même un lecteur égaré dans les rayons d’un supermarché. Le silence gênant qui entoure la sortie d’un texte est le lot de tous les apprentis baladins de notre espèce. Jadis, Bernard Pivot matérialisait la réussite en vous invitant sur son plateau ; en une soirée, il asseyait votre statut véritable d’écrivain et vous permettait le lendemain matin d’être salué par vos anciens professeurs sur un marché du Berry alors que jusque-là, ils vous ignoraient magistralement et se gaussaient de cette soudaine envie d’écrire chez un individu qui ne brillait ni par son intelligence, ni par ses carnets scolaires. On l’oublie, Pivot ne fut pas le seul Monsieur livre du poste. Pendant presque trente ans, du début des années 1990 jusqu’à 2018, un autre journaliste-producteur, érudit cinéphile, croqueur de mots tendres, capteur d’images sépia, professeur de New-York à la rue Saint-Guillaume, avait pris son relais cathodique. Il rendait compte de l’actualité littéraire chaque jour de la semaine dans un programme court. « Un livre, un jour » d’Olivier Barrot durait peu, moins de cinq minutes et imprégna fortement toute une génération de lycéens fascinée par sa diction et sa bibliothèque.

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Bien plus tard, j’eus la chance de faire partie de son casting. C’était ma médaille de la Libération. Il y avait d’abord ce générique hypnotique, sorte de sas spatiotemporel étrange, qui nous sortait des grilles hurlantes et des animateurs gueulards, puis la voix d’Olivier, posée et délicate, enjouée et fluide, un délice d’Ancien régime par sa précision et son onde partageuse. La voix la plus littéraire du PAF par la richesse de ses arcanes. Une assurance qui n’aurait pas totalement annihilée une tristesse lancinante. Je m’explique : la voix d’Olivier véhicule des entrelacs, des tourbillons, des arrière-scènes et des élans qui constituent, à mon sens, la matière première, l’humus de la littérature. C’est à la fois un grenier à souvenirs et une porte sur l’aventure. Sa voix lève le rideau sur les présentiments. Nous l’aurions écouté des heures. Il parlait des livres dans une langue charnue et claire, c’est-à-dire sans prétention, sans esprit de caste. Ses goûts n’étaient pas déterminés par les aléas du monde et les modes faisandées. Il choisissait, il piochait dans le patrimoine, pouvant mettre en lumière un primo-romancier ou s’enthousiasmer pour la réédition d’un styliste oublié. Il n’était d’aucune brigade intellectuelle, d’aucun parti-pris, seul le plaisir gourmand des mots avait droit de cité chez lui. Son émission fut notre cabane au Canada. Dans une société qui commençait à se fragmenter ; sans militantisme, sans folklore mielleux, il prônait la liberté du beau texte. L’émission connut des horaires et des décors différents au fil des années et au gré des présidences, mais l’animateur résista à la vulgarité ambiante. Cette bulle hors du temps, souvent diffusée en fin d’après-midi sur la « 3 », était un rendez-vous à la Truffaut. Malgré le format comprimé, à chaque fois, on y puisait une source d’émerveillement,

Olivier incarnait, incarne la littérature dans ce qu’elle a de plus vivace et intemporelle. Son visage m’était familier, je l’avais déjà vu à l’heure du déjeuner sur Canal + parlant de voyages dans une Grande Famille au temps où cette chaîne cryptée avait des audaces. J’avais suivi également l’épopée éditoriale Senso pleine de panache et de champagne avec le camarade Thierry Taittinger. Ces seigneurs de la presse magazine pouvaient s’enorgueillir de faire travailler des écrivains avant qu’ils ne deviennent des parias. J’ai d’abord fréquenté l’homme d’images de mon canapé avant de lire l’écrivain pluriel qu’il est, féru de salles obscures, de revues littéraires et de figures méconnues. Il m’a instruit. Sa stèle littéraire à Gérard Philippe reste inégalée, et surtout j’ai aimé ses romans de la dernière période, tous édités chez Gallimard (Mitteleuropa, Boréales, Les Voyages de Feininger, Vaisseau fantôme, Portrait d’Itkine), il y condense pudiquement toutes ses échappées intimes. Barrot est un dentellier, il ne vocifère pas, il avance mezza voce, peu importe le genre, carnets, portraits, fictions, il brode une tapisserie des âges immémoriaux. Maintenant que je l’ai beaucoup regardé de mon canapé, je souhaiterais le voir prendre de la hauteur, par exemple, dans un fauteuil, quai de Conti.

Il y a une vie après l’Assemblée…

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DR.

Pendant que le Conseil constitutionnel censure une grande partie de la loi sur la justice pénale des mineurs, rappelant qu’il vaut mieux « éduquer » que « sanctionner », l’Assemblée nationale s’écharpe sur la possibilité de marier ou non les clandestins sous OQTF… Bienvenue en absurdie !


La gifle

Vous avez évidemment vu cette vidéo de la « gifle » donnée par la première dame à son époux de président. D’abord paniqué par l’emballement des réseaux sociaux, l’Élysée a commencé par évoquer « un possible trucage » de la vidéo. Encore un coup de l’intelligence artificielle ! La vidéo provenait pourtant de l’agence Associated Press. Il a donc fallu revoir la copie. On a alors eu droit à un « moment de complicité » entre Brigitte et Emmanuel Macron. Plutôt cocasse… Si je reviens sur cet épisode, ce n’est pas pour ricaner. Ni pour monter l’histoire en épingle. Une dispute dans un couple, ça peut arriver à tout le monde. Non, le problème, c’est le mensonge de l’Élysée. Qui pourra croire, après de semblables revirements, les accusations régulières de l’Élysée contre les « complotistes » et autres actions de déstabilisation menées, notamment, par la Russie ? Le président joue un jeu dangereux. Voltaire disait déjà que « la politique est l’art de mentir à propos ». On dirait bien qu’Emmanuel Macron a définitivement perdu le sens du timing

OQTF

Puisqu’on parle « timing », Laurent Wauquiez et ses députés LR semblent avoir un petit problème… Quelle mouche les a donc piqués pour être si peu nombreux à l’Assemblée nationale le jour de l’examen de la proposition de loi permettant à un maire de ne pas marier un étranger en situation irrégulière ? Bonjour la solidarité ! Un sacré manque de jugeote et une belle boulette… Rien d’étonnant en revanche dans l’attitude grotesque des députés LFI (et plus généralement le côté gauche de l’hémicycle) qui ont fait de l’obstruction toute la journée pour empêcher que le texte soit voté… Deux beaux exemples de politique politicienne au ras des pâquerettes. Qui a parlé d’intérêt général ?

Racailles

Deux morts et 563 interpellations après des violences et des pillages en marge des « célébrations » de la victoire du PSG en Ligue des champions. Les individus interpellés avaient, selon le préfet de police de Paris, un point commun : « la volonté d’en découdre, de casser, de détruire, et ce, peu importe le résultat du match », puisque la plupart d’entre eux ne le regardaient même pas. Les condamnations paraissent peu sévères compte tenu de l’ampleur des faits et des dégâts causés lors de cette soirée du 31 mai. Mais très vite, on entend qu’il faudrait faire un distinguo entre les « vrais » supporters et les autres. Bref, entre les gens bien et les racailles. Le foot m’intéresse peu, mais j’aimerais savoir : les supporters du PSG qui descendent sur la pelouse du stade de Munich pour arracher des morceaux de la pelouse, on les classe dans quelle catégorie ?

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Conclave

Non, je ne vous parlerai pas du pape Léon, mais bien des retraites et du Rassemblement national. Pourfendeur de la réforme, on avait assisté entre les deux tours des élections législatives « post-dissolution » à des revirements sur le sujet de la part de Jordan Bardella. « Nous verrons. […] On va devoir réparer les bêtises économiques qui ont été faites… », avait-il alors déclaré. Des déclarations bien plus mesurées qu’une année auparavant, quand il trouvait que « la retraite, ce n’est pas de la comptabilité, comme le considère le gouvernement, c’est un choix de société. » Depuis, l’inéligibilité de Marine Le Pen étant passée par là, on sent le parti encore plus frileux… « Le moment de vérité pour la censure, ça va être le budget » a déjà prévenu Jordan Bardella. En clair, pas le conclave des retraites, quelle que soit son issue. Bah oui, ils auraient l’air de quoi au RN, s’ils votaient la censure et que s’ensuivait une nouvelle dissolution ? Marine Le Pen ayant passé le flambeau de la présidence du parti à son jeune ex-protégé, puis perdu son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais, il ne lui reste plus que celui de député pour exister… Et si la peine infligée à la patronne du RN pour détournement de fonds publics est confirmée, cela veut dire cinq années sans élection… Loin des yeux, loin des cœurs ?

Alzheimer ?

Après le meurtre au couteau d’une surveillante par un élève de 14 ans au collège de Nogent (Haute-Marne), Emmanuel Macron a réagi, sur France 2, en proposant une nouvelle fois l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. J’ai dû mal entendre… Au printemps 2023, un député de la majorité présidentielle (Horizons), Laurent Marcangeli, a en effet proposé la création d’une majorité numérique à 15 ans. Sa proposition de loi a alors été adoptée à l’unanimité, et promulguée par Emmanuel Macron en juillet 2023 ! Problème, les décrets d’application n’ont jamais été pris, parce que la mesure a été jugée contraire au droit européen. Emmanuel Macron ou la mécanique enrayée…

Nouveau trophée à Béziers !

On savait déjà – n’en déplaise aux Marseillais – que Béziers est la plus ancienne ville de France. Et depuis le 27 juin, le plus beau marché de France du concours organisé par TF1 ! Mais c’est un autre record que nous battons, semble-t-il chaque année, avec notre centre pénitentiaire. En France, la consommation moyenne d’eau pour une personne est de 150 litres d’eau potable par jour. Dans notre prison du Gasquinoy, la consommation est de… 289 litres par jour et par détenu ! Presque le double ! Sans que le propriétaire de l’établissement, le groupe Eiffage, en ait encore trouvé la cause… Bonne nouvelle en revanche, le niveau scolaire de nos détenus augmente. Comme quoi, rien ne sert de désespérer.

Boualem

À l’instar de plusieurs dizaines de villes en France, Béziers a participé à l’opération nationale #JeLisSansal. Il s’agissait de rendre hommage à l’auteur franco-algérien toujours emprisonné en lisant à voix haute, durant un jour entier, une de ses œuvres. Nous avons choisi 2084, la fin du monde, grand prix du roman de l’Académie française en 2015. Une journée très émouvante, durant laquelle de nombreux volontaires se sont succédé pour lire quelques lignes – en l’absence notoire de la classe politique locale, de « très à droite » à « très à gauche ». Une journée qui a permis de rappeler que l’écrivain franco-algérien, condamné à cinq ans de prison, risque aujourd’hui de voir sa peine doubler et croupit toujours dans les geôles du régime algérien. Tout simplement « coupable » d’avoir émis une opinion qui n’a pas plu à la dictature FLN qui règne sur l’Algérie. Boualem, nous ne t’oublions pas 

Gaston sauvé des eaux

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


La journée avait pourtant bien commencé. La veille, Béa et Tio Guy, mes voisins bien aimés, avaient taillé le forsythia de mon jardin qui s’appuyait un peu trop sur notre clôture mitoyenne. En ce samedi matin-là, vif comme une épinoche, je me rendis à la déchèterie Nord d’Amiens pour y déposer les déchets verts. Alors que je brandissais ma carte d’usager sous le nez d’un employé fort aimable, fier de prouver que je ne l’avais point égarée, celui-ci me fit savoir qu’elle était devenue obsolète, et m’indiqua, non loin de la porte d’entrée, un QR code qu’il m’invita à shooter. « Ainsi, vous pourrez faire valider votre inscription », dit-il.

Rétif aux technologies et à l’informatique en particulier, je photographiais avec bien du mal l’espèce de machin à damier. « Arrivé chez vous, avec ça, vous accéderez au site et en cinq minutes vous pourrez vous inscrire », poursuivit-il en prenant ma belle petite carte en plastique, bien réelle, elle. J’en éprouvais une pointe d’émotion, moi, le boomer hostile au monde virtuel. Je me rassérénais en songeant que j’étais parvenu à capter le fameux QR code et qu’il ne me faudrait que cinq minutes pour devenir membre du très fermé club de la Déchèterie.

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Pauvre de moi ! Je ne savais pas ce qui m’attendait. Montre en main, il me fallut deux heures et demie pour parvenir à mes fins. Pas moyens d’en sortir. Une horreur ! Afin de prouver que je n’étais pas un robot, on exigea que je reconnusse sur des dizaines et des dizaines de photos-vignettes, là des vélos, là des passages protégés, là des trottinettes. Je cochais ; je cochais sans fin. Lorsque j’en avais enfin terminé, mon identité et autres informations préalablement données, disparaissaient du fumier de formulaire. Et on m’intimait l’ordre de les décliner. Deux heures et demie, oui ; c’était à devenir cinglé. Je me mis à hurler, à gémir comme un vieux daim blessé par un chasseur en veston nubuck fredonnant « Blue Suede Shoes », façon Perkins et Presley. Le site était-il en maintenance ? Rien ne l’indiquait. Etais-je victime de ma techno phobie ? Je ne le saurais jamais. Alertée par mes cris, ma Sauvageonne, plus sexy que jamais, vint à mon secours. Elle aussi peina et finit par admettre qu’il n’était pas très gentil d’avoir conçu un outil pareil. Cependant, elle parvint après bien des efforts à procéder à la satanée inscription. Pendant ce temps, je m’étais assis sur le canapé, abattu, abasourdi par le stress. Afin de me requinquer, elle me proposa de faire une promenade à pied pour redescendre.

Nous nous dirigeâmes vers le quartier Saint-Leu, dégustâmes une glace ; arrivés sur le chemin de halage, nous nous posâmes sur un banc qui contemplait la Somme de son regard de bois. Alors que je rêvassais et repensais, non sans douleur, à l’horrible site, mon attention fut attirée par un pigeon mal en point qui était en train de se noyer dans l’onde samarienne. Il s’agrippait à des îlots d’algues vertes, frappait ses ailes déplumées sur les vaguelettes. On eût dit un social-démocrate qui tentait de survivre dans une république mélenchonnisée. D’emblée, je me mis à prénommer l’oiseau Gaston. (Peut-être avais-je pensé à Gaston Defferre ?) Subrepticement, je me levai, ramassai une branche et courut pour tenter de le secourir. Ma Sauvageonne crut peut-être que j’allais me jeter à l’eau, miné par mon bad trip sur le site de la déchetterie. « Où vas-tu, vieux Yak ? » hurla-t-elle. « Je vais sauver Gaston ! », lui répondis-je. J’essayais d’abord avec la branche que je venais de saisir. Elle ne convenait pas. J’en trouvais une autre, en forme de fourche. Gaston – qui avait vu en moi son sauveur potentiel – s’agrippa à une branchette ; ainsi, je pus le remonter sur la berge. Il tremblotait, piquait du bec vers sa gorge bleutée. Je sentais son petit cœur de Sagan battre la chamade. Je finis par lui trouver une manière de cachette au creux d’une haie verdoyante, posai à ses côtés le pot vide de mon sorbet citron que je pris soin de remplir d’eau Cristaline. En revenant sur le banc au côté de ma Sauvageonne, je constatai, amusé, que ma chronique Les Dessous chics avait accueilli en deux semaines, deux pigeons en son sein. Lors du concert de l’Orchestre universitaire de Picardie n’avais-je pas observé un pigeon à une patte ? « Tu es vraiment un drôle de zèbre, vieux Yak ! », sourit ma Sauvageonne. Elle n’avait pas tort…

L’un sort de prison, les autres n’iront pas…

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Philippe Bilger © Pierre Olivier

Le terroriste Georges Ibrahim Abdallah va être libéré et sera expulsé vers le Liban dans quelques jours. Pourtant, ses convictions politiques seraient restées intactes. Pendant ce temps, confronté à la surpopulation carcérale, le procureur de Bobigny suspend les mises en détention jusqu’à la rentrée pour désengorger les cellules.


Le hasard judiciaire permet un rapprochement, pas si incongru que cela, entre la libération de Georges Ibrahim Abdallah après 41 années d’incarcération pour des crimes terroristes et la décision du procureur de Bobigny de limiter les détentions à cause de la surpopulation pénitentiaire.

Sur ce dernier point, je comprends mal que dans l’arbitrage à opérer entre la sauvegarde sociale et la protection des personnes d’un côté, et de l’autre le souci carcéral, on ne considère pas comme naturellement prioritaire les premières. Quel que soit le triste état de certains établissements et leur densité d’occupation, ces éléments ne devraient pas l’emporter sur le devoir de la Justice de placer au-dessus de tout la sécurité des citoyens, « la majorité des honnêtes gens ». D’autant plus que pour une fois nous n’avons pas un garde des Sceaux qui laisse ce problème de la surpopulation et la honte des trop nombreux matelas à l’abandon !

La libération de Georges Ibrahim Abdallah est tout sauf à saluer. Mais à déplorer. Sauf si on est Éric Coquerel et qu’on appartient à la mouvance qui n’a rien appris, et jamais rien renié. Pour laquelle Georges Abdallah demeure un héros.

Même au bout de 41 ans, le sang n’a pas forcément séché et l’horreur terroriste des agissements demeure.

Il convient d’autant plus de les garder en mémoire que les prémices de ce dossier ont été largement gangrenées, au niveau des réquisitions, par un Parquet dépassé et trop sensible à la raison d’État. Heureusement, Me Georges Kiejman, pour l’ambassade des États-Unis, a convaincu la cour d’assises spéciale d’édicter la réclusion criminelle à perpétuité.

Georges Abdallah, criminel atypique contestant, malgré les preuves matérielles et balistiques, avoir perpétré ces forfaits, tout en admettant sa responsabilité politique – c’est bien commode ! -, a pris acte du caractère inespéré de cette libération puisqu’il a remercié la mobilisation qui l’a permise, et donc l’idéologie qui l’inspirait.

Il y a dans cette personnalité quelque chose qui fait songer à Cesare Battisti, adulé en France par les intellectuels de gauche. Mais lui a eu le courage de détruire les illusions qu’on avait formées à son sujet. Sur le tard, il a admis sa totale culpabilité.

Georges Ibrahim Abdallah n’a rien regretté des horreurs terroristes commises et il sera donc libéré comme il est entré : en plein contentement de lui-même et de ses crimes. Susceptible, donc, d’en attiser d’autres.

Il aurait dû purger sa peine jusqu’au bout en prison.

Ayant relié Bobigny à Georges Abdallah, je ne peux que constater, sur ces deux plans, une double indulgence de type différent mais incontestable.

L’une a bénéficié à Georges Abdallah, l’autre bénéficiera aux délinquants qui n’iront pas en prison.

J’espère que la société ne trinquera pas.

Claude Simon, l’enfant du désastre

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Claude Simon © Hannah Assouline

Les cartes postales de l’été de Pascal Louvrier (3)


Ayant achevé un livre sur André Malraux, je sais que seul l’art peut tenir en respect la mort, et même la surmonter parfois. Avant de quitter Paris, et après avoir écrit un article sur Claude Simon pour Causeur de juillet-août, j’ai cherché sa tombe au cimetière de Montmartre. Il faisait très chaud et les chats ne m’ont pas aidé. Les arbres n’étaient pas des acacias, l’arbre préféré de Simon depuis l’enfance passée dans la maison familiale située à Salses-le-Château, en plein cœur du pays catalan, l’été. Avec la patience d’un horloger suisse, j’ai fini par la trouver. Le temps a oblitéré nom, prénom et dates qui encadrent une vie, ainsi que celui de sa compagne, Réa. À peine peut-on deviner son patronyme. La sépulture est grise, piquée de mousse, jamais entretenue. Elle ressemble à celle de Georges Bataille, dans le cimetière de Vézelay. Elle est aussi hideuse. Claude Simon, amarré par paresse au Nouveau Roman, a pourtant écrit de superbes livres. Son œuvre, grâce à Philippe Sollers, est éditée dans la Bibliothèque de la Pléiade, elle fut couronnée par le prix Nobel, en 1985. L’essentiel a vaincu la mort, le reste n’est que poussière. À condition qu’il y ait encore quelques intercesseurs pour la faire découvrir à des lecteurs curieux et exigeants. Car le style de Simon est l’un des plus puissants de la littérature du XXème siècle.

Dans un roman de Claude Simon, on retrouve souvent les mêmes morceaux d’un puzzle à reconstituer, écrits différemment, avec quelques variantes, quelques détails complémentaires, le tout servi par une écriture ample, des phrases ductiles, dynamisées par les participes présents et les métaphores audacieuses. Ça ressemble à un acacia. J’ai donc décidé de relire ce roman portant le nom de cet arbre révéré par Simon, né en 1913 et mort il y a tout juste vingt ans, un 6 juillet. Voici les dernières lignes de L’Acacia (1989), écrites par un homme de plus de soixante-dix ans : « La fenêtre de la chambre était ouverte sur la nuit tiède. L’une des branches du grand acacia qui poussait dans le jardin touchait presque le mur, et il pouvait voir les plus proches rameaux éclairés par la lampe, avec leurs feuilles semblables à des plumes palpitant faiblement sur le fond des ténèbres (…) ». Ça continue ainsi sur plusieurs lignes, jusqu’au mot final : « Immobilité ». Le roman est alors achevé. On ne touche plus à rien. La postérité le retient. L’arbre symbolise l’œuvre qui se déploie grâce au tronc strié, gorgé de sève surabondante.

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L’ouverture du roman décrit trois femmes en deuil qui crapahutent dans la boue. Elles sont accompagnées d’un jeune garçon. C’est l’histoire de Claude Simon contraint de suivre sa mère, et ses tantes, à la recherche de la tombe de son mari mort à la Grande Guerre. Elle s’entête, et cet entêtement dévaste l’enfance de son fils. C’est le point de départ, la naissance de l’écrivain et sa scène fondatrice, sans cesse revisitée, comme dans un cauchemar, sans nom, sans visage, juste des silhouettes maigres erratiques. Puis en 1940, ayant survécu à la débâcle, un jeune homme tente de retrouver ses repères dans une société bouleversée par la défaite militaire. Claude Simon, sans jamais se nommer, raconte sa propre expérience de soldat à cheval lancé contre l’aviation. Un assaut anachronique, presque sacrificiel. Entre ces deux tableaux – Simon est un peintre contrarié – la reconstitution familiale et l’exhumation des origines de ses ancêtres. Un lien infrangible : la guerre.

La guerre, oui. Celle d’Espagne où l’on croise le jeune Simon, trafiquant d’armes dans les rues de Barcelone, résistant aux franquistes, répétition générale de la déflagration de 1939, soulignant le naufrage moral des démocraties. La captivité ensuite du soldat, puis son évasion, qui connaît la faim, la saleté, la peur, ce retour à l’élémentaire, voire l’animalité, avec l’expérience de la mort pleine de fureur et de bruit – influence de Faulkner sur Simon. Pas de noms propres, j’insiste, mais des périphrases. Claude Simon ne raconte pas, il décrit l’homme au milieu du chaos, solitaire et abandonné. C’est ensuite le ressourcement vital avec la visite au bordel du coin et la chaleur des corps prostitués. Eros coûte que coûte pour résister aux desseins de Thanatos – Simon va plus loin, dans Les Géorgiques (1981), en imaginant la jouissance de sa mère au moment de sa conception.

Grâce à l’écriture, devant l’acacia, le travail de reconstitution s’opère. Le résultat est entre nos mains, il est vertigineux, unique, impossible à résumer, au fond.

Claude Simon n’a jamais retrouvé la tombe de son père qu’il n’aura pas vraiment connu – Simon est né en 1913, son père est mort l’année suivante. Je suis devant celle de l’écrivain, les nuages sont menaçants dans le ciel délavé. Cette bribe de phrase, à partir de laquelle tout commence, me revient soudain : « (…) depuis qu’encore enfant il avait été traîné dans un paysage d’apocalypse à la recherche d’un introuvable squelette (…) ».

Claude Simon, L’Acacia, Les Éditions de Minuit. 400 pages

Résister à l’ambiance – Une Franco-Israélienne au festival d’Avignon 

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DR

On ne peut communier en excommuniant.


Les billets étaient pris. Le voyage prévu depuis longtemps. Et voilà que le 2 juillet, le festival d’Avignon, par la voix de son directeur, publie sur son compte officiel :« le festival se passe tandis qu’un massacre de masse se produit à Gaza ». 

La Franco-Israélienne que je suis se demande alors : « mais que vais-je faire dans cette galère ? »

Sur place, je m’attends au pire. Je guette le moment où l’on me prendra à partie, où des paroles m’atteindront, où mon cordon jaune aux couleurs de la libération des otages sera trop encombrant, mais rien. Ou presque. Ici, on s’affaire à une sorte de marathon culturel et divertissant à grande échelle, on passe d’un théâtre à un autre, on épluche les critiques et on traque LA pièce à ne pas rater. 

Je m’assois à une terrasse de café pour reprendre mon souffle. Un Allemand me tend un tract pour « Le Marchand de Venise », de Shakespeare, il veut causer avec moi, je lui dis que j’habite en Israël. Baissant la voix, il me lâche cette phrase : « Être antisémite est devenu illégal et condamnable. Alors la forme a changé, on s’en prend à Israël au lieu de s’en prendre ouvertement aux Juifs, mais le fond est resté le même ». 

Je remonte les rues brûlantes, quelques affiches sur Gaza et la Palestine perdues dans le flot infini des spectacles que l’on placarde. Un drapeau palestinien, un keffieh, il semble que la mayonnaise de la polémique n’a pas vraiment pris. Mais le mal est fait. Et le cœur n’y est plus. C’est la raison pour laquelle les mots de Saint-Exupéry, par la voix du talentueux Franck Desmedt, me parlent avec clarté : « le véritable courage, c’est de résister à l’ambiance. »

Résister à l’ambiance, pour moi, c’est passer outre, feindre la normalité, tout en ne cédant rien aux poncifs paresseux. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » disait Camus, tristement mis à l’honneur dans une pièce ratée du festival au théâtre Essaion. 

A lire aussi, Charles Rojzman: Amir banni, Avignon accusateur, les artistes muets — et deux visages de la haine

Ce sanctuaire de la création théâtrale, censé incarner le souffle le plus vivant de l’art, s’est transformé en une parodie pathétique de lui-même.

« On ne voit bien qu’avec le cœur » nous dit encore Saint-Exupéry. Au milieu des spectacles qui se réclament haut et fort de « l’humanisme », des « droits de l’homme » et d’autres combats éminemment vertueux, mon cœur ressent que l’âme du festival a été capturée.

Le théâtre défiguré a perdu sa vocation universelle : extraire le spectateur de son propre système de croyances, l’inviter, par la justesse des textes, à s’identifier à des émotions qu’il n’a pas directement vécues, et ainsi communier avec ses frères humains d’autres époques et contrées, pour donner un sens plus grand à sa propre existence. 

À Avignon, je redécouvre cette évidence : on ne peut communier en excommuniant.

Toute prétention à l’universel en devient une trahison quand, au nom de la « Morale » ou du « Droit », on se met à exclure une partie de l’humanité, désignée par la bien-pensance commune comme incarnation du Mal absolu. C’est cette même fausse vertu qui prend l’art en otage de sa bêtise et de son narcissisme lorsqu’on voit certains artistes annuler leur venue aux Francofolies de Spa sous prétexte de la présence du chanteur franco-israélien Amir…

De ce festival détourné de son essence, je repars vers mon peuple, si injustement stigmatisé, boycotté, vilipendé, vers cet « autre universel » qui m’a appris à unir le respect de soi à celui de l’Autre, la fierté nationale à la reconnaissance de toutes les identités.

C’est dans cette nouvelle patrie que je continuerai désormais à faire vibrer l’âme du théâtre français… en attendant que mon pays natal trouve enfin le courage de « résister à l’ambiance » …

Et maintenant ?

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Le chroniqueur Olivier Dartigolles © Hannah Assouline

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.


Avant l’intervention israélienne en Iran du 13 juin, Benyamin Netanyahou était en grande difficulté. D’abord sur le plan intérieur, avec ses alliés gouvernementaux d’extrême droite qui, refusant la participation des ultra-orthodoxes au service militaire, le menaçaient d’une dissolution de la Knesset. Habile tacticien, le Premier ministre israélien semblait pourtant de plus en plus acculé en ayant qu’un seul horizon pour se maintenir : poursuivre la destruction de Gaza. Un carnage sans issue après le pogrom du 7 octobre 2023 perpétré par les terroristes islamistes du Hamas. La riposte légitime s’est transformée en une vengeance disproportionnée, depuis plus de vingt mois, contre le peuple palestinien enfermé dans une enclave de douleur et de mort, de colères et de ressentiments. Sans parler des exactions du gouvernement israélien en Cisjordanie. De plus en plus d’Israéliens, dans ce pays démocratique, ne voulaient plus de cela, d’un horizon obstrué et d’un isolement international.

Avant l’intervention israélienne puis américaine sur l’Iran, deux processus diplomatiques étaient engagés. D’abord des échanges directs, à Oman, entre Américains et Iraniens sur la question du nucléaire. Puis, la conférence programmée à New York, du 17 au 20 juin, à l’initiative de la France et de l’Arabie saoudite, pour la reconnaissance de l’État palestinien. Et aussi – cela a été trop peu rappelé – pour une reconnaissance d’Israël par des pays arabes. Bref, il était question de diplomatie et de politique. D’avenir commun, de sécurité collective pour éviter une escalade dans une région poudrière où toute déflagration peut avoir des conséquences vertigineusement dangereuses.

A relire, du même auteur: Ce que je reproche le plus à Nétanyahou

Puis, après l’intervention israélienne et américaine en Iran, tout cela a été déchiré. Éparpillé aux quatre vents d’un Proche-Orient en état de choc. À l’heure où ces lignes sont écrites, les commentaires portent sur les performances de la bombe GBU-57. C’est impressionnant quand même notre capacité à être tour à tour infectiologues (au temps du Covid), sélectionneurs (pour les JO ou le PSG) et maintenant spécialistes des bombardiers B-2 et de l’uranium enrichi. Il est aussi question de ce que pourrait être la riposte iranienne, de la dimension stratégique du détroit d’Ormuz, de la possible flambée du prix du pétrole. Et de l’impuissance française et européenne. Seul le chancelier allemand a eu un propos audible en indiquant que Benyamin Netanyahou avait fait le « sale boulot » pour nous tous.

Le Premier ministre israélien a obtenu à la fois le précieux soutien américain et un nouveau théâtre d’opérations. On sait qu’il peut faire la guerre. On sait qu’il peut imposer la loi du plus fort. Surtout s’il est soutenu par plus fort que lui encore. On sait qu’il est un politique capable, dans des situations particulièrement difficiles pour lui, de se tirer d’affaire pour mieux se relancer et s’imposer.

Mais pour quelle issue ? Pour quel projet politique ? Celui des partis religieux d’extrême droite qui, il y a peu d’années encore, n’auraient jamais pu intégrer un gouvernement israélien ?

Je n’ai jamais confondu l’État d’Israël avec son gouvernement. Alors que l’antisionisme est devenu un antisémitisme, on doit pouvoir continuer à critiquer, si nécessaire, la politique du gouvernement israélien.

D’accord ?