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Histoire géo: un cours magistral!

Lectures de plage : marque-page n°4


Histoire géo: un cours magistral!
Perrin

Bien des considérations de Vers l’armée de métier n’ont pas pris une ride. Mais le style littéraire de l’essai publié en 1934 n’existe malheureusement plus.


Le livre paraît en mai 1934. Il est signé Charles de Gaulle. Deux ans plus tôt, le futur grand homme, qui n’était alors que commandant, avait donné un essai baptisé : Au fil de l’épée. Mais comme l’observe Hervé Gaymard, notre ancien ministre de l’Economie démissionnaire (cf.  « l’affaire Gaymard », en 2005[1]), désormais membre de l’Institut et président de la Fondation Charles-de-Gaulle, dans la longue présentation qui introduit au texte de Vers l’armée de métier : « c’est le géographe et le géopoliticien de talent qui s’affirme, servi par un style dépouillé et affermi, qui peut rappeler quelques belles pages de Julien Gracq, ce grand paysagiste de la littérature française ». Très utilement annotée par les soins scrupuleux d’Hervé Gaymard, complétée en annexe par le Mémorendum adressé par le colonel De Gaulle à l’état-major et aux autorités, en janvier 1940, la présente édition atteste, s’il en était besoin, de la hauteur de vues de l’homme d’Etat féru d’histoire et de géographie, qui est déjà là tout entier, en puissance.  

Pages prémonitoires

Le lecteur de 2025, instruit qu’il est, rétrospectivement, par la suite des événements, n’a pas, à l’évidence, la même lecture de ces pages prémonitoires que celui, non prévenu, de l’entre-deux guerres, dans un temps où rien n’est encore joué, la France se berçant d’illusions sur sa propre capacité de résistance face aux naissantes revendications territoriales du Führer, à la tête d’un Troisième Reich à peine éclos.

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En fait, à distance de près d’un siècle, encore davantage que sa dimension visionnaire, confirmée à foison par les événements, frappe surtout la sublimité de cette prose. La plume oraculaire du « Général », âgé alors de 44 ans –  le grand Charles n’accèdera au grade de colonel que le 25 décembre 1937 – se hisse d’emblée à ces hauteurs vertigineuses où s’essore dans la moindre ligne la tradition multiséculaire du Grand style mémorialiste, de Saint-Simon à Chateaubriand. La phrase gaullienne est déjà achevée, dans ses périodes, ses élans, ses chutes, son tempo – partition de haute maîtrise. Des exemples ? Sur l’Italie fasciste : « Mais, dans la Péninsule, un grand Etat s’est formé que sa fièvre de croissance jette en des cauchemars d’Empire ». Sur la menace d’invasion : « Où qu’elle passe, la frontière franco-allemande est la lèvre d’une blessure. D’où qu’il souffle, le vent qui la balaie est gonflé d’arrière-pensées ».[…] « Mais il a disparu, cet échiquier d’une partie classique où, combinant la force et l’intrigue, nous tenions en suspens la fureur des Teutons ». Ô Corneille, l’écho de tes alexandrins résonne jusque dans nos bois !

Envolées

Ordonnancée en deux grandes parties, l’admonestation gaullienne en faveur d’une réforme urgente de l’appareil militaire français, fondée sur la professionnalisation, la spécialisation, le réarmement de nos forces en engins offensifs, véloces, motorisés plutôt que sous la forme de fortifications défensives (la fatale Ligne Maginot), avant de détailler le « Comment ? », introduit sous l’intitulé « Pourquoi ? » une longue remise en perspective, aussi belle que le demeurent devant l’Eternité certains sermons de Bossuet, telle déploration des Mémoires d’outre-tombe, un envoi de Victor Hugo ! On y voit décrite l’Allemagne, « force de la nature à laquelle elle tient au plus près, faisceau d’instincts puissants mais troubles, artistes nés qui n’ont point de goût, techniciens restés féodaux, pères de famille belliqueux, restaurants qui sont des temples, usines dans les forêts, palais gothiques pour les nécessités, séparatistes obéissants au doigt et à l’œil, chevaliers du myosotis qui se font vomir leur bière, route que Siegfried Le Limousin [allusion à un roman de Giraudoux] voit épique le matin, romantique le soir, océan sublime et glauque d’où le filet retire pêle-mêle des monstres et des trésors, cathédrale dont la nef polychrome, assemblant de nobles arceaux, emplis de sons nuancés, organise en symphonie, pour les sens, pour la pensée, pour l’âme, l’émotion, la lumière et la religion du monde, mais dont le transept obscur, retentissant d’une rumeur barbare, heurte  les yeux, l’esprit et le cœur ».  Il fallait tout de même oser de telles envolées, dans un essai argumenté pour que des décisions soient prises sans délai !  

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Aux actuels graphomanes de rapports prospectifs sous licence de l’Union européenne, la littérature, placée à cette altitude, pourra-t-elle enseigner jamais l’art du rythme ternaire et de la péroraison ? Sait-on jamais. Toujours est-il qu’à relire les classiques – et De Gaulle en est un, définitivement – on gagne à prendre un peu de distance par rapport à l’aveugle précipitation des événements. Bien des considérations, dans ces pages, n’ont pas pris une ride : « Le monde retentit de clameurs : ‘’Le tort qu’on m’a causé, l’injustice qui m’est faite, la place qui me revient ‘’. Et, dans le même temps où nous prétendons mettre la guerre hors-la-loi, où nous affectons d’effacer le glaive de l’Histoire et jusque des monnaies, ailleurs on acclame la force, on proclame bonne et nécessaire la nostalgie du danger, on exige des armes, on se groupe en milices, cohortes, sections d’assaut. Où donc est la digue du torrent ? ».      

 A lire : Vers l’armée de métier, de Charles de Gaulle. Perrin, 264p.

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[1] Le 15 février 2005 un article du Canard enchaîné révèle que Hervé Gaymard loge dans un duplex parisien de 600 m2 payé 14 400 euros par mois par l’État. Le 16 février 2005, Hervé Gaymard déclare qu’il quitte l’appartement en question.



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