Monsieur Nostalgie continue sa série d’été consacrée aux auteurs vivants et indispensables. Il s’intéresse aujourd’hui à Olivier Barrot, ce cousin d’Amérique, cinéphile et voyageur qui, du journalisme de télévision à l’écriture de romans sensitifs a creusé le sillon d’une mélancolie élégante. L’immortalité le guette…
Dans la vie d’un écrivain, soyons plus humble, disons d’un auteur débutant, il y a des étapes qui marquent, qui solidifient une carrière, qui valident un choix hasardeux fait à l’âge de vingt-cinq ans dans l’innocence béate de la création. On se croit créateur, invincible comme Obélix, à cet âge-là ; la maladie et le doute n’atteignent pas les rêveurs du livre. Car le livre se rêve plus qu’il ne se réalise. C’est une chimère. Alors, on se fait des films, on suppute des succès d’estime qui se transformeront en rentes viagères. On thésaurise sur un maigre talent, parce qu’un jour, nous avons articulé une phrase pas trop mal balancée et qu’un aîné nous aura félicité. La mauvaise graine était semée. Le vice de l’écriture est un chiendent tenace qui grippe les meilleurs cerveaux. On s’inventera alors des succès et des admiratrices, des conférences à l’étranger et des breloques au veston. Les prix d’automne seront à une poignée de main, il nous suffira de nous baisser pour les ramasser et les avances girondes à cinq chiffres pleuvront sur nos comptes en banque épars. Nous nagerons en plein ruissellement.
Nos mères, circonspectes par nature, provinciales que personne ne dupe, auraient préféré que l’on ouvre cette étude notariale ou que l’on boursicote sur les marchés asiatiques. Certainement pas que l’on écrive des romans sans histoire et des essais sans thème. Nous aurions dû les écouter. Mais, à la vérité, il ne suffit pas d’écrire pour exister, encore faut-il être publié pour valider cette orientation douteuse qui ne fait pas l’unanimité autour de nous. La parution ne garantit aucunement la reconnaissance, ni même un lecteur égaré dans les rayons d’un supermarché. Le silence gênant qui entoure la sortie d’un texte est le lot de tous les apprentis baladins de notre espèce. Jadis, Bernard Pivot matérialisait la réussite en vous invitant sur son plateau ; en une soirée, il asseyait votre statut véritable d’écrivain et vous permettait le lendemain matin d’être salué par vos anciens professeurs sur un marché du Berry alors que jusque-là, ils vous ignoraient magistralement et se gaussaient de cette soudaine envie d’écrire chez un individu qui ne brillait ni par son intelligence, ni par ses carnets scolaires. On l’oublie, Pivot ne fut pas le seul Monsieur livre du poste. Pendant presque trente ans, du début des années 1990 jusqu’à 2018, un autre journaliste-producteur, érudit cinéphile, croqueur de mots tendres, capteur d’images sépia, professeur de New-York à la rue Saint-Guillaume, avait pris son relais cathodique. Il rendait compte de l’actualité littéraire chaque jour de la semaine dans un programme court. « Un livre, un jour » d’Olivier Barrot durait peu, moins de cinq minutes et imprégna fortement toute une génération de lycéens fascinée par sa diction et sa bibliothèque.
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Bien plus tard, j’eus la chance de faire partie de son casting. C’était ma médaille de la Libération. Il y avait d’abord ce générique hypnotique, sorte de sas spatiotemporel étrange, qui nous sortait des grilles hurlantes et des animateurs gueulards, puis la voix d’Olivier, posée et délicate, enjouée et fluide, un délice d’Ancien régime par sa précision et son onde partageuse. La voix la plus littéraire du PAF par la richesse de ses arcanes. Une assurance qui n’aurait pas totalement annihilée une tristesse lancinante. Je m’explique : la voix d’Olivier véhicule des entrelacs, des tourbillons, des arrière-scènes et des élans qui constituent, à mon sens, la matière première, l’humus de la littérature. C’est à la fois un grenier à souvenirs et une porte sur l’aventure. Sa voix lève le rideau sur les présentiments. Nous l’aurions écouté des heures. Il parlait des livres dans une langue charnue et claire, c’est-à-dire sans prétention, sans esprit de caste. Ses goûts n’étaient pas déterminés par les aléas du monde et les modes faisandées. Il choisissait, il piochait dans le patrimoine, pouvant mettre en lumière un primo-romancier ou s’enthousiasmer pour la réédition d’un styliste oublié. Il n’était d’aucune brigade intellectuelle, d’aucun parti-pris, seul le plaisir gourmand des mots avait droit de cité chez lui. Son émission fut notre cabane au Canada. Dans une société qui commençait à se fragmenter ; sans militantisme, sans folklore mielleux, il prônait la liberté du beau texte. L’émission connut des horaires et des décors différents au fil des années et au gré des présidences, mais l’animateur résista à la vulgarité ambiante. Cette bulle hors du temps, souvent diffusée en fin d’après-midi sur la « 3 », était un rendez-vous à la Truffaut. Malgré le format comprimé, à chaque fois, on y puisait une source d’émerveillement,
Olivier incarnait, incarne la littérature dans ce qu’elle a de plus vivace et intemporelle. Son visage m’était familier, je l’avais déjà vu à l’heure du déjeuner sur Canal + parlant de voyages dans une Grande Famille au temps où cette chaîne cryptée avait des audaces. J’avais suivi également l’épopée éditoriale Senso pleine de panache et de champagne avec le camarade Thierry Taittinger. Ces seigneurs de la presse magazine pouvaient s’enorgueillir de faire travailler des écrivains avant qu’ils ne deviennent des parias. J’ai d’abord fréquenté l’homme d’images de mon canapé avant de lire l’écrivain pluriel qu’il est, féru de salles obscures, de revues littéraires et de figures méconnues. Il m’a instruit. Sa stèle littéraire à Gérard Philippe reste inégalée, et surtout j’ai aimé ses romans de la dernière période, tous édités chez Gallimard (Mitteleuropa, Boréales, Les Voyages de Feininger, Vaisseau fantôme, Portrait d’Itkine), il y condense pudiquement toutes ses échappées intimes. Barrot est un dentellier, il ne vocifère pas, il avance mezza voce, peu importe le genre, carnets, portraits, fictions, il brode une tapisserie des âges immémoriaux. Maintenant que je l’ai beaucoup regardé de mon canapé, je souhaiterais le voir prendre de la hauteur, par exemple, dans un fauteuil, quai de Conti.
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