Notre chroniqueur voit dans les émeutes urbaines récentes à Limoges ou à Nîmes du droit commun qui sent le soufre de la guerre civile. Il souhaite que les personnes interpellées dans une foule menaçante puissent plus efficacement être sanctionnées.
Dans les titres qu’on choisit, on a le droit d’exagérer. À vrai dire, je me demande si mon interrogation est outrancière et provocatrice ou si elle annonce un pire dont aujourd’hui nous n’avons qu’une faible idée.
La France hors de contrôle
Ce qui s’est passé à Nîmes et tout récemment à Limoges, puis à Béziers, ne relève plus, en effet, de la délinquance ordinaire avec le sentiment rassurant que celle-ci peut être d’une certaine manière maîtrisable et que l’impuissance de l’État et des forces régaliennes n’est pas fatale.
Le maire de Limoges Émile Roger Lombertie a tout dit au sujet de la prise de possession, dans la nuit du 18 juillet, des environs de sa ville et de la RN 41 par une centaine de voyous cagoulés et armés s’en prenant à des automobilistes et à la police. Sans mobile particulier sinon montrer physiquement qu’ils étaient le pouvoir et qu’ils constituaient un groupe qui ne dépendait nullement de nos règles ordinaires et de notre si piètre démocratie. En s’abandonnant à la pure jouissance d’une malfaisance sans contrôle. L’édile y a vu en effet une manière « de vouloir simplement montrer que le territoire leur appartient[1] ».
Cette dénonciation est à peu près applicable à toutes ces violences collectives urbaines ou périphériques, à ces émeutes dont la motivation, derrière des ressorts apparents, est de manifester à quel point ces bandes sont de plus en plus conscientes de leur impunité et donc d’une arrogance agressive sans pareille.
On a totalement changé de registre. Sinon dans l’inexorable montée des délits et des crimes, du moins dans l’invention de plus en plus perverse, sadique et spontanée de modalités qui font apparaître la délinquance d’hier comme presque rationnelle et humaine. C’est du droit commun qui sent le soufre de la guerre civile.
La peur a changé de camp
Rien ne serait pire, comme la routine intellectuelle nous y entraîne, que de ne pas prendre la mesure de ce qu’il y a de terriblement nouveau dans les malfaisances qui surgissent au fil du temps.
D’abord un changement radical du rapport de force. On ne résiste plus au policier, c’est le policier qui dorénavant résiste au délinquant. Ce dernier a pris la main. Il n’attend plus d’être interpellé, il prend les devants. Le fonctionnaire de police est un ennemi auquel on tend des guet-apens, qu’on veut blesser, qu’on souhaite tuer.
Ensuite l’amplification des violences, des dégradations et des dévastations de groupes parce que l’union fait la nuisance maximale et qu’avec notre système de preuve infirme, elle protège chacun des transgresseurs derrière le caractère indivisible du collectif. Ce qui explique le peu de personnes déférées et la plupart du temps, quand elles existent, les sanctions ridicules – sursis ou travail d’intérêt général.
Enfin la quasi-abolition de la distinction entre mineurs et majeurs, les premiers participant de plus en plus activement, et de plus en plus précocement, aux violences, aux homicides, aux assassinats commandés et au narcotrafic.
Je ne suis pas de ceux qui s’abandonnent aux trop faciles « il n’y a qu’à, il faut qu’on », précisément parce qu’ayant été magistrat durant quarante ans et plus de vingt ans pour les affaires les plus graves, je sais que tout ne s’apaise pas, ne s’éradique pas, avec un claquement de doigts.
Darmanin et Retailleau face au mur
Je ne suis que trop sensible à ce paradoxe saumâtre qui nous permet d’avoir un couple régalien de qualité et accordé, dont la bonne volonté, la compétence, la philosophie et l’énergie sont irréprochables mais qui paraît ne pas avoir la moindre influence sur le cours sombre de la vie sociale, sur la multiplication, avec des originalités atroces, des crimes et des délits. Comme s’il était impossible, même pour l’action politique la plus déterminée, de pouvoir peser sur ce qui au quotidien affecte, vole, blesse ou tue nos concitoyens.
Nous pouvons considérer, pour reprendre la métaphore de mon titre, que nous avons deux shérifs ministériels qui font tout ce qu’ils peuvent. Mais avec ce handicap que le shérif suprême, le président de la République, est plus un frein qu’un aiguillon.
Par ailleurs, au risque de contredire les adeptes d’un État de droit intangible, il conviendrait, essentiellement en matière pénale, de modifier celui-ci pour que, confit dans sa solennité, il ne regarde pas passer les infractions contre lesquelles il ne peut plus grand-chose. Qui n’a pas constaté que la preuve singulière et l’individualisation des peines sont aujourd’hui le moyen le plus pervers pour entraîner les pires injustices, les laxismes les plus choquants ou même les relaxes les plus discutables ? Ne faudrait-il pas s’arrêter à un régime où les infractions seraient seulement évaluées au regard de leur gravité intrinsèque ?
Sa simplification devrait nous faire sortir, police et gendarmerie ainsi que magistrats prioritairement concernés, de la bureaucratie, de procédures et d’une justice de papier pour que soit restauré le temps utile des enquêtes, une justice des visages, le dépassement des formes accumulées comme par plaisir, afin de retrouver des voies plus rapides et plus efficaces pour découvrir la vérité.
Il ne serait pas iconoclaste non plus de fixer comme objectif principal à l’institution judiciaire de faire juger immédiatement tous les dossiers, quelle que soit leur nature, quand la cause est entendue et la vérité indiscutable. Pour les autres qui seraient à élucider, on aurait les processus classiques.
On ne peut passer sous silence le fait que le bras armé de la Justice et de la démocratie – les forces de l’ordre de plus en plus sollicitées mais de moins en moins soutenues – est placé systématiquement en état de faiblesse, et d’abord à cause d’une présomption de culpabilité pesant sur elles de la part de l’extrême gauche et de médias engagés.
La question de la légitime défense des forces de l’ordre toujours sur la table
Surtout parce que les forces de l’ordre n’ont jamais le droit, alors que de multiples situations d’intimidation, d’attaque, de provocation, de résistance et de guet-apens le justifieraient, d’user de la plénitude de ce que la loi leur offre comme pouvoir, latitude et riposte, notamment pour la légitime défense. Je n’ose imaginer les controverses qui seraient engendrées par le seul fait d’une police parfaitement républicaine mais aussi forte que la quotidienneté l’autoriserait à être.
Cette décivilisation, cet ensauvagement, ce saisissement qui nous pétrifient chaque jour, dans les campagnes et dans les cités, sont ceux qui ont défiguré notre France en un Far West où nos shérifs, quelles que soient leur conscience et leur obsession d’être utiles, sont tragiquement démunis pour défendre la majorité des honnêtes gens.
Nous sommes dans un monde où le délinquant a moins peur de commettre le mal que nous de le sanctionner. Délinquant dont la condamnation est rarement assez sévère pour lui faire oublier la volupté de la transgression d’hier et ne pas lui faire espérer celle de demain. La société est seule perdante.
[1] https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/limoges-en-pleine-nuit-une-centaine-dindividus-masques-sen-prennent-aux-forces-de-lordre-38584aae-649d-11f0-8d96-1f3c0ceaabc2
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