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Zemmour au chevet de la France silencieuse

Les rassemblements d’Eric Zemmour continuent de rameuter un important public. Ce samedi 12 février, le candidat à la présidentielle était ainsi à Saulieu (21), capitale du Morvan, pour développer devant plus de 3000 personnes le thème de la protection de la France oubliée et de la ruralité. Il en a profité pour draguer les maires des petites communes, et a fait de Valérie Pécresse sa principale tête de Turc.


Les mots forts chers au candidat de “Reconquête” s’affichent sur les écrans du plus beau foirail de Bourgogne : oser, travailler, s’engager, reconquérir, transmettre, rester Français… 3 500 Bourguignons trépignent en attendant leur messie. Au premier rang, les habitués de son sillage : Stanislas Rigault, Jérôme Rivière, Antoine Diers, Jean-Frédéric Poisson ou Joachim Son-Forget. On ne les présente plus. 

Mais c’est à Franck Gaillard et Loup Bommier, deux maires de la région et parrains d’Eric Zemmour, que revient le devoir de chauffer la salle. L’impérieux appel aux parrainages achève les discours des deux élus. Puis, la musique épique retentit et des ovations montent dans la salle, les écrans géants affichent finalement « Impossible n’est pas français » : Eric Zemmour entre en scène. 

« Vive la Bourgogne ! »

Comme souvent, l’auteur du Destin français entame son discours par la louange de la région dans laquelle il se trouve. À Saulieu, il salue le « cœur de cette France rurale que nous aimons tant ». Un lieu chargé d’histoire, « pays de la gourmandise, des grands vins, des grands vignerons, de l’architecture et des vallons »… Saulieu est aussi le lieu idéal pour évoquer malicieusement “La Grande vadrouille”, et pour rendre un vibrant hommage aux grands Bourguignons qui ont fait notre pays : Bossuet, Eiffel, Vauban, mais aussi Bernard Loiseau, ce grand chef français qui a permis de « hisser notre gastronomie sur le toit du monde » – il s’est d’ailleurs arrêté dans l’établissement du restaurateur disparu en 2003 avant le meeting.

En guise d’introduction, Zemmour dévoile les grands thèmes du jour, prometteurs : que l’État « cesse d’emmerder les Français, définitivement et le plus vite possible ». Il faut de la fermeté envers la racaille et de la bienveillance envers les faibles, et il faut en finir avec la bureaucratie d’un État oppressant. Rapidement, son public en est convaincu : « On est chez nous ! »

« Il y a urgence, nos campagnes sont en danger »

Eric Zemmour rappelle la mise en place d’une présomption de légitime défense pour les gendarmes et les policiers, ainsi qu’une défense excusable pour les Français. Un Français doit « avoir le droit de contre-attaquer », justifie-t-il. « Je veux la protection de votre sécurité, de nos campagnes et de nos villages, des Français les plus fragiles, des agriculteurs et de nos paysages, de tous ceux que l’État a abandonné » et « voir enfin nos impôts utilisés à bon escient ».

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Pour encourager la natalité dans les campagnes, le candidat de “Reconquête” promet une bourse de naissance de 10 000 euros à chaque famille rurale pour la naissance d’un nouvel enfant. Les conditions sont simples : être Français, vivre depuis deux ans dans une commune rurale, et y résider encore pendant trois ans.

« J’ai honte », s’exclame l’orateur un peu plus tard. Eric Zemmour aborde le problème des déserts médicaux. S’il est élu, il compte recruter immédiatement 1 000 médecins pour couvrir les zones les plus sinistrées. Suite au scandale Orpea qui a fait les gros titres ces derniers jours, le candidat annonce que « nous transférerons le contrôle des EHPAD aux préfets, qui auront le pouvoir d’un contrôle immédiat en cas de maltraitance ». Il tient par ailleurs à ce que les personnes âgées puissent « rester le plus longtemps possible chez elles », et s’engage donc à simplifier les services d’aide à domicile. « Je préfère la retraite à la maison que la maison de retraite ». Zemmour promet d’augmenter la pension des veuves, de 50 à 75% de la pension du conjoint décédé : « Les vieux jours doivent être sans angoisse ni désespoir ».

Le défi patrimonial 

Sous ce grand préau, le seul nom du président de la République suffit à provoquer des huées. 

« Macron veut une politique de la ville, moi je veux une politique de la campagne. » Sans que le public n’y voit apparemment quelque annonce démagogique, Eric Zemmour promet aux Bourguignons et aux ruraux de rediriger massivement les investissements du Plan national Cœur de ville vers les campagnes, car, il en est certain : « vous saurez mieux les utiliser ». Une autre mesure pourrait faire grincer des dents : c’est la promesse de la fin de la construction de nouveaux centres commerciaux à l’entrée des villes, cette concurrence meurtrière pour les petits producteurs. Zemmour veut également mettre fin au regroupement de plusieurs enseignes dans les centrales d’achat. Devant son public, il promet qu’il augmentera la part des produits locaux dans la restauration et les cantines scolaires. « Je veux que les enfants de Saulieu puissent goûter à l’école le fromage du Jura et la viande charolaise », car « on devient français par le goût et par la table »

Un autre dessein : lutter contre la bétonisation des campagnes, « la folie des éoliennes » qui remplacent « les lointains clochers et les flèches des cathédrales », et qui « ne font que satisfaire quelques bobos parisiens qui n’ont pas à vivre à côté d’elles ». Eric Zemmour s’attache aussi à évoquer le sujet forestier, prégnant dans cette région : le « vert manteau de la France », ce sont « des siècles d’histoire et de labeur », déclame-t-il. Il se veut « l’infatigable défenseur de ce trésor français ». Déplorant les difficultés de la filière, un domaine d’activité plus du tout attractif, il promet un grand plan de reboisement dès l’été 2022. Cela revalorisera l’industrie du bois. « Voilà l’écologie que nous aimons (…), qui respecte ce que l’on est ». Chasse et pêche sont aussi de mise dans cet éloge du patrimoine naturel français : « Je veux que dans 50 ans, on puisse encore aller chasser avec son petit-fils ». L’ancien journaliste ne peut se montrer plus clair : « Je sanctuarisai la pratique de la chasse et de la pêche comme des éléments constitutifs de notre patrimoine culturel ». Les acclamations de la foule couvrent ces derniers mots.

Zemmour à ses militants: “Le peuple qui respecte le passé et l’avenir, c’est nous!”

« Pendant cette campagne électorale, raille Zemmour, qui décidément sait ménager ses effets ou le suspense, il y a de  parfaites représentations de l’économie politicienne, l’une d’entre elles est… Valérie Pécresse ». Huées. 

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Le candidat de « Reconquête » n’a pas forcément tort, et il a en tout cas plus d’un argument dans son sac pour le démontrer. Sa rivale LR a annoncé vouloir créer une banque publique pour financer les projets des jeunes, qu’elle appelle mot pour mot, « banque du droit à l’échec ». Voilà qui fait moyennement sourire Zemmour ! Elle veut ensuite augmenter le SMIC de 10%, ce qui est certes une louable intention, mais en faisant payer une grande partie par les patrons. « C’est la mesure de gauche par excellence », estime l’orateur. Enfin, elle veut créer 500 000 logements, « parce qu’elle aime les chiffres ronds sans doute ». Zemmour sonne le tocsin : « Elle fera de chaque village un 9-3 miniature », perspective qui évidemment fait frémir l’assistance. Enfin, il en est certain, Valérie Pécresse continuera selon lui de s’entourer « d’islamo-droitistes ». Zemmour met en garde les Républicains encore hésitants dont il convoite les suffrages : non,  Pécresse ce n’est pas un Zemmour centriste, soft : « Reconnaissez que le centre-droit de Valérie Pécresse ne vaudra pas mieux que le centre-gauche d’Emmanuel Macron ». Partant, l’affrontement entre Macron et Pécresse, c’est « Big Brother contre Big Sister ». Cette dernière formule provoque un tonnerre d’applaudissements. À 57 jours du premier tour des élections présidentielles, Zemmour met de nouveau en garde les électeurs de droite : vous aurez « le choix entre sauver les LR et sauver la nation, ne vous trompez pas d’idéal »

Devant un public de Bourguignons acquis à sa cause, Eric Zemmour aura parlé pendant une heure 15.

Le petit livre rouge d’Amazon

En Chine, Amazon cède aux exigences du régime communiste…


Tout est parti des trois tomes de La Gouvernance de la Chine, de Xi Jinping. Il y a deux ans, cette profusion de discours, pensées et préceptes du président chinois a reçu un commentaire mitigé et une note en deçà du maximum de cinq étoiles sur amazon.cn, le site chinois du géant du e-commerce. Désormais, les internautes chinois ne peuvent ni évaluer ni commenter l’ouvrage. Ainsi en a décidé la main de fer rouge, avec la complicité servile d’Amazon.

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Une enquête de Reuters révèle que, depuis déjà dix ans, le géant américain plie l’échine pour satisfaire les caprices de l’Empire, dans le but d’y faire fructifier son marché. En partenariat avec une entreprise d’État, le China International Book Trading Corp (CIBTC), Amazon a créé un portail sur son site américain, China Books, proposant plus de 90 000 livres. Parmi les titres les plus alléchants, Histoires de courage et de détermination : Wuhan dans le confinement du coronavirus ou, à propos de la région des Ouïghours, Incroyable Xinjiang : histoires de passion et d’héritage, qui gomme toute référence à un quelconque « problème ethnique ». L’idylle « sino-amazonique » se résume à une « relation commerciale entre deux entreprises », a laconiquement commenté CIBTC. « En tant que libraire, nous pensons qu’il est important de donner accès à l’écrit et à diverses perspectives. Cela inclut des livres que certains peuvent trouver répréhensibles », a déclaré le géant de la vente en ligne.

Les tensions récurrentes entre Joe Biden et Xi Jinping s’évaporeront-elles grâce à cette lune de miel ? « Partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces », écrivait Montesquieu. China Books n’ayant pas généré de revenus significatifs pour Amazon, ce dernier semble plus s’abandonner aux plaisirs de la soumission qu’à la douceur des mœurs chinoises. Pendant ce temps-là, en France, Amazon humilie nos libraires et élude les tentatives de l’État pour lui imposer une fiscalité plus juste.

Verlaine boit

Le poème du dimanche


Est-ce le vert ambré de l’absinthe ou l’inquiétude mélancolique devant une sainteté impossible qui donna à  la poésie de Paul Verlaine (1844-1893) ce rythme impair comme celui d’une tachycardie ? Toujours est-il qu’il fut un des premiers à briser les réflexes conditionnés des lecteurs habitués à la versification classique. Il poussa en effet à l’extrême les capacités de la syntaxe pour faire rendre à la langue française tout ce qu’elle contenait de musique.

Délicat docteur des allitérations, assassin suave de la césure, subtil spécialiste des assonances, Verlaine a transformé ses conflits intérieurs en paysages choisis de Watteau où erre pour l’éternité sa silhouette incongrue et magnifique de Silène crispé. Il est, dans la lignée de Baudelaire, un des grands poètes de l’ivresse comme on le verra dans cette Chanson pour boire :


À Léon Vanier.

Je suis un sale ivrogne, dam !
Et j’ai donc reçu d’Amsterdam
Un panier ou deux de Schiedam.

Mais seulement le péager,
Qu’il me faut pourtant ménager,
À moins que de le négliger

M’interdit — il a bien raison ! —
D’introduire dans ma maison
Ce trop pardonnable poison.

Je vole à la gare du Nord,
Mais j’y pense : or voici que l’ord-
E misère est là qui me mord…


Hélas ! comment faire, Vanier ?
Je n’ai plus l’ombre d’un denier

Pour vous offrir un verre ou deux de ce panier.

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Michel Deville à l’Elysée!

Seule la filmographie du réalisateur né en 1931 peut nous faire oublier les gesticulations électorales du moment…


Pendant que certains regardent les meetings de la présidentielle, j’ai passé tout mon week-end à rechercher les DVD de Michel Deville, dans mon fouillis berrichon. Impossible de remettre la main dessus. Où sont-ils passés ? Ils ont toujours eu l’esprit fugueur. La dissidence est leur raison d’être, troublante profession de foi.

À chacun, son vice. Je ne blâme pas les observateurs avisés du monde politique, mais il serait temps de grandir un peu, de ne pas trop surinvestir dans cette campagne qui reste, malgré tout, un exercice convenu et déceptif comme disent les enquêtes marketing d’un produit dépassé. La politique est ce vieux hochet qu’on agite par réflexe et aussi, par lassitude.

Divertissement nostalgique

Pour faire encore durer l’illusion démocratique, croire aux lendemains qui chantent et aux belles phrases qui gonflent dans les arènes municipales, les soirs d’hiver. Entre nous, il n’y a pas plus de suspense dans cette élection que dans la réindustrialisation de notre pays. Je ne veux pas doucher vos espoirs de changement, croyez-en un chroniqueur non-aligné, égaré dans les lointaines provinces, tout ça n’est qu’écume et farces, cette mousse légère qui vient panser votre colère disparaîtra aux saints de glace. Elle ne collera même plus à vos semelles, aux premiers jours de l’été, vous aurez tout oublié. Que restera-t-il après le passage de ce cirque médiatique un peu trop bruyant pour être honnête ? Un divertissement pour adultes nostalgiques des combats d’antan et un grand vide.

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Nous sommes un peuple suffisamment évolué et instruit pour ne pas se vautrer durablement dans les vaines batailles et les discours poussifs. Depuis longtemps, nous avons accepté notre défaite idéologique, économique et culturelle, sans forfanterie, ni honte. Ce détachement viscéral à la chose publique nous est consubstantiel. Nous ne revendiquons rien, nous n’attendons rien. Les alternances nous font seulement sourire et les programmes nous rappellent les cocottes en papier de notre enfance. Elles finissent toujours à la poubelle. La défaite acceptée, voire intégrée est en soi une manière raisonnable d’appréhender le présent et d’esquiver le quotidien.

Cinéma primesautier et cruel

Cette résignation n’est qu’une forme avancée de politesse face aux événements tragiques. Nous valons mieux que les coups de menton des estrades et les leçons d’éducation des plateaux télévisés. Alors, nous cherchons des refuges, des endroits où planquer notre vague-à-l’âme, nos errements non-rentables et ce sentimentalisme si mal cicatrisé. La filmographie de Michel Deville, assez méconnue au demeurant, abrite des parcelles de notre humanité jadis si friable et si désirable. Ses films dépourvus de morgue et de démonstrations de force, dans un halo de lumière, filtraient l’amour amer et l’érotisme chaste. Chez lui, le décolleté soyeux et pudique n’en était pas moins obsédant. Il aura décliné les infinies variations du marivaudage comme un art de vivre nécessaire à la survie de la race humaine. Qui n’a pas vu « Benjamin ou les Mémoires d’un puceau » (1968), « L’Ours et la Poupée » (1970), « Raphaël ou le débauché » (1971) ou plus tard « Péril en la demeure » (1985) ne connaît pas le bonheur instable de ce cinéma incandescent et fugace, primesautier et cruel, dénudé et probe. Comme le sel de mer aux lèvres, ces films excitent la mémoire et ouvrent les vannes du passé. Deville met l’eau à la bouche. Il est certainement le réalisateur qui aura le mieux capté la beauté des corps féminins et les emballements incertains du cœur. Il possède cette férocité aimable qui n’abuse jamais de plans tapageurs ou de poses exacerbées. Il est le réalisateur des tourments intérieurs qui filme, sur la pointe des pieds, l’atroce douleur d’aimer. Sa légèreté et la pétillance de ces dialogues résistent admirablement aux affres du temps. Il n’est jamais banal, jamais brutal. C’est pourquoi, on revient à lui, sans cesse pour retrouver nos élans originels et cette pureté disparue.

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La femme en bleu

Ces films vus à l’adolescence, qui n’avaient pas la prétention d’embrigader, demeurent des bornes temporelles. On se souvient à peine du programme commun ou des privatisations de la cohabitation. Par contre, on rêve certains soirs à Marina Vlady, Catherine Rouvel, Francine Bergé, Simone Bach, Anna Gaël, Lea Massari ou l’admirable Christine Dejoux. Très tard, dimanche dernier, j’ai fini par retrouver « La Femme en bleu » (1973) et « Eaux profondes » (1981). Les coffrets consacrés à l’œuvre complète de Michel Deville datent de presque une quinzaine d’années et leur prix est relativement élevé sur le marché d’occasion, il serait temps de les ressortir avant le premier tour de la présidentielle. Je voterai pour le candidat qui s’engage dans cette voie-là. Pour patienter et mieux connaître le travail de ce réalisateur, nos confrères de L’Avant-Scène Cinéma lui ont consacré un dossier très réussi dans le numéro 688 (décembre 2021).


L’Avant-scène Cinéma – Revue mensuelle – 688 – Décembre 2021

Serge Koster (1940-2022), l’écrivain du «non»

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Serge Koster, décédé le mois dernier, appartenait à une espèce en voie de disparition: l’homme de lettres complet. 


Chroniqueur à La Quinzaine littéraire, sur France Culture et au Monde, cet agrégé de grammaire puisait dans son métier de professeur de grec, de latin et de français, pour développer un rapport jouissif avec la langue dans une trentaine de livres, s’inspirant de Léautaud, de Montaigne, de Ponge ou de Racine… pour ne pas évoquer Hitchcock.  

Je l’ai rencontré au premier étage du Flore : tous les vendredis, il prenait le thé avec Roland Jaccard. Leurs conversations ressemblaient à des matchs de ping-pong — passion partagée par les deux septuagénaires —, chacun renvoyait rapidement la balle, l’esprit et l’érudition remplaçant le topspin et le smash. Je les observais, hypnotisé, prenant des notes de temps à autre, dépassé par leur niveau. J’avais conscience d’assister à un moment historique, semblable à celui vécu par les spectateurs de la finale de Roland-Garros 1984, disputée par Lendl et McEnroe (pardon pour ce léger déplacement de métaphore).

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Geneviève, « l’Aimée », dédicataire préférée de ses textes, sa femme pendant six décennies, prétend que tous les hommes sont homosexuels : Koster et Jaccard — on les appelait par leurs patronymes — illustraient bien ce propos. Ensemble ils constituaient deux faces d’une même pièce : l’un fidèle, l’autre volage, ils cloisonnaient l’objet aimé afin de le sublimer, projet masculin par excellence. Le livre accompli, il incombait aux hommes de le disséquer, comme le veut la tradition talmudique. Quelle joie que de se réunir au Flore pour entendre leurs propos misogynes et auto-dérisoires, l’un s’appuyant sur Léautaud, l’autre Weininger. 

Koster, de nature aimant, se laissait prendre dans les pièges tendus par Jaccard, le sadisme de ce dernier ne le dérangeait pas. Ce fut même par excès d’amour qu’il se brouillait avec ses amis, schéma récurrent à l’origine de son récit Mes Brouilles, où, avec son habituelle introspection acide, Koster raconte ses douloureuses ruptures dans le milieu littéraire. 

Né en août 1940 à l’Hôtel-Dieu, en face de Notre-Dame, Koster fut caché pendant la guerre, puis abrité par l’O.P.E.J., où, à l’âge de sept ans, il a été circoncis, prenant connaissance de sa judéité. Pas rancunier, Koster n’en voulait pas à la France, au contraire, il s’est efforcé de fusionner son double héritage : « Toujours plus Juif à mesure des menaces et des offenses — je me posais la question : en quoi réside, à travers ma personne, l’humanité du Juif français ? Et je répondais : en l’alliance de la citoyenneté et de la conscience, de l’accidentel et de l’irrévocable, une forme d’appartenance au lieu et à soi qui ne me fut jamais promise. » 

Son quotidien au lycée Voltaire lui permettait de servir sa véritable nation, identifiée dans Adieu Grammaire (Prix de la critique de l’Académie française, 2002) : « La langue française tout entière convoquée dans un volume constitue mon asile, mon trésor, ma patrie, mon salut ». Il n’a cessé de prêcher en faveur de ce salut, laissant son empreinte sur plusieurs générations d’élèves, gardant son allure de professeur de lettres, avec ses vestes en tweed, comme on l’a vu sur une émission de Apostrophes en 1985, où il s’est vu reprocher par Pivot son intelligence et la difficulté de son style.

Ses airs d’enseignant dissimulaient l’âme d’un guerrier, un roi Arthur œuvrant pour la gloire de ses Muses : non seulement Guenièvre/Geneviève, mais leur idiome commun, menacé par des rebelles relâchés. Personne ne maitrisait mieux les codes chevalero-linguistiques que ce grammairien : ses pairs le sollicitaient régulièrement en amont de leurs propres publications. Quelle ironie, alors, qu’il ait attendu sa trente-cinquième année avant de s’aventurer sur le champ de bataille ! Ce fut grâce à sa lecture de Francis Ponge, poète des objets concrets, cité dans son premier roman, publié par Maurice Nadeau et porteur d’un joli titre emprunté à La Rochefoucauld, Le soleil ni la mort : « Un concert de vocables, qui signifie sur tous les plans, se signifie lui-même (donc, ne signifie plus rien), et fasse ce qu’il dit. »

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Faire ce qu’il dit : Koster mettait la barre haut. Dans son éloge funèbre, Georges Vigarello a mis en avant la « rigueur » du défunt, une exigence extrême qui interdisait la banalité, la platitude, la mollesse. Chaque phrase devrait constituer une aventure en soi, sinon, à quoi bon ? Il ne s’agissait pas moins d’une question d’honneur. La clé, selon Koster citant Chamfort, c’est de savoir dire « non ». Prononcer cette syllabe fut comme une seconde nature chez le grammairien : « Non ! Humour ou pas, l’homme de la brouille a pour premier réflexe de dire non. Non à la rencontre du spermatozoïde et de l’ovule, non à la conception de cet être vindicatif qui deviendra le signataire de ces lignes, non aux amis qui vous proposent des entreprises que vous mènerez à bien dès lors que vous aurez été converti à l’intérêt de la chose, non à la vie, en somme… Sans crier gare, se présente à moi Léautaud en personne, Léautaud lui-même, Léautaud en gardien de mes ruines. Quel message a-t-il à me transmettre ? Que l’adverbe de négation non est un mot plus beau, plus noble, dans tous les domaines, que le mot oui » 

Heureusement, Koster n’a pas dit « non » à ses maîtres : ses plus beaux récits sont ceux publiés tardivement chez Léo Scheer et chez Pierre-Guillaume de Roux, où il les prend à bras-le-corps, mélangeant l’essai et l’autofiction, comme dans Léautaud tel qu’en moi-même (2010), Les blondes flashantes d’Alfred Hitchcock (2013), Montaigne sans rendez-vous (2015) et Tournier parti (2019). 

À la fin, hélas, il n’a pas pu refuser la Mort, accueillie par « Miss P », comme il surnommait sa maladie de Parkinson. Si, pour Ponge, « Chaque morceau de viande est une sorte d’usine », pour Koster, comme pour la France entière, l’usine ne tournait plus.   


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Quand Isaac Bashevis Singer visitait Israël

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Les grands écrivains continuent de publier après leur mort… C’est la réflexion que je me suis faite en lisant le dernier livre d’Isaac Bashevis-Singer, qui vient d’être publié en Israël [1]. Il s’agit d’un carnet de voyages en Israël, rédigé en 1955 sous forme d’articles pour le journal yiddish Forverts, et qui offre une vision étonnante, non seulement de l’Etat d’Israël des premières années, mais aussi de la manière dont le grand écrivain a perçu l’Etat juif renaissant.

Identité juive

Parti de Marseille avec sa femme sur le Artsa, Bahevis-Singer débarque à Haïfa en septembre 1955. D’emblée, il est sous le charme et ne cache pas son émotion. “Combien limpide la ville apparaît depuis notre bateau ! Tellement ensoleillée et lumineuse. C’est sans doute à cela que ressemblera un jour la Résurrection des morts. La terre s’ouvrira et en sortiront des jeunes hommes et des jeunes femmes aux joues roses, un sourire dans les yeux”. Il se rend ensuite à Tel-Aviv, accompagné de l’écrivain Itshak Perlov. Ce qui le frappe dès les premiers instants (comme beaucoup de visiteurs  découvrant Israël), c’est l’omniprésence de la culture et de l’histoire juive, jusque dans les noms des rues, comme il le rapporte avec sa malice habituelle : “Le Juif allemand qui habite ici est sans doute un peu snob, mais son adresse est rue Chalom Aleichem. Et il est ainsi obligé, plusieurs fois par jour, de répéter ce nom…

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Ainsi, l’identité juive devient en Israël une réalité à laquelle nul ne peut échapper, y compris chez les Juifs les plus assimilés. Et, de manière moins anecdotique, il observe encore : “Comme ce fut le cas au Mont Sinaï, la culture juive – au sens le plus profond – s’est imposée aux Juifs en Israël et les interpelle : Vous devez m’adopter, vous ne pouvez plus m’ignorer, vous ne pouvez plus me dissimuler”.

Particulièrement séduit par Tel-Aviv

Le périple israélien de Singer le mène aux quatre coins du pays (qui est alors très petit, dans les frontières d’avant 1967) : à Jérusalem et à Be’er-Sheva, à Safed et dans le Néguev. Il rencontre des personnalités et des gens de la rue, des écrivains et des hommes politiques. Sur le bateau déjà, il a été frappé par la piété des Juifs tunisiens, et en Israël aussi, il découvre le peuple Juif dans sa diversité ethnique et culturelle. Visitant des camps de transit, où sont installés les Juifs venus d’Afrique du Nord dans des conditions très difficiles, il ne se départit pas de son regard plein d’humanité et d’optimisme : “Les Juifs ici ont l’air à la fois en colère et plein d’espoir. Ils ont beaucoup de récriminations à l’encontre des dirigeants israéliens. Mais ils doivent s’occuper de leurs propres vies. Leurs enfants iront dans des écoles juives. Ils font d’ores et déjà partie du peuple. Bientôt on les retrouvera dans des ministères et à la Knesset”. 

Singer est particulièrement séduit par Tel-Aviv, dont il sait apprécier – contrairement à d’autres voyageurs – la beauté et le style architectural. “Elle est à mes yeux une ville très belle, construite avec beaucoup de soin et de goût. Les maisons y sont claires et les balcons adaptés au climat subtropical et enchanteur. Oui, c’est enchanteur comme une pluie d’été”. L’écrivain né en Pologne et installé à New-York apprécie le charme de la première ville juive construite sur les dunes. “Tout exprime ici l’ouverture, la bénédiction et la paix. Il n’y a pas une once de snobisme dans cette ville. Elle est tout entière comme une grande auberge juive”. À Safed, il rencontre des combattants de la guerre d’Indépendance.

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Le courage des kibboutz

Sa visite à Jérusalem ne lui laisse pas, par contre, une impression très forte. Mais c’est du kibboutz Beit Alfa qu’il rapporte les sensations les plus marquantes. Il s’y rend avec sa seconde femme, Alma, pour rendre visite à son fils Israël Zamir, qui vit en Israël depuis 1938 [2]. C’est là, au pied du mont Gilboa, dans ce kibboutz fondé par l’Hachomer Hatzaïr (dont son fils est membre), que Singer partage un repas shabbatique dans le réfectoire commun et qu’il fait sans doute l’expérience la plus forte de son séjour. “Si c’était un kibboutz religieux, la femme allumerait les bougies et le mari se rendrait à la synagogue pour accueillir le shabbat. Mais ici, c’est le soleil qui allume les bougies. Il colore les monts alentour d’une rougeur merveilleuse, l’éclat de bougies de shabbat célestes… La transition entre le jour et la nuit est rapide. Il y a un instant encore, le soleil était rouge flamboyant, et voici que les étoiles apparaissent dans l’obscurité. Nuit de shabbat. J’ai un sentiment étrange – ici, on ne peut pas profaner le shabbat. Il est là, empreint de sa sainteté intrinsèque. Ici, le shabbat se sent chez lui, et ces jeunes gens et jeunes filles professant l’athéisme ne parviennent pas à le chasser”. L’écrivain est également frappé par le courage des habitants du kibboutz: “L’ennemi peut attaquer de toutes parts, du Nord, du Sud, de l’Est… Mais le visiteur en Israël est gagné par la bravoure partagée par tous les Juifs du pays, une sorte de courage qu’il est difficile d’expliquer”.

Quelle aurait pu être la carrière littéraire de Bashevis-Singer, s’il avait décidé de rejoindre le jeune Etat juif et d’en devenir citoyen ? Quelle aurait pu être sa contribution aux lettres israéliennes, et comment sa carrière littéraire en aurait-elle été modifiée ? Autant de questions auxquelles seule l’imagination permet de répondre. Souhaitons que ce beau livre soit également traduit en français.


1. Les voyages de Bashevis en Eretz Israël (hébreu), éditions Blima, Berlin-Jérusalem 2021.

2. Israël Zamir, abandonné par son père alors qu’il était enfant, a raconté son expérience dans un livre autobiographique, Mon père inconnu, Isaac Bashevis Singer.

De l’écologisme faisons table rase!

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L’écologie politique est l’une des armes de la cancel culture. Au nom du climat, elle déconstruit notre histoire et nos paysages. Dans son nouvel essai (L’Écologie ou l’Ivresse de la table rase, l’Observatoire, 2022), Bérénice Levet démontre que la défense de la nature passe avant tout par la défense de notre civilisation. Un humanisme aux antipodes du terrorisme vert.


Porte-parole de « l’esprit français », dans ce nouvel essai comme dans ses précédents ouvrages [1], Bérénice Levet démantèle ici, avec l’acuité de pensée qu’on lui connaît, le sanctuaire « végétalisé » dont rêvent les écologistes radicaux. Mais qu’on ne l’accuse pas d’être écophobe, ou pire encore écocide ! Si elle s’en prend à la « vulgate écologiste », c’est au nom de ce que devrait rester l’écologie : l’art et la manière dont chaque peuple, fidèle à son histoire et attaché à son art de vivre et à ses paysages, aménage sa vie sur terre. Une écologie bien tempérée en somme, capable de résister au terrorisme vert qui embrigade les esprits sous prétexte de sauver la Terre, et qui saccage la nature au lieu d’en préserver la beauté. On pense souvent, au fil de ces pages frémissantes d’inquiétude et de colère, à ce qu’écrivait Baudelaire : « Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie. » Que vaut en effet une écologie qui, au lieu de « rouvrir les yeux et les oreilles », se complaît dans des abstractions et des chimères ? Car le séjour terrestre, rappelle Bérénice Levet, « ne s’aménage pas à coups de grands programmes ». Il s’invente au jour le jour grâce à l’étroite connivence de l’intelligence et du cœur, des sens et de la raison, de l’homme et de son environnement naturel.

Appauvrissement de la terre et de la langue

Si les écologistes politisés et militants sont aussi férus de programmations, c’est qu’ils poursuivent en fait « la déconstruction du vieux monde » engagée par la modernité, et qui va bon train depuis l’après-guerre. Aussi sont-ils pris dans une cascade de contradictions prouvant « l’inconsistance de leur philosophie » : massacre de la culture au nom de la protection de la nature, défiguration des paysages par des champs d’éoliennes, ralliement enthousiaste au wokisme au risque de voir l’écologie perdre son sens originel qui n’impose nullement de sauver la planète, mais suppose une attention accrue à l’endroit de son « habitat » (grec oikos), proche ou plus lointain. Comment donc faire confiance à des défenseurs de la nature qui sont en fait « des mondialistes et des déracinés », et à une idéologie fortement politisée qui se révèle être « le dernier avatar de l’utopie de la régénération de l’humanité » ? Le vrai défi face à la détérioration de l’environnement consisterait donc à « prendre au sérieux et en charge le tourment écologiste sans verser dans les chimères des idéologies ». Car « tourment » il y a bien à ce sujet chez Bérénice Levet, qui déplore que l’appauvrissement de la terre aille de pair avec celui de la langue, mais refuse d’imputer la responsabilité entière de ce double désastre à l’homme blanc et européen, car l’Occident, écrit-elle, « recèle ses propres anticorps ». Un message d’espoir donc que cet « hymne à notre civilisation » aujourd’hui menacée de toutes parts, et une preuve de confiance dans l’être humain capable d’autolimitation et de gratitude.

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Les propositions de Bérénice Levet en faveur d’une écologie fidèle à sa signification originelle sont aussi sensées que claires, et l’on peut seulement regretter qu’elle ne les ait pas davantage étoffées dans la dernière partie de son livre où elle plaide pour une écologie résolument « conservatrice » car fidèle aux « attachements premiers » des individus et des peuples ; une écologie soucieuse de « repartir des hommes », de leurs besoins et de leurs désirs véritables, de leur imaginaire aussi que les technocrates de tous bords ignorent ou bafouent ouvertement : « Ce qu’il nous faut retrouver, c’est une véritable présence au monde. » Vaste programme à vrai dire, qui fut au xxe siècle celui des philosophies de la vie et de l’existence, et demeure l’enjeu d’une poétique comme celle de Kenneth White ou d’Yves Bonnefoy. Citant souvent Hannah Arendt et Simone Weil – mais aussi tout un corpus d’auteurs classiques qui lui sont familiers –, Bérénice Levet montre que telle fut justement la dimension « écologique » des Humanités avec lesquelles il conviendrait de renouer ; la culture nous apprenant à prendre soin de la nature mieux que tous les discours vertueux,  déconnectés de toute « terre » qui incarnerait ce qu’ils prêchent.

Vers la sobriété heureuse

Rappeler à l’être humain qu’il est « un vivant parmi les vivants » comme le fait aujourd’hui l’écologie radicale, implique-t-il forcément de « noyer l’homme dans le grand bain du vivant » ? On comprend les craintes de l’humaniste qu’est Bérénice Levet, mais cette immersion à première vue dissolvante pourrait tout aussi bien constituer un rappel à l’ordre chaque fois que la supériorité humaine devient prétexte à détériorer l’habitat commun à tous les vivants. Redécouvrir ce qui unit l’être humain à d’autres vivants ne peut-il être aussi pour lui une expérience spirituelle enrichissante, négligée par la rationalité occidentale ? De même en est-il de la « sobriété heureuse » devenue le cri de ralliement des écologistes sous la houlette de Pierre Rabhi, et qui n’a guère les faveurs de l’auteur qui voit en elle un abandon de nos traditions culturelles teinté de puritanisme. La plupart des sages antiques firent pourtant de la frugalité leur mode de vie favori, dont s’inspirèrent pour partie au moins les humanistes ; et Nietzsche lui-même se disait en quête d’une sobriété capable d’accueillir sans se renier l’extase dionysiaque. La sobriété heureuse ne diffère d’ailleurs de l’autolimitation prônée par Bérénice Levet que lorsqu’elle prend la forme d’une soumission aveugle aux diktats de l’écologie puritaine et pénitentielle. S’il importe en effet de retrouver cet art de la « convenance » que fut durant des siècles l’humanisme occidental, il n’est fort heureusement pas qu’une seule manière de mettre en pratique cette « entente de la vie » qu’est l’écologie délivrée de l’idéologie.

Bérénice Levet, L’Écologie ou l’Ivresse de la table rase, l’Observatoire, 2022.

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[1] La Théorie du genre ou le Monde rêvé des anges (2014), Le Crépuscule des idoles progressistes (2017), Libérons-nous du féminisme ! (2018).

Nordahl Lelandais: les journaux en font-ils trop?

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S’il vient finalement de reconnaitre qu’il avait volontairement tué la petite Maëlys lors de son procès, Nordahl Lelandais dit ne pas se souvenir, ou ne pas pouvoir donner d’explications à ses actes criminels. De quoi susciter une surenchère médiatique et accentuer le désarroi des parties civiles.


Il y a des affaires criminelles qui commencent mal sur le plan médiatique et parfois même pour l’essentiel judiciaire. On ne sait pourquoi, une focalisation qui devient vite délirante sur un suspect, un mis en examen, un accusé, au point d’entraîner des conséquences délétères: traiter artificiellement d’extraordinaires une procédure, puis un procès, contre l’obligation, comme l’avait enseigné le procureur général Pierre Truche, d’appréhender de manière ordinaire quelque matière criminelle que ce soit.

Quand les ressorts criminels profonds sont inintelligibles

Il y a eu la folie médiatique autour de Jonathann Daval, favorisée par l’un de ses avocats et l’étrange et complaisante exposition des parents de la victime. Il y a, depuis le début du procès de Nordahl Lelandais pour le meurtre de la toute jeune Maëlys, des comptes rendus médiatiques à foison allant jusqu’à interviewer la sœur de celle-ci en compagnie de son avocat sur TF1. Je ne peux que renvoyer au texte que j’ai écrit le 23 novembre 2020: « Jonathann Daval : procès d’un procès ? » Celui-ci met surtout l’accent sur l’obsession des parties civiles d’obtenir de la part des accusés une vérité complète et définitive sur ce qu’ils ont perpétré, alors qu’eux-mêmes ne désirent pas être à leur service et que parfois même ils sont ignorants de leurs ressorts profonds.

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On attendait de Jonathann Daval, on attend de Nordahl Lelandais, la clé des mystères criminels et il est évident que comme souvent, voire toujours, la déception sera aussi vive du côté des familles de victimes que leur espérance était forte et leur douleur violente.

Remettre l’accusé à sa place

Cette médiatisation obscène – quelques hebdos, dont Marianne, sauvent l’honneur – amplifie l’expression d’un désir de vérité qui ne sera jamais satisfait dans sa plénitude et donc suscitera une terrible déception, accroissant le chagrin de la perte irréparable et peut-être aussi le ressentiment contre une peine pas assez extrême. J’entends bien qu’il est dur, voire impossible pour les sinistrés à perpétuité d’un crime qui les a dépossédés d’un être cher, pour les amis d’un accusé qu’ils disent avoir connu sous un autre jour, de ne pas s’abandonner à la colère naturelle contre celui qui saurait toute la vérité mais ne voudrait pas la dire.

Qu’il la taise par sadisme ou par ignorance de ses tréfonds obscurs, surtout qu’on ne fasse pas de lui l’arbitre des révélations et de l’exemplarité d’un procès. Il n’a pas à gouverner ni à administrer des débats que son crime a imposés. Il ne sera jamais un sauveur. Après avoir été un fossoyeur.

Golda Meir, le sens politique est-il inné ou acquis?

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On peut trouver de quoi répondre à cette question dans la biographie la plus précoce de la « grand-mère d’Israël », dont la traduction française, par Pierre Lurçat, vient de paraître, avec une riche préface offrant un éclairage enrichissant.


Valeurs fondatrices

Toute jeune, déjà, Golda Meir incarnait les valeurs fondatrices qui ont guidé les jeunes pionniers du début du XXe siècle, qu’elle définissait comme « le travail juif, la défense juive, la vie collectiviste, le travail de la terre, la volonté de maintenir l’union des ouvriers… » En effet, explique Lurçat, c’est le sionisme travailliste qui les avait conduits à « renoncer à une vie plus facile et confortable pour devenir des paysans et des travailleurs ».

Golda Meir est née au XIXe siècle (en 1898) à Kiev, dans ce qui n’était pas encore l’URSS, mais la Russie tsariste : une grande ville interdite aux Juifs. Mais son père étant menuisier, cela faisait de lui un artisan qualifié. Kiev représentait une amélioration par rapport au shtetl d’où la famille était partie, mais les souvenirs qu’en garde la jeune Golda, née Mabovitch, ce sont les pogroms, « la gêne et la faim ».

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Son grand-père paternel avait été kidnappé à domicile à l’âge de 13 ans et enrôlé de force dans l’armée (pas encore rouge, même si les communistes conservèrent la tradition). Il y resta les 13 années suivantes. « On essaya de le forcer à se convertir, y compris au moyen de tortures physiques… mais il ne céda pas. C’était apparemment un homme très ferme dans ses convictions religieuses » explique sa petite-fille, qui ne l’a jamais connu.

Le rêve américain des Juifs de l’empire tsariste

Golda avait cinq ans quand son père émigra en Amérique. Au bout de trois ans, il eut les moyens de payer la traversée à sa famille. Mais pendant ces trois années, celle-ci avait vécu à Pinsk, chez le grand-père maternel, où sa sœur aînée s’était engagée dans le mouvement révolutionnaire socialiste sioniste. Golda avait donc huit ans quand elle accosta au Nouveau Monde. Elle gardait de la Russie « le souvenir des cosaques, les marécages de Pinsk, la vie de misère à Kiev, les cris provenant du poste de police… » Elle parlait russe et yiddish. Elle acquit très rapidement l’anglais et les idées révolutionnaires de sa sœur. « De mon père », dit-elle, « j’ai hérité l’obstination… De ma mère, j’ai reçu l’optimisme. » Remarque savoureuse, quand on apprend que son père était fermement opposé aux activités politiques de ses filles !

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Ses parents refusaient aussi qu’elle continue des études pour devenir institutrice comme elle en rêvait (versant optimiste). À quatorze ans, elle fugua donc pour rejoindre sa sœur à Denver (versant obstinée) et poursuivre lesdites études. C’est là qu’elle rencontra, l’année suivante, Morris Meyerson, un peintre d’affiches, qu’elle épousa à 19 ans, en 1917.

Dernier exil pour mettre fin à l’exode

Golda Mabovitch, épouse Meyerson émigra en Palestine avec sœur, neveux, mari et pas de bagages en 1921, deux semaines après les émeutes anti-juives de Jaffa (150 morts). Leurs parents les rejoignirent cinq ans plus tard. Elle avait quitté l’Amérique « avec un sentiment de pleine gratitude pour ses qualités… la liberté qui y régnait, les possibilités qu’elle offrait à l’être humain et la beauté de ses paysages. »

L’exil de Russie avait été guidé par la volonté de fuir un régime impitoyable et l’espoir d’un mieux-être matériel, celui d’Amérique était motivé par un idéal sioniste bien plus puissant, qui impliquait, en toute connaissance de cause, une considérable régression matérielle. Elle eut l’occasion de faire la synthèse de ses expériences russo-américano-israélienne en termes de démocratie lorsque, première ambassadrice de l’État juif renaissant en Russie, elle fut interrogée par des femmes russes sur sa fille, membre d’un kibboutz : « Je leur dis qu’elle cuisait le pain. Elles furent stupéfaites : elles pensaient qu’en tant que fille de diplomate, elle était certainement la directrice du kolkhoze… »

La suite appartient à la grande Histoire 

Golda Mabovitch, épouse Meyerson, devenue Meir tout court en 1956, fut la quatrième Premier ministre d’Israël (1969-1974), troisième de son espèce, après Sirimavo Bandaranaike au Sri Lanka (1960) et Indira Gandhi en Inde (1966).

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Pour autant, son féminisme pragmatique tranche sur les récriminations des anti-féminicides contemporaines : « Je ne suis pas une grande admiratrice de cette forme particulière de féminisme qui se manifeste par les autodafés de soutien-gorge, la haine de l’homme ou les campagnes contre la maternité. Mais j’avais le plus grand respect pour ces femmes énergiques, qui travaillaient dur dans les rangs du mouvement travailliste… en Palestine. Cette sorte de féminisme constructif fait vraiment honneur aux femmes et a beaucoup plus d’importance que de savoir qui balaiera la maison et mettra le couvert. »

Pour ce qui est de sa propre vie, elle déclara à propos de son mari (dont elle se sépara en 1940) lui être « éternellement reconnaissante pour de nombreuses choses que’[elle n’a pas] reçues à la maison et que lui [lui] a transmises », ajoutant qu’elle était « capable de recevoir en abondance de ceux qui [l]’entourent ». En français, cela s’appelle tolérance et c’est âprement combattu par le wokisme et les néo-féministes qui lui feraient horreur.

L’honneur de l’une est l’horreur des autres

Ce qui ferait horreur aux intersectionnelles de tout poil, c’est une déclaration de Golda Meir adressée aux Palestiniens après la guerre des six-jours : « Nous pourrons sans doute un jour vous pardonner d’avoir tué nos enfants. Mais il nous sera beaucoup plus difficile de vous pardonner de nous avoir contraints à tuer les vôtres. La Paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent. » Elle n’a toujours pas été entendue.

* Golda Meir, La Maison de mon père, éditions Books on Demand 2022.

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Afida Turner, un monstre au théâtre

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« Requiem pour une conne » au Théâtre Trévise, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…


Afida Turner au théâtre… il fallait oser y aller, mais je ne me refuse rien !

Afida Turner, vous vous rappelez ? Cette créature télévisuelle a été révélée par une émission de téléréalité sur M6, elle a été un temps la compagne du rappeur américain Coolio, de Mike Tyson, et aujourd’hui mariée depuis quinze ans à Ronnie Turner, fils d’Ike et Tina
Turner. Chanteuse, comédienne et ancienne élève du cours Florent (elle aime le rappeler), elle est en réalité un peu plus que tout cela. C’est un phénomène !

Elle ne passe pas par un plateau télé sans faire le buzz, robes rouges en cuir ras des fesses, longues griffes vernies, poitrine offerte débordante et incontrôlable, crinière de lionne… De la lionne aussi, les rugissements.

Bien sûr que c’est de mauvais goût. C’est au-delà du mauvais goût. Mais lorsque le mauvais goût est si excessif, si foudroyant, il dépasse à mes yeux le raisonnable et parfois ennuyeux bon goût. Elle devient Reine du too much jusqu’à nous pousser, nous spectateurs, au bord de la falaise vertigineuse de la gêne.

Une salle pleine tous les soirs

Il y a quelques semaines, j’apprends donc qu’Afida Turner monte sur les planches du théâtre Trévise. La pièce : « Requiem pour une conne ». Presque sans aucune promotion, la salle est pleine tous les soirs. Je m’y rends sans aucune honte et le cœur plein de joie ! Moi qui prône le retour du  grand théâtre et des monstres sacrés, moi qui regrette les Maria Casarès, Alain Cuny, Sarah Bernhardt et Mounet-Sully, pourquoi vais-je donc voir Afida Turner avec autant d’enthousiasme (et j’ajouterais d’espoir) ?! Parce que je sais qu’il se passera quelque chose. Parce que, que ce soit bon ou mauvais, je sais que je ne resterai pas insensible à ce qu’on va me montrer.

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Voilà qu’Afida Turner entre en scène et, déjà, il se passe quelque chose. C’est une apparition qui galvanise la foule. Le public est électrisé, il hurle, applaudit à tout rompre. La diva chante, le show commence. « Etienne, Etienne, Etienne / Oh, tiens le bien / Baiser salé, Sali / tombé le long du lit / de l’inédit / Il aime à la folie / Au ralenti / Je lève les interdits »… C’est une véritable rock-star que j’ai devant mes yeux. Impossible de ne pas être happé par le monstre qui vient de prendre possession de la scène et de toutes nos attentions. Une tension sexuelle s’est propagée dans la salle, nous sommes tous pris au piège. Elle se caresse, entre les cuisses, atour des seins. La voilà à quatre pattes, rampant en string et collants résilles, les fesses sont maintenant de face, et bestialement dansent. Aucune vulgarité ! Ce n’est pas commun ! C’est trivial, violent, sexuel, obscène… oui, et pour notre plus grande joie ! Elle lève les interdits.

La pièce n’est pas sans intérêt

« Toute la France veut me baiser »… c’est ce qu’elle hurlera, face public, plus tard dans le spectacle. Je ne vous raconterai pas la pièce, elle n’a aucun intérêt. Et paradoxalement voilà encore quelque chose d’intéressant. Au théâtre, le public passe son temps à s’extasier, ou du moins à chercher un intérêt, à des pièces contemporaines qui très souvent n’en ont, à mon sens, aucun. Ici, personne n’est dupe. Tout le monde se fiche de la pièce et de son peu de qualité.

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Elle n’est qu’un prétexte pour mettre le monstre sur un plateau et l’offrir à la foule assoiffée de démesure et de sensations fortes. Son jeu n’est pas réaliste et c’est tant mieux. Afida Turner hurle son texte comme si elle chantait du rock. Elle insulte, elle jette les accessoires, se roule par terre. Pour que le spectacle soit totalement accompli, il faudrait qu’elle détruise à la hache le théâtre entier et s’ensevelisse sous ses décombres.

Bravo chère Afida Turner, c’est réussi ! Vous faites ce que très peu d’acteurs parviennent à faire : avoir un effet direct et physique sur votre public. Créer une tension sexuelle entre la scène et la salle. La joie qui jaillissait de la foule, je ne l’ai que rarement vue dans un théâtre. Pendant une heure et demie, vous avez détourné une salle entière de son triste petit quotidien. Le chic et petit milieu du théâtre parisien se moque et dénonce l’arrivée d’Afida sur les planches. « C’est pas une actrice ! C’est n’importe quoi ! Et qu’est-ce qu’elle est vulgaire. Franchement, c’est affligeant ». Mais ce qui est affligeant ce sont toutes ces petites comédies bourgeoises jouées par des acteurs raisonnables, qui ne provoquent aucun choc sur le public. Ce qui est affligeant ce sont ces classiques systématiquement « revisités » et modernisés à la Comédie-Française. Ce qui est scandaleux c’est l’embourgeoisement des comédiens, politiquement corrects aussi bien dans leur jeu sage que dans leurs discours policés.

Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…

Afida Turner devrait recevoir comme une décoration à sa boutonnière le rejet et le mépris du monde du théâtre.

Le choc que produisait par exemple Sarah Bernhardt sur la salle devait probablement plus se rapprocher de la rage hystérique et sexuelle d’Afida que de l’insipide présence de Dominique Blanc, pourtant sociétaire de la Comédie-Française… Sarah Benhardt n’était-elle pas d’ailleurs moquée ? Oui, elle dérangeait. Qui se moque aujourd’hui des comédiens sérieux de la maison de Molière ? Personne ! C’est tiède et ça ne dérange personne.  Afida, elle, inspire la fascination et l’adoration chez certains… le mépris, les moqueries et l’indignation chez beaucoup d’autres.

J’en termine, vous voulez savoir si ça vaut vraiment le coup d’y aller ? Je ne sais que vous répondre. Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà. C’est survolté, décadent, abyssal, honteux si on veut, scandaleux si ça se trouve. Bref, moi j’aime les sensations fortes, alors j’y retourne la semaine prochaine !

Dernières dates les 14, 15 et 16 février à 21h30 au théâtre Trévise, 14 rue de Trévise, 75009. Réservations 01.45.23.35.45

Zemmour au chevet de la France silencieuse

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Saulieu, Côte d'Or, 12 février 2022 © JC Tardivon/SIPA

Les rassemblements d’Eric Zemmour continuent de rameuter un important public. Ce samedi 12 février, le candidat à la présidentielle était ainsi à Saulieu (21), capitale du Morvan, pour développer devant plus de 3000 personnes le thème de la protection de la France oubliée et de la ruralité. Il en a profité pour draguer les maires des petites communes, et a fait de Valérie Pécresse sa principale tête de Turc.


Les mots forts chers au candidat de “Reconquête” s’affichent sur les écrans du plus beau foirail de Bourgogne : oser, travailler, s’engager, reconquérir, transmettre, rester Français… 3 500 Bourguignons trépignent en attendant leur messie. Au premier rang, les habitués de son sillage : Stanislas Rigault, Jérôme Rivière, Antoine Diers, Jean-Frédéric Poisson ou Joachim Son-Forget. On ne les présente plus. 

Mais c’est à Franck Gaillard et Loup Bommier, deux maires de la région et parrains d’Eric Zemmour, que revient le devoir de chauffer la salle. L’impérieux appel aux parrainages achève les discours des deux élus. Puis, la musique épique retentit et des ovations montent dans la salle, les écrans géants affichent finalement « Impossible n’est pas français » : Eric Zemmour entre en scène. 

« Vive la Bourgogne ! »

Comme souvent, l’auteur du Destin français entame son discours par la louange de la région dans laquelle il se trouve. À Saulieu, il salue le « cœur de cette France rurale que nous aimons tant ». Un lieu chargé d’histoire, « pays de la gourmandise, des grands vins, des grands vignerons, de l’architecture et des vallons »… Saulieu est aussi le lieu idéal pour évoquer malicieusement “La Grande vadrouille”, et pour rendre un vibrant hommage aux grands Bourguignons qui ont fait notre pays : Bossuet, Eiffel, Vauban, mais aussi Bernard Loiseau, ce grand chef français qui a permis de « hisser notre gastronomie sur le toit du monde » – il s’est d’ailleurs arrêté dans l’établissement du restaurateur disparu en 2003 avant le meeting.

En guise d’introduction, Zemmour dévoile les grands thèmes du jour, prometteurs : que l’État « cesse d’emmerder les Français, définitivement et le plus vite possible ». Il faut de la fermeté envers la racaille et de la bienveillance envers les faibles, et il faut en finir avec la bureaucratie d’un État oppressant. Rapidement, son public en est convaincu : « On est chez nous ! »

« Il y a urgence, nos campagnes sont en danger »

Eric Zemmour rappelle la mise en place d’une présomption de légitime défense pour les gendarmes et les policiers, ainsi qu’une défense excusable pour les Français. Un Français doit « avoir le droit de contre-attaquer », justifie-t-il. « Je veux la protection de votre sécurité, de nos campagnes et de nos villages, des Français les plus fragiles, des agriculteurs et de nos paysages, de tous ceux que l’État a abandonné » et « voir enfin nos impôts utilisés à bon escient ».

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Pour encourager la natalité dans les campagnes, le candidat de “Reconquête” promet une bourse de naissance de 10 000 euros à chaque famille rurale pour la naissance d’un nouvel enfant. Les conditions sont simples : être Français, vivre depuis deux ans dans une commune rurale, et y résider encore pendant trois ans.

« J’ai honte », s’exclame l’orateur un peu plus tard. Eric Zemmour aborde le problème des déserts médicaux. S’il est élu, il compte recruter immédiatement 1 000 médecins pour couvrir les zones les plus sinistrées. Suite au scandale Orpea qui a fait les gros titres ces derniers jours, le candidat annonce que « nous transférerons le contrôle des EHPAD aux préfets, qui auront le pouvoir d’un contrôle immédiat en cas de maltraitance ». Il tient par ailleurs à ce que les personnes âgées puissent « rester le plus longtemps possible chez elles », et s’engage donc à simplifier les services d’aide à domicile. « Je préfère la retraite à la maison que la maison de retraite ». Zemmour promet d’augmenter la pension des veuves, de 50 à 75% de la pension du conjoint décédé : « Les vieux jours doivent être sans angoisse ni désespoir ».

Le défi patrimonial 

Sous ce grand préau, le seul nom du président de la République suffit à provoquer des huées. 

« Macron veut une politique de la ville, moi je veux une politique de la campagne. » Sans que le public n’y voit apparemment quelque annonce démagogique, Eric Zemmour promet aux Bourguignons et aux ruraux de rediriger massivement les investissements du Plan national Cœur de ville vers les campagnes, car, il en est certain : « vous saurez mieux les utiliser ». Une autre mesure pourrait faire grincer des dents : c’est la promesse de la fin de la construction de nouveaux centres commerciaux à l’entrée des villes, cette concurrence meurtrière pour les petits producteurs. Zemmour veut également mettre fin au regroupement de plusieurs enseignes dans les centrales d’achat. Devant son public, il promet qu’il augmentera la part des produits locaux dans la restauration et les cantines scolaires. « Je veux que les enfants de Saulieu puissent goûter à l’école le fromage du Jura et la viande charolaise », car « on devient français par le goût et par la table »

Un autre dessein : lutter contre la bétonisation des campagnes, « la folie des éoliennes » qui remplacent « les lointains clochers et les flèches des cathédrales », et qui « ne font que satisfaire quelques bobos parisiens qui n’ont pas à vivre à côté d’elles ». Eric Zemmour s’attache aussi à évoquer le sujet forestier, prégnant dans cette région : le « vert manteau de la France », ce sont « des siècles d’histoire et de labeur », déclame-t-il. Il se veut « l’infatigable défenseur de ce trésor français ». Déplorant les difficultés de la filière, un domaine d’activité plus du tout attractif, il promet un grand plan de reboisement dès l’été 2022. Cela revalorisera l’industrie du bois. « Voilà l’écologie que nous aimons (…), qui respecte ce que l’on est ». Chasse et pêche sont aussi de mise dans cet éloge du patrimoine naturel français : « Je veux que dans 50 ans, on puisse encore aller chasser avec son petit-fils ». L’ancien journaliste ne peut se montrer plus clair : « Je sanctuarisai la pratique de la chasse et de la pêche comme des éléments constitutifs de notre patrimoine culturel ». Les acclamations de la foule couvrent ces derniers mots.

Zemmour à ses militants: “Le peuple qui respecte le passé et l’avenir, c’est nous!”

« Pendant cette campagne électorale, raille Zemmour, qui décidément sait ménager ses effets ou le suspense, il y a de  parfaites représentations de l’économie politicienne, l’une d’entre elles est… Valérie Pécresse ». Huées. 

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Le candidat de « Reconquête » n’a pas forcément tort, et il a en tout cas plus d’un argument dans son sac pour le démontrer. Sa rivale LR a annoncé vouloir créer une banque publique pour financer les projets des jeunes, qu’elle appelle mot pour mot, « banque du droit à l’échec ». Voilà qui fait moyennement sourire Zemmour ! Elle veut ensuite augmenter le SMIC de 10%, ce qui est certes une louable intention, mais en faisant payer une grande partie par les patrons. « C’est la mesure de gauche par excellence », estime l’orateur. Enfin, elle veut créer 500 000 logements, « parce qu’elle aime les chiffres ronds sans doute ». Zemmour sonne le tocsin : « Elle fera de chaque village un 9-3 miniature », perspective qui évidemment fait frémir l’assistance. Enfin, il en est certain, Valérie Pécresse continuera selon lui de s’entourer « d’islamo-droitistes ». Zemmour met en garde les Républicains encore hésitants dont il convoite les suffrages : non,  Pécresse ce n’est pas un Zemmour centriste, soft : « Reconnaissez que le centre-droit de Valérie Pécresse ne vaudra pas mieux que le centre-gauche d’Emmanuel Macron ». Partant, l’affrontement entre Macron et Pécresse, c’est « Big Brother contre Big Sister ». Cette dernière formule provoque un tonnerre d’applaudissements. À 57 jours du premier tour des élections présidentielles, Zemmour met de nouveau en garde les électeurs de droite : vous aurez « le choix entre sauver les LR et sauver la nation, ne vous trompez pas d’idéal »

Devant un public de Bourguignons acquis à sa cause, Eric Zemmour aura parlé pendant une heure 15.

Le petit livre rouge d’Amazon

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©D.R.

En Chine, Amazon cède aux exigences du régime communiste…


Tout est parti des trois tomes de La Gouvernance de la Chine, de Xi Jinping. Il y a deux ans, cette profusion de discours, pensées et préceptes du président chinois a reçu un commentaire mitigé et une note en deçà du maximum de cinq étoiles sur amazon.cn, le site chinois du géant du e-commerce. Désormais, les internautes chinois ne peuvent ni évaluer ni commenter l’ouvrage. Ainsi en a décidé la main de fer rouge, avec la complicité servile d’Amazon.

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Une enquête de Reuters révèle que, depuis déjà dix ans, le géant américain plie l’échine pour satisfaire les caprices de l’Empire, dans le but d’y faire fructifier son marché. En partenariat avec une entreprise d’État, le China International Book Trading Corp (CIBTC), Amazon a créé un portail sur son site américain, China Books, proposant plus de 90 000 livres. Parmi les titres les plus alléchants, Histoires de courage et de détermination : Wuhan dans le confinement du coronavirus ou, à propos de la région des Ouïghours, Incroyable Xinjiang : histoires de passion et d’héritage, qui gomme toute référence à un quelconque « problème ethnique ». L’idylle « sino-amazonique » se résume à une « relation commerciale entre deux entreprises », a laconiquement commenté CIBTC. « En tant que libraire, nous pensons qu’il est important de donner accès à l’écrit et à diverses perspectives. Cela inclut des livres que certains peuvent trouver répréhensibles », a déclaré le géant de la vente en ligne.

Les tensions récurrentes entre Joe Biden et Xi Jinping s’évaporeront-elles grâce à cette lune de miel ? « Partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces », écrivait Montesquieu. China Books n’ayant pas généré de revenus significatifs pour Amazon, ce dernier semble plus s’abandonner aux plaisirs de la soumission qu’à la douceur des mœurs chinoises. Pendant ce temps-là, en France, Amazon humilie nos libraires et élude les tentatives de l’État pour lui imposer une fiscalité plus juste.

Verlaine boit

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Henri Fantin-Latour, Un coin de table (1872), Musée d'Orsay. Verlaine se trouve en bas à gauche, Rimbaud est assis à ses côtés. Wikimedia Commons.

Le poème du dimanche


Est-ce le vert ambré de l’absinthe ou l’inquiétude mélancolique devant une sainteté impossible qui donna à  la poésie de Paul Verlaine (1844-1893) ce rythme impair comme celui d’une tachycardie ? Toujours est-il qu’il fut un des premiers à briser les réflexes conditionnés des lecteurs habitués à la versification classique. Il poussa en effet à l’extrême les capacités de la syntaxe pour faire rendre à la langue française tout ce qu’elle contenait de musique.

Délicat docteur des allitérations, assassin suave de la césure, subtil spécialiste des assonances, Verlaine a transformé ses conflits intérieurs en paysages choisis de Watteau où erre pour l’éternité sa silhouette incongrue et magnifique de Silène crispé. Il est, dans la lignée de Baudelaire, un des grands poètes de l’ivresse comme on le verra dans cette Chanson pour boire :


À Léon Vanier.

Je suis un sale ivrogne, dam !
Et j’ai donc reçu d’Amsterdam
Un panier ou deux de Schiedam.

Mais seulement le péager,
Qu’il me faut pourtant ménager,
À moins que de le négliger

M’interdit — il a bien raison ! —
D’introduire dans ma maison
Ce trop pardonnable poison.

Je vole à la gare du Nord,
Mais j’y pense : or voici que l’ord-
E misère est là qui me mord…


Hélas ! comment faire, Vanier ?
Je n’ai plus l’ombre d’un denier

Pour vous offrir un verre ou deux de ce panier.

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Michel Deville à l’Elysée!

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Le scénariste et réalisateur français Michel Deville en 1988 © GREGOIRE/SIPA

Seule la filmographie du réalisateur né en 1931 peut nous faire oublier les gesticulations électorales du moment…


Pendant que certains regardent les meetings de la présidentielle, j’ai passé tout mon week-end à rechercher les DVD de Michel Deville, dans mon fouillis berrichon. Impossible de remettre la main dessus. Où sont-ils passés ? Ils ont toujours eu l’esprit fugueur. La dissidence est leur raison d’être, troublante profession de foi.

À chacun, son vice. Je ne blâme pas les observateurs avisés du monde politique, mais il serait temps de grandir un peu, de ne pas trop surinvestir dans cette campagne qui reste, malgré tout, un exercice convenu et déceptif comme disent les enquêtes marketing d’un produit dépassé. La politique est ce vieux hochet qu’on agite par réflexe et aussi, par lassitude.

Divertissement nostalgique

Pour faire encore durer l’illusion démocratique, croire aux lendemains qui chantent et aux belles phrases qui gonflent dans les arènes municipales, les soirs d’hiver. Entre nous, il n’y a pas plus de suspense dans cette élection que dans la réindustrialisation de notre pays. Je ne veux pas doucher vos espoirs de changement, croyez-en un chroniqueur non-aligné, égaré dans les lointaines provinces, tout ça n’est qu’écume et farces, cette mousse légère qui vient panser votre colère disparaîtra aux saints de glace. Elle ne collera même plus à vos semelles, aux premiers jours de l’été, vous aurez tout oublié. Que restera-t-il après le passage de ce cirque médiatique un peu trop bruyant pour être honnête ? Un divertissement pour adultes nostalgiques des combats d’antan et un grand vide.

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Nous sommes un peuple suffisamment évolué et instruit pour ne pas se vautrer durablement dans les vaines batailles et les discours poussifs. Depuis longtemps, nous avons accepté notre défaite idéologique, économique et culturelle, sans forfanterie, ni honte. Ce détachement viscéral à la chose publique nous est consubstantiel. Nous ne revendiquons rien, nous n’attendons rien. Les alternances nous font seulement sourire et les programmes nous rappellent les cocottes en papier de notre enfance. Elles finissent toujours à la poubelle. La défaite acceptée, voire intégrée est en soi une manière raisonnable d’appréhender le présent et d’esquiver le quotidien.

Cinéma primesautier et cruel

Cette résignation n’est qu’une forme avancée de politesse face aux événements tragiques. Nous valons mieux que les coups de menton des estrades et les leçons d’éducation des plateaux télévisés. Alors, nous cherchons des refuges, des endroits où planquer notre vague-à-l’âme, nos errements non-rentables et ce sentimentalisme si mal cicatrisé. La filmographie de Michel Deville, assez méconnue au demeurant, abrite des parcelles de notre humanité jadis si friable et si désirable. Ses films dépourvus de morgue et de démonstrations de force, dans un halo de lumière, filtraient l’amour amer et l’érotisme chaste. Chez lui, le décolleté soyeux et pudique n’en était pas moins obsédant. Il aura décliné les infinies variations du marivaudage comme un art de vivre nécessaire à la survie de la race humaine. Qui n’a pas vu « Benjamin ou les Mémoires d’un puceau » (1968), « L’Ours et la Poupée » (1970), « Raphaël ou le débauché » (1971) ou plus tard « Péril en la demeure » (1985) ne connaît pas le bonheur instable de ce cinéma incandescent et fugace, primesautier et cruel, dénudé et probe. Comme le sel de mer aux lèvres, ces films excitent la mémoire et ouvrent les vannes du passé. Deville met l’eau à la bouche. Il est certainement le réalisateur qui aura le mieux capté la beauté des corps féminins et les emballements incertains du cœur. Il possède cette férocité aimable qui n’abuse jamais de plans tapageurs ou de poses exacerbées. Il est le réalisateur des tourments intérieurs qui filme, sur la pointe des pieds, l’atroce douleur d’aimer. Sa légèreté et la pétillance de ces dialogues résistent admirablement aux affres du temps. Il n’est jamais banal, jamais brutal. C’est pourquoi, on revient à lui, sans cesse pour retrouver nos élans originels et cette pureté disparue.

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La femme en bleu

Ces films vus à l’adolescence, qui n’avaient pas la prétention d’embrigader, demeurent des bornes temporelles. On se souvient à peine du programme commun ou des privatisations de la cohabitation. Par contre, on rêve certains soirs à Marina Vlady, Catherine Rouvel, Francine Bergé, Simone Bach, Anna Gaël, Lea Massari ou l’admirable Christine Dejoux. Très tard, dimanche dernier, j’ai fini par retrouver « La Femme en bleu » (1973) et « Eaux profondes » (1981). Les coffrets consacrés à l’œuvre complète de Michel Deville datent de presque une quinzaine d’années et leur prix est relativement élevé sur le marché d’occasion, il serait temps de les ressortir avant le premier tour de la présidentielle. Je voterai pour le candidat qui s’engage dans cette voie-là. Pour patienter et mieux connaître le travail de ce réalisateur, nos confrères de L’Avant-Scène Cinéma lui ont consacré un dossier très réussi dans le numéro 688 (décembre 2021).


L’Avant-scène Cinéma – Revue mensuelle – 688 – Décembre 2021

Serge Koster (1940-2022), l’écrivain du «non»

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L'écrivain Serge Koster photographié en 1994 © ANDERSEN ULF/SIPA

Serge Koster, décédé le mois dernier, appartenait à une espèce en voie de disparition: l’homme de lettres complet. 


Chroniqueur à La Quinzaine littéraire, sur France Culture et au Monde, cet agrégé de grammaire puisait dans son métier de professeur de grec, de latin et de français, pour développer un rapport jouissif avec la langue dans une trentaine de livres, s’inspirant de Léautaud, de Montaigne, de Ponge ou de Racine… pour ne pas évoquer Hitchcock.  

Je l’ai rencontré au premier étage du Flore : tous les vendredis, il prenait le thé avec Roland Jaccard. Leurs conversations ressemblaient à des matchs de ping-pong — passion partagée par les deux septuagénaires —, chacun renvoyait rapidement la balle, l’esprit et l’érudition remplaçant le topspin et le smash. Je les observais, hypnotisé, prenant des notes de temps à autre, dépassé par leur niveau. J’avais conscience d’assister à un moment historique, semblable à celui vécu par les spectateurs de la finale de Roland-Garros 1984, disputée par Lendl et McEnroe (pardon pour ce léger déplacement de métaphore).

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Geneviève, « l’Aimée », dédicataire préférée de ses textes, sa femme pendant six décennies, prétend que tous les hommes sont homosexuels : Koster et Jaccard — on les appelait par leurs patronymes — illustraient bien ce propos. Ensemble ils constituaient deux faces d’une même pièce : l’un fidèle, l’autre volage, ils cloisonnaient l’objet aimé afin de le sublimer, projet masculin par excellence. Le livre accompli, il incombait aux hommes de le disséquer, comme le veut la tradition talmudique. Quelle joie que de se réunir au Flore pour entendre leurs propos misogynes et auto-dérisoires, l’un s’appuyant sur Léautaud, l’autre Weininger. 

Koster, de nature aimant, se laissait prendre dans les pièges tendus par Jaccard, le sadisme de ce dernier ne le dérangeait pas. Ce fut même par excès d’amour qu’il se brouillait avec ses amis, schéma récurrent à l’origine de son récit Mes Brouilles, où, avec son habituelle introspection acide, Koster raconte ses douloureuses ruptures dans le milieu littéraire. 

Né en août 1940 à l’Hôtel-Dieu, en face de Notre-Dame, Koster fut caché pendant la guerre, puis abrité par l’O.P.E.J., où, à l’âge de sept ans, il a été circoncis, prenant connaissance de sa judéité. Pas rancunier, Koster n’en voulait pas à la France, au contraire, il s’est efforcé de fusionner son double héritage : « Toujours plus Juif à mesure des menaces et des offenses — je me posais la question : en quoi réside, à travers ma personne, l’humanité du Juif français ? Et je répondais : en l’alliance de la citoyenneté et de la conscience, de l’accidentel et de l’irrévocable, une forme d’appartenance au lieu et à soi qui ne me fut jamais promise. » 

Son quotidien au lycée Voltaire lui permettait de servir sa véritable nation, identifiée dans Adieu Grammaire (Prix de la critique de l’Académie française, 2002) : « La langue française tout entière convoquée dans un volume constitue mon asile, mon trésor, ma patrie, mon salut ». Il n’a cessé de prêcher en faveur de ce salut, laissant son empreinte sur plusieurs générations d’élèves, gardant son allure de professeur de lettres, avec ses vestes en tweed, comme on l’a vu sur une émission de Apostrophes en 1985, où il s’est vu reprocher par Pivot son intelligence et la difficulté de son style.

Ses airs d’enseignant dissimulaient l’âme d’un guerrier, un roi Arthur œuvrant pour la gloire de ses Muses : non seulement Guenièvre/Geneviève, mais leur idiome commun, menacé par des rebelles relâchés. Personne ne maitrisait mieux les codes chevalero-linguistiques que ce grammairien : ses pairs le sollicitaient régulièrement en amont de leurs propres publications. Quelle ironie, alors, qu’il ait attendu sa trente-cinquième année avant de s’aventurer sur le champ de bataille ! Ce fut grâce à sa lecture de Francis Ponge, poète des objets concrets, cité dans son premier roman, publié par Maurice Nadeau et porteur d’un joli titre emprunté à La Rochefoucauld, Le soleil ni la mort : « Un concert de vocables, qui signifie sur tous les plans, se signifie lui-même (donc, ne signifie plus rien), et fasse ce qu’il dit. »

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Faire ce qu’il dit : Koster mettait la barre haut. Dans son éloge funèbre, Georges Vigarello a mis en avant la « rigueur » du défunt, une exigence extrême qui interdisait la banalité, la platitude, la mollesse. Chaque phrase devrait constituer une aventure en soi, sinon, à quoi bon ? Il ne s’agissait pas moins d’une question d’honneur. La clé, selon Koster citant Chamfort, c’est de savoir dire « non ». Prononcer cette syllabe fut comme une seconde nature chez le grammairien : « Non ! Humour ou pas, l’homme de la brouille a pour premier réflexe de dire non. Non à la rencontre du spermatozoïde et de l’ovule, non à la conception de cet être vindicatif qui deviendra le signataire de ces lignes, non aux amis qui vous proposent des entreprises que vous mènerez à bien dès lors que vous aurez été converti à l’intérêt de la chose, non à la vie, en somme… Sans crier gare, se présente à moi Léautaud en personne, Léautaud lui-même, Léautaud en gardien de mes ruines. Quel message a-t-il à me transmettre ? Que l’adverbe de négation non est un mot plus beau, plus noble, dans tous les domaines, que le mot oui » 

Heureusement, Koster n’a pas dit « non » à ses maîtres : ses plus beaux récits sont ceux publiés tardivement chez Léo Scheer et chez Pierre-Guillaume de Roux, où il les prend à bras-le-corps, mélangeant l’essai et l’autofiction, comme dans Léautaud tel qu’en moi-même (2010), Les blondes flashantes d’Alfred Hitchcock (2013), Montaigne sans rendez-vous (2015) et Tournier parti (2019). 

À la fin, hélas, il n’a pas pu refuser la Mort, accueillie par « Miss P », comme il surnommait sa maladie de Parkinson. Si, pour Ponge, « Chaque morceau de viande est une sorte d’usine », pour Koster, comme pour la France entière, l’usine ne tournait plus.   


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Quand Isaac Bashevis Singer visitait Israël

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Les grands écrivains continuent de publier après leur mort… C’est la réflexion que je me suis faite en lisant le dernier livre d’Isaac Bashevis-Singer, qui vient d’être publié en Israël [1]. Il s’agit d’un carnet de voyages en Israël, rédigé en 1955 sous forme d’articles pour le journal yiddish Forverts, et qui offre une vision étonnante, non seulement de l’Etat d’Israël des premières années, mais aussi de la manière dont le grand écrivain a perçu l’Etat juif renaissant.

Identité juive

Parti de Marseille avec sa femme sur le Artsa, Bahevis-Singer débarque à Haïfa en septembre 1955. D’emblée, il est sous le charme et ne cache pas son émotion. “Combien limpide la ville apparaît depuis notre bateau ! Tellement ensoleillée et lumineuse. C’est sans doute à cela que ressemblera un jour la Résurrection des morts. La terre s’ouvrira et en sortiront des jeunes hommes et des jeunes femmes aux joues roses, un sourire dans les yeux”. Il se rend ensuite à Tel-Aviv, accompagné de l’écrivain Itshak Perlov. Ce qui le frappe dès les premiers instants (comme beaucoup de visiteurs  découvrant Israël), c’est l’omniprésence de la culture et de l’histoire juive, jusque dans les noms des rues, comme il le rapporte avec sa malice habituelle : “Le Juif allemand qui habite ici est sans doute un peu snob, mais son adresse est rue Chalom Aleichem. Et il est ainsi obligé, plusieurs fois par jour, de répéter ce nom…

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Ainsi, l’identité juive devient en Israël une réalité à laquelle nul ne peut échapper, y compris chez les Juifs les plus assimilés. Et, de manière moins anecdotique, il observe encore : “Comme ce fut le cas au Mont Sinaï, la culture juive – au sens le plus profond – s’est imposée aux Juifs en Israël et les interpelle : Vous devez m’adopter, vous ne pouvez plus m’ignorer, vous ne pouvez plus me dissimuler”.

Particulièrement séduit par Tel-Aviv

Le périple israélien de Singer le mène aux quatre coins du pays (qui est alors très petit, dans les frontières d’avant 1967) : à Jérusalem et à Be’er-Sheva, à Safed et dans le Néguev. Il rencontre des personnalités et des gens de la rue, des écrivains et des hommes politiques. Sur le bateau déjà, il a été frappé par la piété des Juifs tunisiens, et en Israël aussi, il découvre le peuple Juif dans sa diversité ethnique et culturelle. Visitant des camps de transit, où sont installés les Juifs venus d’Afrique du Nord dans des conditions très difficiles, il ne se départit pas de son regard plein d’humanité et d’optimisme : “Les Juifs ici ont l’air à la fois en colère et plein d’espoir. Ils ont beaucoup de récriminations à l’encontre des dirigeants israéliens. Mais ils doivent s’occuper de leurs propres vies. Leurs enfants iront dans des écoles juives. Ils font d’ores et déjà partie du peuple. Bientôt on les retrouvera dans des ministères et à la Knesset”. 

Singer est particulièrement séduit par Tel-Aviv, dont il sait apprécier – contrairement à d’autres voyageurs – la beauté et le style architectural. “Elle est à mes yeux une ville très belle, construite avec beaucoup de soin et de goût. Les maisons y sont claires et les balcons adaptés au climat subtropical et enchanteur. Oui, c’est enchanteur comme une pluie d’été”. L’écrivain né en Pologne et installé à New-York apprécie le charme de la première ville juive construite sur les dunes. “Tout exprime ici l’ouverture, la bénédiction et la paix. Il n’y a pas une once de snobisme dans cette ville. Elle est tout entière comme une grande auberge juive”. À Safed, il rencontre des combattants de la guerre d’Indépendance.

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Le courage des kibboutz

Sa visite à Jérusalem ne lui laisse pas, par contre, une impression très forte. Mais c’est du kibboutz Beit Alfa qu’il rapporte les sensations les plus marquantes. Il s’y rend avec sa seconde femme, Alma, pour rendre visite à son fils Israël Zamir, qui vit en Israël depuis 1938 [2]. C’est là, au pied du mont Gilboa, dans ce kibboutz fondé par l’Hachomer Hatzaïr (dont son fils est membre), que Singer partage un repas shabbatique dans le réfectoire commun et qu’il fait sans doute l’expérience la plus forte de son séjour. “Si c’était un kibboutz religieux, la femme allumerait les bougies et le mari se rendrait à la synagogue pour accueillir le shabbat. Mais ici, c’est le soleil qui allume les bougies. Il colore les monts alentour d’une rougeur merveilleuse, l’éclat de bougies de shabbat célestes… La transition entre le jour et la nuit est rapide. Il y a un instant encore, le soleil était rouge flamboyant, et voici que les étoiles apparaissent dans l’obscurité. Nuit de shabbat. J’ai un sentiment étrange – ici, on ne peut pas profaner le shabbat. Il est là, empreint de sa sainteté intrinsèque. Ici, le shabbat se sent chez lui, et ces jeunes gens et jeunes filles professant l’athéisme ne parviennent pas à le chasser”. L’écrivain est également frappé par le courage des habitants du kibboutz: “L’ennemi peut attaquer de toutes parts, du Nord, du Sud, de l’Est… Mais le visiteur en Israël est gagné par la bravoure partagée par tous les Juifs du pays, une sorte de courage qu’il est difficile d’expliquer”.

Quelle aurait pu être la carrière littéraire de Bashevis-Singer, s’il avait décidé de rejoindre le jeune Etat juif et d’en devenir citoyen ? Quelle aurait pu être sa contribution aux lettres israéliennes, et comment sa carrière littéraire en aurait-elle été modifiée ? Autant de questions auxquelles seule l’imagination permet de répondre. Souhaitons que ce beau livre soit également traduit en français.


1. Les voyages de Bashevis en Eretz Israël (hébreu), éditions Blima, Berlin-Jérusalem 2021.

2. Israël Zamir, abandonné par son père alors qu’il était enfant, a raconté son expérience dans un livre autobiographique, Mon père inconnu, Isaac Bashevis Singer.

De l’écologisme faisons table rase!

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Bérénice Levet © Hannah Assouline

L’écologie politique est l’une des armes de la cancel culture. Au nom du climat, elle déconstruit notre histoire et nos paysages. Dans son nouvel essai (L’Écologie ou l’Ivresse de la table rase, l’Observatoire, 2022), Bérénice Levet démontre que la défense de la nature passe avant tout par la défense de notre civilisation. Un humanisme aux antipodes du terrorisme vert.


Porte-parole de « l’esprit français », dans ce nouvel essai comme dans ses précédents ouvrages [1], Bérénice Levet démantèle ici, avec l’acuité de pensée qu’on lui connaît, le sanctuaire « végétalisé » dont rêvent les écologistes radicaux. Mais qu’on ne l’accuse pas d’être écophobe, ou pire encore écocide ! Si elle s’en prend à la « vulgate écologiste », c’est au nom de ce que devrait rester l’écologie : l’art et la manière dont chaque peuple, fidèle à son histoire et attaché à son art de vivre et à ses paysages, aménage sa vie sur terre. Une écologie bien tempérée en somme, capable de résister au terrorisme vert qui embrigade les esprits sous prétexte de sauver la Terre, et qui saccage la nature au lieu d’en préserver la beauté. On pense souvent, au fil de ces pages frémissantes d’inquiétude et de colère, à ce qu’écrivait Baudelaire : « Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie. » Que vaut en effet une écologie qui, au lieu de « rouvrir les yeux et les oreilles », se complaît dans des abstractions et des chimères ? Car le séjour terrestre, rappelle Bérénice Levet, « ne s’aménage pas à coups de grands programmes ». Il s’invente au jour le jour grâce à l’étroite connivence de l’intelligence et du cœur, des sens et de la raison, de l’homme et de son environnement naturel.

Appauvrissement de la terre et de la langue

Si les écologistes politisés et militants sont aussi férus de programmations, c’est qu’ils poursuivent en fait « la déconstruction du vieux monde » engagée par la modernité, et qui va bon train depuis l’après-guerre. Aussi sont-ils pris dans une cascade de contradictions prouvant « l’inconsistance de leur philosophie » : massacre de la culture au nom de la protection de la nature, défiguration des paysages par des champs d’éoliennes, ralliement enthousiaste au wokisme au risque de voir l’écologie perdre son sens originel qui n’impose nullement de sauver la planète, mais suppose une attention accrue à l’endroit de son « habitat » (grec oikos), proche ou plus lointain. Comment donc faire confiance à des défenseurs de la nature qui sont en fait « des mondialistes et des déracinés », et à une idéologie fortement politisée qui se révèle être « le dernier avatar de l’utopie de la régénération de l’humanité » ? Le vrai défi face à la détérioration de l’environnement consisterait donc à « prendre au sérieux et en charge le tourment écologiste sans verser dans les chimères des idéologies ». Car « tourment » il y a bien à ce sujet chez Bérénice Levet, qui déplore que l’appauvrissement de la terre aille de pair avec celui de la langue, mais refuse d’imputer la responsabilité entière de ce double désastre à l’homme blanc et européen, car l’Occident, écrit-elle, « recèle ses propres anticorps ». Un message d’espoir donc que cet « hymne à notre civilisation » aujourd’hui menacée de toutes parts, et une preuve de confiance dans l’être humain capable d’autolimitation et de gratitude.

A lire aussi, Bérénice Levet: France, qu’a-t-on fait de ta beauté?

Les propositions de Bérénice Levet en faveur d’une écologie fidèle à sa signification originelle sont aussi sensées que claires, et l’on peut seulement regretter qu’elle ne les ait pas davantage étoffées dans la dernière partie de son livre où elle plaide pour une écologie résolument « conservatrice » car fidèle aux « attachements premiers » des individus et des peuples ; une écologie soucieuse de « repartir des hommes », de leurs besoins et de leurs désirs véritables, de leur imaginaire aussi que les technocrates de tous bords ignorent ou bafouent ouvertement : « Ce qu’il nous faut retrouver, c’est une véritable présence au monde. » Vaste programme à vrai dire, qui fut au xxe siècle celui des philosophies de la vie et de l’existence, et demeure l’enjeu d’une poétique comme celle de Kenneth White ou d’Yves Bonnefoy. Citant souvent Hannah Arendt et Simone Weil – mais aussi tout un corpus d’auteurs classiques qui lui sont familiers –, Bérénice Levet montre que telle fut justement la dimension « écologique » des Humanités avec lesquelles il conviendrait de renouer ; la culture nous apprenant à prendre soin de la nature mieux que tous les discours vertueux,  déconnectés de toute « terre » qui incarnerait ce qu’ils prêchent.

Vers la sobriété heureuse

Rappeler à l’être humain qu’il est « un vivant parmi les vivants » comme le fait aujourd’hui l’écologie radicale, implique-t-il forcément de « noyer l’homme dans le grand bain du vivant » ? On comprend les craintes de l’humaniste qu’est Bérénice Levet, mais cette immersion à première vue dissolvante pourrait tout aussi bien constituer un rappel à l’ordre chaque fois que la supériorité humaine devient prétexte à détériorer l’habitat commun à tous les vivants. Redécouvrir ce qui unit l’être humain à d’autres vivants ne peut-il être aussi pour lui une expérience spirituelle enrichissante, négligée par la rationalité occidentale ? De même en est-il de la « sobriété heureuse » devenue le cri de ralliement des écologistes sous la houlette de Pierre Rabhi, et qui n’a guère les faveurs de l’auteur qui voit en elle un abandon de nos traditions culturelles teinté de puritanisme. La plupart des sages antiques firent pourtant de la frugalité leur mode de vie favori, dont s’inspirèrent pour partie au moins les humanistes ; et Nietzsche lui-même se disait en quête d’une sobriété capable d’accueillir sans se renier l’extase dionysiaque. La sobriété heureuse ne diffère d’ailleurs de l’autolimitation prônée par Bérénice Levet que lorsqu’elle prend la forme d’une soumission aveugle aux diktats de l’écologie puritaine et pénitentielle. S’il importe en effet de retrouver cet art de la « convenance » que fut durant des siècles l’humanisme occidental, il n’est fort heureusement pas qu’une seule manière de mettre en pratique cette « entente de la vie » qu’est l’écologie délivrée de l’idéologie.

Bérénice Levet, L’Écologie ou l’Ivresse de la table rase, l’Observatoire, 2022.

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[1] La Théorie du genre ou le Monde rêvé des anges (2014), Le Crépuscule des idoles progressistes (2017), Libérons-nous du féminisme ! (2018).

Nordahl Lelandais: les journaux en font-ils trop?

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Ouverture du proces de Nordhal Lelandais pour le meurtre de Maëlys, Grenoble, 31 janvier 2022 © VSPress/SIPA

S’il vient finalement de reconnaitre qu’il avait volontairement tué la petite Maëlys lors de son procès, Nordahl Lelandais dit ne pas se souvenir, ou ne pas pouvoir donner d’explications à ses actes criminels. De quoi susciter une surenchère médiatique et accentuer le désarroi des parties civiles.


Il y a des affaires criminelles qui commencent mal sur le plan médiatique et parfois même pour l’essentiel judiciaire. On ne sait pourquoi, une focalisation qui devient vite délirante sur un suspect, un mis en examen, un accusé, au point d’entraîner des conséquences délétères: traiter artificiellement d’extraordinaires une procédure, puis un procès, contre l’obligation, comme l’avait enseigné le procureur général Pierre Truche, d’appréhender de manière ordinaire quelque matière criminelle que ce soit.

Quand les ressorts criminels profonds sont inintelligibles

Il y a eu la folie médiatique autour de Jonathann Daval, favorisée par l’un de ses avocats et l’étrange et complaisante exposition des parents de la victime. Il y a, depuis le début du procès de Nordahl Lelandais pour le meurtre de la toute jeune Maëlys, des comptes rendus médiatiques à foison allant jusqu’à interviewer la sœur de celle-ci en compagnie de son avocat sur TF1. Je ne peux que renvoyer au texte que j’ai écrit le 23 novembre 2020: « Jonathann Daval : procès d’un procès ? » Celui-ci met surtout l’accent sur l’obsession des parties civiles d’obtenir de la part des accusés une vérité complète et définitive sur ce qu’ils ont perpétré, alors qu’eux-mêmes ne désirent pas être à leur service et que parfois même ils sont ignorants de leurs ressorts profonds.

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On attendait de Jonathann Daval, on attend de Nordahl Lelandais, la clé des mystères criminels et il est évident que comme souvent, voire toujours, la déception sera aussi vive du côté des familles de victimes que leur espérance était forte et leur douleur violente.

Remettre l’accusé à sa place

Cette médiatisation obscène – quelques hebdos, dont Marianne, sauvent l’honneur – amplifie l’expression d’un désir de vérité qui ne sera jamais satisfait dans sa plénitude et donc suscitera une terrible déception, accroissant le chagrin de la perte irréparable et peut-être aussi le ressentiment contre une peine pas assez extrême. J’entends bien qu’il est dur, voire impossible pour les sinistrés à perpétuité d’un crime qui les a dépossédés d’un être cher, pour les amis d’un accusé qu’ils disent avoir connu sous un autre jour, de ne pas s’abandonner à la colère naturelle contre celui qui saurait toute la vérité mais ne voudrait pas la dire.

Qu’il la taise par sadisme ou par ignorance de ses tréfonds obscurs, surtout qu’on ne fasse pas de lui l’arbitre des révélations et de l’exemplarité d’un procès. Il n’a pas à gouverner ni à administrer des débats que son crime a imposés. Il ne sera jamais un sauveur. Après avoir été un fossoyeur.

Golda Meir, le sens politique est-il inné ou acquis?

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D.R.

On peut trouver de quoi répondre à cette question dans la biographie la plus précoce de la « grand-mère d’Israël », dont la traduction française, par Pierre Lurçat, vient de paraître, avec une riche préface offrant un éclairage enrichissant.


Valeurs fondatrices

Toute jeune, déjà, Golda Meir incarnait les valeurs fondatrices qui ont guidé les jeunes pionniers du début du XXe siècle, qu’elle définissait comme « le travail juif, la défense juive, la vie collectiviste, le travail de la terre, la volonté de maintenir l’union des ouvriers… » En effet, explique Lurçat, c’est le sionisme travailliste qui les avait conduits à « renoncer à une vie plus facile et confortable pour devenir des paysans et des travailleurs ».

Golda Meir est née au XIXe siècle (en 1898) à Kiev, dans ce qui n’était pas encore l’URSS, mais la Russie tsariste : une grande ville interdite aux Juifs. Mais son père étant menuisier, cela faisait de lui un artisan qualifié. Kiev représentait une amélioration par rapport au shtetl d’où la famille était partie, mais les souvenirs qu’en garde la jeune Golda, née Mabovitch, ce sont les pogroms, « la gêne et la faim ».

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Son grand-père paternel avait été kidnappé à domicile à l’âge de 13 ans et enrôlé de force dans l’armée (pas encore rouge, même si les communistes conservèrent la tradition). Il y resta les 13 années suivantes. « On essaya de le forcer à se convertir, y compris au moyen de tortures physiques… mais il ne céda pas. C’était apparemment un homme très ferme dans ses convictions religieuses » explique sa petite-fille, qui ne l’a jamais connu.

Le rêve américain des Juifs de l’empire tsariste

Golda avait cinq ans quand son père émigra en Amérique. Au bout de trois ans, il eut les moyens de payer la traversée à sa famille. Mais pendant ces trois années, celle-ci avait vécu à Pinsk, chez le grand-père maternel, où sa sœur aînée s’était engagée dans le mouvement révolutionnaire socialiste sioniste. Golda avait donc huit ans quand elle accosta au Nouveau Monde. Elle gardait de la Russie « le souvenir des cosaques, les marécages de Pinsk, la vie de misère à Kiev, les cris provenant du poste de police… » Elle parlait russe et yiddish. Elle acquit très rapidement l’anglais et les idées révolutionnaires de sa sœur. « De mon père », dit-elle, « j’ai hérité l’obstination… De ma mère, j’ai reçu l’optimisme. » Remarque savoureuse, quand on apprend que son père était fermement opposé aux activités politiques de ses filles !

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Ses parents refusaient aussi qu’elle continue des études pour devenir institutrice comme elle en rêvait (versant optimiste). À quatorze ans, elle fugua donc pour rejoindre sa sœur à Denver (versant obstinée) et poursuivre lesdites études. C’est là qu’elle rencontra, l’année suivante, Morris Meyerson, un peintre d’affiches, qu’elle épousa à 19 ans, en 1917.

Dernier exil pour mettre fin à l’exode

Golda Mabovitch, épouse Meyerson émigra en Palestine avec sœur, neveux, mari et pas de bagages en 1921, deux semaines après les émeutes anti-juives de Jaffa (150 morts). Leurs parents les rejoignirent cinq ans plus tard. Elle avait quitté l’Amérique « avec un sentiment de pleine gratitude pour ses qualités… la liberté qui y régnait, les possibilités qu’elle offrait à l’être humain et la beauté de ses paysages. »

L’exil de Russie avait été guidé par la volonté de fuir un régime impitoyable et l’espoir d’un mieux-être matériel, celui d’Amérique était motivé par un idéal sioniste bien plus puissant, qui impliquait, en toute connaissance de cause, une considérable régression matérielle. Elle eut l’occasion de faire la synthèse de ses expériences russo-américano-israélienne en termes de démocratie lorsque, première ambassadrice de l’État juif renaissant en Russie, elle fut interrogée par des femmes russes sur sa fille, membre d’un kibboutz : « Je leur dis qu’elle cuisait le pain. Elles furent stupéfaites : elles pensaient qu’en tant que fille de diplomate, elle était certainement la directrice du kolkhoze… »

La suite appartient à la grande Histoire 

Golda Mabovitch, épouse Meyerson, devenue Meir tout court en 1956, fut la quatrième Premier ministre d’Israël (1969-1974), troisième de son espèce, après Sirimavo Bandaranaike au Sri Lanka (1960) et Indira Gandhi en Inde (1966).

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Pour autant, son féminisme pragmatique tranche sur les récriminations des anti-féminicides contemporaines : « Je ne suis pas une grande admiratrice de cette forme particulière de féminisme qui se manifeste par les autodafés de soutien-gorge, la haine de l’homme ou les campagnes contre la maternité. Mais j’avais le plus grand respect pour ces femmes énergiques, qui travaillaient dur dans les rangs du mouvement travailliste… en Palestine. Cette sorte de féminisme constructif fait vraiment honneur aux femmes et a beaucoup plus d’importance que de savoir qui balaiera la maison et mettra le couvert. »

Pour ce qui est de sa propre vie, elle déclara à propos de son mari (dont elle se sépara en 1940) lui être « éternellement reconnaissante pour de nombreuses choses que’[elle n’a pas] reçues à la maison et que lui [lui] a transmises », ajoutant qu’elle était « capable de recevoir en abondance de ceux qui [l]’entourent ». En français, cela s’appelle tolérance et c’est âprement combattu par le wokisme et les néo-féministes qui lui feraient horreur.

L’honneur de l’une est l’horreur des autres

Ce qui ferait horreur aux intersectionnelles de tout poil, c’est une déclaration de Golda Meir adressée aux Palestiniens après la guerre des six-jours : « Nous pourrons sans doute un jour vous pardonner d’avoir tué nos enfants. Mais il nous sera beaucoup plus difficile de vous pardonner de nous avoir contraints à tuer les vôtres. La Paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent. » Elle n’a toujours pas été entendue.

* Golda Meir, La Maison de mon père, éditions Books on Demand 2022.

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Afida Turner, un monstre au théâtre

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Maurane Szilagyi et Afida Turner D.R.

« Requiem pour une conne » au Théâtre Trévise, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…


Afida Turner au théâtre… il fallait oser y aller, mais je ne me refuse rien !

Afida Turner, vous vous rappelez ? Cette créature télévisuelle a été révélée par une émission de téléréalité sur M6, elle a été un temps la compagne du rappeur américain Coolio, de Mike Tyson, et aujourd’hui mariée depuis quinze ans à Ronnie Turner, fils d’Ike et Tina
Turner. Chanteuse, comédienne et ancienne élève du cours Florent (elle aime le rappeler), elle est en réalité un peu plus que tout cela. C’est un phénomène !

Elle ne passe pas par un plateau télé sans faire le buzz, robes rouges en cuir ras des fesses, longues griffes vernies, poitrine offerte débordante et incontrôlable, crinière de lionne… De la lionne aussi, les rugissements.

Bien sûr que c’est de mauvais goût. C’est au-delà du mauvais goût. Mais lorsque le mauvais goût est si excessif, si foudroyant, il dépasse à mes yeux le raisonnable et parfois ennuyeux bon goût. Elle devient Reine du too much jusqu’à nous pousser, nous spectateurs, au bord de la falaise vertigineuse de la gêne.

Une salle pleine tous les soirs

Il y a quelques semaines, j’apprends donc qu’Afida Turner monte sur les planches du théâtre Trévise. La pièce : « Requiem pour une conne ». Presque sans aucune promotion, la salle est pleine tous les soirs. Je m’y rends sans aucune honte et le cœur plein de joie ! Moi qui prône le retour du  grand théâtre et des monstres sacrés, moi qui regrette les Maria Casarès, Alain Cuny, Sarah Bernhardt et Mounet-Sully, pourquoi vais-je donc voir Afida Turner avec autant d’enthousiasme (et j’ajouterais d’espoir) ?! Parce que je sais qu’il se passera quelque chose. Parce que, que ce soit bon ou mauvais, je sais que je ne resterai pas insensible à ce qu’on va me montrer.

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Voilà qu’Afida Turner entre en scène et, déjà, il se passe quelque chose. C’est une apparition qui galvanise la foule. Le public est électrisé, il hurle, applaudit à tout rompre. La diva chante, le show commence. « Etienne, Etienne, Etienne / Oh, tiens le bien / Baiser salé, Sali / tombé le long du lit / de l’inédit / Il aime à la folie / Au ralenti / Je lève les interdits »… C’est une véritable rock-star que j’ai devant mes yeux. Impossible de ne pas être happé par le monstre qui vient de prendre possession de la scène et de toutes nos attentions. Une tension sexuelle s’est propagée dans la salle, nous sommes tous pris au piège. Elle se caresse, entre les cuisses, atour des seins. La voilà à quatre pattes, rampant en string et collants résilles, les fesses sont maintenant de face, et bestialement dansent. Aucune vulgarité ! Ce n’est pas commun ! C’est trivial, violent, sexuel, obscène… oui, et pour notre plus grande joie ! Elle lève les interdits.

La pièce n’est pas sans intérêt

« Toute la France veut me baiser »… c’est ce qu’elle hurlera, face public, plus tard dans le spectacle. Je ne vous raconterai pas la pièce, elle n’a aucun intérêt. Et paradoxalement voilà encore quelque chose d’intéressant. Au théâtre, le public passe son temps à s’extasier, ou du moins à chercher un intérêt, à des pièces contemporaines qui très souvent n’en ont, à mon sens, aucun. Ici, personne n’est dupe. Tout le monde se fiche de la pièce et de son peu de qualité.

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Elle n’est qu’un prétexte pour mettre le monstre sur un plateau et l’offrir à la foule assoiffée de démesure et de sensations fortes. Son jeu n’est pas réaliste et c’est tant mieux. Afida Turner hurle son texte comme si elle chantait du rock. Elle insulte, elle jette les accessoires, se roule par terre. Pour que le spectacle soit totalement accompli, il faudrait qu’elle détruise à la hache le théâtre entier et s’ensevelisse sous ses décombres.

Bravo chère Afida Turner, c’est réussi ! Vous faites ce que très peu d’acteurs parviennent à faire : avoir un effet direct et physique sur votre public. Créer une tension sexuelle entre la scène et la salle. La joie qui jaillissait de la foule, je ne l’ai que rarement vue dans un théâtre. Pendant une heure et demie, vous avez détourné une salle entière de son triste petit quotidien. Le chic et petit milieu du théâtre parisien se moque et dénonce l’arrivée d’Afida sur les planches. « C’est pas une actrice ! C’est n’importe quoi ! Et qu’est-ce qu’elle est vulgaire. Franchement, c’est affligeant ». Mais ce qui est affligeant ce sont toutes ces petites comédies bourgeoises jouées par des acteurs raisonnables, qui ne provoquent aucun choc sur le public. Ce qui est affligeant ce sont ces classiques systématiquement « revisités » et modernisés à la Comédie-Française. Ce qui est scandaleux c’est l’embourgeoisement des comédiens, politiquement corrects aussi bien dans leur jeu sage que dans leurs discours policés.

Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…

Afida Turner devrait recevoir comme une décoration à sa boutonnière le rejet et le mépris du monde du théâtre.

Le choc que produisait par exemple Sarah Bernhardt sur la salle devait probablement plus se rapprocher de la rage hystérique et sexuelle d’Afida que de l’insipide présence de Dominique Blanc, pourtant sociétaire de la Comédie-Française… Sarah Benhardt n’était-elle pas d’ailleurs moquée ? Oui, elle dérangeait. Qui se moque aujourd’hui des comédiens sérieux de la maison de Molière ? Personne ! C’est tiède et ça ne dérange personne.  Afida, elle, inspire la fascination et l’adoration chez certains… le mépris, les moqueries et l’indignation chez beaucoup d’autres.

J’en termine, vous voulez savoir si ça vaut vraiment le coup d’y aller ? Je ne sais que vous répondre. Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà. C’est survolté, décadent, abyssal, honteux si on veut, scandaleux si ça se trouve. Bref, moi j’aime les sensations fortes, alors j’y retourne la semaine prochaine !

Dernières dates les 14, 15 et 16 février à 21h30 au théâtre Trévise, 14 rue de Trévise, 75009. Réservations 01.45.23.35.45