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De l’écologisme faisons table rase!

L’écologie bien tempérée de Bérénice Levet


De l’écologisme faisons table rase!
Bérénice Levet © Hannah Assouline

L’écologie politique est l’une des armes de la cancel culture. Au nom du climat, elle déconstruit notre histoire et nos paysages. Dans son nouvel essai (L’Écologie ou l’Ivresse de la table rase, l’Observatoire, 2022), Bérénice Levet démontre que la défense de la nature passe avant tout par la défense de notre civilisation. Un humanisme aux antipodes du terrorisme vert.


Porte-parole de « l’esprit français », dans ce nouvel essai comme dans ses précédents ouvrages [1], Bérénice Levet démantèle ici, avec l’acuité de pensée qu’on lui connaît, le sanctuaire « végétalisé » dont rêvent les écologistes radicaux. Mais qu’on ne l’accuse pas d’être écophobe, ou pire encore écocide ! Si elle s’en prend à la « vulgate écologiste », c’est au nom de ce que devrait rester l’écologie : l’art et la manière dont chaque peuple, fidèle à son histoire et attaché à son art de vivre et à ses paysages, aménage sa vie sur terre. Une écologie bien tempérée en somme, capable de résister au terrorisme vert qui embrigade les esprits sous prétexte de sauver la Terre, et qui saccage la nature au lieu d’en préserver la beauté. On pense souvent, au fil de ces pages frémissantes d’inquiétude et de colère, à ce qu’écrivait Baudelaire : « Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie. » Que vaut en effet une écologie qui, au lieu de « rouvrir les yeux et les oreilles », se complaît dans des abstractions et des chimères ? Car le séjour terrestre, rappelle Bérénice Levet, « ne s’aménage pas à coups de grands programmes ». Il s’invente au jour le jour grâce à l’étroite connivence de l’intelligence et du cœur, des sens et de la raison, de l’homme et de son environnement naturel.

Appauvrissement de la terre et de la langue

Si les écologistes politisés et militants sont aussi férus de programmations, c’est qu’ils poursuivent en fait « la déconstruction du vieux monde » engagée par la modernité, et qui va bon train depuis l’après-guerre. Aussi sont-ils pris dans une cascade de contradictions prouvant « l’inconsistance de leur philosophie » : massacre de la culture au nom de la protection de la nature, défiguration des paysages par des champs d’éoliennes, ralliement enthousiaste au wokisme au risque de voir l’écologie perdre son sens originel qui n’impose nullement de sauver la planète, mais suppose une attention accrue à l’endroit de son « habitat » (grec oikos), proche ou plus lointain. Comment donc faire confiance à des défenseurs de la nature qui sont en fait « des mondialistes et des déracinés », et à une idéologie fortement politisée qui se révèle être « le dernier avatar de l’utopie de la régénération de l’humanité » ? Le vrai défi face à la détérioration de l’environnement consisterait donc à « prendre au sérieux et en charge le tourment écologiste sans verser dans les chimères des idéologies ». Car « tourment » il y a bien à ce sujet chez Bérénice Levet, qui déplore que l’appauvrissement de la terre aille de pair avec celui de la langue, mais refuse d’imputer la responsabilité entière de ce double désastre à l’homme blanc et européen, car l’Occident, écrit-elle, « recèle ses propres anticorps ». Un message d’espoir donc que cet « hymne à notre civilisation » aujourd’hui menacée de toutes parts, et une preuve de confiance dans l’être humain capable d’autolimitation et de gratitude.

A lire aussi, Bérénice Levet: France, qu’a-t-on fait de ta beauté?

Les propositions de Bérénice Levet en faveur d’une écologie fidèle à sa signification originelle sont aussi sensées que claires, et l’on peut seulement regretter qu’elle ne les ait pas davantage étoffées dans la dernière partie de son livre où elle plaide pour une écologie résolument « conservatrice » car fidèle aux « attachements premiers » des individus et des peuples ; une écologie soucieuse de « repartir des hommes », de leurs besoins et de leurs désirs véritables, de leur imaginaire aussi que les technocrates de tous bords ignorent ou bafouent ouvertement : « Ce qu’il nous faut retrouver, c’est une véritable présence au monde. » Vaste programme à vrai dire, qui fut au xxe siècle celui des philosophies de la vie et de l’existence, et demeure l’enjeu d’une poétique comme celle de Kenneth White ou d’Yves Bonnefoy. Citant souvent Hannah Arendt et Simone Weil – mais aussi tout un corpus d’auteurs classiques qui lui sont familiers –, Bérénice Levet montre que telle fut justement la dimension « écologique » des Humanités avec lesquelles il conviendrait de renouer ; la culture nous apprenant à prendre soin de la nature mieux que tous les discours vertueux,  déconnectés de toute « terre » qui incarnerait ce qu’ils prêchent.

Vers la sobriété heureuse

Rappeler à l’être humain qu’il est « un vivant parmi les vivants » comme le fait aujourd’hui l’écologie radicale, implique-t-il forcément de « noyer l’homme dans le grand bain du vivant » ? On comprend les craintes de l’humaniste qu’est Bérénice Levet, mais cette immersion à première vue dissolvante pourrait tout aussi bien constituer un rappel à l’ordre chaque fois que la supériorité humaine devient prétexte à détériorer l’habitat commun à tous les vivants. Redécouvrir ce qui unit l’être humain à d’autres vivants ne peut-il être aussi pour lui une expérience spirituelle enrichissante, négligée par la rationalité occidentale ? De même en est-il de la « sobriété heureuse » devenue le cri de ralliement des écologistes sous la houlette de Pierre Rabhi, et qui n’a guère les faveurs de l’auteur qui voit en elle un abandon de nos traditions culturelles teinté de puritanisme. La plupart des sages antiques firent pourtant de la frugalité leur mode de vie favori, dont s’inspirèrent pour partie au moins les humanistes ; et Nietzsche lui-même se disait en quête d’une sobriété capable d’accueillir sans se renier l’extase dionysiaque. La sobriété heureuse ne diffère d’ailleurs de l’autolimitation prônée par Bérénice Levet que lorsqu’elle prend la forme d’une soumission aveugle aux diktats de l’écologie puritaine et pénitentielle. S’il importe en effet de retrouver cet art de la « convenance » que fut durant des siècles l’humanisme occidental, il n’est fort heureusement pas qu’une seule manière de mettre en pratique cette « entente de la vie » qu’est l’écologie délivrée de l’idéologie.

Bérénice Levet, L’Écologie ou l’Ivresse de la table rase, l’Observatoire, 2022.

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[1] La Théorie du genre ou le Monde rêvé des anges (2014), Le Crépuscule des idoles progressistes (2017), Libérons-nous du féminisme ! (2018).

Février 2022 - Causeur #98

Article extrait du Magazine Causeur



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est philosophe et essayiste, professeur émérite de philosophie des religions à la Sorbonne. Dernier ouvrage paru : "Jung et la gnose", Editions Pierre-Guillamue de Roux, 2017.

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