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Nordahl Lelandais: les journaux en font-ils trop?

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S’il vient finalement de reconnaitre qu’il avait volontairement tué la petite Maëlys lors de son procès, Nordahl Lelandais dit ne pas se souvenir, ou ne pas pouvoir donner d’explications à ses actes criminels. De quoi susciter une surenchère médiatique et accentuer le désarroi des parties civiles.


Il y a des affaires criminelles qui commencent mal sur le plan médiatique et parfois même pour l’essentiel judiciaire. On ne sait pourquoi, une focalisation qui devient vite délirante sur un suspect, un mis en examen, un accusé, au point d’entraîner des conséquences délétères: traiter artificiellement d’extraordinaires une procédure, puis un procès, contre l’obligation, comme l’avait enseigné le procureur général Pierre Truche, d’appréhender de manière ordinaire quelque matière criminelle que ce soit.

Quand les ressorts criminels profonds sont inintelligibles

Il y a eu la folie médiatique autour de Jonathann Daval, favorisée par l’un de ses avocats et l’étrange et complaisante exposition des parents de la victime. Il y a, depuis le début du procès de Nordahl Lelandais pour le meurtre de la toute jeune Maëlys, des comptes rendus médiatiques à foison allant jusqu’à interviewer la sœur de celle-ci en compagnie de son avocat sur TF1. Je ne peux que renvoyer au texte que j’ai écrit le 23 novembre 2020: « Jonathann Daval : procès d’un procès ? » Celui-ci met surtout l’accent sur l’obsession des parties civiles d’obtenir de la part des accusés une vérité complète et définitive sur ce qu’ils ont perpétré, alors qu’eux-mêmes ne désirent pas être à leur service et que parfois même ils sont ignorants de leurs ressorts profonds.

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On attendait de Jonathann Daval, on attend de Nordahl Lelandais, la clé des mystères criminels et il est évident que comme souvent, voire toujours, la déception sera aussi vive du côté des familles de victimes que leur espérance était forte et leur douleur violente.

Remettre l’accusé à sa place

Cette médiatisation obscène – quelques hebdos, dont Marianne, sauvent l’honneur – amplifie l’expression d’un désir de vérité qui ne sera jamais satisfait dans sa plénitude et donc suscitera une terrible déception, accroissant le chagrin de la perte irréparable et peut-être aussi le ressentiment contre une peine pas assez extrême. J’entends bien qu’il est dur, voire impossible pour les sinistrés à perpétuité d’un crime qui les a dépossédés d’un être cher, pour les amis d’un accusé qu’ils disent avoir connu sous un autre jour, de ne pas s’abandonner à la colère naturelle contre celui qui saurait toute la vérité mais ne voudrait pas la dire.

Qu’il la taise par sadisme ou par ignorance de ses tréfonds obscurs, surtout qu’on ne fasse pas de lui l’arbitre des révélations et de l’exemplarité d’un procès. Il n’a pas à gouverner ni à administrer des débats que son crime a imposés. Il ne sera jamais un sauveur. Après avoir été un fossoyeur.

Golda Meir, le sens politique est-il inné ou acquis?

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On peut trouver de quoi répondre à cette question dans la biographie la plus précoce de la « grand-mère d’Israël », dont la traduction française, par Pierre Lurçat, vient de paraître, avec une riche préface offrant un éclairage enrichissant.


Valeurs fondatrices

Toute jeune, déjà, Golda Meir incarnait les valeurs fondatrices qui ont guidé les jeunes pionniers du début du XXe siècle, qu’elle définissait comme « le travail juif, la défense juive, la vie collectiviste, le travail de la terre, la volonté de maintenir l’union des ouvriers… » En effet, explique Lurçat, c’est le sionisme travailliste qui les avait conduits à « renoncer à une vie plus facile et confortable pour devenir des paysans et des travailleurs ».

Golda Meir est née au XIXe siècle (en 1898) à Kiev, dans ce qui n’était pas encore l’URSS, mais la Russie tsariste : une grande ville interdite aux Juifs. Mais son père étant menuisier, cela faisait de lui un artisan qualifié. Kiev représentait une amélioration par rapport au shtetl d’où la famille était partie, mais les souvenirs qu’en garde la jeune Golda, née Mabovitch, ce sont les pogroms, « la gêne et la faim ».

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Son grand-père paternel avait été kidnappé à domicile à l’âge de 13 ans et enrôlé de force dans l’armée (pas encore rouge, même si les communistes conservèrent la tradition). Il y resta les 13 années suivantes. « On essaya de le forcer à se convertir, y compris au moyen de tortures physiques… mais il ne céda pas. C’était apparemment un homme très ferme dans ses convictions religieuses » explique sa petite-fille, qui ne l’a jamais connu.

Le rêve américain des Juifs de l’empire tsariste

Golda avait cinq ans quand son père émigra en Amérique. Au bout de trois ans, il eut les moyens de payer la traversée à sa famille. Mais pendant ces trois années, celle-ci avait vécu à Pinsk, chez le grand-père maternel, où sa sœur aînée s’était engagée dans le mouvement révolutionnaire socialiste sioniste. Golda avait donc huit ans quand elle accosta au Nouveau Monde. Elle gardait de la Russie « le souvenir des cosaques, les marécages de Pinsk, la vie de misère à Kiev, les cris provenant du poste de police… » Elle parlait russe et yiddish. Elle acquit très rapidement l’anglais et les idées révolutionnaires de sa sœur. « De mon père », dit-elle, « j’ai hérité l’obstination… De ma mère, j’ai reçu l’optimisme. » Remarque savoureuse, quand on apprend que son père était fermement opposé aux activités politiques de ses filles !

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Ses parents refusaient aussi qu’elle continue des études pour devenir institutrice comme elle en rêvait (versant optimiste). À quatorze ans, elle fugua donc pour rejoindre sa sœur à Denver (versant obstinée) et poursuivre lesdites études. C’est là qu’elle rencontra, l’année suivante, Morris Meyerson, un peintre d’affiches, qu’elle épousa à 19 ans, en 1917.

Dernier exil pour mettre fin à l’exode

Golda Mabovitch, épouse Meyerson émigra en Palestine avec sœur, neveux, mari et pas de bagages en 1921, deux semaines après les émeutes anti-juives de Jaffa (150 morts). Leurs parents les rejoignirent cinq ans plus tard. Elle avait quitté l’Amérique « avec un sentiment de pleine gratitude pour ses qualités… la liberté qui y régnait, les possibilités qu’elle offrait à l’être humain et la beauté de ses paysages. »

L’exil de Russie avait été guidé par la volonté de fuir un régime impitoyable et l’espoir d’un mieux-être matériel, celui d’Amérique était motivé par un idéal sioniste bien plus puissant, qui impliquait, en toute connaissance de cause, une considérable régression matérielle. Elle eut l’occasion de faire la synthèse de ses expériences russo-américano-israélienne en termes de démocratie lorsque, première ambassadrice de l’État juif renaissant en Russie, elle fut interrogée par des femmes russes sur sa fille, membre d’un kibboutz : « Je leur dis qu’elle cuisait le pain. Elles furent stupéfaites : elles pensaient qu’en tant que fille de diplomate, elle était certainement la directrice du kolkhoze… »

La suite appartient à la grande Histoire 

Golda Mabovitch, épouse Meyerson, devenue Meir tout court en 1956, fut la quatrième Premier ministre d’Israël (1969-1974), troisième de son espèce, après Sirimavo Bandaranaike au Sri Lanka (1960) et Indira Gandhi en Inde (1966).

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Pour autant, son féminisme pragmatique tranche sur les récriminations des anti-féminicides contemporaines : « Je ne suis pas une grande admiratrice de cette forme particulière de féminisme qui se manifeste par les autodafés de soutien-gorge, la haine de l’homme ou les campagnes contre la maternité. Mais j’avais le plus grand respect pour ces femmes énergiques, qui travaillaient dur dans les rangs du mouvement travailliste… en Palestine. Cette sorte de féminisme constructif fait vraiment honneur aux femmes et a beaucoup plus d’importance que de savoir qui balaiera la maison et mettra le couvert. »

Pour ce qui est de sa propre vie, elle déclara à propos de son mari (dont elle se sépara en 1940) lui être « éternellement reconnaissante pour de nombreuses choses que’[elle n’a pas] reçues à la maison et que lui [lui] a transmises », ajoutant qu’elle était « capable de recevoir en abondance de ceux qui [l]’entourent ». En français, cela s’appelle tolérance et c’est âprement combattu par le wokisme et les néo-féministes qui lui feraient horreur.

L’honneur de l’une est l’horreur des autres

Ce qui ferait horreur aux intersectionnelles de tout poil, c’est une déclaration de Golda Meir adressée aux Palestiniens après la guerre des six-jours : « Nous pourrons sans doute un jour vous pardonner d’avoir tué nos enfants. Mais il nous sera beaucoup plus difficile de vous pardonner de nous avoir contraints à tuer les vôtres. La Paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent. » Elle n’a toujours pas été entendue.

* Golda Meir, La Maison de mon père, éditions Books on Demand 2022.

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Afida Turner, un monstre au théâtre

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« Requiem pour une conne » au Théâtre Trévise, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…


Afida Turner au théâtre… il fallait oser y aller, mais je ne me refuse rien !

Afida Turner, vous vous rappelez ? Cette créature télévisuelle a été révélée par une émission de téléréalité sur M6, elle a été un temps la compagne du rappeur américain Coolio, de Mike Tyson, et aujourd’hui mariée depuis quinze ans à Ronnie Turner, fils d’Ike et Tina
Turner. Chanteuse, comédienne et ancienne élève du cours Florent (elle aime le rappeler), elle est en réalité un peu plus que tout cela. C’est un phénomène !

Elle ne passe pas par un plateau télé sans faire le buzz, robes rouges en cuir ras des fesses, longues griffes vernies, poitrine offerte débordante et incontrôlable, crinière de lionne… De la lionne aussi, les rugissements.

Bien sûr que c’est de mauvais goût. C’est au-delà du mauvais goût. Mais lorsque le mauvais goût est si excessif, si foudroyant, il dépasse à mes yeux le raisonnable et parfois ennuyeux bon goût. Elle devient Reine du too much jusqu’à nous pousser, nous spectateurs, au bord de la falaise vertigineuse de la gêne.

Une salle pleine tous les soirs

Il y a quelques semaines, j’apprends donc qu’Afida Turner monte sur les planches du théâtre Trévise. La pièce : « Requiem pour une conne ». Presque sans aucune promotion, la salle est pleine tous les soirs. Je m’y rends sans aucune honte et le cœur plein de joie ! Moi qui prône le retour du  grand théâtre et des monstres sacrés, moi qui regrette les Maria Casarès, Alain Cuny, Sarah Bernhardt et Mounet-Sully, pourquoi vais-je donc voir Afida Turner avec autant d’enthousiasme (et j’ajouterais d’espoir) ?! Parce que je sais qu’il se passera quelque chose. Parce que, que ce soit bon ou mauvais, je sais que je ne resterai pas insensible à ce qu’on va me montrer.

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Voilà qu’Afida Turner entre en scène et, déjà, il se passe quelque chose. C’est une apparition qui galvanise la foule. Le public est électrisé, il hurle, applaudit à tout rompre. La diva chante, le show commence. « Etienne, Etienne, Etienne / Oh, tiens le bien / Baiser salé, Sali / tombé le long du lit / de l’inédit / Il aime à la folie / Au ralenti / Je lève les interdits »… C’est une véritable rock-star que j’ai devant mes yeux. Impossible de ne pas être happé par le monstre qui vient de prendre possession de la scène et de toutes nos attentions. Une tension sexuelle s’est propagée dans la salle, nous sommes tous pris au piège. Elle se caresse, entre les cuisses, atour des seins. La voilà à quatre pattes, rampant en string et collants résilles, les fesses sont maintenant de face, et bestialement dansent. Aucune vulgarité ! Ce n’est pas commun ! C’est trivial, violent, sexuel, obscène… oui, et pour notre plus grande joie ! Elle lève les interdits.

La pièce n’est pas sans intérêt

« Toute la France veut me baiser »… c’est ce qu’elle hurlera, face public, plus tard dans le spectacle. Je ne vous raconterai pas la pièce, elle n’a aucun intérêt. Et paradoxalement voilà encore quelque chose d’intéressant. Au théâtre, le public passe son temps à s’extasier, ou du moins à chercher un intérêt, à des pièces contemporaines qui très souvent n’en ont, à mon sens, aucun. Ici, personne n’est dupe. Tout le monde se fiche de la pièce et de son peu de qualité.

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Elle n’est qu’un prétexte pour mettre le monstre sur un plateau et l’offrir à la foule assoiffée de démesure et de sensations fortes. Son jeu n’est pas réaliste et c’est tant mieux. Afida Turner hurle son texte comme si elle chantait du rock. Elle insulte, elle jette les accessoires, se roule par terre. Pour que le spectacle soit totalement accompli, il faudrait qu’elle détruise à la hache le théâtre entier et s’ensevelisse sous ses décombres.

Bravo chère Afida Turner, c’est réussi ! Vous faites ce que très peu d’acteurs parviennent à faire : avoir un effet direct et physique sur votre public. Créer une tension sexuelle entre la scène et la salle. La joie qui jaillissait de la foule, je ne l’ai que rarement vue dans un théâtre. Pendant une heure et demie, vous avez détourné une salle entière de son triste petit quotidien. Le chic et petit milieu du théâtre parisien se moque et dénonce l’arrivée d’Afida sur les planches. « C’est pas une actrice ! C’est n’importe quoi ! Et qu’est-ce qu’elle est vulgaire. Franchement, c’est affligeant ». Mais ce qui est affligeant ce sont toutes ces petites comédies bourgeoises jouées par des acteurs raisonnables, qui ne provoquent aucun choc sur le public. Ce qui est affligeant ce sont ces classiques systématiquement « revisités » et modernisés à la Comédie-Française. Ce qui est scandaleux c’est l’embourgeoisement des comédiens, politiquement corrects aussi bien dans leur jeu sage que dans leurs discours policés.

Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…

Afida Turner devrait recevoir comme une décoration à sa boutonnière le rejet et le mépris du monde du théâtre.

Le choc que produisait par exemple Sarah Bernhardt sur la salle devait probablement plus se rapprocher de la rage hystérique et sexuelle d’Afida que de l’insipide présence de Dominique Blanc, pourtant sociétaire de la Comédie-Française… Sarah Benhardt n’était-elle pas d’ailleurs moquée ? Oui, elle dérangeait. Qui se moque aujourd’hui des comédiens sérieux de la maison de Molière ? Personne ! C’est tiède et ça ne dérange personne.  Afida, elle, inspire la fascination et l’adoration chez certains… le mépris, les moqueries et l’indignation chez beaucoup d’autres.

J’en termine, vous voulez savoir si ça vaut vraiment le coup d’y aller ? Je ne sais que vous répondre. Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà. C’est survolté, décadent, abyssal, honteux si on veut, scandaleux si ça se trouve. Bref, moi j’aime les sensations fortes, alors j’y retourne la semaine prochaine !

Dernières dates les 14, 15 et 16 février à 21h30 au théâtre Trévise, 14 rue de Trévise, 75009. Réservations 01.45.23.35.45

Marcel Tissot l’introuvable

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En 1876, Marcel Tissot publiait dans l’anonymat presque complet un roman sur la révolution française: Le Capitaine Philosophe. On vient d’exhumer ce petit trésor…


Le métier d’éditeur ressemble parfois à celui d’historien. En tout cas de l’historien qui cherche, qui fouille les archives, qui visite les greniers, dissèque les fonds et plonge dans l’immensité documentaire léguée par l’histoire. Au hasard de ces recherches, il découvre parfois un document inédit, une pièce oubliée, une archive dont on ne soupçonnait pas l’existence et qui apporte une matière supplémentaire à ceux qui s’y intéressent.

L’éditeur La délégation des siècles a récemment réalisé le même genre d’exhumation, en rééditant un roman publié une seule et unique fois en 1876, Le capitaine philosophe, par un romancier aujourd’hui oublié : Marcel Tissot. Le livre a eu un faible tirage et une diffusion restreinte en 1876 et il était absolument introuvable jusqu’à sa réédition récente.

Paris, cauchemar à ciel ouvert

Avec lui, Marcel Tissot nous replonge dans les années troubles de la Révolution et installe son personnage principal, Dunstan de Trévillers, dans un dilemme vertigineux. L’histoire : la famille noble de Trévillers, qui habite dans la ville du même nom (lieu authentique), entend monter la fièvre révolutionnaire. Le fils, Dunstan, n’est pourtant pas hostile à ceux qu’on appelle les philosophes et il voit dans ce grand mouvement révolutionnaire une bonne occasion de réformer la société et libérer le peuple de la tyrannie des vieux concepts. Séduit par ces idéaux, il les embrasse dans un premier temps jusqu’à rejoindre les rangs de l’armée. Son nouveau métier le conduit alors à rejoindre un Paris révolutionnaire où l’horreur s’est installée : le pavé est rouge du sang des Parisiens qu’on guillotine sans cesse, la population vit dans la crainte permanente de la délation, des procès expéditifs et du « rasoir national », les chefaillons de secteur zélés font régner un ordre sectaire, les comités liquident sur la base de simples dénonciations parfois anonymes ; en somme Paris, berceau de la Révolution qui devait libérer le peuple et ouvrir le temps de la liberté et de l’égalité, n’est plus qu’un immense cauchemar à ciel ouvert.

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Dunstan, bouleversé par les fruits pourris de ce qu’il croyait être un arbre vertueux, doute du bienfondé de ce grand mouvement dans lequel il avait placé sa confiance. Ce monde est-il souhaitable et, surtout, jusqu’où l’horreur révolutionnaire peut-elle emmener la France ? Dans ces conditions, il envisage de quitter l’armée républicaine mais se trouve très vite confronté à un dilemme : aux frontières, l’invasion d’armées étrangères menace. Que faire alors ? Il ne croit plus dans les idéaux qui portent cette armée mais cette armée est la seule force capable d’entraver la progression de puissances étrangères en lutte contre la patrie charnelle. Faut-il prêter main forte aux armées de la Révolution contre la menace étrangère, tout en rejetant les idéaux qui les mettent en mouvement ? Peut-on défendre le sol de la patrie contre le danger extérieur en s’associant au danger intérieur ? La question est loin d’être évidente et on peut aisément imaginer le même dilemme moral se poser à d’autres époques bouleversées.

Athéisme et rédemption

Tissot n’a donc pas seulement écrit un roman sur la Révolution, il a posé la question du dilemme moral auquel un homme, souvent démuni face à des événements de cette ampleur, se retrouve confronté lorsque les circonstances perturbent à ce point le confort habituel des positions politiques évidentes. Le capitaine philosophe, noble mais sensible à la Révolution, amoureux qui préfère l’aventure à sa promise, athée qui redécouvre les mystères de la foi, idéaliste qui revient à la réalité, incarne toutes les grandes disputes politiques et mystiques d’un temps où les événements ont prétendu les mélanger et les opposer.

Le lecteur, invité à réfléchir à ces sujets, sera également surpris de découvrir l’étonnante vitalité, en quelque sorte l’étonnante « modernité » de la plume de Tissot qui, quoiqu’il aborde des sujets graves, sait glisser des notes d’humour et des situations purement romanesques.  

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L’élitisme républicain — le vrai

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Jean-Paul Brighelli s’insurge contre la petite oligarchie du Ve arrondissement de Paris qui s’offusque de voir la procédure Affelnet d’affectation des élèves s’étendre à Henri-IV et Louis-le-Grand


Retour et liquidation — pour solde tout compte — des insinuations, mensonges et énormités que le placement d’Henri-IV et de Louis-le-Grand dans la loi commune d’Affelnet a fait naître sous la souris des CSP+ et autres profiteurs du Vème arrondissement.

Une étude chiffrée parue dans la Vie des idées, revue conjointe au Collège de France, et signée par Julien Grenet (professeur associé à l’École d’Économie de Paris) et Pauline Charousset, issue de la même discipline, liquide pour le compte la polémique que vingt personnes ultra-privilégiées ont alimentée depuis un mois que le rectorat de Paris a décidé d’étendre aux lycées Henri-IV et Louis-le-Grand la procédure Affelnet d’affectation des élèves en Seconde. 

Résumons.

1. Le recrutement actuel de ces deux lycées n’est pas du tout fondé uniquement sur le mérite scolaire. Pressions amicales, lettres de recommandation, coups de fil au recteur / au ministre / au président de la République / à Dieu comptent pour une bonne part de cette sélection « au mérite » — essentiellement le mérite des parents. 

Ajoutons que nombre d’enseignants, qui défendent bec et ongles le statu quo, profitent de la présente situation pour pousser leur progéniture dans ces deux lycées — étant entendu que les enfants de profs sont aussi brillants que leurs parents : rien d’étonnant s’ils s’insurgent contre la réforme, charité bien ordonnée… Peur de ne plus caser vos enfants dans les pouponnières d’élite, camarades ?

Et étonnons-nous : le Vème arrondissement, dont la mairesse s’est fendue d’une tribune courroucée, est sur-représenté dans ces deux lycées. Mais tout le monde sait bien que les enfants des riches sont eux aussi surdoués…

La vérité c’est que Florence Berthout est motivée dans sa diatribe par les agents immobiliers de son arrondissement, qui ont depuis longtemps incorporé à leurs argumentaires la possibilité, si vous créchez Place du Panthéon ou rue Mouffetard, de voir vos enfants inscrits à H-IV ou LLG. Le facteur économique est déterminant en dernière instance, n’est-ce pas, madame…

L’élitisme républicain, c’est cela: permettre un renouvellement des élites en allant puiser dans toutes les strates de la population les éléments brillants

2.

Une sélection automatisée ferait non seulement aussi bien que le recrutement « humain » d’H-IV et LLG, mais même mieux : les résultats, tant au collège qu’au lycée, de ces deux lycées sont même légèrement inférieurs à ceux de certains autres lycées parisiens qui ont appliqué l’année dernière la réforme sans états d’âme.

De toute façon, pour ce que valent les notes aujourd’hui… Quel jobard croit encore que le 20/20 ramené par son enfant n’est pas surgonflé ?

3.

Un quota de boursiers va-t-il niveler le niveau vers le bas ? Pas même. En analysant les résultats antérieurs d’élèves qui auraient été admis à H-IV et LLG si la procédure Affelnet avait été mise en place dès 2016, on s’aperçoit que les notes du Bac sont identiques, à une infime fraction près. Si vous croyez que 15,9 est inférieur à 16,1, c’est que vous ignorez tout des consignes de notation au Bac. Et si vous pensez vraiment que votre enfant « vaut » les notes qu’il a obtenues, vous êtes d’une naïveté confondante. Mais trois mois en classes préparatoires remettront vos précieux chérubins à leur vrai niveau : 6/20 en moyenne.

4.

Va-t-il y avoir une fuite vers le privé ? Mais non ! Il n’y en a eu aucune cette année dans l’ensemble de l’Académie, j’ai eu l’occasion de l’expliquer, il n’y en aura pas plus dans l’avenir. Nombre de gens aisés, de politiciens en vue, inscrivent leurs enfants dans le public pour pouvoir dire justement qu’ils n’ont pas eu recours au privé. D’autant qu’Henri-IV et Louis-le-Grand, dans le système actuel, fonctionnent comme des boîtes privées. Et si vous voulez avoir recours à « Stan » ou à l’Ecole alsacienne, où notre distingué porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, fit des siennes tout au long de sa scolarité d’enfant gâté, rien ne vous en empêche. Il y a un entre-soi du public comme il y a un entre-soi du privé.

Ce qui me contriste le plus, ce sont les affirmations selon lesquelles Affelnet ferait entrer le loup défavorisé dans la bergerie des bons élèves. Que des enseignants accréditent ce mensonge est sidérant.


Parce qu’enfin, chers collègues, vous avez tant envie que ça de ronronner comme vous le faites devant un public pré-sélectionné ? Vous ne voulez pas montrer enfin que vous êtes vraiment de bons profs, en permettant à tous les élèves, sans distinction de classe, d’aller au plus haut de leurs capacités ? L’élitisme républicain, c’est cela : permettre un renouvellement des élites en allant puiser dans toutes les strates de la population les éléments brillants susceptibles de remplacer pour le mieux l’oligarchie en place. Ou alors vous êtes favorable au grand retour d’une aristocratie arrogante, type 1788.

J’ai enseigné 45 ans, plus souvent dans des établissements très défavorisés que dans des lycées d’élite. Mon job et mon orgueil, ce fut de permettre à des gosses sortis de rien, et pas de la cuisse de Jupiter avec une cuiller en argent dans la bouche, de faire des études parfois brillantes. Et de ne jamais mépriser ceux qui ne pouvaient pas devenir grands avocats ou brillants financiers — voire professeurs de haut niveau —, parce que chaque élève, dans une vraie république, est aussi digne d’attention qu’un « fils ou fille de ». 

Si vous n’êtes pas capables de ça, chers collègues, changez de métier. Mais ne vous réfugiez pas derrière un recrutement correspondant exactement à vos critères, signe d’une paresse intellectuelle sidérante.

Le véhicule en dit long sur le rapport qu’on entretient au monde

Le gouvernement veut à tout prix contenir la progression des véhicules du “convoi de la liberté”, voire affiche un certain mépris envers ses participants. Quand des personnes désespérées n’arrivent plus à se faire entendre, leur véhicule s’avère être leur porte-voix, un prolongement de l’humain. Analyse.


Le véhicule en dit long sur le rapport qu’on entretient au monde. Aujourd’hui, il se substitue même à la parole. C’est pour cette raison qu’un convoi de 1700 véhicules, s’inspirant du convoi pour la liberté qui déferla sur Ottawa, tente ces jours-ci de rallier Bruxelles en passant par une Paris Interdite.

Le retour des gilets jaunes ?

Les revendications en France dépassent le cadre d’une insurrection contre une “dictature” sanitaire qui fut à l’origine de la formation du convoi canadien. Dans notre pays, s’agrègent, comme ce fut le cas lors de la crise des gilets jaunes, tous les désespoirs d’une classe sociale malmenée par la disparition du pouvoir d’achat, la hausse des prix et la stagnation des salaires. Le tout s’accompagne d’un sentiment de mépris de la part de nos élites. Il s’agit d’un « convoi de la honte » selon Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes. À Paris, le préfet de police Lallement œuvre activement pour le non – accueil dudit convoi. 

Pourtant : « la mèche est allumée » affirme l’un des participants interrogés par CNews. « On ne veut pas déranger les Parisiens, mais on est là. On était à Perpignan, Toulouse, Limoges, aujourd’hui Issoudun et Bourges. Les grenouilles sont sorties de la casserole » poursuit-il, manifestant ainsi sa colère. Les conducteurs des engins rassemblés parlent de fraternité, de retrouvailles, d’union contre l’adversité. Il s’agit véritablement de faire corps, de remettre du plein là où le vide menace, de lutter contre la solution continuité.

En quête de lien

Il est donc important, au-delà de la manifestation de force évidente, de comprendre ce que l’homme et la machine nous disent de nous. En effet, le véhicule s’avère être le prolongement de l’humain. À y bien regarder, il dit tout de lui : on bichonne sa caisse ; on la façonne à son image avec le tuning. Au volant, on laisse souvent libre cours à l’expression de ses humeurs, qu’il s’agisse d’une chanson fredonnée ou de quelques larmes versées. On fait aussi parfois un doigt d’honneur vengeur à la voiture qui vous inflige la micro-agression d’un dépassement vécu comme une blessure narcissique. Nombreux sont ceux d’entre nous qui, prenant le volant tous les jours, risquent souvent un petit “Duel”, pour évoquer le film de Steven Spielberg. Pour mémoire David Maan, tranquille représentant de commerce sillonnant les routes y commet l’irréparable en dépassant un camion plus lent que lui. S’engage alors un jeu du chat de la souris avec le conducteur du poids lourd, véritable homme-machine, dont on ne voit jamais le visage.

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Aussi, ne méprisons pas ces conducteurs et leurs engins, ils nous parlent de nous qui sommes viscéralement des personnages de la Bête humaine de Zola, tous au volant de notre locomotive, la Lison. Jacques Lantier mécanicien de l’engin, Gabin pour toujours dans le film de Renoir, flanqué du conducteur Pecqueux, c’est nous. Nous voici tous : à pied, à cheval ou en voiture. Nous sommes tous les mêmes, éternellement prolongés par nos machines, en quête de lien et de fraternité, luttant contre les hivers, les traverses et les chausse-trappe de la vie. Écoutons plutôt Zola, c’est lui qui le dit le mieux alors qu’il  décrit  la locomotive-femme et ses deux compagnons déchirant une campagne hostile, crevant la nuit de l’hiver dans une fraternité retrouvée : « Mais, dans cette tourmente, tout avait disparu, à peine pouvaient-ils, eux pourtant à qui chaque kilomètre de la route était familier, reconnaître les lieux qu’ils traversaient : la voie sombrait sous la neige, les haies, les maisons elles-mêmes semblaient s’engloutir, ce n’était plus qu’une plaine rase et sans fin, un chaos de blancheurs vagues, où la Lison paraissait galoper à sa guise, prise de folie. Et jamais les deux hommes n’avaient senti si étroitement le lien de fraternité qui les unissait, sur cette machine en marche, lâchée à travers tous les périls, où ils se trouvaient seuls, les plus abandonnés du monde, que dans une chambre close, avec l’aggravante, l’écrasante responsabilité des vies humaines qu’ils traînaient derrière eux. »

Et si c’était simplement le lien entre les hommes que le “convoi de la liberté” se proposait de restaurer ?

Jean-Pierre Brugneaux: l’errance folk

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Folk songes est un récit sans boussole qui célèbre l’errance à la manière des poètes de la beat generation ou des chansons de Dylan.


La fréquentation assidue des réseaux sociaux ressemble parfois à une errance, et on y fait de belles rencontres. Jean-Pierre Brugneaux est de celles-ci. Nous nous sommes découverts un amour commun pour la culture pop, il m’a donc fait parvenir son premier ouvrage : Folk Songes, aux éditions Spinelle. Je suis tombée sous le charme de ce récit très singulier, où l’auteur évoque l’errance, la route, comme un long poème, ou une chanson qui ressemblerait à une improvisation de jazz.

Jean-Pierre Brugneaux D.R.

Rimbaud, Verlaine, Burroughs…

Jean-Pierre Brugneaux, aujourd’hui travailleur social, a connu une jeunesse tumultueuse, les pieds dans la poussière quelquefois, et la tête dans les étoiles toujours. Ce fanatique de jazz et de rock, qui fut pigiste pour des fanzines et pour la presse quotidienne régionale, a toujours écrit en dilettante, et puis il s’est décidé à fixer ses vertiges, pour paraphraser Rimbaud. Il faut dire que Brugneaux vit dans les Ardennes. Le poète voyant est donc une de ses références assumées, il aurait pu faire siens ces vers de Ma bohème « Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J’allais sous le ciel, Muse ! Et j’étais ton féal ».

Référence assumée également, à Kerouac et son Sur la route. Ce récit définitif, qui bouleversa, à mon sens, la littérature de la deuxième moitié du vingtième siècle, en déstructurant la linéarité de la narration, pour lui insuffler de la poésie, à l’image des surréalistes en France. Les beatniks sont des surréalistes du réel, plus bruts et plus charnels. Et rock’n’roll. Etre beat, selon Kerouac, c’est : « être dans la dèche, mais rempli d’une intense conviction ».

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Seulement le rythme et la syntaxe de la langue française ne se prêtent pas au style beatnik syncopé et  largement inspiré du jazz, ni au « cut up » – une pratique qui consiste à transposer à l’écrit la méthode du collage –  chère à William Burroughs. Mais Jean-Pierre Brugneaux, on ne sait par quel miracle, le talent probablement, a réussi à faire sonner ses mots selon le rythme et la manière des poètes beatniks.  En effet, son récit est constitué à la fois de phrases claires et réalistes, et de dérives hallucinatoires dans lesquelles il se perd quelquefois, pour toujours retomber sur ses pieds : « Les pluies s’évaporent. J’essuie le trottoir, équilibriste tranquillisé. Sous traitement médicamenteux sévère. L’alcool ne pourra pas me soulager des eaux stupides. J’avance à reculons. Je régresse émotionnellement depuis des années. Je vais revenir à ma naissance et peut-être retrouver enfin mes potes des seventies disparus si tôt, vingt années plus tard. Je sens les images animées, tourner comme une plaque d’égout calcinée. Leurs voix espèrent une vie libre et soudaine ».

Le rythme des saisons

Cependant, cette errance n’est pas si chaotique ; en effet, elle est structurée selon le rythme des saisons. Mais un rythme bouleversé, le récit part de l’été pour arriver au printemps. De l’été lumineux et consolateur, au pourrissement de l’automne, la glaciation de l’hiver, et, enfin le printemps et sa promesse de renouveau. Ce renouveau, qui bien sûr apporte l’amour, auquel l’auteur consacre sa dernière partie : « Hors saison ». L’amour, qui sera sa rédemption et qu’il évoque dans un très beau poème aux accents entre Verlaine et Dylan : « Je me suis marié avec Iris le dixième jour de mai ». Ces vers sont en effet très fortement inspirés d’une chanson de Dylan : Isis : « I married Isis on the fifth day of may », mais, dans le reste du poème, on entend également Verlaine : « Pour de vrai, les mauvais jours partent, Je t’écris mes nuits, ces larmes mortes.

Le récit de Brugneaux est une déambulation sur des rails ensanglantés (« Blood on the tracks » est le titre d’un album de Dylan), un funambulisme, qui, malgré les obstacles, le guidera vers la lumière.

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M’hammed Henniche: la charia made in France

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Henniche, dont Causeur rappelait hier les relations politiques passées, est habile et mondain. Mais le site Internet de ce notable musulman milite – ou militait – pour des thèmes contraires aux droits humains, notamment féminins (voile, polygamie). Pendant des années, les politiques n’ont rien vu.


En 2015, la directrice de la Politique de la Ville d’Aulnay est Nadia Hamour, professeur à Sciences-Po, historienne et musulmane franco-algérienne spécialiste des relations Europe-Méditerranée. Elle est aussi secrétaire nationale chargée de l’intégration dans le parti UMP-LR.

Nadia Hamour rappelée à l’ordre

Le 12 décembre, lors d’un débat sur France 24, elle défend la laïcité, affirme que la République a trop reculé, qu’on recule trop chaque jour, tant concernant le foulard que le menu des cantines, et que le voile la dérange car il est un symbole politique.

M’hammed Henniche écrit alors sur son compte Twitter: « Scandalisée par les propos de @nadia_hamour sur le voile, #uam93 a contacté @brunobeschizza qui va convoquer Hamour.»

M’hammed Henniche Capture d’écran YouTube

Hamour quitte la mairie. Fallait-il surtout ne pas fâcher Henniche, qui pourrait faire perdre la mairie au LR Bruno Beschizza comme il l’avait aidé à la faire gagner? Il représente des associations gérant trente mosquées. Les élus de droite ou de gauche qui ont fait la puissance d’Henniche en cédant à son chantage, étaient censés savoir qu’en privilégiant les associations désignées par lui, et en acceptant ses choix d’imams pour les mosquées construites sur terrain municipal, ils favorisaient le développement des thèses islamistes, l’antisémitisme, les appels à violer la loi française en faveur de la charia, le bafouement des droits des femmes, etc.

A lire aussi: Quand M’hammed Henniche faisait la pluie et le beau temps en Seine-Saint-Denis

C’est le cas de l’imam de la mosquée de Pantin dont Henniche est le recteur. Le Conseil d’État observe ainsi que cet imam «a été formé dans un institut fondamentaliste du Yémen, que ses prêches sont retransmis, avec la mention de son rattachement à la “Grande mosquée de Pantin”, sur un site internet qui diffuse des fatwas salafistes de cheikhs saoudiens et qu’il est impliqué dans la mouvance islamiste radicale d’Ile-de-France. [Le Conseil] a également observé que la Grande mosquée de Pantin est devenue un lieu de rassemblement pour des individus appartenant à la mouvance islamique radicale dont certains n’habitent pas le département de Seine-Saint-Denis et ont été impliqués dans des projets d’actes terroristes. Il estime dès lors que ces éléments établissent la diffusion, au sein de la Grande mosquée de Pantin, d’idées et de théories incitant à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme[1].»

À l’époque de l’assassinat de Samuel Paty, on ne pouvait plus consulter le site Internet de Henniche, uam93 .com, dont les articles auraient prouvé la justesse des observations du Conseil d’État. Mais au temps où les élus de droite et de gauche trafiquaient avec lui pour acheter les votes qu’il pouvait leur offrir, ces articles étaient accessibles à tout le monde, et nous allons en citer des extraits[2].

«Le chemin de la caravane islamique»

Le 19 janvier 2010, au temps où le port de la burqa en France fait polémique, Henniche publie une Lettre ouverte aux pseudo-musulmans qui renforcent les non musulmans et où on lit:

«Ultime provocation, on exige des Musulmans d’opter sans réserves pour les lois (humaines) de la République et de renoncer aux Lois de Dieu, sous peine de sanctions. Mais, liberté de penser oblige, rien n’oblige à adhérer à une quelconque loi quand bien même elle serait votée par une majorité d’inconscients… En conclusion, les grands muftis de la République laïque pourront toujours aboyer cela n’empêchera pas la caravane islamique de continuer son chemin jusqu’à sa destination finale[3]

Cette destination finale? L’instauration de la charia bien entendu ! L’auteur de la lettre ouverte est Daniel-Youssof Leclerc, un Français converti à l’islam, et un des fondateurs de la puissante Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Il n’a jamais caché ce but ni dans son journal radical L’Index, ni dans ses interventions. Dans une interview au Nouvel Observateur, il déclare en 1992: «Si demain on avait une majorité dans ce pays, pourquoi est-ce qu’on n’imposerait pas la Charia progressivement? Ça vous dérange? Tant pis[4]

Le niqab: «une baffe»

Le 12 octobre 2012, le site publie un article intitulé «Le niqab supérieur à jamais au dévoilement du visage». Il commence ainsi: «La République a beau répéter et placarder partout que son idole avait le visage dévoilé, les vrais Musulmans n’en ont que faire[5]Pour justifier le port du voile intégral, il cite des textes islamiques qui le prônent et montrent qu’au temps des califes en tout cas, les femmes étaient entièrement voilées. Il recommande aussi d’aller consulter les rayons des livres dans les librairies islamiques. Les oulémas en effet, font l’éloge du voile sous prétexte que l’esclave chrétienne ou juive était nue, et la musulmane voilée[6].

Valerie Pécresse à Chanteloup-les-Vignes le 8 novembre 2019. La candidate LR se voit actuellement reprocher par ses adversaires la présence dans son entourage de Patrick Karam ou Jean-Christophe Lagarde © PATRICK GELY/SIPA Numéro de reportage: 00931681_000061

Henniche voit cette désobéissance comme une guerre contre les mécréants, un djihad: deux ans plus tôt, en octobre 2013, son site Internet a publié un article intitulé «Le Jihad du niqab». Le port du niqab est en réalité un supplice, car les femmes ne se voilent pas à la maison où il fait frais, mais à l’extérieur, où le soleil tape, à moins que la pluie ne rende le tissu mouillé lourd et collant. Mais l’auteur passe outre, et pour pousser les femmes à le porter en France, il le leur présente comme une série de baffes à administrer:

«Comme l’ont fort bien remarqués [sic] les responsables politiques ainsi que les journalistes, le port du niqab en France est l’objet d’une guerre sans merci entre les forces républicaines et celles des musulmans… Aussi, les femmes qui continuent ou qui commencent à le porter et à ainsi essayer de parfaire leur Tawhid (en ne craignant que Dieu et non les forces de l’ordre, en plaçant avant tout leur confiance et leur espoir en Lui, en ne portant dans leurs cœurs que Sa Législation) sont les véritables “mujahidat” [djihadistes femmes] d’aujourd’hui. Leur voile secoue la société plus que tous les discours, plus que tous les actes de prosélytisme et plus que la menace de n’importe quelles armes. Leur voile révèle l’hypocrisie de beaucoup de personnes s’affirmant musulmanes et dévoile le véritable visage ainsi que le vide sentimental de nos ennemis. Chaque journée de plus où elles le portent est une baffe donnée à l’athéisme et au matérialisme ambiant, un coup de pied donné à l’injustice des lois humaines[7]

Et en avant la polygamie…

L’UAM93 s’attelle également à habituer ses lecteurs à un autre point de la charia: la polygamie, que son site défend, notamment en avril 2016[8].

A lire aussi, Jean Messiha: Face à l’islamo-gauchisme et à l’islamo-droitisme, la Reconquête!

En 2018, la page Facebook de la mosquée de Pantin dont Henniche est le recteur, diffusera même une photo de femmes d’un prétendu collectif sénégalais « Mon mari a droit à 4 femmes ». L’AFP prouvera qu’il n’existe pas[9], mais les administrateurs ne semblent pas y avoir fait attention, ou même l’avoir lu.

Et les victimes?

Les succès d’Henniche dans l’obtention de mosquées et d’écoles islamistes, et le genre de propagande que lui et ses protégés diffusaient, ont fait de nombreuses victimes. Durant les décennies Henniche, en effet, le voile est devenu incontournable dans le 93, les rues désertes de femmes à certaines heures, et des cafés n’en ont plus accueilli. Et tant pis pour celles qui ne voulaient pas de cela ! Combien de femmes en France ont alors été battues ou violées pendant ces années, parce qu’elles n’étaient pas voilées ? Combien d’entre elles ont été diversement châtiées ? Parmi elles, au moins deux adolescentes, Sohane Béziane[10] et Shaina Hansye[11], ont été brûlées vives et en sont mortes, parfois après avoir été torturées. Et on ne compte pas le nombre de crimes commis contre des «mécréants» ou des musulmans «apostats». Classés faits divers, ces crimes étaient, pour la plupart, en moins en partie suscités par les sermons des oulémas qui leur disaient, dans certaines mosquées, de déranger les mécréants ou de les punir.

Un autre crime n’a pas été classé fait divers, parce qu’il a été revendiqué par Daesh: le meurtre de Samuel Paty.

Henniche et Samuel Paty

En 2020, la page Facebook de la mosquée de Pantin relaie une vidéo d’un homme désignant Samuel Paty à la vindicte islamiste parce qu’il a parlé à ses élèves des caricatures de Mahomet.

A lire aussi: “Zone Interdite”: alors que nous tergiversons, les islamistes, eux, savent ce qu’ils veulent

La page n’est pas la seule à avoir publié cette vidéo, mais sa grande audience – 100.000 abonnés – lui assure une grande diffusion. On connaît la suite: ayant visionné la vidéo, un loup solitaire se réclamant de Daesh part à la recherche du professeur, l’attend sur la route, le larde de coups de couteau, et finalement, lui coupe la tête. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, annoncera la fermeture de la mosquée de Pantin pour six mois. «Je regrette cette publication qui a été immédiatement supprimée après l’atrocité subie par ce professeur[12],» dit Henniche. Le hic, c’est qu’il l’a fait supprimer après… pas avant.

Un registre de doléances en hommage a Samuel Paty à Nice, octobre 2020 © Lionel Urman/SIPA Numéro de reportage : 00986783_000001

Il savait pourtant qu’al-Qaïda et Daesh appelaient au meurtre des caricaturistes de Mahomet et de ceux qui les défendaient, et qu’une vidéo désignant un homme comme un de ces défenseurs, pouvait justement susciter chez un islamiste le désir de le tuer. Et que des milliers de ces tueurs potentiels étaient recensés en France… sans compter les cellules dormantes. Darmanin venait en effet, le 31 août précédent, de déclarer: «Les acteurs impliqués dans des projets d’actions violentes sur notre territoire agissent désormais de manière beaucoup plus autonome et parfois, soudaine. La menace représentée par des individus adeptes d’un islam radical, sensibles à sa propagande, mais non nécessairement membres d’un réseau constitué, devient un défi croissant pour les services de renseignement, qui assurent aujourd’hui le suivi de 8 132 individus inscrits au FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste)[13]

Sans le savoir, Darmanin avait ce jour-là décrit le tueur de Paty, ses idées et ses motivations.


[1] https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/le-juge-des-referes-du-conseil-d-etat-rejette-la-demande-de-suspension-de-la-fermeture-de-la-grande-mosquee-de-pantin

[2] Les articles ont été retrouvés sur Wayback Machine et les nouveaux liens publiés sur les sites Internet www.islamisation.fr et https://islamindex.info/

[3] https://web.archive.org/web/20110331022804/http://www.uam93.com/news/lettre-ouverte-aux-pseudos-musulmans-qui-renforcent-les-non-musulmans-8751.html

[4] Philip Aziz, Le Paradoxe de Roubaix, Plon 1996.

[5] https://web.archive.org/web/20121116234333/https://www.uam93.com/news/le-niqab-superieur-a-jamais-au-devoilement-du-visage.html

[6] Lina Murr Nehmé, Fatwas et Caricatures, la Stratégie de l’Islamisme, Salvator 2015, p. 42-43, 97-98.

[7] https://web.archive.org/web/20150706095930/http://www.uam93.com/news/le-jihad-du-niqab.html

[8] https://aulnaycap.com/2016/04/08/apres-le-mariage-pour-tous-certains-reclament-la-legalisation-de-la-polygamie/

[9] https://factuel.afp.com/non-ces-femmes-ne-militent-pas-pour-que-leur-maris-aient-quatre-epouses

[10] https://www.lemonde.fr/societe/article/2006/03/30/l-ombre-de-sohane-cite-balzac_756271_3224.html

[11] https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/05/shaina-15-ans-poignardee-et-brulee-vive-a-creil-ce-n-est-pas-un-fait-divers-mais-un-fait-de-societe_6093462_3224.html

[12] https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/fermeture-de-la-mosquee-de-pantin-son-responsable-s-estime-jete-en-pature-20-10-2020-8404081.php

[13] https://www.interieur.gouv.fr/fr/Le-ministre/Interventions-du-ministre/Discours-de-Gerald-Darmanin-a-la-Direction-Generale-de-la-Securite-Interieure

La véritable histoire du Bounty

Ce navire britannique du XVIIIe siècle a connu, sous le soleil du Pacifique, la mutinerie la plus célèbre de l’histoire maritime. Hollywood s’en est emparé et en a fait une légende, en prenant quelques libertés avec la réalité. Dans les faits, Fletcher Christian, le matelot à l’origine de la rébellion, est un sacré vaurien, et le capitaine Bligh un vrai héros.


Il arrive parfois qu’un livre nous appelle : « Prends-moi, tu ne le regretteras pas ! » Le dernier à nous avoir ainsi interpellé est Les Mutins du Bounty, de Sir John Barrow (1764-1848). Ce grand navigateur, à qui l’on doit la création de la Société royale de géographie (à l’origine d’expéditions légendaires), a passé des années à rassembler les pièces du procès et les témoignages des acteurs de cette mutinerie, la plus célèbre de l’histoire maritime. Publié en 1831, ce trésor oublié a été exhumé l’an dernier par Jean-Claude Zylberstein, dans sa collection « Le Goût de l’Histoire » aux Belles Lettres. Comme tout le monde, nous croyions connaître dans ses grandes lignes cette affaire qui a inspiré à Hollywood pas moins de cinq films basés sur la confrontation entre le jeune officier humaniste Fletcher Christian (qui lance la mutinerie) et le ténébreux capitaine William Bligh, maniaque de la discipline et des châtiments corporels. Ces deux personnages historiques ont ainsi été incarnés successivement par Errol Flynn et Mayne Lynton (1933), Clark Gable et Charles Laughton (1935), Marlon Brando et Trevor Howard (1962), Mel Gibson et Anthony Hopkins (1984)…

Pas des tendres

Or, la puissance du récit de Sir John Barrow, aussi factuel et véridique que l’est le procès de Jeanne d’Arc, est de nous faire prendre conscience que les héros véritables ne sont pas ceux que l’on croit. En réalité, Fletcher Christian et ses vingt-deux camarades étaient des forbans qui ont purement et simplement abandonné en plein océan Pacifique, sous la menace des sabres et des pistolets, le capitaine Bligh et dix-huit autres marins, dans une chaloupe condamnée au naufrage. Ils sont ensuite partis fonder une colonie sur une île, après en avoir tué ses habitants et volé des femmes aux Tahitiens. Puis ils se sont entretués et les derniers ont fini massacrés à coup de hache par des Tahitiens vengeurs, en 1793. Ceux qui avaient rapidement compris que Christian était un tyran s’étaient rendus volontairement aux soldats anglais venus les capturer, dès1791, mais ils ont disparu dans le naufrage de leur navire sur une barrière de corail ; une histoire dans l’histoire qui accentue la dimension incroyablement tragique de ce récit.

Quand le trois-mâts Bounty quitte la baie de Spithead, entre l’île de Wight et Portsmouth, le 23 décembre 1787, sa mission est d’aller chercher des arbres à pain à Tahiti afin de les replanter dans les Antilles britanniques pour nourrir la population. Il faudra presque un an de voyage au capitaine Bligh pour arriver à destination, le 24 octobre 1788. Bligh se plaint déjà dans son journal du comportement de son équipage et de ses officiers qu’il juge « pas à la hauteur ». Il reste plusieurs mois à Tahiti qui, avec ses femmes nues aux seins superbes et ses hommes grands et musclés qui se laissent vivre en mangeant des fruits et des coquillages, est perçu comme le paradis terrestre. Difficile pour les marins de la Royal Navy de résister à la tentation ! Certains désertent mais Bligh les rattrape. Les arbres à pain une fois stockés dans la cale du Bounty, vient l’heure du retour en Angleterre. Mais le 27 avril 1789, Bligh accuse Fletcher Christian de lui avoir volé ses noix de coco (la question de la nourriture est omniprésente). Le 28 avril, à l’aube, Christian décide de lancer sa mutinerie et fait ligoter le capitaine Bligh… Au même moment, à quelques dizaines de milliers de kilomètres, les premiers grondements de la Révolution française se font entendre.

Décrit par Hollywood comme un monstre glacé, le capitaine Bligh – qui n’était certes pas un tendre, mais quand on part deux ans avec quarante gaillards, il vaut mieux savoir se faire respecter ! – a réussi l’exploit unique dans les annales de la marine de traverser 7 000 kilomètres à bord de sa petite chaloupe jusqu’à l’île de Timor, cinq semaines durant, en distribuant à ses hommes 30 grammes de pain par jour et un peu de rhum, sous les vagues, le froid et le soleil. Bligh, qui avait fait son apprentissage aux côtés du capitaine Cook vingt ans auparavant, était un marin d’exception et un vrai meneur d’hommes : c’est lui le véritable héros de cette tragédie shakespearienne !

Bassesses humaines

S’agissant du mythe du « bon sauvage » qui structure notre vision du monde depuis Jean-Jacques Rousseau, et au regard duquel l’Occident serait coupable pour l’éternité d’avoir exterminé des peuples innocents, John Barrow nous rappelle que le capitaine Cook, qui était un explorateur pacifiste, a été découpé en morceaux et mangé par les habitants de l’île d’Hawaï en 1779. Il raconte également ce qui est arrivé au capitaine Bligh et à ses hommes, affamés et sans armes, lorsqu’ils ont débarqué aux îles Fidji pour se ravitailler. D’abord hospitaliers, car craignant la Royal Navy, ses habitants demandent à Bligh ce qui lui est arrivé. Celui-ci, nous dit Barrow, commet alors l’erreur de répondre qu’il a fait naufrage, ce qui le met aussitôt dans une situation de vulnérabilité. Une heure après, les indigènes attaquent les malheureux à coups de pierres et tuent un marin qui n’a pas le temps de rejoindre la chaloupe. Où qu’elle soit, l’humanité obéit d’abord à des rapports de forces.

Sir John Barrow n’occulte rien des bassesses humaines. Mais son récit brille par un sentiment de justice. Il insiste ainsi longuement sur le sort d’un jeune marin, Peter Heywood, qui n’a pas participé à la mutinerie mais qui a néanmoins été condamné à mort pour ne pas avoir rejoint la chaloupe du capitaine Bligh, car terrorisé à l’idée de faire naufrage et d’être mangé par les cannibales. Heywood, héroïquement défendu par sa sœur (qui en mourra d’épuisement), sera gracié par le roi George III et fera une belle carrière d’officier. Finalement, seuls trois mutins survivants du Bounty seront pendus dans la rade de Portsmouth, le 24 octobre 1792, à bord du vaisseau le Brunswick, sous les roulements de tambours.


Sir John Barrow, Les Mutins du Bounty, « Le goût de l’Histoire », Les Belles Lettres, 2021.

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Jean-Claude Zylberstein, Souvenirs d’un chasseur de trésors littéraires, Christian Bourgois, 2022 (réédition poche).

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En France, on n’a pas d’usine mais on a des idées!

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Avec la pandémie, la France a pris conscience de sa dramatique désindustrialisation, et de sa dépendance à la Chine. Comment réindustrialiser ? Les candidats à la présidentielle y vont tous de leur annonce, mais on peut se demander s’ils ont bien compris les enjeux.


Si la France fait toujours bien partie du G8, ce club qui réunit les pays les plus industrialisés, la pandémie a laissé entrevoir une autre vérité : notre pays est le plus désindustrialisé d’Europe. Comme le rappelle Claude Sicard dans Le Figaro, « notre secteur industriel n’emploie plus que 2,7 millions de personnes et ne contribue à la formation du PIB que pour 10 % seulement ». Autre chiffre affolant : en 2021, le pays est confronté au pire déficit commercial de son histoire pour atteindre 84,7 milliards d’euros (soit 3,4 % du PIB). Serions-nous à l’aube de l’émergence du premier pays en voie de sous-développement ?

Migrant industriel assimilé à la « Shenzhen speed »

On disposait de nombreux éléments pour prévoir cette situation. A titre personnel j’en ai fait l’expérience quand j’ai pris la décision de partir en Chine, en 2007, après avoir subi la liquidation des usines de Philips au Mans…

Aujourd’hui, basé à Shenzhen, j’ai compris les éléments clés de la stratégie d’industrialisation de cette région : la production y est à portée de main. La proximité de tous les acteurs de la chaîne de la valeur industrielle est un atout de poids considérable. À la « Shenzhen Speed » tout va plus vite et lorsqu’une usine a besoin d’une pièce, elle la reçoit dans l’heure. Aujourd’hui cela est totalement impossible à faire en Europe, car l’ensemble des composants viennent d’Asie… Il convient de prendre en compte ces leçons si on veut voir un jour les industriels revenir en France.

Bien penser la réindustrialisation

En France, l’objectif n’est plus de « lutter contre la désindustrialisation » mais bel et bien d’œuvrer à la réindustrialisation, un chantier pour le moins ambitieux. Ils semblent lointains les jours heureux, ceux des Trente Glorieuses où Jean-Luc Lagardère était notre Elon Musk français… Depuis lors, la France s’est embourbée dans de mauvaises orientations politiques et économiques, pour la plupart édictées à Bruxelles – jusqu’à cette synthèse chimérique de « souveraineté européenne » chère au locataire actuel de l’Elysée.

À lire ensuite, Loïk Le Floch-Prigent: Pourquoi cette valse-hésitation sur le nucléaire français?

Alors que nos élites concentrent leurs efforts essentiellement sur la communication de ce qu’il y a de plus spectaculaire (comme ce fameux « Airbus des batteries » via un consortium européen visant à produire la batterie électrique des voitures du Vieux Continent), elles en oublient l’essentiel : il faut redévelopper un tissu industriel complet, de la souveraineté énergétique à l’extraction de minéraux industriels, jusqu’à la production de masse, sachant que ce tout dernier point n’est pas facile à valoriser dans un message politique.

Ce sont là toutes les conditions nécessaires afin de pouvoir un jour espérer égaler la « Shenzhen Speed ».

France 2030: un horizon incertain  

Le chef de l’État a dévoilé le 12 octobre dernier un plan d’investissement de 30 milliards d’euros sur cinq ans pour développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir en France.

650 millions d’euros de ce plan de relance ont été attribués à des projets de réhabilitation des friches industrielles, et un budget de 800 millions d’euros a été alloué à la robotique. L’Etat vient aussi de lancer un fond FrenchTech doté de 550 millions d‘euros pour des aides à des projets d’industrialisation. Tout cela semble aller dans la bonne direction mais une question se pose toutefois : pourquoi avoir attendu cinq ans ? Et la philosophie qui se cache derrière ce plan est-elle sincère, ou est-ce encore une ruse politicienne pour séduire un électorat entrepreneurial de toute façon déjà acquis ?

Le président Emmanuel Macron présente le plan d’investissement France 2030 depuis l’Elysée, 12 octobre 2021 © Ludovic Marin/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22614348_000006

France 2022: c’est demain

Dans quelques semaines, l’un des candidats franchira la porte de l’Élysée. Quelles seront ses premières mesures pour réindustrialiser la France ? Aujourd’hui, tous les candidats semblent avoir bien intégré cet impératif, mais force est de constater qu’on assiste surtout à un concours de déclarations :

À gauche, Fabien Roussel (PCF) souhaite interdire les délocalisations. Planificateur et visionnaire, Jean-Luc Melenchon (LFI) avait proposé de son côté de « planifier la réintroduction d’un produit quand sa production n’existe plus en France ou en Europe », mais il a vite revu ses ambitions à la baisse en affirmant fin janvier que « la réindustrialisation n’est pas un objectif en soi. La vraie question, c’est : « qu’est-ce qu’on doit produire nous ? » ».

A lire aussi, Sophie de Menthon: Marine Le Pen fait-elle encore peur aux patrons?

« Championne de la réindustrialisation » et pour la mise en place d’un « protectionnisme intelligent », Marine Le Pen a déclaré vouloir faire « de notre pays le paradis des entrepreneurs et de linnovation ».  Quant à Valérie Pécresse, la candidate LR, elle en appelle à l’action en rompant avec « les slogans creux » tout en voulant réindustrialiser « la France pour réduire notre empreinte carbone »! 

Pour Yannick Jadot (EELV), réindustrialiser veut dire « reconstruire une société de la bienveillance où lautre nest plus une menace, un adversaire, mais un enrichissement, une ouverture. »

Enfin, petit dernier arrivé sur l’échiquier politique, Eric Zemmour semble être le seul à avoir pensé une véritable politique de réindustrialisation dans sa globalité – idée qu’il défend depuis des années maintenant et bien avant que ce ne soit à la mode – sans effet de manches. D’une part via la mise en œuvre d’une réduction des impôts de production afin d’améliorer la compétitivité des entreprises. Il promet d’autre part de favoriser le made in France dans la commande publique. Enfin, il propose d’autre part la suppression des droits de succession des entreprises familiales.

Quel que soit le vainqueur, il devra faire vite: car si la France veut pouvoir un jour rattraper la « Shenzhen speed », elle doit se mettre au travail dès le lendemain du 24 avril 2022.

Nordahl Lelandais: les journaux en font-ils trop?

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Ouverture du proces de Nordhal Lelandais pour le meurtre de Maëlys, Grenoble, 31 janvier 2022 © VSPress/SIPA

S’il vient finalement de reconnaitre qu’il avait volontairement tué la petite Maëlys lors de son procès, Nordahl Lelandais dit ne pas se souvenir, ou ne pas pouvoir donner d’explications à ses actes criminels. De quoi susciter une surenchère médiatique et accentuer le désarroi des parties civiles.


Il y a des affaires criminelles qui commencent mal sur le plan médiatique et parfois même pour l’essentiel judiciaire. On ne sait pourquoi, une focalisation qui devient vite délirante sur un suspect, un mis en examen, un accusé, au point d’entraîner des conséquences délétères: traiter artificiellement d’extraordinaires une procédure, puis un procès, contre l’obligation, comme l’avait enseigné le procureur général Pierre Truche, d’appréhender de manière ordinaire quelque matière criminelle que ce soit.

Quand les ressorts criminels profonds sont inintelligibles

Il y a eu la folie médiatique autour de Jonathann Daval, favorisée par l’un de ses avocats et l’étrange et complaisante exposition des parents de la victime. Il y a, depuis le début du procès de Nordahl Lelandais pour le meurtre de la toute jeune Maëlys, des comptes rendus médiatiques à foison allant jusqu’à interviewer la sœur de celle-ci en compagnie de son avocat sur TF1. Je ne peux que renvoyer au texte que j’ai écrit le 23 novembre 2020: « Jonathann Daval : procès d’un procès ? » Celui-ci met surtout l’accent sur l’obsession des parties civiles d’obtenir de la part des accusés une vérité complète et définitive sur ce qu’ils ont perpétré, alors qu’eux-mêmes ne désirent pas être à leur service et que parfois même ils sont ignorants de leurs ressorts profonds.

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On attendait de Jonathann Daval, on attend de Nordahl Lelandais, la clé des mystères criminels et il est évident que comme souvent, voire toujours, la déception sera aussi vive du côté des familles de victimes que leur espérance était forte et leur douleur violente.

Remettre l’accusé à sa place

Cette médiatisation obscène – quelques hebdos, dont Marianne, sauvent l’honneur – amplifie l’expression d’un désir de vérité qui ne sera jamais satisfait dans sa plénitude et donc suscitera une terrible déception, accroissant le chagrin de la perte irréparable et peut-être aussi le ressentiment contre une peine pas assez extrême. J’entends bien qu’il est dur, voire impossible pour les sinistrés à perpétuité d’un crime qui les a dépossédés d’un être cher, pour les amis d’un accusé qu’ils disent avoir connu sous un autre jour, de ne pas s’abandonner à la colère naturelle contre celui qui saurait toute la vérité mais ne voudrait pas la dire.

Qu’il la taise par sadisme ou par ignorance de ses tréfonds obscurs, surtout qu’on ne fasse pas de lui l’arbitre des révélations et de l’exemplarité d’un procès. Il n’a pas à gouverner ni à administrer des débats que son crime a imposés. Il ne sera jamais un sauveur. Après avoir été un fossoyeur.

Golda Meir, le sens politique est-il inné ou acquis?

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D.R.

On peut trouver de quoi répondre à cette question dans la biographie la plus précoce de la « grand-mère d’Israël », dont la traduction française, par Pierre Lurçat, vient de paraître, avec une riche préface offrant un éclairage enrichissant.


Valeurs fondatrices

Toute jeune, déjà, Golda Meir incarnait les valeurs fondatrices qui ont guidé les jeunes pionniers du début du XXe siècle, qu’elle définissait comme « le travail juif, la défense juive, la vie collectiviste, le travail de la terre, la volonté de maintenir l’union des ouvriers… » En effet, explique Lurçat, c’est le sionisme travailliste qui les avait conduits à « renoncer à une vie plus facile et confortable pour devenir des paysans et des travailleurs ».

Golda Meir est née au XIXe siècle (en 1898) à Kiev, dans ce qui n’était pas encore l’URSS, mais la Russie tsariste : une grande ville interdite aux Juifs. Mais son père étant menuisier, cela faisait de lui un artisan qualifié. Kiev représentait une amélioration par rapport au shtetl d’où la famille était partie, mais les souvenirs qu’en garde la jeune Golda, née Mabovitch, ce sont les pogroms, « la gêne et la faim ».

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Son grand-père paternel avait été kidnappé à domicile à l’âge de 13 ans et enrôlé de force dans l’armée (pas encore rouge, même si les communistes conservèrent la tradition). Il y resta les 13 années suivantes. « On essaya de le forcer à se convertir, y compris au moyen de tortures physiques… mais il ne céda pas. C’était apparemment un homme très ferme dans ses convictions religieuses » explique sa petite-fille, qui ne l’a jamais connu.

Le rêve américain des Juifs de l’empire tsariste

Golda avait cinq ans quand son père émigra en Amérique. Au bout de trois ans, il eut les moyens de payer la traversée à sa famille. Mais pendant ces trois années, celle-ci avait vécu à Pinsk, chez le grand-père maternel, où sa sœur aînée s’était engagée dans le mouvement révolutionnaire socialiste sioniste. Golda avait donc huit ans quand elle accosta au Nouveau Monde. Elle gardait de la Russie « le souvenir des cosaques, les marécages de Pinsk, la vie de misère à Kiev, les cris provenant du poste de police… » Elle parlait russe et yiddish. Elle acquit très rapidement l’anglais et les idées révolutionnaires de sa sœur. « De mon père », dit-elle, « j’ai hérité l’obstination… De ma mère, j’ai reçu l’optimisme. » Remarque savoureuse, quand on apprend que son père était fermement opposé aux activités politiques de ses filles !

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Ses parents refusaient aussi qu’elle continue des études pour devenir institutrice comme elle en rêvait (versant optimiste). À quatorze ans, elle fugua donc pour rejoindre sa sœur à Denver (versant obstinée) et poursuivre lesdites études. C’est là qu’elle rencontra, l’année suivante, Morris Meyerson, un peintre d’affiches, qu’elle épousa à 19 ans, en 1917.

Dernier exil pour mettre fin à l’exode

Golda Mabovitch, épouse Meyerson émigra en Palestine avec sœur, neveux, mari et pas de bagages en 1921, deux semaines après les émeutes anti-juives de Jaffa (150 morts). Leurs parents les rejoignirent cinq ans plus tard. Elle avait quitté l’Amérique « avec un sentiment de pleine gratitude pour ses qualités… la liberté qui y régnait, les possibilités qu’elle offrait à l’être humain et la beauté de ses paysages. »

L’exil de Russie avait été guidé par la volonté de fuir un régime impitoyable et l’espoir d’un mieux-être matériel, celui d’Amérique était motivé par un idéal sioniste bien plus puissant, qui impliquait, en toute connaissance de cause, une considérable régression matérielle. Elle eut l’occasion de faire la synthèse de ses expériences russo-américano-israélienne en termes de démocratie lorsque, première ambassadrice de l’État juif renaissant en Russie, elle fut interrogée par des femmes russes sur sa fille, membre d’un kibboutz : « Je leur dis qu’elle cuisait le pain. Elles furent stupéfaites : elles pensaient qu’en tant que fille de diplomate, elle était certainement la directrice du kolkhoze… »

La suite appartient à la grande Histoire 

Golda Mabovitch, épouse Meyerson, devenue Meir tout court en 1956, fut la quatrième Premier ministre d’Israël (1969-1974), troisième de son espèce, après Sirimavo Bandaranaike au Sri Lanka (1960) et Indira Gandhi en Inde (1966).

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Pour autant, son féminisme pragmatique tranche sur les récriminations des anti-féminicides contemporaines : « Je ne suis pas une grande admiratrice de cette forme particulière de féminisme qui se manifeste par les autodafés de soutien-gorge, la haine de l’homme ou les campagnes contre la maternité. Mais j’avais le plus grand respect pour ces femmes énergiques, qui travaillaient dur dans les rangs du mouvement travailliste… en Palestine. Cette sorte de féminisme constructif fait vraiment honneur aux femmes et a beaucoup plus d’importance que de savoir qui balaiera la maison et mettra le couvert. »

Pour ce qui est de sa propre vie, elle déclara à propos de son mari (dont elle se sépara en 1940) lui être « éternellement reconnaissante pour de nombreuses choses que’[elle n’a pas] reçues à la maison et que lui [lui] a transmises », ajoutant qu’elle était « capable de recevoir en abondance de ceux qui [l]’entourent ». En français, cela s’appelle tolérance et c’est âprement combattu par le wokisme et les néo-féministes qui lui feraient horreur.

L’honneur de l’une est l’horreur des autres

Ce qui ferait horreur aux intersectionnelles de tout poil, c’est une déclaration de Golda Meir adressée aux Palestiniens après la guerre des six-jours : « Nous pourrons sans doute un jour vous pardonner d’avoir tué nos enfants. Mais il nous sera beaucoup plus difficile de vous pardonner de nous avoir contraints à tuer les vôtres. La Paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent. » Elle n’a toujours pas été entendue.

* Golda Meir, La Maison de mon père, éditions Books on Demand 2022.

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Afida Turner, un monstre au théâtre

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Maurane Szilagyi et Afida Turner D.R.

« Requiem pour une conne » au Théâtre Trévise, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…


Afida Turner au théâtre… il fallait oser y aller, mais je ne me refuse rien !

Afida Turner, vous vous rappelez ? Cette créature télévisuelle a été révélée par une émission de téléréalité sur M6, elle a été un temps la compagne du rappeur américain Coolio, de Mike Tyson, et aujourd’hui mariée depuis quinze ans à Ronnie Turner, fils d’Ike et Tina
Turner. Chanteuse, comédienne et ancienne élève du cours Florent (elle aime le rappeler), elle est en réalité un peu plus que tout cela. C’est un phénomène !

Elle ne passe pas par un plateau télé sans faire le buzz, robes rouges en cuir ras des fesses, longues griffes vernies, poitrine offerte débordante et incontrôlable, crinière de lionne… De la lionne aussi, les rugissements.

Bien sûr que c’est de mauvais goût. C’est au-delà du mauvais goût. Mais lorsque le mauvais goût est si excessif, si foudroyant, il dépasse à mes yeux le raisonnable et parfois ennuyeux bon goût. Elle devient Reine du too much jusqu’à nous pousser, nous spectateurs, au bord de la falaise vertigineuse de la gêne.

Une salle pleine tous les soirs

Il y a quelques semaines, j’apprends donc qu’Afida Turner monte sur les planches du théâtre Trévise. La pièce : « Requiem pour une conne ». Presque sans aucune promotion, la salle est pleine tous les soirs. Je m’y rends sans aucune honte et le cœur plein de joie ! Moi qui prône le retour du  grand théâtre et des monstres sacrés, moi qui regrette les Maria Casarès, Alain Cuny, Sarah Bernhardt et Mounet-Sully, pourquoi vais-je donc voir Afida Turner avec autant d’enthousiasme (et j’ajouterais d’espoir) ?! Parce que je sais qu’il se passera quelque chose. Parce que, que ce soit bon ou mauvais, je sais que je ne resterai pas insensible à ce qu’on va me montrer.

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Voilà qu’Afida Turner entre en scène et, déjà, il se passe quelque chose. C’est une apparition qui galvanise la foule. Le public est électrisé, il hurle, applaudit à tout rompre. La diva chante, le show commence. « Etienne, Etienne, Etienne / Oh, tiens le bien / Baiser salé, Sali / tombé le long du lit / de l’inédit / Il aime à la folie / Au ralenti / Je lève les interdits »… C’est une véritable rock-star que j’ai devant mes yeux. Impossible de ne pas être happé par le monstre qui vient de prendre possession de la scène et de toutes nos attentions. Une tension sexuelle s’est propagée dans la salle, nous sommes tous pris au piège. Elle se caresse, entre les cuisses, atour des seins. La voilà à quatre pattes, rampant en string et collants résilles, les fesses sont maintenant de face, et bestialement dansent. Aucune vulgarité ! Ce n’est pas commun ! C’est trivial, violent, sexuel, obscène… oui, et pour notre plus grande joie ! Elle lève les interdits.

La pièce n’est pas sans intérêt

« Toute la France veut me baiser »… c’est ce qu’elle hurlera, face public, plus tard dans le spectacle. Je ne vous raconterai pas la pièce, elle n’a aucun intérêt. Et paradoxalement voilà encore quelque chose d’intéressant. Au théâtre, le public passe son temps à s’extasier, ou du moins à chercher un intérêt, à des pièces contemporaines qui très souvent n’en ont, à mon sens, aucun. Ici, personne n’est dupe. Tout le monde se fiche de la pièce et de son peu de qualité.

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Elle n’est qu’un prétexte pour mettre le monstre sur un plateau et l’offrir à la foule assoiffée de démesure et de sensations fortes. Son jeu n’est pas réaliste et c’est tant mieux. Afida Turner hurle son texte comme si elle chantait du rock. Elle insulte, elle jette les accessoires, se roule par terre. Pour que le spectacle soit totalement accompli, il faudrait qu’elle détruise à la hache le théâtre entier et s’ensevelisse sous ses décombres.

Bravo chère Afida Turner, c’est réussi ! Vous faites ce que très peu d’acteurs parviennent à faire : avoir un effet direct et physique sur votre public. Créer une tension sexuelle entre la scène et la salle. La joie qui jaillissait de la foule, je ne l’ai que rarement vue dans un théâtre. Pendant une heure et demie, vous avez détourné une salle entière de son triste petit quotidien. Le chic et petit milieu du théâtre parisien se moque et dénonce l’arrivée d’Afida sur les planches. « C’est pas une actrice ! C’est n’importe quoi ! Et qu’est-ce qu’elle est vulgaire. Franchement, c’est affligeant ». Mais ce qui est affligeant ce sont toutes ces petites comédies bourgeoises jouées par des acteurs raisonnables, qui ne provoquent aucun choc sur le public. Ce qui est affligeant ce sont ces classiques systématiquement « revisités » et modernisés à la Comédie-Française. Ce qui est scandaleux c’est l’embourgeoisement des comédiens, politiquement corrects aussi bien dans leur jeu sage que dans leurs discours policés.

Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…

Afida Turner devrait recevoir comme une décoration à sa boutonnière le rejet et le mépris du monde du théâtre.

Le choc que produisait par exemple Sarah Bernhardt sur la salle devait probablement plus se rapprocher de la rage hystérique et sexuelle d’Afida que de l’insipide présence de Dominique Blanc, pourtant sociétaire de la Comédie-Française… Sarah Benhardt n’était-elle pas d’ailleurs moquée ? Oui, elle dérangeait. Qui se moque aujourd’hui des comédiens sérieux de la maison de Molière ? Personne ! C’est tiède et ça ne dérange personne.  Afida, elle, inspire la fascination et l’adoration chez certains… le mépris, les moqueries et l’indignation chez beaucoup d’autres.

J’en termine, vous voulez savoir si ça vaut vraiment le coup d’y aller ? Je ne sais que vous répondre. Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà. C’est survolté, décadent, abyssal, honteux si on veut, scandaleux si ça se trouve. Bref, moi j’aime les sensations fortes, alors j’y retourne la semaine prochaine !

Dernières dates les 14, 15 et 16 février à 21h30 au théâtre Trévise, 14 rue de Trévise, 75009. Réservations 01.45.23.35.45

Marcel Tissot l’introuvable

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Prise du palais des Tuileries le 10 août 1792, durant la Révolution française peinture à l'huile de Jean Duplessis-Bertaux en 1793 (Musée national du Château de Versailles et des Trianons) Wikimedia Commons.

En 1876, Marcel Tissot publiait dans l’anonymat presque complet un roman sur la révolution française: Le Capitaine Philosophe. On vient d’exhumer ce petit trésor…


Le métier d’éditeur ressemble parfois à celui d’historien. En tout cas de l’historien qui cherche, qui fouille les archives, qui visite les greniers, dissèque les fonds et plonge dans l’immensité documentaire léguée par l’histoire. Au hasard de ces recherches, il découvre parfois un document inédit, une pièce oubliée, une archive dont on ne soupçonnait pas l’existence et qui apporte une matière supplémentaire à ceux qui s’y intéressent.

L’éditeur La délégation des siècles a récemment réalisé le même genre d’exhumation, en rééditant un roman publié une seule et unique fois en 1876, Le capitaine philosophe, par un romancier aujourd’hui oublié : Marcel Tissot. Le livre a eu un faible tirage et une diffusion restreinte en 1876 et il était absolument introuvable jusqu’à sa réédition récente.

Paris, cauchemar à ciel ouvert

Avec lui, Marcel Tissot nous replonge dans les années troubles de la Révolution et installe son personnage principal, Dunstan de Trévillers, dans un dilemme vertigineux. L’histoire : la famille noble de Trévillers, qui habite dans la ville du même nom (lieu authentique), entend monter la fièvre révolutionnaire. Le fils, Dunstan, n’est pourtant pas hostile à ceux qu’on appelle les philosophes et il voit dans ce grand mouvement révolutionnaire une bonne occasion de réformer la société et libérer le peuple de la tyrannie des vieux concepts. Séduit par ces idéaux, il les embrasse dans un premier temps jusqu’à rejoindre les rangs de l’armée. Son nouveau métier le conduit alors à rejoindre un Paris révolutionnaire où l’horreur s’est installée : le pavé est rouge du sang des Parisiens qu’on guillotine sans cesse, la population vit dans la crainte permanente de la délation, des procès expéditifs et du « rasoir national », les chefaillons de secteur zélés font régner un ordre sectaire, les comités liquident sur la base de simples dénonciations parfois anonymes ; en somme Paris, berceau de la Révolution qui devait libérer le peuple et ouvrir le temps de la liberté et de l’égalité, n’est plus qu’un immense cauchemar à ciel ouvert.

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Dunstan, bouleversé par les fruits pourris de ce qu’il croyait être un arbre vertueux, doute du bienfondé de ce grand mouvement dans lequel il avait placé sa confiance. Ce monde est-il souhaitable et, surtout, jusqu’où l’horreur révolutionnaire peut-elle emmener la France ? Dans ces conditions, il envisage de quitter l’armée républicaine mais se trouve très vite confronté à un dilemme : aux frontières, l’invasion d’armées étrangères menace. Que faire alors ? Il ne croit plus dans les idéaux qui portent cette armée mais cette armée est la seule force capable d’entraver la progression de puissances étrangères en lutte contre la patrie charnelle. Faut-il prêter main forte aux armées de la Révolution contre la menace étrangère, tout en rejetant les idéaux qui les mettent en mouvement ? Peut-on défendre le sol de la patrie contre le danger extérieur en s’associant au danger intérieur ? La question est loin d’être évidente et on peut aisément imaginer le même dilemme moral se poser à d’autres époques bouleversées.

Athéisme et rédemption

Tissot n’a donc pas seulement écrit un roman sur la Révolution, il a posé la question du dilemme moral auquel un homme, souvent démuni face à des événements de cette ampleur, se retrouve confronté lorsque les circonstances perturbent à ce point le confort habituel des positions politiques évidentes. Le capitaine philosophe, noble mais sensible à la Révolution, amoureux qui préfère l’aventure à sa promise, athée qui redécouvre les mystères de la foi, idéaliste qui revient à la réalité, incarne toutes les grandes disputes politiques et mystiques d’un temps où les événements ont prétendu les mélanger et les opposer.

Le lecteur, invité à réfléchir à ces sujets, sera également surpris de découvrir l’étonnante vitalité, en quelque sorte l’étonnante « modernité » de la plume de Tissot qui, quoiqu’il aborde des sujets graves, sait glisser des notes d’humour et des situations purement romanesques.  

Le capitaine philosophe de Marcel Tissot (La délégation des siècles éditeur)

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L’élitisme républicain — le vrai

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Jean-Paul Brighelli s’insurge contre la petite oligarchie du Ve arrondissement de Paris qui s’offusque de voir la procédure Affelnet d’affectation des élèves s’étendre à Henri-IV et Louis-le-Grand


Retour et liquidation — pour solde tout compte — des insinuations, mensonges et énormités que le placement d’Henri-IV et de Louis-le-Grand dans la loi commune d’Affelnet a fait naître sous la souris des CSP+ et autres profiteurs du Vème arrondissement.

Une étude chiffrée parue dans la Vie des idées, revue conjointe au Collège de France, et signée par Julien Grenet (professeur associé à l’École d’Économie de Paris) et Pauline Charousset, issue de la même discipline, liquide pour le compte la polémique que vingt personnes ultra-privilégiées ont alimentée depuis un mois que le rectorat de Paris a décidé d’étendre aux lycées Henri-IV et Louis-le-Grand la procédure Affelnet d’affectation des élèves en Seconde. 

Résumons.

1. Le recrutement actuel de ces deux lycées n’est pas du tout fondé uniquement sur le mérite scolaire. Pressions amicales, lettres de recommandation, coups de fil au recteur / au ministre / au président de la République / à Dieu comptent pour une bonne part de cette sélection « au mérite » — essentiellement le mérite des parents. 

Ajoutons que nombre d’enseignants, qui défendent bec et ongles le statu quo, profitent de la présente situation pour pousser leur progéniture dans ces deux lycées — étant entendu que les enfants de profs sont aussi brillants que leurs parents : rien d’étonnant s’ils s’insurgent contre la réforme, charité bien ordonnée… Peur de ne plus caser vos enfants dans les pouponnières d’élite, camarades ?

Et étonnons-nous : le Vème arrondissement, dont la mairesse s’est fendue d’une tribune courroucée, est sur-représenté dans ces deux lycées. Mais tout le monde sait bien que les enfants des riches sont eux aussi surdoués…

La vérité c’est que Florence Berthout est motivée dans sa diatribe par les agents immobiliers de son arrondissement, qui ont depuis longtemps incorporé à leurs argumentaires la possibilité, si vous créchez Place du Panthéon ou rue Mouffetard, de voir vos enfants inscrits à H-IV ou LLG. Le facteur économique est déterminant en dernière instance, n’est-ce pas, madame…

L’élitisme républicain, c’est cela: permettre un renouvellement des élites en allant puiser dans toutes les strates de la population les éléments brillants

2.

Une sélection automatisée ferait non seulement aussi bien que le recrutement « humain » d’H-IV et LLG, mais même mieux : les résultats, tant au collège qu’au lycée, de ces deux lycées sont même légèrement inférieurs à ceux de certains autres lycées parisiens qui ont appliqué l’année dernière la réforme sans états d’âme.

De toute façon, pour ce que valent les notes aujourd’hui… Quel jobard croit encore que le 20/20 ramené par son enfant n’est pas surgonflé ?

3.

Un quota de boursiers va-t-il niveler le niveau vers le bas ? Pas même. En analysant les résultats antérieurs d’élèves qui auraient été admis à H-IV et LLG si la procédure Affelnet avait été mise en place dès 2016, on s’aperçoit que les notes du Bac sont identiques, à une infime fraction près. Si vous croyez que 15,9 est inférieur à 16,1, c’est que vous ignorez tout des consignes de notation au Bac. Et si vous pensez vraiment que votre enfant « vaut » les notes qu’il a obtenues, vous êtes d’une naïveté confondante. Mais trois mois en classes préparatoires remettront vos précieux chérubins à leur vrai niveau : 6/20 en moyenne.

4.

Va-t-il y avoir une fuite vers le privé ? Mais non ! Il n’y en a eu aucune cette année dans l’ensemble de l’Académie, j’ai eu l’occasion de l’expliquer, il n’y en aura pas plus dans l’avenir. Nombre de gens aisés, de politiciens en vue, inscrivent leurs enfants dans le public pour pouvoir dire justement qu’ils n’ont pas eu recours au privé. D’autant qu’Henri-IV et Louis-le-Grand, dans le système actuel, fonctionnent comme des boîtes privées. Et si vous voulez avoir recours à « Stan » ou à l’Ecole alsacienne, où notre distingué porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, fit des siennes tout au long de sa scolarité d’enfant gâté, rien ne vous en empêche. Il y a un entre-soi du public comme il y a un entre-soi du privé.

Ce qui me contriste le plus, ce sont les affirmations selon lesquelles Affelnet ferait entrer le loup défavorisé dans la bergerie des bons élèves. Que des enseignants accréditent ce mensonge est sidérant.


Parce qu’enfin, chers collègues, vous avez tant envie que ça de ronronner comme vous le faites devant un public pré-sélectionné ? Vous ne voulez pas montrer enfin que vous êtes vraiment de bons profs, en permettant à tous les élèves, sans distinction de classe, d’aller au plus haut de leurs capacités ? L’élitisme républicain, c’est cela : permettre un renouvellement des élites en allant puiser dans toutes les strates de la population les éléments brillants susceptibles de remplacer pour le mieux l’oligarchie en place. Ou alors vous êtes favorable au grand retour d’une aristocratie arrogante, type 1788.

J’ai enseigné 45 ans, plus souvent dans des établissements très défavorisés que dans des lycées d’élite. Mon job et mon orgueil, ce fut de permettre à des gosses sortis de rien, et pas de la cuisse de Jupiter avec une cuiller en argent dans la bouche, de faire des études parfois brillantes. Et de ne jamais mépriser ceux qui ne pouvaient pas devenir grands avocats ou brillants financiers — voire professeurs de haut niveau —, parce que chaque élève, dans une vraie république, est aussi digne d’attention qu’un « fils ou fille de ». 

Si vous n’êtes pas capables de ça, chers collègues, changez de métier. Mais ne vous réfugiez pas derrière un recrutement correspondant exactement à vos critères, signe d’une paresse intellectuelle sidérante.

Le véhicule en dit long sur le rapport qu’on entretient au monde

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Région lyonnaise, 11 février 2022 © Laurent Cipriani/AP/SIPA

Le gouvernement veut à tout prix contenir la progression des véhicules du “convoi de la liberté”, voire affiche un certain mépris envers ses participants. Quand des personnes désespérées n’arrivent plus à se faire entendre, leur véhicule s’avère être leur porte-voix, un prolongement de l’humain. Analyse.


Le véhicule en dit long sur le rapport qu’on entretient au monde. Aujourd’hui, il se substitue même à la parole. C’est pour cette raison qu’un convoi de 1700 véhicules, s’inspirant du convoi pour la liberté qui déferla sur Ottawa, tente ces jours-ci de rallier Bruxelles en passant par une Paris Interdite.

Le retour des gilets jaunes ?

Les revendications en France dépassent le cadre d’une insurrection contre une “dictature” sanitaire qui fut à l’origine de la formation du convoi canadien. Dans notre pays, s’agrègent, comme ce fut le cas lors de la crise des gilets jaunes, tous les désespoirs d’une classe sociale malmenée par la disparition du pouvoir d’achat, la hausse des prix et la stagnation des salaires. Le tout s’accompagne d’un sentiment de mépris de la part de nos élites. Il s’agit d’un « convoi de la honte » selon Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes. À Paris, le préfet de police Lallement œuvre activement pour le non – accueil dudit convoi. 

Pourtant : « la mèche est allumée » affirme l’un des participants interrogés par CNews. « On ne veut pas déranger les Parisiens, mais on est là. On était à Perpignan, Toulouse, Limoges, aujourd’hui Issoudun et Bourges. Les grenouilles sont sorties de la casserole » poursuit-il, manifestant ainsi sa colère. Les conducteurs des engins rassemblés parlent de fraternité, de retrouvailles, d’union contre l’adversité. Il s’agit véritablement de faire corps, de remettre du plein là où le vide menace, de lutter contre la solution continuité.

En quête de lien

Il est donc important, au-delà de la manifestation de force évidente, de comprendre ce que l’homme et la machine nous disent de nous. En effet, le véhicule s’avère être le prolongement de l’humain. À y bien regarder, il dit tout de lui : on bichonne sa caisse ; on la façonne à son image avec le tuning. Au volant, on laisse souvent libre cours à l’expression de ses humeurs, qu’il s’agisse d’une chanson fredonnée ou de quelques larmes versées. On fait aussi parfois un doigt d’honneur vengeur à la voiture qui vous inflige la micro-agression d’un dépassement vécu comme une blessure narcissique. Nombreux sont ceux d’entre nous qui, prenant le volant tous les jours, risquent souvent un petit “Duel”, pour évoquer le film de Steven Spielberg. Pour mémoire David Maan, tranquille représentant de commerce sillonnant les routes y commet l’irréparable en dépassant un camion plus lent que lui. S’engage alors un jeu du chat de la souris avec le conducteur du poids lourd, véritable homme-machine, dont on ne voit jamais le visage.

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Aussi, ne méprisons pas ces conducteurs et leurs engins, ils nous parlent de nous qui sommes viscéralement des personnages de la Bête humaine de Zola, tous au volant de notre locomotive, la Lison. Jacques Lantier mécanicien de l’engin, Gabin pour toujours dans le film de Renoir, flanqué du conducteur Pecqueux, c’est nous. Nous voici tous : à pied, à cheval ou en voiture. Nous sommes tous les mêmes, éternellement prolongés par nos machines, en quête de lien et de fraternité, luttant contre les hivers, les traverses et les chausse-trappe de la vie. Écoutons plutôt Zola, c’est lui qui le dit le mieux alors qu’il  décrit  la locomotive-femme et ses deux compagnons déchirant une campagne hostile, crevant la nuit de l’hiver dans une fraternité retrouvée : « Mais, dans cette tourmente, tout avait disparu, à peine pouvaient-ils, eux pourtant à qui chaque kilomètre de la route était familier, reconnaître les lieux qu’ils traversaient : la voie sombrait sous la neige, les haies, les maisons elles-mêmes semblaient s’engloutir, ce n’était plus qu’une plaine rase et sans fin, un chaos de blancheurs vagues, où la Lison paraissait galoper à sa guise, prise de folie. Et jamais les deux hommes n’avaient senti si étroitement le lien de fraternité qui les unissait, sur cette machine en marche, lâchée à travers tous les périls, où ils se trouvaient seuls, les plus abandonnés du monde, que dans une chambre close, avec l’aggravante, l’écrasante responsabilité des vies humaines qu’ils traînaient derrière eux. »

Et si c’était simplement le lien entre les hommes que le “convoi de la liberté” se proposait de restaurer ?

Jean-Pierre Brugneaux: l’errance folk

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Détail de la couverture

Folk songes est un récit sans boussole qui célèbre l’errance à la manière des poètes de la beat generation ou des chansons de Dylan.


La fréquentation assidue des réseaux sociaux ressemble parfois à une errance, et on y fait de belles rencontres. Jean-Pierre Brugneaux est de celles-ci. Nous nous sommes découverts un amour commun pour la culture pop, il m’a donc fait parvenir son premier ouvrage : Folk Songes, aux éditions Spinelle. Je suis tombée sous le charme de ce récit très singulier, où l’auteur évoque l’errance, la route, comme un long poème, ou une chanson qui ressemblerait à une improvisation de jazz.

Jean-Pierre Brugneaux D.R.

Rimbaud, Verlaine, Burroughs…

Jean-Pierre Brugneaux, aujourd’hui travailleur social, a connu une jeunesse tumultueuse, les pieds dans la poussière quelquefois, et la tête dans les étoiles toujours. Ce fanatique de jazz et de rock, qui fut pigiste pour des fanzines et pour la presse quotidienne régionale, a toujours écrit en dilettante, et puis il s’est décidé à fixer ses vertiges, pour paraphraser Rimbaud. Il faut dire que Brugneaux vit dans les Ardennes. Le poète voyant est donc une de ses références assumées, il aurait pu faire siens ces vers de Ma bohème « Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J’allais sous le ciel, Muse ! Et j’étais ton féal ».

Référence assumée également, à Kerouac et son Sur la route. Ce récit définitif, qui bouleversa, à mon sens, la littérature de la deuxième moitié du vingtième siècle, en déstructurant la linéarité de la narration, pour lui insuffler de la poésie, à l’image des surréalistes en France. Les beatniks sont des surréalistes du réel, plus bruts et plus charnels. Et rock’n’roll. Etre beat, selon Kerouac, c’est : « être dans la dèche, mais rempli d’une intense conviction ».

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Seulement le rythme et la syntaxe de la langue française ne se prêtent pas au style beatnik syncopé et  largement inspiré du jazz, ni au « cut up » – une pratique qui consiste à transposer à l’écrit la méthode du collage –  chère à William Burroughs. Mais Jean-Pierre Brugneaux, on ne sait par quel miracle, le talent probablement, a réussi à faire sonner ses mots selon le rythme et la manière des poètes beatniks.  En effet, son récit est constitué à la fois de phrases claires et réalistes, et de dérives hallucinatoires dans lesquelles il se perd quelquefois, pour toujours retomber sur ses pieds : « Les pluies s’évaporent. J’essuie le trottoir, équilibriste tranquillisé. Sous traitement médicamenteux sévère. L’alcool ne pourra pas me soulager des eaux stupides. J’avance à reculons. Je régresse émotionnellement depuis des années. Je vais revenir à ma naissance et peut-être retrouver enfin mes potes des seventies disparus si tôt, vingt années plus tard. Je sens les images animées, tourner comme une plaque d’égout calcinée. Leurs voix espèrent une vie libre et soudaine ».

Le rythme des saisons

Cependant, cette errance n’est pas si chaotique ; en effet, elle est structurée selon le rythme des saisons. Mais un rythme bouleversé, le récit part de l’été pour arriver au printemps. De l’été lumineux et consolateur, au pourrissement de l’automne, la glaciation de l’hiver, et, enfin le printemps et sa promesse de renouveau. Ce renouveau, qui bien sûr apporte l’amour, auquel l’auteur consacre sa dernière partie : « Hors saison ». L’amour, qui sera sa rédemption et qu’il évoque dans un très beau poème aux accents entre Verlaine et Dylan : « Je me suis marié avec Iris le dixième jour de mai ». Ces vers sont en effet très fortement inspirés d’une chanson de Dylan : Isis : « I married Isis on the fifth day of may », mais, dans le reste du poème, on entend également Verlaine : « Pour de vrai, les mauvais jours partent, Je t’écris mes nuits, ces larmes mortes.

Le récit de Brugneaux est une déambulation sur des rails ensanglantés (« Blood on the tracks » est le titre d’un album de Dylan), un funambulisme, qui, malgré les obstacles, le guidera vers la lumière.

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M’hammed Henniche: la charia made in France

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Réouverture de la mosquée de Pantin, 9 avril 2021 © Vincent GRAMAIN/SIPA

Henniche, dont Causeur rappelait hier les relations politiques passées, est habile et mondain. Mais le site Internet de ce notable musulman milite – ou militait – pour des thèmes contraires aux droits humains, notamment féminins (voile, polygamie). Pendant des années, les politiques n’ont rien vu.


En 2015, la directrice de la Politique de la Ville d’Aulnay est Nadia Hamour, professeur à Sciences-Po, historienne et musulmane franco-algérienne spécialiste des relations Europe-Méditerranée. Elle est aussi secrétaire nationale chargée de l’intégration dans le parti UMP-LR.

Nadia Hamour rappelée à l’ordre

Le 12 décembre, lors d’un débat sur France 24, elle défend la laïcité, affirme que la République a trop reculé, qu’on recule trop chaque jour, tant concernant le foulard que le menu des cantines, et que le voile la dérange car il est un symbole politique.

M’hammed Henniche écrit alors sur son compte Twitter: « Scandalisée par les propos de @nadia_hamour sur le voile, #uam93 a contacté @brunobeschizza qui va convoquer Hamour.»

M’hammed Henniche Capture d’écran YouTube

Hamour quitte la mairie. Fallait-il surtout ne pas fâcher Henniche, qui pourrait faire perdre la mairie au LR Bruno Beschizza comme il l’avait aidé à la faire gagner? Il représente des associations gérant trente mosquées. Les élus de droite ou de gauche qui ont fait la puissance d’Henniche en cédant à son chantage, étaient censés savoir qu’en privilégiant les associations désignées par lui, et en acceptant ses choix d’imams pour les mosquées construites sur terrain municipal, ils favorisaient le développement des thèses islamistes, l’antisémitisme, les appels à violer la loi française en faveur de la charia, le bafouement des droits des femmes, etc.

A lire aussi: Quand M’hammed Henniche faisait la pluie et le beau temps en Seine-Saint-Denis

C’est le cas de l’imam de la mosquée de Pantin dont Henniche est le recteur. Le Conseil d’État observe ainsi que cet imam «a été formé dans un institut fondamentaliste du Yémen, que ses prêches sont retransmis, avec la mention de son rattachement à la “Grande mosquée de Pantin”, sur un site internet qui diffuse des fatwas salafistes de cheikhs saoudiens et qu’il est impliqué dans la mouvance islamiste radicale d’Ile-de-France. [Le Conseil] a également observé que la Grande mosquée de Pantin est devenue un lieu de rassemblement pour des individus appartenant à la mouvance islamique radicale dont certains n’habitent pas le département de Seine-Saint-Denis et ont été impliqués dans des projets d’actes terroristes. Il estime dès lors que ces éléments établissent la diffusion, au sein de la Grande mosquée de Pantin, d’idées et de théories incitant à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme[1].»

À l’époque de l’assassinat de Samuel Paty, on ne pouvait plus consulter le site Internet de Henniche, uam93 .com, dont les articles auraient prouvé la justesse des observations du Conseil d’État. Mais au temps où les élus de droite et de gauche trafiquaient avec lui pour acheter les votes qu’il pouvait leur offrir, ces articles étaient accessibles à tout le monde, et nous allons en citer des extraits[2].

«Le chemin de la caravane islamique»

Le 19 janvier 2010, au temps où le port de la burqa en France fait polémique, Henniche publie une Lettre ouverte aux pseudo-musulmans qui renforcent les non musulmans et où on lit:

«Ultime provocation, on exige des Musulmans d’opter sans réserves pour les lois (humaines) de la République et de renoncer aux Lois de Dieu, sous peine de sanctions. Mais, liberté de penser oblige, rien n’oblige à adhérer à une quelconque loi quand bien même elle serait votée par une majorité d’inconscients… En conclusion, les grands muftis de la République laïque pourront toujours aboyer cela n’empêchera pas la caravane islamique de continuer son chemin jusqu’à sa destination finale[3]

Cette destination finale? L’instauration de la charia bien entendu ! L’auteur de la lettre ouverte est Daniel-Youssof Leclerc, un Français converti à l’islam, et un des fondateurs de la puissante Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Il n’a jamais caché ce but ni dans son journal radical L’Index, ni dans ses interventions. Dans une interview au Nouvel Observateur, il déclare en 1992: «Si demain on avait une majorité dans ce pays, pourquoi est-ce qu’on n’imposerait pas la Charia progressivement? Ça vous dérange? Tant pis[4]

Le niqab: «une baffe»

Le 12 octobre 2012, le site publie un article intitulé «Le niqab supérieur à jamais au dévoilement du visage». Il commence ainsi: «La République a beau répéter et placarder partout que son idole avait le visage dévoilé, les vrais Musulmans n’en ont que faire[5]Pour justifier le port du voile intégral, il cite des textes islamiques qui le prônent et montrent qu’au temps des califes en tout cas, les femmes étaient entièrement voilées. Il recommande aussi d’aller consulter les rayons des livres dans les librairies islamiques. Les oulémas en effet, font l’éloge du voile sous prétexte que l’esclave chrétienne ou juive était nue, et la musulmane voilée[6].

Valerie Pécresse à Chanteloup-les-Vignes le 8 novembre 2019. La candidate LR se voit actuellement reprocher par ses adversaires la présence dans son entourage de Patrick Karam ou Jean-Christophe Lagarde © PATRICK GELY/SIPA Numéro de reportage: 00931681_000061

Henniche voit cette désobéissance comme une guerre contre les mécréants, un djihad: deux ans plus tôt, en octobre 2013, son site Internet a publié un article intitulé «Le Jihad du niqab». Le port du niqab est en réalité un supplice, car les femmes ne se voilent pas à la maison où il fait frais, mais à l’extérieur, où le soleil tape, à moins que la pluie ne rende le tissu mouillé lourd et collant. Mais l’auteur passe outre, et pour pousser les femmes à le porter en France, il le leur présente comme une série de baffes à administrer:

«Comme l’ont fort bien remarqués [sic] les responsables politiques ainsi que les journalistes, le port du niqab en France est l’objet d’une guerre sans merci entre les forces républicaines et celles des musulmans… Aussi, les femmes qui continuent ou qui commencent à le porter et à ainsi essayer de parfaire leur Tawhid (en ne craignant que Dieu et non les forces de l’ordre, en plaçant avant tout leur confiance et leur espoir en Lui, en ne portant dans leurs cœurs que Sa Législation) sont les véritables “mujahidat” [djihadistes femmes] d’aujourd’hui. Leur voile secoue la société plus que tous les discours, plus que tous les actes de prosélytisme et plus que la menace de n’importe quelles armes. Leur voile révèle l’hypocrisie de beaucoup de personnes s’affirmant musulmanes et dévoile le véritable visage ainsi que le vide sentimental de nos ennemis. Chaque journée de plus où elles le portent est une baffe donnée à l’athéisme et au matérialisme ambiant, un coup de pied donné à l’injustice des lois humaines[7]

Et en avant la polygamie…

L’UAM93 s’attelle également à habituer ses lecteurs à un autre point de la charia: la polygamie, que son site défend, notamment en avril 2016[8].

A lire aussi, Jean Messiha: Face à l’islamo-gauchisme et à l’islamo-droitisme, la Reconquête!

En 2018, la page Facebook de la mosquée de Pantin dont Henniche est le recteur, diffusera même une photo de femmes d’un prétendu collectif sénégalais « Mon mari a droit à 4 femmes ». L’AFP prouvera qu’il n’existe pas[9], mais les administrateurs ne semblent pas y avoir fait attention, ou même l’avoir lu.

Et les victimes?

Les succès d’Henniche dans l’obtention de mosquées et d’écoles islamistes, et le genre de propagande que lui et ses protégés diffusaient, ont fait de nombreuses victimes. Durant les décennies Henniche, en effet, le voile est devenu incontournable dans le 93, les rues désertes de femmes à certaines heures, et des cafés n’en ont plus accueilli. Et tant pis pour celles qui ne voulaient pas de cela ! Combien de femmes en France ont alors été battues ou violées pendant ces années, parce qu’elles n’étaient pas voilées ? Combien d’entre elles ont été diversement châtiées ? Parmi elles, au moins deux adolescentes, Sohane Béziane[10] et Shaina Hansye[11], ont été brûlées vives et en sont mortes, parfois après avoir été torturées. Et on ne compte pas le nombre de crimes commis contre des «mécréants» ou des musulmans «apostats». Classés faits divers, ces crimes étaient, pour la plupart, en moins en partie suscités par les sermons des oulémas qui leur disaient, dans certaines mosquées, de déranger les mécréants ou de les punir.

Un autre crime n’a pas été classé fait divers, parce qu’il a été revendiqué par Daesh: le meurtre de Samuel Paty.

Henniche et Samuel Paty

En 2020, la page Facebook de la mosquée de Pantin relaie une vidéo d’un homme désignant Samuel Paty à la vindicte islamiste parce qu’il a parlé à ses élèves des caricatures de Mahomet.

A lire aussi: “Zone Interdite”: alors que nous tergiversons, les islamistes, eux, savent ce qu’ils veulent

La page n’est pas la seule à avoir publié cette vidéo, mais sa grande audience – 100.000 abonnés – lui assure une grande diffusion. On connaît la suite: ayant visionné la vidéo, un loup solitaire se réclamant de Daesh part à la recherche du professeur, l’attend sur la route, le larde de coups de couteau, et finalement, lui coupe la tête. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, annoncera la fermeture de la mosquée de Pantin pour six mois. «Je regrette cette publication qui a été immédiatement supprimée après l’atrocité subie par ce professeur[12],» dit Henniche. Le hic, c’est qu’il l’a fait supprimer après… pas avant.

Un registre de doléances en hommage a Samuel Paty à Nice, octobre 2020 © Lionel Urman/SIPA Numéro de reportage : 00986783_000001

Il savait pourtant qu’al-Qaïda et Daesh appelaient au meurtre des caricaturistes de Mahomet et de ceux qui les défendaient, et qu’une vidéo désignant un homme comme un de ces défenseurs, pouvait justement susciter chez un islamiste le désir de le tuer. Et que des milliers de ces tueurs potentiels étaient recensés en France… sans compter les cellules dormantes. Darmanin venait en effet, le 31 août précédent, de déclarer: «Les acteurs impliqués dans des projets d’actions violentes sur notre territoire agissent désormais de manière beaucoup plus autonome et parfois, soudaine. La menace représentée par des individus adeptes d’un islam radical, sensibles à sa propagande, mais non nécessairement membres d’un réseau constitué, devient un défi croissant pour les services de renseignement, qui assurent aujourd’hui le suivi de 8 132 individus inscrits au FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste)[13]

Sans le savoir, Darmanin avait ce jour-là décrit le tueur de Paty, ses idées et ses motivations.


[1] https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/le-juge-des-referes-du-conseil-d-etat-rejette-la-demande-de-suspension-de-la-fermeture-de-la-grande-mosquee-de-pantin

[2] Les articles ont été retrouvés sur Wayback Machine et les nouveaux liens publiés sur les sites Internet www.islamisation.fr et https://islamindex.info/

[3] https://web.archive.org/web/20110331022804/http://www.uam93.com/news/lettre-ouverte-aux-pseudos-musulmans-qui-renforcent-les-non-musulmans-8751.html

[4] Philip Aziz, Le Paradoxe de Roubaix, Plon 1996.

[5] https://web.archive.org/web/20121116234333/https://www.uam93.com/news/le-niqab-superieur-a-jamais-au-devoilement-du-visage.html

[6] Lina Murr Nehmé, Fatwas et Caricatures, la Stratégie de l’Islamisme, Salvator 2015, p. 42-43, 97-98.

[7] https://web.archive.org/web/20150706095930/http://www.uam93.com/news/le-jihad-du-niqab.html

[8] https://aulnaycap.com/2016/04/08/apres-le-mariage-pour-tous-certains-reclament-la-legalisation-de-la-polygamie/

[9] https://factuel.afp.com/non-ces-femmes-ne-militent-pas-pour-que-leur-maris-aient-quatre-epouses

[10] https://www.lemonde.fr/societe/article/2006/03/30/l-ombre-de-sohane-cite-balzac_756271_3224.html

[11] https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/05/shaina-15-ans-poignardee-et-brulee-vive-a-creil-ce-n-est-pas-un-fait-divers-mais-un-fait-de-societe_6093462_3224.html

[12] https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/fermeture-de-la-mosquee-de-pantin-son-responsable-s-estime-jete-en-pature-20-10-2020-8404081.php

[13] https://www.interieur.gouv.fr/fr/Le-ministre/Interventions-du-ministre/Discours-de-Gerald-Darmanin-a-la-Direction-Generale-de-la-Securite-Interieure

La véritable histoire du Bounty

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Sir John Barrow (1764-1848). Wikimedia Commons

Ce navire britannique du XVIIIe siècle a connu, sous le soleil du Pacifique, la mutinerie la plus célèbre de l’histoire maritime. Hollywood s’en est emparé et en a fait une légende, en prenant quelques libertés avec la réalité. Dans les faits, Fletcher Christian, le matelot à l’origine de la rébellion, est un sacré vaurien, et le capitaine Bligh un vrai héros.


Il arrive parfois qu’un livre nous appelle : « Prends-moi, tu ne le regretteras pas ! » Le dernier à nous avoir ainsi interpellé est Les Mutins du Bounty, de Sir John Barrow (1764-1848). Ce grand navigateur, à qui l’on doit la création de la Société royale de géographie (à l’origine d’expéditions légendaires), a passé des années à rassembler les pièces du procès et les témoignages des acteurs de cette mutinerie, la plus célèbre de l’histoire maritime. Publié en 1831, ce trésor oublié a été exhumé l’an dernier par Jean-Claude Zylberstein, dans sa collection « Le Goût de l’Histoire » aux Belles Lettres. Comme tout le monde, nous croyions connaître dans ses grandes lignes cette affaire qui a inspiré à Hollywood pas moins de cinq films basés sur la confrontation entre le jeune officier humaniste Fletcher Christian (qui lance la mutinerie) et le ténébreux capitaine William Bligh, maniaque de la discipline et des châtiments corporels. Ces deux personnages historiques ont ainsi été incarnés successivement par Errol Flynn et Mayne Lynton (1933), Clark Gable et Charles Laughton (1935), Marlon Brando et Trevor Howard (1962), Mel Gibson et Anthony Hopkins (1984)…

Pas des tendres

Or, la puissance du récit de Sir John Barrow, aussi factuel et véridique que l’est le procès de Jeanne d’Arc, est de nous faire prendre conscience que les héros véritables ne sont pas ceux que l’on croit. En réalité, Fletcher Christian et ses vingt-deux camarades étaient des forbans qui ont purement et simplement abandonné en plein océan Pacifique, sous la menace des sabres et des pistolets, le capitaine Bligh et dix-huit autres marins, dans une chaloupe condamnée au naufrage. Ils sont ensuite partis fonder une colonie sur une île, après en avoir tué ses habitants et volé des femmes aux Tahitiens. Puis ils se sont entretués et les derniers ont fini massacrés à coup de hache par des Tahitiens vengeurs, en 1793. Ceux qui avaient rapidement compris que Christian était un tyran s’étaient rendus volontairement aux soldats anglais venus les capturer, dès1791, mais ils ont disparu dans le naufrage de leur navire sur une barrière de corail ; une histoire dans l’histoire qui accentue la dimension incroyablement tragique de ce récit.

Quand le trois-mâts Bounty quitte la baie de Spithead, entre l’île de Wight et Portsmouth, le 23 décembre 1787, sa mission est d’aller chercher des arbres à pain à Tahiti afin de les replanter dans les Antilles britanniques pour nourrir la population. Il faudra presque un an de voyage au capitaine Bligh pour arriver à destination, le 24 octobre 1788. Bligh se plaint déjà dans son journal du comportement de son équipage et de ses officiers qu’il juge « pas à la hauteur ». Il reste plusieurs mois à Tahiti qui, avec ses femmes nues aux seins superbes et ses hommes grands et musclés qui se laissent vivre en mangeant des fruits et des coquillages, est perçu comme le paradis terrestre. Difficile pour les marins de la Royal Navy de résister à la tentation ! Certains désertent mais Bligh les rattrape. Les arbres à pain une fois stockés dans la cale du Bounty, vient l’heure du retour en Angleterre. Mais le 27 avril 1789, Bligh accuse Fletcher Christian de lui avoir volé ses noix de coco (la question de la nourriture est omniprésente). Le 28 avril, à l’aube, Christian décide de lancer sa mutinerie et fait ligoter le capitaine Bligh… Au même moment, à quelques dizaines de milliers de kilomètres, les premiers grondements de la Révolution française se font entendre.

Décrit par Hollywood comme un monstre glacé, le capitaine Bligh – qui n’était certes pas un tendre, mais quand on part deux ans avec quarante gaillards, il vaut mieux savoir se faire respecter ! – a réussi l’exploit unique dans les annales de la marine de traverser 7 000 kilomètres à bord de sa petite chaloupe jusqu’à l’île de Timor, cinq semaines durant, en distribuant à ses hommes 30 grammes de pain par jour et un peu de rhum, sous les vagues, le froid et le soleil. Bligh, qui avait fait son apprentissage aux côtés du capitaine Cook vingt ans auparavant, était un marin d’exception et un vrai meneur d’hommes : c’est lui le véritable héros de cette tragédie shakespearienne !

Bassesses humaines

S’agissant du mythe du « bon sauvage » qui structure notre vision du monde depuis Jean-Jacques Rousseau, et au regard duquel l’Occident serait coupable pour l’éternité d’avoir exterminé des peuples innocents, John Barrow nous rappelle que le capitaine Cook, qui était un explorateur pacifiste, a été découpé en morceaux et mangé par les habitants de l’île d’Hawaï en 1779. Il raconte également ce qui est arrivé au capitaine Bligh et à ses hommes, affamés et sans armes, lorsqu’ils ont débarqué aux îles Fidji pour se ravitailler. D’abord hospitaliers, car craignant la Royal Navy, ses habitants demandent à Bligh ce qui lui est arrivé. Celui-ci, nous dit Barrow, commet alors l’erreur de répondre qu’il a fait naufrage, ce qui le met aussitôt dans une situation de vulnérabilité. Une heure après, les indigènes attaquent les malheureux à coups de pierres et tuent un marin qui n’a pas le temps de rejoindre la chaloupe. Où qu’elle soit, l’humanité obéit d’abord à des rapports de forces.

Sir John Barrow n’occulte rien des bassesses humaines. Mais son récit brille par un sentiment de justice. Il insiste ainsi longuement sur le sort d’un jeune marin, Peter Heywood, qui n’a pas participé à la mutinerie mais qui a néanmoins été condamné à mort pour ne pas avoir rejoint la chaloupe du capitaine Bligh, car terrorisé à l’idée de faire naufrage et d’être mangé par les cannibales. Heywood, héroïquement défendu par sa sœur (qui en mourra d’épuisement), sera gracié par le roi George III et fera une belle carrière d’officier. Finalement, seuls trois mutins survivants du Bounty seront pendus dans la rade de Portsmouth, le 24 octobre 1792, à bord du vaisseau le Brunswick, sous les roulements de tambours.


Sir John Barrow, Les Mutins du Bounty, « Le goût de l’Histoire », Les Belles Lettres, 2021.

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Jean-Claude Zylberstein, Souvenirs d’un chasseur de trésors littéraires, Christian Bourgois, 2022 (réédition poche).

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En France, on n’a pas d’usine mais on a des idées!

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Shenzhen, Chine. Unsplash

Avec la pandémie, la France a pris conscience de sa dramatique désindustrialisation, et de sa dépendance à la Chine. Comment réindustrialiser ? Les candidats à la présidentielle y vont tous de leur annonce, mais on peut se demander s’ils ont bien compris les enjeux.


Si la France fait toujours bien partie du G8, ce club qui réunit les pays les plus industrialisés, la pandémie a laissé entrevoir une autre vérité : notre pays est le plus désindustrialisé d’Europe. Comme le rappelle Claude Sicard dans Le Figaro, « notre secteur industriel n’emploie plus que 2,7 millions de personnes et ne contribue à la formation du PIB que pour 10 % seulement ». Autre chiffre affolant : en 2021, le pays est confronté au pire déficit commercial de son histoire pour atteindre 84,7 milliards d’euros (soit 3,4 % du PIB). Serions-nous à l’aube de l’émergence du premier pays en voie de sous-développement ?

Migrant industriel assimilé à la « Shenzhen speed »

On disposait de nombreux éléments pour prévoir cette situation. A titre personnel j’en ai fait l’expérience quand j’ai pris la décision de partir en Chine, en 2007, après avoir subi la liquidation des usines de Philips au Mans…

Aujourd’hui, basé à Shenzhen, j’ai compris les éléments clés de la stratégie d’industrialisation de cette région : la production y est à portée de main. La proximité de tous les acteurs de la chaîne de la valeur industrielle est un atout de poids considérable. À la « Shenzhen Speed » tout va plus vite et lorsqu’une usine a besoin d’une pièce, elle la reçoit dans l’heure. Aujourd’hui cela est totalement impossible à faire en Europe, car l’ensemble des composants viennent d’Asie… Il convient de prendre en compte ces leçons si on veut voir un jour les industriels revenir en France.

Bien penser la réindustrialisation

En France, l’objectif n’est plus de « lutter contre la désindustrialisation » mais bel et bien d’œuvrer à la réindustrialisation, un chantier pour le moins ambitieux. Ils semblent lointains les jours heureux, ceux des Trente Glorieuses où Jean-Luc Lagardère était notre Elon Musk français… Depuis lors, la France s’est embourbée dans de mauvaises orientations politiques et économiques, pour la plupart édictées à Bruxelles – jusqu’à cette synthèse chimérique de « souveraineté européenne » chère au locataire actuel de l’Elysée.

À lire ensuite, Loïk Le Floch-Prigent: Pourquoi cette valse-hésitation sur le nucléaire français?

Alors que nos élites concentrent leurs efforts essentiellement sur la communication de ce qu’il y a de plus spectaculaire (comme ce fameux « Airbus des batteries » via un consortium européen visant à produire la batterie électrique des voitures du Vieux Continent), elles en oublient l’essentiel : il faut redévelopper un tissu industriel complet, de la souveraineté énergétique à l’extraction de minéraux industriels, jusqu’à la production de masse, sachant que ce tout dernier point n’est pas facile à valoriser dans un message politique.

Ce sont là toutes les conditions nécessaires afin de pouvoir un jour espérer égaler la « Shenzhen Speed ».

France 2030: un horizon incertain  

Le chef de l’État a dévoilé le 12 octobre dernier un plan d’investissement de 30 milliards d’euros sur cinq ans pour développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir en France.

650 millions d’euros de ce plan de relance ont été attribués à des projets de réhabilitation des friches industrielles, et un budget de 800 millions d’euros a été alloué à la robotique. L’Etat vient aussi de lancer un fond FrenchTech doté de 550 millions d‘euros pour des aides à des projets d’industrialisation. Tout cela semble aller dans la bonne direction mais une question se pose toutefois : pourquoi avoir attendu cinq ans ? Et la philosophie qui se cache derrière ce plan est-elle sincère, ou est-ce encore une ruse politicienne pour séduire un électorat entrepreneurial de toute façon déjà acquis ?

Le président Emmanuel Macron présente le plan d’investissement France 2030 depuis l’Elysée, 12 octobre 2021 © Ludovic Marin/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22614348_000006

France 2022: c’est demain

Dans quelques semaines, l’un des candidats franchira la porte de l’Élysée. Quelles seront ses premières mesures pour réindustrialiser la France ? Aujourd’hui, tous les candidats semblent avoir bien intégré cet impératif, mais force est de constater qu’on assiste surtout à un concours de déclarations :

À gauche, Fabien Roussel (PCF) souhaite interdire les délocalisations. Planificateur et visionnaire, Jean-Luc Melenchon (LFI) avait proposé de son côté de « planifier la réintroduction d’un produit quand sa production n’existe plus en France ou en Europe », mais il a vite revu ses ambitions à la baisse en affirmant fin janvier que « la réindustrialisation n’est pas un objectif en soi. La vraie question, c’est : « qu’est-ce qu’on doit produire nous ? » ».

A lire aussi, Sophie de Menthon: Marine Le Pen fait-elle encore peur aux patrons?

« Championne de la réindustrialisation » et pour la mise en place d’un « protectionnisme intelligent », Marine Le Pen a déclaré vouloir faire « de notre pays le paradis des entrepreneurs et de linnovation ».  Quant à Valérie Pécresse, la candidate LR, elle en appelle à l’action en rompant avec « les slogans creux » tout en voulant réindustrialiser « la France pour réduire notre empreinte carbone »! 

Pour Yannick Jadot (EELV), réindustrialiser veut dire « reconstruire une société de la bienveillance où lautre nest plus une menace, un adversaire, mais un enrichissement, une ouverture. »

Enfin, petit dernier arrivé sur l’échiquier politique, Eric Zemmour semble être le seul à avoir pensé une véritable politique de réindustrialisation dans sa globalité – idée qu’il défend depuis des années maintenant et bien avant que ce ne soit à la mode – sans effet de manches. D’une part via la mise en œuvre d’une réduction des impôts de production afin d’améliorer la compétitivité des entreprises. Il promet d’autre part de favoriser le made in France dans la commande publique. Enfin, il propose d’autre part la suppression des droits de succession des entreprises familiales.

Quel que soit le vainqueur, il devra faire vite: car si la France veut pouvoir un jour rattraper la « Shenzhen speed », elle doit se mettre au travail dès le lendemain du 24 avril 2022.