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Parlez-vous franglais?

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Dans un rapport publié ce matin, l’Académie française s’inquiète de la montée d’une « insécurité linguistique » pour tout un public de Français peu au fait du numérique et peu familiers de la langue anglaise. Mais comme plus personne n’écoute l’Académie française, il va bien falloir vous mettre au franglais. Sophie de Menthon vous explique.


Avant que vous ne fassiez un burn-out parce que vous êtes bientôt speaker dans un meeting VIP et que c’est un challenge pour vous, soyez up to date. Il faut que vous maitrisiez votre listing de punchlines pour rendre vos propos percutants. Vous ne pouvez pas avoir l’air d’un looser. Business is business ! Essayez de trouver des scoops, tentez le buzz, c’est le moment de faire votre coming out.

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Auparavant, il va falloir motiver votre équipe en live, le team building il n’y a que cela de vrai : training avec ou sans coach, de façon à booster tout le monde. C’est le moment de faire la preuve que vous êtes un pseudo bilingue. Commencez par un best of de vos arguments pour prouver que vous êtes un winner. Il n’y a que les loosers qui utilisent un vocabulaire franchouillard. Oubliez aussi la syntaxe et l’orthographe. Même si cela peut avoir son côté vintage, c’est out. Même si vous êtes overbooké, intégrez les basiques, riez des petites jokes à gorge déployée, c’est LOL (laughing out loud). Au fait, BTW (by the way) un smiley pourra avantageusement remplacer la ponctuation dans un mail. Ready ? Go !

Choose France…

Vous madame, travaillerez sur votre glow up (votre niveau supérieur de beauté) et ASAP (as soon as possible) sur des startingblocks, les rides n’attendent pas. Si problem, faites-vous un call avec une girl friend et adoptez l’esprit de Nike en toutes circonstances : Just do it !

Sachez que l’exemple vient de haut, on « choose France », ce serait trop nul de choisir la France… surtout au moment où il faut la choisir. On est une start up nation ou on ne l’est pas. D’ailleurs le slogan de l’offre d’actionnariat salarié de notre opérateur national Orange n’est-il pas « together 2021 » ? On se demande si dans cette affaire ce ne sont pas les States qui ont fait le lobbying ?

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Si vous n’en pouvez plus de bosser à cause d’un geek qui est borderline, keep cool ! Un after-work entre collègues, un drink et vous envisagez tous ensemble de lui faire faire un check-up. En attendant wait and see

Dimanche un bon brunch, un film mais attention pas de spoil : si vous connaissez l’histoire ne racontez pas the end. Si bouquiner c’est mieux, un bon best-seller avant la deadline du reporting de lundi qui vous stress à mort.

Positive attitude

La woke attitude est de plus en plus incontournable. Ne pensez pas alone, pensez worldwilde, ainsi ne dites plus jamais noir, préférez black. Et puis black au moins, ce n’est pas raciste !


Tour Eiffel, 2017. Patrick KOVARIK / AFP

Acceptez que l’on essaie de vous faire croire que le plat typically french c’est le couscous, et qu’il est proscrit de penser à ce qui faisait toute la renommée de notre french cooking. A moins d’être communiste, un fromage et un bon verre de vin à la main, c’est has been !

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Allez ! Reprenons nos esprits, tout bien considéré, avec toutes ces dérives de langage, nous sommes embrigadés dans une permanente fashion week où l’anglicisme est hype, cool, c’est un must. À pitcher nos idées sous forme de slogans, en quête sempiternelle de nivellement par le bas et de reconnaissance par la branchitude. L’art de bien parler français consiste au contraire à de ne pas réduire une pensée à un mot, sous prétexte que l’on n’a pas de vocabulaire ! Un avis par une locution, une pensée par un emoji, non ! La langue française est un trésor caché. Parler et pratiquer une belle langue, c’est la faire vivre au quotidien avec raffinement, euphémismes, didascalies, syntaxe, figures de style, oxymores, anaphores, parallélismes, litotes, antiphrases, hyperboles… Yes, we can !

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Message doux-amer au ministre Darmanin…

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Après son erreur de communication face à une journaliste de BFM TV la semaine passée, Philippe Bilger charge le ministre de l’Intérieur, dénonçant une certaine aigreur du ministre face à ceux qui osent nuancer la qualité de son bilan sur la sécurité.


Vous étiez un espoir de la droite républicaine, vous êtes devenu un inconditionnel d’Emmanuel Macron. Chacun ses goûts, à chacun son évolution ! Ce qui me navre ne relève pas de vos fluctuations puisque vous avez le droit de vous adapter à l’aune de vos ambitions qui sont légitimes et plausibles car votre talent ne vous a pas quitté, malheureusement avec de l’arrogance en plus. Votre entretien avec Apolline de Malherbe sur BFM TV a été une honte dont vous auriez dû immédiatement vous repentir. Vous avez été contraint de le faire -mais à peine- à cause de l’émoi que que vous avez suscité (voir vidéo LCI ci-dessous).

Un ministre en guerre contre le « populisme »

La voix du président, sur le plan médiatique, sait être rude mais n’a jamais atteint ce niveau de grossièreté sexiste et condescendante. Je vais vous avouer quelque chose. J’ai suivi toutes vos péripéties judiciaires et bien évidemment je ne discute pas ce dont vous avez bénéficié mais prenez garde à ceci : vous écoutant aussi vulgairement dominateur il y a peu, je me suis demandé comment vous aviez pu vous comporter avec d’autres jeunes femmes auparavant.

Vous êtes également trop fin pour continuer à nous servir la même « soupe » destinée à ménager la chèvre et le chou, votre adhésion un zeste flagorneuse à Emmanuel Macron et vos amitiés maintenues à droite, à l’égard de Xavier Bertrand notamment, pour ne pas parler de votre admiration ressassée pour Nicolas Sarkozy : on ne sait jamais, avoir une double admiration dans des camps différents ne peut pas nuire !

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Est-ce pour compenser ces dilections qui demeurent, qu’en revanche vous êtes si dur, si vindicatif à l’encontre de votre ancienne famille politique, de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour (qui ne disent pas que des bêtises sur l’insécurité au quotidien) en qualifiant avec mépris de populistes les idées qu’hier vous cultiviez parce qu’elles relevaient des attentes du peuple ? Vous avez changé pour complaire à Emmanuel Macron mais vous avez du mal à occulter vos convictions d’avant le prétendu « nouveau monde ».

Antifas et identitaires : deux poids deux mesures

Pourtant on ne peut pas nier que vous ayez ménagé vos efforts pour manifester à quel point vous étiez plus sévère avec les Identitaires, les violences de l’extrême droite, au point d’en oublier toute rigueur et toute équité, qu’avec les antifas dont on peut dire que, plus ils frappent et troublent la République, plus vous les laissez tranquilles ! Le deux poids deux mesures vous est devenu tellement familier que l’exercice d’une autorité impartiale et sollicitée par la seule sauvegarde publique devient quasiment un événement miraculeux ! Ce peuple qui n’est pas favorable à votre cause, qui en majorité considère « que l’immigration a fortement progressé en France en 2021 », qui déplore que « les forces de l’ordre soient toujours plus ciblées » et qui est très critique, voire fortement négatif à votre encontre, sur la lutte contre l’insécurité (sauf pour le terrorisme), comme tout à coup vous le détestez, lui qui n’a pas été ébloui par vos résultats et la faiblesse de votre action régalienne inspirée par un président longtemps indifférent aux angoisses populaires, malgré sa tentative cynique et ostentatoire de rattrapage en fin de parcours (Le FigaroJDD) ! Comme cette majorité de citoyens, dont vous n’avez pas voulu entendre parler sur BFM TV, vous importune dans votre vision hyperbolique d’un mandat dont à l’évidence vous regrettez qu’elle ne soit pas partagée par tous puisque vous allez même jusqu’à prêter à tous les Français, contre l’évidence, la certitude qu’un grand président les a accompagnés durant cinq ans !

Je ne voudrais pas tomber dans votre travers et dénier les quelques avancées dont vous pouvez être fier d’avoir été le responsable. La baisse des atteintes aux biens, un combat modeste mais cohérent et organisé contre le fléau de la drogue, à la source principale de la délinquance et poison qui détruit beaucoup de cités, par la dictature d’une minorité sûre de son impunité, obsédée par ses bénéfices et en marge des valeurs de la démocratie.

Une méchante aigreur

Ce n’est pas rien mais vous me pardonnerez, comme le peuple français, d’attacher plus de gravité aux infractions graves contre les personnes et leur intégrité, contre la police, la multitude des élus, contre tous ceux qui représentent, à quelque niveau que ce soit, la France officielle, une France dont la parole est moquée, méprisée. Mon indignation est d’autant plus vive que votre impuissance est totale malgré vos tweets et votre bonne volonté affichée. Il n’y aurait rien de honteux à défendre avec bonne foi votre bilan – après Christophe Castaner, vous ne pouviez que faire mieux – mais pourquoi, encore une fois, cette arrogance, cette domestication politique de votre liberté, cet oubli de ce que vous étiez en cherchant à nous faire croire qu’Emmanuel Macron était comme le Nicolas Sarkozy de la grande époque, pourquoi, pour en revenir à BFM TV, cette méchante aigreur qui fait qu’on admire moins votre talent et votre dialectique indéniables qu’on n’est effaré par votre manque de tenue médiatique et démocratique ?

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Quelle que soit l’issue de la prochaine joute présidentielle, vous ne serez pas perdu. Vos ambitions seront encore davantage satisfaites ou vous patienterez pour un futur dont vous êtes persuadé qu’il sera, un jour, le vôtre. Sinon, quelle tristesse ce serait de vous être ainsi mis au service de causes différentes, voire contradictoires, avec tant de contorsions qui vous ont conduit à occulter tout le bien que vous pensiez de vous-même, pour presque rien ! Il faut que vous soyez payé pour votre migration de la droite vers je ne sais quoi. Je ne quitterai pas des yeux ni de l’esprit la suite de votre carrière mais puis-je vous faire un aveu : j’aimais beaucoup le Gérald Darmanin de la droite républicaine. De grâce ne faites plus semblant de l’avoir oublié pour vous donner bonne conscience auprès d’Emmanuel Macron depuis 2017. Songez, pour une fois, un peu à vous : vous gagneriez à mettre vos capacités, votre allant et votre intelligence au service de plus de modestie et de moins de révérence présidentielle.

Ce message doux-amer pour vous, entre vague nostalgie et fragile espérance.

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Cinq ans plus tard, les Français ne savent toujours pas ce que pense Macron

Le président équivoque


Emmanuel Macron ne devrait pas tarder à annoncer sa candidature. Examinons succinctement ses forces et ses faiblesses pour juger de ses chances de se faire réélire.

Moi, président…

La première force de Macron réside incontestablement dans son statut de président. Il bénéficiera de la prime au sortant. Macron est celui qui a tenu la barre durant les deux crises des gilets jaunes et du Covid. Aux yeux de beaucoup d’électeurs, cela lui confère une densité politique dont les autres candidats ne peuvent logiquement pas se prévaloir. Cet atout jouera subliminalement sans qu’il ait besoin de le mettre ostensiblement en avant. Au surplus, le taire lui évitera de prêter le flanc aux critiques sur son quinquennat…

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La deuxième force de Macron est son positionnement idéologique au-delà des catégories droite-gauche. Non seulement ce dépassement de la ligne de fracture traditionnelle de la vie politique française l’autorisera à ratisser large, mais surtout à se poser en rassembleur, en « père de la nation » soucieux du bien de tous et en lutte contre les segmentations partisanes. Nul doute qu’il déroulera le récit de sa candidature dans ce registre. Le troisième atout de Macron, enfin, est sa connaissance des codes du libéralisme économique. Il prendra soin de cultiver sa stature d’expert en la matière afin d’apparaître comme le seul à même de pouvoir préserver l’épargne, le patrimoine et le pouvoir d’achat des classes aisées et moyennes. Il sera le candidat du système, celui qui garantit la valeur des placements et qui initiera dans la foulée une courageuse réforme du système de retraites, n’ayant plus rien à perdre pour son dernier mandat – réforme dont dépend la perpétuation de notre régime par répartition. Du moins est-ce ainsi qu’il la présentera. Beaucoup de retraités voteront pour lui, auxquels viendront s’agréger les gagnants de la mondialisation. Enfin, l’état actuel de la gauche et la droite joue en sa faveur : la première est anémiée, la seconde, divisée.

Les Français ont renoncé à chercher à savoir ce que pense réellement leur président, l’homme « à la pensée complexe », au point de douter qu’il ait des convictions

De grandes faiblesses

La première faiblesse de Macron réside dans son image de président des riches. À cette caractéristique sont venus se greffer ses propos blessants qui lui ont aliéné bon nombre d’électeurs des classes modestes et populaires. Il aura du mal à se débarrasser des traits d’homme méprisant aux yeux de certaines couches de l’électorat… Son emblématique « en même temps » constitue le second défaut de sa cuirasse. À force de vouloir contenter tout le monde (le pouvoir algérien, le prurit de repentance du politiquement correct, les harkis, les gardiens de la mémoire de la tragédie de la rue d’Isly, les pieds-noirs), sa ligne politique finit par devenir illisible. Qui est-il ? Celui qui affirme qu’il n’existe pas de culture française, ou bien celui qui célèbre Jeanne d’Arc au Puy du Fou ? Celui qui dénonce les “violences policières” ou celui qui place Darmanin à l’Intérieur ? 

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Les Français ont renoncé à chercher à savoir ce que pense réellement leur président, l’homme « à la pensée complexe », au point de douter qu’il ait des convictions fortes. L’ambiguïté ne fait pas une politique sur le long terme. Il est un libéral-libertaire, tout en ayant commencé sa carrière à gauche pour finir par nommer deux premiers ministres de droite. Ces équivoques finissent par donner le tournis et par prêter le flanc à l’accusation d’insincérité. Macron apparaît comme un homme sans colonne vertébrale idéologique : peut-on se fier à un politicien de ce type ? Ces adversaires ne manqueront pas d’appuyer sur ce point. Autre faiblesse : ne pas s’être emparé à bras-le-corps des questions régaliennes de la sécurité et de l’immigration.  

Où est passée la disruption ?

Enfin, une dernière faille à ne pas négliger réside dans l’éventualité d’un malentendu entre lui et ses électeurs potentiels. Il sera le candidat du statu quo. Les Français chercheront en lui protection et garanties. Or, Macron se rêve en personnage disruptif, transgressif à sa façon. Révolution était le titre de son livre-programme en 2016. Ceux qui avaient été séduits par le candidat “disruptif” de 2017 pourraient ne plus y trouver leur compte. Alors que cette velléité de toujours vouloir faire bouger les lignes peut être mal comprise de ceux qui chercheront stabilité et préservation de leurs acquis en votant pour lui.

Pro ou antivaccination: qui sont les plus fous ?

Où doit-on voir la « psychose collective » que critiquent certains antivax?


Les antivax ont une théorie psychologique expliquant ce qu’ils considèrent comme la folie collective qui pousse le reste de la population à se faire vacciner. Début janvier, Google était submergé de recherches au sujet d’une maladie mentale portant le nom, en anglais, de « Mass Formation Psychosis ». Tout est parti de la conférence d’un chercheur belge postée sur YouTube le 20 octobre. Mattias Desmet, de l’université de Gand, y explique que la docilité des gens face aux mesures sanitaires imposées par l’État serait le résultat de ce qu’il appelle la « mass formation », une pathologie qui plonge l’esprit dans un état proche de l’hypnose où il est plus apte à suivre les tendances de la foule ou à obéir à des ordres. La théorie a été reprise par le docteur Robert Malone, un virologue américain devenu un des chefs de file du mouvement antivax. Se présentant comme l’inventeur de la technologie des vaccins à ARN messager – il se peut bien qu’il y ait contribué –, il prétend que ces vaccins sont une menace pour la santé.

Invité début janvier par Joe Rogan, l’animateur de radio bien à droite, dont la chaîne YouTube a presque 12 millions d’abonnés, Malone cite la théorie de Desmets, en y ajoutant le terme de « psychosis » pour que le caractère pathologique du phénomène soit bien clair. Pourtant, la théorie de Desmets est fondée sur un livre vieux de plus d’un siècle, La Psychologie des foules, de Gustave Le Bon. Les spéculations de Le Bon, qui n’était pas médecin, portent sur le comportement collectif d’une foule dans la rue, pas sur celui d’une masse d’individus habitant un même pays. Twitter a supprimé le compte de Malone, qui comptait près de 500 000 abonnés ; YouTube a supprimé la vidéo de la chaîne de Rogan ; et Google a averti les internautes qui se sont rués sur la définition de la « Mass Formation Psychosis » du peu de fiabilité des informations à ce sujet. De quoi nourrir la paranoïa des antivax quant à des complots ourdis contre eux par les Gafam provaccination.

Pécresse après son meeting: Je n’ai pas le “gène” de l’art oratoire!

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Celle qui s’est présentée devant les militants LR comme une femme “indomptable” n’a pas été capable de dompter le malaise et la gêne qui se sont emparés du Zénith de Paris. Présent dans la salle, Causeur a constaté que Valérie Pécresse, oratrice poussive ne croyant pas à ce qu’elle dit, avait repris pour la première fois l’expression de “grand remplacement” pour ramener au bercail nombre d’électeurs tentés par le vote Zemmour, alors que des cadres fuient vers Macron. Nicolas Sarkozy n’était pas là.


On avait laissé Valérie Pécresse triomphante, en décembre, au lendemain du congrès LR, annoncée comme la seule candidate en mesure de battre Emmanuel Macron au deuxième tour. Deux mois se sont écoulés et le soufflé semble déjà retombé. 

Dans le match à trois que se livrent les candidats de droite, Valérie Pécresse est au coude-à-coude avec ses rivaux Eric Zemmour et Marine Le Pen.  L’hypothèse d’un scenario à la Hamon-Mélenchon 2017 n’est pas nulle : également au coude-à-coude en février 2017 (13% pour le candidat PS, 12% pour le candidat LFI), le plus talentueux des deux avait fini par prendre le large, manquant la qualification au second tour “que” de 600 000 voix, tandis qu’Hamon terminait avec le score de Gaston Defferre en 1969. Imaginer Valérie Pécresse terminer la campagne sur une dynamique à la Benoît Hamon n’est peut-être pas une totale vue de l’esprit. Aussi, pour les caciques de LR, le meeting de dimanche au Zénith de Paris allait être l’occasion de donner un nouveau tournant. Un nouveau tournant, ou peut-être déjà un baroud d’honneur ?

Les cadres tentés par Macron, la base par Zemmour

Au temps béni de la guerre froide et des guerres de décolonisation, une boutade circulait ; on disait que Cuba était le pays le plus dispersé du monde : son armée était en Angola, son gouvernement à Moscou et sa main d’œuvre à Miami. On se demande si Pécresse ne va pas finir la campagne avec la tête du parti partie chez Macron et une base partie chez Zemmour. En haut, les débauchages opérés par la macronie sont quasi-quotidiens : mercredi dernier, c’était le député Eric Woerth ; jeudi, c’était Natacha Bouchart, maire de Calais ; vendredi, c’était Nora Berra, ancienne secrétaire d’État sarkozyste. Vers la droite, l’hémorragie des cadres est pour l’instant mieux maîtrisée. C’est surtout la base qui est séduite par la danse du ventre du candidat “Reconquête”. À la grande époque des alliances RPR-UDF, Charles Pasqua disait : « le RPR amène les électeurs, l’UDF amène les élus » ; aujourd’hui, Macron pique les élus et Zemmour pique les électeurs. Avec une telle dynamique, il était donc grand temps de donner une nouvelle impulsion. Une soixantaine de bus a été affrétée et 6500 supporters ont rempli le Zénith.

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On attendait avec impatience la mue de la candidate. Sans lui demander de devenir Eva Perón à la tribune, il était temps pour la présidente du conseil régional d’Île-de-France de sortir de son image à la fois très « techno » et en même temps très « candidate à la présidence de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public ». Pas question aujourd’hui d’égrener des mesures, il était question de son lien avec les Français, de sa vision de la France. 

Quelques jours avant la grand-messe, Pécresse avait échauffé sa voix et tenté une allusion filée à la saga « Star Wars » : « Il y a La Menace Fantôme. C’est la gauche. Il y a L’Empire Contre-Attaque, c’est Macron. Enfin encore faudrait-il encore que l’empire attaque… Il y a L’Attaque des Clones : Éric Zemmour et Marine Le Pen […] Bon, vous avez compris que moi j’étais Le Retour du Jedi, car je veux faire lever Un Nouvel Espoir ». Pourquoi pas. 

Accusations en islamo-droitisme

Avec Patrick Karam et David Abad en première ligne dans le dispositif Pécresse, les mauvaises langues – parmi lesquelles peut-être les militantes de Nemesis, féministes de droite infiltrées dans la salle qui ont brandi les banderoles « Pécresse islamo-droitarde ? » et « Féministe à la télé. Pro-voile dans les cités » avant d’être expulsées, animant un peu enfin l’après-midi – qui dénoncent les prétendues collisions suspectes de la présidente de région évoqueront peut-être plutôt la revanche des Chiites ! 

Rendez-vous en terre inconnue

Jouant la carte de l’immersion totale, je m’affuble d’un tee-shirt « les jeunes avec Pécresse », ce qui me donne la double impression d’être jeune et d’être avec Pécresse (je vous laisse deviner laquelle est la plus agréable). Le thème était la Nouvelle France.

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Le meeting commence avec des petits messages vidéos des notables et des notoires du parti. À l’applaudimètre, les droitiers Bruno Retailleau,  Laurent Wauquiez et Éric Ciotti (dont l’intervention est a été brillante) raflent la mise. Pas de trace en revanche de Nicolas Sarkozy. Dernier président de droite encore en vie, on dit que celui-ci a du mal à supporter le « melon » de l’actuelle candidate, qui ne passerait « plus sous l’Arc de Triomphe ». On évoque même un possible ralliement à Emmanuel Macron, ce qui symboliquement ferait encore plus mal que les désertions d’Éric Woerth et de la maire de Calais.

C’est l’heure. Valérie Pécresse entre en scène. Puisqu’il n’y aura pas de détails techniques, on ne sait pas comment elle financera les retraites automatiquement supérieures au SMIC et le bonus annuel de 500€ à tous les salariés payés 1400 €. Aujourd’hui, on parle patrie charnelle, et même, pavé de Charolais et verre de rouge. Une jonction gaullo-communiste avec Fabien Roussel est-elle possible ? Surtout, Valérie Pécresse bouscule et ose évoquer le Grand Remplacement. Puis, la voix de la candidate s’éteint et elle bascule dans une longue heure d’introspection : son parcours, ses joies, ses peines, ses coups de chance, les frotteurs rencontrés dans le métro. Pécresse nous a enfin raconté une histoire, son histoire. La petite animation de Nemesis est déjà loin dans les esprits et certains commencent à s’ennuyer. Autour de moi, les rangs se clairsèment. Je n’ai peut-être pas tout de suite pris conscience du désastre : je dois avouer qu’après avoir vu la prestation de Michel Barnier quelques minutes auparavant, celle de Pécresse m’avait paru plutôt bonne.

«Les députés ne connaissent pas plus le prix d’un litre d’essence que celui d’une baguette»

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Après « ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche », c’est maintenant « vous trouvez l’essence trop chère, achetez-vous une voiture électrique » !


Causeur. Le prix du plein ne cesse d’augmenter, pourquoi ? 

Benjamin Cuq. À cause de la hausse de la demande. Le pétrole n’était pas cher pour deux raisons : il y en avait plein et peu de gens en avaient besoin. Jusqu’au début des années 2000, le parc automobile était relativement restreint à l’échelle de la Terre. Les ventes de voitures étaient d’environ 50 millions en 2000. Pour 2020, on est à 100 millions. Ces voitures, il faut bien les faire rouler. Il y a beaucoup plus de voitures dans les pays de l’Est, en Inde et surtout en Chine. Il y a quand même 400 millions de Chinois qui ont désormais un niveau de vie comparable à celui des Européens. Comme ils ont une très forte demande d’énergie, et notamment d’essence, ce sont eux qui achètent en premier. La demande étant plus forte que l’offre, le prix de l’essence augmente. On pourrait même dire que quand tous les Chinois auront une voiture, les Européens auront des vélos. On se dirige vers une inversion de civilisation.

Le journaliste Benjamin Cuq D.R.

Sommes-nous totalement dépendants des pays du Golfe ? 

Totalement. Il ne reste que sept raffineries en France. La Chine, comme nous, achète aux pays du Golfe. Nous refusons d’acheter du gaz à  Vladimir Poutine, soit. Mais je ne pense pas que l’on donne de grandes leçons de démocratie à Mohammed Ben Salmane, prince d’Arabie Saoudite ou aux émirs qataris en achetant leur essence. 

La hausse des prix peut-elle s’arrêter ? 

Non, car la demande est supérieure à l’offre. Dans une planète aux ressources finies, l’offre ne pourra pas être éternellement supérieure à la demande. Il n’y aura plus de pétrole tôt ou tard. Attention, je ne parle pas d’un grand d’effondrement, penser que tout va s’arrêter d’un coup est un fantasme. En revanche, tout va augmenter très doucement. Petit à petit, on arrive à des pénuries de matières premières. Les stocks d’or sont déjà limités. On pourra développer un peu le gaz de schiste, comme au Canada, mais ça restera limité. De plus, les États-Unis ont tout intérêt à maintenir un pétrole très cher pour une bonne raison : quand le pétrole saoudien est trop cher, leur propre pétrole est moins cher à extraire. 

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Sommes-nous destinés, à la joie des écolos, à trouver des alternatives au pétrole ? 

Nous n’avons pas le choix. Tôt ou tard, nous allons devenir décroissants. Pour ce qui est de la voiture, nous le sommes déjà. Une voiture essence fabriquée en 2022 consomme environ 30% de moins qu’une voiture fabriquée il y a vingt ans. Pour les constructeurs, l’intérêt est de faire durer leur industrie le plus longtemps possible. Cette conscience qu’il faut faire baisser la consommation n’est donc pas venue des écolos mais des constructeurs. Depuis bien longtemps, l’industrie automobile a compris la nécessité de réduire la consommation des voitures. 

Ça fait vingt ans qu’on nous dit qu’on se dirige vers une société sans voiture et on semble redécouvrir, à chaque hausse du prix de l’essence, que des millions de Français ont besoin de prendre la voiture tous les jours…

Le fantasme des technocrates est que tous les Français pourraient se déplacer autrement qu’en voiture. Mais 80% des Français utilisent leur voiture au moins une fois par jour car ils en ont besoin ! Quand on habite à cinq ou six kilomètres de la première gare et qu’il n’y a pas de transports en commun, on n’a pas le choix. 

Quid de la voiture électrique ? 

C’est un fantasme de riches. Ceux qui gagnent 1200 euros par mois ne peuvent pas s’acheter une voiture électrique car ça coûte 34 000 euros. Et dans une Twingo électrique, quand on a une famille de trois enfants, on ne met pas tout le monde dans la voiture ! Sans compter que ça met beaucoup de temps à se recharger. Mais le vrai scandale, c’est les primes à la conversion. Vous dites à quelqu’un qui gagne moins de 1500 euros par mois qu’il peut récupérer 6000 euros pour l’achat d’une voiture électrique. Sauf que s’il habite à la campagne, sa Twingo ne pose pas de problèmes, les problèmes de pollution et de circulation concernent les villes. Par ailleurs, entre une Twingo qui a été produite il y a 15 ans en France et une Dacia électrique neuve produite en Chine, c’est la Twingo qui est la plus propre. Monter une voiture en Chine pour des livraisons en France, cela fait perdre à ce véhicule son intérêt environnemental.

Quelles sont les solutions à court terme ? Baisser la TVA comme le proposent Anne Hidalgo et Marine Le Pen ? Bloquer les prix comme le propose Mélenchon ? Faire une taxe flottante comme le propose Fabien Roussel ? 

D’une façon générale, il faudrait arrêter de faire des taxes sur les taxes. Une solution très simple serait de passer à des remboursements de TVA pour les gens aux revenus les plus modestes. Si vous faites un plein à 100 euros, il y a environ 75% qui part en taxes. Le blocage de prix, on a vu ce que ça a donné au Venezuela : un mélange de guerre civile à bas bruit et d’hyperinflation. La taxe flottante, c’était ce qu’on avait à l’époque de Lionel Jospin, c’était la meilleure idée qui soit. Plus le prix de l’essence augmente, plus la taxe diminue. C’est la solution la plus juste, finalement. 

De son côté, Éric Zemmour propose de faire rembourser les frais d’essence des salariés par leurs employeurs, qu’en pensez-vous ? 

C’est illusoire, les entreprises n’ont pas à payer les carburants de chacun, ça coûte trop cher. Certes, elles remboursent une partie des pass Navigo à Paris par exemple, mais un pass Navigo coûte 75 euros par mois. Avec 75 euros, vous avez 50 litres d’essence. Imaginez que les patrons donnent 50 litres d’essence tous les mois à chaque employé. On serait dans une économie à la soviétique ! 

On a l’impression que l’essence est particulièrement chère en France. Qu’en est-il par rapport à nos voisins ? 

On a certes beaucoup de taxes, mais au Royaume-Uni l’essence est encore plus chère. Le prix de votre plein en euros, vous le payez en livres. En Italie, c’est à peu près le même prix que chez nous. Si vous allez en Allemagne, en Belgique ou en Espagne, elle est beaucoup moins chère parce qu’elle est moins taxée. On en revient encore aux taxes. Le problème en Allemagne, c’est que le coût de l’énergie est différent. Les Allemands ont des factures d’électricité qui sont énormes. 

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Justement, pourquoi les prix du chauffage augmentent ? 

D’abord, pour les mêmes raisons que celles du prix de l’essence. La demande étant plus forte que l’offre d’un point de vue mondial, les producteurs de gaz augmentent les prix. Ensuite, la privatisation des groupes d’énergie comme Engie favorise l’augmentation des tarifs. Pour verser des dividendes aux actionnaires, vous prélevez sur les clients. L’essentiel de ces privatisations date de la présidence de Sarkozy puis de celle de Hollande. Mais les prix vont continuer à augmenter car les prix du gaz augmentent à l’échelle mondiale. La France s’imagine qu’elle vit dans un îlot où rien ne la concerne mais c’est faux. Nous sommes un des pays qui émet le moins de CO2 par rapport au nombre d’habitants, ceci grâce au nucléaire et grâce à nos petites voitures. Nous n’avons pas à nous culpabiliser. La France, c’est 1% de la population terrestre et 1% des émissions de CO2. La France, c’est 110 grammes de CO2 par habitant. Aux États-Unis, c’est 450. En Allemagne, c’est 150. Il faudrait commencer par demander aux Chinois et aux Américains de faire un effort. 

Qu’en pense l’Union Européenne ? 

L’Union Européenne a obligé les constructeurs à réduire leurs émissions moyennes de CO2. Sauf que les taux à atteindre ont été fixés de façon proportionnelle à chaque constructeur. Un constructeur qui a une moyenne de 110 grammes de CO2 en moyenne doit arriver à une moyenne de 75 grammes à l’horizon 2030. Mais un constructeur qui a une moyenne de 130 doit arriver à 110 grammes à l’horizon 2030. L’Union Européenne demande toujours plus aux constructeurs les plus vertueux. En ce qui concerne l’augmentation du prix des matières premières, elle ne s’en occupe pas. Il faudrait une solution à l’échelle mondiale mais les Chinois ne vont pas baisser leur croissance pour faire plaisir aux Français. 

Les mouvements tels que « le convoi de la liberté » ont donc de beaux jours devant eux ? 

Des gens qui se plaignent du prix de la vie mais qui prennent leur camping-car pour aller manifester à 1000 kilomètres, je ne vois pas vraiment l’intérêt ! Cependant le prix de l’essence va continuer à être un thème politique central, oui. Avant, on payait son plein 60 euros, aujourd’hui, on le paye cent euros alors que la voiture consomme 30% de moins. Cherchez l’erreur ! Il faut quand même prendre ça en considération. L’idée que l’on se dirige vers une société sans voiture est le fantasme d’une élite parisienne déconnectée. Rappelez-vous de Benjamin Griveaux, qui parlait des « gars qui fument des clopes qui roulent au diesel » au moment de la crise des gilets jaunes. Une telle déconnexion des réalités est fascinante. Les députés ne connaissent pas plus le prix d’un litre d’essence que celui d’une baguette et je ne vois venir aucune prise de conscience. Or, 80% des Français vont travailler en voiture tous les jours. L’essence, c’est donc comme le pain autrefois pour beaucoup d’entre eux. Le « ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche », c’est maintenant : « vous trouvez l’essence trop chère, achetez vous une voiture électrique » ! C’est une absurdité totale.

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Massenet résiste à tout, même à une scénographie hors sujet

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Manon n’a pas de chance. En mars 2020, après une unique représentation, le confinement a raison du plus célèbre ouvrage lyrique de Massenet, donné à l’Opéra Bastille. Las, nouveau coup du sort en 2022, Joshua Guerrero, qui devait camper le Chevalier des Grieux, s’est chopé le covid. La contagion menace ; le spectacle est repoussé, par deux fois. Manon résiste, quant à elle, chantée à toutes les dates par la fiévreuse soprano américaine Ailyn Pérez. Les remplaçants successifs du ténor américain, Dieu merci, ne sont pas des seconds couteaux : Roberto Alagna, légende vivante quoique plus de toute première jeunesse, avantagé par un costume enfilé maintes fois; le brésilien Atalla Ayan, qui assurait la première, in fine, vendredi dernier ; et surtout, très attendu, pour le coup, sur le plateau de l’Opéra-Bastille pour les  deux dernières représentations ( les 23 et 26 février), le ténor franco-suisse âgé de 26 ans Benjamin Bernheim, au phrasé impeccable et au timbre souverain, et qui triomphe au même moment pour la seconde fois à Bordeaux, dans  le rôle-titre de l’ultime – et sublime –  opéra de Massenet, Werther. Autant dire que le bon Jules est à l’honneur cette année sur la scène lyrique. 

Manon est dans l’air du temps

Sous un titre à rallonge : Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, le texte de l’abbé Prévost (1697-1763), à l’origine enchâssé dans un récit choral, ne constituait que le dernier volume de prétendues Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde, tout à fait fictives. Achevé en 1884 pour l’Opéra-Comique, le Manon de Jules Massenet, juste avant l’apothéose de Werther (créé à Vienne en 1892 mais commencé d’écrire dès 1885), mérite d’être replacé dans la longue suite d’adaptations dont Manon, archétype de la courtisane et fille publique avant la lettre, incarne la fortune inépuisable, dans la lignée d’une Carmen ou d’une Violetta sous le double sceau de Bizet et de Verdi. A l’heure de la « parole libérée », Manon est plus que jamais dans l’air du temps.

A lire aussi: «Reynaldo Hahn est le seul amant de Proust dont on soit tout à fait sûr»

Auber, aujourd’hui plus connu par le nom de sa station de métro que par la survie de ses partitions, s’était déjà fendu d’une transposition lyrique, sur un livret d’Eugène Scribe (encore un nom de rue), en 1856. Massenet, lui, s’assure le concourt des deux librettistes star de l’époque, Henri Meilhac et Philippe Gilles. On doit à ce duo quelques rimes immortelles, du genre : « Autour de moi tout doit fleurir/ Je vais à tout ce qui m’attire/ Et si Manon devait jamais mourir/ Ce serait mes amis dans un éclat de rire »…  En 1892, légitimement soucieux de se démarquer de son prestigieux aîné, le jeune Puccini s’y mettra à son tour, avec un Manon Lescaut, son troisième opéra, œuvre musicalement admirable ; l’excellent Reynaldo Hahn trouvera quant à lui, dans une Manon, fille galante (sic), en 1924, matière à inspiration. Avant que le septième art ne s’empare du sujet outre-Rhin dès 1925, sous l’objectif d’Artur Robison, avec Marlene Dietrich dans le rôle-titre, puis sous les auspices d’Henri-Georges Clouzot en 1948, et enfin par le talent plus daté de Jean Aurel, avec une Manon 70 campée par Catherine Deneuve…  Sans compter, du Japon au Venezuela en passant par les Etats-Unis, cinq ou six autres longs métrages à l’estampille de « Manon » … Fascinante postérité cosmopolite du roman-mémoire le plus universellement célèbre du XVIIIème siècle français !

D.R.

On a longtemps cru Massenet démodé

Massenet, pour en revenir à lui, s’il n’est pas un grand inventeur de formes, reste un mélodiste incomparable. Un temps, la modernité l’avait cru démodé, ne voyant dans sa suavité, dans l’onctuosité sans pareil de ses morceaux de bravoure, que la floraison tardive de l’académisme romantique, sous l’espèce de recettes faciles, propres à un «opéra-de-papa » immanquablement voué à l’oubli. Or tout l’inverse s’est produit : Manon est, par excellence, l’opéra plébiscité par le public.

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Il l’est une nouvelle fois, sans surprise, sous la baguette du jeune chef américain James Gaffigan, dans une mise en scène signée Vincent Huguet, émule de Patrice Chéreau puis de Peter Sellars, à qui l’institution parisienne, on s’en souvient, avait confié le gala célébrant son 350ème anniversaire, en 2018. Certes il ne vient plus à l’idée de personne de défendre mordicus les approches littérales en matière d’opéra. Le parti de transposer l’action dans l’entre-deux guerres soumet néanmoins le livret à une lecture idéologique convenue et quelque peu racoleuse, sacrifiant à des anachronismes entachés de trivialité. Le décor d’ouverture ? Manifestement inspiré par l’architecture du Palais d’Iéna, l’actuel Conseil économique et social construit en 1937 par Auguste Perret, avec ses colonnes en béton, et par l’esthétique du Palais de Tokyo…  L’église Saint-Sulpice du troisième acte s’agrège, plus étrangement, au patrimoine pictural du XIXème siècle, avec les symétriques reproductions XXL, en fond de scène, des deux célèbres toiles de Delacroix, La lutte avec l’ange, et Héliodore chassé du Temple, qui décorent l’édifice de façon beaucoup plus discrète. Pourquoi pas ? Plus discutable encore, l’idée d’annexer Manon à la célébration de Joséphine Baker. N’hésitant pas à incruster, devant le rideau de scène, un interlude musical millésimé 1934 (rien à voir avec Massenet, donc !), sous la signature d’un certain Van Parys pour la composition, morceau exhumé de Zouzou, un film interprété par la nouvelle venue de notre Panthéon. A la limite, l’intention pouvait se comprendre lorsque Manon, il y a deux ans, épousait les traits de l’excellente soprano noire sud-africaine Pretty Yende.  Selon la même logique de mise en abyme, la fête du Cours-la-Reine, agrémentée par les soins de Massenet d’un menuet et d’une gavotte, délicieux pastiches, (premier tableau de l’acte III) se voit, pour le coup, déplacée – à tous les sens du terme –  du côté de Charles de Beistegui, ce roi de la Cafe society qui donnait pour le gratin des bals costumés en son pied-à-terre des Champs-Elysées… En bref, une scénographie à côté de la plaque. Pourtant, Manon est sauvée : par quelques voix d’exception ; par la grâce immarcescible de son écriture.  


Manon. Opéra –comique en cinq actes de Jules Massenet, d’après le roman de l’abbé Prévost. Direction James Garrigan. Mise en scène Vincent Huguet. Alyn Perez (Manon). Atalla Ayan (Grieux) les 14 et 20 février, Benjamin Bernheim (Grieux) les 23 et 26 février.

 Opéra-Bastille. Les 14, 20, 23 et 26 février. Durée du spectacle : 3h50.

Paris à la tronçonneuse

L’Hôtel de Ville ne ménage pas ses efforts pour « réinventer » Paris et rendre la capitale « plus belle ». Une tentative de destruction justifiée par une « doctrine » municipale délirante. Heureusement, les Parisiens se mobilisent via les réseaux sociaux pour limiter la casse. Dans La Disparition de Paris, Didier Rykner dénonce l’acharnement méthodique contre notre capitale.


Il paraît que c’est à ça qu’on les reconnaît. Anne Hidalgo et son équipe osent donner des leçons de beauté et d’esthétique urbaines. Sans rire, Emmanuel Grégoire, le premier adjoint du maire de la capitale, a présenté à la mi-janvier son « Manifeste pour la beauté de Paris ». Un chef-d’œuvre d’abstraction qui brouille notre compréhension de l’idéologie de la candidate à la présidence de la République. Il s’agit bien d’une idéologie puisque Emmanuel Grégoire parle de « doctrine » lorsque d’autres évoqueraient un programme. À l’entendre, les occupants de l’Hôtel de Ville sont de fervents défenseurs du patrimoine, c’est pour cela que ce manifeste, qui se veut un guide de bonne gestion de l’espace public, fixe « une ligne directrice » pour « protéger le mobilier urbain historique » et « accélérer la transformation » de Paris.

Hormis Hidalgo, qui souhaite la « transformation » de la capitale ? Mais que les sceptiques se rassurent, celle-ci se fera avec « rigueur et amour ». Pour le prouver, le guide-beauté de notre édile nous explique que, grâce à elle, Paris sera « harmonieuse, vivante, audacieuse, bienveillante, végétale, libre et fidèle », que l’espace public sera « utile pour le plus grand nombre » et que son « visage végétal » sera « une réponse à la crise climatique ». Paris connaissant les mêmes menaces que la forêt amazonienne, on ne peut que soutenir cette mesure.

Et parce que les Parisiens sont vraiment des fainéants et des conservateurs patentés, Mme Hidalgo nous promet de « bousculer des décennies et des siècles d’habitude », ceci avec « rigueur, méthode et ambition ».Pour l’ambition, on peut lui faire confiance.

Didier Rykner © Hannah Assouline

Ardent défendeur du patrimoine, le directeur-fondateur de La Tribune de l’Art, Didier Rykner, publie La Disparition de Paris (Les Belles Lettres). Un ouvrage qui recense les scandales et les aberrations de la politique d’Anne Hidalgo qui, même si elle a changé de bureau, est à l’Hôtel de Ville depuis vingt ans.


Causeur. Paris est-elle vraiment amenée à disparaître ?

Didier Rykner. La disparition est à comprendre comme un effacement progressif. Disparition du Paris qu’on aime, du Paris dans lequel j’ai grandi, avec une grammaire urbaine, des monuments magnifiques… « La plus belle ville du monde » n’est pas une expression usurpée. Et cette disparition peut amener à une destruction complète du Paris que nous avons connu. Imaginons cette équipe municipale en place pendant trente ans, et sans aucune opposition : Paris n’existera plus. Si on ne se battait pas, les églises ne seraient pas restaurées, les fontaines ne seraient pas entretenues, le mobilier urbain haussmannien serait supprimé…

C’est pourtant ce Paris que nous aimons et que le monde entier vient visiter !

La municipalité ne prend plus la peine d’employer un langage politique pour exposer son programme. En présentant son « Manifeste pour la beauté de Paris », Emmanuel Grégoire, le premier adjoint d’Anne Hidalgo, a ainsi parlé de « doctrine »

La politique d’Hidalgo est parfaitement idéologique. Mais je n’arrive même pas à savoir à quoi elle répond. Et ce n’est pas une question de droite ou de gauche. Il y a de bons et de mauvais maires de tous bords, mais nous assistons à Paris à autre chose que je ne peux qualifier. On voit bien que c’est doctrinaire puisque leur discours est émaillé d’un vocabulaire qui leur est propre : ils parlent toujours de « réinventer », d’ « inclusif », de « participatif »… Et ils font systématiquement l’inverse de ce qu’ils disent.

Il arrive que les responsables politiques mentent, mais le mensonge n’est-il pas au cœur du discours de la municipalité ?

Je ne sais pas si Hidalgo et ses équipes mentent mais ce qu’ils disent n’est pas la vérité ! Ils racontent n’importe quoi et en permanence. Ils assènent des contrevérités et, quoi qu’il arrive, ce n’est jamais de leur faute. Ils disent l’inverse de ce qu’ils font ou ne répondent pas aux questions qui leur sont posées. C’est étrange, je n’arrive pas à savoir ce qu’ils ont en tête. Je ne comprends pas. On n’a jamais vu une telle idéologie qui aboutit à de telles destructions. Par exemple, ils se prétendent écologistes mais ils coupent des arbres et ne les replantent pas – il suffit de voir les nombreux témoignages sur Twitter ou les photos de Google Earth ; ils nous poussent à faire du vélo, ce qui est très bien, mais de nombreuses pistes sont si mal tracées qu’elles en sont dangereuses… Vraiment, je ne les comprends pas.

Le fameux « Manifeste pour la beauté » d’Anne Hidalgo nous annonce, parmi d’autres pépites, que la capitale sera « harmonieuse, vivante, audacieuse, bienveillante, végétale, libre et fidèle ». Ça veut dire quoi ?

Rien. C’est un bla-bla sans nom ! Et je pense même l’inverse : la ville n’est absolument pas bienveillante. On voit bien que les piétons sont désormais en danger partout face à des vélos et des trottinettes débridés qui brûlent les feux et roulent sur les trottoirs, que les chaussées sont si mal conçues – parce que la Ville fait maintenant des économies sur les géomètres ! – qu’à la moindre averse de grandes flaques d’eau sont infranchissables pour les personnes âgées, les handicapés ou les enfants… Et que dire des obstacles entre lesquels on doit slalomer : mobilier urbain planté en dépit du bon sens, terrasses « éphémères » envahissantes, etc. Où est la bienveillance ?

Grâce aux nombreux articles de La Tribune de l’Art, la municipalité a commencé à s’occuper des fontaines qu’elle laissait à l’abandon.

La Ville a en effet commencé à restaurer et remettre en eau plusieurs fontaines. Mais on est loin du compte ! Cela fait des années qu’on nous promet la restauration de la fontaine des Innocents qui ne cesse de se dégrader. Et l’affaire des fontaines de la porte de La Chapelle est emblématique de la gestion du patrimoine parisien. Ces fontaines des années 1930 ont été supprimées pour laisser place au tramway avec la promesse d’être remontées. Ici comme ailleurs, cette promesse n’est jamais tenue. Mais là, le bâti a été détruit et les mascarons en bronze qui les ornaient ont été remisés. Or, ces mascarons ont été volés – alors que la Mairie disait qu’ils étaient entreposés – et vendus au marché aux puces ! C’est la mobilisation des riverains et la médiatisation de cette affaire qui a permis de les retrouver. Dès le début, la mairie de Paris n’a affiché que mépris, négligeant la valeur artistique de ces mascarons et qualifiant ces fontaines Art déco de « gros blocs de béton ». Quand on voit leur amour du béton pour construire des tours et des pistes cyclables, il y a de quoi sourire. Ces fontaines ne seront donc jamais remontées alors que nous disposons de tous les éléments pour le faire.

Les Parisiens ont mis du temps à se réveiller, mais une véritable opposition populaire se dresse désormais contre cette politique folle.

Dès 2013, j’avais écrit un article intitulé « Le Paris enchanté d’Anne Hidalgo fait froid dans le dos ». Il était précurseur. Aujourd’hui, les réseaux sociaux jouent un rôle très important. Nous étions nombreux à tweeter, depuis des années, mais chacun dans son coin. Nous n’obtenions donc aucun résultat. Et puis un Parisien anonyme a créé le mot-dièse #SaccageParis. Le résultat est extraordinaire : cela fait moins d’un an que ce compte existe et il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait un article ou un reportage sur la saleté ou la désorganisation de Paris. Cela a réussi à fédérer une opposition qui n’est pas une opposition politique et qui, surtout, est amenée à durer. Tant qu’Anne Hidalgo mènera sa politique, la mobilisation continuera. Et vu qu’elle s’entoure de gens comme elle, ou pire qu’elle, #SaccageParis a de beaux jours devant lui. Il est en effet fascinant d’observer son entourage : des gens sectaires, idéologues, qui n’aiment pas ou ne connaissent pas Paris.

Mais ce dont je rêve, c’est que certains de ces gens qui alimentent cette mobilisation se fédèrent autour d’une nouvelle offre pour la capitale. Je ne suis candidat à rien, mais mon livre se conclut sur une série de mesures à prendre (mobilier urbain, propreté, publicités géantes, travaux, circulation, espaces verts…). J’aimerais que naisse un mouvement, non pas politique, mais « pour Paris », qui proposerait une gestion saine de notre ville.

En parlant de « gestion saine », on entend dire depuis un moment que celle-ci est tellement déplorable que Paris devrait être mis sous tutelle.

Selon certaines rumeurs, Bercy a l’intention de laisser passer les élections présidentielles, puis de mettre la capitale sous tutelle. C’est une nécessité en effet.

Il faudrait aussi modifier le mode de scrutin pour passer au suffrage universel direct. Je voudrais voter directement pour le maire de Paris, je ne suis pas citoyen du 14e ou du 2e arrondissement, je suis partout chez moi dans Paris. Arrêtons avec ce vote à l’américaine !

Faut-il s’inquiéter des JO de 2024 ?

Oui. D’abord, parce que l’organisation de cet événement coûte une fortune, même des villes en bonne santé financière mettent des années à s’en remettre, ensuite parce que les JO vont abîmer Paris. On voit déjà que tout est fait en fonction de cette date : le chantier de Notre-Dame, le « réaménagement » du Champ-de-Mars, la probable construction de la tour Triangle… Tous les projets actuels sont menés tambour battant pour être achevés en 2024. Ce n’est pas sérieux. Et puis l’état de la ville est tel qu’on ne pourra pas la métamorphoser d’ici deux ans, je pense donc que nous allons nous ridiculiser aux yeux du monde.

Une bonne interview, normalement, est contradictoire. Or, dans le meilleur des cas, je suis incapable de dire du bien d’Anne Hidalgo et de son entourage. Y aurait-il quand même une action à mentionner en leur faveur ?

Il y a un point moins négatif que les autres : les musées de la Ville. Leurs budgets d’acquisition restent un point noir mais globalement, ces établissements sont bien gérés et offrent de belles expositions. C’est le cas notamment du musée Carnavalet et du Petit Palais.

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L’enfant au fond du puits

Le 5 février, le Maroc apprenait la mort du petit Rayan Oram. Pendant cinq jours, le sort du petit Marocain avait tenu en haleine le monde entier. Un bambin tombé au fond d’un puits, c’est probablement l’histoire parfaite pour des médias carburant à l’émotion. Il est intéressant de revenir sur le premier cas du genre.


Le 1er février 2022, Rayan Oram, un garçon marocain de cinq ans, est tombé dans un puits sec de 32 mètres dans le village d’Ighran, dans la région du Rif, au nord du Maroc. L’exiguïté du puits et la fragilité du sol ont compliqué et retardé les tentatives de sauvetage. Lorsque les sauveteurs ont atteint Rayan cinq jours plus tard, il était déjà mort. La mort de l’enfant a été annoncée par le cabinet royal et le roi Mohammed VI en personne a appelé les parents endeuillés pour leur présenter ses condoléances. 

Pendant cinq jours, le sort de Rayan Oram a tenu en haleine une foule considérable sur place, ainsi que les sociétés marocaine et algérienne. Le dénouement tragique du drame a déclenché une vague d’émotion dans le monde entier, amplifiée par les réseaux sociaux. Cette tragédie – le drame d’une course contre la montre pour sauver un jeune enfant tombé dans un puits, et finalement retrouvé mort – a quelque chose de déjà-vu. Depuis plus de 70 ans, en effet, ces histoires très médiatisées se répètent avec une ressemblance stupéfiante et nous touchent profondément. Un bambin tombé au fond d’un puits, c’est probablement l’histoire parfaite pour des médias carburant à l’émotion. Il est intéressant de revenir sur le premier cas du genre.    

Kathy a disparu

Dans l’après-midi du 8 avril 1949, Kathy Fiscus, âgée de trois ans, sa sœur, Barbara, et son cousin, Gus, courent à travers un champ à quelques dizaines de mètres de la maison familiale dans la banlieue de Los Angeles, à San Marino (près de Pasadena). Non loin de là, une tour de transmission de la KTLA, récemment installée, diffuse des émissions sportives et de variétés aux téléviseurs du bassin de population de Los Angeles. Quatre ans après la fin de la guerre, la télévision est encore très récente. Beaucoup d’Américains ne savent pas trop quoi en penser, et les téléviseurs sont alors relativement rares. Seuls 20 000 habitants environ disposent d’un poste dans la région de Los Angeles et on ne sait pas trop bien ce que ce nouveau média peut offrir de plus que la radio, laquelle trône en majesté dans la plupart des foyers. 

Wikimedia Commons

Alice, la mère de Kathy, travaille à la cuisine quand soudain, elle remarque qu’elle ne voit plus sa fille. Elle part à sa recherche et finit par tomber sur un trou de moins de 50 cm de large, bien dissimulé par l’herbe printanière. Horreur : les cris de Kathy sortent de la bouche sombre, la petite fille a glissé dans cet ancien puits, creusé presque un demi-siècle avant par une compagnie d’eau locale et abandonné depuis sans être ni recouvert ni signalé. Aujourd’hui, 73 ans après les faits, le puits le plus connu des États-Unis est enterré sous le terrain de football de la San Marino High School.

A lire aussi, du même auteur: L’Ukraine n’est plus la “Petite Russie”…

En quelques heures, ce champ situé à côté de la maison des Fiscus est noir de monde. Secouristes, voisins, forces de l’ordre s’affairent sous les regards d’un nombre croissant de curieux attirés par le drame. Certains spectateurs se mettent à prier. Grues, bulldozers, foreuses et camions arrivent. 

Priorité au direct

Attirés par tant d’activité, des journalistes de la presse écrite mais aussi de télévision et de radio sont également arrivés. Pendant les 24 dernières heures de l’opération de sauvetage (qui dura au total 53 longues heures), la scène est diffusée par KTLA localement et sur les ondes radio de tout le pays, grâce aux tours situées sur la montagne de Saint Gabriel juste au-dessus de San Marino. Le reportage en direct du terrain, en mode « dernière minute  » (« breaking news »), ou « crise en cours » (« developing story ») est né.

Joseph Mazur, professeur émérite de mathématiques au Marlboro College  dans le Vermont (récemment fusionné avec l’Université d’Amherst) qui avait alors sept ans se souvient : « Dans notre appartement du Bronx, au-dessus d’un piano se trouvait une radio Philco en bois qui ressemblait à la maquette d’une cathédrale miniature. Mon frère et moi faisions des cauchemars après avoir écouté les feuilletons “Le Frelon vert” et “Les Mystères d’Inner Sanctum”. Nous apprenions des choses inutiles grâce à “The Answer Man” et riions avec “Amos ‘n’ Andy”, avant que nos parents ne passent sur la fréquence de WNBC pour le “Chesterfield Supper Club Variety Show” avec Perry Como et le Shaffer Orchestra. Mais le jour où la petite Kathy est tombée, ces émissions ont été sans cesse interrompues par les derniers détails concernant l’opération de sauvetage. Pendant deux jours, mes parents sont restés assis près de la radio, attendant une preuve de vie de la fillette. Tous les habitants du quartier ont écouté les émissions minute par minute, priant pour que Kathy s’accroche à la vie. Des milliers de personnes sur le site de l’accident ont prié en regardant les équipes de secours s’efforcer de l’atteindre. Des millions de personnes dans toute l’Amérique, rivées à leurs radios, ont prié. L’effusion de prières a dû être extrêmement réconfortante pour les parents »

Pendant deux jours, la zone autour du puits de Kathy devient le centre du monde. Les pompiers et les policiers sont arrivés les premiers, puis ont fait appel à des équipements lourds et à des ouvriers pour tenter de creuser un passage jusqu’à Kathy. Personne ne savait vraiment comment s’y prendre. Les sauveteurs ont d’abord fait descendre une corde dans le puits, demandant à la fillette de passer le nœud autour de sa taille, mais la tentative a échoué et Kathy est probablement tombée encore plus bas.

Le médecin annonce la terrible nouvelle face aux caméras

Autour du puits, la scène ressemble de plus en plus à un plateau de cinéma. Nous ne sommes pas loin de Hollywood… Des jockeys de l’hippodrome voisin, un contorsionniste de cirque et des enfants maigres se portent volontaires pour aller à sa recherche. Johnny Roventini, la mascotte des cigarettes Phillip Morris, qui mesurait moins d’un mètre vingt, est arrivé sur les lieux vêtu de son uniforme de groom pour proposer ses services. William Deverell, historien et voisin (il habite Pasadena), auteur de Kathy Fiscus : a tragedy that transfoxed the Nation, raconte que « quelqu’un s’est même dit qu’il fallait peut-être aller chercher les acteurs du Magicien d’Oz »… Des milliers de badauds ont afflué, donnant leurs avis et faisant des suggestions, se pressant pour voir quelque chose. Rapidement, des vendeurs parcourent le terrain pour leur proposer nourriture et boissons. À la tombée de la nuit, les studios de la 20th Century Fox allument d’énormes projecteurs pour éclairer le chantier de sauvetage. 

A lire aussi: Pourquoi cette valse-hésitation sur le nucléaire français?

Klaus Landsberg [1], le directeur de la chaîne KTLA, a donc pris la décision novatrice d’amener une équipe de journalistes sur les lieux mêmes de l’événement, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Deux reporters de KTLA et leur équipe technique trainant derrière eux de longs câbles, se frayent un chemin à travers la foule, et diffusent en direct les images. Une autre chaîne d’information, KTTV, emboite le pas de la KTLA. Près de 30 heures de ce drame ont ainsi été diffusées en direct à la télévision. William Deverell remarque qu’ « une grande partie de la retransmission télévisée se concentre sur le trou, dans l’espoir que [Kathy] surgisse dans les bras d’un sauveteur ».

Devant les caméras, Paul Hanson, le médecin qui avait mis Kathy au monde, annonce finalement que la fillette n’a pas survécu à la chute. Ses mots et sa voix sont restés gravés dans la mémoire collective américaine : « Kathy est morte et apparemment morte depuis qu’on l’a entendue parler pour la dernière fois vendredi. Sa famille en a été informée, et nous vous informons maintenant ». Il a ensuite lu un message de la famille : « Il n’y a rien que nous puissions dire pour pouvoir remercier les nombreuses personnes qui nous ont aidés de manière désintéressée. Beaucoup de ces personnes sont rentrées chez elles pour prendre un repos bien mérité. Nous leur exprimons notre gratitude la plus sincère pour les nombreux sacrifices qu’ils ont consentis et qui dépassent l’entendement. Merci beaucoup ».

Les sauveteurs et presque 10 000 personnes (!) présentes ne peuvent retenir leurs larmes. Fait inédit, les téléspectateurs restés à la maison pleurent de concert, et comme s’ils étaient également présents sur les lieux. D’une manière éclatante, la tragédie des Fiscus vient de révéler le pouvoir d’un nouveau média, la télévision, laquelle offre une capacité inégalée – et insoupçonnée – de transmettre et susciter des émotions. Pendant plus de deux jours, les habitants de Los Angeles étaient rivés devant leur poste, chez des voisins s’ils n’étaient pas équipés, ou devant les vitrines des grands magasins remplies de téléviseurs… Selon Deverell, « après cet événement, le nombre de téléviseurs vendus dans l’agglomération de Los Angeles a explosé »

Adapté au cinéma

Des milliers de femmes, enceintes ou qui souhaitaient l’être, ont écrit à la mère de Kathy après le drame pour lui dire que si elles avaient une petite fille, elles l’appelleraient Kathy. Beaucoup ont tenu parole, et le nombre de bébés prénommés Kathy est monté en flèche dans les années 1950. 

En 1951 sort sur les écrans “le Gouffre aux chimères” de Billy Wilder, avec Kirk Douglas dans le rôle d’un journaliste relançant sa carrière grâce à une tragédie directement inspirée de l’histoire de la petite Kathy. Près de 40 ans plus tard, l’histoire de Kathy a été rappelée lors du sauvetage réussi de Jessica McClure, tombée dans un puits au Texas, en 1987. La même année, Woody Allen a également romancé la tragédie de Kathy dans son film “Radio Days” dont l’action a lieu dans les années 40. Dans ce film, une petite fille nommée Polly Phelps tombe dans un puits près de Stroudsburg en Pennsylvanie et l’affaire occupe la chronique nationale – le personnage de Polly, comme Kathy, ne survit pas. Lorsque ce film de Woody Allen sort, la couverture de l’actualité en direct par la télévision est depuis longtemps la nouvelle norme en Amérique. 20 ans seulement après la chute de Kathy, ce sont des millions de téléspectateurs américains – et un total estimé de 600 millions sur la planète – qui se sont branchés devant leur poste pour communier et voir un homme faire les premiers pas sur la Lune en 1969. 


Kathy Fiscus: A Tragedy That Transfixed the Nation

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[1] Klaus Landsberg (1916 – 1956) était un ingénieur électricien allemand pionnier de la télévision. En 1936, il est appelé à participer à la retransmission historique des Jeux olympiques de Berlin. D’origine juive, Landsberg quitte l’Allemagne en 1937 pour échapper aux Nazis et consacre sa vie au développement des premières chaines TV des Etats-Unis. 

Le boycott politique d’un évènement sportif: l’arme des faibles?

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États-Unis, Grande-Bretagne, Canada et Australie boycottent les cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux Olympiques en Chine. La France a décidé de « suivre la ligne de l’Union européenne » c’est à dire pas de boycott, mais une présence raisonnable.


Les Jeux Olympiques d’Hiver de Pékin ont donc été inaugurés le 4 février en l’absence notable des politiques occidentaux, à commencer par les Etats-Unis et ses alliés.

L’absence de Joe Biden, de Boris Johnson, ou d’Emmanuel Macron n’y changera rien : la plupart des pays du monde verront bien leurs athlètes concourir, et la course aux médailles restera bien une compétition sportive et non politique ! Alors, pourquoi sans cesse invoquer ce cache sexe du boycott politique des JO ? Pourquoi slalomons-nous en permanence en Occident entre nos positions politiques et nos choix économiques ?

Schizophrénie occidentale

La présence de Vladimir Poutine a été raillée, lui qui est venu soutenir son allié géopolitique chinois, lui qui sait quelque chose du boycott après les menaces britanniques et polonaises de 2018 à l’approche de la Coupe du monde de football.

À quoi bon tout ce barnum et ces effets de manche à géométrie variable ? Car au fond, on proteste dans un cadre sportif, mais que ferait économiquement l’Occident sans la Chine qu’il prend un malin plaisir à critiquer constamment ? Ne pourrait-on pas plutôt continuer à protester via les chancelleries et dans le cadre du multilatéralisme ou du bilatéralisme, plutôt que de punir indirectement les délégations sportives ? Et pourquoi ne pas plutôt se préoccuper au plus vite de notre dépendance à ce pays, plutôt que de rendre toujours autrui responsable de notre propre faiblesse économique, de nos démissions ?

Sans pour autant nier les atteintes frappantes aux droits de l’homme, le boycott politique dont fait l’objet la Chine, et qui avait été annoncé depuis longtemps, est à relativiser tant les positions occidentales nous semblent schizophrènes. On peut manifester contre une situation politique donnée, contre une crise, le risque d’une guerre, l’oppression d’une minorité, mais dans un contexte global de radicalisation du monde, l’ilot occidental de paix et de « liberté » qu’est l’Europe peut-il continuer à ce point de se gausser de ses atouts alors qu’une bonne part du vieux contient, à l’est, bascule déjà du côté anti-européen et antidémocratique de la force ? Les Jeux Olympiques et les manifestations culturelles ne sont-ils pas en réalité l’occasion la plus lâche pour s’insurger contre des pays organisateurs et faire passer un message au détriment de sportifs qui n’ont rien demandé ? C’est parfois à croire que tous les pays qui décrochent l’organisation de tels évènements à retentissement mondial ont acheté les instances sportives mondiales, alors que ces dernières ont justement sélectionné les candidatures, et opté pour ce qu’elles considéraient être à l’instant T le meilleur choix à faire ! Oui, tout cela parait assez farfelu, et aussi totalement lâche…

On nous rebat les oreilles avec les craintes d’une nouvelle guerre froide, de troisième Guerre Mondiale à venir, mais l’on ne sait pas mettre entre parenthèses quelques instants la realpolitik. Si le sport est éminemment politique aujourd’hui, il demeure aussi le dernier instrument pour rassembler, fédérer des millions d’êtres humains, et oublier un temps les crispations géopolitiques. Les Jeux Olympiques de Pékin et la Coupe du Monde à venir sont une bulle d’air bienvenue, après deux ans d’asphyxie. Et il y a bien d’autres moyens pour faire passer un message, sanctionner un pays ou condamner sa politique que le boycott des compétitions sportives.

La Chine mal vue depuis le Covid

La Chine est au cœur de nos attentions depuis le déclenchement du Covid-19. La politique chinoise est désormais indissociable de la pandémie, à commencer par les mensonges institutionnalisés et on le sait tous. Mais n’oublions pas que cela fait des années que nous nous jetons dans les bras de Pékin, en commençant par le choix économique totalement suicidaire de notre désindustrialisation totale.

Le president chinois Xi Jinping dans la ville de Wuhan le 10 mars 2020 © CHINE NOUVELLE/SIPA Numéro de reportage : 00949247_000014

Les Ouïgours pèsent donc bien peu face à notre dépendance. On critique la Chine, mais on se rend compte à quel point on ne peut plus rien faire sans elle aujourd’hui. Par culpabilité, on s’agite tel un épouvantail pour protester contre les JO d’hiver. Cela semble bien ridicule, c’est l’aveu d’un échec occidental. La Russie n’est pas non plus aimée, et ce de nous tous, depuis 1991. Elle a non seulement été humiliée, mais isolée. On sait ce que l’histoire fait des pays frustrés et humiliés. Moscou se rapproche donc de Pékin par solidarité, face à l’attitude moralisatrice et autocentrée occidentale.

Il serait bon de retrouver une dynamique qui ne crée par perpétuellement des humiliants et des humiliés, des vainqueurs et des vaincus. D’autant que si l’Occident avait actuellement l’ascendant, ça se saurait. Les valeurs qu’il défend se réduisent en réalité comme peau de chagrin sur le globe. C’est fort regrettable, mais c’est ainsi et c’est aussi sûrement le signe que quelque chose ne fonctionne pas ou ne fonctionne plus chez nous. Ce boycott de deux journées dans un évènement sportif mondial est assurément l’arme des faibles du multilatéralisme. 

Parlez-vous franglais?

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Emmanuel Macron, Pont-à-Mousson (54), 5 novembre 2018 © Ludovic Marin/AP/SIPA

Dans un rapport publié ce matin, l’Académie française s’inquiète de la montée d’une « insécurité linguistique » pour tout un public de Français peu au fait du numérique et peu familiers de la langue anglaise. Mais comme plus personne n’écoute l’Académie française, il va bien falloir vous mettre au franglais. Sophie de Menthon vous explique.


Avant que vous ne fassiez un burn-out parce que vous êtes bientôt speaker dans un meeting VIP et que c’est un challenge pour vous, soyez up to date. Il faut que vous maitrisiez votre listing de punchlines pour rendre vos propos percutants. Vous ne pouvez pas avoir l’air d’un looser. Business is business ! Essayez de trouver des scoops, tentez le buzz, c’est le moment de faire votre coming out.

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Auparavant, il va falloir motiver votre équipe en live, le team building il n’y a que cela de vrai : training avec ou sans coach, de façon à booster tout le monde. C’est le moment de faire la preuve que vous êtes un pseudo bilingue. Commencez par un best of de vos arguments pour prouver que vous êtes un winner. Il n’y a que les loosers qui utilisent un vocabulaire franchouillard. Oubliez aussi la syntaxe et l’orthographe. Même si cela peut avoir son côté vintage, c’est out. Même si vous êtes overbooké, intégrez les basiques, riez des petites jokes à gorge déployée, c’est LOL (laughing out loud). Au fait, BTW (by the way) un smiley pourra avantageusement remplacer la ponctuation dans un mail. Ready ? Go !

Choose France…

Vous madame, travaillerez sur votre glow up (votre niveau supérieur de beauté) et ASAP (as soon as possible) sur des startingblocks, les rides n’attendent pas. Si problem, faites-vous un call avec une girl friend et adoptez l’esprit de Nike en toutes circonstances : Just do it !

Sachez que l’exemple vient de haut, on « choose France », ce serait trop nul de choisir la France… surtout au moment où il faut la choisir. On est une start up nation ou on ne l’est pas. D’ailleurs le slogan de l’offre d’actionnariat salarié de notre opérateur national Orange n’est-il pas « together 2021 » ? On se demande si dans cette affaire ce ne sont pas les States qui ont fait le lobbying ?

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Si vous n’en pouvez plus de bosser à cause d’un geek qui est borderline, keep cool ! Un after-work entre collègues, un drink et vous envisagez tous ensemble de lui faire faire un check-up. En attendant wait and see

Dimanche un bon brunch, un film mais attention pas de spoil : si vous connaissez l’histoire ne racontez pas the end. Si bouquiner c’est mieux, un bon best-seller avant la deadline du reporting de lundi qui vous stress à mort.

Positive attitude

La woke attitude est de plus en plus incontournable. Ne pensez pas alone, pensez worldwilde, ainsi ne dites plus jamais noir, préférez black. Et puis black au moins, ce n’est pas raciste !


Tour Eiffel, 2017. Patrick KOVARIK / AFP

Acceptez que l’on essaie de vous faire croire que le plat typically french c’est le couscous, et qu’il est proscrit de penser à ce qui faisait toute la renommée de notre french cooking. A moins d’être communiste, un fromage et un bon verre de vin à la main, c’est has been !

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Allez ! Reprenons nos esprits, tout bien considéré, avec toutes ces dérives de langage, nous sommes embrigadés dans une permanente fashion week où l’anglicisme est hype, cool, c’est un must. À pitcher nos idées sous forme de slogans, en quête sempiternelle de nivellement par le bas et de reconnaissance par la branchitude. L’art de bien parler français consiste au contraire à de ne pas réduire une pensée à un mot, sous prétexte que l’on n’a pas de vocabulaire ! Un avis par une locution, une pensée par un emoji, non ! La langue française est un trésor caché. Parler et pratiquer une belle langue, c’est la faire vivre au quotidien avec raffinement, euphémismes, didascalies, syntaxe, figures de style, oxymores, anaphores, parallélismes, litotes, antiphrases, hyperboles… Yes, we can !

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Message doux-amer au ministre Darmanin…

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Gérald Darmanin à Paris, 5 février 2022 © Lewis Joly/AP/SIPA

Après son erreur de communication face à une journaliste de BFM TV la semaine passée, Philippe Bilger charge le ministre de l’Intérieur, dénonçant une certaine aigreur du ministre face à ceux qui osent nuancer la qualité de son bilan sur la sécurité.


Vous étiez un espoir de la droite républicaine, vous êtes devenu un inconditionnel d’Emmanuel Macron. Chacun ses goûts, à chacun son évolution ! Ce qui me navre ne relève pas de vos fluctuations puisque vous avez le droit de vous adapter à l’aune de vos ambitions qui sont légitimes et plausibles car votre talent ne vous a pas quitté, malheureusement avec de l’arrogance en plus. Votre entretien avec Apolline de Malherbe sur BFM TV a été une honte dont vous auriez dû immédiatement vous repentir. Vous avez été contraint de le faire -mais à peine- à cause de l’émoi que que vous avez suscité (voir vidéo LCI ci-dessous).

Un ministre en guerre contre le « populisme »

La voix du président, sur le plan médiatique, sait être rude mais n’a jamais atteint ce niveau de grossièreté sexiste et condescendante. Je vais vous avouer quelque chose. J’ai suivi toutes vos péripéties judiciaires et bien évidemment je ne discute pas ce dont vous avez bénéficié mais prenez garde à ceci : vous écoutant aussi vulgairement dominateur il y a peu, je me suis demandé comment vous aviez pu vous comporter avec d’autres jeunes femmes auparavant.

Vous êtes également trop fin pour continuer à nous servir la même « soupe » destinée à ménager la chèvre et le chou, votre adhésion un zeste flagorneuse à Emmanuel Macron et vos amitiés maintenues à droite, à l’égard de Xavier Bertrand notamment, pour ne pas parler de votre admiration ressassée pour Nicolas Sarkozy : on ne sait jamais, avoir une double admiration dans des camps différents ne peut pas nuire !

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Est-ce pour compenser ces dilections qui demeurent, qu’en revanche vous êtes si dur, si vindicatif à l’encontre de votre ancienne famille politique, de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour (qui ne disent pas que des bêtises sur l’insécurité au quotidien) en qualifiant avec mépris de populistes les idées qu’hier vous cultiviez parce qu’elles relevaient des attentes du peuple ? Vous avez changé pour complaire à Emmanuel Macron mais vous avez du mal à occulter vos convictions d’avant le prétendu « nouveau monde ».

Antifas et identitaires : deux poids deux mesures

Pourtant on ne peut pas nier que vous ayez ménagé vos efforts pour manifester à quel point vous étiez plus sévère avec les Identitaires, les violences de l’extrême droite, au point d’en oublier toute rigueur et toute équité, qu’avec les antifas dont on peut dire que, plus ils frappent et troublent la République, plus vous les laissez tranquilles ! Le deux poids deux mesures vous est devenu tellement familier que l’exercice d’une autorité impartiale et sollicitée par la seule sauvegarde publique devient quasiment un événement miraculeux ! Ce peuple qui n’est pas favorable à votre cause, qui en majorité considère « que l’immigration a fortement progressé en France en 2021 », qui déplore que « les forces de l’ordre soient toujours plus ciblées » et qui est très critique, voire fortement négatif à votre encontre, sur la lutte contre l’insécurité (sauf pour le terrorisme), comme tout à coup vous le détestez, lui qui n’a pas été ébloui par vos résultats et la faiblesse de votre action régalienne inspirée par un président longtemps indifférent aux angoisses populaires, malgré sa tentative cynique et ostentatoire de rattrapage en fin de parcours (Le FigaroJDD) ! Comme cette majorité de citoyens, dont vous n’avez pas voulu entendre parler sur BFM TV, vous importune dans votre vision hyperbolique d’un mandat dont à l’évidence vous regrettez qu’elle ne soit pas partagée par tous puisque vous allez même jusqu’à prêter à tous les Français, contre l’évidence, la certitude qu’un grand président les a accompagnés durant cinq ans !

Je ne voudrais pas tomber dans votre travers et dénier les quelques avancées dont vous pouvez être fier d’avoir été le responsable. La baisse des atteintes aux biens, un combat modeste mais cohérent et organisé contre le fléau de la drogue, à la source principale de la délinquance et poison qui détruit beaucoup de cités, par la dictature d’une minorité sûre de son impunité, obsédée par ses bénéfices et en marge des valeurs de la démocratie.

Une méchante aigreur

Ce n’est pas rien mais vous me pardonnerez, comme le peuple français, d’attacher plus de gravité aux infractions graves contre les personnes et leur intégrité, contre la police, la multitude des élus, contre tous ceux qui représentent, à quelque niveau que ce soit, la France officielle, une France dont la parole est moquée, méprisée. Mon indignation est d’autant plus vive que votre impuissance est totale malgré vos tweets et votre bonne volonté affichée. Il n’y aurait rien de honteux à défendre avec bonne foi votre bilan – après Christophe Castaner, vous ne pouviez que faire mieux – mais pourquoi, encore une fois, cette arrogance, cette domestication politique de votre liberté, cet oubli de ce que vous étiez en cherchant à nous faire croire qu’Emmanuel Macron était comme le Nicolas Sarkozy de la grande époque, pourquoi, pour en revenir à BFM TV, cette méchante aigreur qui fait qu’on admire moins votre talent et votre dialectique indéniables qu’on n’est effaré par votre manque de tenue médiatique et démocratique ?

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Quelle que soit l’issue de la prochaine joute présidentielle, vous ne serez pas perdu. Vos ambitions seront encore davantage satisfaites ou vous patienterez pour un futur dont vous êtes persuadé qu’il sera, un jour, le vôtre. Sinon, quelle tristesse ce serait de vous être ainsi mis au service de causes différentes, voire contradictoires, avec tant de contorsions qui vous ont conduit à occulter tout le bien que vous pensiez de vous-même, pour presque rien ! Il faut que vous soyez payé pour votre migration de la droite vers je ne sais quoi. Je ne quitterai pas des yeux ni de l’esprit la suite de votre carrière mais puis-je vous faire un aveu : j’aimais beaucoup le Gérald Darmanin de la droite républicaine. De grâce ne faites plus semblant de l’avoir oublié pour vous donner bonne conscience auprès d’Emmanuel Macron depuis 2017. Songez, pour une fois, un peu à vous : vous gagneriez à mettre vos capacités, votre allant et votre intelligence au service de plus de modestie et de moins de révérence présidentielle.

Ce message doux-amer pour vous, entre vague nostalgie et fragile espérance.

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Cinq ans plus tard, les Français ne savent toujours pas ce que pense Macron

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Le président Macron à Brest, le 11 février 2022 © Ludovic Marin/AP/SIPA

Le président équivoque


Emmanuel Macron ne devrait pas tarder à annoncer sa candidature. Examinons succinctement ses forces et ses faiblesses pour juger de ses chances de se faire réélire.

Moi, président…

La première force de Macron réside incontestablement dans son statut de président. Il bénéficiera de la prime au sortant. Macron est celui qui a tenu la barre durant les deux crises des gilets jaunes et du Covid. Aux yeux de beaucoup d’électeurs, cela lui confère une densité politique dont les autres candidats ne peuvent logiquement pas se prévaloir. Cet atout jouera subliminalement sans qu’il ait besoin de le mettre ostensiblement en avant. Au surplus, le taire lui évitera de prêter le flanc aux critiques sur son quinquennat…

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La deuxième force de Macron est son positionnement idéologique au-delà des catégories droite-gauche. Non seulement ce dépassement de la ligne de fracture traditionnelle de la vie politique française l’autorisera à ratisser large, mais surtout à se poser en rassembleur, en « père de la nation » soucieux du bien de tous et en lutte contre les segmentations partisanes. Nul doute qu’il déroulera le récit de sa candidature dans ce registre. Le troisième atout de Macron, enfin, est sa connaissance des codes du libéralisme économique. Il prendra soin de cultiver sa stature d’expert en la matière afin d’apparaître comme le seul à même de pouvoir préserver l’épargne, le patrimoine et le pouvoir d’achat des classes aisées et moyennes. Il sera le candidat du système, celui qui garantit la valeur des placements et qui initiera dans la foulée une courageuse réforme du système de retraites, n’ayant plus rien à perdre pour son dernier mandat – réforme dont dépend la perpétuation de notre régime par répartition. Du moins est-ce ainsi qu’il la présentera. Beaucoup de retraités voteront pour lui, auxquels viendront s’agréger les gagnants de la mondialisation. Enfin, l’état actuel de la gauche et la droite joue en sa faveur : la première est anémiée, la seconde, divisée.

Les Français ont renoncé à chercher à savoir ce que pense réellement leur président, l’homme « à la pensée complexe », au point de douter qu’il ait des convictions

De grandes faiblesses

La première faiblesse de Macron réside dans son image de président des riches. À cette caractéristique sont venus se greffer ses propos blessants qui lui ont aliéné bon nombre d’électeurs des classes modestes et populaires. Il aura du mal à se débarrasser des traits d’homme méprisant aux yeux de certaines couches de l’électorat… Son emblématique « en même temps » constitue le second défaut de sa cuirasse. À force de vouloir contenter tout le monde (le pouvoir algérien, le prurit de repentance du politiquement correct, les harkis, les gardiens de la mémoire de la tragédie de la rue d’Isly, les pieds-noirs), sa ligne politique finit par devenir illisible. Qui est-il ? Celui qui affirme qu’il n’existe pas de culture française, ou bien celui qui célèbre Jeanne d’Arc au Puy du Fou ? Celui qui dénonce les “violences policières” ou celui qui place Darmanin à l’Intérieur ? 

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Les Français ont renoncé à chercher à savoir ce que pense réellement leur président, l’homme « à la pensée complexe », au point de douter qu’il ait des convictions fortes. L’ambiguïté ne fait pas une politique sur le long terme. Il est un libéral-libertaire, tout en ayant commencé sa carrière à gauche pour finir par nommer deux premiers ministres de droite. Ces équivoques finissent par donner le tournis et par prêter le flanc à l’accusation d’insincérité. Macron apparaît comme un homme sans colonne vertébrale idéologique : peut-on se fier à un politicien de ce type ? Ces adversaires ne manqueront pas d’appuyer sur ce point. Autre faiblesse : ne pas s’être emparé à bras-le-corps des questions régaliennes de la sécurité et de l’immigration.  

Où est passée la disruption ?

Enfin, une dernière faille à ne pas négliger réside dans l’éventualité d’un malentendu entre lui et ses électeurs potentiels. Il sera le candidat du statu quo. Les Français chercheront en lui protection et garanties. Or, Macron se rêve en personnage disruptif, transgressif à sa façon. Révolution était le titre de son livre-programme en 2016. Ceux qui avaient été séduits par le candidat “disruptif” de 2017 pourraient ne plus y trouver leur compte. Alors que cette velléité de toujours vouloir faire bouger les lignes peut être mal comprise de ceux qui chercheront stabilité et préservation de leurs acquis en votant pour lui.

Pro ou antivaccination: qui sont les plus fous ?

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Robert Malone D.R.

Où doit-on voir la « psychose collective » que critiquent certains antivax?


Les antivax ont une théorie psychologique expliquant ce qu’ils considèrent comme la folie collective qui pousse le reste de la population à se faire vacciner. Début janvier, Google était submergé de recherches au sujet d’une maladie mentale portant le nom, en anglais, de « Mass Formation Psychosis ». Tout est parti de la conférence d’un chercheur belge postée sur YouTube le 20 octobre. Mattias Desmet, de l’université de Gand, y explique que la docilité des gens face aux mesures sanitaires imposées par l’État serait le résultat de ce qu’il appelle la « mass formation », une pathologie qui plonge l’esprit dans un état proche de l’hypnose où il est plus apte à suivre les tendances de la foule ou à obéir à des ordres. La théorie a été reprise par le docteur Robert Malone, un virologue américain devenu un des chefs de file du mouvement antivax. Se présentant comme l’inventeur de la technologie des vaccins à ARN messager – il se peut bien qu’il y ait contribué –, il prétend que ces vaccins sont une menace pour la santé.

Invité début janvier par Joe Rogan, l’animateur de radio bien à droite, dont la chaîne YouTube a presque 12 millions d’abonnés, Malone cite la théorie de Desmets, en y ajoutant le terme de « psychosis » pour que le caractère pathologique du phénomène soit bien clair. Pourtant, la théorie de Desmets est fondée sur un livre vieux de plus d’un siècle, La Psychologie des foules, de Gustave Le Bon. Les spéculations de Le Bon, qui n’était pas médecin, portent sur le comportement collectif d’une foule dans la rue, pas sur celui d’une masse d’individus habitant un même pays. Twitter a supprimé le compte de Malone, qui comptait près de 500 000 abonnés ; YouTube a supprimé la vidéo de la chaîne de Rogan ; et Google a averti les internautes qui se sont rués sur la définition de la « Mass Formation Psychosis » du peu de fiabilité des informations à ce sujet. De quoi nourrir la paranoïa des antivax quant à des complots ourdis contre eux par les Gafam provaccination.

Pécresse après son meeting: Je n’ai pas le “gène” de l’art oratoire!

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Valérie Pécresse à Paris, 13 février 2022 © Jacques Witt/SIPA

Celle qui s’est présentée devant les militants LR comme une femme “indomptable” n’a pas été capable de dompter le malaise et la gêne qui se sont emparés du Zénith de Paris. Présent dans la salle, Causeur a constaté que Valérie Pécresse, oratrice poussive ne croyant pas à ce qu’elle dit, avait repris pour la première fois l’expression de “grand remplacement” pour ramener au bercail nombre d’électeurs tentés par le vote Zemmour, alors que des cadres fuient vers Macron. Nicolas Sarkozy n’était pas là.


On avait laissé Valérie Pécresse triomphante, en décembre, au lendemain du congrès LR, annoncée comme la seule candidate en mesure de battre Emmanuel Macron au deuxième tour. Deux mois se sont écoulés et le soufflé semble déjà retombé. 

Dans le match à trois que se livrent les candidats de droite, Valérie Pécresse est au coude-à-coude avec ses rivaux Eric Zemmour et Marine Le Pen.  L’hypothèse d’un scenario à la Hamon-Mélenchon 2017 n’est pas nulle : également au coude-à-coude en février 2017 (13% pour le candidat PS, 12% pour le candidat LFI), le plus talentueux des deux avait fini par prendre le large, manquant la qualification au second tour “que” de 600 000 voix, tandis qu’Hamon terminait avec le score de Gaston Defferre en 1969. Imaginer Valérie Pécresse terminer la campagne sur une dynamique à la Benoît Hamon n’est peut-être pas une totale vue de l’esprit. Aussi, pour les caciques de LR, le meeting de dimanche au Zénith de Paris allait être l’occasion de donner un nouveau tournant. Un nouveau tournant, ou peut-être déjà un baroud d’honneur ?

Les cadres tentés par Macron, la base par Zemmour

Au temps béni de la guerre froide et des guerres de décolonisation, une boutade circulait ; on disait que Cuba était le pays le plus dispersé du monde : son armée était en Angola, son gouvernement à Moscou et sa main d’œuvre à Miami. On se demande si Pécresse ne va pas finir la campagne avec la tête du parti partie chez Macron et une base partie chez Zemmour. En haut, les débauchages opérés par la macronie sont quasi-quotidiens : mercredi dernier, c’était le député Eric Woerth ; jeudi, c’était Natacha Bouchart, maire de Calais ; vendredi, c’était Nora Berra, ancienne secrétaire d’État sarkozyste. Vers la droite, l’hémorragie des cadres est pour l’instant mieux maîtrisée. C’est surtout la base qui est séduite par la danse du ventre du candidat “Reconquête”. À la grande époque des alliances RPR-UDF, Charles Pasqua disait : « le RPR amène les électeurs, l’UDF amène les élus » ; aujourd’hui, Macron pique les élus et Zemmour pique les électeurs. Avec une telle dynamique, il était donc grand temps de donner une nouvelle impulsion. Une soixantaine de bus a été affrétée et 6500 supporters ont rempli le Zénith.

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On attendait avec impatience la mue de la candidate. Sans lui demander de devenir Eva Perón à la tribune, il était temps pour la présidente du conseil régional d’Île-de-France de sortir de son image à la fois très « techno » et en même temps très « candidate à la présidence de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public ». Pas question aujourd’hui d’égrener des mesures, il était question de son lien avec les Français, de sa vision de la France. 

Quelques jours avant la grand-messe, Pécresse avait échauffé sa voix et tenté une allusion filée à la saga « Star Wars » : « Il y a La Menace Fantôme. C’est la gauche. Il y a L’Empire Contre-Attaque, c’est Macron. Enfin encore faudrait-il encore que l’empire attaque… Il y a L’Attaque des Clones : Éric Zemmour et Marine Le Pen […] Bon, vous avez compris que moi j’étais Le Retour du Jedi, car je veux faire lever Un Nouvel Espoir ». Pourquoi pas. 

Accusations en islamo-droitisme

Avec Patrick Karam et David Abad en première ligne dans le dispositif Pécresse, les mauvaises langues – parmi lesquelles peut-être les militantes de Nemesis, féministes de droite infiltrées dans la salle qui ont brandi les banderoles « Pécresse islamo-droitarde ? » et « Féministe à la télé. Pro-voile dans les cités » avant d’être expulsées, animant un peu enfin l’après-midi – qui dénoncent les prétendues collisions suspectes de la présidente de région évoqueront peut-être plutôt la revanche des Chiites ! 

Rendez-vous en terre inconnue

Jouant la carte de l’immersion totale, je m’affuble d’un tee-shirt « les jeunes avec Pécresse », ce qui me donne la double impression d’être jeune et d’être avec Pécresse (je vous laisse deviner laquelle est la plus agréable). Le thème était la Nouvelle France.

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Le meeting commence avec des petits messages vidéos des notables et des notoires du parti. À l’applaudimètre, les droitiers Bruno Retailleau,  Laurent Wauquiez et Éric Ciotti (dont l’intervention est a été brillante) raflent la mise. Pas de trace en revanche de Nicolas Sarkozy. Dernier président de droite encore en vie, on dit que celui-ci a du mal à supporter le « melon » de l’actuelle candidate, qui ne passerait « plus sous l’Arc de Triomphe ». On évoque même un possible ralliement à Emmanuel Macron, ce qui symboliquement ferait encore plus mal que les désertions d’Éric Woerth et de la maire de Calais.

C’est l’heure. Valérie Pécresse entre en scène. Puisqu’il n’y aura pas de détails techniques, on ne sait pas comment elle financera les retraites automatiquement supérieures au SMIC et le bonus annuel de 500€ à tous les salariés payés 1400 €. Aujourd’hui, on parle patrie charnelle, et même, pavé de Charolais et verre de rouge. Une jonction gaullo-communiste avec Fabien Roussel est-elle possible ? Surtout, Valérie Pécresse bouscule et ose évoquer le Grand Remplacement. Puis, la voix de la candidate s’éteint et elle bascule dans une longue heure d’introspection : son parcours, ses joies, ses peines, ses coups de chance, les frotteurs rencontrés dans le métro. Pécresse nous a enfin raconté une histoire, son histoire. La petite animation de Nemesis est déjà loin dans les esprits et certains commencent à s’ennuyer. Autour de moi, les rangs se clairsèment. Je n’ai peut-être pas tout de suite pris conscience du désastre : je dois avouer qu’après avoir vu la prestation de Michel Barnier quelques minutes auparavant, celle de Pécresse m’avait paru plutôt bonne.

«Les députés ne connaissent pas plus le prix d’un litre d’essence que celui d’une baguette»

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"Convoi de la liberté", région de Toulouse, 10 février 2022 © FRED SCHEIBER/SIPA

Après « ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche », c’est maintenant « vous trouvez l’essence trop chère, achetez-vous une voiture électrique » !


Causeur. Le prix du plein ne cesse d’augmenter, pourquoi ? 

Benjamin Cuq. À cause de la hausse de la demande. Le pétrole n’était pas cher pour deux raisons : il y en avait plein et peu de gens en avaient besoin. Jusqu’au début des années 2000, le parc automobile était relativement restreint à l’échelle de la Terre. Les ventes de voitures étaient d’environ 50 millions en 2000. Pour 2020, on est à 100 millions. Ces voitures, il faut bien les faire rouler. Il y a beaucoup plus de voitures dans les pays de l’Est, en Inde et surtout en Chine. Il y a quand même 400 millions de Chinois qui ont désormais un niveau de vie comparable à celui des Européens. Comme ils ont une très forte demande d’énergie, et notamment d’essence, ce sont eux qui achètent en premier. La demande étant plus forte que l’offre, le prix de l’essence augmente. On pourrait même dire que quand tous les Chinois auront une voiture, les Européens auront des vélos. On se dirige vers une inversion de civilisation.

Le journaliste Benjamin Cuq D.R.

Sommes-nous totalement dépendants des pays du Golfe ? 

Totalement. Il ne reste que sept raffineries en France. La Chine, comme nous, achète aux pays du Golfe. Nous refusons d’acheter du gaz à  Vladimir Poutine, soit. Mais je ne pense pas que l’on donne de grandes leçons de démocratie à Mohammed Ben Salmane, prince d’Arabie Saoudite ou aux émirs qataris en achetant leur essence. 

La hausse des prix peut-elle s’arrêter ? 

Non, car la demande est supérieure à l’offre. Dans une planète aux ressources finies, l’offre ne pourra pas être éternellement supérieure à la demande. Il n’y aura plus de pétrole tôt ou tard. Attention, je ne parle pas d’un grand d’effondrement, penser que tout va s’arrêter d’un coup est un fantasme. En revanche, tout va augmenter très doucement. Petit à petit, on arrive à des pénuries de matières premières. Les stocks d’or sont déjà limités. On pourra développer un peu le gaz de schiste, comme au Canada, mais ça restera limité. De plus, les États-Unis ont tout intérêt à maintenir un pétrole très cher pour une bonne raison : quand le pétrole saoudien est trop cher, leur propre pétrole est moins cher à extraire. 

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Sommes-nous destinés, à la joie des écolos, à trouver des alternatives au pétrole ? 

Nous n’avons pas le choix. Tôt ou tard, nous allons devenir décroissants. Pour ce qui est de la voiture, nous le sommes déjà. Une voiture essence fabriquée en 2022 consomme environ 30% de moins qu’une voiture fabriquée il y a vingt ans. Pour les constructeurs, l’intérêt est de faire durer leur industrie le plus longtemps possible. Cette conscience qu’il faut faire baisser la consommation n’est donc pas venue des écolos mais des constructeurs. Depuis bien longtemps, l’industrie automobile a compris la nécessité de réduire la consommation des voitures. 

Ça fait vingt ans qu’on nous dit qu’on se dirige vers une société sans voiture et on semble redécouvrir, à chaque hausse du prix de l’essence, que des millions de Français ont besoin de prendre la voiture tous les jours…

Le fantasme des technocrates est que tous les Français pourraient se déplacer autrement qu’en voiture. Mais 80% des Français utilisent leur voiture au moins une fois par jour car ils en ont besoin ! Quand on habite à cinq ou six kilomètres de la première gare et qu’il n’y a pas de transports en commun, on n’a pas le choix. 

Quid de la voiture électrique ? 

C’est un fantasme de riches. Ceux qui gagnent 1200 euros par mois ne peuvent pas s’acheter une voiture électrique car ça coûte 34 000 euros. Et dans une Twingo électrique, quand on a une famille de trois enfants, on ne met pas tout le monde dans la voiture ! Sans compter que ça met beaucoup de temps à se recharger. Mais le vrai scandale, c’est les primes à la conversion. Vous dites à quelqu’un qui gagne moins de 1500 euros par mois qu’il peut récupérer 6000 euros pour l’achat d’une voiture électrique. Sauf que s’il habite à la campagne, sa Twingo ne pose pas de problèmes, les problèmes de pollution et de circulation concernent les villes. Par ailleurs, entre une Twingo qui a été produite il y a 15 ans en France et une Dacia électrique neuve produite en Chine, c’est la Twingo qui est la plus propre. Monter une voiture en Chine pour des livraisons en France, cela fait perdre à ce véhicule son intérêt environnemental.

Quelles sont les solutions à court terme ? Baisser la TVA comme le proposent Anne Hidalgo et Marine Le Pen ? Bloquer les prix comme le propose Mélenchon ? Faire une taxe flottante comme le propose Fabien Roussel ? 

D’une façon générale, il faudrait arrêter de faire des taxes sur les taxes. Une solution très simple serait de passer à des remboursements de TVA pour les gens aux revenus les plus modestes. Si vous faites un plein à 100 euros, il y a environ 75% qui part en taxes. Le blocage de prix, on a vu ce que ça a donné au Venezuela : un mélange de guerre civile à bas bruit et d’hyperinflation. La taxe flottante, c’était ce qu’on avait à l’époque de Lionel Jospin, c’était la meilleure idée qui soit. Plus le prix de l’essence augmente, plus la taxe diminue. C’est la solution la plus juste, finalement. 

De son côté, Éric Zemmour propose de faire rembourser les frais d’essence des salariés par leurs employeurs, qu’en pensez-vous ? 

C’est illusoire, les entreprises n’ont pas à payer les carburants de chacun, ça coûte trop cher. Certes, elles remboursent une partie des pass Navigo à Paris par exemple, mais un pass Navigo coûte 75 euros par mois. Avec 75 euros, vous avez 50 litres d’essence. Imaginez que les patrons donnent 50 litres d’essence tous les mois à chaque employé. On serait dans une économie à la soviétique ! 

On a l’impression que l’essence est particulièrement chère en France. Qu’en est-il par rapport à nos voisins ? 

On a certes beaucoup de taxes, mais au Royaume-Uni l’essence est encore plus chère. Le prix de votre plein en euros, vous le payez en livres. En Italie, c’est à peu près le même prix que chez nous. Si vous allez en Allemagne, en Belgique ou en Espagne, elle est beaucoup moins chère parce qu’elle est moins taxée. On en revient encore aux taxes. Le problème en Allemagne, c’est que le coût de l’énergie est différent. Les Allemands ont des factures d’électricité qui sont énormes. 

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Justement, pourquoi les prix du chauffage augmentent ? 

D’abord, pour les mêmes raisons que celles du prix de l’essence. La demande étant plus forte que l’offre d’un point de vue mondial, les producteurs de gaz augmentent les prix. Ensuite, la privatisation des groupes d’énergie comme Engie favorise l’augmentation des tarifs. Pour verser des dividendes aux actionnaires, vous prélevez sur les clients. L’essentiel de ces privatisations date de la présidence de Sarkozy puis de celle de Hollande. Mais les prix vont continuer à augmenter car les prix du gaz augmentent à l’échelle mondiale. La France s’imagine qu’elle vit dans un îlot où rien ne la concerne mais c’est faux. Nous sommes un des pays qui émet le moins de CO2 par rapport au nombre d’habitants, ceci grâce au nucléaire et grâce à nos petites voitures. Nous n’avons pas à nous culpabiliser. La France, c’est 1% de la population terrestre et 1% des émissions de CO2. La France, c’est 110 grammes de CO2 par habitant. Aux États-Unis, c’est 450. En Allemagne, c’est 150. Il faudrait commencer par demander aux Chinois et aux Américains de faire un effort. 

Qu’en pense l’Union Européenne ? 

L’Union Européenne a obligé les constructeurs à réduire leurs émissions moyennes de CO2. Sauf que les taux à atteindre ont été fixés de façon proportionnelle à chaque constructeur. Un constructeur qui a une moyenne de 110 grammes de CO2 en moyenne doit arriver à une moyenne de 75 grammes à l’horizon 2030. Mais un constructeur qui a une moyenne de 130 doit arriver à 110 grammes à l’horizon 2030. L’Union Européenne demande toujours plus aux constructeurs les plus vertueux. En ce qui concerne l’augmentation du prix des matières premières, elle ne s’en occupe pas. Il faudrait une solution à l’échelle mondiale mais les Chinois ne vont pas baisser leur croissance pour faire plaisir aux Français. 

Les mouvements tels que « le convoi de la liberté » ont donc de beaux jours devant eux ? 

Des gens qui se plaignent du prix de la vie mais qui prennent leur camping-car pour aller manifester à 1000 kilomètres, je ne vois pas vraiment l’intérêt ! Cependant le prix de l’essence va continuer à être un thème politique central, oui. Avant, on payait son plein 60 euros, aujourd’hui, on le paye cent euros alors que la voiture consomme 30% de moins. Cherchez l’erreur ! Il faut quand même prendre ça en considération. L’idée que l’on se dirige vers une société sans voiture est le fantasme d’une élite parisienne déconnectée. Rappelez-vous de Benjamin Griveaux, qui parlait des « gars qui fument des clopes qui roulent au diesel » au moment de la crise des gilets jaunes. Une telle déconnexion des réalités est fascinante. Les députés ne connaissent pas plus le prix d’un litre d’essence que celui d’une baguette et je ne vois venir aucune prise de conscience. Or, 80% des Français vont travailler en voiture tous les jours. L’essence, c’est donc comme le pain autrefois pour beaucoup d’entre eux. Le « ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche », c’est maintenant : « vous trouvez l’essence trop chère, achetez vous une voiture électrique » ! C’est une absurdité totale.

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Massenet résiste à tout, même à une scénographie hors sujet

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© Emilie Brouchon / Opéra national Paris

Manon n’a pas de chance. En mars 2020, après une unique représentation, le confinement a raison du plus célèbre ouvrage lyrique de Massenet, donné à l’Opéra Bastille. Las, nouveau coup du sort en 2022, Joshua Guerrero, qui devait camper le Chevalier des Grieux, s’est chopé le covid. La contagion menace ; le spectacle est repoussé, par deux fois. Manon résiste, quant à elle, chantée à toutes les dates par la fiévreuse soprano américaine Ailyn Pérez. Les remplaçants successifs du ténor américain, Dieu merci, ne sont pas des seconds couteaux : Roberto Alagna, légende vivante quoique plus de toute première jeunesse, avantagé par un costume enfilé maintes fois; le brésilien Atalla Ayan, qui assurait la première, in fine, vendredi dernier ; et surtout, très attendu, pour le coup, sur le plateau de l’Opéra-Bastille pour les  deux dernières représentations ( les 23 et 26 février), le ténor franco-suisse âgé de 26 ans Benjamin Bernheim, au phrasé impeccable et au timbre souverain, et qui triomphe au même moment pour la seconde fois à Bordeaux, dans  le rôle-titre de l’ultime – et sublime –  opéra de Massenet, Werther. Autant dire que le bon Jules est à l’honneur cette année sur la scène lyrique. 

Manon est dans l’air du temps

Sous un titre à rallonge : Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, le texte de l’abbé Prévost (1697-1763), à l’origine enchâssé dans un récit choral, ne constituait que le dernier volume de prétendues Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde, tout à fait fictives. Achevé en 1884 pour l’Opéra-Comique, le Manon de Jules Massenet, juste avant l’apothéose de Werther (créé à Vienne en 1892 mais commencé d’écrire dès 1885), mérite d’être replacé dans la longue suite d’adaptations dont Manon, archétype de la courtisane et fille publique avant la lettre, incarne la fortune inépuisable, dans la lignée d’une Carmen ou d’une Violetta sous le double sceau de Bizet et de Verdi. A l’heure de la « parole libérée », Manon est plus que jamais dans l’air du temps.

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Auber, aujourd’hui plus connu par le nom de sa station de métro que par la survie de ses partitions, s’était déjà fendu d’une transposition lyrique, sur un livret d’Eugène Scribe (encore un nom de rue), en 1856. Massenet, lui, s’assure le concourt des deux librettistes star de l’époque, Henri Meilhac et Philippe Gilles. On doit à ce duo quelques rimes immortelles, du genre : « Autour de moi tout doit fleurir/ Je vais à tout ce qui m’attire/ Et si Manon devait jamais mourir/ Ce serait mes amis dans un éclat de rire »…  En 1892, légitimement soucieux de se démarquer de son prestigieux aîné, le jeune Puccini s’y mettra à son tour, avec un Manon Lescaut, son troisième opéra, œuvre musicalement admirable ; l’excellent Reynaldo Hahn trouvera quant à lui, dans une Manon, fille galante (sic), en 1924, matière à inspiration. Avant que le septième art ne s’empare du sujet outre-Rhin dès 1925, sous l’objectif d’Artur Robison, avec Marlene Dietrich dans le rôle-titre, puis sous les auspices d’Henri-Georges Clouzot en 1948, et enfin par le talent plus daté de Jean Aurel, avec une Manon 70 campée par Catherine Deneuve…  Sans compter, du Japon au Venezuela en passant par les Etats-Unis, cinq ou six autres longs métrages à l’estampille de « Manon » … Fascinante postérité cosmopolite du roman-mémoire le plus universellement célèbre du XVIIIème siècle français !

D.R.

On a longtemps cru Massenet démodé

Massenet, pour en revenir à lui, s’il n’est pas un grand inventeur de formes, reste un mélodiste incomparable. Un temps, la modernité l’avait cru démodé, ne voyant dans sa suavité, dans l’onctuosité sans pareil de ses morceaux de bravoure, que la floraison tardive de l’académisme romantique, sous l’espèce de recettes faciles, propres à un «opéra-de-papa » immanquablement voué à l’oubli. Or tout l’inverse s’est produit : Manon est, par excellence, l’opéra plébiscité par le public.

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Il l’est une nouvelle fois, sans surprise, sous la baguette du jeune chef américain James Gaffigan, dans une mise en scène signée Vincent Huguet, émule de Patrice Chéreau puis de Peter Sellars, à qui l’institution parisienne, on s’en souvient, avait confié le gala célébrant son 350ème anniversaire, en 2018. Certes il ne vient plus à l’idée de personne de défendre mordicus les approches littérales en matière d’opéra. Le parti de transposer l’action dans l’entre-deux guerres soumet néanmoins le livret à une lecture idéologique convenue et quelque peu racoleuse, sacrifiant à des anachronismes entachés de trivialité. Le décor d’ouverture ? Manifestement inspiré par l’architecture du Palais d’Iéna, l’actuel Conseil économique et social construit en 1937 par Auguste Perret, avec ses colonnes en béton, et par l’esthétique du Palais de Tokyo…  L’église Saint-Sulpice du troisième acte s’agrège, plus étrangement, au patrimoine pictural du XIXème siècle, avec les symétriques reproductions XXL, en fond de scène, des deux célèbres toiles de Delacroix, La lutte avec l’ange, et Héliodore chassé du Temple, qui décorent l’édifice de façon beaucoup plus discrète. Pourquoi pas ? Plus discutable encore, l’idée d’annexer Manon à la célébration de Joséphine Baker. N’hésitant pas à incruster, devant le rideau de scène, un interlude musical millésimé 1934 (rien à voir avec Massenet, donc !), sous la signature d’un certain Van Parys pour la composition, morceau exhumé de Zouzou, un film interprété par la nouvelle venue de notre Panthéon. A la limite, l’intention pouvait se comprendre lorsque Manon, il y a deux ans, épousait les traits de l’excellente soprano noire sud-africaine Pretty Yende.  Selon la même logique de mise en abyme, la fête du Cours-la-Reine, agrémentée par les soins de Massenet d’un menuet et d’une gavotte, délicieux pastiches, (premier tableau de l’acte III) se voit, pour le coup, déplacée – à tous les sens du terme –  du côté de Charles de Beistegui, ce roi de la Cafe society qui donnait pour le gratin des bals costumés en son pied-à-terre des Champs-Elysées… En bref, une scénographie à côté de la plaque. Pourtant, Manon est sauvée : par quelques voix d’exception ; par la grâce immarcescible de son écriture.  


Manon. Opéra –comique en cinq actes de Jules Massenet, d’après le roman de l’abbé Prévost. Direction James Garrigan. Mise en scène Vincent Huguet. Alyn Perez (Manon). Atalla Ayan (Grieux) les 14 et 20 février, Benjamin Bernheim (Grieux) les 23 et 26 février.

 Opéra-Bastille. Les 14, 20, 23 et 26 février. Durée du spectacle : 3h50.

Paris à la tronçonneuse

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Anne Hidalgo aux côtés de son premier adjoint Emmanuel Grégoire à l’Hôtel de Ville de Paris, 3 juillet 2020 © Bertrand GUAY / AFP

L’Hôtel de Ville ne ménage pas ses efforts pour « réinventer » Paris et rendre la capitale « plus belle ». Une tentative de destruction justifiée par une « doctrine » municipale délirante. Heureusement, les Parisiens se mobilisent via les réseaux sociaux pour limiter la casse. Dans La Disparition de Paris, Didier Rykner dénonce l’acharnement méthodique contre notre capitale.


Il paraît que c’est à ça qu’on les reconnaît. Anne Hidalgo et son équipe osent donner des leçons de beauté et d’esthétique urbaines. Sans rire, Emmanuel Grégoire, le premier adjoint du maire de la capitale, a présenté à la mi-janvier son « Manifeste pour la beauté de Paris ». Un chef-d’œuvre d’abstraction qui brouille notre compréhension de l’idéologie de la candidate à la présidence de la République. Il s’agit bien d’une idéologie puisque Emmanuel Grégoire parle de « doctrine » lorsque d’autres évoqueraient un programme. À l’entendre, les occupants de l’Hôtel de Ville sont de fervents défenseurs du patrimoine, c’est pour cela que ce manifeste, qui se veut un guide de bonne gestion de l’espace public, fixe « une ligne directrice » pour « protéger le mobilier urbain historique » et « accélérer la transformation » de Paris.

Hormis Hidalgo, qui souhaite la « transformation » de la capitale ? Mais que les sceptiques se rassurent, celle-ci se fera avec « rigueur et amour ». Pour le prouver, le guide-beauté de notre édile nous explique que, grâce à elle, Paris sera « harmonieuse, vivante, audacieuse, bienveillante, végétale, libre et fidèle », que l’espace public sera « utile pour le plus grand nombre » et que son « visage végétal » sera « une réponse à la crise climatique ». Paris connaissant les mêmes menaces que la forêt amazonienne, on ne peut que soutenir cette mesure.

Et parce que les Parisiens sont vraiment des fainéants et des conservateurs patentés, Mme Hidalgo nous promet de « bousculer des décennies et des siècles d’habitude », ceci avec « rigueur, méthode et ambition ».Pour l’ambition, on peut lui faire confiance.

Didier Rykner © Hannah Assouline

Ardent défendeur du patrimoine, le directeur-fondateur de La Tribune de l’Art, Didier Rykner, publie La Disparition de Paris (Les Belles Lettres). Un ouvrage qui recense les scandales et les aberrations de la politique d’Anne Hidalgo qui, même si elle a changé de bureau, est à l’Hôtel de Ville depuis vingt ans.


Causeur. Paris est-elle vraiment amenée à disparaître ?

Didier Rykner. La disparition est à comprendre comme un effacement progressif. Disparition du Paris qu’on aime, du Paris dans lequel j’ai grandi, avec une grammaire urbaine, des monuments magnifiques… « La plus belle ville du monde » n’est pas une expression usurpée. Et cette disparition peut amener à une destruction complète du Paris que nous avons connu. Imaginons cette équipe municipale en place pendant trente ans, et sans aucune opposition : Paris n’existera plus. Si on ne se battait pas, les églises ne seraient pas restaurées, les fontaines ne seraient pas entretenues, le mobilier urbain haussmannien serait supprimé…

C’est pourtant ce Paris que nous aimons et que le monde entier vient visiter !

La municipalité ne prend plus la peine d’employer un langage politique pour exposer son programme. En présentant son « Manifeste pour la beauté de Paris », Emmanuel Grégoire, le premier adjoint d’Anne Hidalgo, a ainsi parlé de « doctrine »

La politique d’Hidalgo est parfaitement idéologique. Mais je n’arrive même pas à savoir à quoi elle répond. Et ce n’est pas une question de droite ou de gauche. Il y a de bons et de mauvais maires de tous bords, mais nous assistons à Paris à autre chose que je ne peux qualifier. On voit bien que c’est doctrinaire puisque leur discours est émaillé d’un vocabulaire qui leur est propre : ils parlent toujours de « réinventer », d’ « inclusif », de « participatif »… Et ils font systématiquement l’inverse de ce qu’ils disent.

Il arrive que les responsables politiques mentent, mais le mensonge n’est-il pas au cœur du discours de la municipalité ?

Je ne sais pas si Hidalgo et ses équipes mentent mais ce qu’ils disent n’est pas la vérité ! Ils racontent n’importe quoi et en permanence. Ils assènent des contrevérités et, quoi qu’il arrive, ce n’est jamais de leur faute. Ils disent l’inverse de ce qu’ils font ou ne répondent pas aux questions qui leur sont posées. C’est étrange, je n’arrive pas à savoir ce qu’ils ont en tête. Je ne comprends pas. On n’a jamais vu une telle idéologie qui aboutit à de telles destructions. Par exemple, ils se prétendent écologistes mais ils coupent des arbres et ne les replantent pas – il suffit de voir les nombreux témoignages sur Twitter ou les photos de Google Earth ; ils nous poussent à faire du vélo, ce qui est très bien, mais de nombreuses pistes sont si mal tracées qu’elles en sont dangereuses… Vraiment, je ne les comprends pas.

Le fameux « Manifeste pour la beauté » d’Anne Hidalgo nous annonce, parmi d’autres pépites, que la capitale sera « harmonieuse, vivante, audacieuse, bienveillante, végétale, libre et fidèle ». Ça veut dire quoi ?

Rien. C’est un bla-bla sans nom ! Et je pense même l’inverse : la ville n’est absolument pas bienveillante. On voit bien que les piétons sont désormais en danger partout face à des vélos et des trottinettes débridés qui brûlent les feux et roulent sur les trottoirs, que les chaussées sont si mal conçues – parce que la Ville fait maintenant des économies sur les géomètres ! – qu’à la moindre averse de grandes flaques d’eau sont infranchissables pour les personnes âgées, les handicapés ou les enfants… Et que dire des obstacles entre lesquels on doit slalomer : mobilier urbain planté en dépit du bon sens, terrasses « éphémères » envahissantes, etc. Où est la bienveillance ?

Grâce aux nombreux articles de La Tribune de l’Art, la municipalité a commencé à s’occuper des fontaines qu’elle laissait à l’abandon.

La Ville a en effet commencé à restaurer et remettre en eau plusieurs fontaines. Mais on est loin du compte ! Cela fait des années qu’on nous promet la restauration de la fontaine des Innocents qui ne cesse de se dégrader. Et l’affaire des fontaines de la porte de La Chapelle est emblématique de la gestion du patrimoine parisien. Ces fontaines des années 1930 ont été supprimées pour laisser place au tramway avec la promesse d’être remontées. Ici comme ailleurs, cette promesse n’est jamais tenue. Mais là, le bâti a été détruit et les mascarons en bronze qui les ornaient ont été remisés. Or, ces mascarons ont été volés – alors que la Mairie disait qu’ils étaient entreposés – et vendus au marché aux puces ! C’est la mobilisation des riverains et la médiatisation de cette affaire qui a permis de les retrouver. Dès le début, la mairie de Paris n’a affiché que mépris, négligeant la valeur artistique de ces mascarons et qualifiant ces fontaines Art déco de « gros blocs de béton ». Quand on voit leur amour du béton pour construire des tours et des pistes cyclables, il y a de quoi sourire. Ces fontaines ne seront donc jamais remontées alors que nous disposons de tous les éléments pour le faire.

Les Parisiens ont mis du temps à se réveiller, mais une véritable opposition populaire se dresse désormais contre cette politique folle.

Dès 2013, j’avais écrit un article intitulé « Le Paris enchanté d’Anne Hidalgo fait froid dans le dos ». Il était précurseur. Aujourd’hui, les réseaux sociaux jouent un rôle très important. Nous étions nombreux à tweeter, depuis des années, mais chacun dans son coin. Nous n’obtenions donc aucun résultat. Et puis un Parisien anonyme a créé le mot-dièse #SaccageParis. Le résultat est extraordinaire : cela fait moins d’un an que ce compte existe et il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait un article ou un reportage sur la saleté ou la désorganisation de Paris. Cela a réussi à fédérer une opposition qui n’est pas une opposition politique et qui, surtout, est amenée à durer. Tant qu’Anne Hidalgo mènera sa politique, la mobilisation continuera. Et vu qu’elle s’entoure de gens comme elle, ou pire qu’elle, #SaccageParis a de beaux jours devant lui. Il est en effet fascinant d’observer son entourage : des gens sectaires, idéologues, qui n’aiment pas ou ne connaissent pas Paris.

Mais ce dont je rêve, c’est que certains de ces gens qui alimentent cette mobilisation se fédèrent autour d’une nouvelle offre pour la capitale. Je ne suis candidat à rien, mais mon livre se conclut sur une série de mesures à prendre (mobilier urbain, propreté, publicités géantes, travaux, circulation, espaces verts…). J’aimerais que naisse un mouvement, non pas politique, mais « pour Paris », qui proposerait une gestion saine de notre ville.

En parlant de « gestion saine », on entend dire depuis un moment que celle-ci est tellement déplorable que Paris devrait être mis sous tutelle.

Selon certaines rumeurs, Bercy a l’intention de laisser passer les élections présidentielles, puis de mettre la capitale sous tutelle. C’est une nécessité en effet.

Il faudrait aussi modifier le mode de scrutin pour passer au suffrage universel direct. Je voudrais voter directement pour le maire de Paris, je ne suis pas citoyen du 14e ou du 2e arrondissement, je suis partout chez moi dans Paris. Arrêtons avec ce vote à l’américaine !

Faut-il s’inquiéter des JO de 2024 ?

Oui. D’abord, parce que l’organisation de cet événement coûte une fortune, même des villes en bonne santé financière mettent des années à s’en remettre, ensuite parce que les JO vont abîmer Paris. On voit déjà que tout est fait en fonction de cette date : le chantier de Notre-Dame, le « réaménagement » du Champ-de-Mars, la probable construction de la tour Triangle… Tous les projets actuels sont menés tambour battant pour être achevés en 2024. Ce n’est pas sérieux. Et puis l’état de la ville est tel qu’on ne pourra pas la métamorphoser d’ici deux ans, je pense donc que nous allons nous ridiculiser aux yeux du monde.

Une bonne interview, normalement, est contradictoire. Or, dans le meilleur des cas, je suis incapable de dire du bien d’Anne Hidalgo et de son entourage. Y aurait-il quand même une action à mentionner en leur faveur ?

Il y a un point moins négatif que les autres : les musées de la Ville. Leurs budgets d’acquisition restent un point noir mais globalement, ces établissements sont bien gérés et offrent de belles expositions. C’est le cas notamment du musée Carnavalet et du Petit Palais.

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L’enfant au fond du puits

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D.R.

Le 5 février, le Maroc apprenait la mort du petit Rayan Oram. Pendant cinq jours, le sort du petit Marocain avait tenu en haleine le monde entier. Un bambin tombé au fond d’un puits, c’est probablement l’histoire parfaite pour des médias carburant à l’émotion. Il est intéressant de revenir sur le premier cas du genre.


Le 1er février 2022, Rayan Oram, un garçon marocain de cinq ans, est tombé dans un puits sec de 32 mètres dans le village d’Ighran, dans la région du Rif, au nord du Maroc. L’exiguïté du puits et la fragilité du sol ont compliqué et retardé les tentatives de sauvetage. Lorsque les sauveteurs ont atteint Rayan cinq jours plus tard, il était déjà mort. La mort de l’enfant a été annoncée par le cabinet royal et le roi Mohammed VI en personne a appelé les parents endeuillés pour leur présenter ses condoléances. 

Pendant cinq jours, le sort de Rayan Oram a tenu en haleine une foule considérable sur place, ainsi que les sociétés marocaine et algérienne. Le dénouement tragique du drame a déclenché une vague d’émotion dans le monde entier, amplifiée par les réseaux sociaux. Cette tragédie – le drame d’une course contre la montre pour sauver un jeune enfant tombé dans un puits, et finalement retrouvé mort – a quelque chose de déjà-vu. Depuis plus de 70 ans, en effet, ces histoires très médiatisées se répètent avec une ressemblance stupéfiante et nous touchent profondément. Un bambin tombé au fond d’un puits, c’est probablement l’histoire parfaite pour des médias carburant à l’émotion. Il est intéressant de revenir sur le premier cas du genre.    

Kathy a disparu

Dans l’après-midi du 8 avril 1949, Kathy Fiscus, âgée de trois ans, sa sœur, Barbara, et son cousin, Gus, courent à travers un champ à quelques dizaines de mètres de la maison familiale dans la banlieue de Los Angeles, à San Marino (près de Pasadena). Non loin de là, une tour de transmission de la KTLA, récemment installée, diffuse des émissions sportives et de variétés aux téléviseurs du bassin de population de Los Angeles. Quatre ans après la fin de la guerre, la télévision est encore très récente. Beaucoup d’Américains ne savent pas trop quoi en penser, et les téléviseurs sont alors relativement rares. Seuls 20 000 habitants environ disposent d’un poste dans la région de Los Angeles et on ne sait pas trop bien ce que ce nouveau média peut offrir de plus que la radio, laquelle trône en majesté dans la plupart des foyers. 

Wikimedia Commons

Alice, la mère de Kathy, travaille à la cuisine quand soudain, elle remarque qu’elle ne voit plus sa fille. Elle part à sa recherche et finit par tomber sur un trou de moins de 50 cm de large, bien dissimulé par l’herbe printanière. Horreur : les cris de Kathy sortent de la bouche sombre, la petite fille a glissé dans cet ancien puits, creusé presque un demi-siècle avant par une compagnie d’eau locale et abandonné depuis sans être ni recouvert ni signalé. Aujourd’hui, 73 ans après les faits, le puits le plus connu des États-Unis est enterré sous le terrain de football de la San Marino High School.

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En quelques heures, ce champ situé à côté de la maison des Fiscus est noir de monde. Secouristes, voisins, forces de l’ordre s’affairent sous les regards d’un nombre croissant de curieux attirés par le drame. Certains spectateurs se mettent à prier. Grues, bulldozers, foreuses et camions arrivent. 

Priorité au direct

Attirés par tant d’activité, des journalistes de la presse écrite mais aussi de télévision et de radio sont également arrivés. Pendant les 24 dernières heures de l’opération de sauvetage (qui dura au total 53 longues heures), la scène est diffusée par KTLA localement et sur les ondes radio de tout le pays, grâce aux tours situées sur la montagne de Saint Gabriel juste au-dessus de San Marino. Le reportage en direct du terrain, en mode « dernière minute  » (« breaking news »), ou « crise en cours » (« developing story ») est né.

Joseph Mazur, professeur émérite de mathématiques au Marlboro College  dans le Vermont (récemment fusionné avec l’Université d’Amherst) qui avait alors sept ans se souvient : « Dans notre appartement du Bronx, au-dessus d’un piano se trouvait une radio Philco en bois qui ressemblait à la maquette d’une cathédrale miniature. Mon frère et moi faisions des cauchemars après avoir écouté les feuilletons “Le Frelon vert” et “Les Mystères d’Inner Sanctum”. Nous apprenions des choses inutiles grâce à “The Answer Man” et riions avec “Amos ‘n’ Andy”, avant que nos parents ne passent sur la fréquence de WNBC pour le “Chesterfield Supper Club Variety Show” avec Perry Como et le Shaffer Orchestra. Mais le jour où la petite Kathy est tombée, ces émissions ont été sans cesse interrompues par les derniers détails concernant l’opération de sauvetage. Pendant deux jours, mes parents sont restés assis près de la radio, attendant une preuve de vie de la fillette. Tous les habitants du quartier ont écouté les émissions minute par minute, priant pour que Kathy s’accroche à la vie. Des milliers de personnes sur le site de l’accident ont prié en regardant les équipes de secours s’efforcer de l’atteindre. Des millions de personnes dans toute l’Amérique, rivées à leurs radios, ont prié. L’effusion de prières a dû être extrêmement réconfortante pour les parents »

Pendant deux jours, la zone autour du puits de Kathy devient le centre du monde. Les pompiers et les policiers sont arrivés les premiers, puis ont fait appel à des équipements lourds et à des ouvriers pour tenter de creuser un passage jusqu’à Kathy. Personne ne savait vraiment comment s’y prendre. Les sauveteurs ont d’abord fait descendre une corde dans le puits, demandant à la fillette de passer le nœud autour de sa taille, mais la tentative a échoué et Kathy est probablement tombée encore plus bas.

Le médecin annonce la terrible nouvelle face aux caméras

Autour du puits, la scène ressemble de plus en plus à un plateau de cinéma. Nous ne sommes pas loin de Hollywood… Des jockeys de l’hippodrome voisin, un contorsionniste de cirque et des enfants maigres se portent volontaires pour aller à sa recherche. Johnny Roventini, la mascotte des cigarettes Phillip Morris, qui mesurait moins d’un mètre vingt, est arrivé sur les lieux vêtu de son uniforme de groom pour proposer ses services. William Deverell, historien et voisin (il habite Pasadena), auteur de Kathy Fiscus : a tragedy that transfoxed the Nation, raconte que « quelqu’un s’est même dit qu’il fallait peut-être aller chercher les acteurs du Magicien d’Oz »… Des milliers de badauds ont afflué, donnant leurs avis et faisant des suggestions, se pressant pour voir quelque chose. Rapidement, des vendeurs parcourent le terrain pour leur proposer nourriture et boissons. À la tombée de la nuit, les studios de la 20th Century Fox allument d’énormes projecteurs pour éclairer le chantier de sauvetage. 

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Klaus Landsberg [1], le directeur de la chaîne KTLA, a donc pris la décision novatrice d’amener une équipe de journalistes sur les lieux mêmes de l’événement, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Deux reporters de KTLA et leur équipe technique trainant derrière eux de longs câbles, se frayent un chemin à travers la foule, et diffusent en direct les images. Une autre chaîne d’information, KTTV, emboite le pas de la KTLA. Près de 30 heures de ce drame ont ainsi été diffusées en direct à la télévision. William Deverell remarque qu’ « une grande partie de la retransmission télévisée se concentre sur le trou, dans l’espoir que [Kathy] surgisse dans les bras d’un sauveteur ».

Devant les caméras, Paul Hanson, le médecin qui avait mis Kathy au monde, annonce finalement que la fillette n’a pas survécu à la chute. Ses mots et sa voix sont restés gravés dans la mémoire collective américaine : « Kathy est morte et apparemment morte depuis qu’on l’a entendue parler pour la dernière fois vendredi. Sa famille en a été informée, et nous vous informons maintenant ». Il a ensuite lu un message de la famille : « Il n’y a rien que nous puissions dire pour pouvoir remercier les nombreuses personnes qui nous ont aidés de manière désintéressée. Beaucoup de ces personnes sont rentrées chez elles pour prendre un repos bien mérité. Nous leur exprimons notre gratitude la plus sincère pour les nombreux sacrifices qu’ils ont consentis et qui dépassent l’entendement. Merci beaucoup ».

Les sauveteurs et presque 10 000 personnes (!) présentes ne peuvent retenir leurs larmes. Fait inédit, les téléspectateurs restés à la maison pleurent de concert, et comme s’ils étaient également présents sur les lieux. D’une manière éclatante, la tragédie des Fiscus vient de révéler le pouvoir d’un nouveau média, la télévision, laquelle offre une capacité inégalée – et insoupçonnée – de transmettre et susciter des émotions. Pendant plus de deux jours, les habitants de Los Angeles étaient rivés devant leur poste, chez des voisins s’ils n’étaient pas équipés, ou devant les vitrines des grands magasins remplies de téléviseurs… Selon Deverell, « après cet événement, le nombre de téléviseurs vendus dans l’agglomération de Los Angeles a explosé »

Adapté au cinéma

Des milliers de femmes, enceintes ou qui souhaitaient l’être, ont écrit à la mère de Kathy après le drame pour lui dire que si elles avaient une petite fille, elles l’appelleraient Kathy. Beaucoup ont tenu parole, et le nombre de bébés prénommés Kathy est monté en flèche dans les années 1950. 

En 1951 sort sur les écrans “le Gouffre aux chimères” de Billy Wilder, avec Kirk Douglas dans le rôle d’un journaliste relançant sa carrière grâce à une tragédie directement inspirée de l’histoire de la petite Kathy. Près de 40 ans plus tard, l’histoire de Kathy a été rappelée lors du sauvetage réussi de Jessica McClure, tombée dans un puits au Texas, en 1987. La même année, Woody Allen a également romancé la tragédie de Kathy dans son film “Radio Days” dont l’action a lieu dans les années 40. Dans ce film, une petite fille nommée Polly Phelps tombe dans un puits près de Stroudsburg en Pennsylvanie et l’affaire occupe la chronique nationale – le personnage de Polly, comme Kathy, ne survit pas. Lorsque ce film de Woody Allen sort, la couverture de l’actualité en direct par la télévision est depuis longtemps la nouvelle norme en Amérique. 20 ans seulement après la chute de Kathy, ce sont des millions de téléspectateurs américains – et un total estimé de 600 millions sur la planète – qui se sont branchés devant leur poste pour communier et voir un homme faire les premiers pas sur la Lune en 1969. 


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[1] Klaus Landsberg (1916 – 1956) était un ingénieur électricien allemand pionnier de la télévision. En 1936, il est appelé à participer à la retransmission historique des Jeux olympiques de Berlin. D’origine juive, Landsberg quitte l’Allemagne en 1937 pour échapper aux Nazis et consacre sa vie au développement des premières chaines TV des Etats-Unis. 

Le boycott politique d’un évènement sportif: l’arme des faibles?

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Pékin, 4 février 2022 © Alexei Druzhinin/TASS/Sipa USA/SIPA

États-Unis, Grande-Bretagne, Canada et Australie boycottent les cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux Olympiques en Chine. La France a décidé de « suivre la ligne de l’Union européenne » c’est à dire pas de boycott, mais une présence raisonnable.


Les Jeux Olympiques d’Hiver de Pékin ont donc été inaugurés le 4 février en l’absence notable des politiques occidentaux, à commencer par les Etats-Unis et ses alliés.

L’absence de Joe Biden, de Boris Johnson, ou d’Emmanuel Macron n’y changera rien : la plupart des pays du monde verront bien leurs athlètes concourir, et la course aux médailles restera bien une compétition sportive et non politique ! Alors, pourquoi sans cesse invoquer ce cache sexe du boycott politique des JO ? Pourquoi slalomons-nous en permanence en Occident entre nos positions politiques et nos choix économiques ?

Schizophrénie occidentale

La présence de Vladimir Poutine a été raillée, lui qui est venu soutenir son allié géopolitique chinois, lui qui sait quelque chose du boycott après les menaces britanniques et polonaises de 2018 à l’approche de la Coupe du monde de football.

À quoi bon tout ce barnum et ces effets de manche à géométrie variable ? Car au fond, on proteste dans un cadre sportif, mais que ferait économiquement l’Occident sans la Chine qu’il prend un malin plaisir à critiquer constamment ? Ne pourrait-on pas plutôt continuer à protester via les chancelleries et dans le cadre du multilatéralisme ou du bilatéralisme, plutôt que de punir indirectement les délégations sportives ? Et pourquoi ne pas plutôt se préoccuper au plus vite de notre dépendance à ce pays, plutôt que de rendre toujours autrui responsable de notre propre faiblesse économique, de nos démissions ?

Sans pour autant nier les atteintes frappantes aux droits de l’homme, le boycott politique dont fait l’objet la Chine, et qui avait été annoncé depuis longtemps, est à relativiser tant les positions occidentales nous semblent schizophrènes. On peut manifester contre une situation politique donnée, contre une crise, le risque d’une guerre, l’oppression d’une minorité, mais dans un contexte global de radicalisation du monde, l’ilot occidental de paix et de « liberté » qu’est l’Europe peut-il continuer à ce point de se gausser de ses atouts alors qu’une bonne part du vieux contient, à l’est, bascule déjà du côté anti-européen et antidémocratique de la force ? Les Jeux Olympiques et les manifestations culturelles ne sont-ils pas en réalité l’occasion la plus lâche pour s’insurger contre des pays organisateurs et faire passer un message au détriment de sportifs qui n’ont rien demandé ? C’est parfois à croire que tous les pays qui décrochent l’organisation de tels évènements à retentissement mondial ont acheté les instances sportives mondiales, alors que ces dernières ont justement sélectionné les candidatures, et opté pour ce qu’elles considéraient être à l’instant T le meilleur choix à faire ! Oui, tout cela parait assez farfelu, et aussi totalement lâche…

On nous rebat les oreilles avec les craintes d’une nouvelle guerre froide, de troisième Guerre Mondiale à venir, mais l’on ne sait pas mettre entre parenthèses quelques instants la realpolitik. Si le sport est éminemment politique aujourd’hui, il demeure aussi le dernier instrument pour rassembler, fédérer des millions d’êtres humains, et oublier un temps les crispations géopolitiques. Les Jeux Olympiques de Pékin et la Coupe du Monde à venir sont une bulle d’air bienvenue, après deux ans d’asphyxie. Et il y a bien d’autres moyens pour faire passer un message, sanctionner un pays ou condamner sa politique que le boycott des compétitions sportives.

La Chine mal vue depuis le Covid

La Chine est au cœur de nos attentions depuis le déclenchement du Covid-19. La politique chinoise est désormais indissociable de la pandémie, à commencer par les mensonges institutionnalisés et on le sait tous. Mais n’oublions pas que cela fait des années que nous nous jetons dans les bras de Pékin, en commençant par le choix économique totalement suicidaire de notre désindustrialisation totale.

Le president chinois Xi Jinping dans la ville de Wuhan le 10 mars 2020 © CHINE NOUVELLE/SIPA Numéro de reportage : 00949247_000014

Les Ouïgours pèsent donc bien peu face à notre dépendance. On critique la Chine, mais on se rend compte à quel point on ne peut plus rien faire sans elle aujourd’hui. Par culpabilité, on s’agite tel un épouvantail pour protester contre les JO d’hiver. Cela semble bien ridicule, c’est l’aveu d’un échec occidental. La Russie n’est pas non plus aimée, et ce de nous tous, depuis 1991. Elle a non seulement été humiliée, mais isolée. On sait ce que l’histoire fait des pays frustrés et humiliés. Moscou se rapproche donc de Pékin par solidarité, face à l’attitude moralisatrice et autocentrée occidentale.

Il serait bon de retrouver une dynamique qui ne crée par perpétuellement des humiliants et des humiliés, des vainqueurs et des vaincus. D’autant que si l’Occident avait actuellement l’ascendant, ça se saurait. Les valeurs qu’il défend se réduisent en réalité comme peau de chagrin sur le globe. C’est fort regrettable, mais c’est ainsi et c’est aussi sûrement le signe que quelque chose ne fonctionne pas ou ne fonctionne plus chez nous. Ce boycott de deux journées dans un évènement sportif mondial est assurément l’arme des faibles du multilatéralisme.