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Discours de réception de Thomas Morales à l’Académie française

Quand le Covid-19 offre la plus folle opportunité


Discours de réception de Thomas Morales à l’Académie française
George Kourounis / Unsplash

Le confinement berrichon commence à perturber très sérieusement notre chroniqueur


M. Thomas Morales, ayant été élu par l’Académie française par tirage au sort, le jeudi 18 avril 2030 a prononcé le discours suivant par Skype :

Messieurs,

J’ai bien conscience que, sans les circonstances exceptionnelles de cette longue crise sanitaire, dix ans déjà, et ce mode de scrutin pour le moins original, mes chances d’être accueilli parmi vous, dans cette auguste assemblée qui a vu s’asseoir tant de grands noms au fil des siècles, auraient relevé du miracle. 

Ni mes diplômes, ni mon œuvre littéraire m’auraient ouvert les portes de l’Institut de France avant les récents changements institutionnels. Là, au pied des boîtes de bouquinistes, sur les quais de Seine, où j’ai évité, à de multiples reprises par le passé de signer des pétitions tendues par de jeunes femmes à l’insistance persuasive et à la mise folklorique, quand la liberté de circuler était garantie par la Constitution. C’était, il y a si longtemps, je m’en souviens à peine. 

La dernière librairie vient de fermer

Les mystères de cette loterie organisée par le Ministère de la Culture afin de régénérer les forces culturelles de notre pays me font pénétrer aujourd’hui dans l’immortalité, ce qui ne me semble guère compatible avec mon hypocondrie et la prolifération des virus. Moi, qui ne suis pas croyant et qui n’ai jamais rien gagné de ma vie, pas même un filet garni aux rifles de mon village berrichon, je suis ému, je pense à mes parents qui ne donnaient pas cher de ma peau, au vu de mon parcours scolaire chaotique et de mon caractère réfractaire. Je n’ai jamais eu l’esprit de groupe ce qui a bloqué considérablement ma carrière à des postes subalternes et poussiéreux. Et me voilà, à cinquante-cinq ans, membre de votre troupe ou plutôt de votre « team » comme le stipule le site internet de cette vénérable institution. Conformément aux nouvelles règles de distanciation sociale, j’aurais la charge prestigieuse de travailler au catalogue digital des émoticônes et ce, de mon domicile. Les dictionnaires papier ayant été abolis par décret en 2023 et la dernière librairie parisienne venant de fermer cet hiver… Son propriétaire a été délogé par l’intervention coordonnée de deux compagnies de drones. Poète, le ministre de l’Intérieur a parlé d’un ballet aérien, d’une nuée salvatrice qui garantit « notre vivre ensemble à distance ». 

Une grande fierté

Les statuts de l’Académie, sur avis du Conseil Représentatif des Écrivains (CRE), syndicat majoritaire, ont évolué en profondeur. La profession d’auteur répond désormais au Code Éthique et Numérique du Télétravail Intellectuel Précaire (CENTIP). J’ai donc reçu ma nomination par SMS, comme les 800 autres immortels de la promotion « printemps 2030 », ce qui porte le nombre d’académiciens à 12 300. Même si je ne suis pas le seul récipiendaire du jour, je suis quand même fier, j’y suis enfin arrivé. Afin d’entériner cette nomination, il me suffisait de renvoyer, par mail, le formulaire B112-C-111 déjà prérempli par l’administration. Le protocole du discours de réception est dorénavant facultatif comme la pompe de l’épée et du bicorne en séance publique. La notion même de « publique » n’existe plus dans le langage courant. Tous les Européens sont confinés à résidence, seule la Compagnie des Livreurs Réunis (CLR) a l’autorisation de se déplacer dans les villes. 

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J’aurais tant voulu rendre hommage aux académiciens qui m’ont influencé, je pense à Félicien Marceau qui, dans son discours du jeudi 9 décembre 1976 avait prononcé ces mots : « Même dans le silence de mon bureau, je savais déjà, je pressentais qu’en ce moment j’aurais la gorge serrée. Ce n’est pas la meilleure disposition pour l’éloquence ». La distanciation est une aubaine pour les timides ou les piètres orateurs. Tous les espaces pouvant accueillir plus de trois personnes (cinéma, théâtre, salle de concert, etc..) n’existent plus depuis l’élection présidentielle de 2022. Certains militent même pour leur destruction physique, le Président n’a pas encore tranché cette question. 

Même si mon élection est le fruit du hasard, je veux croire que l’Académie, par travers les âges a reconnu mon action en faveur d’une littérature engagée et humaniste. Qu’elle s’est rappelée mes éloges répétés aux grands penseurs des temps anciens (Max Pécas, Jean Carmet, Dario Moreno, Martine Carol, etc..) mais aussi ma défense du fromage de tête et de la triperie française, sans oublier mon attachement à la Peugeot 104 GL et à la Matra Rancho. Tous ce qui a nourri mon imaginaire avant le Covid-19.




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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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