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Pascal Praud: l’homme qui cause du peuple

Le pro du peuple


Pascal Praud: l’homme qui cause du peuple
Pascal Praud sur le plateau de CNews © Stephane Grangier

Si Jean-Pierre Pernaut défendait une France d’Épinal, Praud est le porte-voix des sans-voix, d’où l’étiquette de populiste dont on le gratifie. Dans un paysage journalistique des plus mous, son style flamboyant détonne.


Tout au long de l’histoire, on a connu des personnages qui incarnaient un principe ou un mouvement, concentrant en eux-mêmes l’ensemble de ses caractères distinctifs et lui donnant ainsi un visage reconnaissable. C’est ainsi que Louis XIV incarne la monarchie absolue, Voltaire l’esprit des Lumières, Jaurès le socialisme, De Gaulle une certaine idée de la France, et Denoix de Saint-Marc, une certaine vision de l’honneur. Toutes choses égales par ailleurs, on pourrait dire de Pascal Praud qu’il incarne le populisme à la française.

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Un populisme qui ne se ramène évidemment pas, comme le rappelle le sociologue allemand Jan-Werner Müller (1), à « une offre politique sursimplifiée » ou à « une affaire de ploucs paranoïaques et antimodernes », ainsi que le prétendent ceux qui emploient ce terme pour disqualifier leurs adversaires de droite ou de gauche ; un populisme qui, envisagé avec une distance suffisante, pourrait se résumer à l’affirmation de la supériorité intrinsèque du peuple et de son droit à en tirer toutes les conséquences. En particulier, son droit à l’existence, celui qu’évoquait Philippe de Villiers en octobre 2018 (mais sur BFM-TV…), lorsqu’il définissait le populisme comme « le cri des peuples qui ne veulent pas mourir ».

Si Pascal Praud incarne effectivement cette idée populiste – comme le pensent aussi bien ceux qui s’y reconnaissent et l’applaudissent, que ceux qui la détestent, et lui avec –, c’est parce que l’animateur vedette de CNews montre chaque soir aux spectateurs de « L’heure des pros » qu’il en adopte à la fois la manière d’être et la façon de penser : le style et les convictions.

Le style, c’est le peuple

Le style de Pascal Praud a été, non pas simplement marqué, mais littéralement forgé par le football, pour lequel le Nantais, né en 1964, se passionne dès l’enfance et dont il fera sa profession au sortir de l’école de journalisme en intégrant en 1988 l’équipe de « Téléfoot » aux côtés du tonitruant Thierry Roland. Or, si le foot, sport populaire par excellence, ne saurait être considéré en soi comme populiste, le fait est qu’il existe entre football et populisme des connexions innombrables et que l’on ne rencontre dans aucun autre sport – y compris au plus haut niveau, nombre de leaders populistes, de Silvio Berlusconi à Matteo Salvini ou à Bernard Tapie, ayant compris que le foot pouvait être pour leurs ambitions politiques un tremplin à nul autre pareil. Le populiste plaît au peuple, non parce qu’il le flatte, comme le ferait un simple démagogue, mais parce qu’il lui ressemble. Parce qu’il a les mêmes goûts, qu’il ressent les mêmes émotions et qu’il applaudit aux mêmes choses, celles qu’en revanche l’« élite » méprise – même lorsqu’elle prétend le contraire et qu’elle consent à assister aux matchs à condition d’aller boire du champagne dans les salons VIP des grands stades.

Contre cette soi-disant élite socioculturelle qui privilégie le feutré, le chuchotement, l’understatement et la discrétion, Pascal Praud, lui, n’hésite pas à choisir le bruyant et le voyant. Dans sa façon de s’exprimer, il use d’un langage parfois excessivement châtié, certains diront affecté ou « grandiloquent », et d’une prononciation soignée, malgré l’infime cheveu sur la langue dont Laurent Gerra, sur RTL, s’est amusé à faire une montagne. Il est vrai que le populiste moderne, contrairement à ses prédécesseurs, estime que la meilleure manière de faire peuple est de montrer à celui-ci qu’on le respecte, et pour cela, que l’on prend soin de son apparence, quitte à adopter une élégance presque exagérée : telle est en effet la mise adoptée par Pascal Praud, même si dans sa garde-robe les chemises violette ou saumon, les vestes parme ou les écharpes abricot du temps de « Téléfoot » semblent avoir fait place aux costumes blancs ou rayés, aux cravates rutilantes et aux lunettes de couleur vive. On ne sait pas s’il possède une Rolex, mais il mériterait d’en avoir une. Dorée si possible.

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Autre caractéristique du populisme, à l’opposé là encore de la contenance aristocratique de l’impassibilité bourgeoise, le comportement de Pascal Praud. Même lorsqu’il est supposé jouer les modérateurs, le journaliste s’abandonne volontiers à ce que Grégoire Kauffmann appelle une « rhétorique émotive ». Qu’il s’agisse d’une finale de coupe d’Europe, d’un professeur décapité ou du « scandale des procès-verbaux de stationnement au début du déconfinement », Praud paraît toujours vivre l’événement en direct, avec ses tripes. Il a l’émerveillement comme l’indignation faciles, mais manifestement sincères, capable de passer sans transition de l’enthousiasme immodéré à la colère noire, du rond de jambe au coup de sang, et vice versa. Contrairement à certains de ses confrères qui semblent s’ennuyer ferme en faisant leur travail, Pascal Praud donne le sentiment de ne pas connaître l’indifférence. Et à cet égard, d’être au fond « très peuple », en même temps que « très français », y compris dans sa capacité d’étonnement, son côté soupe au lait, sentimental, colérique, impulsif, galant, râleur et hâbleur, son apparence de naïveté et sa façon un peu théâtrale de se moquer du « comme il faut ». Le personnage, car c’en est un, semble prendre plaisir – et en donner à ceux qui le regardent – à franchir les lignes, à démontrer que le spectacle est dans la salle et que la surprise est toujours possible.

La politique du bon sens

Mais chez le populiste en général, et chez Pascal Praud en particulier, la propension à contester les règles, à protester contre un certain ordre établi, ne débouche en aucun cas sur une posture libertaire ou anarchiste, bien au contraire. Car si le populiste s’insurge, et si Praud fait de même, c’est exclusivement contre ce qui lui semble contraire au « bon sens » : critère indépassable du bien et du mal, ultime boussole dans l’ordre politique, que Praud, on a pu le constater pendant l’année du Covid ou durant le feuilleton à épisodes des Gilets jaunes, n’a pas hésité à opposer aux arguties des experts et aux démonstrations indécidables des scientifiques officiels.

Là encore, c’est justement cela qui suscitera l’adhésion des uns, l’irritation ou le persiflage des autres : de ceux qui lui lancent au visage le terme « populiste » comme s’il s’agissait d’une injure ou d’un crachat, tout en ricanant de cette volonté éperdue de se réclamer du bon sens. Ou plutôt, de ce qu’eux-mêmes appellent plus volontiers le « gros bon sens », qu’ils rapprochent systématiquement des « gros sabots », des « grosses ficelles », des « gros mots » et des « gros rires », l’adjectif soulignant la grossièreté de la démarche et par là même, la démarcation entre un Praud-tête de Turc censée cumuler toutes ces tares (sans parler des autres) et ceux qui se situent de l’autre côté de l’échiquier politique, idéologique et culturel. À gauche, du côté des gens cultivés, des sachants, des instruits, de ceux qui ont compris que le recours au « bon sens populaire » dissimulait en réalité une haine plébéienne et compulsive de la Raison, de la Science, des Lumières, et pourquoi pas des droits de l’homme (et de la femme) pendant qu’on y est, ainsi qu’une tolérance coupable à l’égard des franges les plus nauséabondes de la droite. Ces franges dont Pascal Praud – mais est-ce véritablement un hasard sur une chaîne que certains comparent à Fox News ? – ose inviter des représentants aussi caractéristiques (et inadmissibles) qu’Ivan Rioufol, Gilbert Collard, Gilles-William Goldnadel ou Élisabeth Lévy.

Pascal Praud interroge Zinédine Zidane à l’issue du match de préparation France-Finlande avant la Coupe du monde 1998 © SUREAU/TF1/SIPA

Pourtant, chez Praud, ce « gros bon sens » se traduit également par une méfiance, très populaire là encore, à l’égard des extrêmes et des marginalités. Le peuple n’a jamais suivi (sinon très brièvement) les délirants, les poseurs de bombes ou les révolutionnaires les plus exaltés, nihilistes ou sans-culottes. Ce qu’il recherche d’abord, c’est son propre bien, c’est-à-dire l’ordre, la paix, la sécurité et la tranquillité. Et donc, l’autorité, sans laquelle tout cela ne pourrait exister. Le « gros bon sens » sait parfaitement qu’elle est indispensable à la vie en société, de même qu’il comprend qu’elle doit savoir faire usage de la force, ne pas se montrer indécise, falote, faible ou peureuse – au même titre qu’une équipe engagée sur un terrain de football, du reste.

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À la toute fin du xixe siècle, dans Les Déracinés, Maurice Barrès, autre précurseur incontestable du populisme, mettait en scène un gamin des faubourgs qui déclarait que « la France est poignarde ». Autrement dit, qu’elle (c’est-à-dire le peuple) aime et exige un pouvoir qui a de la poigne. Et qui est résolu à en faire usage lorsque c’est nécessaire, quand on l’attaque. Tel est le peuple. D’où, la stupéfaction manifeste de Pascal Praud face à ceux qui s’indignent que le pouvoir élu réagisse à la violence par la violence – et par exemple du fait que certains puissent s’émouvoir de la comparution immédiate et des quatre mois de prison ferme infligés au jeune homme coupable d’avoir giflé le président de la République. Pour Praud, ça ne se fait pas, et le trublion n’a eu que ce qu’il méritait – quand bien même le journaliste reconnaît par ailleurs qu’Emmanuel Macron lui fait irrésistiblement penser au Julien Sorel du Rouge et le Noir, l’une des pires têtes à claques de toute la littérature française.

Pour autant, ce même bon sens populaire assumé par Pascal Praud n’implique, on l’a dit, ni conformisme béat ni légalisme aveugle : le même sentiment qui conduit à approuver la sanction infligée à celui qui bafoue l’autorité justifie symétriquement une attitude très critique à l’égard de toute politique allant en sens inverse. Autrement dit, à l’encontre des intérêts du peuple dont le bon sens (toujours lui) indique qu’il est la finalité même de l’État. Sur ce plan, quitte à faire grincer des dents, on pourrait en conclure que le populisme retrouve spontanément l’enseignement de la philosophie classique et Pascal Praud, quoi qu’en disent ses détracteurs, les leçons d’Aristote sur le bien commun et la légitimité.

D’où l’intérêt du personnage et la nécessité d’être attentif à celui qui pourrait être, malgré les outrances et les bouffonneries que certains lui reprochent, quelque chose comme l’arbitre des élégances démocratiques de la future élection présidentielle.


(1). Les références citées ont été tirées pour l’essentiel de O. Dard, C. Boutin et F. Rouvillois, Dictionnaire des populismes, Le Cerf, 2019.

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Article extrait du Magazine Causeur




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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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