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«État français assassin»: cette jeunesse corse en plein délire

La Corse est une île trop belle et la plupart de ses habitants des citoyens trop estimables pour qu’on ne se soucie pas d’elle et d’eux.


Les manifestations violentes, des blessés dont 23 CRS, le tribunal d’Ajaccio incendié, ne cessent d’exprimer, sur un mode inadmissible, la colère corse à la suite de l’agression d’Yvan Colonna – toujours entre la vie et la mort – par un djihadiste laissé seul avec lui dans la salle de musculation de la prison d’Arles. Le forcené était pourtant connu pour de multiples et violents incidents. Il a affirmé avoir commis cet acte à la suite « d’un blasphème », car sa victime aurait « mal parlé du Prophète ». Cette tentative d’assassinat a duré huit minutes et il a fallu encore quatre minutes pour qu’on porte secours à Yvan Colonna dont le comportement en prison avait toujours été irréprochable. Ce crime ne révèle, je l’espère, qu’un scandaleux dysfonctionnement pénitentiaire.

Fiasco pénitencier

Pourquoi demander à nos amis corses de cesser ces débordements qui durent trop ou au moins d’influencer favorablement ceux qui les commettent ? D’abord parce que ce drame ne concerne pas que les Corses mais l’ensemble de la communauté nationale qui s’est indignée face à ce lamentable fiasco. Cet épisode dont l’issue laisse encore place à un peu d’espoir est totalement indépendant du processus judiciaire qui a abouti à la condamnation lourde et justifiée des assassins du préfet Érignac. Se pencher aujourd’hui sur le sort d’Yvan Colonna n’est absolument pas oublier les faits sur lesquels l’amont judiciaire avait tranché.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli : Yvan Colonna: l’affaire se corse

Une information a été ouverte pour déterminer comment une telle agression avait pu être perpétrée en prison, de la part d’un individu qui aurait dû appeler une vigilance toute particulière. Sans compter que le statut de « détenu particulièrement signalé » de Colonna aurait dû renforcer cette exigence. Une commission d’enquête parlementaire ajoutera ses investigations et son contrôle à cette procédure judiciaire. On ne peut donc pas soutenir que ce désastre pénitentiaire ait été pris à la légère. Bien au contraire.

Vers l’apaisement

Le Premier ministre a levé le statut de DPS de Colonna. La responsabilité lui en incombait puisque les possibles conflits d’intérêt du garde des Sceaux avaient imposé ce déport. J’espère que cette mesure enfin prise n’apparaîtra pas saumâtre si son bénéficiaire n’est plus là pour en jouir.

Il me semble par ailleurs que l’incarcération sur le continent a assez duré. On pourrait accepter la demande de rapprochement d’avec la Corse sur le plan pénitentiaire. Cette évolution qui ira dans le sens d’un apaisement imposera aussi que les Corses en colère et en illégalité s’engagent à un retour à la tranquillité.

Sur ce plan le délire d’une certaine jeunesse corse qui s’obstine dans le désordre et les violences – « Etat français assassin » – est aux antipodes de la sérénité qu’imposerait la gestion enfin équitable du traitement pénitentiaire des condamnés corses. Pour être jeune, on a le droit d’être intelligent !

On a parfaitement compris le message depuis quelques jours. Rien ne serait pire, pour leur cause partagée en l’occurrence par beaucoup, que la continuation d’un désordre violent devenu inutile, d’une fureur sans objet. Amis corses, ne nous rendez pas la tolérance trop difficile.

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Guerre en Ukraine: la phase de l’endurance

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La crise est devenue un marathon. Qui va craquer le premier ?


La guerre en Ukraine entre déjà dans sa troisième semaine. Or, si concernant les précédents conflits dans cette région, on parlait du général Hiver, aujourd’hui, il faut parler des deux autres : les généraux Horloge et Calendrier. La question est maintenant l’endurance. Par ailleurs, nous disposons enfin d’informations concernant la Chine et la manière dont ses dirigeants voient la situation. 

Après que l’armée russe ait engagé la quasi-totalité des forces qu’elle avait concentrées près de l’Ukraine à la veille de la guerre, le rapport de force purement numérique entre armées russe et ukrainienne n’est pas particulièrement en faveur des Russes. Ce fait est probablement l’une des raisons expliquant la lenteur de l’avancée russe sur tous les fronts.

Pause tactique, beaucoup de pertes humaines

Selon les informations disponibles, ces derniers jours, les Russes n’avancent presque plus. Il semblerait qu’ils consacrent de plus en plus de moyens à la sécurisation de leurs lignes de communication et plus généralement à l’amélioration des performances de leurs échelons logistiques. Il s’agit donc, en toute probabilité, d’une « pause » tactique imposée aux Russes par le déroulement inattendu des opérations (de leur point de vue). Rien ne corrobore en revanche la thèse selon laquelle l’opération russe se déroule en général comme prévue ou que son rythme indique une volonté d’épargner les vies et les infrastructures ukrainiennes.

Quant aux pertes, les chiffres ukrainiens (12 000 soldats russes morts au combat) semblent largement exagérés et l’information publiée par l’Etat-major russe (plusieurs centaines de morts) parait elle aussi très peu fiable. Les Britanniques et les Américains avancent le chiffre de 5000 ou 6000 morts côté russe, et d’à peu près la moitié côté ukrainien. C’est beaucoup (les guerres en Afghanistan ont couté à l’armée rouge 26 000 hommes en dix ans et à la coalition menée par les États-Unis 3 500 morts en vingt ans), mais pour le moment ces pertes n’affectent qu’à la marge la capacité des deux armées à se battre. En revanche, les pertes russes pourraient avoir un effet sur l’opinion publique dans ce pays un peu plus tard et avec des conséquences qu’il est impossible à prévoir.

Une guerre qui pourrait durer

Le Pentagone a annoncé le déploiement des deux batteries sol-air Patriot à Rzeszów, ville située à l’est de la Pologne, non loin de la frontière ukrainienne, sur la route reliant Lviv. L’aéroport de cette ville polonaise joue un rôle important dans l’effort de l’OTAN pour aider l’armée ukrainienne. Et les photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux nous apprennent que des armes inconnues précédemment dans l’arsenal ukrainien – notamment des missiles anti-char – font leur apparition sur le champ de bataille. De ce côté-là, la logistique a l’air de marcher.

À lire aussi, du même auteur: Et si le tsar était nu?

L’Ukraine ne s’est pas écroulée. Ses forces armées résistent si bien qu’elles ont déjà imposé aux Russes une autre guerre, très différente de celle qu’ils avaient planifiée. Mais les forces ukrainiennes font face à une pression énorme, les troupes sont fatiguées, il n’y pas de réserves et les problèmes de logistique s’aggravent.

Quant aux Russes, le temps presse. Malgré leur indéniable supériorité globale, cette guerre traîne en longueur, coûte cher et aspire d’importants moyens humains et logistiques. Politiquement aussi, plus le conflit dure plus l’image de la puissance russe se dégrade et avec elle sa dissuasion conventionnelle. Or, c’est le principal atout de la politique internationale de Moscou. Et justement, c’est sur ce point que les choses se compliquent.

Les Chinois préoccupés

Mardi dernier, William Burns, le directeur de la CIA, a déclaré que le dirigeant chinois Xi Jinping aurait été « déstabilisé » par les difficultés rencontrées par la campagne militaire russe en Ukraine. Selon lui, Xi n’apprécie pas tellement que l’initiative guerrière de Poutine rapproche les États-Unis et les pays européens. « Je pense que le président Xi et les dirigeants chinois sont un peu déstabilisés par ce qu’ils voient en Ukraine », a-t-il déclaré lors d’une audition devant la commission du renseignement du Sénat des Etats-Unis. La CIA croit que les Chinois « n’ont pas anticipé les difficultés importantes que les Russes allaient rencontrer ».

Pékin a certes refusé de condamner l’invasion russe et une porte-parole du gouvernement a même déclaré lundi que l’amitié entre les deux pays restait « solide comme le roc », mais le lendemain mardi, Xi a appelé à la « retenue maximale », qualifiant la crise lors d’un sommet vidéo avec Emmanuel Macron et Olaf Scholz de « profondément préoccupante ».

William Burns a également déclaré devant des élus de la Chambre des représentants que les dirigeants chinois s’inquiétaient que leur association étroite avec le président Poutine ne porte atteinte à la réputation de la Chine. Il a ajouté qu’à Pékin on s’inquiète des conséquences économiques mondiales de la crise et de la tournure des évènements, à un moment où la Chine est déjà confrontée à des taux de croissance annuels plus faibles que par le passé… 

Surprises

Plusieurs questions concernant la Chine restent sans réponses pour le moment et notamment concernant ce qu’a dit exactement Poutine à Xi début février pendant leurs rencontres lors des JO d’hiver ? Lui a-t-il annoncé une action comme celle lancée en Crimée et au Donbass, après les JO de Sotchi en 2014 ? Quelle a alors été la position de Xi ? Et, bien évidement, la grande question qui demeure est de savoir ce que va à présent faire la Chine.

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Pékin va-t-elle jouer le rôle que lui destine la Russie, c’est-à-dire le partenaire commercial et stratégique capable d’atténuer et contourner les sanctions occidentales contre Moscou ? Et si oui, à quel prix ?

Sans donner une réponse satisfaisante, un communiqué de l’agence de presse russe Interfax publié hier permet de mieux comprendre la situation. Selon ce communiqué, Valery Kudinov de la Rosaviatsia chargée du maintien de la navigabilité des avions (c’est l’Agence russe de l’aviation civile), a déclaré que la Chine avait refusé de fournir aux compagnies aériennes russes des pièces de rechange pour leurs appareils. Ce refus intervient à la suite de l’interruption de l’approvisionnement de composants par Boeing et Airbus.

A la liste de plus en plus longue des surprises désagréables de ces deux dernières semaines, il semble donc que Moscou va devoir ajouter le manque d’enthousiasme chinois pour l’aider.  

Tant qu’il y aura des films

Une hôtesse de l’air qui se fout des syndicats, un acteur-monstre qui n’en finit pas de jouer son propre rôle à l’écran et une vache de compétition qui tient la vedette : le cinéma français dans tout son éclat mensuel. « Rien à foutre«  d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, le 2 mars. « Robuste », de Constance Meyer, le 2 mars 2022. « Vedette », de Claudine Bories et Patrice Chagnard, le 30 mars 2022.


À bord

Poids léger (comme l’air)
Rien à foutre, d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre

Sortie le 2 mars 2022

Un film, du moins son idée d’origine, tient à peu de chose. Dans le cas présent, les deux coscénaristes et réalisateurs racontent que tout a démarré avec la vision, sur un vol à bas prix, d’une hôtesse de l’air manifestement déprimée qui retrouva instantanément son plus beau sourire commercial quand retentit la sonnerie lui donnant le feu vert pour proposer aux passagers ses boissons et objets à vendre… Le dedans du spleen, le dehors du travail : ce qu’elle laisse au sol de soucis domestiques ou amoureux, ce qu’elle emporte en vol d’agitation professionnelle. Le film Rien à foutre (magnifique titre !) repose sur ce double mouvement contradictoire et complémentaire à la fois. L’image finalement très quotidienne du privé qu’on se doit de cantonner et de faire taire dans l’arène publique. Le « sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille » quand sonne l’heure du grand ballet de nos vies sociales.  De cette situation de départ minimaliste et banale, Marre (c’est le véritable patronyme de celui qui a coréalisé Rien à foutre, on pourrait croire à la blague de potache et c’est pourtant la stricte vérité de l’état civil qui ne s’invente donc pas !) fait un film qui prend son sujet à bras-le-corps. Ici l’hôtesse de l’air s’appelle Cassandre, laquelle n’annonce rien d’autre que l’avènement d’une jeunesse en proie au doute social et qui semble très bien s’accommoder de la dérégulation sociale tous azimuts.

© Condor Distribution

Déjouant les pièges du « film de métier » qui ressemble plus à une fiche de Pôle Emploi qu’à une œuvre de cinéma digne de ce nom, les deux auteurs accordent à leur personnage principal une véritable existence hors de son statut professionnel. C’est précisément parce que la vraie vie est ailleurs qu’elle accepte les conditions de travail propres au low cost. Elle s’en arrange moins qu’elles ne l’arrangent, à vrai dire. Et pour tout dire l’absence de morale que revendique Rien à foutre fait plutôt du bien en ces temps où le tandem formé par le cinéaste Stéphane Brizé et son acteur fétiche Vincent Lindon fait figure de mètre-étalon du prêt-à-penser. D’où un cinéma qui n’en finit pas de donner des leçons en prônant un « autre monde » (c’est le titre de leur dernier opus commun) dont on peine à voir ce qu’il recouvre vraiment. À force de répéter que tous les patrons sont méchants et tous les cadres gentils, certains finissent par y croire. Rien à foutre se garde de telles croyances. Si sa Cassandre se brûle les ailes, c’est entièrement de sa faute. D’où un film qui très heureusement ne finit pas sur une prise de conscience, un salut par je ne sais quoi ou qui, ou bien encore une évolution qui ressemblerait à la découverte de la maturité. Rien de tel ici et c’est ainsi que le film de Julie Lecoustre et Emmanuel tient bien droit sur ses deux jambes.

À lire aussi: «Rien à foutre»: les hôtesses de l’air ne s’envoient plus en l’air

Au centre de cette réussite, il y a assurément une actrice, Adèle Exarchopoulos. Révélée par le génial Abdellatif Kechiche, elle donne à Cassandre et sa vitalité et son mystère. Le « rien à foutre » semble lui coller à la peau, comme si son visage révélait en permanence cet état d’esprit qui l’empêche de tomber. Ce mantra salvateur est un excellent passeport pour franchir les portiques d’aéroport aussi bien que les dépressions passagères. Toujours seule et sans cesse entourée, c’est le lot quotidien de Cassandre au sol comme dans les airs. Et c’est ce spleen que l’actrice sait rendre à la perfection, traversant tout le film d’une nonchalance qui fait songer à la Sandrine Bonnaire de chez Pialat (À nos amours) ou Sautet (Quelques jours avec moi). Être au monde sans y être tout à fait, lui déclarer son amour tout en le tenant à distance. Cela, Exarchopoulos l’accomplit ici comme ailleurs à la perfection. Chez Kechiche, elle faisait jeu égal avec Léa Seydoux. Elles sont toutes les deux de la même eau dans des registres opposés, mais parfaitement complémentaires. Elles sont la lutte des classes à elles deux : Adèle d’en bas, Léa d’en haut, clichés inclus. Mais le cinéma est affaire d’images, Exarchopoulos, comme Seydoux, pulvérise toutes les caricatures : avec elles, les images sont justes.


À la ville

Poids lourd
Robuste, de Constance Meyer

Sortie le 2 mars 2022

© Diaphana Distribution

Depardieu encore et toujours… On le verra bientôt incarner le plus célèbre commissaire de la littérature française, Maigret, sous la direction de Patrice Leconte. Ici, il joue son propre rôle ou presque. Un acteur fatigué qui voit débouler une plantureuse garde du corps chargée d’assurer sa sécurité au quotidien. Désormais, chaque film avec Depardieu est d’abord et peut-être uniquement un film sur Depardieu. On guette le tour de taille, le souffle court, la profondeur sidérante du regard et le phrasé à nul autre pareil. C’est comme une bête de concours. Chaque film devient comme une médaille, un nouveau trophée. Et tant pis si Depardieu tourne trop et finit par tourner n’importe quoi, n’importe comment et avec n’importe qui… Un acteur, se justifie-t-il, c’est fait pour tourner comme le plombier pour réparer les lavabos. Passez votre chemin. Robuste est toutefois un premier film plutôt prometteur, parce que la réalisatrice a manifestement su dompter le fauve et c’est déjà une merveilleuse prouesse.


À la montagne

Poids lourd (bis)
Vedette, de Claudine Bories et Patrice Chagnard

Sortie le 30 mars 2022

On ne saurait trop conseiller à Alain Finkielkraut de se précipiter pour aller voir ce documentaire, lui dont on sait l’admiration qu’il voue à la race bovine et à ses représentantes. La « Vedette » du titre, c’est en effet le nom d’une vache qui fut la reine des reines à l’alpage, dans les Alpes. Vieille désormais, elle devient l’hôte des deux auteurs de ce film singulier. Mais cette cohabitation ne va pas de soi pour le couple qui doit malgré la boue, le froid et la pluie apprivoiser cet animal pas comme les autres. S’ensuit une fable pleine d’humour et d’ironie aussi. Personnage à part entière, Vedette est à la hauteur de sa haute réputation. Elle fait peur, elle déroute, elle séduit, elle énerve, elle intrigue. Réceptacle parfait des fantasmes humains pour ne pas dire urbains, elle leur tient tête avec une constance admirable. Reste un film bourré d’humour et de second degré qui devrait plaire au philosophe…

Les Comices: Flaubert et Mélenchon

Le 6 mars, sur l’esplanade du Gros Caillou à Lyon, le candidat d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon a réuni une foule de sympathisants et prononcé un discours faisant penser à Flaubert à notre chroniqueuse.


C’est depuis notre mythique colline de La Croix-Rousse, celle-là même qui vit autrefois se soulever les Canuts, que Jean-Luc Mélenchon a choisi d’haranguer ses sympathisants, comme le fit peu de temps auparavant notre regrettée Christiane Taubira (relire notre article).

Le choix de ce lieu, symboliquement chargé à gauche parce que foyer d’une insurrection ouvrière qui inspira les grands mouvements de la pensée sociale du XIXe, a certainement participé de l’ampleur d’un rassemblement qui fut une véritable démonstration de force pour le candidat qui se détache résolument d’une gauche en déroute. Pour rappel : Christiane Taubira a quitté le champ de bataille pour retrouver la quiétude des bras morts du fleuve Maroni, définitivement vouée la seule poésie d’Aimé Césaire. Sandrine Rousseau « déprimée de faire de la politique dans des groupes du Ku Klux Klan », vient de se faire évincer de l’équipe de campagne de Yannick Jadot, et on s’est laissé entendre dire qu’Anne Hidalgo avait été victime d’un accident de trottinette sur les berges de la Seine. Quant à Fabien Roussel (Cadet Roussel !), il se remettrait difficilement d’une attaque de « peste brune ».

Plus rien à perdre

Si la foule avait répondu présente au meeting de Jean-Luc Mélenchon, affluant en masse près du Gros Caillou, force est de constater que la diatribe assenée par le tribun manqua résolument du souffle révolutionnaire qu’il se plaît habituellement à revendiquer.

Baste ! c’est chez Flaubert et aux Comines d’Yonville dans Madame Bovary, qu’on se serait bel et bien cru. Roula sur l’auditoire harangué par Monsieur le Conseiller Lieuvain plutôt que par Robespierre, mais hélas conquis, un tombereau de platitudes que débita alertement notre orateur d’un ton paterne de bonimenteur. Convenons-en toutefois, cela ne fut pas dépourvu d’une certaine saveur pour qui aime la littérature.

M. Mélenchon, que les puissants doivent craindre parce qu’il a soixante- dix ans, et par conséquent plus rien à perdre, est pour la paix (Mais qui est pour la guerre ?). Il se propose donc de sortir de l’OTAN. Il se promet également de lutter contre le libéralisme échevelé qui a ruiné l’école et l’hôpital et de renoncer à l’énergie nucléaire. Notre justicier, enfin, n’écoutant que son courage, part en croisade contre la malbouffe et célèbre une autonomie agricole bientôt recouvrée.

Pour ma part, transportée à Yonville, j’ai fermé les yeux et je me suis abîmée dans le discours du bateleur pour fraterniser avec une assemblée envoûtée.

À lire aussi, Martin Pimentel: Face à Zemmour, Pécresse décoche toutes ses flèches

Mais, laissons plutôt parler Flaubert : « La place jusqu’aux maisons était comble de monde. On y voyait des gens accoudés à toutes les fenêtres, d’autres debout sur toutes les portes et Justin, devant la devanture de la pharmacie, paraissait tout fixé dans la contemplation de ce qu’il regardait. Malgré le silence, la voix de M. Lieuvain se perdait dans l’air. Elle vous arrivait par lambeaux de phrases qu’interrompaient çà et là le bruit des chaises dans la foule ; puis on entendait, tout à coup partir, derrière soi un long mugissement de bœuf ou bien les bêlements des agneaux qui se répondaient au coin des rues. »   

Quelle ferveur, mes amis !

Je n’entendais plus Mélenchon ; c’était bien Lieuvain qui déclamait : « Continuez ! Persévérez ! N’écoutez ni les suggestions de la routine, ni les conseils trop hâtifs d’un empirisme téméraire ! Appliquez-vous surtout à l’amélioration du sol, aux bons engrais, au développement des races chevalines, bovines, ovines et porcines ! que ces comices soient pour vous comme des arènes pacifiques où le vainqueur, en sortant, tendra la main au vaincu et fraternisera avec lui, dans l’espoir d’un succès meilleur ! Et vous, vénérables serviteurs, humbles domestiques, dont aucun gouvernement jusqu’à ce jour n’avait pris en considération les pénibles labeurs, venez recevoir la récompense de vos vertus silencieuses (…) »

Un auditoire envouté par la tortue sagace

Citons toujours Flaubert qui rend magnifiquement compte du spectacle qui m’était offert : « Remontant au berceau des sociétés, l’orateur nous dépeignait des temps farouches où les hommes vivaient de glands, au fond des bois. Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes, endossé le drap, creusé des sillons, planté la vigne. »

Tandis que notre bateleur envoûtait ainsi son auditoire, j’ai même surpris Rodolphe Boulanger qui profitait de l’aubaine constituée par ce discours empreint d’un lyrisme aussi bucolique que creux pour suborner Emma Bovary. Il lui susurrait dans le creux de l’oreille des propos tout aussi fumeux, tandis qu’elle tentait de résister aux assauts de sa séduction suave : « Mais il faut bien (disait Emma), suivre l’opinion du monde et obéir à sa morale ?

Ah ! c’est qu’il y en a deux (répliquait Rodolphe). La petite, la convenue, celle des hommes, celle qui varie sans cesse et qui braille si fort, s’agite en bas, terre à terre, comme ce rassemblement d’imbéciles que vous voyez. Mais l’autre, l’éternelle, elle est tout autour et au-dessus comme le paysage qui nous environne et le ciel bleu qui nous éclaire. »

Et la foule de La Croix-Rousse, oscillait, comme hypnotisée, doucement bercée par la voix du leader des Insoumis, bonimenteur hors pair. C’est alors que monta comme un mugissement, une clameur qui déchira le silence recueilli. Des pancartes où étaient dessinées des « tortues sagaces », à l’effigie du candidat furent brandies : On va gagner ! On va gagner, scanda la foule dans une bouffée de liesse délirante.

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 À toute cette ferveur succéda malheureusement un silence gêné, alors que ces comices s’achevaient. Las ! Notre tribun avait entrepris, bien mal lui en prit, d’entonner Le Chant des canuts :

C’est nous les canuts

Nous allons tout nus

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira :

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira :

Nous tisserons le linceul du vieux monde

Car on entend la révolte qui gronde.

C’est nous les canuts

Nous sommes tout nus.

Nos apprentis-révolutionnaires lyonnais en ignoraient visiblement les paroles, tout comme ils semblaient méconnaître celles de la Marseillaise qui fut ensuite convoquée. Écoutant celle-ci, ils se contentèrent de lever un poing vengeur, lourd de conscience et d’implication politiques. Nous nous sommes dit alors, avant de rentrer chez nous, que c’était peut-être le Chant du départ qu’allait devoir bientôt entonner le leader de la France insoumise.

Quoi qu’il en soit, que Jean-Luc Mélenchon soit remercié pour ce moment littéraire.

La guerre de l’Élysée n’aura pas lieu

On peut comprendre l’union sacrée autour de Macron, chef d’État devenu chef de guerre. Il est en revanche fâcheux que, pour la deuxième fois, l’élection présidentielle soit de facto confisquée. Alors que la France vit une drôle de campagne, on nous annonce la réélection triomphale du président sortant. Il n’aura ni à s’expliquer sur son bilan, ni à exposer son programme.


Emmanuel Macron a raison. Cette guerre aura des conséquences sur nos vies. Pas seulement parce qu’elle fait déjà exploser les cours du pétrole et du blé. Ni parce qu’elle contraint les Européens à sortir de la grande salle de gym où ils peuvent exiger à loisir que leurs lubies identitaires et autres soient considérées avec le plus grand sérieux – « Ne m’appelez plus jamais il ou elle, pour moi ce sera iel ». Si l’invasion de l’Ukraine ouvre assurément une nouvelle page stratégique pour le Vieux Continent, il est peu probable que nous sortions de l’épreuve (vécue par d’autres) soudainement prêts à répondre aux convocations de l’Histoire, tant l’individualisme, le confort et le caprice sont devenus chez nous une seconde nature. Bref, tous ceux qui proclament que rien ne sera plus comme avant, comme ils l’ont fait en mille occasions, du 11-Septembre à la pandémie que l’on sait, devraient se rappeler que, souvent, les après ressemblent furieusement aux avant. Ainsi, des twittos LGBT se sont-ils émus que « des femmes trans et des personnes non binaires » aient été bloquées à la frontière ukraino-polonaise, car leur carte d’identité portait la mention « homme » et que les hommes sont priés de rester se battre. Dans le meilleur des mondes qui advient, il suffira d’affirmer qu’on se sent centenaire, même si on a 22 ans, pour échapper à la mobilisation, et la guerre disparaîtra. Passons.

Il est pour le moins prématuré de claironner la naissance de l’Europe-puissance alors que, pour notre défense, nous continuerons à nous abriter sous ce qu’on appelait le parapluie américain quand j’étudiais à Sciences Po – la France, un peu moins que les autres et l’Allemagne peut-être un peu moins demain qu’hier. Mais même si l’Europe atteint le seuil de 2 % du PIB consacré aux dépenses militaires (dépenses qui seront d’ailleurs majoritairement affectées à l’achat de matériels américains), elle restera loin des 3,7 % états-uniens, des 4 % russes, sans parler des 4 % pakistanais et des 8 % saoudiens, la France étant en tête de l’UE avec 1,9 %…

Unanimité européenne

Certes, il serait tout aussi absurde de prétendre que rien ne va changer. Poutine a réussi le tour de force de créer contre lui une unanimité européenne, et même occidentale, jusque-là introuvable quel que fût le sujet. Il a probablement engagé la destruction de la puissance russe qu’il prétendait restaurer. Et pour finir, on assiste peut-être à la naissance, dans le sang et les larmes, d’une nation ukrainienne.

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Cependant, il n’a pas arrêté le temps. Et il ne le maîtrise pas non plus. Commencée quarante-cinq jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, sa guerre a toutes les chances de se finir après le second et peut-être après les législatives de mai. D’où la situation inédite et doublement paradoxale où nous nous trouvons : d’une part, le président est pratiquement réélu alors qu’il n’est pas encore candidat et d’autre part, la démocratie que nous nous rengorgeons de défendre là-bas est au bas mot assoupie ici. De ce point de vue le bannissement des médias financés par Moscou, RT et Sputnik, revient à employer les méthodes que nous dénonçons à raison chez Poutine.

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La campagne électorale est donc pratiquement finie avant d’avoir vraiment commencé. La seule qui vaille, désormais, c’est la campagne de Russie. Les médias les moins portés à ennuyer le chaland avec les affaires du monde vivent à l’heure ukrainienne à coups d’édition spéciale sans fin et de plateaux d’experts qui, quoi qu’en disent les esprits forts, ne sont pas tous dépourvus d’intérêt. Même Hanouna s’y est collé, soucieux de faire comprendre à son public pourquoi il n’était plus question dans son émission des frasques des youtubeurs ou des blagues sexistes des politiques.

On n’a même pas eu de complotistes délirants expliquant que Poutine avait été drogué et qu’il était en réalité la marionnette de Macron et Biden, lesquels avaient bien besoin d’une bonne petite guerre pour faire oublier leurs échecs. Il faut se rendre à l’évidence, nos candidats n’y sont pour rien. En attendant, tous ne sont pas égaux devant l’événement. Ce qui est objectivement une divine surprise pour l’un est un étouffoir pour les autres, réduits à l’état de spectateurs passifs, et une sacrée épine dans le pied des derniers à qui on a beau jeu de rappeler leurs anciennes indulgences pour le maître du Kremlin. Les épurateurs s’en donnent à cœur joie, scrutant les déclarations passées des uns et des autres pour y dénicher toute trace de poutinisme. On voit mal pourquoi ils retiendraient leurs coups. Certes, le Poutine avec lequel Marine Le Pen s’affichait fièrement, dont Éric Zemmour louait le patriotisme (et qu’Emmanuel Macron accueillait en grande pompe à Versailles) n’est pas tout à fait le même que celui qui a lancé ses chars vers le Dniepr. Après tout, en janvier, il était encore (virtuellement) reçu à la réunion préliminaire du forum de Davos. Bref, on peut s’en désoler, mais tant que Poutine se contentait de priver de libertés son peuple (et son étranger proche et russophone), il restait fréquentable – et fréquenté. Il est vrai que Zemmour a bêtement aggravé son cas en se déclarant hostile à l’accueil de réfugiés ukrainiens, qui d’ailleurs n’ont pas l’intention de débarquer chez nous en masse tant que leurs pères, fils, frères, amants et maris résisteront par les armes à l’envahisseur.

Toute parole dissidente est suspecte

En public, les prétendants arborent des mines graves et tentent de masquer leur dépit ou leur exultation – il ne faudrait pas qu’ils aient l’air de plus se soucier de leurs ambitions politiciennes que d’un peuple frère et martyr. En privé, et anonymement, il faut croire qu’ils restent des humains. Chez Le Pen, Zemmour et Mélenchon, on a de bonnes raisons de maudire l’agresseur qui ruine les espoirs des trois candidats poutinisés matin, midi et soir, bien qu’ils aient tous condamné l’invasion. Pécresse, Jadot et Hidalgo ont quasiment disparu des radars. « Macron, c’est Top Gun ! », soupire un pécressiste dans Le Point. Quant aux partisans du président sortant, ils cachent mal leur joie. « Si on ne déconne pas, c’est l’autoroute pour la victoire », s’enthousiasme un Marcheur dans le même article. Et cela sans même se donner la peine de faire campagne.

Rassemblement en soutien à l’Ukraine, place de la République à Paris, 24 février 2022 / Samuel Boivin / NurPhoto via AFP

Dans ce pesant unanimisme, toute parole dissidente ou simplement divergente est suspecte. Que la guerre soit indéfendable, et que Poutine en soit le seul coupable, cela ne fait pas discussion (encore qu’en démocratie, même cela, on doit pouvoir le discuter si on y tient). Cependant, sauf à suspendre le débat public, on devrait avoir le droit de critiquer la stratégie américaine vis-à-vis de la Russie de ces trente dernières années, de discuter la réaction des Européens, la politique d’Emmanuel Macron et même de réclamer un véritable débat électoral. Or, à entendre les macronistes de la première comme de la onzième heure (ça se bouscule au portillon), tout énamourés devant le chef d’État transmué en chef de guerre, il serait antipatriotique de s’offusquer de la vitrification de la campagne. Marlène Schiappa ose tout, c’est à ça qu’on la reconnaît : « Ne pas voter Macron, c’est voter Poutine », a-t-elle déclaré sur Europe 1. Bah voyons comme dirait l’autre ! Autant annuler l’élection, ce sera plus clair.

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Je casse l’ambiance

Il est donc entendu que la campagne se déroulera a minima, en l’absence du favori. Et tout autant que son bilan ne fera pas l’objet du moindre inventaire. C’est ainsi que personne n’a cherché de noises à la majorité qui, juste avant de fermer boutique, a trouvé le moyen de voter contre l’interdiction du voile islamique (et de tout signe religieux) dans le sport. Ne serait-il pas mesquin de pointer l’incohérence et même la grave inconséquence de parlementaires qui, deux ans après avoir adopté un texte contre le séparatisme, inscrivent dans le marbre législatif le droit au séparatisme sportif ? On ne parlera pas plus de la gestion de la crise sanitaire, de l’hôpital à la dérive, de l’explosion de la dette, des retraites ou des flux migratoires. Qui se soucie de telles peccadilles quand des enfants meurent ? On n’aura pas, enfin, le mauvais goût de demander au président à quelle sauce il compte nous manger pour son deuxième mandat. Oserait-on importuner avec de basses questions politiques un homme occupé à ramener la paix dans le monde ? Dans son allocution du 2 mars, excellente au demeurant, Emmanuel Macron a cependant donné un aperçu de ses intentions, en se déclarant favorable à un renforcement de notre souveraineté économique et militaire. Fort bien, sauf qu’il parlait de l’Europe et que nous allons élire, paraît-il, le président de la France. Que prévoit-il pour nous, de devenir une province de l’empire bruxellois ?

Au risque de casser cette ambiance où les bons sentiments se nourrissent de l’effroi et vice versa, la Terre ne s’est pas arrêtée de tourner. On a fait de la poésie après Auschwitz. Après la chute de Kiev, probable au moment où ce journal va être imprimé, on continuera à travailler, aimer, avoir des fins de mois difficiles et se chamailler. Malgré les heures sombres que vit l’Ukraine, le président élu le 24 avril devra affronter les crises et les colères françaises laissées sans réponse depuis des décennies.

Après la présidentielle de 2017, confisquée par les bons soins du Canard Enchaîné et du Parquet national financier, nous voilà encore privés d’un débat, donc d’un choix éclairé. Puisqu’on ne change pas de capitaine au milieu de la tempête. À ce compte-là, Emmanuel Macron est peut-être président à vie, car il n’y a aucune raison de penser que le monde deviendra un jardin de roses au lendemain de sa réélection.

Conflit Ukraine-Russie: les salves rhétoriques

Au sujet de l’Ukraine, les médias nous abreuvent de commentaires faits par des géopolitologues, des généraux (certains réels, d’autres en pantoufles) et des moralistes (autoproclamés !). Changeons notre fusil d’épaule: Philippe-Joseph Salazar, philosophe et spécialiste de rhétorique, nous parle de cette autre guerre, celle des arguments…


Cela saute tellement aux yeux qu’on ne le voit pas : le conflit entre le Don et le Dniepr est le premier conflit armé en Europe qui se fait à l’ère du web 2.0, en pleine maturité d’Internet. Résultat : un brouhaha.

Premier, car l’assaut militaire de l’OTAN contre la Serbie était d’une autre époque : en 1999 Wikipédia n’existait pas et Google finissait de tester sa version bêta, si bien nommée. La différence se voit dans les blogs et posts et fils de chats : grâce au Web, tout le monde est un expert instantané sur mille ans d’histoire russe, et dans ses plus infimes et pittoresques détails. Ma coiffeuse sait placer Sumy sur une carte, elle me fait la leçon sur l’étymologie du mot « rus », et manque de me taillader l’oreille. Cette bande passante genre ruban collant à mots-mouches n’est ni bien ni mal : c’est un fait.

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Le fait en question – ça bombarde, ça tue, ça fuit – qui est appelé soit «opération militaire spéciale » (RT), « invasion » (dixit l’Ukraine), « actions agressives » (l’OTAN), « guerre » (France Info) est donc, en sus du bruit parasite web, un objet de guerre rhétorique et pas seulement comme on le dit ailleurs une « guerre des mots ». Car ce qui est en jeu ici ce sont des arguments, des postures tactiques.

Sans porter de jugement de valeur sur le bon droit rhétorique des Russes, des Ukrainiens, de l’OTAN, de l’UE à dire les choses comme ils veulent qu’on les entende, la rhétorique, qui est neutre, permet de faire les trois.

Instantané rhétorique #1: «the right side of History» (« du bon côté de l’histoire »)

On se rend peu compte en France que cette guerre se communique essentiellement en anglais. Etats-Unis, Angleterre, OTAN, UE (après le Brexit !), pays du Commonwealth, de l’Inde à l’Australie, c’est, hors de l’Hexagone, une déferlante en anglais. Or, dans cet anglais façonné culturellement, le mal se dit « evil ». Mot religieux, « evil » c’est le diable. Imaginez que Libé ou Le Figaro titrent : Poutine, suppôt de Satan. En anglais, non : c’est utilisé par Biden et BoJo. Ces cultures naguère colonisées par les protestants anglo-saxons gardent le diable dans leur langue, un résidu rhétorique qui pèse évidemment sur leur mental politique : il faut qu’il y ait un Mal absolu pour se dire, « nous, nous sommes du bon côté de l’Histoire ». En France le camp du bien se résume à ceci, entendu à la télé, style Marlène : « Oui j’ai accueilli trois Ukrainiens car si un jour ça m’arrive à moi, je serai bien contente qu’on fasse pareil ». On ? Qui « on » ? Et « ça », comment, quel « ça » ? Bref une sorte d’assurance complémentaire… Mais voilà, sur le terrain de la propagande c’est la rhétorique du Mal, en anglais, qui décide, et pas la rhétorique Sécu.

Instantané rhétorique #2: « nazis ! »

Le côté russe, pour qualifier le côté ukrainien – gouvernement, militaires et miliciens, mais pas la population – parle de  « nationalistes », de « néo-nazis », de « fascistes ». Le premier terme est le plus employé par la communication russe. Le deuxième a été fameusement lancé par Poutine (« нео-нацистами », « néonazisme »), et bien sûr aucun média de masse ne s’est soucié de se demander ce que le mot recouvre. Le troisième est un mot clef des documentaires de RT sur le Donbass qui passent en boucle depuis dix jours: les paysans de l’Est de l’Ukraine appellent les forces gouvernementales ukrainiennes « fascistes ». En France on brandit ces mots pour un oui pour un non. Entre Dniepr et Don, c’est de l’uranium enrichi. Pour un Slave comme Poutine, qui a publié un long article en 2021 sur l’unité culturelle slave russe-biélorusse-ukrainienne, le gouvernement ukrainien est étroitement « nationaliste » au lieu d’être slave ; il est nationaliste comme l’était l’Allemagne hitlérienne, il est donc « néo-nazi », et le remède est de le « dénazifier ». Les populations entre le Dniepr et le Don se souviennent que les Ukrainiens de l’ouest ont accueilli avec des fleurs la Wehrmacht libératrice (avant de déchanter). Milice de choc en Ukraine, le bataillon Azov, à qui le Mouvement de la Résistance Nordique, mouvement scandinave bien connu dans ces régions, a décerné un certificat de national-socialisme, est une affaire tombée à pic pour les Russes, mais qui répond à un mémoriel vif et violent. Chez nous « nationaliste ! nazi ! fasciste ! » ce sont des tags, en Russie ce sont des arguments puissants et factuels. Chaque mémoire politique fabrique sa propre rhétorique, avec les mêmes mots.

Instantané rhétorique #3: la prise de parole

Devant les caméras, les officiels ukrainiens s’expriment souvent en anglais. Les Russes parlent toujours russe. Les Ukrainiens marquent ainsi des points du point de vue de l’impact direct de leurs interventions – surtout s’ils imitent l’accent américain. Mais pourquoi ? Parce qu’ils savent que leur langue ressemble tellement au russe que les bonnes gens en France et ailleurs se diraient (réflexe rhétorique) : « Mais c’est du russe, non ? ». Du coup, l’identité ukrainienne en prendrait un coup. Mais cette ventriloquie a un résultat plus dur, rhétoriquement : quand on ne maîtrise pas une langue on dit un mot pour un autre, on construit mal ses phrases, et on passe rapidement à des déclarations hors des clous – celles qui alarment vos alliés.

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Et c’est exactement le style de prise de parole de Zelensky : il s’excite, réclame, exige, revient sur ses mots, supplie. On dit qu’il est acteur. Mais un bon acteur suit la « méthode » et entre complètement dans son personnage. Pas lui, il reste un « animateur », avec tous les dérapages du genre – et qui commencent à ennuyer sérieusement Berlin [1]. Par contre Poutine et Lavrov, qui contrôlent leur langue maternelle, développent point par point leurs arguments, expliquent, répondent, illustrent, sans jamais perdre patience. En costume cravate. Un autre mode rhétorique, dialectique, est à l’œuvre.  

Car, au final, ce qui compte n’est pas qu’on n’aime ou qu’on n’aime pas, mais c’est de savoir sur quelle cible chaque rhétorique a le meilleur retour sur investissement. Or, si le style animateur de Zelensky colle bien à la culture télé occidentale, le style russe est en symbiose avec celui des Chinois, tant par leur respect de leur propre langue, que par la dialectique mise en œuvre. Cette option rhétorique est également celle du Japon officiel. Celle de l’Inde nationaliste. Celle de l’Iran. Celle des pays « bolivariens » d’Amérique Latine… Quand Biden, BoJo, et d’autres affirment que « le monde entier » condamne la Russie, non seulement c’est factuellement faux, mais, pire, c’est dangereux car le monde entier ne parle pas et n’argumente pas comme les Etats-Unis, l’OTAN ou l’UE.

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[1] Le 3 mars, le président ukrainien déclare que si son pays était défait, « la Russie ira jusqu’au mur de Berlin »… De plus, l’Ukrainien commence à ennuyer sérieusement Berlin avec ses demandes répétées de couper le gaz russe.

Le grand remplacement tuera la diversité du monde!

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À l’approche de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron préférerait qu’on évite de lui parler du «grand remplacement» et du «grand déclassement». Heureusement pour lui, le conflit en Ukraine permet d’éviter d’aborder ces sujets: quel grand soulagement ! Dans cette analyse très sombre, notre chroniqueur Driss Ghali prédit la fin du dépaysement, et la disparition de la France telle que nous la connaissons.


Dans notre belle démocratie, il y a une certitude inéluctable et non-négociable: le grand remplacement. Le seul futur possible se présente sous les traits de l’islamisation, de l’africanisation et de la tiers-mondisation. 

Dans notre belle démocratie, la souveraineté du peuple est une vaste blague. Notre peuple est tellement souverain qu’il est remplacé ! Il est mis en concurrence chez lui avec d’autres peuples, porteurs en germe d’autres souverainetés ! Quel exploit !

La peur d’être minoritaire dans son pays

Dans notre belle démocratie, il est facile de changer de sexe, mais il est impossible d’avoir son mot à dire sur l’avenir commun. L’horizon est bouché. Vous n’avez pas le choix. On vous intime d’habiter un monde où vous serez constamment un étranger parmi des étrangers. Un monde construit à l’avance par un architecte qui ne vous a pas demandé votre avis.  Un architecte autiste qui se fiche que votre sensibilité soit heurtée à chaque coin de rue, que vous ne reconnaissiez plus les paysages de votre enfance et que plus rien, absolument rien, n’ait un air familier. Un architecte criminel qui a conçu une sorte de prison à ciel ouvert où, pour survivre, vous devez en permanence faire attention à ne pas heurter les tabous, les valeurs et les coutumes exotiques de vos compagnons de détention.

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Ailleurs, au-delà de l’Europe de l’Ouest, ce supplice n’est pas au programme. Les autres peuples sont autorisés à persévérer en eux-mêmes. Ils ont le droit, eux, à la continuité. Mêmes les pires dictatures africaines ou asiatiques concèdent aux populations le droit de rester dans l’histoire.

Au fond, ce n’est pas tant de xénophobie qu’il s’agit, mais de s’aimer soi-même…

Nouvelles frontières

Or, notre histoire a été volée, notre destin n’est plus entre nos mains puisque nous avons importé des problèmes qui ne sont pas les nôtres. D’un côté, les problèmes typiques du sous-développement : corruption, incivisme, népotisme, clientélisme, ignorance et court-termisme. Ces maux font le malheur de l’Afrique et du Maghreb, ils sont désormais nos problèmes aussi puisque nous sommes devenus une extension, froide et pluvieuse, de ces deux civilisations.  D’un autre côté, nous avons à gérer les fruits amers de la diversité, c’est-à-dire les conséquences de la mise en contact prolongée de civilisations qui n’ont rien à se dire, voire qui ont passé les derniers mille ans à se détester. Le diagnostic est connu de tous, inutile de le dérouler pour le plaisir de se faire mal. La diversité évoque une mère de famille qui ouvre à plein le robinet de gaz et invite ses enfants à jouer avec un briquet. Imaginez le potentiel explosif que recèle la cohabitation d’un couple gay avec des voisins de palier musulmans pratiquants. Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, le pays étant traversé de millions de frontières minées, fossés invisibles mais ô combien profonds qui séparent les modes de vie et les sensibilités.

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Avoir vingt ans aujourd’hui, c’est avoir l’assurance de passer sa vie à ressentir ces difficultés et à essayer de les désamorcer. Avoir vingt ans aujourd’hui, c’est assumer les conséquences de la légèreté et de la lâcheté des générations qui ont rendu possible l’immigration de peuplement. Avoir vingt ans aujourd’hui, c’est ne pas avoir son mot à dire sur les causes que l’on aimerait servir, car il sera de toute façon question de sous-développement, de séparatisme et d’ensauvagement, les trois cadeaux empoisonnés reçus en héritage. L’ordre du jour des prochaines décennies est bouclé, ceux qui rêvent de transition climatique et de construction européenne devront se replier sur le « métaverse » ou se réfugier dans leur imagination.

La fin du dépaysement

Les jeunes d’aujourd’hui ne goûteront probablement pas aux joies du voyage, en tout cas pas autant que leurs aînés qui ont vécu dans une France réellement française et dans une Europe réellement européenne. Plus rien ne les dépaysera vraiment, puisqu’ils vivent 365 jours/365 parmi des étrangers. Comment se sentir « en voyage » à Marrakech si le Maroc réside désormais dans les villes françaises ? Comment ressentir de tous ses pores la négritude qui coule dans les veines des habitants de Rio de Janeiro si l’Afrique réside désormais à Saint-Denis et au Châtelet ? Comment s’émerveiller des coutumes des peuples d’ailleurs si l’on habite soi-même « ailleurs ». Plus rien ne va étonner nos enfants dans l’avenir, je me réfère à ce délicieux étonnement que procure l’écoute des accents étrangers et l’expérience de l’altérité.

A terme, nous allons tuer l’exotisme. Nous allons tuer le voyage. Nous allons tuer la diversité du monde.  

Ce crime est commis avec l’assentiment (et sous les applaudissements) des ventres mous et des yeux éteints qui nous servent de commissaires européens. Cruel paradoxe : la seule Europe qui nous est proposée est une anti-Europe. Son sort est celui d’une jeune fille qui, la veille de ses noces, aurait été kidnappée par des malfrats et rendue à son futur époux, souillée et défigurée. Ce n’est plus la même. De la jeune fille qu’il a aimée ne restent que les souvenirs et les regrets. Le rêve européen a été violé.

Et se plaindre serait mal vu…

A l’autre bout de l’amphithéâtre, les « républicains », de gauche et de droite, se réjouissent. Ils assument le grand remplacement comme l’aboutissement naturel du Progrès, le stade ultime du projet républicain né en 1789. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en train d’accomplir une nouvelle Révolution française qui consiste à démanteler 2000 ans d’histoire et à en commencer une autre. La République française  se désintègre à chaque coup de dynamite qu’elle jette entre les entrailles de Marianne. Les nouveaux peuples qui surgissent sur son sol ont rarement les dispositions morales et culturelles qui leur permettraient d’accepter d’être gouvernés selon les principes de la redistribution, de la justice et de la laïcité. Bien souvent, les « nouveaux Français » sont porteurs d’une civilisation qui ignore l’égalité et restreint la solidarité aux limites des liens de sang. La République française a signé son arrêt de mort. De plus en plus, elle ressemble à un corps décapité qui continue à marcher, comme si de rien n’était, le système nerveux ayant encore de quoi donner quelques impulsions aux muscles. Mais, l’âme, c’est-à-dire l’essence, est partie.

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Dans la fosse, à mi-distance des européistes et des républicains, il y a nous : les gens du commun. Nous n’avons même pas le droit de nous plaindre, la mort sociale attend effectivement quiconque dénonce le grand remplacement.  On le traite de xénophobe. Eh bien, heureusement que mes grands-parents marocains étaient un peu xénophobes, sinon le Maroc n’aurait jamais mis fin à la colonisation française qui lui a été imposée en 1912 ! Choquons le lecteur parvenu jusqu’ici : heureusement que le FLN a été xénophobe, sinon l’Algérie serait encore française! Heureusement que Ho Chi Minh était xénophobe, sinon le Vietnam serait encore une immense plantation d’hévéa aux mains d’une poignée de financiers!

Au fond, ce n’est pas tant de xénophobie qu’il s’agit, mais de s’aimer soi-même. Ce qui manque à la France aujourd’hui et à l’Europe occidentale en général, c’est l’amour. Il y a un défaut d’amour en ce moment et un trop-plein de haine. Sous le maquillage grossier du « droit à l’accueil », se dissimule le visage hideux de la haine, avec son regard rouge qui attise les braises. Le parti de l’amour dénonce le grand remplacement. Le camp de la haine le désire en secret et martyrise les témoins qui rendent compte du réel.  Epoque apocalyptique où le mal semble être sur le point de l’emporter. Voici une époque idéale pour le surgissement d’un prophète. Les simples mortels que nous sommes devrions guetter les signes dans le ciel (avec espoir) et nous astreindre à une saine discipline : à Rome vivons comme des Romains, à Marrakech vivons comme des Marrakchis.

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Pendant ce temps-là, à l’Assemblée…

Nos députés ont habilement tiré profit d’une attention médiatique quasi exclusivement tournée vers le conflit en Ukraine pour voter en catimini une loi-sport sans interdiction du voile aux compétitions.


Le 24 février, jour où Poutine lançait ses premières bombes sur l’Ukraine, les députés français ont mené une offensive contre la laïcité en votant une proposition de loi LREM sur le sport.

Les regards étant tournés vers Kiev, peu de gens ont relevé que la macronie a validé ce jour-là l’autorisation de porter un voile, le hijab, lors de compétitions sportives. Cette revendication avait été médiatisée par un collectif de « hijabeuses » composé de footballeuses respectueuses de la charia. Pour les caméras de télé, elles avaient joué à la balle devant le bassin du Luxembourg – ce que le règlement du jardin interdit – pendant que les sénateurs étudiaient le texte. Et dans une indifférence coupable, elles ont reçu le soutien du ministre délégué à l’Égalité femmes-hommes, Élisabeth Moreno, qui n’a vu aucun problème à ce que « ces filles [puissent] porter le voile et jouer au foot », car « ces filles font du sport et le sport c’est l’émancipation ».

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Partageant cette conception douteuse du féminisme, le ministre des Sports, Roxana Maracineanu, a pu sermonner Éric Ciotti qui a osé lui opposer que le voile était « une soumission à l’islamisme » : « Vous n’avez parlé que des signes religieux, ce n’est pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens ni du mouvement sportif. » Jouant parfaitement le jeu des Frères musulmans sans être dans leur équipe, les députés de la majorité ont ainsi adopté la loi par 67 voix contre six et la gauche s’est courageusement abstenue.

Dans un « en même temps » que l’histoire retiendra, cette loi qui voile les sportives impose la parité dans les instances dirigeantes des fédérations de foot.

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Lucidité à géométrie variable

Nos responsables politiques voient les violences qui les arrangent. Un aveuglement symétrique qui permet aux progressistes de ne dénoncer que la brutalité des dictateurs et à la droite nationale de se focaliser sur celle des banlieues.


D’anciennes déclarations pro-Poutine des deux candidats de droite les mettent dans une situation embarrassante, même s’ils ont condamné sans ambiguïté l’invasion russe en Ukraine. Au-delà de l’usage tactique que leurs adversaires en feront pour les disqualifier (c’est de bonne guerre), le rapport à Poutine de la classe politique française nous éclaire sur les relations ambiguës qu’elle entretient avec la violence.

Surprise générale

À la surprise générale – sauf celle de la CIA –, la Russie a donc décidé d’envahir l’Ukraine le 24 février dernier, un scénario auquel le président ukrainien lui-même ne croyait pas deux jours auparavant. En Europe occidentale, où une bonne partie des autorités était jusque-là mobilisée autour de l’aération régulière des lieux clos à des fins sanitaires, ainsi qu’au lavage fréquent de nos mimines, le choc a été rude. Dans un univers où la force brutale délégitimée a fait place en théorie, à l’empathie, à l’échange dans le respect mutuel du point de vue de son prochain, le réveil est douloureux.

Aujourd’hui dans les kiosques: Causeur #99: Poutine détruit l’Ukraine et flingue la présidentielle

Vladimir Poutine nous rappelle ainsi que la violence existe dans les relations internationales et qu’elle fut malheureusement souvent couronnée de succès. Si l’on se limite à la seule Europe, le recours aux chars et aux missiles n’est pas l’apanage du nouveau tsar russe. La force armée et les morts civils n’avaient pas autant disparu du continent européen depuis 1945 qu’on tente de nous le faire croire : les invasions furent soviétiques à Budapest en 1956, à Prague en 1968, les bombardements américano-otaniens en Serbie en 1999.

Réensauvagement du monde

De même, à l’intérieur de nos frontières, la force brutale a depuis longtemps fait son retour, celle des caïds des cités, celle des gangs à la barbarie revendiquée quand ce n’est pas celle des barbus et des djihadistes. Ce réensauvagement du monde, qu’il soit intérieur ou extérieur, donne toutefois lieu à des lectures très différentes suivant le bord politique auquel on appartient.

Lorsque, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon, on considère l’Occident capitaliste comme responsable de tous les maux de la planète, ces violences exogènes et endogènes ne peuvent qu’être niées. Héritier d’une famille de pensée qui voyait dans les dissidents soviétiques des agents de la CIA, il est logique pour le Che français d’imputer aux Américains l’agressivité poutinienne. Ce qu’aime la France insoumise chez Poutine, c’est son anti-américanisme. Le renvoi dos à dos des Russes et des Américains ne nous rajeunit pas, c’était déjà la rhétorique du PCF. Quant aux violences internes, elles seront bien sûr mises au débit d’un système capitaliste inhumain, inventé par des blancs racistes. Pour cette extrême gauche, la force employée par Poutine, par SUD Rail, les black blocs ou les Frères musulmans s’apparente à une espèce de légitime défense.

Dans le camp progressiste, qui aux dernières nouvelles préside aux destinées de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord, la violence des despotes étrangers sera toujours une source d’indignation supérieure à celle qui a cours sur leur sol. Telle est la position des démocrates nord-américains façon Obama, Trudeau et Biden, ainsi que des admirateurs d’Angela Merkel, ou des disciples de Macron. Le réensauvagement de nos rues sera nié ou minimisé par eux. En revanche, aucun accommodement raisonnable ne saurait être envisagé avec Poutine. Mais comme dans le même temps on fait savoir à l’ogre russe qu’il ne sera pas question non plus de nous battre, on voit à Kiev le résultat concret d’une politique dont la cohérence ne saute pas aux yeux : ni négociation globale ni menace de rétorsions autres qu’économiques (avec le succès probant que l’on sait à Cuba, en Corée du Nord et en Iran). Il est ainsi curieux, pour les États-Unis, d’avoir souhaité étendre l’OTAN au plus près des frontières de la Russie, tout en indiquant vouloir se désengager de l’Europe au profit de l’Indo-Pacifique. Comment ne pas juger plus que sévèrement Angela Merkel et sa funeste décision de fermer toutes les centrales nucléaires allemandes afin d’affermir la mainmise de Gazprom sur la première économie européenne ? N’en déplaise à nos clowns verts, être antinucléaire en Europe, c’est concrètement voter Poutine (et accessoirement pour le réchauffement climatique). Le peuple ukrainien peut remercier les Allemands pour ce choix délirant à tous points de vue – écologique, économique et bien sûr stratégique.

Du fil à retordre pour la droite nationale

Dans ce contexte, les leçons de morale des progressistes sonnent un peu creux, puisqu’ils semblent avoir œuvré à la création de conditions idéales pour Vladimir Poutine. Il n’en demeure pas moins que l’entrée des chars russes dans Kiev et les menaces de vitrification émises par le maître du Kremlin à l’encontre de ceux qui s’opposeraient à ses projets d’annexion plombent l’ambiance. Avec des dégâts collatéraux inattendus sur une campagne présidentielle française qui tardait déjà à démarrer. Elles donnent ainsi du fil à retordre à Marine Le Pen et plus encore à Éric Zemmour, cloués au pilori pour avoir plus d’une fois dit tout le bien qu’ils pensaient de l’emphytéotique locataire du Kremlin. On pourrait effectivement leur reprocher une cécité symétrique à celle des progressistes. Il y aurait d’un côté ceux qui ne veulent voir et dénoncer que la violence de Poutine ou Bachar el-Assad en ignorant celle qui gangrène peu à peu nos cités ; et de l’autre nos deux « populistes » qui ne reconnaîtraient que celle-ci en restant aveugle à celle-là. Leurs imprudentes déclarations qualifiables de « poutinolâtres » viennent corroborer cette thèse et sont autant de cailloux dans les chaussures du Rassemblement national et de Reconquête. Une démoniaque équation les menace et conclut la démonstration : Poutine, c’est Hitler ; Zemmour et Le Pen, le futur tandem Pétain-Laval. De l’art de transformer des nationalistes en traîtres à la patrie. C’est un peu gros, mais c’est surtout oublier que l’invasion de l’Ukraine constitue bien le résultat tangible d’une diplomatie menée par de respectables dirigeants progressistes.

À l’image des deux candidats à l’élection présidentielle, des gens peu soupçonnables de sympathie pour Poutine – Hubert Védrine, Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski – ont défendu eux aussi la nécessité d’une finlandisation de l’Ukraine dans le cadre d’un accord global avec la Russie. Le Pen et Zemmour ont par ailleurs condamné sans ambages l’agression russe contre l’Ukraine, alors que l’annexion du Tibet ou le sort des Ouïgours laisse sans voix une bonne partie de l’échiquier politique français. Il demeure vraisemblable toutefois que ni Le Pen ni Zemmour ne s’arment de bougies ou de nounours pour aller défier l’ambassade russe dans le 16e arrondissement. Les salauds !

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Les progressistes reprochent à Poutine son recours systématique à la force et la proximité avec ce dictateur de ce qu’ils nomment l’extrême droite. Je ne sais plus trop ce qu’a déclaré Fabien Roussel à propos de l’Ukraine, mais je serais étonné qu’il se soit inspiré des déclarations de son regretté prédécesseur, Georges Marchais, à l’occasion de l’entrée des Soviétiques en Afghanistan.

Obama: le vrai renoncement occidental

La droite nationale, comme elle aime à s’appeler, n’approuve pas tant la brutalité de Vladimir qu’elle partage avec lui le constat sans appel de la faiblesse de l’Occident. Pour elle, la Cour européenne des droits de l’homme peinera à faire douter le trio cynique Poutine, Erdogan, Xi Jinping. Qui plus est, cette droite comprend mal l’intérêt qui serait le nôtre à laisser s’organiser contre nous un redoutable tandem sino-russe, alliance à laquelle la remarquable diplomatie occidentale concourt avec succès. S’identifiant plus au tsar orthodoxe qu’au sultan turc ou à l’empereur chinois (allez savoir pourquoi), Zemmour et Le Pen ont manifesté à son égard un enthousiasme désormais électoralement préjudiciable. Au fond, ils soutiennent évidemment moins Poutine qu’ils ne blâment les renoncements occidentaux.

En laissant Bachar el-Assad franchir la ligne rouge qu’il avait tracée, Barack Obama a ainsi durablement discrédité les États-Unis. Il a cru alors limiter la violence politique internationale, mais l’a probablement déchaînée. Ces renoncements pèsent par ailleurs sur la politique intérieure des démocraties occidentales. En regardant avec bienveillance leurs nations se disloquer en communautés ethnicisées, les élites occidentales font le miel de Poutine. Incapables de voir, donc de lutter contre la violence qui les gangrène et minées par des conflits ubuesques autour du genre, elles font également le malheur de leurs peuples.

Voici en somme, ce à quoi Le Pen et Zemmour auraient dû cantonner leur discours : tant que l’Europe n’aura à opposer au Kremlin que les chars de la Gay Pride (qui seraient en route vers Moscou), Poutine, mais aussi Erdogan et Xi Jinping peuvent dormir tranquilles.

Floride: pas de leçons sur le genre pour les écoliers


C’est un texte qui a fait frémir toutes les associations LGBT de Floride. Un projet de loi, que viennent de ratifier la Chambre des représentants et le Sénat de cet État et que, en toute probabilité, le gouverneur républicain, Ron DeSantis, va ratifier à son tour, prévoit de limiter l’enseignement de questions portant sur l’orientation sexuelle et l’« identité de genre » à l’école jusqu’à l’âge de neuf ans. 

Pas de ton âge !

La loi sur les « Parental Rights in Education », baptisée « Don’t say gay » (« ne prononcez pas le mot gay ») par ses opposants, ne vise pas à interdire toute discussion de ces sujets, mais à bannir des programmes scolaires toute leçon là-dessus qui ne serait pas « en adéquation avec l’âge ou le développement des élèves ». Les parents auraient le droit de poursuivre en justice toute école ou tout enseignant qui ne respecterait pas cette loi.

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Le président Joe Biden a dénoncé ce projet de loi, en twittant : « Je veux que chaque membre de la communauté LGBTQI+ — en particulier les enfants qui seront touchés par ce projet de loi haineux — sache qu’il est aimé et accepté tel qu’il est. Je vous soutiens et mon administration continuera à se battre pour la protection et la sécurité que vous méritez. » Sous la pression des salariés, Disney, un des principaux employeurs de Floride et un donateur important aux hommes politiques de cet État, a finalement exprimé son opposition à la loi mais sans menacer de suspendre ses dons au parti républicain. 

lu chong robinson transgenres
Sur YouTube, sur les réseaux sociaux et dans les médias, les jeunes sont soumis à une intense propagande idéologique autour de la théorie du genre, contestée. Image : Youtube

Le militantisme trans et ses dangers

Les condamnations en provenance de la Maison Blanche à propos de questions LGBT+ ne sont pas limitées à la Floride. En février, Joe Biden a dénoncé la décision du gouverneur du Texas, Greg Abbott, qui a ordonné à son Département des services aux familles et de protection d’enquêter sur des cas de « gender-affirming care » (« soins pour affirmer le genre ») pour des enfants dans l’État. 

À lire aussi: Les réflexions de Claude Habib sur la question trans

Ce terme est un euphémisme pour tout ce qui touche à l’accompagnement d’un individu qui « transitionne » – que ce soit par les hormones ou la chirurgie – vers un autre genre que celui de son sexe biologique. Le gouverneur a assimilé explicitement de telles pratiques à une forme de « maltraitance des enfants ». Jusqu’à présent, au moins 17 États ont introduit des mesures législatives pour criminaliser ou interdire de tels « soins » pour des enfants transgenres.

«État français assassin»: cette jeunesse corse en plein délire

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La Corse est une île trop belle et la plupart de ses habitants des citoyens trop estimables pour qu’on ne se soucie pas d’elle et d’eux.


Les manifestations violentes, des blessés dont 23 CRS, le tribunal d’Ajaccio incendié, ne cessent d’exprimer, sur un mode inadmissible, la colère corse à la suite de l’agression d’Yvan Colonna – toujours entre la vie et la mort – par un djihadiste laissé seul avec lui dans la salle de musculation de la prison d’Arles. Le forcené était pourtant connu pour de multiples et violents incidents. Il a affirmé avoir commis cet acte à la suite « d’un blasphème », car sa victime aurait « mal parlé du Prophète ». Cette tentative d’assassinat a duré huit minutes et il a fallu encore quatre minutes pour qu’on porte secours à Yvan Colonna dont le comportement en prison avait toujours été irréprochable. Ce crime ne révèle, je l’espère, qu’un scandaleux dysfonctionnement pénitentiaire.

Fiasco pénitencier

Pourquoi demander à nos amis corses de cesser ces débordements qui durent trop ou au moins d’influencer favorablement ceux qui les commettent ? D’abord parce que ce drame ne concerne pas que les Corses mais l’ensemble de la communauté nationale qui s’est indignée face à ce lamentable fiasco. Cet épisode dont l’issue laisse encore place à un peu d’espoir est totalement indépendant du processus judiciaire qui a abouti à la condamnation lourde et justifiée des assassins du préfet Érignac. Se pencher aujourd’hui sur le sort d’Yvan Colonna n’est absolument pas oublier les faits sur lesquels l’amont judiciaire avait tranché.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli : Yvan Colonna: l’affaire se corse

Une information a été ouverte pour déterminer comment une telle agression avait pu être perpétrée en prison, de la part d’un individu qui aurait dû appeler une vigilance toute particulière. Sans compter que le statut de « détenu particulièrement signalé » de Colonna aurait dû renforcer cette exigence. Une commission d’enquête parlementaire ajoutera ses investigations et son contrôle à cette procédure judiciaire. On ne peut donc pas soutenir que ce désastre pénitentiaire ait été pris à la légère. Bien au contraire.

Vers l’apaisement

Le Premier ministre a levé le statut de DPS de Colonna. La responsabilité lui en incombait puisque les possibles conflits d’intérêt du garde des Sceaux avaient imposé ce déport. J’espère que cette mesure enfin prise n’apparaîtra pas saumâtre si son bénéficiaire n’est plus là pour en jouir.

Il me semble par ailleurs que l’incarcération sur le continent a assez duré. On pourrait accepter la demande de rapprochement d’avec la Corse sur le plan pénitentiaire. Cette évolution qui ira dans le sens d’un apaisement imposera aussi que les Corses en colère et en illégalité s’engagent à un retour à la tranquillité.

Sur ce plan le délire d’une certaine jeunesse corse qui s’obstine dans le désordre et les violences – « Etat français assassin » – est aux antipodes de la sérénité qu’imposerait la gestion enfin équitable du traitement pénitentiaire des condamnés corses. Pour être jeune, on a le droit d’être intelligent !

On a parfaitement compris le message depuis quelques jours. Rien ne serait pire, pour leur cause partagée en l’occurrence par beaucoup, que la continuation d’un désordre violent devenu inutile, d’une fureur sans objet. Amis corses, ne nous rendez pas la tolérance trop difficile.

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Guerre en Ukraine: la phase de l’endurance

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Vladimir Poutine et Xi Jinping, Pékin, 4 février 2022 © Alexei Druzhinin/SPUTNIK / SIPA /

La crise est devenue un marathon. Qui va craquer le premier ?


La guerre en Ukraine entre déjà dans sa troisième semaine. Or, si concernant les précédents conflits dans cette région, on parlait du général Hiver, aujourd’hui, il faut parler des deux autres : les généraux Horloge et Calendrier. La question est maintenant l’endurance. Par ailleurs, nous disposons enfin d’informations concernant la Chine et la manière dont ses dirigeants voient la situation. 

Après que l’armée russe ait engagé la quasi-totalité des forces qu’elle avait concentrées près de l’Ukraine à la veille de la guerre, le rapport de force purement numérique entre armées russe et ukrainienne n’est pas particulièrement en faveur des Russes. Ce fait est probablement l’une des raisons expliquant la lenteur de l’avancée russe sur tous les fronts.

Pause tactique, beaucoup de pertes humaines

Selon les informations disponibles, ces derniers jours, les Russes n’avancent presque plus. Il semblerait qu’ils consacrent de plus en plus de moyens à la sécurisation de leurs lignes de communication et plus généralement à l’amélioration des performances de leurs échelons logistiques. Il s’agit donc, en toute probabilité, d’une « pause » tactique imposée aux Russes par le déroulement inattendu des opérations (de leur point de vue). Rien ne corrobore en revanche la thèse selon laquelle l’opération russe se déroule en général comme prévue ou que son rythme indique une volonté d’épargner les vies et les infrastructures ukrainiennes.

Quant aux pertes, les chiffres ukrainiens (12 000 soldats russes morts au combat) semblent largement exagérés et l’information publiée par l’Etat-major russe (plusieurs centaines de morts) parait elle aussi très peu fiable. Les Britanniques et les Américains avancent le chiffre de 5000 ou 6000 morts côté russe, et d’à peu près la moitié côté ukrainien. C’est beaucoup (les guerres en Afghanistan ont couté à l’armée rouge 26 000 hommes en dix ans et à la coalition menée par les États-Unis 3 500 morts en vingt ans), mais pour le moment ces pertes n’affectent qu’à la marge la capacité des deux armées à se battre. En revanche, les pertes russes pourraient avoir un effet sur l’opinion publique dans ce pays un peu plus tard et avec des conséquences qu’il est impossible à prévoir.

Une guerre qui pourrait durer

Le Pentagone a annoncé le déploiement des deux batteries sol-air Patriot à Rzeszów, ville située à l’est de la Pologne, non loin de la frontière ukrainienne, sur la route reliant Lviv. L’aéroport de cette ville polonaise joue un rôle important dans l’effort de l’OTAN pour aider l’armée ukrainienne. Et les photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux nous apprennent que des armes inconnues précédemment dans l’arsenal ukrainien – notamment des missiles anti-char – font leur apparition sur le champ de bataille. De ce côté-là, la logistique a l’air de marcher.

À lire aussi, du même auteur: Et si le tsar était nu?

L’Ukraine ne s’est pas écroulée. Ses forces armées résistent si bien qu’elles ont déjà imposé aux Russes une autre guerre, très différente de celle qu’ils avaient planifiée. Mais les forces ukrainiennes font face à une pression énorme, les troupes sont fatiguées, il n’y pas de réserves et les problèmes de logistique s’aggravent.

Quant aux Russes, le temps presse. Malgré leur indéniable supériorité globale, cette guerre traîne en longueur, coûte cher et aspire d’importants moyens humains et logistiques. Politiquement aussi, plus le conflit dure plus l’image de la puissance russe se dégrade et avec elle sa dissuasion conventionnelle. Or, c’est le principal atout de la politique internationale de Moscou. Et justement, c’est sur ce point que les choses se compliquent.

Les Chinois préoccupés

Mardi dernier, William Burns, le directeur de la CIA, a déclaré que le dirigeant chinois Xi Jinping aurait été « déstabilisé » par les difficultés rencontrées par la campagne militaire russe en Ukraine. Selon lui, Xi n’apprécie pas tellement que l’initiative guerrière de Poutine rapproche les États-Unis et les pays européens. « Je pense que le président Xi et les dirigeants chinois sont un peu déstabilisés par ce qu’ils voient en Ukraine », a-t-il déclaré lors d’une audition devant la commission du renseignement du Sénat des Etats-Unis. La CIA croit que les Chinois « n’ont pas anticipé les difficultés importantes que les Russes allaient rencontrer ».

Pékin a certes refusé de condamner l’invasion russe et une porte-parole du gouvernement a même déclaré lundi que l’amitié entre les deux pays restait « solide comme le roc », mais le lendemain mardi, Xi a appelé à la « retenue maximale », qualifiant la crise lors d’un sommet vidéo avec Emmanuel Macron et Olaf Scholz de « profondément préoccupante ».

William Burns a également déclaré devant des élus de la Chambre des représentants que les dirigeants chinois s’inquiétaient que leur association étroite avec le président Poutine ne porte atteinte à la réputation de la Chine. Il a ajouté qu’à Pékin on s’inquiète des conséquences économiques mondiales de la crise et de la tournure des évènements, à un moment où la Chine est déjà confrontée à des taux de croissance annuels plus faibles que par le passé… 

Surprises

Plusieurs questions concernant la Chine restent sans réponses pour le moment et notamment concernant ce qu’a dit exactement Poutine à Xi début février pendant leurs rencontres lors des JO d’hiver ? Lui a-t-il annoncé une action comme celle lancée en Crimée et au Donbass, après les JO de Sotchi en 2014 ? Quelle a alors été la position de Xi ? Et, bien évidement, la grande question qui demeure est de savoir ce que va à présent faire la Chine.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli: La Russie attaque? Vengeons-nous sur les handicapés!

Pékin va-t-elle jouer le rôle que lui destine la Russie, c’est-à-dire le partenaire commercial et stratégique capable d’atténuer et contourner les sanctions occidentales contre Moscou ? Et si oui, à quel prix ?

Sans donner une réponse satisfaisante, un communiqué de l’agence de presse russe Interfax publié hier permet de mieux comprendre la situation. Selon ce communiqué, Valery Kudinov de la Rosaviatsia chargée du maintien de la navigabilité des avions (c’est l’Agence russe de l’aviation civile), a déclaré que la Chine avait refusé de fournir aux compagnies aériennes russes des pièces de rechange pour leurs appareils. Ce refus intervient à la suite de l’interruption de l’approvisionnement de composants par Boeing et Airbus.

A la liste de plus en plus longue des surprises désagréables de ces deux dernières semaines, il semble donc que Moscou va devoir ajouter le manque d’enthousiasme chinois pour l’aider.  

Tant qu’il y aura des films

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© Les films du Parotier

Une hôtesse de l’air qui se fout des syndicats, un acteur-monstre qui n’en finit pas de jouer son propre rôle à l’écran et une vache de compétition qui tient la vedette : le cinéma français dans tout son éclat mensuel. « Rien à foutre«  d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, le 2 mars. « Robuste », de Constance Meyer, le 2 mars 2022. « Vedette », de Claudine Bories et Patrice Chagnard, le 30 mars 2022.


À bord

Poids léger (comme l’air)
Rien à foutre, d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre

Sortie le 2 mars 2022

Un film, du moins son idée d’origine, tient à peu de chose. Dans le cas présent, les deux coscénaristes et réalisateurs racontent que tout a démarré avec la vision, sur un vol à bas prix, d’une hôtesse de l’air manifestement déprimée qui retrouva instantanément son plus beau sourire commercial quand retentit la sonnerie lui donnant le feu vert pour proposer aux passagers ses boissons et objets à vendre… Le dedans du spleen, le dehors du travail : ce qu’elle laisse au sol de soucis domestiques ou amoureux, ce qu’elle emporte en vol d’agitation professionnelle. Le film Rien à foutre (magnifique titre !) repose sur ce double mouvement contradictoire et complémentaire à la fois. L’image finalement très quotidienne du privé qu’on se doit de cantonner et de faire taire dans l’arène publique. Le « sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille » quand sonne l’heure du grand ballet de nos vies sociales.  De cette situation de départ minimaliste et banale, Marre (c’est le véritable patronyme de celui qui a coréalisé Rien à foutre, on pourrait croire à la blague de potache et c’est pourtant la stricte vérité de l’état civil qui ne s’invente donc pas !) fait un film qui prend son sujet à bras-le-corps. Ici l’hôtesse de l’air s’appelle Cassandre, laquelle n’annonce rien d’autre que l’avènement d’une jeunesse en proie au doute social et qui semble très bien s’accommoder de la dérégulation sociale tous azimuts.

© Condor Distribution

Déjouant les pièges du « film de métier » qui ressemble plus à une fiche de Pôle Emploi qu’à une œuvre de cinéma digne de ce nom, les deux auteurs accordent à leur personnage principal une véritable existence hors de son statut professionnel. C’est précisément parce que la vraie vie est ailleurs qu’elle accepte les conditions de travail propres au low cost. Elle s’en arrange moins qu’elles ne l’arrangent, à vrai dire. Et pour tout dire l’absence de morale que revendique Rien à foutre fait plutôt du bien en ces temps où le tandem formé par le cinéaste Stéphane Brizé et son acteur fétiche Vincent Lindon fait figure de mètre-étalon du prêt-à-penser. D’où un cinéma qui n’en finit pas de donner des leçons en prônant un « autre monde » (c’est le titre de leur dernier opus commun) dont on peine à voir ce qu’il recouvre vraiment. À force de répéter que tous les patrons sont méchants et tous les cadres gentils, certains finissent par y croire. Rien à foutre se garde de telles croyances. Si sa Cassandre se brûle les ailes, c’est entièrement de sa faute. D’où un film qui très heureusement ne finit pas sur une prise de conscience, un salut par je ne sais quoi ou qui, ou bien encore une évolution qui ressemblerait à la découverte de la maturité. Rien de tel ici et c’est ainsi que le film de Julie Lecoustre et Emmanuel tient bien droit sur ses deux jambes.

À lire aussi: «Rien à foutre»: les hôtesses de l’air ne s’envoient plus en l’air

Au centre de cette réussite, il y a assurément une actrice, Adèle Exarchopoulos. Révélée par le génial Abdellatif Kechiche, elle donne à Cassandre et sa vitalité et son mystère. Le « rien à foutre » semble lui coller à la peau, comme si son visage révélait en permanence cet état d’esprit qui l’empêche de tomber. Ce mantra salvateur est un excellent passeport pour franchir les portiques d’aéroport aussi bien que les dépressions passagères. Toujours seule et sans cesse entourée, c’est le lot quotidien de Cassandre au sol comme dans les airs. Et c’est ce spleen que l’actrice sait rendre à la perfection, traversant tout le film d’une nonchalance qui fait songer à la Sandrine Bonnaire de chez Pialat (À nos amours) ou Sautet (Quelques jours avec moi). Être au monde sans y être tout à fait, lui déclarer son amour tout en le tenant à distance. Cela, Exarchopoulos l’accomplit ici comme ailleurs à la perfection. Chez Kechiche, elle faisait jeu égal avec Léa Seydoux. Elles sont toutes les deux de la même eau dans des registres opposés, mais parfaitement complémentaires. Elles sont la lutte des classes à elles deux : Adèle d’en bas, Léa d’en haut, clichés inclus. Mais le cinéma est affaire d’images, Exarchopoulos, comme Seydoux, pulvérise toutes les caricatures : avec elles, les images sont justes.


À la ville

Poids lourd
Robuste, de Constance Meyer

Sortie le 2 mars 2022

© Diaphana Distribution

Depardieu encore et toujours… On le verra bientôt incarner le plus célèbre commissaire de la littérature française, Maigret, sous la direction de Patrice Leconte. Ici, il joue son propre rôle ou presque. Un acteur fatigué qui voit débouler une plantureuse garde du corps chargée d’assurer sa sécurité au quotidien. Désormais, chaque film avec Depardieu est d’abord et peut-être uniquement un film sur Depardieu. On guette le tour de taille, le souffle court, la profondeur sidérante du regard et le phrasé à nul autre pareil. C’est comme une bête de concours. Chaque film devient comme une médaille, un nouveau trophée. Et tant pis si Depardieu tourne trop et finit par tourner n’importe quoi, n’importe comment et avec n’importe qui… Un acteur, se justifie-t-il, c’est fait pour tourner comme le plombier pour réparer les lavabos. Passez votre chemin. Robuste est toutefois un premier film plutôt prometteur, parce que la réalisatrice a manifestement su dompter le fauve et c’est déjà une merveilleuse prouesse.


À la montagne

Poids lourd (bis)
Vedette, de Claudine Bories et Patrice Chagnard

Sortie le 30 mars 2022

On ne saurait trop conseiller à Alain Finkielkraut de se précipiter pour aller voir ce documentaire, lui dont on sait l’admiration qu’il voue à la race bovine et à ses représentantes. La « Vedette » du titre, c’est en effet le nom d’une vache qui fut la reine des reines à l’alpage, dans les Alpes. Vieille désormais, elle devient l’hôte des deux auteurs de ce film singulier. Mais cette cohabitation ne va pas de soi pour le couple qui doit malgré la boue, le froid et la pluie apprivoiser cet animal pas comme les autres. S’ensuit une fable pleine d’humour et d’ironie aussi. Personnage à part entière, Vedette est à la hauteur de sa haute réputation. Elle fait peur, elle déroute, elle séduit, elle énerve, elle intrigue. Réceptacle parfait des fantasmes humains pour ne pas dire urbains, elle leur tient tête avec une constance admirable. Reste un film bourré d’humour et de second degré qui devrait plaire au philosophe…

Les Comices: Flaubert et Mélenchon

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Jean-Luc Mélenchon en meeting à Lyon, 6 mars 2022 © Bony / SIPA

Le 6 mars, sur l’esplanade du Gros Caillou à Lyon, le candidat d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon a réuni une foule de sympathisants et prononcé un discours faisant penser à Flaubert à notre chroniqueuse.


C’est depuis notre mythique colline de La Croix-Rousse, celle-là même qui vit autrefois se soulever les Canuts, que Jean-Luc Mélenchon a choisi d’haranguer ses sympathisants, comme le fit peu de temps auparavant notre regrettée Christiane Taubira (relire notre article).

Le choix de ce lieu, symboliquement chargé à gauche parce que foyer d’une insurrection ouvrière qui inspira les grands mouvements de la pensée sociale du XIXe, a certainement participé de l’ampleur d’un rassemblement qui fut une véritable démonstration de force pour le candidat qui se détache résolument d’une gauche en déroute. Pour rappel : Christiane Taubira a quitté le champ de bataille pour retrouver la quiétude des bras morts du fleuve Maroni, définitivement vouée la seule poésie d’Aimé Césaire. Sandrine Rousseau « déprimée de faire de la politique dans des groupes du Ku Klux Klan », vient de se faire évincer de l’équipe de campagne de Yannick Jadot, et on s’est laissé entendre dire qu’Anne Hidalgo avait été victime d’un accident de trottinette sur les berges de la Seine. Quant à Fabien Roussel (Cadet Roussel !), il se remettrait difficilement d’une attaque de « peste brune ».

Plus rien à perdre

Si la foule avait répondu présente au meeting de Jean-Luc Mélenchon, affluant en masse près du Gros Caillou, force est de constater que la diatribe assenée par le tribun manqua résolument du souffle révolutionnaire qu’il se plaît habituellement à revendiquer.

Baste ! c’est chez Flaubert et aux Comines d’Yonville dans Madame Bovary, qu’on se serait bel et bien cru. Roula sur l’auditoire harangué par Monsieur le Conseiller Lieuvain plutôt que par Robespierre, mais hélas conquis, un tombereau de platitudes que débita alertement notre orateur d’un ton paterne de bonimenteur. Convenons-en toutefois, cela ne fut pas dépourvu d’une certaine saveur pour qui aime la littérature.

M. Mélenchon, que les puissants doivent craindre parce qu’il a soixante- dix ans, et par conséquent plus rien à perdre, est pour la paix (Mais qui est pour la guerre ?). Il se propose donc de sortir de l’OTAN. Il se promet également de lutter contre le libéralisme échevelé qui a ruiné l’école et l’hôpital et de renoncer à l’énergie nucléaire. Notre justicier, enfin, n’écoutant que son courage, part en croisade contre la malbouffe et célèbre une autonomie agricole bientôt recouvrée.

Pour ma part, transportée à Yonville, j’ai fermé les yeux et je me suis abîmée dans le discours du bateleur pour fraterniser avec une assemblée envoûtée.

À lire aussi, Martin Pimentel: Face à Zemmour, Pécresse décoche toutes ses flèches

Mais, laissons plutôt parler Flaubert : « La place jusqu’aux maisons était comble de monde. On y voyait des gens accoudés à toutes les fenêtres, d’autres debout sur toutes les portes et Justin, devant la devanture de la pharmacie, paraissait tout fixé dans la contemplation de ce qu’il regardait. Malgré le silence, la voix de M. Lieuvain se perdait dans l’air. Elle vous arrivait par lambeaux de phrases qu’interrompaient çà et là le bruit des chaises dans la foule ; puis on entendait, tout à coup partir, derrière soi un long mugissement de bœuf ou bien les bêlements des agneaux qui se répondaient au coin des rues. »   

Quelle ferveur, mes amis !

Je n’entendais plus Mélenchon ; c’était bien Lieuvain qui déclamait : « Continuez ! Persévérez ! N’écoutez ni les suggestions de la routine, ni les conseils trop hâtifs d’un empirisme téméraire ! Appliquez-vous surtout à l’amélioration du sol, aux bons engrais, au développement des races chevalines, bovines, ovines et porcines ! que ces comices soient pour vous comme des arènes pacifiques où le vainqueur, en sortant, tendra la main au vaincu et fraternisera avec lui, dans l’espoir d’un succès meilleur ! Et vous, vénérables serviteurs, humbles domestiques, dont aucun gouvernement jusqu’à ce jour n’avait pris en considération les pénibles labeurs, venez recevoir la récompense de vos vertus silencieuses (…) »

Un auditoire envouté par la tortue sagace

Citons toujours Flaubert qui rend magnifiquement compte du spectacle qui m’était offert : « Remontant au berceau des sociétés, l’orateur nous dépeignait des temps farouches où les hommes vivaient de glands, au fond des bois. Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes, endossé le drap, creusé des sillons, planté la vigne. »

Tandis que notre bateleur envoûtait ainsi son auditoire, j’ai même surpris Rodolphe Boulanger qui profitait de l’aubaine constituée par ce discours empreint d’un lyrisme aussi bucolique que creux pour suborner Emma Bovary. Il lui susurrait dans le creux de l’oreille des propos tout aussi fumeux, tandis qu’elle tentait de résister aux assauts de sa séduction suave : « Mais il faut bien (disait Emma), suivre l’opinion du monde et obéir à sa morale ?

Ah ! c’est qu’il y en a deux (répliquait Rodolphe). La petite, la convenue, celle des hommes, celle qui varie sans cesse et qui braille si fort, s’agite en bas, terre à terre, comme ce rassemblement d’imbéciles que vous voyez. Mais l’autre, l’éternelle, elle est tout autour et au-dessus comme le paysage qui nous environne et le ciel bleu qui nous éclaire. »

Et la foule de La Croix-Rousse, oscillait, comme hypnotisée, doucement bercée par la voix du leader des Insoumis, bonimenteur hors pair. C’est alors que monta comme un mugissement, une clameur qui déchira le silence recueilli. Des pancartes où étaient dessinées des « tortues sagaces », à l’effigie du candidat furent brandies : On va gagner ! On va gagner, scanda la foule dans une bouffée de liesse délirante.

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 À toute cette ferveur succéda malheureusement un silence gêné, alors que ces comices s’achevaient. Las ! Notre tribun avait entrepris, bien mal lui en prit, d’entonner Le Chant des canuts :

C’est nous les canuts

Nous allons tout nus

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira :

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira :

Nous tisserons le linceul du vieux monde

Car on entend la révolte qui gronde.

C’est nous les canuts

Nous sommes tout nus.

Nos apprentis-révolutionnaires lyonnais en ignoraient visiblement les paroles, tout comme ils semblaient méconnaître celles de la Marseillaise qui fut ensuite convoquée. Écoutant celle-ci, ils se contentèrent de lever un poing vengeur, lourd de conscience et d’implication politiques. Nous nous sommes dit alors, avant de rentrer chez nous, que c’était peut-être le Chant du départ qu’allait devoir bientôt entonner le leader de la France insoumise.

Quoi qu’il en soit, que Jean-Luc Mélenchon soit remercié pour ce moment littéraire.

La guerre de l’Élysée n’aura pas lieu

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Allocution télévisée d'Emmanuel Macron pour évoquer la situation en Ukraine, 2 mars 2022 © Ludovic MARIN / AFP

On peut comprendre l’union sacrée autour de Macron, chef d’État devenu chef de guerre. Il est en revanche fâcheux que, pour la deuxième fois, l’élection présidentielle soit de facto confisquée. Alors que la France vit une drôle de campagne, on nous annonce la réélection triomphale du président sortant. Il n’aura ni à s’expliquer sur son bilan, ni à exposer son programme.


Emmanuel Macron a raison. Cette guerre aura des conséquences sur nos vies. Pas seulement parce qu’elle fait déjà exploser les cours du pétrole et du blé. Ni parce qu’elle contraint les Européens à sortir de la grande salle de gym où ils peuvent exiger à loisir que leurs lubies identitaires et autres soient considérées avec le plus grand sérieux – « Ne m’appelez plus jamais il ou elle, pour moi ce sera iel ». Si l’invasion de l’Ukraine ouvre assurément une nouvelle page stratégique pour le Vieux Continent, il est peu probable que nous sortions de l’épreuve (vécue par d’autres) soudainement prêts à répondre aux convocations de l’Histoire, tant l’individualisme, le confort et le caprice sont devenus chez nous une seconde nature. Bref, tous ceux qui proclament que rien ne sera plus comme avant, comme ils l’ont fait en mille occasions, du 11-Septembre à la pandémie que l’on sait, devraient se rappeler que, souvent, les après ressemblent furieusement aux avant. Ainsi, des twittos LGBT se sont-ils émus que « des femmes trans et des personnes non binaires » aient été bloquées à la frontière ukraino-polonaise, car leur carte d’identité portait la mention « homme » et que les hommes sont priés de rester se battre. Dans le meilleur des mondes qui advient, il suffira d’affirmer qu’on se sent centenaire, même si on a 22 ans, pour échapper à la mobilisation, et la guerre disparaîtra. Passons.

Il est pour le moins prématuré de claironner la naissance de l’Europe-puissance alors que, pour notre défense, nous continuerons à nous abriter sous ce qu’on appelait le parapluie américain quand j’étudiais à Sciences Po – la France, un peu moins que les autres et l’Allemagne peut-être un peu moins demain qu’hier. Mais même si l’Europe atteint le seuil de 2 % du PIB consacré aux dépenses militaires (dépenses qui seront d’ailleurs majoritairement affectées à l’achat de matériels américains), elle restera loin des 3,7 % états-uniens, des 4 % russes, sans parler des 4 % pakistanais et des 8 % saoudiens, la France étant en tête de l’UE avec 1,9 %…

Unanimité européenne

Certes, il serait tout aussi absurde de prétendre que rien ne va changer. Poutine a réussi le tour de force de créer contre lui une unanimité européenne, et même occidentale, jusque-là introuvable quel que fût le sujet. Il a probablement engagé la destruction de la puissance russe qu’il prétendait restaurer. Et pour finir, on assiste peut-être à la naissance, dans le sang et les larmes, d’une nation ukrainienne.

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Cependant, il n’a pas arrêté le temps. Et il ne le maîtrise pas non plus. Commencée quarante-cinq jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, sa guerre a toutes les chances de se finir après le second et peut-être après les législatives de mai. D’où la situation inédite et doublement paradoxale où nous nous trouvons : d’une part, le président est pratiquement réélu alors qu’il n’est pas encore candidat et d’autre part, la démocratie que nous nous rengorgeons de défendre là-bas est au bas mot assoupie ici. De ce point de vue le bannissement des médias financés par Moscou, RT et Sputnik, revient à employer les méthodes que nous dénonçons à raison chez Poutine.

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La campagne électorale est donc pratiquement finie avant d’avoir vraiment commencé. La seule qui vaille, désormais, c’est la campagne de Russie. Les médias les moins portés à ennuyer le chaland avec les affaires du monde vivent à l’heure ukrainienne à coups d’édition spéciale sans fin et de plateaux d’experts qui, quoi qu’en disent les esprits forts, ne sont pas tous dépourvus d’intérêt. Même Hanouna s’y est collé, soucieux de faire comprendre à son public pourquoi il n’était plus question dans son émission des frasques des youtubeurs ou des blagues sexistes des politiques.

On n’a même pas eu de complotistes délirants expliquant que Poutine avait été drogué et qu’il était en réalité la marionnette de Macron et Biden, lesquels avaient bien besoin d’une bonne petite guerre pour faire oublier leurs échecs. Il faut se rendre à l’évidence, nos candidats n’y sont pour rien. En attendant, tous ne sont pas égaux devant l’événement. Ce qui est objectivement une divine surprise pour l’un est un étouffoir pour les autres, réduits à l’état de spectateurs passifs, et une sacrée épine dans le pied des derniers à qui on a beau jeu de rappeler leurs anciennes indulgences pour le maître du Kremlin. Les épurateurs s’en donnent à cœur joie, scrutant les déclarations passées des uns et des autres pour y dénicher toute trace de poutinisme. On voit mal pourquoi ils retiendraient leurs coups. Certes, le Poutine avec lequel Marine Le Pen s’affichait fièrement, dont Éric Zemmour louait le patriotisme (et qu’Emmanuel Macron accueillait en grande pompe à Versailles) n’est pas tout à fait le même que celui qui a lancé ses chars vers le Dniepr. Après tout, en janvier, il était encore (virtuellement) reçu à la réunion préliminaire du forum de Davos. Bref, on peut s’en désoler, mais tant que Poutine se contentait de priver de libertés son peuple (et son étranger proche et russophone), il restait fréquentable – et fréquenté. Il est vrai que Zemmour a bêtement aggravé son cas en se déclarant hostile à l’accueil de réfugiés ukrainiens, qui d’ailleurs n’ont pas l’intention de débarquer chez nous en masse tant que leurs pères, fils, frères, amants et maris résisteront par les armes à l’envahisseur.

Toute parole dissidente est suspecte

En public, les prétendants arborent des mines graves et tentent de masquer leur dépit ou leur exultation – il ne faudrait pas qu’ils aient l’air de plus se soucier de leurs ambitions politiciennes que d’un peuple frère et martyr. En privé, et anonymement, il faut croire qu’ils restent des humains. Chez Le Pen, Zemmour et Mélenchon, on a de bonnes raisons de maudire l’agresseur qui ruine les espoirs des trois candidats poutinisés matin, midi et soir, bien qu’ils aient tous condamné l’invasion. Pécresse, Jadot et Hidalgo ont quasiment disparu des radars. « Macron, c’est Top Gun ! », soupire un pécressiste dans Le Point. Quant aux partisans du président sortant, ils cachent mal leur joie. « Si on ne déconne pas, c’est l’autoroute pour la victoire », s’enthousiasme un Marcheur dans le même article. Et cela sans même se donner la peine de faire campagne.

Rassemblement en soutien à l’Ukraine, place de la République à Paris, 24 février 2022 / Samuel Boivin / NurPhoto via AFP

Dans ce pesant unanimisme, toute parole dissidente ou simplement divergente est suspecte. Que la guerre soit indéfendable, et que Poutine en soit le seul coupable, cela ne fait pas discussion (encore qu’en démocratie, même cela, on doit pouvoir le discuter si on y tient). Cependant, sauf à suspendre le débat public, on devrait avoir le droit de critiquer la stratégie américaine vis-à-vis de la Russie de ces trente dernières années, de discuter la réaction des Européens, la politique d’Emmanuel Macron et même de réclamer un véritable débat électoral. Or, à entendre les macronistes de la première comme de la onzième heure (ça se bouscule au portillon), tout énamourés devant le chef d’État transmué en chef de guerre, il serait antipatriotique de s’offusquer de la vitrification de la campagne. Marlène Schiappa ose tout, c’est à ça qu’on la reconnaît : « Ne pas voter Macron, c’est voter Poutine », a-t-elle déclaré sur Europe 1. Bah voyons comme dirait l’autre ! Autant annuler l’élection, ce sera plus clair.

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Je casse l’ambiance

Il est donc entendu que la campagne se déroulera a minima, en l’absence du favori. Et tout autant que son bilan ne fera pas l’objet du moindre inventaire. C’est ainsi que personne n’a cherché de noises à la majorité qui, juste avant de fermer boutique, a trouvé le moyen de voter contre l’interdiction du voile islamique (et de tout signe religieux) dans le sport. Ne serait-il pas mesquin de pointer l’incohérence et même la grave inconséquence de parlementaires qui, deux ans après avoir adopté un texte contre le séparatisme, inscrivent dans le marbre législatif le droit au séparatisme sportif ? On ne parlera pas plus de la gestion de la crise sanitaire, de l’hôpital à la dérive, de l’explosion de la dette, des retraites ou des flux migratoires. Qui se soucie de telles peccadilles quand des enfants meurent ? On n’aura pas, enfin, le mauvais goût de demander au président à quelle sauce il compte nous manger pour son deuxième mandat. Oserait-on importuner avec de basses questions politiques un homme occupé à ramener la paix dans le monde ? Dans son allocution du 2 mars, excellente au demeurant, Emmanuel Macron a cependant donné un aperçu de ses intentions, en se déclarant favorable à un renforcement de notre souveraineté économique et militaire. Fort bien, sauf qu’il parlait de l’Europe et que nous allons élire, paraît-il, le président de la France. Que prévoit-il pour nous, de devenir une province de l’empire bruxellois ?

Au risque de casser cette ambiance où les bons sentiments se nourrissent de l’effroi et vice versa, la Terre ne s’est pas arrêtée de tourner. On a fait de la poésie après Auschwitz. Après la chute de Kiev, probable au moment où ce journal va être imprimé, on continuera à travailler, aimer, avoir des fins de mois difficiles et se chamailler. Malgré les heures sombres que vit l’Ukraine, le président élu le 24 avril devra affronter les crises et les colères françaises laissées sans réponse depuis des décennies.

Après la présidentielle de 2017, confisquée par les bons soins du Canard Enchaîné et du Parquet national financier, nous voilà encore privés d’un débat, donc d’un choix éclairé. Puisqu’on ne change pas de capitaine au milieu de la tempête. À ce compte-là, Emmanuel Macron est peut-être président à vie, car il n’y a aucune raison de penser que le monde deviendra un jardin de roses au lendemain de sa réélection.

Conflit Ukraine-Russie: les salves rhétoriques

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Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, devant des journalistes étrangers, à Kiev, le 3 mars 2022 © EPN/Newscom/SIPA

Au sujet de l’Ukraine, les médias nous abreuvent de commentaires faits par des géopolitologues, des généraux (certains réels, d’autres en pantoufles) et des moralistes (autoproclamés !). Changeons notre fusil d’épaule: Philippe-Joseph Salazar, philosophe et spécialiste de rhétorique, nous parle de cette autre guerre, celle des arguments…


Cela saute tellement aux yeux qu’on ne le voit pas : le conflit entre le Don et le Dniepr est le premier conflit armé en Europe qui se fait à l’ère du web 2.0, en pleine maturité d’Internet. Résultat : un brouhaha.

Premier, car l’assaut militaire de l’OTAN contre la Serbie était d’une autre époque : en 1999 Wikipédia n’existait pas et Google finissait de tester sa version bêta, si bien nommée. La différence se voit dans les blogs et posts et fils de chats : grâce au Web, tout le monde est un expert instantané sur mille ans d’histoire russe, et dans ses plus infimes et pittoresques détails. Ma coiffeuse sait placer Sumy sur une carte, elle me fait la leçon sur l’étymologie du mot « rus », et manque de me taillader l’oreille. Cette bande passante genre ruban collant à mots-mouches n’est ni bien ni mal : c’est un fait.

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Le fait en question – ça bombarde, ça tue, ça fuit – qui est appelé soit «opération militaire spéciale » (RT), « invasion » (dixit l’Ukraine), « actions agressives » (l’OTAN), « guerre » (France Info) est donc, en sus du bruit parasite web, un objet de guerre rhétorique et pas seulement comme on le dit ailleurs une « guerre des mots ». Car ce qui est en jeu ici ce sont des arguments, des postures tactiques.

Sans porter de jugement de valeur sur le bon droit rhétorique des Russes, des Ukrainiens, de l’OTAN, de l’UE à dire les choses comme ils veulent qu’on les entende, la rhétorique, qui est neutre, permet de faire les trois.

Instantané rhétorique #1: «the right side of History» (« du bon côté de l’histoire »)

On se rend peu compte en France que cette guerre se communique essentiellement en anglais. Etats-Unis, Angleterre, OTAN, UE (après le Brexit !), pays du Commonwealth, de l’Inde à l’Australie, c’est, hors de l’Hexagone, une déferlante en anglais. Or, dans cet anglais façonné culturellement, le mal se dit « evil ». Mot religieux, « evil » c’est le diable. Imaginez que Libé ou Le Figaro titrent : Poutine, suppôt de Satan. En anglais, non : c’est utilisé par Biden et BoJo. Ces cultures naguère colonisées par les protestants anglo-saxons gardent le diable dans leur langue, un résidu rhétorique qui pèse évidemment sur leur mental politique : il faut qu’il y ait un Mal absolu pour se dire, « nous, nous sommes du bon côté de l’Histoire ». En France le camp du bien se résume à ceci, entendu à la télé, style Marlène : « Oui j’ai accueilli trois Ukrainiens car si un jour ça m’arrive à moi, je serai bien contente qu’on fasse pareil ». On ? Qui « on » ? Et « ça », comment, quel « ça » ? Bref une sorte d’assurance complémentaire… Mais voilà, sur le terrain de la propagande c’est la rhétorique du Mal, en anglais, qui décide, et pas la rhétorique Sécu.

Instantané rhétorique #2: « nazis ! »

Le côté russe, pour qualifier le côté ukrainien – gouvernement, militaires et miliciens, mais pas la population – parle de  « nationalistes », de « néo-nazis », de « fascistes ». Le premier terme est le plus employé par la communication russe. Le deuxième a été fameusement lancé par Poutine (« нео-нацистами », « néonazisme »), et bien sûr aucun média de masse ne s’est soucié de se demander ce que le mot recouvre. Le troisième est un mot clef des documentaires de RT sur le Donbass qui passent en boucle depuis dix jours: les paysans de l’Est de l’Ukraine appellent les forces gouvernementales ukrainiennes « fascistes ». En France on brandit ces mots pour un oui pour un non. Entre Dniepr et Don, c’est de l’uranium enrichi. Pour un Slave comme Poutine, qui a publié un long article en 2021 sur l’unité culturelle slave russe-biélorusse-ukrainienne, le gouvernement ukrainien est étroitement « nationaliste » au lieu d’être slave ; il est nationaliste comme l’était l’Allemagne hitlérienne, il est donc « néo-nazi », et le remède est de le « dénazifier ». Les populations entre le Dniepr et le Don se souviennent que les Ukrainiens de l’ouest ont accueilli avec des fleurs la Wehrmacht libératrice (avant de déchanter). Milice de choc en Ukraine, le bataillon Azov, à qui le Mouvement de la Résistance Nordique, mouvement scandinave bien connu dans ces régions, a décerné un certificat de national-socialisme, est une affaire tombée à pic pour les Russes, mais qui répond à un mémoriel vif et violent. Chez nous « nationaliste ! nazi ! fasciste ! » ce sont des tags, en Russie ce sont des arguments puissants et factuels. Chaque mémoire politique fabrique sa propre rhétorique, avec les mêmes mots.

Instantané rhétorique #3: la prise de parole

Devant les caméras, les officiels ukrainiens s’expriment souvent en anglais. Les Russes parlent toujours russe. Les Ukrainiens marquent ainsi des points du point de vue de l’impact direct de leurs interventions – surtout s’ils imitent l’accent américain. Mais pourquoi ? Parce qu’ils savent que leur langue ressemble tellement au russe que les bonnes gens en France et ailleurs se diraient (réflexe rhétorique) : « Mais c’est du russe, non ? ». Du coup, l’identité ukrainienne en prendrait un coup. Mais cette ventriloquie a un résultat plus dur, rhétoriquement : quand on ne maîtrise pas une langue on dit un mot pour un autre, on construit mal ses phrases, et on passe rapidement à des déclarations hors des clous – celles qui alarment vos alliés.

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Et c’est exactement le style de prise de parole de Zelensky : il s’excite, réclame, exige, revient sur ses mots, supplie. On dit qu’il est acteur. Mais un bon acteur suit la « méthode » et entre complètement dans son personnage. Pas lui, il reste un « animateur », avec tous les dérapages du genre – et qui commencent à ennuyer sérieusement Berlin [1]. Par contre Poutine et Lavrov, qui contrôlent leur langue maternelle, développent point par point leurs arguments, expliquent, répondent, illustrent, sans jamais perdre patience. En costume cravate. Un autre mode rhétorique, dialectique, est à l’œuvre.  

Car, au final, ce qui compte n’est pas qu’on n’aime ou qu’on n’aime pas, mais c’est de savoir sur quelle cible chaque rhétorique a le meilleur retour sur investissement. Or, si le style animateur de Zelensky colle bien à la culture télé occidentale, le style russe est en symbiose avec celui des Chinois, tant par leur respect de leur propre langue, que par la dialectique mise en œuvre. Cette option rhétorique est également celle du Japon officiel. Celle de l’Inde nationaliste. Celle de l’Iran. Celle des pays « bolivariens » d’Amérique Latine… Quand Biden, BoJo, et d’autres affirment que « le monde entier » condamne la Russie, non seulement c’est factuellement faux, mais, pire, c’est dangereux car le monde entier ne parle pas et n’argumente pas comme les Etats-Unis, l’OTAN ou l’UE.

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[1] Le 3 mars, le président ukrainien déclare que si son pays était défait, « la Russie ira jusqu’au mur de Berlin »… De plus, l’Ukrainien commence à ennuyer sérieusement Berlin avec ses demandes répétées de couper le gaz russe.

Le grand remplacement tuera la diversité du monde!

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Station RER Gare-du-Nord, Paris, 23 septembre 2010 © ETIENNE LAURENT / AFP

À l’approche de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron préférerait qu’on évite de lui parler du «grand remplacement» et du «grand déclassement». Heureusement pour lui, le conflit en Ukraine permet d’éviter d’aborder ces sujets: quel grand soulagement ! Dans cette analyse très sombre, notre chroniqueur Driss Ghali prédit la fin du dépaysement, et la disparition de la France telle que nous la connaissons.


Dans notre belle démocratie, il y a une certitude inéluctable et non-négociable: le grand remplacement. Le seul futur possible se présente sous les traits de l’islamisation, de l’africanisation et de la tiers-mondisation. 

Dans notre belle démocratie, la souveraineté du peuple est une vaste blague. Notre peuple est tellement souverain qu’il est remplacé ! Il est mis en concurrence chez lui avec d’autres peuples, porteurs en germe d’autres souverainetés ! Quel exploit !

La peur d’être minoritaire dans son pays

Dans notre belle démocratie, il est facile de changer de sexe, mais il est impossible d’avoir son mot à dire sur l’avenir commun. L’horizon est bouché. Vous n’avez pas le choix. On vous intime d’habiter un monde où vous serez constamment un étranger parmi des étrangers. Un monde construit à l’avance par un architecte qui ne vous a pas demandé votre avis.  Un architecte autiste qui se fiche que votre sensibilité soit heurtée à chaque coin de rue, que vous ne reconnaissiez plus les paysages de votre enfance et que plus rien, absolument rien, n’ait un air familier. Un architecte criminel qui a conçu une sorte de prison à ciel ouvert où, pour survivre, vous devez en permanence faire attention à ne pas heurter les tabous, les valeurs et les coutumes exotiques de vos compagnons de détention.

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Ailleurs, au-delà de l’Europe de l’Ouest, ce supplice n’est pas au programme. Les autres peuples sont autorisés à persévérer en eux-mêmes. Ils ont le droit, eux, à la continuité. Mêmes les pires dictatures africaines ou asiatiques concèdent aux populations le droit de rester dans l’histoire.

Au fond, ce n’est pas tant de xénophobie qu’il s’agit, mais de s’aimer soi-même…

Nouvelles frontières

Or, notre histoire a été volée, notre destin n’est plus entre nos mains puisque nous avons importé des problèmes qui ne sont pas les nôtres. D’un côté, les problèmes typiques du sous-développement : corruption, incivisme, népotisme, clientélisme, ignorance et court-termisme. Ces maux font le malheur de l’Afrique et du Maghreb, ils sont désormais nos problèmes aussi puisque nous sommes devenus une extension, froide et pluvieuse, de ces deux civilisations.  D’un autre côté, nous avons à gérer les fruits amers de la diversité, c’est-à-dire les conséquences de la mise en contact prolongée de civilisations qui n’ont rien à se dire, voire qui ont passé les derniers mille ans à se détester. Le diagnostic est connu de tous, inutile de le dérouler pour le plaisir de se faire mal. La diversité évoque une mère de famille qui ouvre à plein le robinet de gaz et invite ses enfants à jouer avec un briquet. Imaginez le potentiel explosif que recèle la cohabitation d’un couple gay avec des voisins de palier musulmans pratiquants. Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, le pays étant traversé de millions de frontières minées, fossés invisibles mais ô combien profonds qui séparent les modes de vie et les sensibilités.

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Avoir vingt ans aujourd’hui, c’est avoir l’assurance de passer sa vie à ressentir ces difficultés et à essayer de les désamorcer. Avoir vingt ans aujourd’hui, c’est assumer les conséquences de la légèreté et de la lâcheté des générations qui ont rendu possible l’immigration de peuplement. Avoir vingt ans aujourd’hui, c’est ne pas avoir son mot à dire sur les causes que l’on aimerait servir, car il sera de toute façon question de sous-développement, de séparatisme et d’ensauvagement, les trois cadeaux empoisonnés reçus en héritage. L’ordre du jour des prochaines décennies est bouclé, ceux qui rêvent de transition climatique et de construction européenne devront se replier sur le « métaverse » ou se réfugier dans leur imagination.

La fin du dépaysement

Les jeunes d’aujourd’hui ne goûteront probablement pas aux joies du voyage, en tout cas pas autant que leurs aînés qui ont vécu dans une France réellement française et dans une Europe réellement européenne. Plus rien ne les dépaysera vraiment, puisqu’ils vivent 365 jours/365 parmi des étrangers. Comment se sentir « en voyage » à Marrakech si le Maroc réside désormais dans les villes françaises ? Comment ressentir de tous ses pores la négritude qui coule dans les veines des habitants de Rio de Janeiro si l’Afrique réside désormais à Saint-Denis et au Châtelet ? Comment s’émerveiller des coutumes des peuples d’ailleurs si l’on habite soi-même « ailleurs ». Plus rien ne va étonner nos enfants dans l’avenir, je me réfère à ce délicieux étonnement que procure l’écoute des accents étrangers et l’expérience de l’altérité.

A terme, nous allons tuer l’exotisme. Nous allons tuer le voyage. Nous allons tuer la diversité du monde.  

Ce crime est commis avec l’assentiment (et sous les applaudissements) des ventres mous et des yeux éteints qui nous servent de commissaires européens. Cruel paradoxe : la seule Europe qui nous est proposée est une anti-Europe. Son sort est celui d’une jeune fille qui, la veille de ses noces, aurait été kidnappée par des malfrats et rendue à son futur époux, souillée et défigurée. Ce n’est plus la même. De la jeune fille qu’il a aimée ne restent que les souvenirs et les regrets. Le rêve européen a été violé.

Et se plaindre serait mal vu…

A l’autre bout de l’amphithéâtre, les « républicains », de gauche et de droite, se réjouissent. Ils assument le grand remplacement comme l’aboutissement naturel du Progrès, le stade ultime du projet républicain né en 1789. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en train d’accomplir une nouvelle Révolution française qui consiste à démanteler 2000 ans d’histoire et à en commencer une autre. La République française  se désintègre à chaque coup de dynamite qu’elle jette entre les entrailles de Marianne. Les nouveaux peuples qui surgissent sur son sol ont rarement les dispositions morales et culturelles qui leur permettraient d’accepter d’être gouvernés selon les principes de la redistribution, de la justice et de la laïcité. Bien souvent, les « nouveaux Français » sont porteurs d’une civilisation qui ignore l’égalité et restreint la solidarité aux limites des liens de sang. La République française a signé son arrêt de mort. De plus en plus, elle ressemble à un corps décapité qui continue à marcher, comme si de rien n’était, le système nerveux ayant encore de quoi donner quelques impulsions aux muscles. Mais, l’âme, c’est-à-dire l’essence, est partie.

A lire aussi, du même auteur: L’immense quiproquo entre la France et ses diasporas africaine et maghrébine

Dans la fosse, à mi-distance des européistes et des républicains, il y a nous : les gens du commun. Nous n’avons même pas le droit de nous plaindre, la mort sociale attend effectivement quiconque dénonce le grand remplacement.  On le traite de xénophobe. Eh bien, heureusement que mes grands-parents marocains étaient un peu xénophobes, sinon le Maroc n’aurait jamais mis fin à la colonisation française qui lui a été imposée en 1912 ! Choquons le lecteur parvenu jusqu’ici : heureusement que le FLN a été xénophobe, sinon l’Algérie serait encore française! Heureusement que Ho Chi Minh était xénophobe, sinon le Vietnam serait encore une immense plantation d’hévéa aux mains d’une poignée de financiers!

Au fond, ce n’est pas tant de xénophobie qu’il s’agit, mais de s’aimer soi-même. Ce qui manque à la France aujourd’hui et à l’Europe occidentale en général, c’est l’amour. Il y a un défaut d’amour en ce moment et un trop-plein de haine. Sous le maquillage grossier du « droit à l’accueil », se dissimule le visage hideux de la haine, avec son regard rouge qui attise les braises. Le parti de l’amour dénonce le grand remplacement. Le camp de la haine le désire en secret et martyrise les témoins qui rendent compte du réel.  Epoque apocalyptique où le mal semble être sur le point de l’emporter. Voici une époque idéale pour le surgissement d’un prophète. Les simples mortels que nous sommes devrions guetter les signes dans le ciel (avec espoir) et nous astreindre à une saine discipline : à Rome vivons comme des Romains, à Marrakech vivons comme des Marrakchis.

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Pendant ce temps-là, à l’Assemblée…

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D.R.

Nos députés ont habilement tiré profit d’une attention médiatique quasi exclusivement tournée vers le conflit en Ukraine pour voter en catimini une loi-sport sans interdiction du voile aux compétitions.


Le 24 février, jour où Poutine lançait ses premières bombes sur l’Ukraine, les députés français ont mené une offensive contre la laïcité en votant une proposition de loi LREM sur le sport.

Les regards étant tournés vers Kiev, peu de gens ont relevé que la macronie a validé ce jour-là l’autorisation de porter un voile, le hijab, lors de compétitions sportives. Cette revendication avait été médiatisée par un collectif de « hijabeuses » composé de footballeuses respectueuses de la charia. Pour les caméras de télé, elles avaient joué à la balle devant le bassin du Luxembourg – ce que le règlement du jardin interdit – pendant que les sénateurs étudiaient le texte. Et dans une indifférence coupable, elles ont reçu le soutien du ministre délégué à l’Égalité femmes-hommes, Élisabeth Moreno, qui n’a vu aucun problème à ce que « ces filles [puissent] porter le voile et jouer au foot », car « ces filles font du sport et le sport c’est l’émancipation ».

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Partageant cette conception douteuse du féminisme, le ministre des Sports, Roxana Maracineanu, a pu sermonner Éric Ciotti qui a osé lui opposer que le voile était « une soumission à l’islamisme » : « Vous n’avez parlé que des signes religieux, ce n’est pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens ni du mouvement sportif. » Jouant parfaitement le jeu des Frères musulmans sans être dans leur équipe, les députés de la majorité ont ainsi adopté la loi par 67 voix contre six et la gauche s’est courageusement abstenue.

Dans un « en même temps » que l’histoire retiendra, cette loi qui voile les sportives impose la parité dans les instances dirigeantes des fédérations de foot.

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Lucidité à géométrie variable

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Marine Le Pen rencontre Vladimir Poutine au Kremlin, Moscou, 24 mars 2017 © Mikhail KLIMENTYEV / SPUTNIK / AFP

Nos responsables politiques voient les violences qui les arrangent. Un aveuglement symétrique qui permet aux progressistes de ne dénoncer que la brutalité des dictateurs et à la droite nationale de se focaliser sur celle des banlieues.


D’anciennes déclarations pro-Poutine des deux candidats de droite les mettent dans une situation embarrassante, même s’ils ont condamné sans ambiguïté l’invasion russe en Ukraine. Au-delà de l’usage tactique que leurs adversaires en feront pour les disqualifier (c’est de bonne guerre), le rapport à Poutine de la classe politique française nous éclaire sur les relations ambiguës qu’elle entretient avec la violence.

Surprise générale

À la surprise générale – sauf celle de la CIA –, la Russie a donc décidé d’envahir l’Ukraine le 24 février dernier, un scénario auquel le président ukrainien lui-même ne croyait pas deux jours auparavant. En Europe occidentale, où une bonne partie des autorités était jusque-là mobilisée autour de l’aération régulière des lieux clos à des fins sanitaires, ainsi qu’au lavage fréquent de nos mimines, le choc a été rude. Dans un univers où la force brutale délégitimée a fait place en théorie, à l’empathie, à l’échange dans le respect mutuel du point de vue de son prochain, le réveil est douloureux.

Aujourd’hui dans les kiosques: Causeur #99: Poutine détruit l’Ukraine et flingue la présidentielle

Vladimir Poutine nous rappelle ainsi que la violence existe dans les relations internationales et qu’elle fut malheureusement souvent couronnée de succès. Si l’on se limite à la seule Europe, le recours aux chars et aux missiles n’est pas l’apanage du nouveau tsar russe. La force armée et les morts civils n’avaient pas autant disparu du continent européen depuis 1945 qu’on tente de nous le faire croire : les invasions furent soviétiques à Budapest en 1956, à Prague en 1968, les bombardements américano-otaniens en Serbie en 1999.

Réensauvagement du monde

De même, à l’intérieur de nos frontières, la force brutale a depuis longtemps fait son retour, celle des caïds des cités, celle des gangs à la barbarie revendiquée quand ce n’est pas celle des barbus et des djihadistes. Ce réensauvagement du monde, qu’il soit intérieur ou extérieur, donne toutefois lieu à des lectures très différentes suivant le bord politique auquel on appartient.

Lorsque, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon, on considère l’Occident capitaliste comme responsable de tous les maux de la planète, ces violences exogènes et endogènes ne peuvent qu’être niées. Héritier d’une famille de pensée qui voyait dans les dissidents soviétiques des agents de la CIA, il est logique pour le Che français d’imputer aux Américains l’agressivité poutinienne. Ce qu’aime la France insoumise chez Poutine, c’est son anti-américanisme. Le renvoi dos à dos des Russes et des Américains ne nous rajeunit pas, c’était déjà la rhétorique du PCF. Quant aux violences internes, elles seront bien sûr mises au débit d’un système capitaliste inhumain, inventé par des blancs racistes. Pour cette extrême gauche, la force employée par Poutine, par SUD Rail, les black blocs ou les Frères musulmans s’apparente à une espèce de légitime défense.

Dans le camp progressiste, qui aux dernières nouvelles préside aux destinées de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord, la violence des despotes étrangers sera toujours une source d’indignation supérieure à celle qui a cours sur leur sol. Telle est la position des démocrates nord-américains façon Obama, Trudeau et Biden, ainsi que des admirateurs d’Angela Merkel, ou des disciples de Macron. Le réensauvagement de nos rues sera nié ou minimisé par eux. En revanche, aucun accommodement raisonnable ne saurait être envisagé avec Poutine. Mais comme dans le même temps on fait savoir à l’ogre russe qu’il ne sera pas question non plus de nous battre, on voit à Kiev le résultat concret d’une politique dont la cohérence ne saute pas aux yeux : ni négociation globale ni menace de rétorsions autres qu’économiques (avec le succès probant que l’on sait à Cuba, en Corée du Nord et en Iran). Il est ainsi curieux, pour les États-Unis, d’avoir souhaité étendre l’OTAN au plus près des frontières de la Russie, tout en indiquant vouloir se désengager de l’Europe au profit de l’Indo-Pacifique. Comment ne pas juger plus que sévèrement Angela Merkel et sa funeste décision de fermer toutes les centrales nucléaires allemandes afin d’affermir la mainmise de Gazprom sur la première économie européenne ? N’en déplaise à nos clowns verts, être antinucléaire en Europe, c’est concrètement voter Poutine (et accessoirement pour le réchauffement climatique). Le peuple ukrainien peut remercier les Allemands pour ce choix délirant à tous points de vue – écologique, économique et bien sûr stratégique.

Du fil à retordre pour la droite nationale

Dans ce contexte, les leçons de morale des progressistes sonnent un peu creux, puisqu’ils semblent avoir œuvré à la création de conditions idéales pour Vladimir Poutine. Il n’en demeure pas moins que l’entrée des chars russes dans Kiev et les menaces de vitrification émises par le maître du Kremlin à l’encontre de ceux qui s’opposeraient à ses projets d’annexion plombent l’ambiance. Avec des dégâts collatéraux inattendus sur une campagne présidentielle française qui tardait déjà à démarrer. Elles donnent ainsi du fil à retordre à Marine Le Pen et plus encore à Éric Zemmour, cloués au pilori pour avoir plus d’une fois dit tout le bien qu’ils pensaient de l’emphytéotique locataire du Kremlin. On pourrait effectivement leur reprocher une cécité symétrique à celle des progressistes. Il y aurait d’un côté ceux qui ne veulent voir et dénoncer que la violence de Poutine ou Bachar el-Assad en ignorant celle qui gangrène peu à peu nos cités ; et de l’autre nos deux « populistes » qui ne reconnaîtraient que celle-ci en restant aveugle à celle-là. Leurs imprudentes déclarations qualifiables de « poutinolâtres » viennent corroborer cette thèse et sont autant de cailloux dans les chaussures du Rassemblement national et de Reconquête. Une démoniaque équation les menace et conclut la démonstration : Poutine, c’est Hitler ; Zemmour et Le Pen, le futur tandem Pétain-Laval. De l’art de transformer des nationalistes en traîtres à la patrie. C’est un peu gros, mais c’est surtout oublier que l’invasion de l’Ukraine constitue bien le résultat tangible d’une diplomatie menée par de respectables dirigeants progressistes.

À l’image des deux candidats à l’élection présidentielle, des gens peu soupçonnables de sympathie pour Poutine – Hubert Védrine, Henry Kissinger, Zbigniew Brzezinski – ont défendu eux aussi la nécessité d’une finlandisation de l’Ukraine dans le cadre d’un accord global avec la Russie. Le Pen et Zemmour ont par ailleurs condamné sans ambages l’agression russe contre l’Ukraine, alors que l’annexion du Tibet ou le sort des Ouïgours laisse sans voix une bonne partie de l’échiquier politique français. Il demeure vraisemblable toutefois que ni Le Pen ni Zemmour ne s’arment de bougies ou de nounours pour aller défier l’ambassade russe dans le 16e arrondissement. Les salauds !

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Les progressistes reprochent à Poutine son recours systématique à la force et la proximité avec ce dictateur de ce qu’ils nomment l’extrême droite. Je ne sais plus trop ce qu’a déclaré Fabien Roussel à propos de l’Ukraine, mais je serais étonné qu’il se soit inspiré des déclarations de son regretté prédécesseur, Georges Marchais, à l’occasion de l’entrée des Soviétiques en Afghanistan.

Obama: le vrai renoncement occidental

La droite nationale, comme elle aime à s’appeler, n’approuve pas tant la brutalité de Vladimir qu’elle partage avec lui le constat sans appel de la faiblesse de l’Occident. Pour elle, la Cour européenne des droits de l’homme peinera à faire douter le trio cynique Poutine, Erdogan, Xi Jinping. Qui plus est, cette droite comprend mal l’intérêt qui serait le nôtre à laisser s’organiser contre nous un redoutable tandem sino-russe, alliance à laquelle la remarquable diplomatie occidentale concourt avec succès. S’identifiant plus au tsar orthodoxe qu’au sultan turc ou à l’empereur chinois (allez savoir pourquoi), Zemmour et Le Pen ont manifesté à son égard un enthousiasme désormais électoralement préjudiciable. Au fond, ils soutiennent évidemment moins Poutine qu’ils ne blâment les renoncements occidentaux.

En laissant Bachar el-Assad franchir la ligne rouge qu’il avait tracée, Barack Obama a ainsi durablement discrédité les États-Unis. Il a cru alors limiter la violence politique internationale, mais l’a probablement déchaînée. Ces renoncements pèsent par ailleurs sur la politique intérieure des démocraties occidentales. En regardant avec bienveillance leurs nations se disloquer en communautés ethnicisées, les élites occidentales font le miel de Poutine. Incapables de voir, donc de lutter contre la violence qui les gangrène et minées par des conflits ubuesques autour du genre, elles font également le malheur de leurs peuples.

Voici en somme, ce à quoi Le Pen et Zemmour auraient dû cantonner leur discours : tant que l’Europe n’aura à opposer au Kremlin que les chars de la Gay Pride (qui seraient en route vers Moscou), Poutine, mais aussi Erdogan et Xi Jinping peuvent dormir tranquilles.

Floride: pas de leçons sur le genre pour les écoliers

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Broward County school, à Pembroke Pines, en Floride, août 2021 © JLN Photography/Shutterstock/SIPA

C’est un texte qui a fait frémir toutes les associations LGBT de Floride. Un projet de loi, que viennent de ratifier la Chambre des représentants et le Sénat de cet État et que, en toute probabilité, le gouverneur républicain, Ron DeSantis, va ratifier à son tour, prévoit de limiter l’enseignement de questions portant sur l’orientation sexuelle et l’« identité de genre » à l’école jusqu’à l’âge de neuf ans. 

Pas de ton âge !

La loi sur les « Parental Rights in Education », baptisée « Don’t say gay » (« ne prononcez pas le mot gay ») par ses opposants, ne vise pas à interdire toute discussion de ces sujets, mais à bannir des programmes scolaires toute leçon là-dessus qui ne serait pas « en adéquation avec l’âge ou le développement des élèves ». Les parents auraient le droit de poursuivre en justice toute école ou tout enseignant qui ne respecterait pas cette loi.

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Le président Joe Biden a dénoncé ce projet de loi, en twittant : « Je veux que chaque membre de la communauté LGBTQI+ — en particulier les enfants qui seront touchés par ce projet de loi haineux — sache qu’il est aimé et accepté tel qu’il est. Je vous soutiens et mon administration continuera à se battre pour la protection et la sécurité que vous méritez. » Sous la pression des salariés, Disney, un des principaux employeurs de Floride et un donateur important aux hommes politiques de cet État, a finalement exprimé son opposition à la loi mais sans menacer de suspendre ses dons au parti républicain. 

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Sur YouTube, sur les réseaux sociaux et dans les médias, les jeunes sont soumis à une intense propagande idéologique autour de la théorie du genre, contestée. Image : Youtube

Le militantisme trans et ses dangers

Les condamnations en provenance de la Maison Blanche à propos de questions LGBT+ ne sont pas limitées à la Floride. En février, Joe Biden a dénoncé la décision du gouverneur du Texas, Greg Abbott, qui a ordonné à son Département des services aux familles et de protection d’enquêter sur des cas de « gender-affirming care » (« soins pour affirmer le genre ») pour des enfants dans l’État. 

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Ce terme est un euphémisme pour tout ce qui touche à l’accompagnement d’un individu qui « transitionne » – que ce soit par les hormones ou la chirurgie – vers un autre genre que celui de son sexe biologique. Le gouverneur a assimilé explicitement de telles pratiques à une forme de « maltraitance des enfants ». Jusqu’à présent, au moins 17 États ont introduit des mesures législatives pour criminaliser ou interdire de tels « soins » pour des enfants transgenres.