Alors que les Français boudent les urnes, nous avons pu constater que la politique spectacle avait encore de beaux jours devant elle, lors de la soirée électorale sur TF1. Rachida Dati pointe les responsabilités de la députée de Seine Saint-Denis dans le séparatisme.
C’était sur le plateau de TF1 le soir des résultats du premier tour des élections législatives. Elles étaient là toutes les deux. Il y avait aussi Guillaume Peltier et Jordan Bardella. Ce fut explosif et du côté de Clémentine Autain, ça volait très bas.
Elle attaqua Guillaume Peltier avec ces mots choisis : « Vous devriez rabaisser votre caquet ! ». Il répondit : « Pas de mépris ». Rachida Dati vola à son secours : « Quand je vois les dégâts que vous avez faits en Seine-Saint-Denis, dans les écoles, dans les institutions, vous devriez baisser d’un ton, c’est honteux car ce qu’il se passe en France vous en êtes responsables. Le séparatisme en France c’est vou ! Le racisme en France c’est vous, la discrimination en France c’est vous ! »
Arrêtez d’aboyer, arrêtez d’aboyer !
Comment lui donner tort, quand on sait que les Insoumis défilaient avec le CCIF. Quant à la présidentielle, lors du premier tour ils obtiennent 69% des votes musulmans ! On sait où sont les vrais racistes ! Mais là il s’agit de racisme anti-blanc. Celui qui vise les autochtones et qu’il est interdit de nommer.
Clémentine Autain n’en est pas à son coup d’essai. Lors d’un débat le soir de la présidentielle elle avait interrompu à plusieurs reprises Rachida Dati « Arrêtez d’aboyer, arrêtez d’aboyer, arrêtez d’aboyer ! ». Chez les Insoumis, on a des élégances langagières qui nous éloignent beaucoup de la Princesse de Clèves… Il parait que Mélenchon et les siens sont de gauche. Alors c’est une gauche grossière, vulgaire et gueularde, qui se vautre dans le caniveau. Elle y est bien, avec les détritus et les ordures. De cette gauche-là, Clémentine Autain en est une parfaite représentante. Mais elle n’atteint pas le firmament où trône, incontestée jusqu’à maintenant, Raquel Garrido. Avec son compagnon, on se souvient qu’elle était présente lors d’un débat qui opposait Alexis Corbière et Eric Zemmour sur C8.
A la fin de l’émission elle croisa un groupe de jeunes partisans de Zemmour. Et elle lança à l’un deux : « Va sucer la bite de ton chef ». Clémentine Autain a encore quelques efforts à faire pour la rattraper dans ce domaine. Nous lui faisons confiance pour y arriver.
Les classes populaires ont une conscience aigüe des impasses sécuritaires, politiques, médiatiques, sanitaires… qui les enferment. Mais elles peuvent faire preuve d’imagination pour défendre leurs intérêts.
« L’an 01 ». En 1973, Jacques Doillon réalise un film intitulé « l’An 01 », d’après une bande dessinée de Gébé parue dans Politique Hebdo, puis Charlie Hebdo. Le scénario est le suivant : un beau matin, la population décide d’un commun accord de tout arrêter (le travail, la consommation, les transports en commun…), de réfléchir à l’utilité du travail que l’on fait et de réinventer la société. Et si on sonnait chez le voisin pour faire connaissance ? Si on ouvrait un potager dans le bitume parisien ? Si on piétinait les pelouses interdites ? Si on s’embrassait ? Si on… etc.
Les citoyens croient de moins en moins à la mascarade électorale
L’an 01 de Gébé a quitté la fiction. En 2022, des pans entiers de la société française ont d’un commun accord, décidé de faire un pas de côté. Mais à la différence de la BD, cela n’a rien de festif. Au plan politique, les électeurs ont abandonné les partis traditionnels (PS, LR) qui se sont effondrés. Plus grave, les mêmes boycottent les élections et l’abstention devient toujours plus massive. Aux présidentielles de 1988, un électeur sur cinq ne se déplaçait plus. En 2022, le boycott a concerné un électeur sur quatre (27%). Aux législatives de 2007, quatre électeurs sur dix ne votaient pas. A celles de 2022, plus d’un électeur sur deux ne s’est pas déplacé.
Ne pas aller voter n’indique pas un civisme en panne, mais l’indifférence à une mascarade. À quoi bon élire des gens qui plutôt que d’organiser un référendum sur les sujets qui comptent (l’immigration, l’école, les services publics, l’impôt, la santé…) consulteront plutôt McKinsey, Accenture et consorts ? À quoi bon donner une majorité à un président qui s’est empressé d’inventer des lieux d’élaboration de la décision en dehors des circuits démocratiques : « les grands débats » au moment de la crise des gilets jaunes, les cahiers de doléances remisés au grenier sitôt la crise passée, le conseil de défense ultra secret au moment de la pandémie, et maintenant le CNR, futur Conseil National de la Refondation, qui indique clairement l’intérêt du président pour la représentation populaire…
Le plus beau métier du monde
Mais l’an 01 n’est pas seulement électoral. Le pas de côté s’effectue aussi à l’école. Qui veut être prof aujourd’hui ? Plus personne. L’institution scolaire rebute littéralement et les candidats les plus qualifiés boudent les concours de recrutement. Concernant la rentrée 2022, « avant même les oraux, le nombre de candidats admissibles aux écrits est inférieur, dans certaines disciplines, au nombre de postes proposés. Pour les collèges et lycées, la situation est très critique en mathématiques (816 admissibles au Capes pour 1035 postes), en allemand (83 pour 215) et en lettres classiques (60 pour 134) » écrivent Aude Bariéty et Caroline Beyer dans le Figaro.
L’explication officielle de cette désaffection est « le salaire d’un enseignant stagiaire : 1827 euros brut ». Scandaleusement bas, bien sûr ! Mais la raison corollaire arrive très rapidement dans la foulée : « Aller dans les académies de Créteil ou Versailles, sans accompagnement, lâché dans le grand bain sans brassard, pour cette rémunération, ça ne passe pas», assène Stéphane Crochet, du syndicat SE-Unsa.
« Grand bain », « sans accompagnement », « sans brassard »… autant de formules contournées pour indiquer ce que tout le monde sait aujourd’hui, à savoir que l’école publique a craqué sous le poids de l’immigration et que dans certaines zones, les élèves font désormais la loi, imposent les programmes (il est des sujets tabous comme la Shoah) et n’hésitent pas à attenter à la sécurité physique des enseignants. Comme l’institution laisse faire, les enseignants désertent. Ce sera sans eux, merci !
Panique à l’hôpital, crainte de l’embrasement des banlieues…
L’hôpital souffre lui aussi du même pas de côté. La suppression de 80 000 lits d’hôpital public en vingt ans, la stagnation des salaires, la fermeture des petits hôpitaux de proximité, et un mode de rémunération des hôpitaux conçu pour optimiser l’occupation des lits en fonction d’effectifs toujours plus ajustés créent les conditions d’un stress permanent. Le conflit entre soin et productivité est à l’origine de la grande hémorragie. Sarah, 25 ans, après quatre années passées aux urgences pense déjà à une reconversion. « Le soir, on rentre chez soi en pleurs en se disant qu’on n’a pas fait du bon boulot, et on se demande quel pourrait être notre avenir plutôt que d’être infirmière. » Les Sarah sont si nombreuses à opter pour une reconversion professionnelle que des services hospitaliers se ferment naturellement, sans décision administrative, par simple carence du personnel.
Quant à la sécurité, le pas de côté est plus discret mais non moins réel. Cinq millions de Français détiennent légalement des armes à feu et 240 000 sont inscrits dans des clubs de tir pour « se défendre au cas où ». L’heure en France est à l’autodéfense, car le doute existe que la police intervienne – ou puisse le faire à temps – si elle doit affronter les tenants de la « diversité ».
Le régime diversitaire s’embrase
L’affaire du Stade de France a confirmé que l’Etat est prêt à tout pour éviter de se trouver en conflit direct avec cette partie de la population que l’on nomme « diversité ». Pour expliquer les troubles à l’ordre public qui ont eu lieu à l’occasion de la finale de la coupe de l’UEFA au Stade de France, le ministre de l’Intérieur, a trouvé plus simple d’accuser les supporters britanniques d’avoir tenté d’entrer sans billets. En créant un bouc émissaire, l’Etat a effacé le crime des racailles de Seine Saint-Denis qui se sont ruées par dizaines pour attaquer, violenter, voler voire agresser sexuellement des spectateurs sans défense. Et pour éviter que ce mensonge d’État ne vole en éclats, les bandes vidéo des caméras de surveillance du Stade de France ou de la RATP ont été mécaniquement effacées faute d’avoir été réquisitionnées à temps par le Parquet. Si l’on en croit le Daily Mail, le gouvernement français aurait même pesé sur l’UEFA pour que son communiqué relatif au désordre de la finale ne fasse pas mention des agressions de spectateurs britanniques et espagnols. Comme l’écrit brillamment Mathieu Bock-Coté dans le Figaro, « le régime diversitaire ne se contente plus de dissoudre le réel en produisant une confusion toujours reconduite entre le vrai et le faux. Il détruit désormais les preuves de la société dévastée qu’il engendre. Il détruit les conditions mêmes d’observation de la réalité. Ce qui a eu lieu n’a pas eu lieu, ce qui est advenu n’est pas advenu ».
Comment s’étonner ensuite que les Français fassent un pas de côté vis-à-vis des médias ? L’enquête Confiance dans les médias réalisée en 2022 par l’institut Kantar pour le journal La Croix a confirmé que 90% des sondés considèrent que les médias sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie et que 77% affirment que la liberté de la presse est au fondement du pluralisme. Mais une fois ces principes posés, les mêmes ne sont plus que 29% à affirmer leur « confiance » dans les médias alors que le niveau de confiance atteint 59% ailleurs en Europe. Concernant la radio, qui est perçue comme le média le plus fiable, moins d’un auditeur sur deux (44%) estime que les journalistes radio rapportent les faits « à peu près » comme ils ont eu lieu, et 5% des auditeurs seulement croient que les faits rapportés par la radio se sont produit « vraiment » comme la radio les raconte.
La maison squattée d’Ollainville
Comment survivre dans un environnement national aussi dysfonctionnel ?
Elodie et Laurent, ces deux prolos qui ont acheté à Ollainville (Essonne) une maison squattée par une famille tunisienne ont montré qu’avec un peu de jugeotte, la chose était possible.
Elodie et Laurent savaient que le bien immobilier qu’ils venaient d’acquérir était squatté par une famille maghrébine. Mais c’est aussi en raison de cette situation qu’ils ont pu l’acquérir à un prix très en dessous du marché. Une fois leur achat en poche, ils ont joué le désarroi devant un journaliste du Parisien. Leur vidéo de « victimes » des squatteurs a circulé sur les réseaux sociaux et son retentissement médiatique a été d’autant plus grand qu’on était en période électorale. Le ministre de l’Intérieur est intervenu et les squatters maghrébins ont décampé sans délai. En deux mots, Élodie et Laurent ont inversé le processus victimaire qui joue mécaniquement en faveur de l’immigration, ont instrumentalisé les médias avec un grand sens politique pour susciter la sympathie et ont pesé sur les politiques eux-mêmes pour faire aboutir une affaire personnelle. En agissant ainsi, ils ont court-circuité la justice, la police et ont économisé beaucoup de temps et d’argent.
Cette pratique montre que les classes populaires ont une conscience aiguë des impasses sécuritaires, politiques, médiatiques, sanitaires… qui les enferment, mais qu’elles sont prêtes à faire preuve d’imagination pour défendre leurs intérêts. Comme l’écrit le géographe Christophe Guilluy, les classes populaires « marronnent », un peu comme le faisaient les esclaves qui fuyaient les plantations où ils étaient tenus en esclavage. En d’autres termes, chacun tente de survivre loin de la sphère d’influence des puissants. Christophe Guilluy utilise ce terme de « marronnage » pour décrire cette attitude nouvelle des classes populaires : « elles n’écoutent plus ce que prescrivent les élites, elles préfèrent mater un bon film ou Cyril Hanouna que François Hollande ». Élodie et Laurent ont montré qu’ils savaient sur quels boutons appuyer pour obtenir gain de cause.
En un mois, deux femmes arabes ont été tuées en Israël. Une heure après la mort de la première, France 24 avait déjà dénoncé son coupable préféré [1]. Trois jours après celle de la deuxième, son nom était toujours inconnu de la version française de Google.
La voix du silence
Peut-être la première a-t-elle été assassinée et la seconde est-elle morte de vieillesse ?
Non la première était une reporter de guerre morte à 51 ans sur un champ de bataille : un risque du métier. La seconde avait 28 ans quand elle est morte dans l’explosion de sa voiture piégée : un meurtre avec préméditation.
Peut-être la première était-elle célèbre et l’autre pas ? Non : sa mort a rendu la journaliste Shireen Abu Akleh célèbre. Avant, c’est elle qui interviewait des peoples.
Peut-être l’une faisait-elle un métier cher au public et l’autre pas ? Seuls 16% des Français déclarent faire confiance aux journalistes[2]. Mais c’est eux qui tiennent le micro…
À l’inverse, les militantes féministes, comme celles qui œuvrent contre la violence, ont le vent en poupe. Son engagement est justement la raison pour laquelle Johara Khnifes a été tuée[3].
Dénonciations, accusations y réfutations
Les autorités palestiniennes accusent leur ennemi d’avoir assassiné pour le plaisir une journaliste. C’est de bonne guerre : leur champs de bataille est plus souvent médiatique que soldatesque. En revanche, quand la presse internationale leur emboîte le pas de l’oie, c’est plus suspect.
Le ministre israélien des Affaires étrangères a réfuté l’accusation de journalisticide dans une tribune publiée par le Wall Street Journal. Quand Shireen Abu Akleh est décédée dans des tirs croisés, il y a un mois, elle travaillait en Israël pour Al Jazeera depuis 20 ans, comme nombre de ses collègues qui ne portent pas l’État juif dans leur cœur et qui le démontrent dans chacun de leurs articles ou reportages. Al Jazeera elle-même appartient au Qatar, un Etat islamiste ouvertement hostile à Israël, ce qui n’empêche pas ses envoyés permanents d’y être « protégés par l’État que la chaîne calomnie régulièrement. Le conflit israélo-palestinien bénéficie d’une couverture disproportionnée par rapport à tout autre conflit sur terre… tout ce que vous savez sur ce conflit est le produit de centaines de journalistes qui travaillent sur le terrain sous la protection d’un État démocratique qui croit de tout son cœur à la fois à la liberté d’expression et à la liberté de la presse.[4]»
Silence, indifférence, absence de conscience
La famille de Johara Khnifes fait partie des « Arabes de 48 » : ceux qui sont restés en Israël quand le pays a été attaqué par sept armées arabes, le jour de son Indépendance, le 15 mai 1948. De ce fait, ses membres sont citoyens israéliens depuis cette date.
Le grand-père de Johara avait été député dans les années 1950, son père est maire adjoint de Shefar Am, une ville de 42 000 habitants dans le nord d’Israël, et sa mère est présidente de l’Unité pour l’avancement des femmes de la ville.
La police ne pense pas que les parents étaient visés. Ses soupçons se dirigent vers ceux qui se sentaient visés par les déclarations de la jeune femme, dans sa lutte contre la violence endémique dans les communautés arabes d’Israël et dans son action militante en faveur des femmes arabes.
« La violence endémique », n’est-ce pas là une phrase islamophobe ? Non, c’est une citation. De la jeune femme assassinée, mais aussi de Mansour Abbas, chef de la Liste arabe unie et ministre délégué au cabinet du Premier ministre, chargé des Affaires arabes.
Fin août 2021, on comptait déjà 81 citoyens arabes victimes de la violence. Nul média français n’en ayant fait état, il s’agissait bien de violences intra-ethniques. « Israël est en partie un État de droit et d’ordre et en partie un Far West », avait déclaré le Comité des autorités locales arabes en Israël dans un communiqué, exigeant que « le chef de la police donne une explication immédiate sur la manière dont il entend combattre la […] violence…[5] »
La médiatisation des morts en Israël ne dépend pas de la victime
Elle dépend exclusivement de la possibilité d’accuser l’État juif. Dans le cas de la journaliste, c’est d’autant plus facile que les autorités palestiniennes refusent de partager l’enquête et de montrer la balle retirée du corps. Résultat : le 10 juin 2022, presque un mois après sa mort, son nom sur Google donne environ 5 millions de résultats en 0,63 secondes.
Dans le cas de la militante des droits des femmes anti-violences inter-arabes, il est quasiment impossible d’incriminer Israël. Résultat, à la même date, son nom donne environ 858 résultats en 0,55 secondes, dont les trois en français sont des médias dits « communautaires ».
« J’insiste sur le fait que nous devons… faire face à la violence et à ses causes, afin de pouvoir vivre en paix, en sécurité et dans la tranquillité, comme les autres nations avancées qui jouissent de la sécurité et de la sûreté » avait-elle dit. Elle n’a obtenu ni sécurité ni sûreté, mais le silence. Ce n’est un luxe que dans l’immobilier.
52,50 % : tel est le record inédit du taux d’abstention pour ce premier tour des législatives. Bien sûr, on peut toujours incriminer le retour du temps des cerises et des barbecues qui éloignerait du devoir civique. La saison du bermuda et des doigts de pieds, libres de s’ébattre dans les sandales, bat en effet son plein.
Perfide Evelyne Dhéliat
Dimanche dernier, la météo, perfide, incitait clairement à fuir son devoir civique. On préféra alors sillonner les villes, en famille et casqués, juchés sur des trottinettes, destriers du XXIe siècle, emblèmes de la quête désespérée d’une éternelle enfance.
Les rires fusaient des terrasses de cafés en de longues stridulations enjouées. On y sentait poindre une légère ivresse, celle qui permet, alors qu’on croit communier avec l’autre, d’échapper un instant à « l’insoutenable légèreté de l’être. » D’autres conviés à la partie de campagne proposée par le printemps s’étaient amassés et rassemblés sur les pelouses et les rives des cours d’eau ou les plages. On ripaillait pour célébrer la renaissance et l’illusion de l’éternel retour de tout.
On pourrait, tout aussi justement, penser que cette exceptionnelle abstention résulte d’une lassitude qui aurait gagné les Français, après la farce des présidentielles. Il faut bien avouer que le pitoyable spectacle d’un président sortant, embusqué et taiseux, était de nature à décourager quiconque d’aller voter. Il refusa de se risquer hors du bois avant l’heure pour conserver toutes ses chances de réélection et n’eut d’autre argument à proposer pour légitimer sa reconduction que l’urgence qu’il y avait à contrer le Rassemblement national.
C’est une hypothèse qui reste valable, d’autant plus que notre diable d’homme, à peine réélu, ce, avec une abstention déjà alarmante, nous refit illico le coup du front républicain quand il daigna s’abaisser à faire campagne pour ce premier tour des législatives. Dès qu’il fut question de désigner à la vindicte populaire le nouvel ennemi à défaire, la Nupes, autrement dit Mélenchon et ses affidés, notre triste sire, pour mieux nous persuader de la gravité du moment, donna à sa voix la solennité qu’il aime à adopter quand il tient son rôle de chef de guerre.
À notre avis, cependant, le mal vient de plus loin. Nous rendons responsable de ce délitement progressif de l’esprit qui engendre l’absence de conscience politique, l’injonction, devenue mantra, à vivre une fête perpétuelle et le droit, farouchement revendiqué, « au bonheur mérité par l’excellence de nos âmes », pour reprendre l’expression savoureuse de Flaubert, dans L’Éducation sentimentale.
L’école, non seulement ne parvient pas à endiguer ces prétentions puériles, mais au contraire les encourage : devenus de vastes terrains de jeu, nos établissements scolaires ont, on le sait, désormais vocation à animer et non plus à transmettre.
Philippe Muray, un visionnaire
Lesdites aspirations à une fiesta permanente, dignes du jardin d’enfants, furent dénoncées par Philippe Muray, dans ses chroniques rassemblées sous l’intitulé : Après L’Histoire, dès la fin des années 90. J’en veux pour preuve cet extrait qui ouvre Des critiques en déroute par temps hyperfestif (janvier 2000) : « L’époque est une tête à claque qu’il devient jour après jour un peu plus agréable de gifler. La satisfaction avec laquelle elle se montre, son conformisme euphorique autant qu’ignominieux, son allure de tranquille impunité quand elle déploie l’éventail de ses plus malfaisantes sottises et l’ensemble de ses nuisances approuvées, enfin cet incroyable teint de rosière qu’elle arbore en toute occasion, lorsqu’il s’agit de célébrer de nouvelles mutations, d’applaudir au défi ludique des surfeurs des neiges, au succès d’internet, à l’adoption d’Halloween par les peuples colonisés, au triomphe de l’économie de marché, de la transparence, du patin à roulettes (…) et des pique-niques citoyens avant les séances de cinéma en plein air, font ardemment regretter qu’elle n’ait pas un seul visage sur lequel on puisse taper avec gaieté et sans relâche. »
Philippe Muray Photo : Hannah Assouline
Philippe Muray, visionnaire, n’aurait pas été déçu par notre époque. Cette aspiration à la liesse éternelle, qu’il épinglait déjà à l’aube de notre siècle avec une juste férocité, a en effet crûe de façon exponentielle : les trottinettes se sont abattues sur nos villes comme des nuées de sauterelles et dans les librairies, le rayon consacré au développement personnel est responsable d’une déforestation sans précédent. « Être présent à l’instant présent » et dans la joie, s’il vous plaît : tel est le mode d’emploi pour réussir immanquablement sa vie.
Cette quête forcenée du « tout au ludique » a commencé par atrophier les cerveaux puis a contribué à fragmenter une société constituée d’éléments mal jointoyés en l’absence du ciment que constitue un devoir qui impliquerait la sale contrainte, de plus en plus honnie. C’est dans ce terreau fertile qu’ont poussé les revendications de chacun qui souhaite être considéré comme unique et par conséquent, refuse de se plier à ce qui fait société et qui impliquerait une obligation vis-à-vis d’autrui.
Celui qui n’a jamais été seul, au moins une fois dans sa vie…
Nous ne sommes plus un peuple, mais des entités antagonistes qui prônent ou dénoncent, en vrac : « l’appropriation culturelle », « la cancel culture », « le communautarisme », « la déconstruction », « l’indigénisme », « l’intersectionnalité », « l’islamogauchisme », « la justice raciale », « le néoféminisme », « le privilège blanc », « le racisme anti-blanc », « le racisme systémique », « le séparatisme », « l’universalisme », « le wokisme ». Cette nomenclature barbare accompagne la désagrégation de notre société, maintenant comparable à un tas de sable dont chaque grain serait un individu.
Pour qui et pourquoi, alors, aller voter, puisque qu’on est seul ? L’épopée fédératrice a cédé la place aux récriminations et aux revendications individuelles d’un moi hypertrophié refusant toute frustration. Payer de sa personne ou veiller aux intérêts communs est maintenant complètement démonétisé. Le ricanement est de mise quand on rencontre un pauvre hère qui aurait conservé cet idéal.
Transmission, appartenance à une culture, inscription dans l’Histoire : tout a disparu. Nous avons éteint la lumière et « nous courons sans souci dans le précipice après que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir » (Pascal, Pensées, 1670). Ce « quelque chose », c’est notre pauvre « moi ». Nous le brandissons naïvement comme un flambeau, prétendant éclairer les ténèbres profondes qui nous environnent mais il ne s’avère être que la flamme vacillante d’une bougie exposée à la bourrasque. De grâce, cessons de nous prendre pour Matamore et rallumons vite la lumière, celle de l’instruction et de l’éducation pour retrouver l’esprit critique, la réflexion et raviver ainsi l’esprit du collectif. Alors nous retrouverons des citoyens éclairés, concernés par le vote.
Après avoir affronté le wokisme gluant de « Jurassic World », notre chroniqueur, pour se désintoxiquer, est allé voir « Top Gun Maverick », le re-boot, comme on dit en français, du film de Tony Scott de 1986. Il en est sorti conquis et requinqué. Le mâle blanc tient sa vengeance. Et c’est bon !
Quentin Tarentino, dans « Sleep with me » (1994), prétend que le « Top Gun » originel est un film crypto-gay. On pouvait s’y tromper, en effet, et l’amitié virile entre Tom Cruise et Val Kilmer ne manquait pas d’ambiguïté. Mais pour ce qui est de ce « Maverick » qui est en train de casser la baraque et les records, aucun doute n’est permis : c’est un film ouvertement œdipien. On baigne dans le conflit entre un fils (Miles Teller dans le rôle de Bradley « Rooster » Bradshaw) et son père par délégation, Tom « Maverick » Cruise. Et au lieu de s’entre-égorger comme Arthur et Mordred dans la fable, ils se sauvent mutuellement la vie.
Quant à Val Kilmer, il revient bien — grâce à un subterfuge technique qui lui rend partiellement sa voix, le vrai Kilmer est aujourd’hui aphone —, mais pour mourir vite. Vieillir, constate le héros, c’est perdre ceux qu’on aime.
Ou les retrouver. Maverick, réaffecté à la base d’entraînement où il a fait ses débuts, retrouve sa vieille passion — Jennifer Connelly, superbe, découverte il y a longtemps dans « Il était une fois l’Amérique » —, affectée d’une fille adolescente et rebelle mais compréhensive. Le quasi-sexagénaire (franchement, il paraît quarante ans tout au plus, le cinéma, la muscu et la chirurgie esthétique, c’est magique) est chargé de former à l’arrache une équipe de pilotes qui seront chargés d’anéantir une future usine d’enrichissement d’uranium située au cœur de l’un de ces rogue states jadis listées par Anthony Lake — manifestement, c’est l’Iran, mais le nom n’est pas prononcé.
Hollywood est de retour
Slate a énuméré tous les points sur lesquels le scénario est invraisemblable, et je vous y renvoie. On s’en fiche, tout tient dans la formule plusieurs fois répétée dans le film, « ne pense pas, agis » — devenue, ici, « ne pense pas, ressens. »
Le film, sorti fin mai aux Etats-Unis, enfonce déjà tous les records, et sauve la vie du cinéma, menacé depuis le confinement par le mauvais goût et Netflix. Pourquoi ?
C’est la grande revanche de l’adrénaline et de la testostérone — y compris pour le seul personnage féminin, Monica « Phoenix » Barbaro. Conduire des F-18 dans des canyons escarpés à moins de 300 pieds d’altitude, pour détruire une cible grosse comme une pomme, tout en jouant sur tous les registres de l’amitié virile et de la nique aux autorités, voilà qui a de quoi satisfaire le rebelle non-conformiste (c’est à peu près la traduction de « maverick ») qui est en nous. La prise de risque est maximale, les rebondissements incessants, le rythme fou et soutenu, le plaisir non équivoque. À la fin, quand tout semble fichu — le héros a volé un vieux coucou, un F-14 jadis livré au Shah, et qui par miracle vole toujours, et affronte deux SU-57, abat l’un, et au moment où il va inéluctablement être abattu par l’autre…
Ne comptez pas sur moi pour vous révéler que la cavalerie arrive à l’heure.
On sort content
Parce que c’est au fond un western, le seul genre cinématographique qu’Hollywood a inventé et qu’il maîtrise à fond. Et il se trouve que je suis un grand amateur de westerns et de héros kantiens, qui font ce qu’ils ont le sentiment de devoir faire, et peu importent la logique ou les ordres reçus.
Les supérieurs hiérarchiques n’ont guère le beau rôle. Ed Harris campe une vieille ganache qui ne jure que par la guerre automatique (lire sur le sujet le passionnant ouvrage de Grégoire Chamayou, Théorie du drone, La Fabrique, 2012), Jon Hamm n’aime pas Maverick, mais à la fin, les décorations pleuvent sur la poitrine du héros à laquelle s’accroche la fiancée retrouvée — et comme elle tient la buvette de la base, on sent que les tournées générales se succèderont jusqu’au bout de la nuit.
La bande-son est d’une efficacité maximale. Essayez de ne pas swinguer sur Great balls of fire (surtout que c’est d’un bout à l’autre une histoire de grosses coucougnettes) de Jerry Lee Lewis, sur Danger Zone de Kenny Loggins — qui rappelle un peu la bande originale de Rocky — ou sur Bang a gong (quelqu’un se rappelle Marc Bolan, tragiquement disparu en 1977 et leader du groupe anglais T.Rex ?). Ce film swingue d’un bout à l’autre sans avoir l’air de croire que le rap est de la musique.
On sort de là content, débarrassé pendant deux heures des arguties imbéciles des féministes hurlantes, des islamistes qui n’aiment pas la musique ni les Américains, et des écolos qui, prétendent que le kérozène est mauvais pour la planète. Et l’atome entre les mains des ayatollahs, coco ?
Le film est fait pour redonner aux Américains, que leurs aventures en Irak ou en Afghanistan ont échaudés, la fierté d’être yankees. Je ne détesterais pas, si notre cinéma hexagonal était moins constipé par des problèmes de nombril, qu’un metteur en scène français tourne ici un film qui rendrait à nos compatriotes le goût d’être Français. Et pas membre de telle ou telle communautés de connards.
Il y a une semaine, Boris Johnson survivait à un vote de défiance des députés de son propre parti. Quelles sont les motivations des Conservateurs qui s’opposent au Premier ministre, et quelles sont les véritables conséquences de ce résultat? L’explication de Jeremy Stubbs.
Le matin du lundi 6 juin, au lendemain du weekend du jubilé, le président du Comité 1922, qui regroupe tous les députés conservateurs non-ministériels, annonçait la tenue d’un vote de défiance à l’égard du chef du parti et Premier ministre. Le soir, le même président annonçait que BoJo avait gagné le vote, recevant 211 votes sur 359. Cette victoire est loin d’être un triomphe. Dans la même situation, Margaret Thatcher et Theresa May ont eu des scores similaires ou meilleurs, mais leurs jours étaient comptés. Il y a toutes les raisons de croire qu’il en va de même pour Boris Johnson. Dans les milieux politiques et médiatiques en Europe, ceux qui condamnent le Brexit et voient en Johnson un véritable démon populiste sont en train de jubiler face à ses difficultés ; tandis que ceux qui voient dans le Brexit l’échec d’un européisme galopant et font l’éloge du leader britannique sont soulagés par sa survie. Les deux groupes ont tort.
Ô Pyrrhus, où est ta victoire?
Car l’issue de ce vote est le pire des résultats. Si une majorité des députés avait condamné Boris Johnson, ce dernier aurait été contraint de se présenter (ou non) à une nouvelle élection à la direction du parti et, en toute probabilité, un nouveau chef, bénéficiant d’un nouveau mandat, l’aurait remplacé. En revanche, si une majorité plus importante avait soutenu le Premier ministre, il serait sorti de l’épreuve mieux armé qu’auparavant pour faire face à tous les défis qui menacent le Royaume Uni en ce moment. Cette victoire à la Pyrrhus maintient en poste un leader déjà affaibli en l’affaiblissant encore plus.
Qu’est-ce qui était – et continue à être – reproché à Boris Johnson ? Au-delà des images et anecdotes concernant la culture de fête qui aurait eu cours au 10 Downing Street pendant le confinement, ce sont les réponses pour le moins louvoyantes du Premier ministre aux questions du Parlement qui ont mis en doute son honnêteté et sa crédibilité. Si on y ajoute un certain nombre de scandales où régnait un parfum de corruption (ou, selon le terme familier en anglais, « sleaze »), on peut comprendre pourquoi sa cote de popularité personnelle est au plus bas dans les sondages. Les députés conservateurs qui ont voté contre lui l’accusent d’abord d’avoir terni son image de chef ainsi que celle du gouvernement. En même temps, la nécessité constante où il se trouve de gérer toutes ces affaires a visiblement sapé sa capacité à se focaliser sur les problèmes graves qui affligent le pays. En ce moment, le taux de l’inflation est à 9% et, selon les prévisions, même s’il devrait baisser l’année prochaine, il restera à 5%. La livre sterling est très faible, ce qui augmente le prix de l’essence. Les factures d’énergie des Britanniques risquent d’augmenter de 46% au cours de l’hiver prochain. Et la prévision de croissance de l’OCDE pour le Royaume-Uni en 2023 est de 0%. Le Brexit a sans doute contribué aux difficultés économiques du pays mais il est loin d’en constituer la cause majeure.
Le Premier ministre, qui refuse de démissionner, pourra-t-il donner toute son attention à cette problématique complexe ? Il y a deux échéances qui doivent le préoccuper. D’abord, le 23 juin, il y aura deux élections partielles, l’une dans le nord de l’Angleterre, dans une de ces circonscriptions traditionnellement travaillistes gagnées par les Conservateurs en 2019, et l’autre dans une circonscription traditionnellement conservatrice du sud. C’est un test à la fois pour le « Red wall » et le « Blue wall » (le mur rouge, à gauche, et le mur bleu, à droite). Selon toutes les prévisions, le Parti conservateur subira deux défaites. Les partielles ont été provoquées par des méfaits sexuels de députés conservateurs, l’un condamné pour agression et l’autre forcé d’avouer qu’il a regardé des vidéos pornographiques sur son téléphone dans la Chambre des communes. Tout cela est loin d’arranger l’image du gouvernement sur le plan moral. L’autre échéance, encore plus préoccupante pour Boris Johnson, est le rapport qui sera publié à l’automne par la Commission éthique du Parlement et qui statuera sur la question de l’honnêteté du Premier ministre dans le Partygate. Un verdict négatif pourrait bien signaler la fin du mandat de Boris Johnson.
La quadrature du cercle?
Le Premier ministre a essayé de reprendre l’initiative en annonçant une nouvelle politique permettant aux Britanniques qui louent un logement social d’en devenir les propriétaires et en indiquant qu’il va réduire les impôts – mais sans spécifier quand. En dehors de l’efficacité de telles mesures, le problème fondamental reste celui d’un chef du gouvernement affaibli. Cela s’exprime de deux manières. D’abord, l’exécutif et surtout les fonctionnaires de l’État sont peu motivés pour réaliser les projets d’un Premier ministre fragilisé : « A quoi bon ? », se disent-ils. « Il sera probablement remplacé dans un avenir proche par un autre leader qui aura ses propres projets et nous dira de changer de cap. » Les mesures vigoureuses que Johnson a besoin de mettre en œuvre pour surmonter les difficultés du pays et réaffirmer sa légitimité ne seront appliquées que lentement et mollement.
L’autre conséquence d’un affaiblissement du chef est la dépendance de ce dernier par rapport à certaines factions qui, en échange de leur soutien, demandent des concessions. Les premiers signes suggèrent que Boris Johnson est désormais sous l’influence d’un groupe de ministres en faveur d’une ligne dure concernant le Brexit. Soyons clairs : le vote de défiance n’a pas été initié par d’anciens opposants au Brexit cherchant à se venger de BoJo. Lors du scrutin, les députés anciennement pro et anti-Brexit se sont trouvés des deux côtés. En revanche, certains des ministres fidèles à Johnson, dont la ministre des Affaires étrangères, Liz Truss, sont plus intransigeants que le Premier ministre quant aux négociations avec l’UE sur l’application du Protocole sur l’Irlande du Nord. Aujourd’hui, le gouvernement introduit un projet de loi pour déroger à ce Protocole qui a été signé lors de la finalisation de l’Accord de retrait.
Or, les problèmes les plus urgents du Royaume-Uni, qui sont d’ordre économique, n’ont rien à voir avec ce Protocole. Ce dernier est loin d’être la préoccupation majeure des Britanniques. Le projet de loi ne peut être qu’une distraction de plus au moment où on a besoin d’une focalisation étroite sur la question du coût de la vie. Le gouvernement de Boris Johnson a été élu pour remplir une mission paradoxale : il devait réaliser le Brexit au nom d’une vision libérale du commerce international tout en protégeant les classes ouvrières du nord de l’Angleterre des effets de la mondialisation. Si Johnson n’apporte pas de solution rapide et efficace aux épreuves économiques que subissent surtout ses électeurs ouvriers, ce sera non seulement sa carrière de Premier ministre qui en pâtira mais sa conception du Brexit, et donc l’héritage qu’il laisse à la postérité. Cet été, les vacances risquent d’être courtes pour BoJo.
Le talentueux Leroy, notre ami et camarade Jérôme, la plus fine lame de ce site, sa plus belle plume aussi, capable de vous éblouir et de vous embrocher dans un même mouvement bien digne des Hussards dont il est l’héritier, grand connaisseur de toutes les littératures et, en particulier de celle du Grand siècle, Jérôme, donc, est un homme fidèle à sa jeunesse : communiste il fut, communiste il demeure. J’aime et j’admire cette fidélité.
Envers et contre tout
J’ai personnellement fouillé, grâce à l’aide précieuse d’un ancien membre du KGB, vénal mais fiable, dans les lettres et écrits divers adressés au parti unique de la défunte Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Il y avait certes des missives d’un certain Jérôme Leroy, mais presque toutes déclarations d’amour à Olga, Natalia et autre Anastasia. En voici des extraits : « Hier, sur la Place rouge, je n’ai pas osé te dire combien je désirais te prouver la raideur de ma foi communiste. » ; « Mon Kremlin n’est que Bicètre, mais il ne déparera pas ta Place rose. » ; « Cette nuit, nous avons partagé une même ferveur internationaliste : tu m’as révélé les trésors de Saint-Pétersbourg, je t’ai démontré l’utile beauté de la Tour Eiffel ». Mais un poème de Jérôme disant l’émotion qui le saisissait quand on lui présentait le portrait de Joseph S., bienfaiteur (quoique irritable par moment) de l’humanité ? Nulle trace !
Cependant, une ancienne maîtresse (le seul fait de l’évoquer fait surgir en moi des souvenirs que la décence m’interdit de partager), fille d’un notable albanais un temps très proche d’Enver Hodja, puis liquidé sur son ordre dans les égouts de la ville et abandonné à la voracité des rats, m’a affirmé qu’elle avait eu connaissance d’un article paru vers 1973-1974 dans le seul journal autorisé, « Enver remet tout à l’endroit », paraissant à Tirana, traduit du français, dont l’auteur était un très jeune homme séduisant malgré la brosse sévère qui coiffait ses cheveux. Cela parlait du « phare de la planète », du « grand administrateur des bienfaits », de l’ « admirable concepteur des plans dans les domaines fondamentaux de la vie sociale », et encore du « voyant extralucide qui a prévu, analysé, conceptualisé les principaux événements survenus depuis tant d’années dans cette autre patrie du socialisme réel et injustement critiquée par les suppôts de la réaction, dont les dépouilles ne seront même pas dignes d’une fosse commune ». En revanche, elle hésitait sur l’identité de l’auteur : si elle était sûre du prénom, Jérôme, elle balançait entre Lemprereur, Lesouverain, Leroi ou Leroy « mais ni Leduc, ni Lecomte, précisa-t-elle : il était assis sur un trône, j’en suis certaine ! ».
Je n’ai pas osé solliciter notre Jérôme sur cette affaire, car je ne voulais pas le froisser en lui rappelant cet épisode qui pourrait être embarrassant…
Militantes et femmes du monde
Je me suis quelque peu égaré, alors que je souhaitais faire part à Jérôme Leroy de ma perplexité après la lecture du plus récent article qu’il a consacré à M. Mélenchon. Tout d’abord, il me semble que le sympathique Fabien Roussel (par ailleurs assez bel homme de l’avis de la gente féminine du Nord et des trois autres directions cardinales) et ses troupes s’éloignent lentement mais certainement de la Nupes, à la manière d’un minuscule radeau chargé des survivants d’un naufrage (le PC n’a plus l’influence de ses années de gloire et d’espérance) fuyant une île mal famée, La Mélenchole, qu’ils espéraient accueillante alors qu’elle n’étaient peuplée que de cannibales furieux, hypnotisés par une manière de Vieux de la montagne acariâtre.
Mirliton forain
Jérôme fait fi de ce détail. Si j’ai bien compris son développement, toujours subtil, harmonieux, servi avec ce brin de muguet dont le parfum, autrefois, faisait pâmer les militantes et les femmes du monde réunies dans la célébration du Quatorze Juillet de la chair et du canon, la Nupes n’est qu’un mot, rien de plus qu’une écorce phonique, et qu’on pourrait mettre en musique :
« On m’appelle Nupes C’est un petit, petit nom charmant, J’ai de bien jolies fesses Et je sais faire de bien belles promesses Sur toutes les tribunes, Notre gourou chenu s’époumone, Il n’a point de lacune Ses mots libèrent des phéromones. »
Pardonnez, cher Jérôme Leroy, ces vers navrants de mirliton forain, si loin des poèmes gracieux d’un Paul-Jean Toulet, que vous admirez à raison, mais peut-être plus adaptés à l’évocation d’un parti et d’un personnage que, pour ma part, je trouve dangereux, dissimulé, sournois.
France 2 multiplie les pains
À propos de la Nupes : pourrait-on m’expliquer pourquoi France 2, depuis trente ans placée sous le vigilant contrôle des Conformistes certifiés d’État, a pu offrir la parole à quatre représentants des partis qui la composent, dans son émission du jeudi 9 juin ? En effet, le Conseil d’État, par ordonnance, apportait une contradiction cinglante au ministre de l’Intérieur (et de l’Extérieur du stade de France). Gérald Darmanin, avait présenté 18 nuances politiques « […] attribuées aux candidats aux élections législatives des 12 et 19 juin 2022 [dans le but] d’agréger les résultats des élections pour informer les citoyens et les pouvoirs publics, et faire apparaître les tendances […] locales et nationales. ».
La Nupes s’y trouvait « éclatée » en quatre représentations : communiste, socialiste etc. Mécontente de cette manière de procéder, La Nouvelle Union populaire écologique et sociale saisit le juge des référés du Conseil d’État : on est insoumis mais on vient pleurer auprès des autorités, tel un petit fayot de collège.
Après examen, le juge estima « l’absence de comptabilisation, sous une nuance unique, des suffrages portés sur les candidats de la Nupes, susceptible de porter atteinte à la sincérité de la présentation des résultats électoraux ». Par conséquent, le ministre de l’Intérieur devait « inscrire avant le 10 juin 2022 la Nupes dans la grille des nuances pour les candidats aux élections législatives, afin d’assurer une présentation sincère des résultats des scrutins des 12 et 19 juin prochains ». Autrement dit, le Conseil d’État ne voit qu’une seule tête, alors que France 2 en discerne quatre, et un temps de parole très augmenté.
Léa Salamé, toujours aussi prompte à sanctionner les égarements des hommes de droite, a su faire respecter les temps de parole généreusement accordés par la chaîne aux gentils animateurs de la « nuance » Nupes (qualifier de nuance un parti au service de Jean-Luc Mélenchon relève de l’ironie involontaire). Laurent Guimier, qui semble vouloir absolument jouer un rôle dans cette émission, a justifié la présence des quatre de l’Apocalypse par une décision de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Au reste, le Parisien publiait une déclaration de Muriel Pleynet sur le sujet: « Chacun aura un temps de parole imparti en fonction de la représentativité de son parti et nous l’expliquerons en début d’émission. Nous sommes le service public et on ne s’amuse pas à faire n’importe quoi ».
Si l’on augmente cet épisode de favoritisme légal des générosités d’antenne accordées par les stations de radio de service public à la campagne de Jean-Luc Mélenchon, on peut au moins conclure que l’information officielle d’État n’aura pas nui à son éventuelle victoire…
Un cabotin de tréteaux subventionnés
Une fois de plus, je me suis perdu dans des digressions sans intérêt. Qu’on veuille bien me pardonner. Je conclurai en me tournant encore vers Jérôme, pour lui dire ceci : vous ne voyez pas le piège de la Nupes. Vous voulez abattre le capitalisme, abolir l’injustice, la guerre, les talons aiguilles (menteur !) et les bas nylons (bis !), mais vous allez servir l’ultime rêve d’un politicien démodé, d’un cabotin de tréteaux subventionnés, d’un homme, enfin : « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. ».
Or, bien loin de mesurer le temps et la société avec les instruments de Sartre, et, plus loin encore de l’admirable pessimisme chrétien de Charles de Gaulle, notre nouvelle « Lumière des carpates » use d’une logorrhée qui trahit ou dissimule fort mal une mauvaise colère.
Ne sommes-nous pas suffisamment accablés ? Menacés par les Russes, agressés par la racaille, assaillis par le Covid et, récemment, par un prurit de singe, admonestés par Caroline De Haas, flagellés par Ernestine Choufleur et son cousin Choufarci, dénoncés par quelques-uns et humiliés par tous, inconsolables du chagrin d’être nés, avons-nous vraiment envie de compliquer notre malheur en confiant notre sort à Jean-Luc Mélenchon ?
Très amicalement,
Patrick
PS : Pour vous ce dernier quatrain, mon cher Jérôme, aussi lamentable dans son inspiration que dans son expression, mais qui traduit une forme d’effroi :
Vous m’avez fait Maître Et je vais vous soumettre. Vous ne vouliez pas vous soumettre ? Fallait pas me faire Maître ! Vous ne voulez pas vous démettre ? Allez donc vous faire mettre !
Sommés de choisir entre Mélenchon qui promet à ses électeurs l’harmonie universelle et le flou entretenu par Elisabeth Borne et sa majorité sur les sujets identitaires, les citoyens français pourraient bien préférer aller à la pêche qu’aux urnes au second tour.
Les résultats du premier tour des Législatives tombent et tous les commentateurs expliquent que l’on assiste à un retour de la gauche, alors même qu’en nombre de voix, celle-ci ne fait pas mieux qu’en 2017 si on additionne les résultats de ses composantes. Mais comme cela fait bien longtemps que la réalité des faits est niée et qu’un bon communicant peut durablement installer dans les médias une représentation mensongère pour peu qu’elle soit bien emballée, les leaders des deux alliances arrivées en tête, Nupes et Ensemble, déroulent leurs éléments de langage sans s’attarder trop sur ce qui fait le seul intérêt de ses élections : la claque démocratique d’une abstention devenue majoritaire et qui est le seul parti à constater l’existence d’une dynamique, celle du rejet.
Mélenchon le gourou
Alors que ces législatives ont été marquées par une indifférence que traduit la participation, les rentiers de l’échec démocratique, côté gauche de l’échiquier, ont l’air vraiment de croire que le génie de l’histoire s’exprime à travers eux. Je viens d’entendre le discours de Jean-Luc Mélenchon qui ne se sent plus de joie et parait perdre toute décence commune tant son messianisme outrancier parait décalé par rapport à ce que nous vivons collectivement. Comme dans une secte New Age, enfermé dans sa vision prophétique, il promet l’harmonie universelle entre les hommes dans un mélange d’exaltation délirante, d’autosatisfaction et de délire gauchisant. Ce n’est pas le frisson de l’histoire que l’on ressent en l’écoutant, mais l’infatuation d’un ego libéré de tout surmoi.
Je viens aussi d’écouter celui d’Elisabeth Borne. Au moins nous épargne-t-elle l’exaltation, mais c’est pour sombrer dans la dramatisation ridicule. Une dramatisation qu’elle peine à incarner faute de charisme et de fond. Pour autant, nous avons à nouveau droit à un numéro de claquettes sur les extrêmes pendant qu’elle essaie de faire passer Ensemble pour une alliance garante de la laïcité et de la République. Le moins que l’on puisse dire est que la posture est tout sauf crédible !
Arrivistes à tous les étages
Certes LFI et la Nupes sont clairement anti-laïques, mais les amis du président n’ont pas grand-chose à lui envier quand ils vont chasser sur les mêmes terres du clientélisme communautariste. LFI, le moteur de la Nupes, comme EELV et une partie du PS, sont proches des islamistes dont ils reprennent les éléments de langage et les codes (défense du voile par exemple), ils accusent la France de racisme systémique tout en ne réfléchissant qu’en fonction des couleurs de peau ; ils font de la police, une cible et en appellent à la violence politique dès qu’un résultat les contrarie. De là à essayer de faire passer pour la quintessence de l’esprit français, les amis d’un président qui est allé racoler dans les banlieues en tenant un discours complaisant, a expliqué que le voile était quasiment un insigne féministe et a fini par nommer un woke, qui lui aussi accuse l’état de racisme systémique, à l’Education nationale ; il fallait oser. Bref, une fois de plus on assiste aux noces de la médiocrité et de l’absence de représentativité. On aimerait s’en moquer mais c’est hélas la France et les Français qui vont faire les frais de cette sinistre comédie.
Tout cela ne promet que des lendemains qui déchantent. Entre la Nupes qui réunit tous les arrivistes se réclamant de la gauche woke et Ensemble qui réunit les arrivistes du centre, on voit mal comment ces coalitions sans âmes ni projets pourront tenir, qu’Ensemble ait une majorité réelle ou relative.
C’est un désaveu pour Emmanuel Macron, mais cela s’explique parfaitement. Quand on force la main d’une population en l’obligeant à voter par la diabolisation de ses adversaires, on court le risque que pour se venger, les électeurs règlent leur compte au moment des législatives. Le problème, c’est quand le seul bulletin efficace pour contrer le président nouvellement élu est le bulletin d’un mouvement islamogauchiste, qui a remplacé la lutte des classes par la guerre des races. En effet, le vernis social que la Nupes met en avant n’est qu’un attrape-gogo. Ce qui fait la force de cette alliance sont les revendications identitaires, et non sociales. Sur ce dernier plan, rien n’a été travaillé ni construit. Tout et n’importe quoi est promis car il s’agit de rallier les derniers naïfs et idéalistes pour les mettre au service de la haine identitaire en leur faisant croire qu’ils contribuent à renforcer la demande de justice sociale. Nombre d’électeurs de gauche ne sont pas dupes et ont déserté les urnes.
L’abstention majoritaire
Mais la réalité c’est que ni Ensemble, ni la Nupes n’ont convaincu la majorité des Français. Ceux-ci ont considéré que ces deux propositions ne correspondaient pas à leurs attentes. Ils se sont donc abstenus.
Une fois encore, des gens qui ne représentent pas grand-chose vont pouvoir jouir de l’intégralité du pouvoir que leur conférera leur titre de député alors qu’ils n’incarnent qu’une impasse pour une majorité d’électeurs. Paris et la région parisienne ont été un viatique pour des zozos radicaux (Sandrine Rousseau, Danièle Obono, Aymeric Caron…) qui laissent sans voix une majorité des Français pour qui la capitale devient un lieu à part d’où le bon sens est exclu dans un entre-soi de plus en plus décalé. Quels que soient les résultats du second tour, cette chambre des députés sera élue tout à fait légalement, mais elle manquera de légitimité faute de représentativité. Et cela n’est pas près de changer. Il y aurait bien une solution : annuler le scrutin quand une majorité d’électeurs refuse de se déplacer, le tout en interdisant aux candidats qui n’ont su intéresser personne de se représenter à cette élection.
Cela obligerait les partis à cesser d’investir sur le clientélisme pour renouer avec l’intérêt général.
Aujourd’hui, bien cibler sa clientèle et ne pas se soucier du bien commun est un avantage compétitif, voilà pourquoi faute de ce courage-là on continuera à alimenter la crise démocratique et à faire la carrière de trop d’inutiles…
Dans le passé, la gauche s’unissait autour de sa composante la plus modérée. Avec la Nupes, c’est le courant le plus extrême qui est à la manœuvre. Les alliés de LFI réussiront à sauver quelques sièges mais en payant idéologiquement le prix fort.
« Je me suis déjà fait baiser dans ma carrière politique mais là, j’ai l’impression de sortir d’un gang bang dans une cave. » Cette réplique tirée de la série Baron noir dit clairement la façon dont se passe souvent l’union de la gauche : après l’idéal du rassemblement de tous les courants, c’est l’hégémonie d’un seul homme qui s’impose.
L’union, un mythe qui permet tous les arrangements
Le PS est longtemps sorti vainqueur de ce jeu de bonneteau au détriment de son frère ennemi, le PCF. Mais aujourd’hui, avec la Nouvelle Union populaire et sociale, c’est à son tour d’être dans la position de dupe et de se voir satellisé. La Nupes entérine la domination de LFI sur ce champ de ruines qu’est devenue la gauche. Le PS, qui s’est servi si souvent de la rhétorique de l’union pour conquérir le pouvoir, est la principale victime d’un accord qui marque une victoire historique : celle du gauchisme révolutionnaire sur la gauche démocratique et républicaine.
Entre ces deux gauches, au-delà d’une question de degrés de radicalité ou de quête de justice, il y a une différence de nature. D’un côté, une vision violente, passionnelle et autoritaire de l’action politique ; de l’autre, une vision démocratique, rationnelle et tempérée de la pratique du pouvoir. De plus, si le communisme et le socialisme étaient deux branches issues d’un même tronc, la gauche multiculturaliste, racialiste et woke qu’est devenue LFI a peu à voir avec l’histoire des luttes sociales et la quête d’égalité de la gauche traditionnelle française. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, ces deux gauches sont irréconciliables et la plus radicale est en train de dévorer l’autre, car elle a su tirer tous les bénéfices du « vote utile ».
Seulement, l’union demeure un mythe si puissant qu’il fait encore rêver les électeurs. Lors de cette dernière élection présidentielle, les partis de gauche, tous confondus, n’ont représenté que 30 % des votants. Un échec électoral pourtant présenté comme l’annonce de victoires futures. Plus encore, comme un événement fondateur, selon Jean-Luc Mélenchon qui estime sobrement que la Nupes est en train d’écrire une page de l’histoire de France : un tel rassemblement « n’a été fait ni par le cartel des gauches, ni par le Front populaire, ni à la Libération, ni par Mai 68, ni par le programme commun ». Grâce à cette union, son échec au premier tour serait donc le prélude de sa consécration aux législatives…
Alliances de circonstance
C’est ainsi que, réduite à une pure question de conquête du pouvoir, l’instrumentalisation de la rhétorique de l’union permet de légitimer la compromission et l’abandon de tout principe. Dans ce cadre, la fin justifiant les moyens, peu importent le projet politique ou le degré de radicalité affiché, seule compte la réussite électorale. Voilà pourquoi la gauche n’a aucun mal à s’allier avec l’extrême gauche, « on choisit ses adversaires, pas ses alliés, c’est la base [1]». Cela justifie que l’argument idéologique pèse peu lorsqu’il est question de s’unir. C’est aussi oublier qu’une union, qu’elle soit féconde ou mortifère, repose sur un minimum de compatibilité entre les forces représentées.
Parmi les politiques expérimentés qui ont conclu cet arrangement, personne ne croit réellement que ces législatives soient le troisième tour de l’élection présidentielle. Seule la peur des élus de disparaître du paysage explique leur ruée vers la Nupes. Mais sa célébration par ceux dont elle entérine le déclin ressemble davantage aux derniers soubresauts de leur agonie qu’à l’espoir de lendemains qui chantent.
Union ou fusion-acquisition?
Lorsque, comme le PS, on passe d’un parti qui détenait tous les pouvoirs en 2012 à 1,75 % des voix à la présidentielle de 2022, l’union peut sans doute sauver quelques postes, mais à quel prix ? Sans un travail de refondation de l’offre politique, elle ne fera au mieux que retarder l’inéluctable. Le PCF a déjà suivi ce chemin : lors de l’élection de François Mitterrand en 1981, les communistes avaient récolté 15,35 % au premier tour. C’était un partenaire avec lequel il fallait compter, mais le programme commun ne l’a pas sauvé du déclin. Avec son score de 1,75 %, le PS ne représente même plus une force constituée et les territoires qu’il tient encore relèvent de la survivance plus que d’un capital exploitable. On a certes vu des empires commencer sur des bases territoriales réduites, mais encore faut-il avoir un grand dessein à faire partager. Or au PS, c’est là que le bât blesse.
L’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, la présidente de la région Occitanie Carole Delga et d’autres socialistes opposés à la Nupes ont rappelé les divergences essentielles qu’ils avaient avec l’identité politique de LFI et son programme. Ils ont dénoncé à juste titre son obsession de la race, son rapport à la violence politique, sa dimension communautariste, son soutien aux marqueurs de l’islamisme (voile, burkini), son rejet de la laïcité et son refus du nucléaire. Le problème est que le PS a, en son temps, labouré les mêmes terres et ciblé le même public. Pour gagner, le clientélisme communautariste s’est souvent révélé bien utile. Quant au discours sur la persécution des minorités et les violences policières, le PS n’a pas hésité non plus à en user et à en abuser.
Malgré la révolte de barons locaux suffisamment implantés pour se permettre de prendre quelque distance avec des positionnements réduits à une logique de survie, la vérité est que le PS n’a pas grand-chose à dire aux Français. Sa vision managériale de la société, son absence de courage sur les sujets identitaires et régaliens, ainsi que son antifascisme de salon le rendent si compatible avec le parti d’Emmanuel Macron que celui-ci a siphonné sans problème ses jeunes pousses et autres frustrés il y a cinq ans. Et sur le front du clientélisme fondé notamment sur ses complaisances envers les islamistes et les racialistes, LFI lui a aussi raflé le marché. Dans une telle configuration, on ne voit pas comment l’association avec les Insoumis pourrait être autre chose que le baiser de la mort.
Pour EELV, la problématique est différente. Le parti a toujours été une force d’appoint. La déception a néanmoins dû être grande, car celui-ci se rêvait en patron de la gauche. Mais le parti écologiste a toujours eu du mal à garder une certaine stabilité militante : ses adhérents se renouvellent beaucoup, ses leaders sont éphémères et il a longtemps eu du mal à se constituer une base territoriale significative. Depuis les dernières municipales, les choses ont changé, mais ce parti s’affirme moins écologique que profondément gauchiste et très peu différent de LFI dans ses références idéologiques. Yannick Jadot y a certes été préféré, de peu, à Sandrine Rousseau lors des primaires écolos, mais c’est elle qui prend la lumière et qui est en train de devenir l’incarnation des Verts, balayant les références à la République.
Quant au PCF, si Fabien Roussel représente encore un parti attaché au travail et à la représentation du monde ouvrier, la jeune garde, elle, est très woke et islamo-gauchiste. Elle a compris que l’électorat ouvrier la délaissait au profit de l’extrême droite et a réorienté son discours vers sa clientèle : les communistes n’ont pu que constater que ce qui faisait leur force, cette ceinture rouge ouvrière qui entourait Paris, est devenu une ceinture verte où le vote des Français de confession musulmane pèse de plus en plus lourd. Or ceux-ci sont captés par LFI et non par le PCF, comme en ont témoigné les scores chavéziens de Jean-Luc Mélenchon dans nombre de villes de Seine-Saint-Denis. La ligne plutôt républicaine que Fabien Roussel a tenté de porter, et qui fait finalement de lui une voix originale à gauche dans cette campagne, a peu de chance de survivre à ce constat comme au vieillissement de ceux qui la portent. Les nouvelles générations sont clairement séduites par la ligne verte-rouge, dite islamo-gauchiste, qui fait le succès de Jean-Luc Mélenchon en banlieue.
L’hégémonie de LFI, un obstacle au renouveau de la gauche ?
L’histoire a validé la stratégie de l’union, à la fois pour prendre le pouvoir et élaguer l’arbre généalogique de la gauche. Puisque l’appel au « vote utile » a consacré l’hégémonie de Jean-Luc Mélenchon et qu’il a réussi à réunir presque tous les partis sous la bannière de la Nupes, pourquoi LFI ne deviendrait-elle pas l’outil du renouveau de la gauche ? Pourquoi ne pas prendre acte de la disparition de la gauche républicaine au profit de la gauche communautariste ?
Le problème est que les conditions qui ont permis, dans le passé, à la gauche de s’unir pour accéder au pouvoir ne se présentent plus aujourd’hui. L’union s’est toujours faite autour du parti le plus modéré, celui capable de rassembler le plus grand nombre, au-delà des partisans les plus engagés. Or désormais, l’acteur le plus fort de cette nouvelle union est celui qui a les positions les plus extrêmes. Celui qui tient les rênes de l’attelage est sans doute un habile tribun, mais c’est aussi un homme emporté, autocrate qui ne vit que d’orages et de tempêtes et dont la violence verbale rejoint le goût pour la violence politique. Il réalise néanmoins une synthèse qui, bien qu’originale, est extrêmement fragile : ses bases politiques et sociologiques sont instables et hétéroclites. Encore plus que son alter ego de droite, Marine Le Pen, il est le point de rassemblement de colères diverses : « Départements ultramarins, campagnes alternatives, bastions syndicaux, génération climat, banlieusards et bataillon de la gauche diplômée des métropoles[2] » composent l’archipel électoral de Jean-Luc Mélenchon. Un électorat qu’il a capté en partie grâce à l’effondrement du PS, d’EELV et du PCF, mais dont il peine à séduire la totalité des sympathisants. Son succès n’est avéré que dans un seul segment, celui des Français de confession musulmane. Que 69 % de ces électeurs-là aient voté pour lui, séduits par son discours dénonçant leur pseudo-persécution, est à la fois un fait politique majeur et un phénomène inquiétant qui explique aussi la course à l’échalote pour récupérer leur vote aux législatives.
Les noces de l’islamo-gauchisme et du racialisme avec le moralisme condescendant bobo et les difficultés quotidiennes des petites gens ne tiennent que grâce au culte du chef et à son discours de victimisation, habile à répercuter colères et dénonciations tout en étant muet sur le modèle de société qui en découle. Pas sûr en effet que les intérêts des femmes et ceux des islamistes soient convergents, qu’une société où la couleur de la peau détermine l’identité des personnes puisse être égalitaire, que l’addition de tribus qui ne vivent que de l’expression de leurs différences puisse se traduire en société solidaire. La gauche LFI, c’est la gauche Jean-Claude Dusse, celle qui espère « conclure sur un malentendu ». Le problème est que, si elle y arrive, ses contradictions se renforceront, la contraignant à chercher son salut dans la mise en accusation permanente du système et dans l’épuration interne. Une histoire qu’a déjà connue LFI quand, après avoir réuni dans le même parti, racialistes, islamo-gauchistes et républicains, elle a dû sacrifier les derniers aux premiers. Djordje Kuzmanovic et François Cocq, qui animaient ce courant, comme Henri Peña-Ruiz, le spécialiste de la laïcité, en ont fait les frais.
Une union sans avenir collectif
La recomposition à gauche autour de LFI est un atout pour Emmanuel Macron. La montée des extrêmes à droite comme à gauche rabat automatiquement au centre un électorat modéré. Une dynamique qui devrait s’illustrer dans le succès législatif qui attend le parti du président. Loin d’être le futur artisan d’une victoire politique susceptible de se traduire en avancées sociales, Jean-Luc Mélenchon vise juste la place de premier opposant et d’imprécateur public, comme naguère Jean-Marie Le Pen et son FN. C’est l’analyse que font Carole Delga et les hiérarques du Parti socialiste opposés à la Nupes (voir l’entretien avec Julien Dray pages 69-73). Ils proposent d’organiser en septembre des états généraux de la gauche pour « refonder la promesse républicaine ». Sauf que cette fois-ci, pour « garder la vieille maison[3] » face à l’aventure gauchiste de la Nupes, il va falloir entièrement la reconstruire.
Trois électeurs sur quatre s’étant rendus aux urnes dimanche n’ont pas voté à gauche. Mais à écouter les journalistes, c’est tout comme si la Nupes avait fait un triomphe! Remettons les choses à leur place: les citoyens français amateurs de Jeremy Corbyn ou Aymeric Caron ne pèsent en réalité pas bien lourd.
À l’extrême gauche, et en particulier dans les cercles néoféministes, on se fait fort depuis quelques temps de dénoncer l’ « invisibilisation » de tel ou tel groupe social. Un jour, c’est les « racisés » (ces derniers s’étant fait voler leur glorieuse histoire par les colons blancs), le lendemain ce sont les femmes (le masculin l’emportant scandaleusement sur le féminin en grammaire) et le surlendemain les LGBT (parler de « mariage gay », plutôt que de « mariage » tout court, fait déjà de vous un homophobe, à croire certains).
C’est au point que le mot « invisibilisation » a rejoint l’édition 2023 du dictionnaire Larousse, aux côtés des mots « wokisme » ou « grossophobie ». Mais, au soir du premier tour des élections législatives, c’est bien la magistrale « invisibilisation » de la droite française qu’il nous faut dénoncer. Et, nous allons le voir, ce n’est pas un petit scandale !
D’une minivague arc-en-ciel, Mélenchon veut faire un tsunami
Hier soir à Paris, peu après les premiers résultats tombés à 20 heures, notre cover boy de juin, le leader d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, se rapproche de son pupitre pour prononcer son allocution. Calme et moins tonitruant que d’ordinaire (il prétend alors qu’il est saisi par l’émotion), entouré du Vert Julien Bayou et du communiste Ian Brossat, il appelle ses électeurs à « déferler » dans les urnes dimanche prochain. « Au terme de ce premier tour, la nouvelle union populaire arrive en tête. Elle sera présente sur plus de 500 circonscriptions au 2e tour !» se réjouit-il.
Constatant que, selon lui, « le parti présidentiel est battu et défait », il appelle les Français à retourner voter pour les candidats de la Nupes dimanche prochain, seule possibilité, à l’entendre, de dire non à la réforme des retraites et à une prétendue « partie cachée » du programme d’Emmanuel Macron – « 80 milliards » qui seraient sournoisement retirés du budget de l’État, afin de rentrer de nouveau dans la limite des 3% de déficit public autorisés par Bruxelles…
Enfin, pour faire bonne figure et complaire aux bobos wokistes à la sauce Sandrine Rousseau qui gangrènent la gauche, il appelle le peuple français à se débarrasser définitivement des « dominations sociales, culturelles et de genre ». Il doit penser que ça fait chic.
Minute, coco !
Si la Nupes n’a certes pas à rougir absolument de sa performance dans les urnes, il convient cependant de rappeler à tous ces aspirants à la députation rêvant de Mélenchon à Matignon quelques vérités:
Tout d’abord, à 20 heures, c’est vrai, les premiers résultats des instituts de sondage donnaient en pourcentage quelques petits dixièmes de points d’avance au monstrueux assemblage LFI-PC-PS-EELV… Mais en fin de soirée, le ministère de l’Intérieur donnait une égalité quasi-parfaite (25,70% pour Ensemble et 25,65% pour Nupes à 00h30, quand nous finissons cet article). En réalité, l’alliance d’extrême gauche et l’alliance d’extrême centre sont donc à touche-touche dans le rapport des forces national.
Reste que ces simples estimations données à 20 heures auront permis à Mélenchon et tous ses sbires de parader durant toute la soirée électorale. Un classique… Mais, à l’exception peut-être notable de CNews, peu de journalistes se sont risqués à contredire les représentants Nupes triomphants, ou à simplement rappeler les simples évidences qui vont suivre, lors des débats organisés par les médias de grands chemins.
Mon appel au « cercle de la raison »…
Premièrement, le niveau de l’abstention est tel qu’il ne permet pas de voir dans le score de LFI et ses affidés quelque élan populaire véritable que ce soit. Deuxièmement, selon l’IFOP à 21h00, même dans la plus favorable des hypothèses de second tour, la meilleure projection en termes de sièges à l’Assemblée pour la Nupes (210) n’atteignait pas le niveau de la pire projection en termes de sièges pour Ensemble (275)… Le seul véritable enjeu de dimanche prochain consistera donc à déterminer si Emmanuel Macron obtient une majorité absolue ou relative au Palais Bourbon. Troisièmement, et c’est ce qu’a finement observé notre directrice Elisabeth Lévy sur son compte Twitter hier, même si « on glose sur la première place de la Nupes (…) la leçon du résultat, c’est que trois quarts des Français qui votent ne sont pas de gauche » !
Alors qu’Emmanuel Macron réalise une rare contre-performance aux législatives pour un président au lendemain de son élection, nous n’avons donc plus qu’une seule chose à demander: qu’on arrête donc tous ces accommodements contre-productifs et idéologiques avec une gauche en réalité en déclin. En cachant ses intentions économiques réelles, en ne faisant jamais campagne, en ne débattant qu’avec Marine Le Pen et en donnant des gages grotesques à la gauche bien-pensante (on pense aux mensonges concernant les violences au Stade de France visant à ne pas stigmatiser les banlieues séparatistes votant volontiers LFI par exemple, ou à la nomination de Pap Ndiaye à la place de Jean-Michel Blanquer), le président Macron a renforcé cette gauche fielleuse, vagissante et populiste. Elle va venir perturber les débats à l’Assemblée nationale pendant cinq ans et une majorité de Français qui aspirent en réalité à une politique de droite. C’est là sa seule vraie victoire !
Élisabeth Lévy : « Abstention : les électeurs ont une responsabilité »
Il y aurait un peuple merveilleux et des élites incapables. Comme si nous, les électeurs, n’avions aucune responsabilité…
Retrouvez notre directrice de la rédaction chaque matin à 8h10 dans la matinale de Sud Radio.
Rachida Dati et Clémentine Autain sur TF1, 12 juin 2022 D.R.
Alors que les Français boudent les urnes, nous avons pu constater que la politique spectacle avait encore de beaux jours devant elle, lors de la soirée électorale sur TF1. Rachida Dati pointe les responsabilités de la députée de Seine Saint-Denis dans le séparatisme.
C’était sur le plateau de TF1 le soir des résultats du premier tour des élections législatives. Elles étaient là toutes les deux. Il y avait aussi Guillaume Peltier et Jordan Bardella. Ce fut explosif et du côté de Clémentine Autain, ça volait très bas.
Elle attaqua Guillaume Peltier avec ces mots choisis : « Vous devriez rabaisser votre caquet ! ». Il répondit : « Pas de mépris ». Rachida Dati vola à son secours : « Quand je vois les dégâts que vous avez faits en Seine-Saint-Denis, dans les écoles, dans les institutions, vous devriez baisser d’un ton, c’est honteux car ce qu’il se passe en France vous en êtes responsables. Le séparatisme en France c’est vou ! Le racisme en France c’est vous, la discrimination en France c’est vous ! »
Arrêtez d’aboyer, arrêtez d’aboyer !
Comment lui donner tort, quand on sait que les Insoumis défilaient avec le CCIF. Quant à la présidentielle, lors du premier tour ils obtiennent 69% des votes musulmans ! On sait où sont les vrais racistes ! Mais là il s’agit de racisme anti-blanc. Celui qui vise les autochtones et qu’il est interdit de nommer.
Clémentine Autain n’en est pas à son coup d’essai. Lors d’un débat le soir de la présidentielle elle avait interrompu à plusieurs reprises Rachida Dati « Arrêtez d’aboyer, arrêtez d’aboyer, arrêtez d’aboyer ! ». Chez les Insoumis, on a des élégances langagières qui nous éloignent beaucoup de la Princesse de Clèves… Il parait que Mélenchon et les siens sont de gauche. Alors c’est une gauche grossière, vulgaire et gueularde, qui se vautre dans le caniveau. Elle y est bien, avec les détritus et les ordures. De cette gauche-là, Clémentine Autain en est une parfaite représentante. Mais elle n’atteint pas le firmament où trône, incontestée jusqu’à maintenant, Raquel Garrido. Avec son compagnon, on se souvient qu’elle était présente lors d’un débat qui opposait Alexis Corbière et Eric Zemmour sur C8.
A la fin de l’émission elle croisa un groupe de jeunes partisans de Zemmour. Et elle lança à l’un deux : « Va sucer la bite de ton chef ». Clémentine Autain a encore quelques efforts à faire pour la rattraper dans ce domaine. Nous lui faisons confiance pour y arriver.
Élodie et Laurent, devant leur pavillon squatté à Ollainville (Essonne) D.R.
Les classes populaires ont une conscience aigüe des impasses sécuritaires, politiques, médiatiques, sanitaires… qui les enferment. Mais elles peuvent faire preuve d’imagination pour défendre leurs intérêts.
« L’an 01 ». En 1973, Jacques Doillon réalise un film intitulé « l’An 01 », d’après une bande dessinée de Gébé parue dans Politique Hebdo, puis Charlie Hebdo. Le scénario est le suivant : un beau matin, la population décide d’un commun accord de tout arrêter (le travail, la consommation, les transports en commun…), de réfléchir à l’utilité du travail que l’on fait et de réinventer la société. Et si on sonnait chez le voisin pour faire connaissance ? Si on ouvrait un potager dans le bitume parisien ? Si on piétinait les pelouses interdites ? Si on s’embrassait ? Si on… etc.
Les citoyens croient de moins en moins à la mascarade électorale
L’an 01 de Gébé a quitté la fiction. En 2022, des pans entiers de la société française ont d’un commun accord, décidé de faire un pas de côté. Mais à la différence de la BD, cela n’a rien de festif. Au plan politique, les électeurs ont abandonné les partis traditionnels (PS, LR) qui se sont effondrés. Plus grave, les mêmes boycottent les élections et l’abstention devient toujours plus massive. Aux présidentielles de 1988, un électeur sur cinq ne se déplaçait plus. En 2022, le boycott a concerné un électeur sur quatre (27%). Aux législatives de 2007, quatre électeurs sur dix ne votaient pas. A celles de 2022, plus d’un électeur sur deux ne s’est pas déplacé.
Ne pas aller voter n’indique pas un civisme en panne, mais l’indifférence à une mascarade. À quoi bon élire des gens qui plutôt que d’organiser un référendum sur les sujets qui comptent (l’immigration, l’école, les services publics, l’impôt, la santé…) consulteront plutôt McKinsey, Accenture et consorts ? À quoi bon donner une majorité à un président qui s’est empressé d’inventer des lieux d’élaboration de la décision en dehors des circuits démocratiques : « les grands débats » au moment de la crise des gilets jaunes, les cahiers de doléances remisés au grenier sitôt la crise passée, le conseil de défense ultra secret au moment de la pandémie, et maintenant le CNR, futur Conseil National de la Refondation, qui indique clairement l’intérêt du président pour la représentation populaire…
Le plus beau métier du monde
Mais l’an 01 n’est pas seulement électoral. Le pas de côté s’effectue aussi à l’école. Qui veut être prof aujourd’hui ? Plus personne. L’institution scolaire rebute littéralement et les candidats les plus qualifiés boudent les concours de recrutement. Concernant la rentrée 2022, « avant même les oraux, le nombre de candidats admissibles aux écrits est inférieur, dans certaines disciplines, au nombre de postes proposés. Pour les collèges et lycées, la situation est très critique en mathématiques (816 admissibles au Capes pour 1035 postes), en allemand (83 pour 215) et en lettres classiques (60 pour 134) » écrivent Aude Bariéty et Caroline Beyer dans le Figaro.
L’explication officielle de cette désaffection est « le salaire d’un enseignant stagiaire : 1827 euros brut ». Scandaleusement bas, bien sûr ! Mais la raison corollaire arrive très rapidement dans la foulée : « Aller dans les académies de Créteil ou Versailles, sans accompagnement, lâché dans le grand bain sans brassard, pour cette rémunération, ça ne passe pas», assène Stéphane Crochet, du syndicat SE-Unsa.
« Grand bain », « sans accompagnement », « sans brassard »… autant de formules contournées pour indiquer ce que tout le monde sait aujourd’hui, à savoir que l’école publique a craqué sous le poids de l’immigration et que dans certaines zones, les élèves font désormais la loi, imposent les programmes (il est des sujets tabous comme la Shoah) et n’hésitent pas à attenter à la sécurité physique des enseignants. Comme l’institution laisse faire, les enseignants désertent. Ce sera sans eux, merci !
Panique à l’hôpital, crainte de l’embrasement des banlieues…
L’hôpital souffre lui aussi du même pas de côté. La suppression de 80 000 lits d’hôpital public en vingt ans, la stagnation des salaires, la fermeture des petits hôpitaux de proximité, et un mode de rémunération des hôpitaux conçu pour optimiser l’occupation des lits en fonction d’effectifs toujours plus ajustés créent les conditions d’un stress permanent. Le conflit entre soin et productivité est à l’origine de la grande hémorragie. Sarah, 25 ans, après quatre années passées aux urgences pense déjà à une reconversion. « Le soir, on rentre chez soi en pleurs en se disant qu’on n’a pas fait du bon boulot, et on se demande quel pourrait être notre avenir plutôt que d’être infirmière. » Les Sarah sont si nombreuses à opter pour une reconversion professionnelle que des services hospitaliers se ferment naturellement, sans décision administrative, par simple carence du personnel.
Quant à la sécurité, le pas de côté est plus discret mais non moins réel. Cinq millions de Français détiennent légalement des armes à feu et 240 000 sont inscrits dans des clubs de tir pour « se défendre au cas où ». L’heure en France est à l’autodéfense, car le doute existe que la police intervienne – ou puisse le faire à temps – si elle doit affronter les tenants de la « diversité ».
Le régime diversitaire s’embrase
L’affaire du Stade de France a confirmé que l’Etat est prêt à tout pour éviter de se trouver en conflit direct avec cette partie de la population que l’on nomme « diversité ». Pour expliquer les troubles à l’ordre public qui ont eu lieu à l’occasion de la finale de la coupe de l’UEFA au Stade de France, le ministre de l’Intérieur, a trouvé plus simple d’accuser les supporters britanniques d’avoir tenté d’entrer sans billets. En créant un bouc émissaire, l’Etat a effacé le crime des racailles de Seine Saint-Denis qui se sont ruées par dizaines pour attaquer, violenter, voler voire agresser sexuellement des spectateurs sans défense. Et pour éviter que ce mensonge d’État ne vole en éclats, les bandes vidéo des caméras de surveillance du Stade de France ou de la RATP ont été mécaniquement effacées faute d’avoir été réquisitionnées à temps par le Parquet. Si l’on en croit le Daily Mail, le gouvernement français aurait même pesé sur l’UEFA pour que son communiqué relatif au désordre de la finale ne fasse pas mention des agressions de spectateurs britanniques et espagnols. Comme l’écrit brillamment Mathieu Bock-Coté dans le Figaro, « le régime diversitaire ne se contente plus de dissoudre le réel en produisant une confusion toujours reconduite entre le vrai et le faux. Il détruit désormais les preuves de la société dévastée qu’il engendre. Il détruit les conditions mêmes d’observation de la réalité. Ce qui a eu lieu n’a pas eu lieu, ce qui est advenu n’est pas advenu ».
Comment s’étonner ensuite que les Français fassent un pas de côté vis-à-vis des médias ? L’enquête Confiance dans les médias réalisée en 2022 par l’institut Kantar pour le journal La Croix a confirmé que 90% des sondés considèrent que les médias sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie et que 77% affirment que la liberté de la presse est au fondement du pluralisme. Mais une fois ces principes posés, les mêmes ne sont plus que 29% à affirmer leur « confiance » dans les médias alors que le niveau de confiance atteint 59% ailleurs en Europe. Concernant la radio, qui est perçue comme le média le plus fiable, moins d’un auditeur sur deux (44%) estime que les journalistes radio rapportent les faits « à peu près » comme ils ont eu lieu, et 5% des auditeurs seulement croient que les faits rapportés par la radio se sont produit « vraiment » comme la radio les raconte.
La maison squattée d’Ollainville
Comment survivre dans un environnement national aussi dysfonctionnel ?
Elodie et Laurent, ces deux prolos qui ont acheté à Ollainville (Essonne) une maison squattée par une famille tunisienne ont montré qu’avec un peu de jugeotte, la chose était possible.
Elodie et Laurent savaient que le bien immobilier qu’ils venaient d’acquérir était squatté par une famille maghrébine. Mais c’est aussi en raison de cette situation qu’ils ont pu l’acquérir à un prix très en dessous du marché. Une fois leur achat en poche, ils ont joué le désarroi devant un journaliste du Parisien. Leur vidéo de « victimes » des squatteurs a circulé sur les réseaux sociaux et son retentissement médiatique a été d’autant plus grand qu’on était en période électorale. Le ministre de l’Intérieur est intervenu et les squatters maghrébins ont décampé sans délai. En deux mots, Élodie et Laurent ont inversé le processus victimaire qui joue mécaniquement en faveur de l’immigration, ont instrumentalisé les médias avec un grand sens politique pour susciter la sympathie et ont pesé sur les politiques eux-mêmes pour faire aboutir une affaire personnelle. En agissant ainsi, ils ont court-circuité la justice, la police et ont économisé beaucoup de temps et d’argent.
Cette pratique montre que les classes populaires ont une conscience aiguë des impasses sécuritaires, politiques, médiatiques, sanitaires… qui les enferment, mais qu’elles sont prêtes à faire preuve d’imagination pour défendre leurs intérêts. Comme l’écrit le géographe Christophe Guilluy, les classes populaires « marronnent », un peu comme le faisaient les esclaves qui fuyaient les plantations où ils étaient tenus en esclavage. En d’autres termes, chacun tente de survivre loin de la sphère d’influence des puissants. Christophe Guilluy utilise ce terme de « marronnage » pour décrire cette attitude nouvelle des classes populaires : « elles n’écoutent plus ce que prescrivent les élites, elles préfèrent mater un bon film ou Cyril Hanouna que François Hollande ». Élodie et Laurent ont montré qu’ils savaient sur quels boutons appuyer pour obtenir gain de cause.
A gauche, la journaliste palestinienne d'Al Jazeera, Shireen Abu Akleh, tuée par balle, le 11 mai. A droite, Johara Khnifes, militante arabe israélienne tuée le 7 juin, dans un attentat à la voiture piégée (captures Youtube du Parisien et de ILTV Israël News)
En un mois, deux femmes arabes ont été tuées en Israël. Une heure après la mort de la première, France 24 avait déjà dénoncé son coupable préféré [1]. Trois jours après celle de la deuxième, son nom était toujours inconnu de la version française de Google.
La voix du silence
Peut-être la première a-t-elle été assassinée et la seconde est-elle morte de vieillesse ?
Non la première était une reporter de guerre morte à 51 ans sur un champ de bataille : un risque du métier. La seconde avait 28 ans quand elle est morte dans l’explosion de sa voiture piégée : un meurtre avec préméditation.
Peut-être la première était-elle célèbre et l’autre pas ? Non : sa mort a rendu la journaliste Shireen Abu Akleh célèbre. Avant, c’est elle qui interviewait des peoples.
Peut-être l’une faisait-elle un métier cher au public et l’autre pas ? Seuls 16% des Français déclarent faire confiance aux journalistes[2]. Mais c’est eux qui tiennent le micro…
À l’inverse, les militantes féministes, comme celles qui œuvrent contre la violence, ont le vent en poupe. Son engagement est justement la raison pour laquelle Johara Khnifes a été tuée[3].
Dénonciations, accusations y réfutations
Les autorités palestiniennes accusent leur ennemi d’avoir assassiné pour le plaisir une journaliste. C’est de bonne guerre : leur champs de bataille est plus souvent médiatique que soldatesque. En revanche, quand la presse internationale leur emboîte le pas de l’oie, c’est plus suspect.
Le ministre israélien des Affaires étrangères a réfuté l’accusation de journalisticide dans une tribune publiée par le Wall Street Journal. Quand Shireen Abu Akleh est décédée dans des tirs croisés, il y a un mois, elle travaillait en Israël pour Al Jazeera depuis 20 ans, comme nombre de ses collègues qui ne portent pas l’État juif dans leur cœur et qui le démontrent dans chacun de leurs articles ou reportages. Al Jazeera elle-même appartient au Qatar, un Etat islamiste ouvertement hostile à Israël, ce qui n’empêche pas ses envoyés permanents d’y être « protégés par l’État que la chaîne calomnie régulièrement. Le conflit israélo-palestinien bénéficie d’une couverture disproportionnée par rapport à tout autre conflit sur terre… tout ce que vous savez sur ce conflit est le produit de centaines de journalistes qui travaillent sur le terrain sous la protection d’un État démocratique qui croit de tout son cœur à la fois à la liberté d’expression et à la liberté de la presse.[4]»
Silence, indifférence, absence de conscience
La famille de Johara Khnifes fait partie des « Arabes de 48 » : ceux qui sont restés en Israël quand le pays a été attaqué par sept armées arabes, le jour de son Indépendance, le 15 mai 1948. De ce fait, ses membres sont citoyens israéliens depuis cette date.
Le grand-père de Johara avait été député dans les années 1950, son père est maire adjoint de Shefar Am, une ville de 42 000 habitants dans le nord d’Israël, et sa mère est présidente de l’Unité pour l’avancement des femmes de la ville.
La police ne pense pas que les parents étaient visés. Ses soupçons se dirigent vers ceux qui se sentaient visés par les déclarations de la jeune femme, dans sa lutte contre la violence endémique dans les communautés arabes d’Israël et dans son action militante en faveur des femmes arabes.
« La violence endémique », n’est-ce pas là une phrase islamophobe ? Non, c’est une citation. De la jeune femme assassinée, mais aussi de Mansour Abbas, chef de la Liste arabe unie et ministre délégué au cabinet du Premier ministre, chargé des Affaires arabes.
Fin août 2021, on comptait déjà 81 citoyens arabes victimes de la violence. Nul média français n’en ayant fait état, il s’agissait bien de violences intra-ethniques. « Israël est en partie un État de droit et d’ordre et en partie un Far West », avait déclaré le Comité des autorités locales arabes en Israël dans un communiqué, exigeant que « le chef de la police donne une explication immédiate sur la manière dont il entend combattre la […] violence…[5] »
La médiatisation des morts en Israël ne dépend pas de la victime
Elle dépend exclusivement de la possibilité d’accuser l’État juif. Dans le cas de la journaliste, c’est d’autant plus facile que les autorités palestiniennes refusent de partager l’enquête et de montrer la balle retirée du corps. Résultat : le 10 juin 2022, presque un mois après sa mort, son nom sur Google donne environ 5 millions de résultats en 0,63 secondes.
Dans le cas de la militante des droits des femmes anti-violences inter-arabes, il est quasiment impossible d’incriminer Israël. Résultat, à la même date, son nom donne environ 858 résultats en 0,55 secondes, dont les trois en français sont des médias dits « communautaires ».
« J’insiste sur le fait que nous devons… faire face à la violence et à ses causes, afin de pouvoir vivre en paix, en sécurité et dans la tranquillité, comme les autres nations avancées qui jouissent de la sécurité et de la sûreté » avait-elle dit. Elle n’a obtenu ni sécurité ni sûreté, mais le silence. Ce n’est un luxe que dans l’immobilier.
52,50 % : tel est le record inédit du taux d’abstention pour ce premier tour des législatives. Bien sûr, on peut toujours incriminer le retour du temps des cerises et des barbecues qui éloignerait du devoir civique. La saison du bermuda et des doigts de pieds, libres de s’ébattre dans les sandales, bat en effet son plein.
Perfide Evelyne Dhéliat
Dimanche dernier, la météo, perfide, incitait clairement à fuir son devoir civique. On préféra alors sillonner les villes, en famille et casqués, juchés sur des trottinettes, destriers du XXIe siècle, emblèmes de la quête désespérée d’une éternelle enfance.
Les rires fusaient des terrasses de cafés en de longues stridulations enjouées. On y sentait poindre une légère ivresse, celle qui permet, alors qu’on croit communier avec l’autre, d’échapper un instant à « l’insoutenable légèreté de l’être. » D’autres conviés à la partie de campagne proposée par le printemps s’étaient amassés et rassemblés sur les pelouses et les rives des cours d’eau ou les plages. On ripaillait pour célébrer la renaissance et l’illusion de l’éternel retour de tout.
On pourrait, tout aussi justement, penser que cette exceptionnelle abstention résulte d’une lassitude qui aurait gagné les Français, après la farce des présidentielles. Il faut bien avouer que le pitoyable spectacle d’un président sortant, embusqué et taiseux, était de nature à décourager quiconque d’aller voter. Il refusa de se risquer hors du bois avant l’heure pour conserver toutes ses chances de réélection et n’eut d’autre argument à proposer pour légitimer sa reconduction que l’urgence qu’il y avait à contrer le Rassemblement national.
C’est une hypothèse qui reste valable, d’autant plus que notre diable d’homme, à peine réélu, ce, avec une abstention déjà alarmante, nous refit illico le coup du front républicain quand il daigna s’abaisser à faire campagne pour ce premier tour des législatives. Dès qu’il fut question de désigner à la vindicte populaire le nouvel ennemi à défaire, la Nupes, autrement dit Mélenchon et ses affidés, notre triste sire, pour mieux nous persuader de la gravité du moment, donna à sa voix la solennité qu’il aime à adopter quand il tient son rôle de chef de guerre.
À notre avis, cependant, le mal vient de plus loin. Nous rendons responsable de ce délitement progressif de l’esprit qui engendre l’absence de conscience politique, l’injonction, devenue mantra, à vivre une fête perpétuelle et le droit, farouchement revendiqué, « au bonheur mérité par l’excellence de nos âmes », pour reprendre l’expression savoureuse de Flaubert, dans L’Éducation sentimentale.
L’école, non seulement ne parvient pas à endiguer ces prétentions puériles, mais au contraire les encourage : devenus de vastes terrains de jeu, nos établissements scolaires ont, on le sait, désormais vocation à animer et non plus à transmettre.
Philippe Muray, un visionnaire
Lesdites aspirations à une fiesta permanente, dignes du jardin d’enfants, furent dénoncées par Philippe Muray, dans ses chroniques rassemblées sous l’intitulé : Après L’Histoire, dès la fin des années 90. J’en veux pour preuve cet extrait qui ouvre Des critiques en déroute par temps hyperfestif (janvier 2000) : « L’époque est une tête à claque qu’il devient jour après jour un peu plus agréable de gifler. La satisfaction avec laquelle elle se montre, son conformisme euphorique autant qu’ignominieux, son allure de tranquille impunité quand elle déploie l’éventail de ses plus malfaisantes sottises et l’ensemble de ses nuisances approuvées, enfin cet incroyable teint de rosière qu’elle arbore en toute occasion, lorsqu’il s’agit de célébrer de nouvelles mutations, d’applaudir au défi ludique des surfeurs des neiges, au succès d’internet, à l’adoption d’Halloween par les peuples colonisés, au triomphe de l’économie de marché, de la transparence, du patin à roulettes (…) et des pique-niques citoyens avant les séances de cinéma en plein air, font ardemment regretter qu’elle n’ait pas un seul visage sur lequel on puisse taper avec gaieté et sans relâche. »
Philippe Muray Photo : Hannah Assouline
Philippe Muray, visionnaire, n’aurait pas été déçu par notre époque. Cette aspiration à la liesse éternelle, qu’il épinglait déjà à l’aube de notre siècle avec une juste férocité, a en effet crûe de façon exponentielle : les trottinettes se sont abattues sur nos villes comme des nuées de sauterelles et dans les librairies, le rayon consacré au développement personnel est responsable d’une déforestation sans précédent. « Être présent à l’instant présent » et dans la joie, s’il vous plaît : tel est le mode d’emploi pour réussir immanquablement sa vie.
Cette quête forcenée du « tout au ludique » a commencé par atrophier les cerveaux puis a contribué à fragmenter une société constituée d’éléments mal jointoyés en l’absence du ciment que constitue un devoir qui impliquerait la sale contrainte, de plus en plus honnie. C’est dans ce terreau fertile qu’ont poussé les revendications de chacun qui souhaite être considéré comme unique et par conséquent, refuse de se plier à ce qui fait société et qui impliquerait une obligation vis-à-vis d’autrui.
Celui qui n’a jamais été seul, au moins une fois dans sa vie…
Nous ne sommes plus un peuple, mais des entités antagonistes qui prônent ou dénoncent, en vrac : « l’appropriation culturelle », « la cancel culture », « le communautarisme », « la déconstruction », « l’indigénisme », « l’intersectionnalité », « l’islamogauchisme », « la justice raciale », « le néoféminisme », « le privilège blanc », « le racisme anti-blanc », « le racisme systémique », « le séparatisme », « l’universalisme », « le wokisme ». Cette nomenclature barbare accompagne la désagrégation de notre société, maintenant comparable à un tas de sable dont chaque grain serait un individu.
Pour qui et pourquoi, alors, aller voter, puisque qu’on est seul ? L’épopée fédératrice a cédé la place aux récriminations et aux revendications individuelles d’un moi hypertrophié refusant toute frustration. Payer de sa personne ou veiller aux intérêts communs est maintenant complètement démonétisé. Le ricanement est de mise quand on rencontre un pauvre hère qui aurait conservé cet idéal.
Transmission, appartenance à une culture, inscription dans l’Histoire : tout a disparu. Nous avons éteint la lumière et « nous courons sans souci dans le précipice après que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher de le voir » (Pascal, Pensées, 1670). Ce « quelque chose », c’est notre pauvre « moi ». Nous le brandissons naïvement comme un flambeau, prétendant éclairer les ténèbres profondes qui nous environnent mais il ne s’avère être que la flamme vacillante d’une bougie exposée à la bourrasque. De grâce, cessons de nous prendre pour Matamore et rallumons vite la lumière, celle de l’instruction et de l’éducation pour retrouver l’esprit critique, la réflexion et raviver ainsi l’esprit du collectif. Alors nous retrouverons des citoyens éclairés, concernés par le vote.
Après avoir affronté le wokisme gluant de « Jurassic World », notre chroniqueur, pour se désintoxiquer, est allé voir « Top Gun Maverick », le re-boot, comme on dit en français, du film de Tony Scott de 1986. Il en est sorti conquis et requinqué. Le mâle blanc tient sa vengeance. Et c’est bon !
Quentin Tarentino, dans « Sleep with me » (1994), prétend que le « Top Gun » originel est un film crypto-gay. On pouvait s’y tromper, en effet, et l’amitié virile entre Tom Cruise et Val Kilmer ne manquait pas d’ambiguïté. Mais pour ce qui est de ce « Maverick » qui est en train de casser la baraque et les records, aucun doute n’est permis : c’est un film ouvertement œdipien. On baigne dans le conflit entre un fils (Miles Teller dans le rôle de Bradley « Rooster » Bradshaw) et son père par délégation, Tom « Maverick » Cruise. Et au lieu de s’entre-égorger comme Arthur et Mordred dans la fable, ils se sauvent mutuellement la vie.
Quant à Val Kilmer, il revient bien — grâce à un subterfuge technique qui lui rend partiellement sa voix, le vrai Kilmer est aujourd’hui aphone —, mais pour mourir vite. Vieillir, constate le héros, c’est perdre ceux qu’on aime.
Ou les retrouver. Maverick, réaffecté à la base d’entraînement où il a fait ses débuts, retrouve sa vieille passion — Jennifer Connelly, superbe, découverte il y a longtemps dans « Il était une fois l’Amérique » —, affectée d’une fille adolescente et rebelle mais compréhensive. Le quasi-sexagénaire (franchement, il paraît quarante ans tout au plus, le cinéma, la muscu et la chirurgie esthétique, c’est magique) est chargé de former à l’arrache une équipe de pilotes qui seront chargés d’anéantir une future usine d’enrichissement d’uranium située au cœur de l’un de ces rogue states jadis listées par Anthony Lake — manifestement, c’est l’Iran, mais le nom n’est pas prononcé.
Hollywood est de retour
Slate a énuméré tous les points sur lesquels le scénario est invraisemblable, et je vous y renvoie. On s’en fiche, tout tient dans la formule plusieurs fois répétée dans le film, « ne pense pas, agis » — devenue, ici, « ne pense pas, ressens. »
Le film, sorti fin mai aux Etats-Unis, enfonce déjà tous les records, et sauve la vie du cinéma, menacé depuis le confinement par le mauvais goût et Netflix. Pourquoi ?
C’est la grande revanche de l’adrénaline et de la testostérone — y compris pour le seul personnage féminin, Monica « Phoenix » Barbaro. Conduire des F-18 dans des canyons escarpés à moins de 300 pieds d’altitude, pour détruire une cible grosse comme une pomme, tout en jouant sur tous les registres de l’amitié virile et de la nique aux autorités, voilà qui a de quoi satisfaire le rebelle non-conformiste (c’est à peu près la traduction de « maverick ») qui est en nous. La prise de risque est maximale, les rebondissements incessants, le rythme fou et soutenu, le plaisir non équivoque. À la fin, quand tout semble fichu — le héros a volé un vieux coucou, un F-14 jadis livré au Shah, et qui par miracle vole toujours, et affronte deux SU-57, abat l’un, et au moment où il va inéluctablement être abattu par l’autre…
Ne comptez pas sur moi pour vous révéler que la cavalerie arrive à l’heure.
On sort content
Parce que c’est au fond un western, le seul genre cinématographique qu’Hollywood a inventé et qu’il maîtrise à fond. Et il se trouve que je suis un grand amateur de westerns et de héros kantiens, qui font ce qu’ils ont le sentiment de devoir faire, et peu importent la logique ou les ordres reçus.
Les supérieurs hiérarchiques n’ont guère le beau rôle. Ed Harris campe une vieille ganache qui ne jure que par la guerre automatique (lire sur le sujet le passionnant ouvrage de Grégoire Chamayou, Théorie du drone, La Fabrique, 2012), Jon Hamm n’aime pas Maverick, mais à la fin, les décorations pleuvent sur la poitrine du héros à laquelle s’accroche la fiancée retrouvée — et comme elle tient la buvette de la base, on sent que les tournées générales se succèderont jusqu’au bout de la nuit.
La bande-son est d’une efficacité maximale. Essayez de ne pas swinguer sur Great balls of fire (surtout que c’est d’un bout à l’autre une histoire de grosses coucougnettes) de Jerry Lee Lewis, sur Danger Zone de Kenny Loggins — qui rappelle un peu la bande originale de Rocky — ou sur Bang a gong (quelqu’un se rappelle Marc Bolan, tragiquement disparu en 1977 et leader du groupe anglais T.Rex ?). Ce film swingue d’un bout à l’autre sans avoir l’air de croire que le rap est de la musique.
On sort de là content, débarrassé pendant deux heures des arguties imbéciles des féministes hurlantes, des islamistes qui n’aiment pas la musique ni les Américains, et des écolos qui, prétendent que le kérozène est mauvais pour la planète. Et l’atome entre les mains des ayatollahs, coco ?
Le film est fait pour redonner aux Américains, que leurs aventures en Irak ou en Afghanistan ont échaudés, la fierté d’être yankees. Je ne détesterais pas, si notre cinéma hexagonal était moins constipé par des problèmes de nombril, qu’un metteur en scène français tourne ici un film qui rendrait à nos compatriotes le goût d’être Français. Et pas membre de telle ou telle communautés de connards.
Il y a une semaine, Boris Johnson survivait à un vote de défiance des députés de son propre parti. Quelles sont les motivations des Conservateurs qui s’opposent au Premier ministre, et quelles sont les véritables conséquences de ce résultat? L’explication de Jeremy Stubbs.
Le matin du lundi 6 juin, au lendemain du weekend du jubilé, le président du Comité 1922, qui regroupe tous les députés conservateurs non-ministériels, annonçait la tenue d’un vote de défiance à l’égard du chef du parti et Premier ministre. Le soir, le même président annonçait que BoJo avait gagné le vote, recevant 211 votes sur 359. Cette victoire est loin d’être un triomphe. Dans la même situation, Margaret Thatcher et Theresa May ont eu des scores similaires ou meilleurs, mais leurs jours étaient comptés. Il y a toutes les raisons de croire qu’il en va de même pour Boris Johnson. Dans les milieux politiques et médiatiques en Europe, ceux qui condamnent le Brexit et voient en Johnson un véritable démon populiste sont en train de jubiler face à ses difficultés ; tandis que ceux qui voient dans le Brexit l’échec d’un européisme galopant et font l’éloge du leader britannique sont soulagés par sa survie. Les deux groupes ont tort.
Ô Pyrrhus, où est ta victoire?
Car l’issue de ce vote est le pire des résultats. Si une majorité des députés avait condamné Boris Johnson, ce dernier aurait été contraint de se présenter (ou non) à une nouvelle élection à la direction du parti et, en toute probabilité, un nouveau chef, bénéficiant d’un nouveau mandat, l’aurait remplacé. En revanche, si une majorité plus importante avait soutenu le Premier ministre, il serait sorti de l’épreuve mieux armé qu’auparavant pour faire face à tous les défis qui menacent le Royaume Uni en ce moment. Cette victoire à la Pyrrhus maintient en poste un leader déjà affaibli en l’affaiblissant encore plus.
Qu’est-ce qui était – et continue à être – reproché à Boris Johnson ? Au-delà des images et anecdotes concernant la culture de fête qui aurait eu cours au 10 Downing Street pendant le confinement, ce sont les réponses pour le moins louvoyantes du Premier ministre aux questions du Parlement qui ont mis en doute son honnêteté et sa crédibilité. Si on y ajoute un certain nombre de scandales où régnait un parfum de corruption (ou, selon le terme familier en anglais, « sleaze »), on peut comprendre pourquoi sa cote de popularité personnelle est au plus bas dans les sondages. Les députés conservateurs qui ont voté contre lui l’accusent d’abord d’avoir terni son image de chef ainsi que celle du gouvernement. En même temps, la nécessité constante où il se trouve de gérer toutes ces affaires a visiblement sapé sa capacité à se focaliser sur les problèmes graves qui affligent le pays. En ce moment, le taux de l’inflation est à 9% et, selon les prévisions, même s’il devrait baisser l’année prochaine, il restera à 5%. La livre sterling est très faible, ce qui augmente le prix de l’essence. Les factures d’énergie des Britanniques risquent d’augmenter de 46% au cours de l’hiver prochain. Et la prévision de croissance de l’OCDE pour le Royaume-Uni en 2023 est de 0%. Le Brexit a sans doute contribué aux difficultés économiques du pays mais il est loin d’en constituer la cause majeure.
Le Premier ministre, qui refuse de démissionner, pourra-t-il donner toute son attention à cette problématique complexe ? Il y a deux échéances qui doivent le préoccuper. D’abord, le 23 juin, il y aura deux élections partielles, l’une dans le nord de l’Angleterre, dans une de ces circonscriptions traditionnellement travaillistes gagnées par les Conservateurs en 2019, et l’autre dans une circonscription traditionnellement conservatrice du sud. C’est un test à la fois pour le « Red wall » et le « Blue wall » (le mur rouge, à gauche, et le mur bleu, à droite). Selon toutes les prévisions, le Parti conservateur subira deux défaites. Les partielles ont été provoquées par des méfaits sexuels de députés conservateurs, l’un condamné pour agression et l’autre forcé d’avouer qu’il a regardé des vidéos pornographiques sur son téléphone dans la Chambre des communes. Tout cela est loin d’arranger l’image du gouvernement sur le plan moral. L’autre échéance, encore plus préoccupante pour Boris Johnson, est le rapport qui sera publié à l’automne par la Commission éthique du Parlement et qui statuera sur la question de l’honnêteté du Premier ministre dans le Partygate. Un verdict négatif pourrait bien signaler la fin du mandat de Boris Johnson.
La quadrature du cercle?
Le Premier ministre a essayé de reprendre l’initiative en annonçant une nouvelle politique permettant aux Britanniques qui louent un logement social d’en devenir les propriétaires et en indiquant qu’il va réduire les impôts – mais sans spécifier quand. En dehors de l’efficacité de telles mesures, le problème fondamental reste celui d’un chef du gouvernement affaibli. Cela s’exprime de deux manières. D’abord, l’exécutif et surtout les fonctionnaires de l’État sont peu motivés pour réaliser les projets d’un Premier ministre fragilisé : « A quoi bon ? », se disent-ils. « Il sera probablement remplacé dans un avenir proche par un autre leader qui aura ses propres projets et nous dira de changer de cap. » Les mesures vigoureuses que Johnson a besoin de mettre en œuvre pour surmonter les difficultés du pays et réaffirmer sa légitimité ne seront appliquées que lentement et mollement.
L’autre conséquence d’un affaiblissement du chef est la dépendance de ce dernier par rapport à certaines factions qui, en échange de leur soutien, demandent des concessions. Les premiers signes suggèrent que Boris Johnson est désormais sous l’influence d’un groupe de ministres en faveur d’une ligne dure concernant le Brexit. Soyons clairs : le vote de défiance n’a pas été initié par d’anciens opposants au Brexit cherchant à se venger de BoJo. Lors du scrutin, les députés anciennement pro et anti-Brexit se sont trouvés des deux côtés. En revanche, certains des ministres fidèles à Johnson, dont la ministre des Affaires étrangères, Liz Truss, sont plus intransigeants que le Premier ministre quant aux négociations avec l’UE sur l’application du Protocole sur l’Irlande du Nord. Aujourd’hui, le gouvernement introduit un projet de loi pour déroger à ce Protocole qui a été signé lors de la finalisation de l’Accord de retrait.
Or, les problèmes les plus urgents du Royaume-Uni, qui sont d’ordre économique, n’ont rien à voir avec ce Protocole. Ce dernier est loin d’être la préoccupation majeure des Britanniques. Le projet de loi ne peut être qu’une distraction de plus au moment où on a besoin d’une focalisation étroite sur la question du coût de la vie. Le gouvernement de Boris Johnson a été élu pour remplir une mission paradoxale : il devait réaliser le Brexit au nom d’une vision libérale du commerce international tout en protégeant les classes ouvrières du nord de l’Angleterre des effets de la mondialisation. Si Johnson n’apporte pas de solution rapide et efficace aux épreuves économiques que subissent surtout ses électeurs ouvriers, ce sera non seulement sa carrière de Premier ministre qui en pâtira mais sa conception du Brexit, et donc l’héritage qu’il laisse à la postérité. Cet été, les vacances risquent d’être courtes pour BoJo.
Le talentueux Leroy, notre ami et camarade Jérôme, la plus fine lame de ce site, sa plus belle plume aussi, capable de vous éblouir et de vous embrocher dans un même mouvement bien digne des Hussards dont il est l’héritier, grand connaisseur de toutes les littératures et, en particulier de celle du Grand siècle, Jérôme, donc, est un homme fidèle à sa jeunesse : communiste il fut, communiste il demeure. J’aime et j’admire cette fidélité.
Envers et contre tout
J’ai personnellement fouillé, grâce à l’aide précieuse d’un ancien membre du KGB, vénal mais fiable, dans les lettres et écrits divers adressés au parti unique de la défunte Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Il y avait certes des missives d’un certain Jérôme Leroy, mais presque toutes déclarations d’amour à Olga, Natalia et autre Anastasia. En voici des extraits : « Hier, sur la Place rouge, je n’ai pas osé te dire combien je désirais te prouver la raideur de ma foi communiste. » ; « Mon Kremlin n’est que Bicètre, mais il ne déparera pas ta Place rose. » ; « Cette nuit, nous avons partagé une même ferveur internationaliste : tu m’as révélé les trésors de Saint-Pétersbourg, je t’ai démontré l’utile beauté de la Tour Eiffel ». Mais un poème de Jérôme disant l’émotion qui le saisissait quand on lui présentait le portrait de Joseph S., bienfaiteur (quoique irritable par moment) de l’humanité ? Nulle trace !
Cependant, une ancienne maîtresse (le seul fait de l’évoquer fait surgir en moi des souvenirs que la décence m’interdit de partager), fille d’un notable albanais un temps très proche d’Enver Hodja, puis liquidé sur son ordre dans les égouts de la ville et abandonné à la voracité des rats, m’a affirmé qu’elle avait eu connaissance d’un article paru vers 1973-1974 dans le seul journal autorisé, « Enver remet tout à l’endroit », paraissant à Tirana, traduit du français, dont l’auteur était un très jeune homme séduisant malgré la brosse sévère qui coiffait ses cheveux. Cela parlait du « phare de la planète », du « grand administrateur des bienfaits », de l’ « admirable concepteur des plans dans les domaines fondamentaux de la vie sociale », et encore du « voyant extralucide qui a prévu, analysé, conceptualisé les principaux événements survenus depuis tant d’années dans cette autre patrie du socialisme réel et injustement critiquée par les suppôts de la réaction, dont les dépouilles ne seront même pas dignes d’une fosse commune ». En revanche, elle hésitait sur l’identité de l’auteur : si elle était sûre du prénom, Jérôme, elle balançait entre Lemprereur, Lesouverain, Leroi ou Leroy « mais ni Leduc, ni Lecomte, précisa-t-elle : il était assis sur un trône, j’en suis certaine ! ».
Je n’ai pas osé solliciter notre Jérôme sur cette affaire, car je ne voulais pas le froisser en lui rappelant cet épisode qui pourrait être embarrassant…
Militantes et femmes du monde
Je me suis quelque peu égaré, alors que je souhaitais faire part à Jérôme Leroy de ma perplexité après la lecture du plus récent article qu’il a consacré à M. Mélenchon. Tout d’abord, il me semble que le sympathique Fabien Roussel (par ailleurs assez bel homme de l’avis de la gente féminine du Nord et des trois autres directions cardinales) et ses troupes s’éloignent lentement mais certainement de la Nupes, à la manière d’un minuscule radeau chargé des survivants d’un naufrage (le PC n’a plus l’influence de ses années de gloire et d’espérance) fuyant une île mal famée, La Mélenchole, qu’ils espéraient accueillante alors qu’elle n’étaient peuplée que de cannibales furieux, hypnotisés par une manière de Vieux de la montagne acariâtre.
Mirliton forain
Jérôme fait fi de ce détail. Si j’ai bien compris son développement, toujours subtil, harmonieux, servi avec ce brin de muguet dont le parfum, autrefois, faisait pâmer les militantes et les femmes du monde réunies dans la célébration du Quatorze Juillet de la chair et du canon, la Nupes n’est qu’un mot, rien de plus qu’une écorce phonique, et qu’on pourrait mettre en musique :
« On m’appelle Nupes C’est un petit, petit nom charmant, J’ai de bien jolies fesses Et je sais faire de bien belles promesses Sur toutes les tribunes, Notre gourou chenu s’époumone, Il n’a point de lacune Ses mots libèrent des phéromones. »
Pardonnez, cher Jérôme Leroy, ces vers navrants de mirliton forain, si loin des poèmes gracieux d’un Paul-Jean Toulet, que vous admirez à raison, mais peut-être plus adaptés à l’évocation d’un parti et d’un personnage que, pour ma part, je trouve dangereux, dissimulé, sournois.
France 2 multiplie les pains
À propos de la Nupes : pourrait-on m’expliquer pourquoi France 2, depuis trente ans placée sous le vigilant contrôle des Conformistes certifiés d’État, a pu offrir la parole à quatre représentants des partis qui la composent, dans son émission du jeudi 9 juin ? En effet, le Conseil d’État, par ordonnance, apportait une contradiction cinglante au ministre de l’Intérieur (et de l’Extérieur du stade de France). Gérald Darmanin, avait présenté 18 nuances politiques « […] attribuées aux candidats aux élections législatives des 12 et 19 juin 2022 [dans le but] d’agréger les résultats des élections pour informer les citoyens et les pouvoirs publics, et faire apparaître les tendances […] locales et nationales. ».
La Nupes s’y trouvait « éclatée » en quatre représentations : communiste, socialiste etc. Mécontente de cette manière de procéder, La Nouvelle Union populaire écologique et sociale saisit le juge des référés du Conseil d’État : on est insoumis mais on vient pleurer auprès des autorités, tel un petit fayot de collège.
Après examen, le juge estima « l’absence de comptabilisation, sous une nuance unique, des suffrages portés sur les candidats de la Nupes, susceptible de porter atteinte à la sincérité de la présentation des résultats électoraux ». Par conséquent, le ministre de l’Intérieur devait « inscrire avant le 10 juin 2022 la Nupes dans la grille des nuances pour les candidats aux élections législatives, afin d’assurer une présentation sincère des résultats des scrutins des 12 et 19 juin prochains ». Autrement dit, le Conseil d’État ne voit qu’une seule tête, alors que France 2 en discerne quatre, et un temps de parole très augmenté.
Léa Salamé, toujours aussi prompte à sanctionner les égarements des hommes de droite, a su faire respecter les temps de parole généreusement accordés par la chaîne aux gentils animateurs de la « nuance » Nupes (qualifier de nuance un parti au service de Jean-Luc Mélenchon relève de l’ironie involontaire). Laurent Guimier, qui semble vouloir absolument jouer un rôle dans cette émission, a justifié la présence des quatre de l’Apocalypse par une décision de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Au reste, le Parisien publiait une déclaration de Muriel Pleynet sur le sujet: « Chacun aura un temps de parole imparti en fonction de la représentativité de son parti et nous l’expliquerons en début d’émission. Nous sommes le service public et on ne s’amuse pas à faire n’importe quoi ».
Si l’on augmente cet épisode de favoritisme légal des générosités d’antenne accordées par les stations de radio de service public à la campagne de Jean-Luc Mélenchon, on peut au moins conclure que l’information officielle d’État n’aura pas nui à son éventuelle victoire…
Un cabotin de tréteaux subventionnés
Une fois de plus, je me suis perdu dans des digressions sans intérêt. Qu’on veuille bien me pardonner. Je conclurai en me tournant encore vers Jérôme, pour lui dire ceci : vous ne voyez pas le piège de la Nupes. Vous voulez abattre le capitalisme, abolir l’injustice, la guerre, les talons aiguilles (menteur !) et les bas nylons (bis !), mais vous allez servir l’ultime rêve d’un politicien démodé, d’un cabotin de tréteaux subventionnés, d’un homme, enfin : « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. ».
Or, bien loin de mesurer le temps et la société avec les instruments de Sartre, et, plus loin encore de l’admirable pessimisme chrétien de Charles de Gaulle, notre nouvelle « Lumière des carpates » use d’une logorrhée qui trahit ou dissimule fort mal une mauvaise colère.
Ne sommes-nous pas suffisamment accablés ? Menacés par les Russes, agressés par la racaille, assaillis par le Covid et, récemment, par un prurit de singe, admonestés par Caroline De Haas, flagellés par Ernestine Choufleur et son cousin Choufarci, dénoncés par quelques-uns et humiliés par tous, inconsolables du chagrin d’être nés, avons-nous vraiment envie de compliquer notre malheur en confiant notre sort à Jean-Luc Mélenchon ?
Très amicalement,
Patrick
PS : Pour vous ce dernier quatrain, mon cher Jérôme, aussi lamentable dans son inspiration que dans son expression, mais qui traduit une forme d’effroi :
Vous m’avez fait Maître Et je vais vous soumettre. Vous ne vouliez pas vous soumettre ? Fallait pas me faire Maître ! Vous ne voulez pas vous démettre ? Allez donc vous faire mettre !
Sommés de choisir entre Mélenchon qui promet à ses électeurs l’harmonie universelle et le flou entretenu par Elisabeth Borne et sa majorité sur les sujets identitaires, les citoyens français pourraient bien préférer aller à la pêche qu’aux urnes au second tour.
Les résultats du premier tour des Législatives tombent et tous les commentateurs expliquent que l’on assiste à un retour de la gauche, alors même qu’en nombre de voix, celle-ci ne fait pas mieux qu’en 2017 si on additionne les résultats de ses composantes. Mais comme cela fait bien longtemps que la réalité des faits est niée et qu’un bon communicant peut durablement installer dans les médias une représentation mensongère pour peu qu’elle soit bien emballée, les leaders des deux alliances arrivées en tête, Nupes et Ensemble, déroulent leurs éléments de langage sans s’attarder trop sur ce qui fait le seul intérêt de ses élections : la claque démocratique d’une abstention devenue majoritaire et qui est le seul parti à constater l’existence d’une dynamique, celle du rejet.
Mélenchon le gourou
Alors que ces législatives ont été marquées par une indifférence que traduit la participation, les rentiers de l’échec démocratique, côté gauche de l’échiquier, ont l’air vraiment de croire que le génie de l’histoire s’exprime à travers eux. Je viens d’entendre le discours de Jean-Luc Mélenchon qui ne se sent plus de joie et parait perdre toute décence commune tant son messianisme outrancier parait décalé par rapport à ce que nous vivons collectivement. Comme dans une secte New Age, enfermé dans sa vision prophétique, il promet l’harmonie universelle entre les hommes dans un mélange d’exaltation délirante, d’autosatisfaction et de délire gauchisant. Ce n’est pas le frisson de l’histoire que l’on ressent en l’écoutant, mais l’infatuation d’un ego libéré de tout surmoi.
Je viens aussi d’écouter celui d’Elisabeth Borne. Au moins nous épargne-t-elle l’exaltation, mais c’est pour sombrer dans la dramatisation ridicule. Une dramatisation qu’elle peine à incarner faute de charisme et de fond. Pour autant, nous avons à nouveau droit à un numéro de claquettes sur les extrêmes pendant qu’elle essaie de faire passer Ensemble pour une alliance garante de la laïcité et de la République. Le moins que l’on puisse dire est que la posture est tout sauf crédible !
Arrivistes à tous les étages
Certes LFI et la Nupes sont clairement anti-laïques, mais les amis du président n’ont pas grand-chose à lui envier quand ils vont chasser sur les mêmes terres du clientélisme communautariste. LFI, le moteur de la Nupes, comme EELV et une partie du PS, sont proches des islamistes dont ils reprennent les éléments de langage et les codes (défense du voile par exemple), ils accusent la France de racisme systémique tout en ne réfléchissant qu’en fonction des couleurs de peau ; ils font de la police, une cible et en appellent à la violence politique dès qu’un résultat les contrarie. De là à essayer de faire passer pour la quintessence de l’esprit français, les amis d’un président qui est allé racoler dans les banlieues en tenant un discours complaisant, a expliqué que le voile était quasiment un insigne féministe et a fini par nommer un woke, qui lui aussi accuse l’état de racisme systémique, à l’Education nationale ; il fallait oser. Bref, une fois de plus on assiste aux noces de la médiocrité et de l’absence de représentativité. On aimerait s’en moquer mais c’est hélas la France et les Français qui vont faire les frais de cette sinistre comédie.
Tout cela ne promet que des lendemains qui déchantent. Entre la Nupes qui réunit tous les arrivistes se réclamant de la gauche woke et Ensemble qui réunit les arrivistes du centre, on voit mal comment ces coalitions sans âmes ni projets pourront tenir, qu’Ensemble ait une majorité réelle ou relative.
C’est un désaveu pour Emmanuel Macron, mais cela s’explique parfaitement. Quand on force la main d’une population en l’obligeant à voter par la diabolisation de ses adversaires, on court le risque que pour se venger, les électeurs règlent leur compte au moment des législatives. Le problème, c’est quand le seul bulletin efficace pour contrer le président nouvellement élu est le bulletin d’un mouvement islamogauchiste, qui a remplacé la lutte des classes par la guerre des races. En effet, le vernis social que la Nupes met en avant n’est qu’un attrape-gogo. Ce qui fait la force de cette alliance sont les revendications identitaires, et non sociales. Sur ce dernier plan, rien n’a été travaillé ni construit. Tout et n’importe quoi est promis car il s’agit de rallier les derniers naïfs et idéalistes pour les mettre au service de la haine identitaire en leur faisant croire qu’ils contribuent à renforcer la demande de justice sociale. Nombre d’électeurs de gauche ne sont pas dupes et ont déserté les urnes.
L’abstention majoritaire
Mais la réalité c’est que ni Ensemble, ni la Nupes n’ont convaincu la majorité des Français. Ceux-ci ont considéré que ces deux propositions ne correspondaient pas à leurs attentes. Ils se sont donc abstenus.
Une fois encore, des gens qui ne représentent pas grand-chose vont pouvoir jouir de l’intégralité du pouvoir que leur conférera leur titre de député alors qu’ils n’incarnent qu’une impasse pour une majorité d’électeurs. Paris et la région parisienne ont été un viatique pour des zozos radicaux (Sandrine Rousseau, Danièle Obono, Aymeric Caron…) qui laissent sans voix une majorité des Français pour qui la capitale devient un lieu à part d’où le bon sens est exclu dans un entre-soi de plus en plus décalé. Quels que soient les résultats du second tour, cette chambre des députés sera élue tout à fait légalement, mais elle manquera de légitimité faute de représentativité. Et cela n’est pas près de changer. Il y aurait bien une solution : annuler le scrutin quand une majorité d’électeurs refuse de se déplacer, le tout en interdisant aux candidats qui n’ont su intéresser personne de se représenter à cette élection.
Cela obligerait les partis à cesser d’investir sur le clientélisme pour renouer avec l’intérêt général.
Aujourd’hui, bien cibler sa clientèle et ne pas se soucier du bien commun est un avantage compétitif, voilà pourquoi faute de ce courage-là on continuera à alimenter la crise démocratique et à faire la carrière de trop d’inutiles…
Dans le passé, la gauche s’unissait autour de sa composante la plus modérée. Avec la Nupes, c’est le courant le plus extrême qui est à la manœuvre. Les alliés de LFI réussiront à sauver quelques sièges mais en payant idéologiquement le prix fort.
« Je me suis déjà fait baiser dans ma carrière politique mais là, j’ai l’impression de sortir d’un gang bang dans une cave. » Cette réplique tirée de la série Baron noir dit clairement la façon dont se passe souvent l’union de la gauche : après l’idéal du rassemblement de tous les courants, c’est l’hégémonie d’un seul homme qui s’impose.
L’union, un mythe qui permet tous les arrangements
Le PS est longtemps sorti vainqueur de ce jeu de bonneteau au détriment de son frère ennemi, le PCF. Mais aujourd’hui, avec la Nouvelle Union populaire et sociale, c’est à son tour d’être dans la position de dupe et de se voir satellisé. La Nupes entérine la domination de LFI sur ce champ de ruines qu’est devenue la gauche. Le PS, qui s’est servi si souvent de la rhétorique de l’union pour conquérir le pouvoir, est la principale victime d’un accord qui marque une victoire historique : celle du gauchisme révolutionnaire sur la gauche démocratique et républicaine.
Entre ces deux gauches, au-delà d’une question de degrés de radicalité ou de quête de justice, il y a une différence de nature. D’un côté, une vision violente, passionnelle et autoritaire de l’action politique ; de l’autre, une vision démocratique, rationnelle et tempérée de la pratique du pouvoir. De plus, si le communisme et le socialisme étaient deux branches issues d’un même tronc, la gauche multiculturaliste, racialiste et woke qu’est devenue LFI a peu à voir avec l’histoire des luttes sociales et la quête d’égalité de la gauche traditionnelle française. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, ces deux gauches sont irréconciliables et la plus radicale est en train de dévorer l’autre, car elle a su tirer tous les bénéfices du « vote utile ».
Seulement, l’union demeure un mythe si puissant qu’il fait encore rêver les électeurs. Lors de cette dernière élection présidentielle, les partis de gauche, tous confondus, n’ont représenté que 30 % des votants. Un échec électoral pourtant présenté comme l’annonce de victoires futures. Plus encore, comme un événement fondateur, selon Jean-Luc Mélenchon qui estime sobrement que la Nupes est en train d’écrire une page de l’histoire de France : un tel rassemblement « n’a été fait ni par le cartel des gauches, ni par le Front populaire, ni à la Libération, ni par Mai 68, ni par le programme commun ». Grâce à cette union, son échec au premier tour serait donc le prélude de sa consécration aux législatives…
Alliances de circonstance
C’est ainsi que, réduite à une pure question de conquête du pouvoir, l’instrumentalisation de la rhétorique de l’union permet de légitimer la compromission et l’abandon de tout principe. Dans ce cadre, la fin justifiant les moyens, peu importent le projet politique ou le degré de radicalité affiché, seule compte la réussite électorale. Voilà pourquoi la gauche n’a aucun mal à s’allier avec l’extrême gauche, « on choisit ses adversaires, pas ses alliés, c’est la base [1]». Cela justifie que l’argument idéologique pèse peu lorsqu’il est question de s’unir. C’est aussi oublier qu’une union, qu’elle soit féconde ou mortifère, repose sur un minimum de compatibilité entre les forces représentées.
Parmi les politiques expérimentés qui ont conclu cet arrangement, personne ne croit réellement que ces législatives soient le troisième tour de l’élection présidentielle. Seule la peur des élus de disparaître du paysage explique leur ruée vers la Nupes. Mais sa célébration par ceux dont elle entérine le déclin ressemble davantage aux derniers soubresauts de leur agonie qu’à l’espoir de lendemains qui chantent.
Union ou fusion-acquisition?
Lorsque, comme le PS, on passe d’un parti qui détenait tous les pouvoirs en 2012 à 1,75 % des voix à la présidentielle de 2022, l’union peut sans doute sauver quelques postes, mais à quel prix ? Sans un travail de refondation de l’offre politique, elle ne fera au mieux que retarder l’inéluctable. Le PCF a déjà suivi ce chemin : lors de l’élection de François Mitterrand en 1981, les communistes avaient récolté 15,35 % au premier tour. C’était un partenaire avec lequel il fallait compter, mais le programme commun ne l’a pas sauvé du déclin. Avec son score de 1,75 %, le PS ne représente même plus une force constituée et les territoires qu’il tient encore relèvent de la survivance plus que d’un capital exploitable. On a certes vu des empires commencer sur des bases territoriales réduites, mais encore faut-il avoir un grand dessein à faire partager. Or au PS, c’est là que le bât blesse.
L’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, la présidente de la région Occitanie Carole Delga et d’autres socialistes opposés à la Nupes ont rappelé les divergences essentielles qu’ils avaient avec l’identité politique de LFI et son programme. Ils ont dénoncé à juste titre son obsession de la race, son rapport à la violence politique, sa dimension communautariste, son soutien aux marqueurs de l’islamisme (voile, burkini), son rejet de la laïcité et son refus du nucléaire. Le problème est que le PS a, en son temps, labouré les mêmes terres et ciblé le même public. Pour gagner, le clientélisme communautariste s’est souvent révélé bien utile. Quant au discours sur la persécution des minorités et les violences policières, le PS n’a pas hésité non plus à en user et à en abuser.
Malgré la révolte de barons locaux suffisamment implantés pour se permettre de prendre quelque distance avec des positionnements réduits à une logique de survie, la vérité est que le PS n’a pas grand-chose à dire aux Français. Sa vision managériale de la société, son absence de courage sur les sujets identitaires et régaliens, ainsi que son antifascisme de salon le rendent si compatible avec le parti d’Emmanuel Macron que celui-ci a siphonné sans problème ses jeunes pousses et autres frustrés il y a cinq ans. Et sur le front du clientélisme fondé notamment sur ses complaisances envers les islamistes et les racialistes, LFI lui a aussi raflé le marché. Dans une telle configuration, on ne voit pas comment l’association avec les Insoumis pourrait être autre chose que le baiser de la mort.
Pour EELV, la problématique est différente. Le parti a toujours été une force d’appoint. La déception a néanmoins dû être grande, car celui-ci se rêvait en patron de la gauche. Mais le parti écologiste a toujours eu du mal à garder une certaine stabilité militante : ses adhérents se renouvellent beaucoup, ses leaders sont éphémères et il a longtemps eu du mal à se constituer une base territoriale significative. Depuis les dernières municipales, les choses ont changé, mais ce parti s’affirme moins écologique que profondément gauchiste et très peu différent de LFI dans ses références idéologiques. Yannick Jadot y a certes été préféré, de peu, à Sandrine Rousseau lors des primaires écolos, mais c’est elle qui prend la lumière et qui est en train de devenir l’incarnation des Verts, balayant les références à la République.
Quant au PCF, si Fabien Roussel représente encore un parti attaché au travail et à la représentation du monde ouvrier, la jeune garde, elle, est très woke et islamo-gauchiste. Elle a compris que l’électorat ouvrier la délaissait au profit de l’extrême droite et a réorienté son discours vers sa clientèle : les communistes n’ont pu que constater que ce qui faisait leur force, cette ceinture rouge ouvrière qui entourait Paris, est devenu une ceinture verte où le vote des Français de confession musulmane pèse de plus en plus lourd. Or ceux-ci sont captés par LFI et non par le PCF, comme en ont témoigné les scores chavéziens de Jean-Luc Mélenchon dans nombre de villes de Seine-Saint-Denis. La ligne plutôt républicaine que Fabien Roussel a tenté de porter, et qui fait finalement de lui une voix originale à gauche dans cette campagne, a peu de chance de survivre à ce constat comme au vieillissement de ceux qui la portent. Les nouvelles générations sont clairement séduites par la ligne verte-rouge, dite islamo-gauchiste, qui fait le succès de Jean-Luc Mélenchon en banlieue.
L’hégémonie de LFI, un obstacle au renouveau de la gauche ?
L’histoire a validé la stratégie de l’union, à la fois pour prendre le pouvoir et élaguer l’arbre généalogique de la gauche. Puisque l’appel au « vote utile » a consacré l’hégémonie de Jean-Luc Mélenchon et qu’il a réussi à réunir presque tous les partis sous la bannière de la Nupes, pourquoi LFI ne deviendrait-elle pas l’outil du renouveau de la gauche ? Pourquoi ne pas prendre acte de la disparition de la gauche républicaine au profit de la gauche communautariste ?
Le problème est que les conditions qui ont permis, dans le passé, à la gauche de s’unir pour accéder au pouvoir ne se présentent plus aujourd’hui. L’union s’est toujours faite autour du parti le plus modéré, celui capable de rassembler le plus grand nombre, au-delà des partisans les plus engagés. Or désormais, l’acteur le plus fort de cette nouvelle union est celui qui a les positions les plus extrêmes. Celui qui tient les rênes de l’attelage est sans doute un habile tribun, mais c’est aussi un homme emporté, autocrate qui ne vit que d’orages et de tempêtes et dont la violence verbale rejoint le goût pour la violence politique. Il réalise néanmoins une synthèse qui, bien qu’originale, est extrêmement fragile : ses bases politiques et sociologiques sont instables et hétéroclites. Encore plus que son alter ego de droite, Marine Le Pen, il est le point de rassemblement de colères diverses : « Départements ultramarins, campagnes alternatives, bastions syndicaux, génération climat, banlieusards et bataillon de la gauche diplômée des métropoles[2] » composent l’archipel électoral de Jean-Luc Mélenchon. Un électorat qu’il a capté en partie grâce à l’effondrement du PS, d’EELV et du PCF, mais dont il peine à séduire la totalité des sympathisants. Son succès n’est avéré que dans un seul segment, celui des Français de confession musulmane. Que 69 % de ces électeurs-là aient voté pour lui, séduits par son discours dénonçant leur pseudo-persécution, est à la fois un fait politique majeur et un phénomène inquiétant qui explique aussi la course à l’échalote pour récupérer leur vote aux législatives.
Les noces de l’islamo-gauchisme et du racialisme avec le moralisme condescendant bobo et les difficultés quotidiennes des petites gens ne tiennent que grâce au culte du chef et à son discours de victimisation, habile à répercuter colères et dénonciations tout en étant muet sur le modèle de société qui en découle. Pas sûr en effet que les intérêts des femmes et ceux des islamistes soient convergents, qu’une société où la couleur de la peau détermine l’identité des personnes puisse être égalitaire, que l’addition de tribus qui ne vivent que de l’expression de leurs différences puisse se traduire en société solidaire. La gauche LFI, c’est la gauche Jean-Claude Dusse, celle qui espère « conclure sur un malentendu ». Le problème est que, si elle y arrive, ses contradictions se renforceront, la contraignant à chercher son salut dans la mise en accusation permanente du système et dans l’épuration interne. Une histoire qu’a déjà connue LFI quand, après avoir réuni dans le même parti, racialistes, islamo-gauchistes et républicains, elle a dû sacrifier les derniers aux premiers. Djordje Kuzmanovic et François Cocq, qui animaient ce courant, comme Henri Peña-Ruiz, le spécialiste de la laïcité, en ont fait les frais.
Une union sans avenir collectif
La recomposition à gauche autour de LFI est un atout pour Emmanuel Macron. La montée des extrêmes à droite comme à gauche rabat automatiquement au centre un électorat modéré. Une dynamique qui devrait s’illustrer dans le succès législatif qui attend le parti du président. Loin d’être le futur artisan d’une victoire politique susceptible de se traduire en avancées sociales, Jean-Luc Mélenchon vise juste la place de premier opposant et d’imprécateur public, comme naguère Jean-Marie Le Pen et son FN. C’est l’analyse que font Carole Delga et les hiérarques du Parti socialiste opposés à la Nupes (voir l’entretien avec Julien Dray pages 69-73). Ils proposent d’organiser en septembre des états généraux de la gauche pour « refonder la promesse républicaine ». Sauf que cette fois-ci, pour « garder la vieille maison[3] » face à l’aventure gauchiste de la Nupes, il va falloir entièrement la reconstruire.
Trois électeurs sur quatre s’étant rendus aux urnes dimanche n’ont pas voté à gauche. Mais à écouter les journalistes, c’est tout comme si la Nupes avait fait un triomphe! Remettons les choses à leur place: les citoyens français amateurs de Jeremy Corbyn ou Aymeric Caron ne pèsent en réalité pas bien lourd.
À l’extrême gauche, et en particulier dans les cercles néoféministes, on se fait fort depuis quelques temps de dénoncer l’ « invisibilisation » de tel ou tel groupe social. Un jour, c’est les « racisés » (ces derniers s’étant fait voler leur glorieuse histoire par les colons blancs), le lendemain ce sont les femmes (le masculin l’emportant scandaleusement sur le féminin en grammaire) et le surlendemain les LGBT (parler de « mariage gay », plutôt que de « mariage » tout court, fait déjà de vous un homophobe, à croire certains).
C’est au point que le mot « invisibilisation » a rejoint l’édition 2023 du dictionnaire Larousse, aux côtés des mots « wokisme » ou « grossophobie ». Mais, au soir du premier tour des élections législatives, c’est bien la magistrale « invisibilisation » de la droite française qu’il nous faut dénoncer. Et, nous allons le voir, ce n’est pas un petit scandale !
D’une minivague arc-en-ciel, Mélenchon veut faire un tsunami
Hier soir à Paris, peu après les premiers résultats tombés à 20 heures, notre cover boy de juin, le leader d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, se rapproche de son pupitre pour prononcer son allocution. Calme et moins tonitruant que d’ordinaire (il prétend alors qu’il est saisi par l’émotion), entouré du Vert Julien Bayou et du communiste Ian Brossat, il appelle ses électeurs à « déferler » dans les urnes dimanche prochain. « Au terme de ce premier tour, la nouvelle union populaire arrive en tête. Elle sera présente sur plus de 500 circonscriptions au 2e tour !» se réjouit-il.
Constatant que, selon lui, « le parti présidentiel est battu et défait », il appelle les Français à retourner voter pour les candidats de la Nupes dimanche prochain, seule possibilité, à l’entendre, de dire non à la réforme des retraites et à une prétendue « partie cachée » du programme d’Emmanuel Macron – « 80 milliards » qui seraient sournoisement retirés du budget de l’État, afin de rentrer de nouveau dans la limite des 3% de déficit public autorisés par Bruxelles…
Enfin, pour faire bonne figure et complaire aux bobos wokistes à la sauce Sandrine Rousseau qui gangrènent la gauche, il appelle le peuple français à se débarrasser définitivement des « dominations sociales, culturelles et de genre ». Il doit penser que ça fait chic.
Minute, coco !
Si la Nupes n’a certes pas à rougir absolument de sa performance dans les urnes, il convient cependant de rappeler à tous ces aspirants à la députation rêvant de Mélenchon à Matignon quelques vérités:
Tout d’abord, à 20 heures, c’est vrai, les premiers résultats des instituts de sondage donnaient en pourcentage quelques petits dixièmes de points d’avance au monstrueux assemblage LFI-PC-PS-EELV… Mais en fin de soirée, le ministère de l’Intérieur donnait une égalité quasi-parfaite (25,70% pour Ensemble et 25,65% pour Nupes à 00h30, quand nous finissons cet article). En réalité, l’alliance d’extrême gauche et l’alliance d’extrême centre sont donc à touche-touche dans le rapport des forces national.
Reste que ces simples estimations données à 20 heures auront permis à Mélenchon et tous ses sbires de parader durant toute la soirée électorale. Un classique… Mais, à l’exception peut-être notable de CNews, peu de journalistes se sont risqués à contredire les représentants Nupes triomphants, ou à simplement rappeler les simples évidences qui vont suivre, lors des débats organisés par les médias de grands chemins.
Mon appel au « cercle de la raison »…
Premièrement, le niveau de l’abstention est tel qu’il ne permet pas de voir dans le score de LFI et ses affidés quelque élan populaire véritable que ce soit. Deuxièmement, selon l’IFOP à 21h00, même dans la plus favorable des hypothèses de second tour, la meilleure projection en termes de sièges à l’Assemblée pour la Nupes (210) n’atteignait pas le niveau de la pire projection en termes de sièges pour Ensemble (275)… Le seul véritable enjeu de dimanche prochain consistera donc à déterminer si Emmanuel Macron obtient une majorité absolue ou relative au Palais Bourbon. Troisièmement, et c’est ce qu’a finement observé notre directrice Elisabeth Lévy sur son compte Twitter hier, même si « on glose sur la première place de la Nupes (…) la leçon du résultat, c’est que trois quarts des Français qui votent ne sont pas de gauche » !
Alors qu’Emmanuel Macron réalise une rare contre-performance aux législatives pour un président au lendemain de son élection, nous n’avons donc plus qu’une seule chose à demander: qu’on arrête donc tous ces accommodements contre-productifs et idéologiques avec une gauche en réalité en déclin. En cachant ses intentions économiques réelles, en ne faisant jamais campagne, en ne débattant qu’avec Marine Le Pen et en donnant des gages grotesques à la gauche bien-pensante (on pense aux mensonges concernant les violences au Stade de France visant à ne pas stigmatiser les banlieues séparatistes votant volontiers LFI par exemple, ou à la nomination de Pap Ndiaye à la place de Jean-Michel Blanquer), le président Macron a renforcé cette gauche fielleuse, vagissante et populiste. Elle va venir perturber les débats à l’Assemblée nationale pendant cinq ans et une majorité de Français qui aspirent en réalité à une politique de droite. C’est là sa seule vraie victoire !
Élisabeth Lévy : « Abstention : les électeurs ont une responsabilité »
Il y aurait un peuple merveilleux et des élites incapables. Comme si nous, les électeurs, n’avions aucune responsabilité…
Retrouvez notre directrice de la rédaction chaque matin à 8h10 dans la matinale de Sud Radio.