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Jurassic « woke » world

Ne faites pas confiance à la critique complaisante qui veut remplir les salles de cinéma: le film est raté, contrairement au premier film de Spielberg...


Jurassic « woke » world
Chris Pratt dans "Jurassic World : le monde d'après (2022) de Colin Trevorrow © Universal Pictures

Notre chroniqueur, qui a une âme d’enfant, s’est dévoué pour aller voir la dernière mouture de la « franchise » créée jadis par Steven Spielberg. Bien mal lui en a pris, s’il faut l’en croire.


Les blockbusters de l’été débarquent tôt cette année. Il faut dire qu’ils ont été bloqués en douane par le Covid, qui a postposé bien des tournages ou des post-productions. Il en a été ainsi de ce Jurassic Park Le Monde d’après, sixième volet de la « franchise » inaugurée par Spielberg en 1993. Trente ans plus tard, les dinosaures sont encore là, de plus en plus nombreux. Une métaphore, sans doute, des bénéfices escomptés avec ce dernier épisode, sorti cette semaine sur les écrans mondiaux.

Le premier film bénéficiait d’un scénario qui suivait étroitement le roman de Michael Crichton. Un vrai scénario, où le créateur du parc à thème (Richard Attenborough) ne cessait de répéter : « J’ai dépensé sans compter » — métaphore cette fois des investissements consentis par Amblin, la société de production de Spielberg : 63 millions $, pour un gain de plus d’un milliard.
L’inflation et les ambitions aidant, le budget de ce sixième volet est de 165 millions $, dont l’essentiel a été englouti dans les effets spéciaux et autres animatronics de grande qualité. Mais des trucages n’ont jamais servi de scénario. Les producteurs rentreront dans leurs sous, le film a engrangé 55 millions $ en deux jours.

En deux mots, un milliardaire (très inspiré par Elon Musk) a décidé de modifier le génome des dinosaures et des humains — quitte à anéantir la race. Une bonne base s’il était allé au bout de son entreprise : les dinosaures régnaient à nouveau sur la terre après avoir dévoré les divers protagonistes, l’humanité s’éteignait, le monde était sauvé.

Mais bien sûr, la débrouillardise mâtinée d’audace de quelques amateurs auxquels les héros des premiers films apportent opportunément leur renfort suffit à brouiller les plans de ce bienfaiteur de la planète. 

La présence opportune de Sam Neill, Laura Dern et Jeff Goldblum, trente ans plus tard, doit drainer dans les salles les ex-enfants de 1990, aujourd’hui chargés d’âmes fraîches — et peut-être même ceux qui les ont amenés au cinéma à l’époque. Pendant ce temps, les acteurs adultes, à peine quadragénaires, s’adressent aux parents qui sont censés amener leurs enfants, fascinés par la petite fille du film, 14 ans et toutes ses dents. Trois générations, se sont dit les producteurs. Jackpot !

Qu’apprenons-nous en cours de route — et nous avons le temps de réfléchir, 146 minutes bourrées de temps morts, cela incite à philosopher ?

– La femme est l’avenir de l’homme : la sale gamine a hérité de sa mère la capacité de s’auto-reproduire. L’homme est en cours d’élimination. Voilà qui fera plaisir à Sandrine Rousseau, Alice Coffin et autres propagandistes de la cause anti-machiste. 

– D’ailleurs, DeWanda Wise joue un pilote d’avion (un métier qui gagnera sans doute à se féminiser) qui est noire et lesbienne. Elle coche presque toutes les cases de la bien-pensance. Je ne voudrais pas cafter, mais dans le civil, DeWanda Wise est hétéro — « cisgenre », comme disent désormais les connards. Faire jouer par une femme « straight » un rôle d’homosexuelle s’apparente aux blackfaces condamnées çà et là.

– Il y a heureusement autant de Noirs dans le film (Omar Sy a été convoqué à cet effet, son rôle ne sert à rien mais il met de la couleur dans les rues de Malte) que ce qu’il y en a proportionnellement aux États-Unis et en Seine Saint-Denis.

– Il y en a d’ailleurs pour toutes les communautés. BD Wong joue un scientifique pervers d’origine asiatique — mais comme il porte dans le film un prénom américain, Henry, il connaît une rédemption finale et œuvrera désormais pour le camp du Bien. Et les criquets qui allaient dévorer les récoltes, comme dans la Bible, sont éradiqués — comme les rats dans l’histoire du joueur de flûte de Hamelin. 

Bryce Dallas Howard (C) Universal Pictures


Quel est ce Bien ? Le dernier mot du film est « coexister » — un grand message d’amour entre communautés, aimons-nous les uns les autres — sauf les Russes, qui dans l’échelle des espèces se situent sans doute derrière le T-Rex.

Les scénaristes ont fait à Jurassic Park ce que d’autres ont fait à Star Wars, initialement récit des affrontements Est-Ouest, comme il m’est arrivé de l’expliquer, puis de la lutte Nord-Sud, devenu au fil des « installations » un aimable divertissement pour adolescents convaincus de leur toute-puissance, où les anciens (Mark Hamill) ne sont plus là qu’en clins d’œil aux anciens fans. Dès que Disney a pris les commandes en rachetant à Lucas les droits de la série, tout s’est orienté — dès 2015 — vers le politiquement correct le plus strict.

Même châtiment ici. Le « message » écolo débouche sur une entente inédite entre l’homme et l’animal, et Chris Pratt domestique un vélociraptor, grand moment dans l’histoire des niaiseries filmées.
Je n’en aurais pas parlé, et gardé pour moi la honte de l’avoir vu, si je n’avais pas réalisé, en cours de projection, que c’est avec ces véhicules coûteux projetés dans des salles obscures, et à terme à la télévision — il y a une minisérie Jurassic World depuis 2019, et Netflix a produit une série animée en 2020 — qu’une idéologie du « vivre ensemble » se diffuse comme un poison lent dans les crânes vides de la génération Z, dont j’ai déjà dit ce qu’on pouvait en penser. La bande-annonce suffira pour vous faire une idée — et puis vous irez voir autre chose.




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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