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Un été avec… Philippe Noiret

« On va jusqu’au ponton ? »


Oubliez les « double-boucle » de chez John Lobb et les cardigans en vigogne aux couleurs vives, les « double-corona » aux lèvres et la barbe au broussaillement travaillé, Philippe Noiret était un comédien au tempérament méditerranéen. Il s’habillait léger. Il voyageait à l’air libre. Ne vous fiez pas à la panoplie automnale de ce nordiste élevé chez les pères oratoriens et à son taxi mauve garée dans la lande irlandaise ! Chassez de votre mémoire le gentleman-farmer bienheureux en couverture de « Elle », le nonchalant quinquagénaire de ces dames qui réussissait à suspendre le temps de sa voix profonde et pénétrante.

Azuréen anisé

Noiret était un sudiste avé l’accent, Avignonnais de cœur, sept années de suite, il montera sur la scène du TNP de Jean Vilar. Pastaga et bermuda. Noiret était un bouliste non-honteux, un azuréen anisé en bob éponge et en slip de bain, un plagiste encombré par ce corps molletonné où l’absence d’abdominaux était en soi la preuve d’un esprit clairvoyant. Plusieurs fois durant sa carrière, il a osé l’impensable, l’innommable port du tee-shirt à l’écran. Certaines carrières ont sombré pour moins que ça.

Si l’on met de côté les socquettes blanches d’Alain Delon comme ultime audace vestimentaire du cinéma français, le tee-shirt reste une épreuve hautement plus redoutable qu’un examen du Conservatoire. Il faut être sûr de son talent pour enfiler un tel habit destructeur pour l’égo et le sex-appeal. Depuis la déferlante James Dean, peu se sont aventurés sur le terrain du juste-au-corps immaculé qui révèle les difformités de votre anatomie lancinante. Pire que le rayon X, le tee-shirt est l’ennemi du mâle. Aucun embonpoint ne lui résiste. Mal coupé, intransigeant, outrageant, il galbe votre ventre comme une âme en peine. Il souligne et aggrave votre cas. Il ne tolère aucune approximation physique et repentir idéologique. Noiret s’en moque. Il assume. Il a dépassé le stade du paraître clinquant. Il le porte avec un naturel désenchanté, un brin provocateur, qui contredit toutes les théories sur son jeu bourgeois et supposé figé.

A lire aussi, du même auteur: Un été avec… Guy Marchand

Sachez que le ridicule ne le tue pas, il le rend même plus fort. A tous ceux qui prétendent que Noiret fait du Noiret, avec un soupçon rogue de lassitude, revoyez-le dans « La Vieille fille » de Jean-Pierre Blanc en 1972. Il remplaça au pied levé Georges Wilson indisponible. Son personnage drague laborieusement Annie Girardot, naïade réfractaire, sur le port de Cassis. Sa Cadillac en panne, il a pris pension dans un hôtel étrangement loufoù les servantes ont la puissance érotique de Marthe Keller et les clients l’incongruité langagière de Michael Lonsdale.

Il va au-delà de nos attentes en termes de tenue. Il ne se contente pas d’un anodin tee-shirt exempt d’inscriptions, il s’affiche avec un énorme point d’interrogation sur le poitrail. Ce qui donne à ce héros chancelant un caractère aussi énigmatique qu’excentrique. Vous vous étiez habitués à la pompe d’un Noiret confortablement installé sur le dos d’un percheron dans sa campagne toulousaine ou vautré dans le cuir Connolly d’une Bentley sur l’Esplanade des Invalides, il débarque bras nus au ciné, ne tentant aucunement de masquer sa bedaine vindicative, allant même jusqu’à laisser libre cours à ses largeurs placides et à sa bonhomie teintée d’une nostalgie inquiète.

Admirable de tendresse

C’est admirable de tendresse et d’hésitations amoureuses, remarquable d’émotion contenue et de ferveur maladroite. En costume d’alpaga, l’effet serait tombé à plat. Souvenez-vous que Noiret avait débuté, sous les projecteurs, dans la chaleur poussiéreuse du Sud, à Sète, sur « La pointe courte » d’Agnès Varda. Et déjà, il se présentait à nous dans un tee-shirt manches longues informe et une coupe de cheveux rappelant la tonsure monacale. Noiret est l’homme du court vêtu contrairement à la légende urbaine. Il réitéra l’opération slip de bain noir dans « On a volé la cuisse de Jupiter » de Philippe de Broca en 1980. Allongé sur une plage grecque sous les mains expertes d’Annie (sa meilleure compagne estivale) et de Catherine Alric, le professeur Antoine Lemercier lézardait avec une classe folle et une indolence communicative.

Un jour, il faudra aussi parler de son addiction pour les polos au crocodile, jaune paille ou bleu layette, quand ils étaient des marqueurs identitaires au démarrage du Marché commun.

«Morella»: Edgar Poe ou la femme comme psychose

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Il y a relativement peu de figures féminines dans l’œuvre d’Edgar Poe, mais les rares héroïnes à être nées sous sa plume ont toutes une dimension particulièrement spectaculaire. Leurs noms mêmes deviennent les titres de quelques nouvelles fantastiques, comme « Bérénice », « Ligeia », ou encore « Morella ». Il s’agit de femmes toujours très belles, mais affectées de maux psychologiques divers, comme si, pour Poe, la féminité dans sa forme la plus sublime n’allait pas sans un prix à payer au malheur.

Edgar Poe et les femmes

Dans sa vie, Edgar Poe a eu des relations avec de nombreuses femmes. On sait qu’il s’est marié avec sa cousine Virginia Clemm en 1836, alors qu’elle allait avoir quatorze ans. Une nouvelle comme « Ligeia », dans la description physique de l’héroïne, dégage certains canons de la beauté qui touchaient Poe. Il dit du visage de Ligeia : « nulle autre part que dans les gracieux médaillons hébraïques, je n’avais contemplé une semblable perfection », soulignant chez elle « cette tendance presque imperceptible à l’aquilin ».

Poe ne s’arrête pas avec autant de détails sur l’apparence de Morella, mais c’est aussi une jeune fille très séduisante et pleine de vie, du moins au début. Poe insiste plutôt sur son intelligence. Comme Ligeia, Morella fait preuve d’une intelligence supérieure et d’une « profonde » érudition. Toutes ces histoires se déroulent dans des manoirs retranchés, en pays allemand, où la seule occupation semble être la lecture dans d’immenses et antiques bibliothèques. Morella, éduquée à Presbourg (l’actuelle Bratislava), se voue à la rumination de livres ésotériques : elle étudie, nous confie plus précisément le narrateur, des « écrits mystiques qui sont généralement considérés comme l’écume de la première littérature allemande ».

Atmosphère déliquescente

Le narrateur de la nouvelle, qui reste anonyme (nous savons seulement qu’il est l’époux de Morella), subit lui aussi l’atmosphère déliquescente de la bibliothèque et des vieux livres qu’elle contient. On sent l’ennui et le désœuvrement érudit qui minent ces deux êtres, d’une manière fatale : « Morella venait, nous dit le narrateur, plaçant sa main froide sur la mienne et ramassant dans les cendres d’une philosophie morte quelques graves et singulières paroles qui, par leur sens bizarre, s’incrustaient dans ma mémoire. » Il est sous l’emprise de sa femme, en particulier de sa voix, qui devient, avec le temps, obsessionnelle, « jusqu’à ce que cette mélodie de la langue s’infectât de terreur ». Et alors, finit-il par avouer, « l’idéal du beau devenait l’idéal de la hideur ».

A relire, dans la même série: Mme Roland, en majesté

Dans « Morella », comme dans les deux autres nouvelles que j’ai citées, le thème essentiel est incontestablement celui de la perte d’identité. Le narrateur de « Morella » note que sa jeune femme étudiait notamment « la doctrine de l’identité telle qu’elle est présentée par Schelling ». Plus loin, il fait la confidence suivante : « la notion de cette identité qui, à la mort, est, ou n’est pas perdue à jamais, fut pour moi, en tout temps, un problème du plus intense intérêt, non seulement à cause de la nature inquiétante et embarrassante de ses conséquences, mais aussi à cause de la façon singulière et agitée dont en parlait Morella. » Cette phrase est d’une importance cruciale, sur un thème qui agite, encore de nos jours, la littérature.

La femme, point révélateur de la psychose

Pour Edgar Poe, la femme demeure un mystère, un mystère fascinant, mais mortel. Elle est le point révélateur de la psychose, comme dans « Bérénice », où le narrateur se focalise maladivement sur les dents de sa cousine. Et dans « Morella », le narrateur ne va-t-il pas jusqu’à confesser : « Dirais-je que j’aspirais, avec un désir intense et dévorant, au moment de la mort de Morella ? » Mais Morella a vu clair dans son jeu, et le lui dit avant de mourir : « celle que, dans ta vie, tu abhorras, dans la mort tu l’adoreras ».

Probablement, Edgar Poe aurait-il été un patient idéal pour la psychanalyse !

Edgar Poe, Histoires extraordinaires. Traduction de Charles Baudelaire. Le Livre de Poche, collection « Classiques ».

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Quand les poètes voyagent

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L’été est la saison des voyages, réels ou imaginaires


On vous propose une petite anthologie estivale grâce à des poètes d’hier et d’aujourd’hui, connus ou moins connus mais qui incitent tous à la rêverie. Cette semaine, Valery Larbaud.


«L’ancienne gare de Cahors»

Voyageuse ! ô cosmopolite à présent
Désaffectée, rangée, retirée des affaires.
Un peu en retrait de la voie,
Vieille et rose au milieu des miracles du matin,
Avec ta marquise inutile
Tu étends au soleil des collines ton quai vide
(Ce quai qu’autrefois balayait
La robe d’air tourbillonnant des grands express)
Ton quai silencieux au bord d’une prairie,
Avec les portes toujours fermées de tes salles d’attente,
Dont la chaleur de l’été craquèle les volets…
Ô gare qui as vu tant d’adieux,
Tant de départs et tant de retours,
Gare, ô double porte ouverte sur l’immensité charmante
De la Terre, où quelque part doit se trouver la joie de Dieu
Comme une chose inattendue, éblouissante ;
Désormais tu reposes et tu goûtes les saisons
Qui reviennent portant la brise ou le soleil, et tes pierres
Connaissent l’éclair froid des lézards ; et le chatouillement
Des doigts légers du vent dans l’herbe où sont les rails
Rouges et rugueux de rouille,
Est ton seul visiteur.
L’ébranlement des trains ne te caresse plus :
Ils passent loin de toi sans s’arrêter sur ta pelouse,
Et te laissent à ta paix bucolique, ô gare enfin tranquille
Au cœur frais de la France.

Valérie Larbaud, Les poésies de A.O. Barnabooth

Valery Larbaud (1881-1957) a été poète, critique, essayiste et traducteur.

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Le rond de serviette, complexe de droite

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Un essai plaisant de Richard de Sèze, Le rond de serviette est-il de droite ? dresse une amusante typologie. 


Vers 1967, parut chez Flammarion un pamphlet plaisant intitulé Le Complexe de gauche, où les auteurs, Jean Plumyène et Raymond Lasierra, qui avaient auparavant publié un essai remarqué sur les fascismes français, se plaisaient à définir les grands traits de la psychè progressiste : tuer le père et résister au gaullisme, adorer sa mère et lire Le Nouvel Obs, participer à un réseau structuraliste et mettre fin à l’Homme, etc.

Deux ans plus tard, après le fameux mois de mai, paraissait Le Complexe de droite, à mon sens moins réussi, où les deux mêmes mettaient en évidence quelques caractéristiques droitières comme la lecture de Minute (!) ou la nostalgie du Père et de l’Age d’or, celui d’avant la TVA – quand les vins n’étaient pas trafiqués, quand les femmes restaient à la maison, etc.

Mi sérieux, mi farceur….

Je ne sais si Richard de Sèze, qui est chroniqueur à Causeur (trop rare, NDLR!), a lu ces pamphlets d’un autre temps, mais son recueil m’y fait songer. De quoi s’agit-il ? D’un exercice mi sérieux, mi farceur, mais en fait moins léger qu’il n’y paraît, où l’auteur se demande ce qui est de droite ou de gauche. Exemple : le mug (ou moque, pour user du vieux terme de marine), où le placer, à bâbord ou à tribord ? De gauche, sans aucun doute, car, même orné d’un profil de monarque, « il ravale, il abaisse, il uniformise, il fait passer la fantaisie du moment pour de l’intelligence. » Idem pour le rond-point, « surcroît incontestable de laideur folklorique, progressiste et contemporaine ». Idem pour le sacrifice humain, ce qui me paraît contestable, car, après tout, les Aztèques n’étaient pas vraiment des adeptes de l’instabilité et du changement…

A lire aussi, Didier Desrimais: L’effondrement de la langue française, prélude de la barbarie

De droite, la poussière, car « modeste, discrète, loyale et nécessaire ». Le feu de cheminée, en tant qu’ « ascèse, plaisir simple, odorant, lumineux et sonore, une invitation à se réunir sans regarder un écran ». De droite, le paysage, et le nombril, et les lichens et les arbres. Et le très-pérenne plat du jour : le bœuf carottes et son quartier de brie, comparables et archétypaux.

À lire Richard de Sèze, je me suis amusé, j’ai ronchonné en crayonnant la marge de ce guide pratique qui est aussi un traité de théologie politique, et, en fin de compte, j’ai peut-être progressé dans ma connaissance du monde et de moi-même.

Richard de Seze, Le rond de serviette est-il de droite ?, La Nouvelle Librairie, 178 pages.

Caroline Cayeux la pestiférée

La ministre subit un procès stalinien, intenté par le lobby LGBT, pour ses positions passées contre le mariage homosexuel.


Ce qui se passe avec la sénatrice Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, est assez effrayant sur les plans politique et intellectuel. Je précise que je ne la connais pas, mais je n’ignorais pas qu’avant la composition du nouveau gouvernement d’Elisabeth Borne, elle était présentée comme l’une des préférées d’Emmanuel Macron.

Depuis plusieurs jours, le magazine Têtu et la communauté LGBT mènent une offensive contre elle pour des propos qu’elle aurait tenus, des positions qu’elle aurait adoptées et, plus généralement, un manque de soutien à la cause des homosexuels quand elle était sénatrice. La Première ministre Elisabeth Borne fait ce qu’elle peut pour la sauver, mais au sein du gouvernement et autour, dans ces cercles progressistes qui n’admettent pas qu’on n’ait pas toujours pensé comme eux (comme s’il y avait, dans certains domaines sensibles, une vérité obligatoire), il y a de l’émoi, une indignation larvée ou explicite, même une volonté de la voir disparaître du gouvernement.

A lire aussi: Entrisme de l’idéologie sur le genre à l’école: ce qu’on sait

Et, en plus, l’obsession de sa stigmatisation comme si tout au long, notamment depuis 2013 où elle niait l’existence d’une communauté LGBT (elle avait bien tort, elle s’en rend compte aujourd’hui), elle avait perpétré un péché mortel sur le plan de la pensée et de la morale. Parce qu’elle avait emprunté un chemin différent, elle serait pestiférée ? Cela continue. Une centaine de personnalités (dont des membres de la majorité présidentielle, en particulier Manuel Valls qui a des leçons à donner!) dénoncent « les propos homophobes » de la ministre et déjà un autre est dans le collimateur, Christophe Béchu (il a fait retirer, paraît-il, une campagne de prévention contre le VIH montrant des couples gays). Je ne serais jamais de ceux, aussi modeste que soit mon rôle, qui participeront à un tel lynchage où ce qui est déclaré bienséant et correct a décidé d’éradiquer ce qui fut et n’était pas un crime contre la liberté de l’esprit. On a concédé l’honneur de notre liberté de conviction et d’expression à des groupes qui en usent comme ils l’entendent. Double défaite : on l’a perdue puis on est châtié !

Caroline Cayeux s’est excusée, a fait amende honorable, a affirmé qu’elle regrettait et qu’aujourd’hui elle ne proférerait plus les mêmes propos ni n’aurait les mêmes convictions. Mais, à l’évidence, cela ne suffit pas et c’est bien là le retour du stalinisme en France que j’ai évoqué dans mon sous-titre.

Pour la communauté LGBT, avoir imposé une repentance n’est pas assez : il faudrait encore que la pécheresse avoue son ignominie et soit honteuse d’avoir eu un jour ces positions insupportables pour elle, intenables aujourd’hui. Il est indécent de seulement regretter : il faut se mépriser, cracher avec volupté sur soi. Et pour rien car dans ce domaine, pour ses accusateurs, rien n’est pardonnable !

Quel étrange pays que celui où on dicte de force le bon grain et l’ivraie sans laisser à la personne concernée la responsabilité d’arbitrer, dès lors qu’elle respecte la loi et de surcroît a même la faiblesse de cracher sur sa liberté passée ! Je refuse de rentrer dans ce débat en couvrant de fleurs la communauté LGBT, ce qui m’aurait assuré une bienveillance de principe. Toutefois, je précise qu’il est évident que j’aurais usé d’une autre forme que la sienne. « Ces gens-là », en effet, apparaît au moins condescendant à l’égard de personnes dont la sexualité et le choix de vie sont juste différents. Mais Caroline Cayeux, en réalité, a été bien trop complaisante. Imaginons une personnalité courageuse. Quand la ministre Olivia Grégoire, pour la défendre, souligne que tout le monde a droit « à une erreur », Caroline Cayeux aurait pu dire qu’elle avait le droit de penser ce qu’elle a pensé, même dans une formulation extrême (le mariage pour tous est « contre-nature »), qu’elle aurait eu le droit de participer à la Manif pour tous, qu’elle n’était pas contrainte de se mêler à toutes les actions festives ou non organisées par les homosexuels et la communauté LGBT (contrairement à ce que lui suggérait sa collègue Marlène Schiappa guère solidaire), qu’il n’était écrit nulle part dans notre code républicain qu’il y avait des convictions qui auraient été honteuses en elles-mêmes, dès lors qu’elles ne se traduisaient jamais par des actes illégaux…

A lire aussi: Le magazine Têtu dénonce un gouvernement composé de personnes “haineuses”

Que se serait-il passé si Caroline Cayeux avait développé ce point de vue conforme au bel esprit d’une liberté d’expression que la France a connu mais que clairement elle a perdu puisqu’elle accepte, sans se rebeller, des procès staliniens au petit pied où la personne d’emblée déclarée coupable doit se couvrir de cendres et s’avouer indigne ? Alors que jusqu’à nouvel ordre la communauté LGBT n’a pas vocation à nous imposer une autre loi que celle de la République, que Caroline Cayeux respecte…

Le stalinisme intellectuel, c’est interdire d’assumer hier qui n’avait rien de déshonorant au nom d’aujourd’hui et d’un humanisme se vantant d’être totalitaire. Je suis très pessimiste. Ce mouvement est tristement irréversible qui nous conduit vers une dictature des minorités. De communautés qui, pour avoir longtemps souffert, jouissent de délégitimer les convictions contraires et d’humilier les personnes qui les ont partagées. S’en prenant de plus à des personnalités qui offrent, comme Caroline Cayeux, le grand avantage d’accepter l’inquisition qu’elles subissent et de tendre, consentantes, les deux joues… La lâcheté de ce monde politique, de cet univers du pouvoir, m’écœure.

Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Belgique…

Dans Du fédéralisme au communisme ? Le carnage belge expliqué à un ami européen, l’essayiste Drieu Godefridi nous révèle le curieux tango que dansent la région flamande et la région wallonne, l’une économiquement florissante, l’autre fauchée comme les blés mais où le gauchisme a le vent en poupe.


Le Belge Drieu Godefridi, auteur libéral, docteur en philosophie, nous renseigne dans son dernier ouvrage sur le « carnage belge ». Belge, notre ami Drieu ? À la première page de son ouvrage, il se définit plus précisément comme un « Flamand francophone ». Élevé dans la langue de Molière et de Jacques Brel, les racines de son « arbre généalogique plongent, toutes, dans la Flandre profonde » nous apprend-il.

A lire ensuite: Contre mauvaise fortune, bon cœur, BoJo tire enfin sa révérence

En plus de nous éclairer sur le fonctionnement du fédéralisme belge, Godefridi analyse les raisons de la prospérité flamande et de la déroute économique wallonne. L’auteur s’essaie également à la prospective : à partir des données économiques actuelles, il présente plusieurs scénarios politiques probables pour l’avenir de la Belgique, à moyen et long terme. À commencer par la progression électorale des différents partis d’extrême gauche, et par conséquent,  la possible prise de pouvoir de ces derniers en Wallonie, dès 2024.

Quel avenir politique pour le plat-pays ? Une Wallonie indépendante ? Communiste ? Une révolte flamande ?

Comment en est-on arrivés là ? C’est à la fin des années 1960 que la Belgique se dote d’un système fédéral avec trois régions : la région Bruxelles-Capitale, la Wallonie qui dispose d’une autonomie économique, avec des régions, et la région flamande qui dispose d’une autonomie culturelle avec des communautés. Un système qui, au premier abord, peut paraître complexe – sans compter que Bruxelles est une ville historiquement flamande, qui se trouve en territoire flamand mais qui est majoritairement francophone.

De nombreuses réformes, qui ont dépouillé l’état fédéral de ses compétences au profit des Régions et des Communautés, ont été mises en place pour faciliter l’autonomie de ces dernières. Ces réformes n’ont rien arrangé aux difficultés économiques wallonnes, bien au contraire, la Wallonie étant de plus en plus dépendante de l’argent flamand pour maintenir son train de vie. Selon l’auteur, les Wallons ne travaillent pas assez et l’assistanat y est un véritable problème quand on sait par exemple qu’il n’y a pas de limite dans le temps à l’octroi d’allocations chômage, ce qui n’encourage pas les inactifs à chercher du travail. De plus, les Wallons n’hésitent pas à rabrouer les Flamands lorsque ces derniers leur demandent de faire preuve de rigueur budgétaire. Forcément, cela n’arrange rien aux relations des uns et des autres.

Bien que la Belgique francophone possède un brillant passé industriel, elle n’a pas été capable de le mettre en valeur et de le renouveler (ce qu’a brillamment réussi l’Allemagne voisine). Face à ses difficultés économiques, et face aux faibles recettes réalisées par la Wallonie, elle aurait dû réduire ses dépenses. Comme cela ne s’est jamais produit, la Wallonie est en déroute financière et budgétaire.

La formule du fédéralisme belge

Des compétences contre de l’argent. C’est de cette manière que Drieu Godefridi résume le fédéralisme belge. En effet, les Flamands désirent toujours plus de compétences pour parfaire leur autonomie culturelle et les Wallons désirent toujours plus d’argent flamand pour ne pas sombrer économiquement. Seulement, et c’est ici que le curieux tango entre les deux régions apparaît, pour que l’état fédéral accorde des compétences à la Flandre, celle-ci a besoin du soutien de la Wallonie. Soutien qui s’obtient par un transfert massif de liquidités de la Flandre vers la Wallonie. 6 milliards d’euros, c’est le montant annuel des transferts flamands vers la Wallonie. Sachant que les recettes fiscales wallonnes annuelles sont de 15 milliards, ces transferts représentent 40% des recettes wallonnes. Ils sont donc indispensables, la Wallonie ferait faillite sans, ce qui ne serait pas dans l’intérêt de la Flandre qui est toujours demandeuse de davantage de compétences. Depuis longtemps, de nombreux observateurs glosent sur la disparition de la Belgique. Bien au contraire, pour Drieu Godefridi, le fédéralisme belge n’est pas dans une phase d’épuisement mais connaît une accélération.

A lire aussi, Jean-Luc Gréau: Ciel d’orage sur la monnaie unique

Contrairement aux prêts qu’accorde le FMI à un État et qui sont soumis à des conditions drastiques, les prêts qu’accorde la Flandre à la Wallonie ne sont soumis à aucune condition économique. Cela aggrave le problème. Pour couronner le tout, la Wallonie semble connaître des difficultés lorsqu’il s’agit de dépenser son argent efficacement. Prenons l’exemple de l’enseignement : les Wallons dépensent plus que les Flamands et pourtant les classements internationaux PISA attestent que l’enseignement wallon est parmi les plus médiocres en résultats sur les 28 États membres de l’OCDE, tandis que l’enseignement flamand est supérieur à la moyenne ! Les avantages sociaux dont jouissent les enseignants wallons sont en outre considérables : alors qu’ils sont ceux qui travaillent le moins parmi les pays de l’OCDE, ils sont admissibles à la retraite à 55 ans. Selon Drieu Godefridi, dès qu’un responsable politique propose de revenir sur ces avantages, les syndicats socialistes wallons entrent dans un processus de blocage. Il n’y a pas à dire : les Wallons sont des cousins !

Difficile d’échapper à l’hégémonie culturelle de la gauche

Politiquement, médiatiquement, culturellement, économiquement, la Wallonie est sous influence socialiste. Grâce aux médias publics et à l’école, les socialistes wallons ont fait adhérer à leurs idées des générations entières.

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: «Le scandale France Inter devrait être un thème majeur de la campagne»

Drieu Godefridi pointe notamment du doigt le rôle joué par la RTBF (Radio-télévision belge de la Communauté française) et Le Soir, le quotidien francophone le plus important, qui sont, selon lui, de puissants relais de cette propagande socialiste. 80% des enseignants votent pour la gauche et l’extrême gauche : « on peut être en même temps un enseignant et un révolutionnaire marxiste » affirme un enseignant wallon cité dans le bouquin. Et désormais, le Parti Socialiste wallon a été dépassé sur sa gauche par deux partis politiques : ECOLO, le parti écologiste que Godefridi  nous présente comme le plus radical d’Europe et le PTB, un Parti communiste qui revendique « l’héritage marxiste dans son intégralité » !

Un pays sans opposition

Une des caractéristiques du système fédéral belge, enfin, est la neutralisation perverse d’une véritable opposition parlementaire.

Avec la proportionnelle, il y a d’une part une profusion de partis. D’autre part, en raison de la réalité territoriale et linguistique du pays, tout se retrouve multiplié par deux. Au Parlement fédéral, il y a ainsi deux partis libéraux (un francophone et un flamand), un parti socialiste francophone et son pendant flamand Vooruit. Ce sont des partis distincts politiquement, qui n’ont pas les mêmes programmes et se retrouvent concurrents lors des élections.

Les Wallons sont de plus en plus nombreux à envisager le communisme comme une solution. Drieu Godefridi dessine le paysage politique wallon actuel : 20% des voix vont aux communistes (PTB), 20% pour les socialistes (PS), et 15 à 20 % pour les écolos (ECOLO). Le PTB souhaite une sortie de la Wallonie des traités européens, mais pour cela il faudrait que la Belgique en sorte et les Flamands bien plus raisonnables s’y opposent évidemment. Restent deux possibilités : soit le PTB renonce à son marxisme révolutionnaire (inconciliable avec les traités européens), soit la Wallonie proclame son indépendance, sort de l’UE et de l’euro, ce qui entraînerait alors à coup sûr sa faillite. Comment va-t-elle renégocier le refinancement de ses emprunts sur les marchés sans monnaie propre ? « Avec un Wallécu ? » questionne ironiquement l’auteur. Ce dernier a abandonné l’idée que la Wallonie pourrait se réformer par la voie électorale et parlementaire. Cette impasse institutionnelle, cette absence de réforme structurelle fait que le changement viendra de l’extérieur, comme ce fut le cas pour la Grèce. Le réalisme économique s’imposera tôt ou tard et le retour de bâton pourrait être brutal. « Faut-il encore et toujours que des réalités vulgairement arithmétiques viennent casser l’ambiance » se désole Drieu Godefridi… Et certains se demandent pour quelles raisons le modèle du fédéralisme belge ne s’exporte pas ? Probablement parce que personne ne souhaite être le Flamand de la farce !

Du fédéralisme au communisme ? Le carnage belge expliqué à un ami européen, Texquis, juin 2022

Les plages de Sophie

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Aujourd’hui, Houlgate


Dans les années 90, alors que je devais avoir une vingtaine d’années, avec une amie, nous voulions nous faire un week-end balnéaire, pas loin de Paris. Je lui propose Houlgate, dans le Calvados. « C’est suranné », lui ai-je dit. En effet, cette station balnéaire ne bénéficie pas de la légende proustienne de sa voisine Cabourg, ni du prestige de Deauville ou Trouville. Le nom de la commune est typiquement anglo-normand : holl et gate (trou et passage). Même si la légende veut que les Vikings y aient séjourné. Les Normands chérissent discrètement mais obstinément leurs origines vikings.

Houlgate est vendue par l’office du tourisme comme une station balnéaire familiale, loin du tapage m’as-tu-vu et cinématographique de Deauville et son « Chabadabada », ou de la légende littéraire de Trouville : Duras et ses « Roches Noires », Sagan et son Casino où elle misa sur le 8, le 8 août et remporta 8 millions. Il y avait pourtant un modeste casino à Houlgate, où jeune fille, je buvais au bar des Irish Coffee – il ne fait pas chaud, le soir sur la côte normande- avec mon amoureux de l’époque. Le bar, depuis, a été remplacé par d’horribles machines à sous.

Un bond dans la Belle Epoque

L’étymologie du joli mot « suranné », signifie : « ce qui a plus d’un an ». A Houlgate, nous faisons en fait un bond en arrière… jusqu’à la Belle Epoque. En effet, le front de mer est bordé de ces villas cossues, ventrues et rassurantes, comme l’étaient les hommes de 1910. Les femmes d’alors, qui n’avaient pas encore retiré leurs corsets, y déambulaient avec leurs ombrelles et leurs charmants chapeaux encombrants. Nous les imaginons, dans des costumes de bain à rayures, au début de la vogue des bains chez la bourgeoisie fortunée. Me vient en tête, la jolie série – que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître – « Les dames de la côte » de Nina Companeez, dans laquelle la fiévreuse Fanny Ardant fit ses débuts.

A lire aussi, dans la même série: Narbonne

La Belle Epoque, donc, est représentée par le Grand Hôtel, joyau inscrit aux Monuments Historiques depuis 2000. Aujourd’hui, il n’accueille plus de têtes couronnées comme naguère. Le majestueux bâtiment fut découpé en appartements… La spéculation immobilière n’a pas épargnée Houlgate la surannée.

Cependant, je me souviens des hôtels restaurants où subsistent encore quelques bribes de cette Belle Epoque, comme le 1900, avec sa salle à manger bourgeoise aux nappes blanches, et ses chambres, un peu de guingois, au charme fou du temps d’avant. Mais peut-être que cet endroit n’existe même plus. Je préfère garder intact mon souvenir et ne pas vérifier sur Google.

J’ai séjourné à Houlgate, avec mes parents et ma grand-mère, cette femme du Sud pour qui la Manche représentait le comble de l’exotisme. Je l’entends me dire que sa préférence allait cependant à Cabourg : son père lui avait parlé de Proust. Mais la raison pour laquelle cette station du bord de la Manche est si chère à mon coeur, est la suivante : ma fille, à l’âge de trois semaines à peine, y passa ses premières vacances. Elle est née en juillet 2003, et nous avions fui la canicule parisienne. Elle n’en a bien sûr aucun souvenir, et, du haut de ses dix-neuf ans, lève les yeux au ciel lorsque j’évoque ce tendre moment.

C’était… ma belle époque.

Simenon, Depardieu, l’été

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Les cartes postales de Pascal Louvrier (1/6)


C’est l’été, la seule saison qui vaut d’être vécue. Un bon bouquin, un arbre au milieu d’un champ, le soleil pas trop cruel dans le bleu céruléen. Un bon bouquin ? C’est une intrigue bien ficelée, des personnages pas forcément sympathiques, un style efficace et quelques remarques qui donnent à réfléchir.

Les volets verts

Georges Simenon (1903-1989) réunit toutes ces qualités. C’est pour cela qu’il est l’un des romanciers les plus lus dans le monde. Ses livres sont régulièrement adaptés à l’écran. Les volets verts, paru en 1950, est devenu un film de Jean Becker, avec Gérard Depardieu et Fanny Ardant. Il sortira fin août. Encore loin au moment où j’écris ces lignes. Les glaçons fondent dans l’alcool lui donnant une couleur jaune paille. Simenon, c’est plutôt à lire dans un port de la Manche, avec des mouettes criardes, une pluie fine derrière les vitres d’une chambre un peu poussiéreuse, pour respecter l’ambiance que privilégie le romancier. Ajoutons des bars louches, de sordides histoires de famille, des enfants dans le placard, des déviances sexuelles, des adultères, des femmes blessées, des bourgeois intraitables, quelques maladies de cœur, des trottoirs luisants où déambulent les marginaux au dos voûté et des prostituées habituées à côtoyer le chagrin des cabossés. De la solitude et des meurtres également. La comédie humaine sans leçon de morale.

Romancier de l’instinct  

Simenon, c’est le romancier de l’instinct. Sa mère ne l’aima pas, lui préférant son jeune frère. Son père mourut alors qu’il avait treize ans à peine. De quoi nourrir l’imaginaire du futur écrivain. Dès ses débuts, il fut remarqué par André Gide et Robert Brasillach. Ce n’est pas rien.

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Les Volets verts, donc, met en scène Emile Maugin, un célèbre acteur, d’une soixantaine d’années, au caractère difficile, autoritaire avec son entourage, cabotin, angoissé, gras et alcoolique. Simenon met en garde le lecteur avec la formule « Toute ressemblance, etc », car il craint qu’on pense que Maugin, c’est Raimu, Michel Simon, Charlie Chaplin, voire W.C. Fields. L’écrivain se moque du procès, mais redoute qu’on perce le mystère de sa création. Car Mangin, c’est un peu, beaucoup, de Simenon lui-même. Le roman, par exemple, s’ouvre sur une visite médicale semblable à celle que l’écrivain avait subie en 1940 avec le verdict suivant : plus que deux ans à vivre. Un traumatisme.

Maugin grogne, renifle, traite les gens de cons. Il est monolithique, connaît toutes les ficelles du métier, refuse de perdre son temps avec les fâcheux. C’est étrange, car ce rôle semble avoir été écrit pour Depardieu, né deux jours après Noël, en 1948. Quand Maugin s’exprime, on croit entendre la voix de Gérard. La maison aux volets verts se situe à Bougival, petite ville où l’acteur et sa famille habitèrent. Cela rend le livre encore plus captivant. Il se lit d’une traite, sans qu’on s’aperçoive que les glaçons ont fondu, ce qui est plutôt bon signe.

Extrait : « Il avait conscience d’avoir réussi, ce matin-là, une des plus belles créations de sa carrière. Des milliers de spectateurs seraient empoignés, des gamins qui allaient à l’école aujourd’hui, la verraient dans dix ans, dans vingt ans, une fois grands, et on leur dirait :

— C’est un des rôles les plus étonnants de Maugin.

Du ‘’grand’’ Maugin. »

Georges Simenon, Les Volets verts, Le Livre de Poche.

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Le voile à toute vapeur

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Ceux qui veulent résister à l’islamisation passent beaucoup de temps à s’écharper sur ce burqini vindicatif qui envahit les plages, ou à combattre le voile religieux « classique » qui cherche à s’immiscer à l’université, lors des sorties scolaires, dans les entreprises ou dans nos services publics… Pendant ce temps, nous passons à côté des ravages d’un véritable phénomène de mode affectant la jeunesse sur les réseaux sociaux, et qui est une lame de fond plus inquiétante encore.


De signe religieux ostentatoire en 1989 (Creil), le voile est devenu en 2022 la pièce maîtresse de la tenue de la fashionista convertie à la mode dite modeste ou pudique. Mode qui n’a de modeste et de pudique que le nom. Et les fashionistas sont de plus en plus nombreuses sur les bancs de nos collèges, de nos lycées et de nos universités.

Les grandes marques comme Dolce & Gabbana, Oscar de la Renta, DKNY ont toujours plus ou moins lorgné, et souvent avec succès, vers la clientèle moyen-orientale. Mais, c’est à partir de 2016 que les « petites » marques ont commencé à rivaliser d’ingéniosité pour séduire la clientèle féminine musulmane bien de chez nous. H&M mettant en avant une femme voilée dans ses publicités, Mango sortant une ligne spéciale ramadan, Uniqlo proposant des hijabs revus et corrigés et Marks et Spencer commercialisant les premiers burkinis. Ces initiatives suscitèrent de la part de « nos intellectuels » des réactions à la hauteur de l’agression. Ainsi, dans les colonnes du Monde, Elisabeth Badinter n’hésita pas (avec le résultat que l’on sait) à inviter au « boycott des marques se lançant dans la mode islamique ». Laurence Rossignol se montra, quant à elle, très ferme chez Bourdin et gronda bien sévèrement ceux qui, par esprit de lucre, « se mettent en retrait de leur responsabilité sociale et font la promotion de l’enfermement du corps des femmes ». Le pompon revenant à Pierre Bergé qui, très en colère, secoua vigoureusement ses confrères en leur assénant un « renoncez au fric, ayez des convictions » bien senti.

Religion 2.0

Donc, rien de nouveau sous le soleil de Satan. La fusée avait décollé. Et, les réseaux sociaux allaient lui fournir tout le carburant nécessaire. 
Au train où progressent aujourd’hui les musulmanies, il y a fort à parier que nous ne devrons pas attendre six ans pour avouer que nos mondanités actuelles contre le burkini ou le voile des mamans en goguette ne sont finalement que des discussions de bac à sable. Nous avons aimé Greta et le climat, nous allons adorer les muslinettes et la religion 2.0.
En effet, à part la « vieille » Diam’s, qui nous la joue façon moche, avec sa tenue de (bonne) sœur destinée à sublimer sa beauté intérieure, les jeunes modeuses « pudiques et modestes » proposent via Instagram, Tiktok ou Facebook des tendances tout sauf tristes qui se répandent comme des traînées de poudre… explosive.

A lire aussi, Céline Pina sur le retour de Diam’s: L’islamiste et le progressiste

Certaines s’arrangent parfaitement avec la mode occidentale « traditionnelle » qu’elles revisitent gentiment. Ainsi, la jeune turque Ecmel rümeysa ocak (476 000 abonnés sur Instagram) « parvient à inspirer ses adeptes, avec sa forme colorée, sa position mignonne et son style tendance ». Certes, ses cheveux sont habilement dissimulés (ce petit quelque chose en moins qui vous donne un vrai truc en plus), mais tous les accessoires féminins classiques sont au rendez-vous : maquillage,  bijoux, sacs, chaussures… Et, tous les modèles mis en valeur se situent dans le très mettable.

En revanche, certaines influenceuses pudiques et modestes, visiblement beaucoup plus orthodoxes, promotionnent des tenues légèrement plus compliquées à porter. Sur les comptes madinaparis (250 000 abonnés), abaya.dress.paris (49 400 abonnés) ou madaa_m (28 500 abonnés), les propositions très couvrantes (euphémisme) sont nettement moins marrantes mais malgré tout ultra séduisantes. Pas un voile mais des voiles, se superposant, jouant les uns avec les autres, des tissus fluides, des couleurs sublimes. Ce n’est pas certain qu’ainsi attifée il soit aisé de se livrer à des tas d’activités, mais tout ça a de la gueule. Sans oublier, encore une fois, les accessoires pas franchement modestes. En particulier les superbes sacs, les bijoux et le maquillage bien appuyé que l’on fait plus que deviner. 

L’Afghanistan, l’Iran ? C’est loin tout ça

Avec toutes ces jeunes filles en uniforme « religieux » glamour, genre mille et une nuits modernes, on baigne dans le subliminal. Belles ou laides on ne sait pas, grosses ou minces, on le devine à peine. Mais jeunes, pas de doute. Et, élégantes assurément. Elles se chipotent, elles s’amusent, elles prennent la pose, elle se selfisent, elles aiment la vie. Entre copines, entre filles. L’Afghanistan, l’Iran sont loin, mais loin ! Et la religion : un détail, un tout petit détail. Une sorte de sous-produit qu’elles acceptent déjà plus ou moins (et encore) mais dont elles n’imaginent vraisemblablement pas les implications dans leur future vraie vie. Le palmier qui cache la palmeraie. Le soft power en action. Et qui fonctionne à plein régime.

A lire aussi: Causeur #103: Silence, on égorge

Mais, le passage du croc-top et du short moulant à la tenue camouflage ne serait-il pas juste une petite frivolité dans l’air du temps ? Pour conforter cette thèse, La Croix nous apprend début juin, que de jeunes chrétiennes, elles aussi maquillées comme des camions volés, posent voilées sur TikTok et obtiennent elles aussi des centaines de milliers de vues. Mais, contrairement à leurs copines musulmanes, du moins d’après ce que l’on comprend de leur discours, c’est « juste » pour prier. Façon Thérèse d’Avila en quelque sorte. Et, leurs relations avec le sexe opposé ne semblent pas avoir grand-chose à voir avec leur nouveau déguisement. À première vue, pardon La Croix, un épiphénomène assez éloigné de la déferlante modeste et pudique. Cette dernière, qui semble en avoir sous la pédale, durera-t-elle plus longtemps que la vague punk, hippie ou gothique ? Mystère et boule de gomme… arabique.

Euro: année zéro

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Pour la première fois depuis son entrée en circulation, l’euro est à parité avec le dollar. 


La chose ne s’était produite qu’en l’an 2002, la monnaie unique européenne ayant alors été dépassée par un dollar dopé par une économie américaine au sommet, chutant à son plus bas historique qui est pour l’heure fixé à 0,8230 dollar. 

Un temps envisagée comme monnaie de réserve au même titre que le dollar, l’euro a longtemps été très fort, ce qui a eu notamment pour effet d’aider l’industrie outre-Rhin à être extrêmement compétitive dans le cadre du marché unique. Une évolution qui s’accomplit au détriment de la France, et des pays du Sud, et au principal avantage de l’Allemagne réunifiée, quatrième puissance économique mondiale devenue l’usine du continent, pays exportateur pour lequel l’euro constitue un avantage de compétitivité évident et majeur. Au sein même de l’Union, l’Allemagne est certainement le pays dont l’économie tire les plus grands bénéfices de cette situation.

A lire ensuite, Jean-Luc Gréau et Philippe Murer: Ciel d’orage sur la monnaie unique

L’économiste Charles Gave, spécialiste de la gestion de fonds financiers, qui annonçait lors de l’entrée en vigueur de la monnaie unique que celle-ci se traduirait par « trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d’usines en Allemagne », ne s’était pas trompé – l’euro favorisant selon les pays les bulles financières, l’effondrement de la balance commerciale en l’absence de recours à la dévaluation monétaire ou, au contraire, la compétitivité de l’industrie. Cependant, même l’Allemagne tient la situation pour insatisfaisante, jugeant que l’euro est sous-évalué par rapport au dollar, à l’exact opposé des positions de la France et de l’Italie, la monnaie unique devenant le moyen d’une nouvelle concurrence, plus que d’une convergence des économies et d’une harmonisation des vues. Comment l’expliquer ? L’Allemagne, qui devrait perdre près de 15 millions d’habitants d’ici 2060, est engagée dans une politique « malthusienne » visant à assurer, tant qu’il est encore possible, sa domination économique et la mutation de son organisation sociale en vue d’assurer le financement de ses retraites, comme le maintien durable de sa croissance.

Cette obsession économique, dans un pays marqué par l’inversion rapide de la pyramide des âges, obligé de remplacer ses travailleurs par de la main d’œuvre immigrée, sans égard pour ses équilibres identitaires et sociaux au long cours, ne peut manquer de heurter les impératifs et les aspirations de la France, seule autre puissance continentale susceptible d’assurer le leadership dont l’Europe a cruellement besoin. Dans ces conditions, bien que les Français souhaitent très majoritairement rester dans l’Union, comment s’étonner des réticences à une nouvelle accélération du processus d’intégration ? S’ils peuvent mesurer ou extrapoler ce qu’ils perdraient, comment pourraient-ils évaluer les gains potentiels, forcément sujets à des aléas imprévisibles, sinon hypothétiques ?

Au plus fort de la crise de la dette, l’euro passa sous les 1,20 dollar. Les mesures d’urgence prises par Mario Draghi permirent de rassurer les investisseurs sans que la croissance européenne ne reparte vraiment et ne retrouve son taux de change des années 2007-2008. Le Brexit puis l’élection de Donald Trump avaient déjà un temps fait flancher l’euro, mais jamais la situation n’avait été aussi périlleuse qu’aujourd’hui où l’arc de crises qui frappe le continent met à mal son équilibre macroéconomique de court et moyen terme. Nous replongeons donc vingt ans en arrière avec un euro faible, qui met en danger le patrimoine des Européens jusqu’alors protégé. L’Allemagne porte une grande responsabilité. Comme l’avait justement dénoncé Donald Trump en 2017, Berlin s’est enchaîné à l’énergie russe à bas coût. Sa dépendance au gaz russe se couple à une inflation galopante qui fragilise grandement « l’usine du continent ». Au point d’ailleurs que son opinion publique pourrait rapidement reconsidérer sa position, notamment dans l’ex-Allemagne de l’est encore marquée par l’expérience communiste. Il est notable que la Russie a attendu l’achèvement de Nord-Stream 2 pour envahir l’Ukraine et avoir une arme de chantage afin de pratiquer une guerre asymétrique.

A lire aussi, Sophie de Menthon: Cours du soir pour néo-députés

Pour nous Français, la baisse de l’euro représente autant de difficultés que d’opportunités. Airbus voit son carnet de commandes se remplir après deux années de pandémie durant lesquelles l’avenir de l’avionneur était compromis. Produisant en euros mais vendant en dollars ou en yuans, Airbus enregistre des profits importants et consolide sa position sur ce segment important. Notre industrie du luxe exportatrice, les professionnels du tourisme ou nos viticulteurs peuvent aussi se réjouir de la situation. Pour ce qui concerne notre industrie automobile, la baisse est neutre compte tenu du fait que les marchés sont régionaux et que nous vendons en euro ce que nous produisons en euro. En Chine, les usines Peugeot produisent en yuan… et vendent en yuans. Évidemment, l’inflation sera plus durement ressentie avec la baisse de la valeur de l’euro, mais le marché européen reste puissant et à haute valeur ajoutée. Il n’est donc pour le moment pas question de céder à une éventuelle panique. 

Peut-être, rêvons un peu, que ce choc psychologique provoqué par le retour des conflictualités de haute intensité sur le continent nous obligera à faire preuve de ressources morales et d’innovation. Nous en avons ainsi enfin fini avec la mortifère idéologie anti-nucléaire, mais nous pourrions aussi en profiter pour reconsidérer nos « modèles » et lutter contre la mauvaise dépense publique. Un choc fiscal d’envergure pourrait ainsi redonner du pouvoir d’achat aux classes moyennes. Au travail !

Un été avec… Philippe Noiret

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Annie Girardot et Philippe Noiret dans "La vieille fille" (1972) de Jean-Pierre Blanc © SIPA

« On va jusqu’au ponton ? »


Oubliez les « double-boucle » de chez John Lobb et les cardigans en vigogne aux couleurs vives, les « double-corona » aux lèvres et la barbe au broussaillement travaillé, Philippe Noiret était un comédien au tempérament méditerranéen. Il s’habillait léger. Il voyageait à l’air libre. Ne vous fiez pas à la panoplie automnale de ce nordiste élevé chez les pères oratoriens et à son taxi mauve garée dans la lande irlandaise ! Chassez de votre mémoire le gentleman-farmer bienheureux en couverture de « Elle », le nonchalant quinquagénaire de ces dames qui réussissait à suspendre le temps de sa voix profonde et pénétrante.

Azuréen anisé

Noiret était un sudiste avé l’accent, Avignonnais de cœur, sept années de suite, il montera sur la scène du TNP de Jean Vilar. Pastaga et bermuda. Noiret était un bouliste non-honteux, un azuréen anisé en bob éponge et en slip de bain, un plagiste encombré par ce corps molletonné où l’absence d’abdominaux était en soi la preuve d’un esprit clairvoyant. Plusieurs fois durant sa carrière, il a osé l’impensable, l’innommable port du tee-shirt à l’écran. Certaines carrières ont sombré pour moins que ça.

Si l’on met de côté les socquettes blanches d’Alain Delon comme ultime audace vestimentaire du cinéma français, le tee-shirt reste une épreuve hautement plus redoutable qu’un examen du Conservatoire. Il faut être sûr de son talent pour enfiler un tel habit destructeur pour l’égo et le sex-appeal. Depuis la déferlante James Dean, peu se sont aventurés sur le terrain du juste-au-corps immaculé qui révèle les difformités de votre anatomie lancinante. Pire que le rayon X, le tee-shirt est l’ennemi du mâle. Aucun embonpoint ne lui résiste. Mal coupé, intransigeant, outrageant, il galbe votre ventre comme une âme en peine. Il souligne et aggrave votre cas. Il ne tolère aucune approximation physique et repentir idéologique. Noiret s’en moque. Il assume. Il a dépassé le stade du paraître clinquant. Il le porte avec un naturel désenchanté, un brin provocateur, qui contredit toutes les théories sur son jeu bourgeois et supposé figé.

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Sachez que le ridicule ne le tue pas, il le rend même plus fort. A tous ceux qui prétendent que Noiret fait du Noiret, avec un soupçon rogue de lassitude, revoyez-le dans « La Vieille fille » de Jean-Pierre Blanc en 1972. Il remplaça au pied levé Georges Wilson indisponible. Son personnage drague laborieusement Annie Girardot, naïade réfractaire, sur le port de Cassis. Sa Cadillac en panne, il a pris pension dans un hôtel étrangement loufoù les servantes ont la puissance érotique de Marthe Keller et les clients l’incongruité langagière de Michael Lonsdale.

Il va au-delà de nos attentes en termes de tenue. Il ne se contente pas d’un anodin tee-shirt exempt d’inscriptions, il s’affiche avec un énorme point d’interrogation sur le poitrail. Ce qui donne à ce héros chancelant un caractère aussi énigmatique qu’excentrique. Vous vous étiez habitués à la pompe d’un Noiret confortablement installé sur le dos d’un percheron dans sa campagne toulousaine ou vautré dans le cuir Connolly d’une Bentley sur l’Esplanade des Invalides, il débarque bras nus au ciné, ne tentant aucunement de masquer sa bedaine vindicative, allant même jusqu’à laisser libre cours à ses largeurs placides et à sa bonhomie teintée d’une nostalgie inquiète.

Admirable de tendresse

C’est admirable de tendresse et d’hésitations amoureuses, remarquable d’émotion contenue et de ferveur maladroite. En costume d’alpaga, l’effet serait tombé à plat. Souvenez-vous que Noiret avait débuté, sous les projecteurs, dans la chaleur poussiéreuse du Sud, à Sète, sur « La pointe courte » d’Agnès Varda. Et déjà, il se présentait à nous dans un tee-shirt manches longues informe et une coupe de cheveux rappelant la tonsure monacale. Noiret est l’homme du court vêtu contrairement à la légende urbaine. Il réitéra l’opération slip de bain noir dans « On a volé la cuisse de Jupiter » de Philippe de Broca en 1980. Allongé sur une plage grecque sous les mains expertes d’Annie (sa meilleure compagne estivale) et de Catherine Alric, le professeur Antoine Lemercier lézardait avec une classe folle et une indolence communicative.

Un jour, il faudra aussi parler de son addiction pour les polos au crocodile, jaune paille ou bleu layette, quand ils étaient des marqueurs identitaires au démarrage du Marché commun.

«Morella»: Edgar Poe ou la femme comme psychose

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Le romancier américain Edgar Poe (1809-1849) D.R.

Il y a relativement peu de figures féminines dans l’œuvre d’Edgar Poe, mais les rares héroïnes à être nées sous sa plume ont toutes une dimension particulièrement spectaculaire. Leurs noms mêmes deviennent les titres de quelques nouvelles fantastiques, comme « Bérénice », « Ligeia », ou encore « Morella ». Il s’agit de femmes toujours très belles, mais affectées de maux psychologiques divers, comme si, pour Poe, la féminité dans sa forme la plus sublime n’allait pas sans un prix à payer au malheur.

Edgar Poe et les femmes

Dans sa vie, Edgar Poe a eu des relations avec de nombreuses femmes. On sait qu’il s’est marié avec sa cousine Virginia Clemm en 1836, alors qu’elle allait avoir quatorze ans. Une nouvelle comme « Ligeia », dans la description physique de l’héroïne, dégage certains canons de la beauté qui touchaient Poe. Il dit du visage de Ligeia : « nulle autre part que dans les gracieux médaillons hébraïques, je n’avais contemplé une semblable perfection », soulignant chez elle « cette tendance presque imperceptible à l’aquilin ».

Poe ne s’arrête pas avec autant de détails sur l’apparence de Morella, mais c’est aussi une jeune fille très séduisante et pleine de vie, du moins au début. Poe insiste plutôt sur son intelligence. Comme Ligeia, Morella fait preuve d’une intelligence supérieure et d’une « profonde » érudition. Toutes ces histoires se déroulent dans des manoirs retranchés, en pays allemand, où la seule occupation semble être la lecture dans d’immenses et antiques bibliothèques. Morella, éduquée à Presbourg (l’actuelle Bratislava), se voue à la rumination de livres ésotériques : elle étudie, nous confie plus précisément le narrateur, des « écrits mystiques qui sont généralement considérés comme l’écume de la première littérature allemande ».

Atmosphère déliquescente

Le narrateur de la nouvelle, qui reste anonyme (nous savons seulement qu’il est l’époux de Morella), subit lui aussi l’atmosphère déliquescente de la bibliothèque et des vieux livres qu’elle contient. On sent l’ennui et le désœuvrement érudit qui minent ces deux êtres, d’une manière fatale : « Morella venait, nous dit le narrateur, plaçant sa main froide sur la mienne et ramassant dans les cendres d’une philosophie morte quelques graves et singulières paroles qui, par leur sens bizarre, s’incrustaient dans ma mémoire. » Il est sous l’emprise de sa femme, en particulier de sa voix, qui devient, avec le temps, obsessionnelle, « jusqu’à ce que cette mélodie de la langue s’infectât de terreur ». Et alors, finit-il par avouer, « l’idéal du beau devenait l’idéal de la hideur ».

A relire, dans la même série: Mme Roland, en majesté

Dans « Morella », comme dans les deux autres nouvelles que j’ai citées, le thème essentiel est incontestablement celui de la perte d’identité. Le narrateur de « Morella » note que sa jeune femme étudiait notamment « la doctrine de l’identité telle qu’elle est présentée par Schelling ». Plus loin, il fait la confidence suivante : « la notion de cette identité qui, à la mort, est, ou n’est pas perdue à jamais, fut pour moi, en tout temps, un problème du plus intense intérêt, non seulement à cause de la nature inquiétante et embarrassante de ses conséquences, mais aussi à cause de la façon singulière et agitée dont en parlait Morella. » Cette phrase est d’une importance cruciale, sur un thème qui agite, encore de nos jours, la littérature.

La femme, point révélateur de la psychose

Pour Edgar Poe, la femme demeure un mystère, un mystère fascinant, mais mortel. Elle est le point révélateur de la psychose, comme dans « Bérénice », où le narrateur se focalise maladivement sur les dents de sa cousine. Et dans « Morella », le narrateur ne va-t-il pas jusqu’à confesser : « Dirais-je que j’aspirais, avec un désir intense et dévorant, au moment de la mort de Morella ? » Mais Morella a vu clair dans son jeu, et le lui dit avant de mourir : « celle que, dans ta vie, tu abhorras, dans la mort tu l’adoreras ».

Probablement, Edgar Poe aurait-il été un patient idéal pour la psychanalyse !

Edgar Poe, Histoires extraordinaires. Traduction de Charles Baudelaire. Le Livre de Poche, collection « Classiques ».

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Quand les poètes voyagent

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Valery Larbaud (1881-1957) D.R.

L’été est la saison des voyages, réels ou imaginaires


On vous propose une petite anthologie estivale grâce à des poètes d’hier et d’aujourd’hui, connus ou moins connus mais qui incitent tous à la rêverie. Cette semaine, Valery Larbaud.


«L’ancienne gare de Cahors»

Voyageuse ! ô cosmopolite à présent
Désaffectée, rangée, retirée des affaires.
Un peu en retrait de la voie,
Vieille et rose au milieu des miracles du matin,
Avec ta marquise inutile
Tu étends au soleil des collines ton quai vide
(Ce quai qu’autrefois balayait
La robe d’air tourbillonnant des grands express)
Ton quai silencieux au bord d’une prairie,
Avec les portes toujours fermées de tes salles d’attente,
Dont la chaleur de l’été craquèle les volets…
Ô gare qui as vu tant d’adieux,
Tant de départs et tant de retours,
Gare, ô double porte ouverte sur l’immensité charmante
De la Terre, où quelque part doit se trouver la joie de Dieu
Comme une chose inattendue, éblouissante ;
Désormais tu reposes et tu goûtes les saisons
Qui reviennent portant la brise ou le soleil, et tes pierres
Connaissent l’éclair froid des lézards ; et le chatouillement
Des doigts légers du vent dans l’herbe où sont les rails
Rouges et rugueux de rouille,
Est ton seul visiteur.
L’ébranlement des trains ne te caresse plus :
Ils passent loin de toi sans s’arrêter sur ta pelouse,
Et te laissent à ta paix bucolique, ô gare enfin tranquille
Au cœur frais de la France.

Valérie Larbaud, Les poésies de A.O. Barnabooth

Valery Larbaud (1881-1957) a été poète, critique, essayiste et traducteur.

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Le rond de serviette, complexe de droite

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© La Nouvelle Librairie

Un essai plaisant de Richard de Sèze, Le rond de serviette est-il de droite ? dresse une amusante typologie. 


Vers 1967, parut chez Flammarion un pamphlet plaisant intitulé Le Complexe de gauche, où les auteurs, Jean Plumyène et Raymond Lasierra, qui avaient auparavant publié un essai remarqué sur les fascismes français, se plaisaient à définir les grands traits de la psychè progressiste : tuer le père et résister au gaullisme, adorer sa mère et lire Le Nouvel Obs, participer à un réseau structuraliste et mettre fin à l’Homme, etc.

Deux ans plus tard, après le fameux mois de mai, paraissait Le Complexe de droite, à mon sens moins réussi, où les deux mêmes mettaient en évidence quelques caractéristiques droitières comme la lecture de Minute (!) ou la nostalgie du Père et de l’Age d’or, celui d’avant la TVA – quand les vins n’étaient pas trafiqués, quand les femmes restaient à la maison, etc.

Mi sérieux, mi farceur….

Je ne sais si Richard de Sèze, qui est chroniqueur à Causeur (trop rare, NDLR!), a lu ces pamphlets d’un autre temps, mais son recueil m’y fait songer. De quoi s’agit-il ? D’un exercice mi sérieux, mi farceur, mais en fait moins léger qu’il n’y paraît, où l’auteur se demande ce qui est de droite ou de gauche. Exemple : le mug (ou moque, pour user du vieux terme de marine), où le placer, à bâbord ou à tribord ? De gauche, sans aucun doute, car, même orné d’un profil de monarque, « il ravale, il abaisse, il uniformise, il fait passer la fantaisie du moment pour de l’intelligence. » Idem pour le rond-point, « surcroît incontestable de laideur folklorique, progressiste et contemporaine ». Idem pour le sacrifice humain, ce qui me paraît contestable, car, après tout, les Aztèques n’étaient pas vraiment des adeptes de l’instabilité et du changement…

A lire aussi, Didier Desrimais: L’effondrement de la langue française, prélude de la barbarie

De droite, la poussière, car « modeste, discrète, loyale et nécessaire ». Le feu de cheminée, en tant qu’ « ascèse, plaisir simple, odorant, lumineux et sonore, une invitation à se réunir sans regarder un écran ». De droite, le paysage, et le nombril, et les lichens et les arbres. Et le très-pérenne plat du jour : le bœuf carottes et son quartier de brie, comparables et archétypaux.

À lire Richard de Sèze, je me suis amusé, j’ai ronchonné en crayonnant la marge de ce guide pratique qui est aussi un traité de théologie politique, et, en fin de compte, j’ai peut-être progressé dans ma connaissance du monde et de moi-même.

Richard de Seze, Le rond de serviette est-il de droite ?, La Nouvelle Librairie, 178 pages.

Caroline Cayeux la pestiférée

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Caroline Cayeux, 4 juillet 2022, Paris © ISA HARSIN/SIPA

La ministre subit un procès stalinien, intenté par le lobby LGBT, pour ses positions passées contre le mariage homosexuel.


Ce qui se passe avec la sénatrice Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, est assez effrayant sur les plans politique et intellectuel. Je précise que je ne la connais pas, mais je n’ignorais pas qu’avant la composition du nouveau gouvernement d’Elisabeth Borne, elle était présentée comme l’une des préférées d’Emmanuel Macron.

Depuis plusieurs jours, le magazine Têtu et la communauté LGBT mènent une offensive contre elle pour des propos qu’elle aurait tenus, des positions qu’elle aurait adoptées et, plus généralement, un manque de soutien à la cause des homosexuels quand elle était sénatrice. La Première ministre Elisabeth Borne fait ce qu’elle peut pour la sauver, mais au sein du gouvernement et autour, dans ces cercles progressistes qui n’admettent pas qu’on n’ait pas toujours pensé comme eux (comme s’il y avait, dans certains domaines sensibles, une vérité obligatoire), il y a de l’émoi, une indignation larvée ou explicite, même une volonté de la voir disparaître du gouvernement.

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Et, en plus, l’obsession de sa stigmatisation comme si tout au long, notamment depuis 2013 où elle niait l’existence d’une communauté LGBT (elle avait bien tort, elle s’en rend compte aujourd’hui), elle avait perpétré un péché mortel sur le plan de la pensée et de la morale. Parce qu’elle avait emprunté un chemin différent, elle serait pestiférée ? Cela continue. Une centaine de personnalités (dont des membres de la majorité présidentielle, en particulier Manuel Valls qui a des leçons à donner!) dénoncent « les propos homophobes » de la ministre et déjà un autre est dans le collimateur, Christophe Béchu (il a fait retirer, paraît-il, une campagne de prévention contre le VIH montrant des couples gays). Je ne serais jamais de ceux, aussi modeste que soit mon rôle, qui participeront à un tel lynchage où ce qui est déclaré bienséant et correct a décidé d’éradiquer ce qui fut et n’était pas un crime contre la liberté de l’esprit. On a concédé l’honneur de notre liberté de conviction et d’expression à des groupes qui en usent comme ils l’entendent. Double défaite : on l’a perdue puis on est châtié !

Caroline Cayeux s’est excusée, a fait amende honorable, a affirmé qu’elle regrettait et qu’aujourd’hui elle ne proférerait plus les mêmes propos ni n’aurait les mêmes convictions. Mais, à l’évidence, cela ne suffit pas et c’est bien là le retour du stalinisme en France que j’ai évoqué dans mon sous-titre.

Pour la communauté LGBT, avoir imposé une repentance n’est pas assez : il faudrait encore que la pécheresse avoue son ignominie et soit honteuse d’avoir eu un jour ces positions insupportables pour elle, intenables aujourd’hui. Il est indécent de seulement regretter : il faut se mépriser, cracher avec volupté sur soi. Et pour rien car dans ce domaine, pour ses accusateurs, rien n’est pardonnable !

Quel étrange pays que celui où on dicte de force le bon grain et l’ivraie sans laisser à la personne concernée la responsabilité d’arbitrer, dès lors qu’elle respecte la loi et de surcroît a même la faiblesse de cracher sur sa liberté passée ! Je refuse de rentrer dans ce débat en couvrant de fleurs la communauté LGBT, ce qui m’aurait assuré une bienveillance de principe. Toutefois, je précise qu’il est évident que j’aurais usé d’une autre forme que la sienne. « Ces gens-là », en effet, apparaît au moins condescendant à l’égard de personnes dont la sexualité et le choix de vie sont juste différents. Mais Caroline Cayeux, en réalité, a été bien trop complaisante. Imaginons une personnalité courageuse. Quand la ministre Olivia Grégoire, pour la défendre, souligne que tout le monde a droit « à une erreur », Caroline Cayeux aurait pu dire qu’elle avait le droit de penser ce qu’elle a pensé, même dans une formulation extrême (le mariage pour tous est « contre-nature »), qu’elle aurait eu le droit de participer à la Manif pour tous, qu’elle n’était pas contrainte de se mêler à toutes les actions festives ou non organisées par les homosexuels et la communauté LGBT (contrairement à ce que lui suggérait sa collègue Marlène Schiappa guère solidaire), qu’il n’était écrit nulle part dans notre code républicain qu’il y avait des convictions qui auraient été honteuses en elles-mêmes, dès lors qu’elles ne se traduisaient jamais par des actes illégaux…

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Que se serait-il passé si Caroline Cayeux avait développé ce point de vue conforme au bel esprit d’une liberté d’expression que la France a connu mais que clairement elle a perdu puisqu’elle accepte, sans se rebeller, des procès staliniens au petit pied où la personne d’emblée déclarée coupable doit se couvrir de cendres et s’avouer indigne ? Alors que jusqu’à nouvel ordre la communauté LGBT n’a pas vocation à nous imposer une autre loi que celle de la République, que Caroline Cayeux respecte…

Le stalinisme intellectuel, c’est interdire d’assumer hier qui n’avait rien de déshonorant au nom d’aujourd’hui et d’un humanisme se vantant d’être totalitaire. Je suis très pessimiste. Ce mouvement est tristement irréversible qui nous conduit vers une dictature des minorités. De communautés qui, pour avoir longtemps souffert, jouissent de délégitimer les convictions contraires et d’humilier les personnes qui les ont partagées. S’en prenant de plus à des personnalités qui offrent, comme Caroline Cayeux, le grand avantage d’accepter l’inquisition qu’elles subissent et de tendre, consentantes, les deux joues… La lâcheté de ce monde politique, de cet univers du pouvoir, m’écœure.

Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Belgique…

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16, rue de la Loi à Bruxelles, cabinet du Premier ministre du gouvernement fédéral. DR.

Dans Du fédéralisme au communisme ? Le carnage belge expliqué à un ami européen, l’essayiste Drieu Godefridi nous révèle le curieux tango que dansent la région flamande et la région wallonne, l’une économiquement florissante, l’autre fauchée comme les blés mais où le gauchisme a le vent en poupe.


Le Belge Drieu Godefridi, auteur libéral, docteur en philosophie, nous renseigne dans son dernier ouvrage sur le « carnage belge ». Belge, notre ami Drieu ? À la première page de son ouvrage, il se définit plus précisément comme un « Flamand francophone ». Élevé dans la langue de Molière et de Jacques Brel, les racines de son « arbre généalogique plongent, toutes, dans la Flandre profonde » nous apprend-il.

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En plus de nous éclairer sur le fonctionnement du fédéralisme belge, Godefridi analyse les raisons de la prospérité flamande et de la déroute économique wallonne. L’auteur s’essaie également à la prospective : à partir des données économiques actuelles, il présente plusieurs scénarios politiques probables pour l’avenir de la Belgique, à moyen et long terme. À commencer par la progression électorale des différents partis d’extrême gauche, et par conséquent,  la possible prise de pouvoir de ces derniers en Wallonie, dès 2024.

Quel avenir politique pour le plat-pays ? Une Wallonie indépendante ? Communiste ? Une révolte flamande ?

Comment en est-on arrivés là ? C’est à la fin des années 1960 que la Belgique se dote d’un système fédéral avec trois régions : la région Bruxelles-Capitale, la Wallonie qui dispose d’une autonomie économique, avec des régions, et la région flamande qui dispose d’une autonomie culturelle avec des communautés. Un système qui, au premier abord, peut paraître complexe – sans compter que Bruxelles est une ville historiquement flamande, qui se trouve en territoire flamand mais qui est majoritairement francophone.

De nombreuses réformes, qui ont dépouillé l’état fédéral de ses compétences au profit des Régions et des Communautés, ont été mises en place pour faciliter l’autonomie de ces dernières. Ces réformes n’ont rien arrangé aux difficultés économiques wallonnes, bien au contraire, la Wallonie étant de plus en plus dépendante de l’argent flamand pour maintenir son train de vie. Selon l’auteur, les Wallons ne travaillent pas assez et l’assistanat y est un véritable problème quand on sait par exemple qu’il n’y a pas de limite dans le temps à l’octroi d’allocations chômage, ce qui n’encourage pas les inactifs à chercher du travail. De plus, les Wallons n’hésitent pas à rabrouer les Flamands lorsque ces derniers leur demandent de faire preuve de rigueur budgétaire. Forcément, cela n’arrange rien aux relations des uns et des autres.

Bien que la Belgique francophone possède un brillant passé industriel, elle n’a pas été capable de le mettre en valeur et de le renouveler (ce qu’a brillamment réussi l’Allemagne voisine). Face à ses difficultés économiques, et face aux faibles recettes réalisées par la Wallonie, elle aurait dû réduire ses dépenses. Comme cela ne s’est jamais produit, la Wallonie est en déroute financière et budgétaire.

La formule du fédéralisme belge

Des compétences contre de l’argent. C’est de cette manière que Drieu Godefridi résume le fédéralisme belge. En effet, les Flamands désirent toujours plus de compétences pour parfaire leur autonomie culturelle et les Wallons désirent toujours plus d’argent flamand pour ne pas sombrer économiquement. Seulement, et c’est ici que le curieux tango entre les deux régions apparaît, pour que l’état fédéral accorde des compétences à la Flandre, celle-ci a besoin du soutien de la Wallonie. Soutien qui s’obtient par un transfert massif de liquidités de la Flandre vers la Wallonie. 6 milliards d’euros, c’est le montant annuel des transferts flamands vers la Wallonie. Sachant que les recettes fiscales wallonnes annuelles sont de 15 milliards, ces transferts représentent 40% des recettes wallonnes. Ils sont donc indispensables, la Wallonie ferait faillite sans, ce qui ne serait pas dans l’intérêt de la Flandre qui est toujours demandeuse de davantage de compétences. Depuis longtemps, de nombreux observateurs glosent sur la disparition de la Belgique. Bien au contraire, pour Drieu Godefridi, le fédéralisme belge n’est pas dans une phase d’épuisement mais connaît une accélération.

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Contrairement aux prêts qu’accorde le FMI à un État et qui sont soumis à des conditions drastiques, les prêts qu’accorde la Flandre à la Wallonie ne sont soumis à aucune condition économique. Cela aggrave le problème. Pour couronner le tout, la Wallonie semble connaître des difficultés lorsqu’il s’agit de dépenser son argent efficacement. Prenons l’exemple de l’enseignement : les Wallons dépensent plus que les Flamands et pourtant les classements internationaux PISA attestent que l’enseignement wallon est parmi les plus médiocres en résultats sur les 28 États membres de l’OCDE, tandis que l’enseignement flamand est supérieur à la moyenne ! Les avantages sociaux dont jouissent les enseignants wallons sont en outre considérables : alors qu’ils sont ceux qui travaillent le moins parmi les pays de l’OCDE, ils sont admissibles à la retraite à 55 ans. Selon Drieu Godefridi, dès qu’un responsable politique propose de revenir sur ces avantages, les syndicats socialistes wallons entrent dans un processus de blocage. Il n’y a pas à dire : les Wallons sont des cousins !

Difficile d’échapper à l’hégémonie culturelle de la gauche

Politiquement, médiatiquement, culturellement, économiquement, la Wallonie est sous influence socialiste. Grâce aux médias publics et à l’école, les socialistes wallons ont fait adhérer à leurs idées des générations entières.

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Drieu Godefridi pointe notamment du doigt le rôle joué par la RTBF (Radio-télévision belge de la Communauté française) et Le Soir, le quotidien francophone le plus important, qui sont, selon lui, de puissants relais de cette propagande socialiste. 80% des enseignants votent pour la gauche et l’extrême gauche : « on peut être en même temps un enseignant et un révolutionnaire marxiste » affirme un enseignant wallon cité dans le bouquin. Et désormais, le Parti Socialiste wallon a été dépassé sur sa gauche par deux partis politiques : ECOLO, le parti écologiste que Godefridi  nous présente comme le plus radical d’Europe et le PTB, un Parti communiste qui revendique « l’héritage marxiste dans son intégralité » !

Un pays sans opposition

Une des caractéristiques du système fédéral belge, enfin, est la neutralisation perverse d’une véritable opposition parlementaire.

Avec la proportionnelle, il y a d’une part une profusion de partis. D’autre part, en raison de la réalité territoriale et linguistique du pays, tout se retrouve multiplié par deux. Au Parlement fédéral, il y a ainsi deux partis libéraux (un francophone et un flamand), un parti socialiste francophone et son pendant flamand Vooruit. Ce sont des partis distincts politiquement, qui n’ont pas les mêmes programmes et se retrouvent concurrents lors des élections.

Les Wallons sont de plus en plus nombreux à envisager le communisme comme une solution. Drieu Godefridi dessine le paysage politique wallon actuel : 20% des voix vont aux communistes (PTB), 20% pour les socialistes (PS), et 15 à 20 % pour les écolos (ECOLO). Le PTB souhaite une sortie de la Wallonie des traités européens, mais pour cela il faudrait que la Belgique en sorte et les Flamands bien plus raisonnables s’y opposent évidemment. Restent deux possibilités : soit le PTB renonce à son marxisme révolutionnaire (inconciliable avec les traités européens), soit la Wallonie proclame son indépendance, sort de l’UE et de l’euro, ce qui entraînerait alors à coup sûr sa faillite. Comment va-t-elle renégocier le refinancement de ses emprunts sur les marchés sans monnaie propre ? « Avec un Wallécu ? » questionne ironiquement l’auteur. Ce dernier a abandonné l’idée que la Wallonie pourrait se réformer par la voie électorale et parlementaire. Cette impasse institutionnelle, cette absence de réforme structurelle fait que le changement viendra de l’extérieur, comme ce fut le cas pour la Grèce. Le réalisme économique s’imposera tôt ou tard et le retour de bâton pourrait être brutal. « Faut-il encore et toujours que des réalités vulgairement arithmétiques viennent casser l’ambiance » se désole Drieu Godefridi… Et certains se demandent pour quelles raisons le modèle du fédéralisme belge ne s’exporte pas ? Probablement parce que personne ne souhaite être le Flamand de la farce !

Du fédéralisme au communisme ? Le carnage belge expliqué à un ami européen, Texquis, juin 2022

Les plages de Sophie

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Houlgate © Wikimedia commons

Aujourd’hui, Houlgate


Dans les années 90, alors que je devais avoir une vingtaine d’années, avec une amie, nous voulions nous faire un week-end balnéaire, pas loin de Paris. Je lui propose Houlgate, dans le Calvados. « C’est suranné », lui ai-je dit. En effet, cette station balnéaire ne bénéficie pas de la légende proustienne de sa voisine Cabourg, ni du prestige de Deauville ou Trouville. Le nom de la commune est typiquement anglo-normand : holl et gate (trou et passage). Même si la légende veut que les Vikings y aient séjourné. Les Normands chérissent discrètement mais obstinément leurs origines vikings.

Houlgate est vendue par l’office du tourisme comme une station balnéaire familiale, loin du tapage m’as-tu-vu et cinématographique de Deauville et son « Chabadabada », ou de la légende littéraire de Trouville : Duras et ses « Roches Noires », Sagan et son Casino où elle misa sur le 8, le 8 août et remporta 8 millions. Il y avait pourtant un modeste casino à Houlgate, où jeune fille, je buvais au bar des Irish Coffee – il ne fait pas chaud, le soir sur la côte normande- avec mon amoureux de l’époque. Le bar, depuis, a été remplacé par d’horribles machines à sous.

Un bond dans la Belle Epoque

L’étymologie du joli mot « suranné », signifie : « ce qui a plus d’un an ». A Houlgate, nous faisons en fait un bond en arrière… jusqu’à la Belle Epoque. En effet, le front de mer est bordé de ces villas cossues, ventrues et rassurantes, comme l’étaient les hommes de 1910. Les femmes d’alors, qui n’avaient pas encore retiré leurs corsets, y déambulaient avec leurs ombrelles et leurs charmants chapeaux encombrants. Nous les imaginons, dans des costumes de bain à rayures, au début de la vogue des bains chez la bourgeoisie fortunée. Me vient en tête, la jolie série – que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître – « Les dames de la côte » de Nina Companeez, dans laquelle la fiévreuse Fanny Ardant fit ses débuts.

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La Belle Epoque, donc, est représentée par le Grand Hôtel, joyau inscrit aux Monuments Historiques depuis 2000. Aujourd’hui, il n’accueille plus de têtes couronnées comme naguère. Le majestueux bâtiment fut découpé en appartements… La spéculation immobilière n’a pas épargnée Houlgate la surannée.

Cependant, je me souviens des hôtels restaurants où subsistent encore quelques bribes de cette Belle Epoque, comme le 1900, avec sa salle à manger bourgeoise aux nappes blanches, et ses chambres, un peu de guingois, au charme fou du temps d’avant. Mais peut-être que cet endroit n’existe même plus. Je préfère garder intact mon souvenir et ne pas vérifier sur Google.

J’ai séjourné à Houlgate, avec mes parents et ma grand-mère, cette femme du Sud pour qui la Manche représentait le comble de l’exotisme. Je l’entends me dire que sa préférence allait cependant à Cabourg : son père lui avait parlé de Proust. Mais la raison pour laquelle cette station du bord de la Manche est si chère à mon coeur, est la suivante : ma fille, à l’âge de trois semaines à peine, y passa ses premières vacances. Elle est née en juillet 2003, et nous avions fui la canicule parisienne. Elle n’en a bien sûr aucun souvenir, et, du haut de ses dix-neuf ans, lève les yeux au ciel lorsque j’évoque ce tendre moment.

C’était… ma belle époque.

Simenon, Depardieu, l’été

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Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde, "Les volets verts" (sortie le 24 août) de Jean Becker © ARP

Les cartes postales de Pascal Louvrier (1/6)


C’est l’été, la seule saison qui vaut d’être vécue. Un bon bouquin, un arbre au milieu d’un champ, le soleil pas trop cruel dans le bleu céruléen. Un bon bouquin ? C’est une intrigue bien ficelée, des personnages pas forcément sympathiques, un style efficace et quelques remarques qui donnent à réfléchir.

Les volets verts

Georges Simenon (1903-1989) réunit toutes ces qualités. C’est pour cela qu’il est l’un des romanciers les plus lus dans le monde. Ses livres sont régulièrement adaptés à l’écran. Les volets verts, paru en 1950, est devenu un film de Jean Becker, avec Gérard Depardieu et Fanny Ardant. Il sortira fin août. Encore loin au moment où j’écris ces lignes. Les glaçons fondent dans l’alcool lui donnant une couleur jaune paille. Simenon, c’est plutôt à lire dans un port de la Manche, avec des mouettes criardes, une pluie fine derrière les vitres d’une chambre un peu poussiéreuse, pour respecter l’ambiance que privilégie le romancier. Ajoutons des bars louches, de sordides histoires de famille, des enfants dans le placard, des déviances sexuelles, des adultères, des femmes blessées, des bourgeois intraitables, quelques maladies de cœur, des trottoirs luisants où déambulent les marginaux au dos voûté et des prostituées habituées à côtoyer le chagrin des cabossés. De la solitude et des meurtres également. La comédie humaine sans leçon de morale.

Romancier de l’instinct  

Simenon, c’est le romancier de l’instinct. Sa mère ne l’aima pas, lui préférant son jeune frère. Son père mourut alors qu’il avait treize ans à peine. De quoi nourrir l’imaginaire du futur écrivain. Dès ses débuts, il fut remarqué par André Gide et Robert Brasillach. Ce n’est pas rien.

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Les Volets verts, donc, met en scène Emile Maugin, un célèbre acteur, d’une soixantaine d’années, au caractère difficile, autoritaire avec son entourage, cabotin, angoissé, gras et alcoolique. Simenon met en garde le lecteur avec la formule « Toute ressemblance, etc », car il craint qu’on pense que Maugin, c’est Raimu, Michel Simon, Charlie Chaplin, voire W.C. Fields. L’écrivain se moque du procès, mais redoute qu’on perce le mystère de sa création. Car Mangin, c’est un peu, beaucoup, de Simenon lui-même. Le roman, par exemple, s’ouvre sur une visite médicale semblable à celle que l’écrivain avait subie en 1940 avec le verdict suivant : plus que deux ans à vivre. Un traumatisme.

Maugin grogne, renifle, traite les gens de cons. Il est monolithique, connaît toutes les ficelles du métier, refuse de perdre son temps avec les fâcheux. C’est étrange, car ce rôle semble avoir été écrit pour Depardieu, né deux jours après Noël, en 1948. Quand Maugin s’exprime, on croit entendre la voix de Gérard. La maison aux volets verts se situe à Bougival, petite ville où l’acteur et sa famille habitèrent. Cela rend le livre encore plus captivant. Il se lit d’une traite, sans qu’on s’aperçoive que les glaçons ont fondu, ce qui est plutôt bon signe.

Extrait : « Il avait conscience d’avoir réussi, ce matin-là, une des plus belles créations de sa carrière. Des milliers de spectateurs seraient empoignés, des gamins qui allaient à l’école aujourd’hui, la verraient dans dix ans, dans vingt ans, une fois grands, et on leur dirait :

— C’est un des rôles les plus étonnants de Maugin.

Du ‘’grand’’ Maugin. »

Georges Simenon, Les Volets verts, Le Livre de Poche.

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Le voile à toute vapeur

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Ceux qui veulent résister à l’islamisation passent beaucoup de temps à s’écharper sur ce burqini vindicatif qui envahit les plages, ou à combattre le voile religieux « classique » qui cherche à s’immiscer à l’université, lors des sorties scolaires, dans les entreprises ou dans nos services publics… Pendant ce temps, nous passons à côté des ravages d’un véritable phénomène de mode affectant la jeunesse sur les réseaux sociaux, et qui est une lame de fond plus inquiétante encore.


De signe religieux ostentatoire en 1989 (Creil), le voile est devenu en 2022 la pièce maîtresse de la tenue de la fashionista convertie à la mode dite modeste ou pudique. Mode qui n’a de modeste et de pudique que le nom. Et les fashionistas sont de plus en plus nombreuses sur les bancs de nos collèges, de nos lycées et de nos universités.

Les grandes marques comme Dolce & Gabbana, Oscar de la Renta, DKNY ont toujours plus ou moins lorgné, et souvent avec succès, vers la clientèle moyen-orientale. Mais, c’est à partir de 2016 que les « petites » marques ont commencé à rivaliser d’ingéniosité pour séduire la clientèle féminine musulmane bien de chez nous. H&M mettant en avant une femme voilée dans ses publicités, Mango sortant une ligne spéciale ramadan, Uniqlo proposant des hijabs revus et corrigés et Marks et Spencer commercialisant les premiers burkinis. Ces initiatives suscitèrent de la part de « nos intellectuels » des réactions à la hauteur de l’agression. Ainsi, dans les colonnes du Monde, Elisabeth Badinter n’hésita pas (avec le résultat que l’on sait) à inviter au « boycott des marques se lançant dans la mode islamique ». Laurence Rossignol se montra, quant à elle, très ferme chez Bourdin et gronda bien sévèrement ceux qui, par esprit de lucre, « se mettent en retrait de leur responsabilité sociale et font la promotion de l’enfermement du corps des femmes ». Le pompon revenant à Pierre Bergé qui, très en colère, secoua vigoureusement ses confrères en leur assénant un « renoncez au fric, ayez des convictions » bien senti.

Religion 2.0

Donc, rien de nouveau sous le soleil de Satan. La fusée avait décollé. Et, les réseaux sociaux allaient lui fournir tout le carburant nécessaire. 
Au train où progressent aujourd’hui les musulmanies, il y a fort à parier que nous ne devrons pas attendre six ans pour avouer que nos mondanités actuelles contre le burkini ou le voile des mamans en goguette ne sont finalement que des discussions de bac à sable. Nous avons aimé Greta et le climat, nous allons adorer les muslinettes et la religion 2.0.
En effet, à part la « vieille » Diam’s, qui nous la joue façon moche, avec sa tenue de (bonne) sœur destinée à sublimer sa beauté intérieure, les jeunes modeuses « pudiques et modestes » proposent via Instagram, Tiktok ou Facebook des tendances tout sauf tristes qui se répandent comme des traînées de poudre… explosive.

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Certaines s’arrangent parfaitement avec la mode occidentale « traditionnelle » qu’elles revisitent gentiment. Ainsi, la jeune turque Ecmel rümeysa ocak (476 000 abonnés sur Instagram) « parvient à inspirer ses adeptes, avec sa forme colorée, sa position mignonne et son style tendance ». Certes, ses cheveux sont habilement dissimulés (ce petit quelque chose en moins qui vous donne un vrai truc en plus), mais tous les accessoires féminins classiques sont au rendez-vous : maquillage,  bijoux, sacs, chaussures… Et, tous les modèles mis en valeur se situent dans le très mettable.

En revanche, certaines influenceuses pudiques et modestes, visiblement beaucoup plus orthodoxes, promotionnent des tenues légèrement plus compliquées à porter. Sur les comptes madinaparis (250 000 abonnés), abaya.dress.paris (49 400 abonnés) ou madaa_m (28 500 abonnés), les propositions très couvrantes (euphémisme) sont nettement moins marrantes mais malgré tout ultra séduisantes. Pas un voile mais des voiles, se superposant, jouant les uns avec les autres, des tissus fluides, des couleurs sublimes. Ce n’est pas certain qu’ainsi attifée il soit aisé de se livrer à des tas d’activités, mais tout ça a de la gueule. Sans oublier, encore une fois, les accessoires pas franchement modestes. En particulier les superbes sacs, les bijoux et le maquillage bien appuyé que l’on fait plus que deviner. 

L’Afghanistan, l’Iran ? C’est loin tout ça

Avec toutes ces jeunes filles en uniforme « religieux » glamour, genre mille et une nuits modernes, on baigne dans le subliminal. Belles ou laides on ne sait pas, grosses ou minces, on le devine à peine. Mais jeunes, pas de doute. Et, élégantes assurément. Elles se chipotent, elles s’amusent, elles prennent la pose, elle se selfisent, elles aiment la vie. Entre copines, entre filles. L’Afghanistan, l’Iran sont loin, mais loin ! Et la religion : un détail, un tout petit détail. Une sorte de sous-produit qu’elles acceptent déjà plus ou moins (et encore) mais dont elles n’imaginent vraisemblablement pas les implications dans leur future vraie vie. Le palmier qui cache la palmeraie. Le soft power en action. Et qui fonctionne à plein régime.

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Mais, le passage du croc-top et du short moulant à la tenue camouflage ne serait-il pas juste une petite frivolité dans l’air du temps ? Pour conforter cette thèse, La Croix nous apprend début juin, que de jeunes chrétiennes, elles aussi maquillées comme des camions volés, posent voilées sur TikTok et obtiennent elles aussi des centaines de milliers de vues. Mais, contrairement à leurs copines musulmanes, du moins d’après ce que l’on comprend de leur discours, c’est « juste » pour prier. Façon Thérèse d’Avila en quelque sorte. Et, leurs relations avec le sexe opposé ne semblent pas avoir grand-chose à voir avec leur nouveau déguisement. À première vue, pardon La Croix, un épiphénomène assez éloigné de la déferlante modeste et pudique. Cette dernière, qui semble en avoir sous la pédale, durera-t-elle plus longtemps que la vague punk, hippie ou gothique ? Mystère et boule de gomme… arabique.

Euro: année zéro

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Francfort © CHINE NOUVELLE/SIPA

Pour la première fois depuis son entrée en circulation, l’euro est à parité avec le dollar. 


La chose ne s’était produite qu’en l’an 2002, la monnaie unique européenne ayant alors été dépassée par un dollar dopé par une économie américaine au sommet, chutant à son plus bas historique qui est pour l’heure fixé à 0,8230 dollar. 

Un temps envisagée comme monnaie de réserve au même titre que le dollar, l’euro a longtemps été très fort, ce qui a eu notamment pour effet d’aider l’industrie outre-Rhin à être extrêmement compétitive dans le cadre du marché unique. Une évolution qui s’accomplit au détriment de la France, et des pays du Sud, et au principal avantage de l’Allemagne réunifiée, quatrième puissance économique mondiale devenue l’usine du continent, pays exportateur pour lequel l’euro constitue un avantage de compétitivité évident et majeur. Au sein même de l’Union, l’Allemagne est certainement le pays dont l’économie tire les plus grands bénéfices de cette situation.

A lire ensuite, Jean-Luc Gréau et Philippe Murer: Ciel d’orage sur la monnaie unique

L’économiste Charles Gave, spécialiste de la gestion de fonds financiers, qui annonçait lors de l’entrée en vigueur de la monnaie unique que celle-ci se traduirait par « trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d’usines en Allemagne », ne s’était pas trompé – l’euro favorisant selon les pays les bulles financières, l’effondrement de la balance commerciale en l’absence de recours à la dévaluation monétaire ou, au contraire, la compétitivité de l’industrie. Cependant, même l’Allemagne tient la situation pour insatisfaisante, jugeant que l’euro est sous-évalué par rapport au dollar, à l’exact opposé des positions de la France et de l’Italie, la monnaie unique devenant le moyen d’une nouvelle concurrence, plus que d’une convergence des économies et d’une harmonisation des vues. Comment l’expliquer ? L’Allemagne, qui devrait perdre près de 15 millions d’habitants d’ici 2060, est engagée dans une politique « malthusienne » visant à assurer, tant qu’il est encore possible, sa domination économique et la mutation de son organisation sociale en vue d’assurer le financement de ses retraites, comme le maintien durable de sa croissance.

Cette obsession économique, dans un pays marqué par l’inversion rapide de la pyramide des âges, obligé de remplacer ses travailleurs par de la main d’œuvre immigrée, sans égard pour ses équilibres identitaires et sociaux au long cours, ne peut manquer de heurter les impératifs et les aspirations de la France, seule autre puissance continentale susceptible d’assurer le leadership dont l’Europe a cruellement besoin. Dans ces conditions, bien que les Français souhaitent très majoritairement rester dans l’Union, comment s’étonner des réticences à une nouvelle accélération du processus d’intégration ? S’ils peuvent mesurer ou extrapoler ce qu’ils perdraient, comment pourraient-ils évaluer les gains potentiels, forcément sujets à des aléas imprévisibles, sinon hypothétiques ?

Au plus fort de la crise de la dette, l’euro passa sous les 1,20 dollar. Les mesures d’urgence prises par Mario Draghi permirent de rassurer les investisseurs sans que la croissance européenne ne reparte vraiment et ne retrouve son taux de change des années 2007-2008. Le Brexit puis l’élection de Donald Trump avaient déjà un temps fait flancher l’euro, mais jamais la situation n’avait été aussi périlleuse qu’aujourd’hui où l’arc de crises qui frappe le continent met à mal son équilibre macroéconomique de court et moyen terme. Nous replongeons donc vingt ans en arrière avec un euro faible, qui met en danger le patrimoine des Européens jusqu’alors protégé. L’Allemagne porte une grande responsabilité. Comme l’avait justement dénoncé Donald Trump en 2017, Berlin s’est enchaîné à l’énergie russe à bas coût. Sa dépendance au gaz russe se couple à une inflation galopante qui fragilise grandement « l’usine du continent ». Au point d’ailleurs que son opinion publique pourrait rapidement reconsidérer sa position, notamment dans l’ex-Allemagne de l’est encore marquée par l’expérience communiste. Il est notable que la Russie a attendu l’achèvement de Nord-Stream 2 pour envahir l’Ukraine et avoir une arme de chantage afin de pratiquer une guerre asymétrique.

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Pour nous Français, la baisse de l’euro représente autant de difficultés que d’opportunités. Airbus voit son carnet de commandes se remplir après deux années de pandémie durant lesquelles l’avenir de l’avionneur était compromis. Produisant en euros mais vendant en dollars ou en yuans, Airbus enregistre des profits importants et consolide sa position sur ce segment important. Notre industrie du luxe exportatrice, les professionnels du tourisme ou nos viticulteurs peuvent aussi se réjouir de la situation. Pour ce qui concerne notre industrie automobile, la baisse est neutre compte tenu du fait que les marchés sont régionaux et que nous vendons en euro ce que nous produisons en euro. En Chine, les usines Peugeot produisent en yuan… et vendent en yuans. Évidemment, l’inflation sera plus durement ressentie avec la baisse de la valeur de l’euro, mais le marché européen reste puissant et à haute valeur ajoutée. Il n’est donc pour le moment pas question de céder à une éventuelle panique. 

Peut-être, rêvons un peu, que ce choc psychologique provoqué par le retour des conflictualités de haute intensité sur le continent nous obligera à faire preuve de ressources morales et d’innovation. Nous en avons ainsi enfin fini avec la mortifère idéologie anti-nucléaire, mais nous pourrions aussi en profiter pour reconsidérer nos « modèles » et lutter contre la mauvaise dépense publique. Un choc fiscal d’envergure pourrait ainsi redonner du pouvoir d’achat aux classes moyennes. Au travail !