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Croquis de famille

Pourquoi faut-il (re)lire l’œuvre enchanteresse du critique et écrivain François Bott, disparu le 22 septembre dernier ?


Nous étions au printemps, il y a sept ans, peut-être. La famille au grand complet de Service Littéraire s’était réunie sous l’invitation du condottiere François Cérésa dans un restaurant du VIIème arrondissement, derrière la basilique Sainte-Clotilde. L’ombre de Druon veillait sur cette assemblée disparate et indisciplinée. François tentait de mener à l’épée ses chroniqueurs insoumis, avec la faconde du playboy poulbot et cet air canaille dont il ne se départait jamais. Le verbe haut et la camaraderie à la boutonnière. C’est l’image que je me fais d’un écrivain racé et rieur qui se moque des affèteries progressistes. Les dernières traces de l’esprit français avaient trouvé refuge dans la rue même où mourut la Comtesse de Ségur en 1874. Les tables se formèrent dans le chahut et l’allégresse. Tout le monde respectait la règle tacite, ne pas parler littérature sous peine d’exclusion. Quelle atroce faute de goût de raconter les misères de l’écriture et les affres de la création en s’empiffrant de charcuterie, d’égrener le nom d’écrivains célèbres pour parader ou de s’inventer des parentèles imaginaires pour exister socialement. Nous n’étions pas à l’école, ni à la Maison de la Radio. Un examen ne clôturait pas la soirée. Cette manie des bons et mauvais points est la cause principale de notre déclassement culturel. Nous savions nous tenir. La lecture est une occupation trop intime pour l’exposer en pâture, pour la déflorer à la hussarde, pour s’en servir de strapontin mondain. La conversation filait sur des sujets autrement plus capitaux, le championnat de France de fromage de tête venait d’annoncer son podium, Arnaud Guillon hésitait entre acquérir, avant l’été, un cabriolet Peugeot 504 et un Duetto coda longa, ce qui le plongeait dans un abîme de perplexité ; tout le monde s’accordait sur l’essentiel, la cupidité des éditeurs, la laideur des périphéries, la police des opinions et regrettait les standards de la chanson italienne.

Adriano Celentano fut cité à plusieurs reprises au cours du repas, avec une forme d’émotion adolescente et d’érotisme perlant. Tout le monde ne pensait plus à écrire un chef d’œuvre nobelisé mais à enfourcher une Vespa et à visiter les plages de Rimini sous un soleil cajoleur à la recherche d’un amour fugace. Le hasard du placement tient du mystère et un peu de la mystique gastronomique. Certains soirs, des tablées impromptues scellent des amitiés merveilleuses et éphémères qui, longtemps après, propagent le venin de la mélancolie. En face de moi, Roland Jaccard taquinait le juge Lambert sur des questions de procédure ; à ma droite, Gérald Sibleyras, dramaturge vedette et Sylvie Perez, fine plume évoquaient le crachin londonien ; tout le monde se marrait ; tout le monde était heureux de trinquer ensemble.

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Et puis, en bout de table, l’homme à la pipe était là, calme et précis, l’allure d’un officier de marine, des manières de seigneur bourguignon, jamais un mot de trop, l’élégance n’aime pas les éclats de voix, à l’image de ses critiques limpides et fluides, secouées par cette onde nostalgique dont nous recherchons la vague comme les surfeurs attentifs de la Côte basque, il imposait sa stature de commandeur des lettres, sans bomber le torse, sans capter l’auditoire par des références surnuméraires, sans lever le doigt comme un bon élève. Nous savions qui il était, nous l’avions tous lu, ça suffisait à notre bonheur.

A côté d’un Renaud Matignon au tempérament plus éruptif, François Bott fut un prescripteur léger quand l’école avait déjà failli à notre éducation littéraire. Ces deux-là chassaient les camarillas et les fausses valeurs, ils n’écrivaient pas à l’encre plombée. Ils élevaient notre niveau de lecture, nous apprenaient à repérer les dissidents et à affermir notre goût, à exiger des écrivains un style et un élan salvateur. « Né en 1935, François Bott avait dirigé les pages littéraires de L’Express, puis Le Monde des livres après avoir fondé Le Magazine littéraire», comme l’indiquait la notice biographique sur la couverture de ses livres republiés dans la collection la petite vermillon. En souvenir de ce dîner où nous n’avions échangé que quelques réflexions anodines, j’ai relu, hier soir, ses croquis littéraires réunis dans Il nous est arrivé d’être jeunes. De courts textes véloces qui accélèrent d’Aragon à Roger Vailland en passant par Vialatte ou Louis Nucéra où l’art du critique se fait didactique sans être pesant, instructif sans être alarmiste, respectueux sans être dupe. J’ai pris une leçon d’écriture par la concision du propos et le sens de la formule flibustière. Bott balance, canonne, bombarde sans les effets habituels. D’une combinaison inusitée, il croque un écrivain en une seule phrase et capture l’essence même d’une plume. De Cioran, il écrit qu’« il aimait le vélo et les marquises des Lumières ». C’est admirable et perspicace. De Morand, il confesse que « la géographie était sa religion ». De René de Obaldia, farceur disparu en début d’année 2022, il le décrit comme un « humoriste noir et rose, le néant le met de bonne humeur ». Il place très haut Charles Trenet dans son panthéon personnel et se félicite de la reparution des romans de Jean Freustié. Et il s’interroge, à propos d’Aragon, sur le style : «Ne serait-il que l’art de se faire pardonner diverses vilenies, par exemple, cette façon d’ignorer, de couvrir, sinon de légitimer le goulag et la dictature stalinienne ?» Aujourd’hui, il semble que ce soit l’absence de style qui légitime les pires âneries et renoncements.

François Bott, Il nous est arrivé d’être jeunes, La Table Ronde, 272 pages, 8,10€.

Gare au loup !

C’est plus écologique d’être plongé dans le noir, la sécurité n’est plus à la mode.


Les maires de nombreuses communes en France ont décidé de suivre le bon exemple de ceux de Chambéry et de Rennes, socialistes, ou de Bordeaux, écologiste, en adoptant le plan de sobriété énergétique et en coupant leur éclairage public de minuit à six heures du matin. Tant pis pour les badauds qui déambulent à l’aveuglette ! En plus de réduire la facture d’électricité, éteindre les lampadaires donne aux communes un bon point écolo. Mais quid des habitants confrontés à notre peur primordiale : le noir et le monstre qui s’y cache ? À Guengat, dans le Finistère, où les lampadaires seront désormais éteints à partir de 21 h 30, des piétons et des étudiants ont été interrogés par nos confrères de France Bleu. Aude, 23 ans, souligne que « ça pose question, en termes de sécurité. Surtout pour les jeunes femmes. » En effet, depuis longtemps, les féministes accusent nos villes d’être des espaces « genrés », conçus pour les hommes, notamment à travers un éclairage nocturne inadéquat qui décourage la circulation des femmes. Il y a deux ans, le Conseil économique social et environnemental (CESE) adoptait une résolution appelant les autorités publiques à « agir sur l’éclairage » dans les villes pour réduire la sensation d’insécurité chez les femmes. Le gouvernement nous dit que « chaque geste compte » et qu’il faut se résigner à ne plus vivre comme avant. Pourtant, ce sentiment d’insécurité, renforcé par le fait que ni la police ni les caméras de vidéosurveillance ne peuvent faire leur travail dans le noir, représente bien un retour à la ville du Moyen Âge, tout particulièrement pour les femmes. Certes, l’écologie est un combat louable, ainsi que la sobriété énergétique, mais aucun thuriféraire de ces causes ne semble relever le fait qu’elles sont désormais en contradiction flagrante avec #MeToo.

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Mythe et mythes de la Guerre d’Espagne: les raisons d’une polémique

La publication en français d’un livre présentant une nouvelle approche de la Guerre d’Espagne vient de montrer que les questions d’historiographie se transforment trop souvent en questions de politique contemporaine. Le gouvernement espagnol et l’intelligentsia française de gauche ont dénoncé l’auteur de ce livre, Pío Moa, comme un dangereux révisionniste. Le spécialiste américain de la Guerre d’Espagne, Stanley Payne, vient de publier un article un article qui répond à ces critiques. Le texte est ici traduit en français et présenté par Arnaud Imatz.


La publication d’un long entretien avec Pío Moa, auteur de Les mythes de la Guerre d’Espagne, dans le Figaro Histoire de juillet 2022, et la mise en ligne d’une vidéo vue par plus d’1.300.000 internautes ont soulevé l’indignation de nombre de journalistes et universitaires admirateurs du Front populaire espagnol. Le 22 août, Le Figaro a publié la réponse virulente d’un proche du gouvernement socialiste, président de l’Association pour la récupération de la mémoire historique, Emilio Silva. Plus de cent historiens français se sont dit par ailleurs « consternés » et ont publié une lettre ouverte, à laquelle plusieurs médias complaisants envers la gauche radicale ont fait largement écho. Le 13 novembre dernier, le quotidien madrilène El País a consacré à son tour une page à la polémique française sur la traduction du livre de Moa. Le sujet semble d’autant plus sensible en Espagne que le gouvernement vient de faire adopter une « loi de mémoire démocratique » qui prétend censurer et pénaliser les opinions trop éloignées de la doxa officielle. Signe des temps, la Poste espagnole vient d’imprimer un timbre avec une faucille et un marteau aux couleurs de la République du Front populaire pour célébrer les cent ans de la fondation du PCE.  

Dans l’article qui suit, publié simultanément aux États-Unis, dans la revue culturelle Chronicles, l’historien Stanley Payne, l’un des plus prestigieux spécialistes mondiaux de la République et de la Guerre d’Espagne, reconnu pour son honnêteté, sa rigueur et sa pondération, auteur de plus de trente livres dont La guerre d’Espagne. L’histoire face à la confusion mémorielle (Le Cerf, 2010), répond aux censeurs de Moa et remet les pendules à l’heure.  


À la fin du vingtième siècle, tous les grands mythes politiques ou religions séculières étaient plus ou moins discrédités. Un seul allait néanmoins survivre en Europe sous sa forme classique et même connaitre un renouveau majeur. Le mythe de la République espagnole et de la Guerre civile, sous la vieille bannière du Front populaire de la «démocratie républicaine», a bel et bien été ressuscité par la dernière génération de la gauche espagnole. Au cours des dernières années, il est devenu le «nouveau» mythe fondateur de l’Espagne, dont l’objectif est de radicaliser l’actuelle monarchie constitutionnelle ou de la remplacer par une autre république extrémiste de style latino-américain.  

La révolution espagnole de 1936-1939 a été la seule révolution collectiviste de masse, violente, qui s’est déroulée dans un pays d’Europe occidentale au XXe siècle. Elle a échoué pour diverses raisons, mais essentiellement parce que les modérés et les conservateurs espagnols se sont rebellés de manière préventive avant que la domination des institutions par le processus révolutionnaire ne soit achevée. Les révolutionnaires se sont vus dès lors confrontés à un véritable dilemme : essayer de mener une révolution de masse violente tout en menant une guerre civile à grande échelle, ce qui s’est avéré au-dessus de leurs capacités.  

La révolution espagnole est également unique dans l’histoire européenne en ce qu’elle a été d’abord impulsée par des socialistes et des anarchistes, et que c’est seulement pendant la guerre civile que le communisme est passé au premier plan. Les dirigeants soviétiques ont compris, dès le début, qu’une nouvelle révolution en Europe occidentale devait être camouflée en «démocratie républicaine» pour être acceptable et acceptée par l’opinion publique internationale. Moins d’un an plus tôt, le Komintern avait modifié son approche révolutionnaire, qui avait conduit à des résultats si désastreux en Allemagne, en faveur d’une nouvelle alliance de type «Front populaire» qui puisse instrumentaliser la démocratie occidentale au nom de l’«antifascisme», nouveau motif-clé de la propagande. La présentation du conflit espagnol comme un combat entre «la démocratie et le fascisme» était un stratagème qui devait connaitre un succès considérable, notamment au sein de l’intelligentsia occidentale alors de plus en plus favorable à la lutte contre Hitler et Mussolini.  

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Pour diverses raisons complexes, l’histoire de l’Espagne a toujours été l’une des plus difficiles à comprendre de tous les pays occidentaux. Ses singularités marquées et ses courants et contre-courants apparents ont naturellement déconcerté les étrangers, ce qui a contribué à donner au modèle du Front populaire espagnol une forme mythique largement acceptée pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette forme a été ensuite modifiée pour présenter le conflit espagnol comme le «début» ou le «premier round» de la Seconde Guerre mondiale, un saut imaginatif tout aussi extrême.  

Lorsque j’ai commencé à étudier l’histoire de l’Espagne, dans les années 1950, j’ai réalisé que les aspects les plus extrêmes du mythe étaient exagérés, mais j’ai néanmoins accepté l’interprétation standard de la «République espagnole démocratique» et de sa gauche au moins semi-démocratique.  Il n’existait pas alors de littérature scientifique sérieuse prouvant le contraire. De plus, mes deux premiers livres sur les affaires espagnoles qui traitaient des forces-clés de la droite, la Phalange fasciste (1961), et l’armée (1967), avaient été accueillis avec enthousiasme par la critique, plus particulièrement par celle des auteurs de gauche.  

Je n’avais pas eu jusque-là l’idée d’enquêter sur les révolutionnaires et c’est Jack Greene, historien américaniste de l’Université Johns Hopkins, qui m’a suggéré de le faire. En plein «boom de l’histoire» des années 1960, il était chargé d’éditer une série de dix volumes sur «Les révolutions dans le monde moderne». Green m’a donc invité à rédiger l’étude sur l’Espagne et, après réflexion, j’ai accepté.  Les recherches que j’ai menées sur la gauche espagnole entre 1966 et 1968 ont constitué, je crois, «un avant et un après» dans la compréhension de l’histoire espagnole récente. J’ai été particulièrement surpris de constater que la gauche espagnole n’était pas nourrie de réformistes maladroits et bien intentionnés, telle qu’elle était censée l’zêtre selon le mythe, mais au contraire de personnes autoritaires, très déterminées, dont les sectateurs révolutionnaires s’étaient consacrés, avec une violence toujours plus grande, à l’attaque directe des institutions.  

Ces recherches ont finalement donné naissance à The Spanish Revolution (1970), une étude de la gauche révolutionnaire espagnole, de ses origines à sa défaite finale en 1939. Certaines interprétations ont dû être révisées depuis, après l’ouverture de nouvelles archives, en particulier celles de l’ancienne Union soviétique, mais ce livre reste à ce jour la seule étude publiée dans le monde en un seul volume sur l’ensemble du processus révolutionnaire en Espagne.  Le «Book World» du Washington Post le désigna comme l’un des cinquante livres les plus remarquables de l’année 1970 et, la censure espagnole s’étant relâchée, deux traductions espagnoles différentes furent publiées au cours de la décennie suivante. Les commentateurs de gauche, qui avaient salué mes deux premiers principaux livres sur l’Espagne, se montrèrent en revanche souvent cinglants à l’égard de The Spanish Revolution, ouvrage qui avait osé mettre à nu le mythe jusque-là bien établi.  

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Les années 1970 ont été une décennie de transformations spectaculaires en Espagne, le pays ayant pris alors une initiative tout à fait à contre-courant. Au plus fort de la phase finale de l’expansion communiste dans le cadre de la guerre froide, l’Espagne a procédé à un surprenant changement de régime en faveur de la démocratie libérale, initiant ainsi la dernière grande vague de démocratisation du XXe siècle. Celle-ci allait durer, non seulement en Espagne mais dans le monde, jusque dans les années 1990. La censure prit fin dans la Péninsule et il s’en suivit un intérêt décuplé pour l’histoire contemporaine. Le nouvel esprit semblait vouloir enterrer le passé, tout au moins en ce qui concerne la politique partisane, pour laisser l’histoire aux universitaires.  

C’était du moins ce qu’il semblait être.  Mais en réalité, à cette époque la génération «nouvelle gauche» des années soixante avait déjà commencé à investir les universités espagnoles. Elle l’avait même fait sous un régime franquiste de plus en plus tolérant, et elle allait rapidement étendre sa domination dans la majorité du système universitaire en pleine expansion.    

Par ailleurs, les milieux politiques modérés et conservateurs se montraient étonnamment peu intéressés par la culture et l’histoire récente, vivant dans la crainte perpétuelle d’être traités de «franquistes». La conséquence a été que dans les dernières années du XXe siècle, la domination de la gauche sur les médias, la culture et l’éducation est devenue encore plus complète en Espagne que dans beaucoup d’autres pays occidentaux. Plusieurs sujets et plusieurs thèmes sont devenus tabous, même si la liberté d’expression fondamentale a continué d’exister dans l’ensemble du pays, à l’exception partielle des universités.  

Il en est résulté un véritable dilemme, illustré notamment par la carrière de Javier Tusell, principal historien politique espagnol de la fin du vingtième siècle. Ce dernier a publié en trente-cinq ans une bonne vingtaine de livres, tous de grande qualité et la plupart basés sur des recherches d’archives originales, mais, soucieux de conserver sa liberté de pensée et d’interprétation critique tout en restant dans les bonnes grâces de ses collègues, il a préféré se consacrer essentiellement à des études sur la droite espagnole sans jamais entreprendre la moindre étude critique importante sur l’un des aspects de la gauche. À partir des années 1990, la conformité historiographique au mythe de la République et de la Guerre civile a été presque complète.  

C’est précisément dans cette situation de stagnation intellectuelle qu’est soudainement apparu, en 1999, l’ouvrage d’un auteur totalement inconnu, Pío Moa, Los orígenes de la Guerra Civil española. Il ne s’agissait pas d’un universitaire, mais d’un chercheur indépendant, le genre de personne beaucoup plus rare en Espagne que dans le monde anglophone. Moa était un marxiste repenti qui avait commencé sa vie d’adulte comme membre actif du FRAP, une organisation terroriste révolutionnaire des années 1970 qui avait combattu bec et ongles la démocratisation de l’Espagne. Puis, dans les années suivantes, il s’était consacré à une longue étude sur l’histoire de son pays. Au bout de deux décennies, Moa était parvenu à des conclusions qui allaient à l’encontre de ses premières convictions, mais aussi des mythes conventionnels sur la vie politique espagnole contemporaine.  

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Son premier livre s’attaquait directement non pas aux mythes de la guerre civile elle-même, mais aux idées reçues sur son contexte. Il exposait et analysait les «origines» du conflit en 1933-34, lorsque la gauche avait d’abord cherché à imposer un système exclusiviste puis, ayant échoué, s’était tournée vers de multiples insurrections révolutionnaires, dont le point culminant avait été le violent assaut de masse socialiste de 1934. Cet ouvrage le plus important et le plus original de l’historiographie espagnole récente, a été rapidement suivi de deux autres : Los personajes de la República vistos por ellos mismos (Les dirigeants de la République décrits par eux-mêmes) (2000), qui est un portrait révélateur des principaux dirigeants de gauche vus au travers des descriptions originales et acerbes qu’ils ont faites d’eux-mêmes, et El derrumbe de la Segunda República y la guerra civil (L’effondrement de la Seconde République et la guerre civile) (2001), qui traite en détail de l’apogée du processus révolutionnaire de la République et du début de la guerre. Les lecteurs espagnols ont réagi avec enthousiasme devant ces livres, d’autant plus que Moa a fait preuve non seulement d’audace et d’originalité analytiques, mais aussi d’un talent littéraire inhabituel, qui tranche avec l’expression lourde et maladroite de tant d’historiens espagnols.  

Le corps professoral de gauche s’est indigné, et son chœur de dénonciation, apparemment unanime, a intimidé quiconque aurait pu oser dire un mot en faveur de Moa. Ce qui est remarquable dans le déluge d’injures qu’il a reçu, c’est qu’il n’y a pratiquement pas eu de débat ou de critique sérieuse sur les interprétations et les réalités factuelles soulignées par l’auteur. Bien au contraire, la critique s’est concentrée, dans un style typiquement espagnol, sur des attaques ad hominem. Ces critiques outrancières ont mis surtout l’accent sur le manque de titres universitaires de Moa, insistant le plus souvent sur le fait que seul un «professeur» pouvait produire un travail historique valable. Un argument d’autant plus absurde que la plupart des professeurs d’histoire espagnols ne sont guère que des bureaucrates opportunistes qui ne produisent que de maigres publications historiques, et souvent même aucune.  

Le point culminant des premiers travaux de Moa a été atteint en 2003, lorsqu’une grande maison d’édition, La Esfera de los Libros, a publié son livre Los mitos de la Guerra Civil (récemment publié en France par les Éditions de l’Artilleur sous le titre Les mythes de la Guerre d’Espagne). Dans la Péninsule, ce livre a été la sensation éditoriale de l’année dans le domaine de la non-fiction, se vendant à plus de 150 000 exemplaires (et même finalement à 300 000). Ce succès indiquait une soif des lecteurs espagnols pour une histoire critique désireuse de briser le tabou mythique. Comme les médias et les publications universitaires de l’establishment l’ont généralement ignoré, Álvaro Delgado-Gal, l’astucieux rédacteur en chef de Revista de Libros, principale revue de critique de livres du pays, a décidé de rompre le boycott du silence en demandant à un historien non espagnol de critiquer le livre. Il m’a invité à entreprendre cette tâche et j’ai répondu avec empressement. Mon compte rendu a mis en évidence les questions-clés sur lesquelles Moa a proposé des analyses tranchantes et de nouvelles interprétations significatives fondées sur des données convaincantes. Si plusieurs d’entre elles pouvaient être remises en question, la responsabilité des universitaires sérieux était de débattre et/ou de réfuter les points litigieux plutôt que d’imposer une censure à priori. Ma conclusion était que le livre, même imparfait, était une contribution majeure au débat sur la guerre civile. On a alors demandé à Santos Juliá, parfois considéré comme le principal historien socialiste dans ce domaine, de répondre, mais il s’est contenté de répéter qu’il était inacceptable de parler de Moa et a même menacé de m’expulser de la confrérie des historiens professionnels pour avoir osé suggérer que le sujet méritait un débat honnête.  

Los mitos de la Guerra civil (Les mythes de la guerre d’Espagne) n’est pas une histoire générale de plus, mais une étude des personnalités et des questions-clés qui, selon l’interprétation gauchiste standard, ont été mythifiées, diabolisées ou simplement déformées. Ce livre consacre des chapitres entiers à dix des principales figures, et offre des discussions incisives qui s’écartent souvent des récits habituels. La partie principale traite de dix-sept questions ou aspects-clés, tels que l’effet de «l’armement des masses», la création du «premier pont aérien de l’histoire», «la plus grande persécution religieuse de l’histoire», plusieurs des plus grandes atrocités ou atrocités présumées, l’envoi de la réserve d’or nationale espagnole à Moscou, le caractère et le rôle des Brigades internationales, plusieurs des batailles les plus importantes, l’intervention et la non-intervention étrangères, et les politiques et rôles des deux leaders décisifs, Juan Negrín et Francisco Franco. L’ouvrage se termine par un examen de la place de la guerre civile dans l’histoire de l’Espagne et dans son historiographie.  

Cet ouvrage est unique en ce qu’il adopte une approche thématique et axée sur les principaux problèmes et qu’il remet en cause résolument les mythes dominants. En raison de sa force interprétative, l’effet a été inévitablement polémique, bien que chacune des analyses aient été soigneusement raisonnées et présentées dans la prose typiquement lucide et souvent éloquente de Moa. Il a dès lors occupé une position unique – celle de l’historien le plus lu de son pays – mais condamné à un ostracisme permanent par le système universitaire public et les médias de l’establishment. Dans d’autres pays, des historiens non universitaires atteignent parfois des positions vénérables, le plus souvent parce qu’ils produisent avant tout des œuvrettes conformistes sur le passé national. En revanche, Moa est devenu à lui seul une sorte de mouvement unipersonnel qui s’est dressé contre l’establishment espagnol de gauche pour offrir des explications et des interprétations indépendantes sur les principaux problèmes historiques. Et cela a conduit presque inévitablement à une approche de plus en plus polémique, à une entreprise solitaire nécessitant une endurance personnelle et un courage moral impressionnants. 

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Le progrès des connaissances historiques se fait principalement de deux manières : la première, qui est la voie habituelle, est celle de la nouvelle recherche primaire ; la seconde, moins fréquente, mais plus stimulante intellectuellement, est celle du réexamen et de la nouvelle analyse des travaux antérieurs. Seule une petite partie de la production de Moa est basée sur la recherche primaire, car la plus grande partie porte sur le réexamen de matériaux existants qui ont été soit ignorés, soit délibérément déformés dans les études et travaux précédents.  

Moa est un spécialiste et un écrivain prolifique qui, au cours des deux dernières décennies, a produit de nombreux ouvrages traitant de thèmes historiques plus larges, notamment son impressionnant La Reconquista y España (2018). Il est aussi l’auteur de deux romans et de plusieurs essais sur divers thèmes. Il est probablement exact de dire qu’il a joué un rôle plus important dans la vie culturelle et intellectuelle de son pays que n’importe quel autre universitaire indépendant d’Europe ou d’ailleurs, même s’il restera toujours un historien maudit pour l’establishment culturel aveugle de son pays. Cela dit, il reste encore une petite poignée de professeurs dans les universités espagnoles qui font un travail sérieux, indépendant et objectif, et qui apportent des contributions majeures, mais ils doivent faire très attention à éviter les approches les plus controversées.  

Dans mes propres travaux, j’ai abordé nombre de ces sujets à peu près au moment même où Moa commençait à publier. Mon objectif initial était d’utiliser les nouveaux documents provenant des archives soviétiques, afin de clarifier les politiques soviétique et communiste en Espagne, lesquelles avaient toujours suscité la controverse. Après six ans de recherche, j’ai publié The Spanish Civil Warthe Soviet Union and Communism (2003), à la suite de quoi j’ai suivi le précepte énoncé par José Ortega y Gasset, en 1938, selon lequel la chose la plus importante à savoir sur la guerre d’Espagne est «comment elle a commencé». Cela a débouché d’abord sur The Collapse of the Spanish Republic 1933-1936, que l’Université de Yale a publié en 2006. D’autres études sur divers aspects ont suivi, le point d’orgue étant The Spanish Civil War, conçu comme un résumé analytique pour les nouveaux lecteurs, qui a été publié en 2012 comme l’une des «Cambridge Essential Histories». Mon autre travail de conclusion dans ce domaine a été un effort pour replacer la révolution et la guerre civile espagnoles dans leur contexte historique approprié. Il ne s’agissait pas de la Seconde Guerre mondiale, dans laquelle l’Espagne n’était pas belligérante, mais plutôt des guerres civiles révolutionnaires européennes de l’époque. J’en ai donné un résumé dans Civil War in Europe 1905-1949 (2011).  

En ce début du XXIe siècle, la politisation de l’histoire a joué en Espagne un rôle plus grand que dans n’importe quel autre pays occidental. Nulle part ailleurs, du moins à l’exclusion de la Russie en 2022, le gouvernement n’a proposé des lois de censure nationale spécifiques régissant la discussion et l’interprétation de l’histoire récente. La première loi socialiste espagnole de 2006, la «Loi sur la mémoire historique», n’allait pas plus loin que des subventions d’État pour le prosélytisme de certaines versions approuvées ; mais la nouvelle loi de 2022, la «Loi de mémoire démocratique», de nature stalinienne (voire poutinienne) prévoit des peines d’emprisonnement et de fortes amendes. Une fois de plus, comme en tant d’autres occasions depuis 1821, la gauche espagnole cherche à prendre la tête de la radicalisation politique au sein des pays occidentaux.  

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France cherche cerveaux

A force d’exporter ses bac+7 et d’importer des bac-5, notre pays connait un appauvrissement intellectuel inédit.


La grande misère de la recherche en France explique en partie une autre réalité tout aussi inquiétante : la fuite de ses cerveaux les plus brillants. Si la qualité de nos formations de haut niveau permet aux meilleurs étudiants et aux entrepreneurs les plus capables d’émigrer dans les pays les plus innovants et les plus créatifs, force est de constater que leur départ n’est pas compensé. En somme, nous laissons partir les potentiels les plus performants et importons essentiellement des populations sans qualification.

Les raisons de la fuite des cerveaux sont multiples, mais leur dénominateur commun est l’incapacité de notre pays à créer un environnement à la fois sécurisant et dynamique pour ces esprits créatifs. Ces hauts potentiels ne trouvent pas en France les conditions de travail et de rémunération qui leur paraissent acceptables et se plaignent souvent d’une bureaucratie étouffante et tatillonne. Symptôme d’une perte d’attractivité du territoire, la défection des premiers de cordée impacte le rayonnement de la France. Et ce d’autant plus qu’elle est à sens unique. L’émigration de chercheurs, d’ingénieurs ou de créateurs d’entreprises de haute technologie français, essentiellement aux États-Unis et en Grande-Bretagne ne s’accompagne pas d’un mouvement inverse en direction de la France de jeunes surdiplômés. En dix ans, entre 2009 et 2018, 1,3 million de Français souvent très diplômés sont partis ; 1,8 million d’étrangers sont arrivés, essentiellement de pays pauvres, hors OCDE. La plupart n’ont aucun diplôme (40 %) ou simplement un diplôme de l’enseignement secondaire (39 %).

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Ces premiers de corvée sont certes très utiles et soulagent souvent les secteurs en tension, mais ils ne constituent pas le vivier de créativité et d’excellence qui seul peut aider une grande nation à maîtriser son avenir. François Bayrou a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme en 2020. Le commissaire au Plan avait réagi très vivement à l’annonce de l’échec de l’Institut Pasteur dans sa tentative de fabrication d’un vaccin contre le Covid. Il notait alors avec amertume que le PDG de la société Moderna, Stéphane Bancel (prépa « Ginette » à Versailles, Centrale Paris, université du Minnesota, Harvard), qui avait mis au point le vaccin à ARN messager aux États-Unis, était français. Interviewé à l’époque sur France Inter, le commissaire au Plan déplorait que « nos chercheurs les plus brillants soient aspirés par le système américain ». Même son de cloche du côté du médaillé Fields et ancien député LREM, Cédric Villani. Il constatait au moment de remettre son rapport sur l’intelligence artificielle en 2018 « qu’en France, des disciplines telles que les mathématiques, l’informatique ou la physique théorique étaient plutôt jusqu’alors épargnées par la fuite des cerveaux. Ce n’est plus le cas. » Or ce type de départ est un signe fort de déclin. La puissance et l’influence d’un pays se mesurent à la capacité d’attirer les talents extérieurs, mais aussi de conserver les siens. Le départ des hauts potentiels et l’arrivée en masse de populations peu instruites augurent rarement de lendemains qui chantent.

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Viva corrida !

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C’est demain que les députés se prononceront en faveur – ou non – de l’interdiction de la corrida. Quel que soit leur vote, cette tradition populaire demeure la seule à incarner une métaphysique de la vie et de la mort…


« Putain ils sont où les chouchous ? » Jérôme, petit et ventru, est debout dans les callejónes, au plus près de la piste, à mes côtés. Il parle des cacahouètes caramélisées vendues dans les gradins des arènes de Béziers pour quelques euros et quelques heureux. Je lève la tête, cherchant les chouchous de Jérôme, tandis que le taureau, fonçant sur le picador, a renversé son cheval. Le courage du taureau l’a fait se ruer sous la pique à la première provocation. « Bravo, toro ! » l’arène est debout pour célébrer la bravoure de cet animal qu’ils chérissent tous comme l’essence de leur identité, comme la preuve de leur enracinement, la force de leur caractère. Le taureau, signe du peuple du Sud, du pays d’Arles au Pays basque, ils ont grandi avec lui, dans la foi taurine, dans le culte des cornes, pour lui ils ont changé leur monde, il est le socle de leur tradition et l’essentiel de leur vertu. Dans le matador, ils se contemplent vivre, mais ils se regardent mourir dans le toro. Cette vision quotidienne leur offre des visages graves et beaux, des yeux de lion, une profondeur inattendue et un panache inespéré. La corrida a fait du sud de la France un sanctuaire de vie. « Mon cigare, c’est mon fils que me l’a offert », me souffle Jérôme, en découvrant ses dents. Penché sur sa métaphore, plongé dans le réseau de ses propres symboles, l’homme de la corrida vibre de son terroir, tout contre le sens de sa terre. À la corrida on chante Carmen et l’hymne de l’Occitanie, et chaque applaudissement résonne tout à la fois pour la beauté de la civilisation européenne et pour l’honneur de sa province.

Voilà, on a trouvé les chouchous. Jérôme en achète pour tout son burladero (sorte de loges qui découpent les callejónes en plusieurs parties). Son téléphone vibre, message d’une femme : « Chéri j’ai acheté un nouveau body ! » Moment de réflexion pour Jérôme. « Hmmmmmm », répond-il après quelques secondes de concentration. Ici, ça baise et ça sue, ça pue la vie bien vécue, ça gueule, tous se mélangent et, dans les arènes, il n’y a plus de barrières sociales, plus de distances physiques, il n’y a que des hommes et des femmes venus assister à leur histoire. Dans quelques minutes, entre deux mises à mort, un père me présentera sa fille.

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Au centre de l’arène, le torero est à genoux. Tourné vers lui, le taureau renâcle et frappe la poussière. Cette image, sa puissance évocatrice (suggestion de mort et espoir de vie), arrête le temps et fige ce face-à-face qui pourtant ne dure que quelques secondes. Jérôme me dit à l’oreille : « Tu vois, il y a les cons qui vont au foot, aux parcs d’attractions, à l’Aquaboulevard. Nous, on va à la corrida ». Le toro fond sur le torero qui ne bouge pas d’un pouce. Il court à une vitesse invraisemblable, cornes immenses en arc de cercle comme un piège qui se referme. Toute l’arène retient son souffle. Jérôme poursuit, imperturbable : « Bien sûr, comme les taureaux sont mis à mort, tout le monde nous prend pour des tortionnaires. Mais ils n’ont rien compris. Ils ne savent pas ce que nous faisons ici ». Le taureau est sur le torero. Celui-ci déploie sa cape, attire à la dernière seconde le taureau sur le côté et se décale légèrement, sans se relever : il passe à un cheveu des cornes. Torrent d’ovations. Jérôme embraye en me regardant : « Ce sont des taureaux de combat. Ils sont nés pour les luttes à mort. Dans les élevages, il est difficile de faire en sorte qu’ils ne s’entretuent pas. Nous, les petits hommes qui craignons les morts violentes, nous projetons cette terreur sur un animal à qui elle est pourtant fondamentalement étrangère. Le cochon d’élevage, le poulet d’abattoir, eux ils ont peur, oui. Étonnamment, cette peur ne nous inquiète pas, au contraire. Elle nous rassure : ils sont faibles comme nous, voilà ce que nous nous disons ».

Le torero s’est redressé. Les banderilleros appellent le taureau afin de lui planter de courtes guirlandes ornementales sur le dos, entre les omoplates. Il tourne son immense tête sombre vers l’un d’eux. Jérôme poursuit avec un sourire : « Mais le taureau n’a jamais peur, et sa formidable adrénaline le préserve de la plupart des douleurs. Après avoir compris et admiré sa nature, nous lui avons construit un temple ». Le taureau fonce sur le porteur des banderilles, qui court vers lui mais de biais, et après un bond invraisemblable, plante les deux banderilles sur le dos de la bête, tandis que le coup de corne envoyé pour l’éventrer ne touche que le vide. Tonnerre d’applaudissements. « En vérité, ce n’est pas la mort du taureau qui scandalise les gens. Ils tuent le chien qui mord, ils tuent le pou qui les pique, l’araignée qui est dans leur chambre, ils l’écrasent sans y penser. Sans parler du nid de guêpes dans leur jardin, ou des abattoirs industriels. Pendant le Covid, on a gazé 15 millions de visons au Danemark, sur un simple signe de tête d’un ministre ». Le taureau fonce sur le deuxième banderillero qui se fait presque encorner, et doit se réfugier derrière les murs de l’arène pour préserver sa vie. Huées du public, impitoyable avec l’échec. « Non, ce qui scandalise, c’est que le rapport du toro (et du torero) à la mort, qu’il ne craint pas, qu’il provoque, qu’il tente, qu’il affronte, le rend fondamentalement étranger à la nature humaine, où plutôt à cette part basse et plaintive de la nature humaine dont la modernité a fait son étendard. La corrida est un affront absolu à la mort telle que la modernité a choisi de la concevoir : odieuse, dépressive, aseptisée, cachée derrière les cloisons d’un hôpital ».

Image © Guillaume Brunet-Lentz

À un mètre de nous, l’un des assistants du matador a maladroitement poussé le taureau à se jeter contre la porte de l’arène, qui manque de céder et s’ouvre à moitié. Le taureau est presque sur nous, qui sommes protégés seulement par un mur. Ses cornes font, au bas mot, la taille de mon avant-bras. À gauche, je sens pâlir le photographe qui m’accompagne. Je pense à mon roman, que je ne terminerai peut-être pas, aux cours d’assises où je n’irai jamais plaider… Jérôme ne cille pas : « La corrida nous renseigne autant sur nous-même qu’elle interroge notre manière de vivre. Tous nous avons nos propres taureaux, nos propres adversaires. À la vue de tels hommes, d’une telle lutte, devrions-nous avoir honte ? Qu’en penses-tu ? » « Je ne sais pas », réponds-je en baissant la tête, confus par la cérémonie belle et terrible à laquelle j’assiste et par le sens surprenant que lui donnent les digressions de Jérôme. Le taureau a été ramené à la raison. Le matador entre en scène.

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Il arrive d’un pas fier, il a caché sa peur, nous l’avions vu il y a trois heures, mes compagnons et moi, enfiler son costume et se livrer à la prière, habité par une concentration d’airain dans la petite chambre d’un hôtel discret, aux abords de Béziers. Il est là pour clore la danse et achever cette corrida, dernier rite païen qui choque profondément une société comme la nôtre, faite de chrétienté dévoyée où la pitié culmine en toute chose, où toute lutte est une dérive, où toute blessure est une violence. Le matador a sa muleta, lourd et immense tissu rouge dont il se sert, non pour tromper le taureau, mais pour le détourner de l’irréparable, pour lui apprendre à jouer, pour le prendre avec lui, pour le comprendre et pour nous faire comprendre.

Exception culturelle, la corrida est surtout exception métaphysique dans l’Occident négateur de mort. « Après, la vie, c’est pas la mère Noël ! » me crie Jérôme entre deux ovations : le torero a enchaîné de belles passes. Presque front contre front, ils dansent ensemble, complices, sur la poussière et sur le sang, c’est tout Béziers qui se tait, bourgeois, racailles et gitans, c’est la novillada, ces jeunes hommes de vingt ans qui entrent dans la légende après des années de ferveur, qui risquent leur vie pour la sagesse de leur sanctuaire, pour la perpétuation du rite.

Le torero qui virevolte devant nous sort à peine de l’adolescence. Issu d’une très riche famille péruvienne, il pourrait sans peine passer ses jours à la plage, faire des mines sur Instagram, comme tous les jeunes et riches oisifs de sa génération. À la place, il a choisi d’être ici, et de jouer avec la mort pour nous faire voir un peu de vie. Derrière lui, il y a les éleveurs avec leurs pâturages immenses, leurs centaines de taureaux qui vivent en liberté dans cet Eden en attendant une mort glorieuse, tout le personnel des arènes, une économie florissante, un bassin d’emplois, des jeunes les yeux pleins de rêves qui passent leur vie dans les écoles taurines, des centaines de passionnés, une structure sociale et un liant culturel infalsifiable et irremplaçable car implanté depuis des siècles. Derrière le torero, des milliers d’hommes et de femmes s’activent et brûlent d’une passion commune, toute une écologie sociale, biologique et financière a trouvé son nexus. Éradiquons ce monde spirituel d’un décret signé par le caprice d’un Créon, par notre vanité morale, et que leur restera-t-il ? La Française des jeux, la drogue, les sites pornos et les parcs d’attractions en plastique seront les détritus de néant qui remplaceront ce rite séculaire. Tous les taureaux mourront. Un Super U ou un terrain de golf remplacera les élevages éteints par cette dépossession culturelle.

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Toro et torero sont si proches, désormais, qu’ils semblent se caresser l’un l’autre, ce sont des étreintes d’adieu ; il y a davantage de sens et de force dans le sentiment que couve cette valse funéraire que dans tous les violons de Netflix. « Musicaaaaa, cogno ! » hurle la foule à la présidence des arènes. Soudain, les trompettes, les bassons et les cors retentissent, comme depuis un autre monde, plus simple, plus juste et révolu : ils accompagnent l’affrontement entre cette masse noire et cette fine silhouette bleu et argent. Je retrouve dans le toro un peu de ce que ce siècle a fait de nous, tête baissée dans de vains tissus, nous qui fonçons dans les murs au premier encouragement et chargeons des chimères, impatience trompeuse obnubilée des couleurs vives, domptés par notre propre aveuglement, sollicités continuellement de notifications en rose, bave aux lèvres de l’âme, inconscients de nos blessures et inavertis de nos souffrances, sentant à peine le sang qui coule sur notre dos, que nous prenons pour la sueur de nos efforts quand c’est la vie qui fuit, la réalité qui nous quitte. Loin de la grande mort du taureau, c’est notre petite mort qui m’occupe l’esprit, sans gloire et sans trompette, non dans l’accord de notre nature mais à son détriment, bien plus immorale et bien plus dangereuse, tandis que la corrida suit son cours inéluctable.

Le torero a convaincu (car vaincre n’est rien sans convaincre). Une oreille est prélevée au taureau mort pour sceller le courage du jeune héros. Paradant pour son tour d’honneur, aux marges de l’arène, il la jette nonchalamment à une jeune admiratrice. Inspiration immédiate et note à moi-même : pour mon premier procès, couper l’oreille du procureur pour la donner à une femme…

L’école à deux vitesses (première partie)

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Notre chroniqueur, qui est en train de penser à un livre sur le sujet, s’est intéressé à un petit ouvrage écrit par un grand spécialiste, dont il partage les convictions sans forcément épouser ses solutions. En tout cas, rien que dans son titre, L’Ecole n’est pas faite pour les pauvres pose bien le problème.


Jean-Paul Delahaye est inspecteur général, ex-directeur général de l’enseignement scolaire, ancien conseiller au ministère de l’Education dans les années 2012-2017 — pas les meilleures… Il connaît à fond les rouages de la rue de Grenelle et de son ombre portée sur toute la France. À ce poste il avait alors publié un rapport éclairant, Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous. Il l’a repris cette année dans un petit livre d’une grande pertinence.

Lui-même n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter. Il arrive d’en bas, là où statistiquement on reste à vie quand on y est né. Il a d’ailleurs évoqué son parcours dans un livre paru l’année dernière et intitulé Exception consolante — une expression empruntée à ce grand pédagogue, porteur de la réforme de Jules Ferry, que fut Ferdinand Buisson. On avait déjà réalisé, sous la IIIe République, que l’Ecole favorisait les favorisés et s’intéressait modérément aux humbles. Delahaye, qui rend hommage dans ce livre à sa « mère courage » qui éleva seule ses enfants dans un coin perdu de Picardie, n’a jamais épargné ses critiques à un système scolaire qui sépare soigneusement les torchons (présumés sales) et les serviettes — toujours propres. Il s’est retrouvé, grain de pauvre dans l’engrenage de la grande machine inégalitaire, professeur d’Histoire-Géographie, avant de monter l’échelle de Jacob de la haute fonction publique, faisant de l’exclusion, de la grande pauvreté et de la violence son domaine de recherche et d’application.

« L’école, dit-il en introduction, ne creuse certes pas les inégalités mais elle porte sa part de responsabilité dans leur permanence à un niveau insupportable ». Et de poser le problème qui concerne tous nos enfants : « Comment comprendre l’existence simultanée d’établissements scolaires en grande difficulté et d’établissements scolaires qui vont très bien, pas seulement des établissements privés mais aussi des établissements publics, réservés à une élite sociale et à quelques bourgeois méritants ? »

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Je lui sais gré d’être arrivé aux mêmes conclusions que moi : l’Ecole est un système darwinien, qui se préoccupe de la survivance au sommet d’un groupe restreint, quitte à laisser dans la poussière 90% de la population scolaire. Dans un pays qui consacre à l’Education le budget le plus élevé des pays européens, il est significatif que l’écart entre les plus favorisés et les autres n’ait cessé de grandir. « En 2019, explique Delahaye, on a dépensé 10 110 € par an pour un étudiant d’université, 14 270€ pour un étudiant de BTS et 15 710€ pour un élève de CPGE […] En CPGE, où va beaucoup d’argent, les enfants des cadres représentaient 42% des élèves des classes préparatoires il y a 40 ans, contre 51% aujourd’hui — alors qu’ils représentent le quart de la population. Dans le même temps la part des enfants d’ouvriers a baissé de 9% à 7% ». C’est dire que les diverses politiques — de droite et de gauche — qui feignaient de se préoccuper des ZEP et autres lieux de perdition scolaire ont porté leurs fruits : jamais l’écart n’a été si grand qu’après trente années d’investissements. Ce qu’affirmaient Bourdieu et Passeron (dans Les Héritiers, puis dans La Reproduction) et qui n’était pas faux à l’époque (l’école est le lieu de la reproduction sociale, au mépris même des réels talents) l’est encore davantage aujourd’hui.

C’est que « les enfants des riches et des intellectuels reçoivent du budget de l’Education nationale entre trois et quatre fois plus d’argent que les enfants des pauvres ». Parce que les profs n’oublient pas de privilégier leur progéniture. Combien de militants qui défendent becs et ongles aujourd’hui les lycées professionnels consentiraient à ce que leurs enfants soient inscrits dans ce qui est un espace de relégation ? « Ceux qui s’opposent à la transformation d’un système qui fait si bien — mais à quel prix ! — réussir leurs propres enfants se situent sur l’ensemble de l’échiquier politique, savent se faire entendre, défendent les positions acquises, et ont un pouvoir de retardement des réformes, voire de blocage ».

Il y a une immense tartufferie dans le souci égalitariste des belles âmes. « Les inégalités à l’école, précise notre auteur, ne nuisent pas à tout le monde. Beaucoup de parents qui pensent et qui votent à gauche ou à droite n’ont pas forcément envie d’élargir la base sociale de la réussite à l’école ».

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Bien sûr que ceux qui sont en place n’ont aucune envie de laisser s’élever des enfants venus de nulle part, alors qu’il est si simple de concevoir une école qui favorisera prioritairement leurs propres enfants. En veine d’hypocrisie, cette oligarchie au pouvoir depuis des décennies organise sur la marge l’accession « au mérite » de quelques individus cités en exemple, arbres qui cachent la forêt de ceux qui sont impitoyablement rejetés par le système : « Quelques « méritants » des milieux populaires exfiltrés dans des internats dits « d’excellence », quelques « exceptions consolantes » accueillies charitablement dans les filières élitistes, ne suffiront pas à renverser la tendance qui s’inscrit malheureusement dans la durée ».

Pour avoir moi-même officié 12 ans durant au lycée Thiers (dans une classe post-Bac réservée à de tels élèves « méritants » issus des ZEP les plus dures de Marseille, et formés pour réussir le concours des IEP de province), je sais ce que requiert l’effort de distinguer une petite trentaine d’élèves sur les 77 000 écoliers de la cité phocéenne.

Les statistiques ministérielles qui célèbrent chaque année la réussite au Bac d’un nombre de plus en plus élevé d’élèves — on a depuis belle lurette dépassé l’objectif chevènementiste de 80% d’une classe d’âge au Bac — ne sont en fait, pour reprendre l’expression fort heureuse du sociologue Pierre Merle, qu’une « démographisation », c’est-à-dire une « démocratisation ségrégative » ou quantitative. Là encore, le quantitatif sert à faire oublier les errances du qualitatif. Faire oublier par exemple que « 90% des enfants de cadres et d’enseignants ont le baccalauréat sans problème sept ans après leur entrée en sixième et que ce n’est le cas que pour 40% des enfants d’ouvriers ».

Le problème n’est pas de faire réussir une immense majorité, quitte à baisser abusivement la barre, mais d’amener chaque élève de ce pays au plus haut de ses capacités — quelles que soient ses origines et sa condition sociale. Ce n’est pas une question morale de droit, c’est une nécessité sociale si nous ne voulons pas que notre pays se sclérose.

Mais sclérosé, il l’est déjà. Delahaye, fin connaisseur du système, note que la création du Bac techno, en 1965, puis du Bac professionnel, en 1985, permettait d’étendre l’étiquette « Bac » à des catégories essentiellement populaires que cela remplissait d’aise, tout en réservant le Bac général aux enfants de la bourgeoisie. « On a démocratisé en apparence l’accès au baccalauréat mais l’élite sociale s’est réservé la vie qu’elle estime être la plus porteuse ». Alain, en 1932 (dans Cent un propos sur l’éducation) ironisait déjà sur cette « admirable égalité, qui donne tout à ceux qui ont déjà beaucoup ».

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La revendication de « l’élitisme républicain » camoufle l’élitisme social qui est la clef du système éducatif. Evidemment, les solutions existent — mais c’est là que je me sépare de Delahaye. Je ne crois pas que ce soit en renforçant la préparation à la pédagogie des nouveaux enseignants que l’on améliorera le système, mais en les formant dès le niveau Bac + 1 de façon intensive à la maîtrise des savoirs profonds. D’autant que les élèves ont le plus grand respect pour l’enseignant qui sait — et qui transmet, de façon verticale, ses savoirs. « L’exigence des enseignants est une marque de respect à leur égard », pensent-ils — et ils ont raison. Il n’y a qu’à voir ce que ces élèves pensent des enseignants qui ne se sont pas donné la peine de leur apprendre correctement la grammaire, lorsqu’ils se retrouvent face à un prof qui a décidé de leur enseigner les subtilités du français…

Les solutions que Delahaye préconise — revenir en Primaire à une semaine de 4 jours et demi au moins — ne suffiraient pas à combler l’abîme entre ceux qui arrivent en classe chargés de toute une culture héritée au berceau et ceux qui y débarquent en état d’acculturation totale — particulièrement linguistique. Ce n’est qu’en différenciant les horaires et les programmes —à réécrire d’urgence — que l’on parviendra peut-être à débloquer un système encrassé par les intérêts de classe : cinq jours de classe en Primaire pour tout le monde, six jours pour les plus démunis. Quitte à payer les instituteurs de façon différenciée.

Je reviendrai sur cette question très prochainement : la lecture d’Héritocratie, de Paul Pasquali, renforce la thèse de Delahaye, et offre des perspectives stimulantes.

Jean-Paul Delahaye, L’Ecole n’est pas faite pour les pauvres, Le bord de l’eau, 150 p., 14€

Jean-Paul Delahaye, Exception consolante, Librairie du Labyrinthe, 2021, 253 p., 17€

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Les Tournesols à la tomate, Sandrine Rousseau trouve l’idée intéressante !


Les écolo-radicaux, clowns utiles du capitalisme mondialisé, se permettent à moindres frais les pires outrages. Dernier exemple : le 14 octobre, deux jeunes militantes du nébuleux groupe Just Stop Oil ont maculé de soupe à la tomate le tableau Les Tournesols de Van Gogh (1888), exposé à la Galerie nationale de Londres. Dans une vidéo qui a attiré des millions de vues sur les réseaux sociaux, les activistes se collent au mur au-dessous du chef-d’œuvre, avant que l’une d’entre elles, arborant des cheveux roses et se décrivant par la suite comme « queer », lance : « Qu’est-ce qui vaut le plus, l’art ou la vie ? […] Est-ce que vous vous préoccupez plus de protéger un tableau que de protéger notre planète et ses habitants ? » Cette exhibition de supériorité morale a reçu l’approbation de notre Sandrine Rousseau qui, sur Twitter, a déclaré l’action « hyper intéressante ». Le chef-d’œuvre du peintre hollandais, protégé par une vitre, a été rapidement nettoyé et remis à sa place, mais le cadre a été légèrement endommagé. De telles protestations destructrices se multiplient cette année, visant souvent des œuvres d’art. En juillet, à la même Galerie nationale, deux militants du même groupe se sont collés au cadre d’un chef-d’œuvre de Constable, et deux autres à la copie de la Cène de Léonard de Vinci détenue par l’Académie royale. Derrière toutes ces actions se trouve une organisation américaine, le Climate Emergency Fund (Fonds d’urgence pour le climat), créée en 2019, qui a pour mission de financer des protestations écologiques en Europe et en Amérique. Selon The Guardian, ce fonds a déjà distribué 4 millions de dollars cette année, dont 1,1 million à Just Stop Oil. Parmi ses donateurs les plus généreux se trouve Aileen Getty, petite fille du magnat du pétrole, convertie à la cause des Verts. Une porte-parole de l’organisation a décrit l’assaut contre Van Gogh comme une réussite et un modèle à suivre. Tous les chefs-d’œuvre sont désormais en péril.

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Pas mieux avant, pire maintenant !

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Face aux déboires des autorités publiques, on nous répète que les gouvernements précédents ne valaient pas mieux. Pourtant, la liste des scandales et des catastrophes ne cesse de s’allonger.


Mon titre renvoie aux banalités qu’on m’inflige quand je mets en cause, sur divers plans, le pouvoir mis en place et qu’on m’objecte qu’avant ce n’était pas mieux.

Pourtant il me semble que le macronisme est pire et qu’en plus il est arrogant, ce qui renforce la détestation de son incompétence ou de son impuissance.

Si on a droit à un peu de dérision, quand le président de la République confie au ministre de l’Intérieur la charge de représenter la France à l’ouverture de la Coupe du monde au Qatar, on est sûr pour une fois que sa parole sera suivie d’effet et que Gérald Darmanin accomplira correctement sa mission. Cela n’a pas été si fréquent qu’on ait eu cette double satisfaction : il faut donc en profiter.

À bien évaluer ce qui ce passe en France depuis la réélection d’Emmanuel Macron et la majorité relative de Renaissance à l’Assemblée nationale, j’ose affirmer que nous sommes dans une chienlit soft ou ostentatoire et que plus aucun domaine n’échappe au pessimisme civique.

Dans les débats médiatiques, quand l’actualité impose des catastrophes, des meurtres, des trafics de drogue, des violences contre la police et la gendarmerie, des attaques de maires et d’élus, des empoignades parlementaires et des grossièretés politiques comme sujets, je me résous difficilement à les traiter comme si on les découvrait alors que chaque jour ils surgissent, indignent ou désespèrent.

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Au point que, sans forcer le trait, je ne suis pas malhonnête si je considère que les fiascos, au sens large et selon des gravités différentes, constituent notre quotidien et le bilan de ce début de second quinquennat – soyons indulgents à l’égard du premier qui est derrière nous – alors que la normalité à tous points de vue est l’exception.

Il serait trop facile et quasiment sadique de rappeler les incuries, les défaillances et les humiliations qui ont parfois ridiculisé l’image nationale à l’étranger mais aussi et surtout la France elle-même dans la conception fière et noble qu’elle aspire à avoir d’elle-même.

Je ne fais pas l’impasse sur tout ce dont le pouvoir n’est pas directement responsable même s’il est évident que ses retards, ses lacunes, son manque d’anticipation, sa bonne volonté certes se conjuguant avec une absence totale de professionnalisme, ont amplifié les conséquences négatives et accru l’angoisse des citoyens.

En vrac, Lola, le scandale des OQTF si peu et si mal exécutées, de ces déboutés du droit d’asile demeurant tranquillement dans notre pays, de ces crimes commis par des transgresseurs qui n’auraient plus dû être chez nous, de ces mineurs isolés, peut-être isolés mais sans doute guère mineurs, perpétrant vols, violences mais appelant de la part de certains une compassion délétère, du Stade de France, de la Belgique et de l’imam Iquioussen se moquant de nos autorités régaliennes et se permettant de nous donner des leçons, de l’humanitarisme dévoyé de l’Ocean Viking où il n’est pas un Français, à l’exception de nos gouvernants, qui n’avait pas prévu le pire qui est survenu – mineurs disparus, migrants relâchés -, justice débordée, pouvoir conspué seulement capable de s’en prendre à l’Italie, triste et déplorable concentré de la méthode du Président et de ses ministres : une action uniquement verbale, c’est la faute des autres et nous sommes cependant les meilleurs !

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Le président de la République, par ailleurs, recase avec vigilance ses soutiens comme il le leur avait promis. Par exemple Christophe Castaner va cumuler Marseille et le tunnel du Mont-Blanc en vertu de cette règle indécente que tout désaveu par le peuple entraîne des bénéfices politiques et de carrière. On me rétorque que tous les prédécesseurs d’Emmanuel Macron ont agi de la même manière. La différence est qu’ils ne s’en vantaient pas alors que notre président a exposé crûment sa philosophie clientéliste et qu’il l’a rendue maximale.

Les Français sont-ils dupes ? Je ne crois pas. La meilleure des preuves en est, sur le plan démocratique, la dévaluation radicale de la parole publique et le fait révélateur qu’une multitude de ministres stagnent dans un anonymat dont leurs actions, si elles existent, ne les font pas sortir.

Alors on voudra bien me pardonner mon entêtement : ce n’était pas mieux avant mais c’est pire maintenant !

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Lettre d’un jeune Matador français

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Carlos Olsina (de son vrai nom Charles Pasquier) a 26 ans. Il est le 71ème Français à avoir reçu l’ »alternative », et donc, à être Matador de toro. A deux jours d’une possible interdiction de la corrida sur le territoire national, le torero d’origine biterroise écrit ces quelques mots pour expliquer sa vocation. Images de Guillaume Brunet-Lentz.


Plus jeune, je cherchais un sport. Un sport du mercredi. Ce fut le tennis d’abord, le trabendo ensuite. En bon Biterrois, il y eut également le Rugby à l’ASBH. Et puis, dans cette recherche un peu légère, est arrivé l’école taurine de Béziers. Sans vouloir faire de la tauromachie ma vie, il y eut une affinité. Manier les capes, les muletas, imaginer la bête charger sur moi et accueillir sa charge tout en la détournant de mon corps, furent autant de sensations qui, inexplicablement, résonnaient en moi. Arriva, enfin, la rencontre avec cet animal mystérieux qu’est le toro bravo. Le toro espagnol. Ce n’était plus un sport du mercredi dont il s’agissait, ce n’était d’ailleurs plus un sport. J’accédais à un monde qui m’était alors encore inconnu : celui de l’art. Ce monde dans lequel il était possible d’exprimer ses émotions, de les transmettre. Ce monde de la création d’une forme esthétique pour exprimer le fond. A douze ans, ce sont des choses qui troublent, qui interpellent. Après avoir gouté cela, je compris vite que je ne pouvais plus reculer, que ma vie, si je m’en donnais la peine, avait sa place dans ce monde fascinant de la tauromachie.

Image © Guillaume Brunet-Lentz

Mes héros, je les voyais habillés de lumière dans les arènes de Béziers chaque 15 aout… souvenirs inoubliables que je revois à travers mes yeux d’enfant. Je les regardais en me disant, « Un jour serai à leur place. Je veux devenir un héros à mon tour ». Je pensais aussi à la peur d’être face à cet animal si terrifiant. Terrifiant, mais fascinant, attirant, si bien qu’on ne put faire autrement que de lui construire un culte dans nos régions.

Mes premières années à l’école taurine furent plus marquées par le grand nombre de roustes que me flanquèrent les vaches braves, que par les triomphes de mes faenas (enchainement de passes). Mais peut m’importait alors. La graine était en moi et ne cessait de germer. Très rapidement, le toro avait fait le vide dans mes pensées. Il était seul. Il n’y avait plus que lui. C’est inexplicable. Presque mystique. Cette passion du toro et de l’approche de son mystère est irrationnelle. La décision était prise : je serai torero. Torero comme ceux que j’admirais et qui bouleversaient les foules entières par la beauté de leur art. Torero comme ceux dont le courage devenait un exemple pour tous les gosses dont je faisais partie. Malgré la dureté des entrainements, des épreuves, des blessures, malgré le chemin long et parfois ingrat, rien ne me faisait baisser les bras. Plus que l’entrainement physique, il y eut la recherche de l’accord avec le toro. Cet accord si difficile à trouver lorsque l’on a affaire a une bête sauvage animée par son impitoyable instinct de combat ! Faire de mon adversaire un partenaire, une tache d’autant plus difficile que chaque toro est différent, imprévisible, et qu’il faut donc à chaque toro chercher de nouveau. Trouver la corde sensible qui nous liera, qui effacera à mesure le combat, et nous mènera à la fusion… voilà quel fut l’objet de mes rêves, de mes désirs. Trouver cette entente en un moment si court et face à une bête si sauvage relève presque du miracle. Mais c’est aussi cela la tauromachie, l’espoir du miracle.

A cette quête, je l’avoue, se mêlait également le rêve du triomphe et de la reconnaissance. Mais le moteur principal restait avant tout la recherche de cette relation particulière avec le toro. Si particulière qu’on a du mal à mettre des mots dessus, et qu’on a préféré y mettre des passes à l’aide de nos capes. Avec cette cape entre nous, qui nous cache et qui nous lie, on cherche à le connaitre toujours plus, ce toro qu’on ne connaitra jamais vraiment. Il y a d’ailleurs quelque chose d’assez obscène à montrer cette relation si intime. Ce qui se passe entre le toro et le matador ne devrait rester qu’entre eux, pour eux. Mais ce qui justifie le caractère public de cet acte, c’est que le public voyeur de l’histoire qui s’écrit devant lui, se sent parfois touché, ému par ce qui jaillit du couple en piste. Voilà la puissance de la corrida.

Voilà pourquoi j’ai décidé de sacrifier une vie normale à cette quête. Jeune, j’ai quitté ma vie, mes études, pour aller m’installer à Séville avec quelques grands et beaux rêves en poche, et une route assez rude devant moi. Aujourd’hui je suis Matador de toros, et ma route est encore longue. J’aime toujours autant ce toro dont je ne parviens pas à percer les mystères. Je l’aime et j’ai besoin de lui pour m’exprimer. La corrida m’a fait réfléchir, m’a fait grandir. Qui serais-je sans elle ? Impossible de me l’imaginer car ce que je suis, c’est torero. Rien d’autre, torero ! Si l’on balaye la corrida d’un simple revers de main, c’est moi que l’on balaye. C’est moi que l’on interdit. C’est l’émotion noble recherchée par des centaines de milliers de spectateurs qu’on leur arrache. L’interdiction de la corrida, aucune personne ayant gouté à cet art ne pourra s’y résoudre. Je vis aujourd’hui en torero, et c’est bien ainsi que je compte mourir.

Carole Delga : le sectarisme et le néant

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La situation économique de l’Occitanie est plus que préoccupante. La présidente du conseil régional, loin de venir à la rescousse des Occitans, préfère se consacrer à de basses manoeuvres politiciennes. Tribune du maire de Perpignan, Louis Aliot.


En manifestant un 11 novembre devant la mairie de Perpignan pour défendre le droit du Nouvel Parti Anticapitaliste à insulter son maire en le traitant de «fasciste», Carole Delga nous rappelle que même le 11 novembre, elle ne compte pas mettre son sectarisme en veilleuse.

Déjà condamnée pour discrimination à raison des opinions politiques envers la commune de Beaucaire, dirigée par le maire RN Julien Sanchez, Carole Delga incarne le sectarisme politique devenu son seul moyen d’exister. Elle ne vise en réalité qu’à trouver une identité à une gauche régionale en perte de vision, en perte de repères et devant faire face à son échec.

Cette stratégie cynique n’occulte pas le bilan d’une politique qui ignore les réalités d’aujourd’hui et dont les chiffres sont parlants. L’Occitanie est l’une des régions les plus pauvres de France avec un taux de pauvreté de 16.8%. La précarité atteint des niveaux stratosphériques avec 22% des habitants d’Occitanie de moins de 65 ans considérés comme précaires. Carole Delga aime tellement les pauvres qu’elle en fabrique.

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Derrière ces chiffres se cache également une réalité affreuse et discrète, autre versant de la politique conduite non seulement par Carole Delga, mais par tous ses vassaux dans les conseils départementaux et dans les métropoles, Toulouse et Montpellier en tête : La constitution d’une fracture territoriale.

La fumeuse Assemblée des territoires n’a rien changé à la réalité. La politique de Carole Delga conduit à faire migrer les pauvres des champs pour qu’ils deviennent des pauvres des villes. C’est la raison pour laquelle la pauvreté semble diminuer dans la ruralité, tandis qu’elle augmenté dans les grands centres urbains et dans la ruralité profonde. Fini, ce tissu de petites villes et de petits villages qui assuraient l’équilibre économique et social du territoire, nous n’avons plus désormais le choix qu’entre le désert ou la grande métropole, pour ceux dont la voiture pourra encore y entrer.

Louis Aliot à Cap d’Agde le 18 september 2022 Alain ROBERT/SIPA 01088340_000003

Rien, dans les stratégies proposées par Delga et ses supplétifs ne pourra régler ce problème. La gauche régionale se disperse en vœux pieux et saupoudrage qui empêchent la réalisation de projets économiques concrets dignes des moyens d’une région de la taille d’un petit pays. L’avenir est mal anticipé, le présent largement ignoré, et l’on se contente de réagir aux obsessions idéologiques du moment en manquant toute chance d’être pertinent sur les réels enjeux structurants de nos territoires. Au lieu de vouloir sauver le monde depuis l’Occitanie, Carole Delga ferait bien de revenir aux réalités concrètes de la vie des gens.

Les Pyrénées Orientales n’ont que trop souffert de cette sujétion aux absurdités de l’exécutif régional. Ces lubies socialistes ont aggravé un contexte national déjà difficile face auquel le département présidé par Mme Malherbe est totalement impuissant.

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L’élection départementale partielle à laquelle j’ai choisi de me porter candidat est pour l’ensemble des citoyens qui y voteront, l’opportunité d’envoyer un message à la duchesse Delga et à sa vassale Malherbe. Celui que Perpignan, que les électeurs ont confié à mes soins et aux soins de ma majorité municipale, ne se laissera pas faire face à un système qui a décidé d’opérer une véritable ségrégation socio-spatiale des habitants en fonction de l’endroit où ils vivent, mais aussi à raison de leurs opinions politiques, comme l’a démontré la condamnation de Carole Delga pour discrimination à l’égard  de Julien Sanchez.

Dans l’ensemble du département, la lassitude du système Delga-Malherbe est prégnante. Dans toute la région, la demande d’un changement dans les principes politiques et la méthode de gouvernement se fait de plus en plus forte. Perpignan, Beaucaire et tant d’autres ont prouvé qu’il était possible de faire mieux et de ne se résigner ni face à la pauvreté, ni face à l’insécurité, ni face à la volonté politique de briser les territoires qui votent mal. A Paris, en Occitanie, et dans les Pyrénées Orientales aussi, l’urgence, c’est l’alternance.

Croquis de famille

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François Bott, le 26/09/2011 / BALTEL/SIPA / 00625285_000006

Pourquoi faut-il (re)lire l’œuvre enchanteresse du critique et écrivain François Bott, disparu le 22 septembre dernier ?


Nous étions au printemps, il y a sept ans, peut-être. La famille au grand complet de Service Littéraire s’était réunie sous l’invitation du condottiere François Cérésa dans un restaurant du VIIème arrondissement, derrière la basilique Sainte-Clotilde. L’ombre de Druon veillait sur cette assemblée disparate et indisciplinée. François tentait de mener à l’épée ses chroniqueurs insoumis, avec la faconde du playboy poulbot et cet air canaille dont il ne se départait jamais. Le verbe haut et la camaraderie à la boutonnière. C’est l’image que je me fais d’un écrivain racé et rieur qui se moque des affèteries progressistes. Les dernières traces de l’esprit français avaient trouvé refuge dans la rue même où mourut la Comtesse de Ségur en 1874. Les tables se formèrent dans le chahut et l’allégresse. Tout le monde respectait la règle tacite, ne pas parler littérature sous peine d’exclusion. Quelle atroce faute de goût de raconter les misères de l’écriture et les affres de la création en s’empiffrant de charcuterie, d’égrener le nom d’écrivains célèbres pour parader ou de s’inventer des parentèles imaginaires pour exister socialement. Nous n’étions pas à l’école, ni à la Maison de la Radio. Un examen ne clôturait pas la soirée. Cette manie des bons et mauvais points est la cause principale de notre déclassement culturel. Nous savions nous tenir. La lecture est une occupation trop intime pour l’exposer en pâture, pour la déflorer à la hussarde, pour s’en servir de strapontin mondain. La conversation filait sur des sujets autrement plus capitaux, le championnat de France de fromage de tête venait d’annoncer son podium, Arnaud Guillon hésitait entre acquérir, avant l’été, un cabriolet Peugeot 504 et un Duetto coda longa, ce qui le plongeait dans un abîme de perplexité ; tout le monde s’accordait sur l’essentiel, la cupidité des éditeurs, la laideur des périphéries, la police des opinions et regrettait les standards de la chanson italienne.

Adriano Celentano fut cité à plusieurs reprises au cours du repas, avec une forme d’émotion adolescente et d’érotisme perlant. Tout le monde ne pensait plus à écrire un chef d’œuvre nobelisé mais à enfourcher une Vespa et à visiter les plages de Rimini sous un soleil cajoleur à la recherche d’un amour fugace. Le hasard du placement tient du mystère et un peu de la mystique gastronomique. Certains soirs, des tablées impromptues scellent des amitiés merveilleuses et éphémères qui, longtemps après, propagent le venin de la mélancolie. En face de moi, Roland Jaccard taquinait le juge Lambert sur des questions de procédure ; à ma droite, Gérald Sibleyras, dramaturge vedette et Sylvie Perez, fine plume évoquaient le crachin londonien ; tout le monde se marrait ; tout le monde était heureux de trinquer ensemble.

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Et puis, en bout de table, l’homme à la pipe était là, calme et précis, l’allure d’un officier de marine, des manières de seigneur bourguignon, jamais un mot de trop, l’élégance n’aime pas les éclats de voix, à l’image de ses critiques limpides et fluides, secouées par cette onde nostalgique dont nous recherchons la vague comme les surfeurs attentifs de la Côte basque, il imposait sa stature de commandeur des lettres, sans bomber le torse, sans capter l’auditoire par des références surnuméraires, sans lever le doigt comme un bon élève. Nous savions qui il était, nous l’avions tous lu, ça suffisait à notre bonheur.

A côté d’un Renaud Matignon au tempérament plus éruptif, François Bott fut un prescripteur léger quand l’école avait déjà failli à notre éducation littéraire. Ces deux-là chassaient les camarillas et les fausses valeurs, ils n’écrivaient pas à l’encre plombée. Ils élevaient notre niveau de lecture, nous apprenaient à repérer les dissidents et à affermir notre goût, à exiger des écrivains un style et un élan salvateur. « Né en 1935, François Bott avait dirigé les pages littéraires de L’Express, puis Le Monde des livres après avoir fondé Le Magazine littéraire», comme l’indiquait la notice biographique sur la couverture de ses livres republiés dans la collection la petite vermillon. En souvenir de ce dîner où nous n’avions échangé que quelques réflexions anodines, j’ai relu, hier soir, ses croquis littéraires réunis dans Il nous est arrivé d’être jeunes. De courts textes véloces qui accélèrent d’Aragon à Roger Vailland en passant par Vialatte ou Louis Nucéra où l’art du critique se fait didactique sans être pesant, instructif sans être alarmiste, respectueux sans être dupe. J’ai pris une leçon d’écriture par la concision du propos et le sens de la formule flibustière. Bott balance, canonne, bombarde sans les effets habituels. D’une combinaison inusitée, il croque un écrivain en une seule phrase et capture l’essence même d’une plume. De Cioran, il écrit qu’« il aimait le vélo et les marquises des Lumières ». C’est admirable et perspicace. De Morand, il confesse que « la géographie était sa religion ». De René de Obaldia, farceur disparu en début d’année 2022, il le décrit comme un « humoriste noir et rose, le néant le met de bonne humeur ». Il place très haut Charles Trenet dans son panthéon personnel et se félicite de la reparution des romans de Jean Freustié. Et il s’interroge, à propos d’Aragon, sur le style : «Ne serait-il que l’art de se faire pardonner diverses vilenies, par exemple, cette façon d’ignorer, de couvrir, sinon de légitimer le goulag et la dictature stalinienne ?» Aujourd’hui, il semble que ce soit l’absence de style qui légitime les pires âneries et renoncements.

François Bott, Il nous est arrivé d’être jeunes, La Table Ronde, 272 pages, 8,10€.

Gare au loup !

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D.R

C’est plus écologique d’être plongé dans le noir, la sécurité n’est plus à la mode.


Les maires de nombreuses communes en France ont décidé de suivre le bon exemple de ceux de Chambéry et de Rennes, socialistes, ou de Bordeaux, écologiste, en adoptant le plan de sobriété énergétique et en coupant leur éclairage public de minuit à six heures du matin. Tant pis pour les badauds qui déambulent à l’aveuglette ! En plus de réduire la facture d’électricité, éteindre les lampadaires donne aux communes un bon point écolo. Mais quid des habitants confrontés à notre peur primordiale : le noir et le monstre qui s’y cache ? À Guengat, dans le Finistère, où les lampadaires seront désormais éteints à partir de 21 h 30, des piétons et des étudiants ont été interrogés par nos confrères de France Bleu. Aude, 23 ans, souligne que « ça pose question, en termes de sécurité. Surtout pour les jeunes femmes. » En effet, depuis longtemps, les féministes accusent nos villes d’être des espaces « genrés », conçus pour les hommes, notamment à travers un éclairage nocturne inadéquat qui décourage la circulation des femmes. Il y a deux ans, le Conseil économique social et environnemental (CESE) adoptait une résolution appelant les autorités publiques à « agir sur l’éclairage » dans les villes pour réduire la sensation d’insécurité chez les femmes. Le gouvernement nous dit que « chaque geste compte » et qu’il faut se résigner à ne plus vivre comme avant. Pourtant, ce sentiment d’insécurité, renforcé par le fait que ni la police ni les caméras de vidéosurveillance ne peuvent faire leur travail dans le noir, représente bien un retour à la ville du Moyen Âge, tout particulièrement pour les femmes. Certes, l’écologie est un combat louable, ainsi que la sobriété énergétique, mais aucun thuriféraire de ces causes ne semble relever le fait qu’elles sont désormais en contradiction flagrante avec #MeToo.

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Mythe et mythes de la Guerre d’Espagne: les raisons d’une polémique

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Des manifestants brandissent des drapeaux de la République espagnole et soviétiques lors d'une marche pour commémorer les morts de la Guerre d'Espagne, Madrid le 14 avril 2021 Manu Fernandez/AP/SIPA AP22558188_000001

La publication en français d’un livre présentant une nouvelle approche de la Guerre d’Espagne vient de montrer que les questions d’historiographie se transforment trop souvent en questions de politique contemporaine. Le gouvernement espagnol et l’intelligentsia française de gauche ont dénoncé l’auteur de ce livre, Pío Moa, comme un dangereux révisionniste. Le spécialiste américain de la Guerre d’Espagne, Stanley Payne, vient de publier un article un article qui répond à ces critiques. Le texte est ici traduit en français et présenté par Arnaud Imatz.


La publication d’un long entretien avec Pío Moa, auteur de Les mythes de la Guerre d’Espagne, dans le Figaro Histoire de juillet 2022, et la mise en ligne d’une vidéo vue par plus d’1.300.000 internautes ont soulevé l’indignation de nombre de journalistes et universitaires admirateurs du Front populaire espagnol. Le 22 août, Le Figaro a publié la réponse virulente d’un proche du gouvernement socialiste, président de l’Association pour la récupération de la mémoire historique, Emilio Silva. Plus de cent historiens français se sont dit par ailleurs « consternés » et ont publié une lettre ouverte, à laquelle plusieurs médias complaisants envers la gauche radicale ont fait largement écho. Le 13 novembre dernier, le quotidien madrilène El País a consacré à son tour une page à la polémique française sur la traduction du livre de Moa. Le sujet semble d’autant plus sensible en Espagne que le gouvernement vient de faire adopter une « loi de mémoire démocratique » qui prétend censurer et pénaliser les opinions trop éloignées de la doxa officielle. Signe des temps, la Poste espagnole vient d’imprimer un timbre avec une faucille et un marteau aux couleurs de la République du Front populaire pour célébrer les cent ans de la fondation du PCE.  

Dans l’article qui suit, publié simultanément aux États-Unis, dans la revue culturelle Chronicles, l’historien Stanley Payne, l’un des plus prestigieux spécialistes mondiaux de la République et de la Guerre d’Espagne, reconnu pour son honnêteté, sa rigueur et sa pondération, auteur de plus de trente livres dont La guerre d’Espagne. L’histoire face à la confusion mémorielle (Le Cerf, 2010), répond aux censeurs de Moa et remet les pendules à l’heure.  


À la fin du vingtième siècle, tous les grands mythes politiques ou religions séculières étaient plus ou moins discrédités. Un seul allait néanmoins survivre en Europe sous sa forme classique et même connaitre un renouveau majeur. Le mythe de la République espagnole et de la Guerre civile, sous la vieille bannière du Front populaire de la «démocratie républicaine», a bel et bien été ressuscité par la dernière génération de la gauche espagnole. Au cours des dernières années, il est devenu le «nouveau» mythe fondateur de l’Espagne, dont l’objectif est de radicaliser l’actuelle monarchie constitutionnelle ou de la remplacer par une autre république extrémiste de style latino-américain.  

La révolution espagnole de 1936-1939 a été la seule révolution collectiviste de masse, violente, qui s’est déroulée dans un pays d’Europe occidentale au XXe siècle. Elle a échoué pour diverses raisons, mais essentiellement parce que les modérés et les conservateurs espagnols se sont rebellés de manière préventive avant que la domination des institutions par le processus révolutionnaire ne soit achevée. Les révolutionnaires se sont vus dès lors confrontés à un véritable dilemme : essayer de mener une révolution de masse violente tout en menant une guerre civile à grande échelle, ce qui s’est avéré au-dessus de leurs capacités.  

La révolution espagnole est également unique dans l’histoire européenne en ce qu’elle a été d’abord impulsée par des socialistes et des anarchistes, et que c’est seulement pendant la guerre civile que le communisme est passé au premier plan. Les dirigeants soviétiques ont compris, dès le début, qu’une nouvelle révolution en Europe occidentale devait être camouflée en «démocratie républicaine» pour être acceptable et acceptée par l’opinion publique internationale. Moins d’un an plus tôt, le Komintern avait modifié son approche révolutionnaire, qui avait conduit à des résultats si désastreux en Allemagne, en faveur d’une nouvelle alliance de type «Front populaire» qui puisse instrumentaliser la démocratie occidentale au nom de l’«antifascisme», nouveau motif-clé de la propagande. La présentation du conflit espagnol comme un combat entre «la démocratie et le fascisme» était un stratagème qui devait connaitre un succès considérable, notamment au sein de l’intelligentsia occidentale alors de plus en plus favorable à la lutte contre Hitler et Mussolini.  

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Pour diverses raisons complexes, l’histoire de l’Espagne a toujours été l’une des plus difficiles à comprendre de tous les pays occidentaux. Ses singularités marquées et ses courants et contre-courants apparents ont naturellement déconcerté les étrangers, ce qui a contribué à donner au modèle du Front populaire espagnol une forme mythique largement acceptée pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette forme a été ensuite modifiée pour présenter le conflit espagnol comme le «début» ou le «premier round» de la Seconde Guerre mondiale, un saut imaginatif tout aussi extrême.  

Lorsque j’ai commencé à étudier l’histoire de l’Espagne, dans les années 1950, j’ai réalisé que les aspects les plus extrêmes du mythe étaient exagérés, mais j’ai néanmoins accepté l’interprétation standard de la «République espagnole démocratique» et de sa gauche au moins semi-démocratique.  Il n’existait pas alors de littérature scientifique sérieuse prouvant le contraire. De plus, mes deux premiers livres sur les affaires espagnoles qui traitaient des forces-clés de la droite, la Phalange fasciste (1961), et l’armée (1967), avaient été accueillis avec enthousiasme par la critique, plus particulièrement par celle des auteurs de gauche.  

Je n’avais pas eu jusque-là l’idée d’enquêter sur les révolutionnaires et c’est Jack Greene, historien américaniste de l’Université Johns Hopkins, qui m’a suggéré de le faire. En plein «boom de l’histoire» des années 1960, il était chargé d’éditer une série de dix volumes sur «Les révolutions dans le monde moderne». Green m’a donc invité à rédiger l’étude sur l’Espagne et, après réflexion, j’ai accepté.  Les recherches que j’ai menées sur la gauche espagnole entre 1966 et 1968 ont constitué, je crois, «un avant et un après» dans la compréhension de l’histoire espagnole récente. J’ai été particulièrement surpris de constater que la gauche espagnole n’était pas nourrie de réformistes maladroits et bien intentionnés, telle qu’elle était censée l’zêtre selon le mythe, mais au contraire de personnes autoritaires, très déterminées, dont les sectateurs révolutionnaires s’étaient consacrés, avec une violence toujours plus grande, à l’attaque directe des institutions.  

Ces recherches ont finalement donné naissance à The Spanish Revolution (1970), une étude de la gauche révolutionnaire espagnole, de ses origines à sa défaite finale en 1939. Certaines interprétations ont dû être révisées depuis, après l’ouverture de nouvelles archives, en particulier celles de l’ancienne Union soviétique, mais ce livre reste à ce jour la seule étude publiée dans le monde en un seul volume sur l’ensemble du processus révolutionnaire en Espagne.  Le «Book World» du Washington Post le désigna comme l’un des cinquante livres les plus remarquables de l’année 1970 et, la censure espagnole s’étant relâchée, deux traductions espagnoles différentes furent publiées au cours de la décennie suivante. Les commentateurs de gauche, qui avaient salué mes deux premiers principaux livres sur l’Espagne, se montrèrent en revanche souvent cinglants à l’égard de The Spanish Revolution, ouvrage qui avait osé mettre à nu le mythe jusque-là bien établi.  

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Les années 1970 ont été une décennie de transformations spectaculaires en Espagne, le pays ayant pris alors une initiative tout à fait à contre-courant. Au plus fort de la phase finale de l’expansion communiste dans le cadre de la guerre froide, l’Espagne a procédé à un surprenant changement de régime en faveur de la démocratie libérale, initiant ainsi la dernière grande vague de démocratisation du XXe siècle. Celle-ci allait durer, non seulement en Espagne mais dans le monde, jusque dans les années 1990. La censure prit fin dans la Péninsule et il s’en suivit un intérêt décuplé pour l’histoire contemporaine. Le nouvel esprit semblait vouloir enterrer le passé, tout au moins en ce qui concerne la politique partisane, pour laisser l’histoire aux universitaires.  

C’était du moins ce qu’il semblait être.  Mais en réalité, à cette époque la génération «nouvelle gauche» des années soixante avait déjà commencé à investir les universités espagnoles. Elle l’avait même fait sous un régime franquiste de plus en plus tolérant, et elle allait rapidement étendre sa domination dans la majorité du système universitaire en pleine expansion.    

Par ailleurs, les milieux politiques modérés et conservateurs se montraient étonnamment peu intéressés par la culture et l’histoire récente, vivant dans la crainte perpétuelle d’être traités de «franquistes». La conséquence a été que dans les dernières années du XXe siècle, la domination de la gauche sur les médias, la culture et l’éducation est devenue encore plus complète en Espagne que dans beaucoup d’autres pays occidentaux. Plusieurs sujets et plusieurs thèmes sont devenus tabous, même si la liberté d’expression fondamentale a continué d’exister dans l’ensemble du pays, à l’exception partielle des universités.  

Il en est résulté un véritable dilemme, illustré notamment par la carrière de Javier Tusell, principal historien politique espagnol de la fin du vingtième siècle. Ce dernier a publié en trente-cinq ans une bonne vingtaine de livres, tous de grande qualité et la plupart basés sur des recherches d’archives originales, mais, soucieux de conserver sa liberté de pensée et d’interprétation critique tout en restant dans les bonnes grâces de ses collègues, il a préféré se consacrer essentiellement à des études sur la droite espagnole sans jamais entreprendre la moindre étude critique importante sur l’un des aspects de la gauche. À partir des années 1990, la conformité historiographique au mythe de la République et de la Guerre civile a été presque complète.  

C’est précisément dans cette situation de stagnation intellectuelle qu’est soudainement apparu, en 1999, l’ouvrage d’un auteur totalement inconnu, Pío Moa, Los orígenes de la Guerra Civil española. Il ne s’agissait pas d’un universitaire, mais d’un chercheur indépendant, le genre de personne beaucoup plus rare en Espagne que dans le monde anglophone. Moa était un marxiste repenti qui avait commencé sa vie d’adulte comme membre actif du FRAP, une organisation terroriste révolutionnaire des années 1970 qui avait combattu bec et ongles la démocratisation de l’Espagne. Puis, dans les années suivantes, il s’était consacré à une longue étude sur l’histoire de son pays. Au bout de deux décennies, Moa était parvenu à des conclusions qui allaient à l’encontre de ses premières convictions, mais aussi des mythes conventionnels sur la vie politique espagnole contemporaine.  

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Son premier livre s’attaquait directement non pas aux mythes de la guerre civile elle-même, mais aux idées reçues sur son contexte. Il exposait et analysait les «origines» du conflit en 1933-34, lorsque la gauche avait d’abord cherché à imposer un système exclusiviste puis, ayant échoué, s’était tournée vers de multiples insurrections révolutionnaires, dont le point culminant avait été le violent assaut de masse socialiste de 1934. Cet ouvrage le plus important et le plus original de l’historiographie espagnole récente, a été rapidement suivi de deux autres : Los personajes de la República vistos por ellos mismos (Les dirigeants de la République décrits par eux-mêmes) (2000), qui est un portrait révélateur des principaux dirigeants de gauche vus au travers des descriptions originales et acerbes qu’ils ont faites d’eux-mêmes, et El derrumbe de la Segunda República y la guerra civil (L’effondrement de la Seconde République et la guerre civile) (2001), qui traite en détail de l’apogée du processus révolutionnaire de la République et du début de la guerre. Les lecteurs espagnols ont réagi avec enthousiasme devant ces livres, d’autant plus que Moa a fait preuve non seulement d’audace et d’originalité analytiques, mais aussi d’un talent littéraire inhabituel, qui tranche avec l’expression lourde et maladroite de tant d’historiens espagnols.  

Le corps professoral de gauche s’est indigné, et son chœur de dénonciation, apparemment unanime, a intimidé quiconque aurait pu oser dire un mot en faveur de Moa. Ce qui est remarquable dans le déluge d’injures qu’il a reçu, c’est qu’il n’y a pratiquement pas eu de débat ou de critique sérieuse sur les interprétations et les réalités factuelles soulignées par l’auteur. Bien au contraire, la critique s’est concentrée, dans un style typiquement espagnol, sur des attaques ad hominem. Ces critiques outrancières ont mis surtout l’accent sur le manque de titres universitaires de Moa, insistant le plus souvent sur le fait que seul un «professeur» pouvait produire un travail historique valable. Un argument d’autant plus absurde que la plupart des professeurs d’histoire espagnols ne sont guère que des bureaucrates opportunistes qui ne produisent que de maigres publications historiques, et souvent même aucune.  

Le point culminant des premiers travaux de Moa a été atteint en 2003, lorsqu’une grande maison d’édition, La Esfera de los Libros, a publié son livre Los mitos de la Guerra Civil (récemment publié en France par les Éditions de l’Artilleur sous le titre Les mythes de la Guerre d’Espagne). Dans la Péninsule, ce livre a été la sensation éditoriale de l’année dans le domaine de la non-fiction, se vendant à plus de 150 000 exemplaires (et même finalement à 300 000). Ce succès indiquait une soif des lecteurs espagnols pour une histoire critique désireuse de briser le tabou mythique. Comme les médias et les publications universitaires de l’establishment l’ont généralement ignoré, Álvaro Delgado-Gal, l’astucieux rédacteur en chef de Revista de Libros, principale revue de critique de livres du pays, a décidé de rompre le boycott du silence en demandant à un historien non espagnol de critiquer le livre. Il m’a invité à entreprendre cette tâche et j’ai répondu avec empressement. Mon compte rendu a mis en évidence les questions-clés sur lesquelles Moa a proposé des analyses tranchantes et de nouvelles interprétations significatives fondées sur des données convaincantes. Si plusieurs d’entre elles pouvaient être remises en question, la responsabilité des universitaires sérieux était de débattre et/ou de réfuter les points litigieux plutôt que d’imposer une censure à priori. Ma conclusion était que le livre, même imparfait, était une contribution majeure au débat sur la guerre civile. On a alors demandé à Santos Juliá, parfois considéré comme le principal historien socialiste dans ce domaine, de répondre, mais il s’est contenté de répéter qu’il était inacceptable de parler de Moa et a même menacé de m’expulser de la confrérie des historiens professionnels pour avoir osé suggérer que le sujet méritait un débat honnête.  

Los mitos de la Guerra civil (Les mythes de la guerre d’Espagne) n’est pas une histoire générale de plus, mais une étude des personnalités et des questions-clés qui, selon l’interprétation gauchiste standard, ont été mythifiées, diabolisées ou simplement déformées. Ce livre consacre des chapitres entiers à dix des principales figures, et offre des discussions incisives qui s’écartent souvent des récits habituels. La partie principale traite de dix-sept questions ou aspects-clés, tels que l’effet de «l’armement des masses», la création du «premier pont aérien de l’histoire», «la plus grande persécution religieuse de l’histoire», plusieurs des plus grandes atrocités ou atrocités présumées, l’envoi de la réserve d’or nationale espagnole à Moscou, le caractère et le rôle des Brigades internationales, plusieurs des batailles les plus importantes, l’intervention et la non-intervention étrangères, et les politiques et rôles des deux leaders décisifs, Juan Negrín et Francisco Franco. L’ouvrage se termine par un examen de la place de la guerre civile dans l’histoire de l’Espagne et dans son historiographie.  

Cet ouvrage est unique en ce qu’il adopte une approche thématique et axée sur les principaux problèmes et qu’il remet en cause résolument les mythes dominants. En raison de sa force interprétative, l’effet a été inévitablement polémique, bien que chacune des analyses aient été soigneusement raisonnées et présentées dans la prose typiquement lucide et souvent éloquente de Moa. Il a dès lors occupé une position unique – celle de l’historien le plus lu de son pays – mais condamné à un ostracisme permanent par le système universitaire public et les médias de l’establishment. Dans d’autres pays, des historiens non universitaires atteignent parfois des positions vénérables, le plus souvent parce qu’ils produisent avant tout des œuvrettes conformistes sur le passé national. En revanche, Moa est devenu à lui seul une sorte de mouvement unipersonnel qui s’est dressé contre l’establishment espagnol de gauche pour offrir des explications et des interprétations indépendantes sur les principaux problèmes historiques. Et cela a conduit presque inévitablement à une approche de plus en plus polémique, à une entreprise solitaire nécessitant une endurance personnelle et un courage moral impressionnants. 

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Le progrès des connaissances historiques se fait principalement de deux manières : la première, qui est la voie habituelle, est celle de la nouvelle recherche primaire ; la seconde, moins fréquente, mais plus stimulante intellectuellement, est celle du réexamen et de la nouvelle analyse des travaux antérieurs. Seule une petite partie de la production de Moa est basée sur la recherche primaire, car la plus grande partie porte sur le réexamen de matériaux existants qui ont été soit ignorés, soit délibérément déformés dans les études et travaux précédents.  

Moa est un spécialiste et un écrivain prolifique qui, au cours des deux dernières décennies, a produit de nombreux ouvrages traitant de thèmes historiques plus larges, notamment son impressionnant La Reconquista y España (2018). Il est aussi l’auteur de deux romans et de plusieurs essais sur divers thèmes. Il est probablement exact de dire qu’il a joué un rôle plus important dans la vie culturelle et intellectuelle de son pays que n’importe quel autre universitaire indépendant d’Europe ou d’ailleurs, même s’il restera toujours un historien maudit pour l’establishment culturel aveugle de son pays. Cela dit, il reste encore une petite poignée de professeurs dans les universités espagnoles qui font un travail sérieux, indépendant et objectif, et qui apportent des contributions majeures, mais ils doivent faire très attention à éviter les approches les plus controversées.  

Dans mes propres travaux, j’ai abordé nombre de ces sujets à peu près au moment même où Moa commençait à publier. Mon objectif initial était d’utiliser les nouveaux documents provenant des archives soviétiques, afin de clarifier les politiques soviétique et communiste en Espagne, lesquelles avaient toujours suscité la controverse. Après six ans de recherche, j’ai publié The Spanish Civil Warthe Soviet Union and Communism (2003), à la suite de quoi j’ai suivi le précepte énoncé par José Ortega y Gasset, en 1938, selon lequel la chose la plus importante à savoir sur la guerre d’Espagne est «comment elle a commencé». Cela a débouché d’abord sur The Collapse of the Spanish Republic 1933-1936, que l’Université de Yale a publié en 2006. D’autres études sur divers aspects ont suivi, le point d’orgue étant The Spanish Civil War, conçu comme un résumé analytique pour les nouveaux lecteurs, qui a été publié en 2012 comme l’une des «Cambridge Essential Histories». Mon autre travail de conclusion dans ce domaine a été un effort pour replacer la révolution et la guerre civile espagnoles dans leur contexte historique approprié. Il ne s’agissait pas de la Seconde Guerre mondiale, dans laquelle l’Espagne n’était pas belligérante, mais plutôt des guerres civiles révolutionnaires européennes de l’époque. J’en ai donné un résumé dans Civil War in Europe 1905-1949 (2011).  

En ce début du XXIe siècle, la politisation de l’histoire a joué en Espagne un rôle plus grand que dans n’importe quel autre pays occidental. Nulle part ailleurs, du moins à l’exclusion de la Russie en 2022, le gouvernement n’a proposé des lois de censure nationale spécifiques régissant la discussion et l’interprétation de l’histoire récente. La première loi socialiste espagnole de 2006, la «Loi sur la mémoire historique», n’allait pas plus loin que des subventions d’État pour le prosélytisme de certaines versions approuvées ; mais la nouvelle loi de 2022, la «Loi de mémoire démocratique», de nature stalinienne (voire poutinienne) prévoit des peines d’emprisonnement et de fortes amendes. Une fois de plus, comme en tant d’autres occasions depuis 1821, la gauche espagnole cherche à prendre la tête de la radicalisation politique au sein des pays occidentaux.  

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France cherche cerveaux

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A force d’exporter ses bac+7 et d’importer des bac-5, notre pays connait un appauvrissement intellectuel inédit.


La grande misère de la recherche en France explique en partie une autre réalité tout aussi inquiétante : la fuite de ses cerveaux les plus brillants. Si la qualité de nos formations de haut niveau permet aux meilleurs étudiants et aux entrepreneurs les plus capables d’émigrer dans les pays les plus innovants et les plus créatifs, force est de constater que leur départ n’est pas compensé. En somme, nous laissons partir les potentiels les plus performants et importons essentiellement des populations sans qualification.

Les raisons de la fuite des cerveaux sont multiples, mais leur dénominateur commun est l’incapacité de notre pays à créer un environnement à la fois sécurisant et dynamique pour ces esprits créatifs. Ces hauts potentiels ne trouvent pas en France les conditions de travail et de rémunération qui leur paraissent acceptables et se plaignent souvent d’une bureaucratie étouffante et tatillonne. Symptôme d’une perte d’attractivité du territoire, la défection des premiers de cordée impacte le rayonnement de la France. Et ce d’autant plus qu’elle est à sens unique. L’émigration de chercheurs, d’ingénieurs ou de créateurs d’entreprises de haute technologie français, essentiellement aux États-Unis et en Grande-Bretagne ne s’accompagne pas d’un mouvement inverse en direction de la France de jeunes surdiplômés. En dix ans, entre 2009 et 2018, 1,3 million de Français souvent très diplômés sont partis ; 1,8 million d’étrangers sont arrivés, essentiellement de pays pauvres, hors OCDE. La plupart n’ont aucun diplôme (40 %) ou simplement un diplôme de l’enseignement secondaire (39 %).

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Ces premiers de corvée sont certes très utiles et soulagent souvent les secteurs en tension, mais ils ne constituent pas le vivier de créativité et d’excellence qui seul peut aider une grande nation à maîtriser son avenir. François Bayrou a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme en 2020. Le commissaire au Plan avait réagi très vivement à l’annonce de l’échec de l’Institut Pasteur dans sa tentative de fabrication d’un vaccin contre le Covid. Il notait alors avec amertume que le PDG de la société Moderna, Stéphane Bancel (prépa « Ginette » à Versailles, Centrale Paris, université du Minnesota, Harvard), qui avait mis au point le vaccin à ARN messager aux États-Unis, était français. Interviewé à l’époque sur France Inter, le commissaire au Plan déplorait que « nos chercheurs les plus brillants soient aspirés par le système américain ». Même son de cloche du côté du médaillé Fields et ancien député LREM, Cédric Villani. Il constatait au moment de remettre son rapport sur l’intelligence artificielle en 2018 « qu’en France, des disciplines telles que les mathématiques, l’informatique ou la physique théorique étaient plutôt jusqu’alors épargnées par la fuite des cerveaux. Ce n’est plus le cas. » Or ce type de départ est un signe fort de déclin. La puissance et l’influence d’un pays se mesurent à la capacité d’attirer les talents extérieurs, mais aussi de conserver les siens. Le départ des hauts potentiels et l’arrivée en masse de populations peu instruites augurent rarement de lendemains qui chantent.

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Viva corrida !

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Torero et taureau / © Guillaume Brunet-Lentz

C’est demain que les députés se prononceront en faveur – ou non – de l’interdiction de la corrida. Quel que soit leur vote, cette tradition populaire demeure la seule à incarner une métaphysique de la vie et de la mort…


« Putain ils sont où les chouchous ? » Jérôme, petit et ventru, est debout dans les callejónes, au plus près de la piste, à mes côtés. Il parle des cacahouètes caramélisées vendues dans les gradins des arènes de Béziers pour quelques euros et quelques heureux. Je lève la tête, cherchant les chouchous de Jérôme, tandis que le taureau, fonçant sur le picador, a renversé son cheval. Le courage du taureau l’a fait se ruer sous la pique à la première provocation. « Bravo, toro ! » l’arène est debout pour célébrer la bravoure de cet animal qu’ils chérissent tous comme l’essence de leur identité, comme la preuve de leur enracinement, la force de leur caractère. Le taureau, signe du peuple du Sud, du pays d’Arles au Pays basque, ils ont grandi avec lui, dans la foi taurine, dans le culte des cornes, pour lui ils ont changé leur monde, il est le socle de leur tradition et l’essentiel de leur vertu. Dans le matador, ils se contemplent vivre, mais ils se regardent mourir dans le toro. Cette vision quotidienne leur offre des visages graves et beaux, des yeux de lion, une profondeur inattendue et un panache inespéré. La corrida a fait du sud de la France un sanctuaire de vie. « Mon cigare, c’est mon fils que me l’a offert », me souffle Jérôme, en découvrant ses dents. Penché sur sa métaphore, plongé dans le réseau de ses propres symboles, l’homme de la corrida vibre de son terroir, tout contre le sens de sa terre. À la corrida on chante Carmen et l’hymne de l’Occitanie, et chaque applaudissement résonne tout à la fois pour la beauté de la civilisation européenne et pour l’honneur de sa province.

Voilà, on a trouvé les chouchous. Jérôme en achète pour tout son burladero (sorte de loges qui découpent les callejónes en plusieurs parties). Son téléphone vibre, message d’une femme : « Chéri j’ai acheté un nouveau body ! » Moment de réflexion pour Jérôme. « Hmmmmmm », répond-il après quelques secondes de concentration. Ici, ça baise et ça sue, ça pue la vie bien vécue, ça gueule, tous se mélangent et, dans les arènes, il n’y a plus de barrières sociales, plus de distances physiques, il n’y a que des hommes et des femmes venus assister à leur histoire. Dans quelques minutes, entre deux mises à mort, un père me présentera sa fille.

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Au centre de l’arène, le torero est à genoux. Tourné vers lui, le taureau renâcle et frappe la poussière. Cette image, sa puissance évocatrice (suggestion de mort et espoir de vie), arrête le temps et fige ce face-à-face qui pourtant ne dure que quelques secondes. Jérôme me dit à l’oreille : « Tu vois, il y a les cons qui vont au foot, aux parcs d’attractions, à l’Aquaboulevard. Nous, on va à la corrida ». Le toro fond sur le torero qui ne bouge pas d’un pouce. Il court à une vitesse invraisemblable, cornes immenses en arc de cercle comme un piège qui se referme. Toute l’arène retient son souffle. Jérôme poursuit, imperturbable : « Bien sûr, comme les taureaux sont mis à mort, tout le monde nous prend pour des tortionnaires. Mais ils n’ont rien compris. Ils ne savent pas ce que nous faisons ici ». Le taureau est sur le torero. Celui-ci déploie sa cape, attire à la dernière seconde le taureau sur le côté et se décale légèrement, sans se relever : il passe à un cheveu des cornes. Torrent d’ovations. Jérôme embraye en me regardant : « Ce sont des taureaux de combat. Ils sont nés pour les luttes à mort. Dans les élevages, il est difficile de faire en sorte qu’ils ne s’entretuent pas. Nous, les petits hommes qui craignons les morts violentes, nous projetons cette terreur sur un animal à qui elle est pourtant fondamentalement étrangère. Le cochon d’élevage, le poulet d’abattoir, eux ils ont peur, oui. Étonnamment, cette peur ne nous inquiète pas, au contraire. Elle nous rassure : ils sont faibles comme nous, voilà ce que nous nous disons ».

Le torero s’est redressé. Les banderilleros appellent le taureau afin de lui planter de courtes guirlandes ornementales sur le dos, entre les omoplates. Il tourne son immense tête sombre vers l’un d’eux. Jérôme poursuit avec un sourire : « Mais le taureau n’a jamais peur, et sa formidable adrénaline le préserve de la plupart des douleurs. Après avoir compris et admiré sa nature, nous lui avons construit un temple ». Le taureau fonce sur le porteur des banderilles, qui court vers lui mais de biais, et après un bond invraisemblable, plante les deux banderilles sur le dos de la bête, tandis que le coup de corne envoyé pour l’éventrer ne touche que le vide. Tonnerre d’applaudissements. « En vérité, ce n’est pas la mort du taureau qui scandalise les gens. Ils tuent le chien qui mord, ils tuent le pou qui les pique, l’araignée qui est dans leur chambre, ils l’écrasent sans y penser. Sans parler du nid de guêpes dans leur jardin, ou des abattoirs industriels. Pendant le Covid, on a gazé 15 millions de visons au Danemark, sur un simple signe de tête d’un ministre ». Le taureau fonce sur le deuxième banderillero qui se fait presque encorner, et doit se réfugier derrière les murs de l’arène pour préserver sa vie. Huées du public, impitoyable avec l’échec. « Non, ce qui scandalise, c’est que le rapport du toro (et du torero) à la mort, qu’il ne craint pas, qu’il provoque, qu’il tente, qu’il affronte, le rend fondamentalement étranger à la nature humaine, où plutôt à cette part basse et plaintive de la nature humaine dont la modernité a fait son étendard. La corrida est un affront absolu à la mort telle que la modernité a choisi de la concevoir : odieuse, dépressive, aseptisée, cachée derrière les cloisons d’un hôpital ».

Image © Guillaume Brunet-Lentz

À un mètre de nous, l’un des assistants du matador a maladroitement poussé le taureau à se jeter contre la porte de l’arène, qui manque de céder et s’ouvre à moitié. Le taureau est presque sur nous, qui sommes protégés seulement par un mur. Ses cornes font, au bas mot, la taille de mon avant-bras. À gauche, je sens pâlir le photographe qui m’accompagne. Je pense à mon roman, que je ne terminerai peut-être pas, aux cours d’assises où je n’irai jamais plaider… Jérôme ne cille pas : « La corrida nous renseigne autant sur nous-même qu’elle interroge notre manière de vivre. Tous nous avons nos propres taureaux, nos propres adversaires. À la vue de tels hommes, d’une telle lutte, devrions-nous avoir honte ? Qu’en penses-tu ? » « Je ne sais pas », réponds-je en baissant la tête, confus par la cérémonie belle et terrible à laquelle j’assiste et par le sens surprenant que lui donnent les digressions de Jérôme. Le taureau a été ramené à la raison. Le matador entre en scène.

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Il arrive d’un pas fier, il a caché sa peur, nous l’avions vu il y a trois heures, mes compagnons et moi, enfiler son costume et se livrer à la prière, habité par une concentration d’airain dans la petite chambre d’un hôtel discret, aux abords de Béziers. Il est là pour clore la danse et achever cette corrida, dernier rite païen qui choque profondément une société comme la nôtre, faite de chrétienté dévoyée où la pitié culmine en toute chose, où toute lutte est une dérive, où toute blessure est une violence. Le matador a sa muleta, lourd et immense tissu rouge dont il se sert, non pour tromper le taureau, mais pour le détourner de l’irréparable, pour lui apprendre à jouer, pour le prendre avec lui, pour le comprendre et pour nous faire comprendre.

Exception culturelle, la corrida est surtout exception métaphysique dans l’Occident négateur de mort. « Après, la vie, c’est pas la mère Noël ! » me crie Jérôme entre deux ovations : le torero a enchaîné de belles passes. Presque front contre front, ils dansent ensemble, complices, sur la poussière et sur le sang, c’est tout Béziers qui se tait, bourgeois, racailles et gitans, c’est la novillada, ces jeunes hommes de vingt ans qui entrent dans la légende après des années de ferveur, qui risquent leur vie pour la sagesse de leur sanctuaire, pour la perpétuation du rite.

Le torero qui virevolte devant nous sort à peine de l’adolescence. Issu d’une très riche famille péruvienne, il pourrait sans peine passer ses jours à la plage, faire des mines sur Instagram, comme tous les jeunes et riches oisifs de sa génération. À la place, il a choisi d’être ici, et de jouer avec la mort pour nous faire voir un peu de vie. Derrière lui, il y a les éleveurs avec leurs pâturages immenses, leurs centaines de taureaux qui vivent en liberté dans cet Eden en attendant une mort glorieuse, tout le personnel des arènes, une économie florissante, un bassin d’emplois, des jeunes les yeux pleins de rêves qui passent leur vie dans les écoles taurines, des centaines de passionnés, une structure sociale et un liant culturel infalsifiable et irremplaçable car implanté depuis des siècles. Derrière le torero, des milliers d’hommes et de femmes s’activent et brûlent d’une passion commune, toute une écologie sociale, biologique et financière a trouvé son nexus. Éradiquons ce monde spirituel d’un décret signé par le caprice d’un Créon, par notre vanité morale, et que leur restera-t-il ? La Française des jeux, la drogue, les sites pornos et les parcs d’attractions en plastique seront les détritus de néant qui remplaceront ce rite séculaire. Tous les taureaux mourront. Un Super U ou un terrain de golf remplacera les élevages éteints par cette dépossession culturelle.

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Toro et torero sont si proches, désormais, qu’ils semblent se caresser l’un l’autre, ce sont des étreintes d’adieu ; il y a davantage de sens et de force dans le sentiment que couve cette valse funéraire que dans tous les violons de Netflix. « Musicaaaaa, cogno ! » hurle la foule à la présidence des arènes. Soudain, les trompettes, les bassons et les cors retentissent, comme depuis un autre monde, plus simple, plus juste et révolu : ils accompagnent l’affrontement entre cette masse noire et cette fine silhouette bleu et argent. Je retrouve dans le toro un peu de ce que ce siècle a fait de nous, tête baissée dans de vains tissus, nous qui fonçons dans les murs au premier encouragement et chargeons des chimères, impatience trompeuse obnubilée des couleurs vives, domptés par notre propre aveuglement, sollicités continuellement de notifications en rose, bave aux lèvres de l’âme, inconscients de nos blessures et inavertis de nos souffrances, sentant à peine le sang qui coule sur notre dos, que nous prenons pour la sueur de nos efforts quand c’est la vie qui fuit, la réalité qui nous quitte. Loin de la grande mort du taureau, c’est notre petite mort qui m’occupe l’esprit, sans gloire et sans trompette, non dans l’accord de notre nature mais à son détriment, bien plus immorale et bien plus dangereuse, tandis que la corrida suit son cours inéluctable.

Le torero a convaincu (car vaincre n’est rien sans convaincre). Une oreille est prélevée au taureau mort pour sceller le courage du jeune héros. Paradant pour son tour d’honneur, aux marges de l’arène, il la jette nonchalamment à une jeune admiratrice. Inspiration immédiate et note à moi-même : pour mon premier procès, couper l’oreille du procureur pour la donner à une femme…

L’école à deux vitesses (première partie)

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Pexels / CDC

Notre chroniqueur, qui est en train de penser à un livre sur le sujet, s’est intéressé à un petit ouvrage écrit par un grand spécialiste, dont il partage les convictions sans forcément épouser ses solutions. En tout cas, rien que dans son titre, L’Ecole n’est pas faite pour les pauvres pose bien le problème.


Jean-Paul Delahaye est inspecteur général, ex-directeur général de l’enseignement scolaire, ancien conseiller au ministère de l’Education dans les années 2012-2017 — pas les meilleures… Il connaît à fond les rouages de la rue de Grenelle et de son ombre portée sur toute la France. À ce poste il avait alors publié un rapport éclairant, Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous. Il l’a repris cette année dans un petit livre d’une grande pertinence.

Lui-même n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter. Il arrive d’en bas, là où statistiquement on reste à vie quand on y est né. Il a d’ailleurs évoqué son parcours dans un livre paru l’année dernière et intitulé Exception consolante — une expression empruntée à ce grand pédagogue, porteur de la réforme de Jules Ferry, que fut Ferdinand Buisson. On avait déjà réalisé, sous la IIIe République, que l’Ecole favorisait les favorisés et s’intéressait modérément aux humbles. Delahaye, qui rend hommage dans ce livre à sa « mère courage » qui éleva seule ses enfants dans un coin perdu de Picardie, n’a jamais épargné ses critiques à un système scolaire qui sépare soigneusement les torchons (présumés sales) et les serviettes — toujours propres. Il s’est retrouvé, grain de pauvre dans l’engrenage de la grande machine inégalitaire, professeur d’Histoire-Géographie, avant de monter l’échelle de Jacob de la haute fonction publique, faisant de l’exclusion, de la grande pauvreté et de la violence son domaine de recherche et d’application.

« L’école, dit-il en introduction, ne creuse certes pas les inégalités mais elle porte sa part de responsabilité dans leur permanence à un niveau insupportable ». Et de poser le problème qui concerne tous nos enfants : « Comment comprendre l’existence simultanée d’établissements scolaires en grande difficulté et d’établissements scolaires qui vont très bien, pas seulement des établissements privés mais aussi des établissements publics, réservés à une élite sociale et à quelques bourgeois méritants ? »

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Je lui sais gré d’être arrivé aux mêmes conclusions que moi : l’Ecole est un système darwinien, qui se préoccupe de la survivance au sommet d’un groupe restreint, quitte à laisser dans la poussière 90% de la population scolaire. Dans un pays qui consacre à l’Education le budget le plus élevé des pays européens, il est significatif que l’écart entre les plus favorisés et les autres n’ait cessé de grandir. « En 2019, explique Delahaye, on a dépensé 10 110 € par an pour un étudiant d’université, 14 270€ pour un étudiant de BTS et 15 710€ pour un élève de CPGE […] En CPGE, où va beaucoup d’argent, les enfants des cadres représentaient 42% des élèves des classes préparatoires il y a 40 ans, contre 51% aujourd’hui — alors qu’ils représentent le quart de la population. Dans le même temps la part des enfants d’ouvriers a baissé de 9% à 7% ». C’est dire que les diverses politiques — de droite et de gauche — qui feignaient de se préoccuper des ZEP et autres lieux de perdition scolaire ont porté leurs fruits : jamais l’écart n’a été si grand qu’après trente années d’investissements. Ce qu’affirmaient Bourdieu et Passeron (dans Les Héritiers, puis dans La Reproduction) et qui n’était pas faux à l’époque (l’école est le lieu de la reproduction sociale, au mépris même des réels talents) l’est encore davantage aujourd’hui.

C’est que « les enfants des riches et des intellectuels reçoivent du budget de l’Education nationale entre trois et quatre fois plus d’argent que les enfants des pauvres ». Parce que les profs n’oublient pas de privilégier leur progéniture. Combien de militants qui défendent becs et ongles aujourd’hui les lycées professionnels consentiraient à ce que leurs enfants soient inscrits dans ce qui est un espace de relégation ? « Ceux qui s’opposent à la transformation d’un système qui fait si bien — mais à quel prix ! — réussir leurs propres enfants se situent sur l’ensemble de l’échiquier politique, savent se faire entendre, défendent les positions acquises, et ont un pouvoir de retardement des réformes, voire de blocage ».

Il y a une immense tartufferie dans le souci égalitariste des belles âmes. « Les inégalités à l’école, précise notre auteur, ne nuisent pas à tout le monde. Beaucoup de parents qui pensent et qui votent à gauche ou à droite n’ont pas forcément envie d’élargir la base sociale de la réussite à l’école ».

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Bien sûr que ceux qui sont en place n’ont aucune envie de laisser s’élever des enfants venus de nulle part, alors qu’il est si simple de concevoir une école qui favorisera prioritairement leurs propres enfants. En veine d’hypocrisie, cette oligarchie au pouvoir depuis des décennies organise sur la marge l’accession « au mérite » de quelques individus cités en exemple, arbres qui cachent la forêt de ceux qui sont impitoyablement rejetés par le système : « Quelques « méritants » des milieux populaires exfiltrés dans des internats dits « d’excellence », quelques « exceptions consolantes » accueillies charitablement dans les filières élitistes, ne suffiront pas à renverser la tendance qui s’inscrit malheureusement dans la durée ».

Pour avoir moi-même officié 12 ans durant au lycée Thiers (dans une classe post-Bac réservée à de tels élèves « méritants » issus des ZEP les plus dures de Marseille, et formés pour réussir le concours des IEP de province), je sais ce que requiert l’effort de distinguer une petite trentaine d’élèves sur les 77 000 écoliers de la cité phocéenne.

Les statistiques ministérielles qui célèbrent chaque année la réussite au Bac d’un nombre de plus en plus élevé d’élèves — on a depuis belle lurette dépassé l’objectif chevènementiste de 80% d’une classe d’âge au Bac — ne sont en fait, pour reprendre l’expression fort heureuse du sociologue Pierre Merle, qu’une « démographisation », c’est-à-dire une « démocratisation ségrégative » ou quantitative. Là encore, le quantitatif sert à faire oublier les errances du qualitatif. Faire oublier par exemple que « 90% des enfants de cadres et d’enseignants ont le baccalauréat sans problème sept ans après leur entrée en sixième et que ce n’est le cas que pour 40% des enfants d’ouvriers ».

Le problème n’est pas de faire réussir une immense majorité, quitte à baisser abusivement la barre, mais d’amener chaque élève de ce pays au plus haut de ses capacités — quelles que soient ses origines et sa condition sociale. Ce n’est pas une question morale de droit, c’est une nécessité sociale si nous ne voulons pas que notre pays se sclérose.

Mais sclérosé, il l’est déjà. Delahaye, fin connaisseur du système, note que la création du Bac techno, en 1965, puis du Bac professionnel, en 1985, permettait d’étendre l’étiquette « Bac » à des catégories essentiellement populaires que cela remplissait d’aise, tout en réservant le Bac général aux enfants de la bourgeoisie. « On a démocratisé en apparence l’accès au baccalauréat mais l’élite sociale s’est réservé la vie qu’elle estime être la plus porteuse ». Alain, en 1932 (dans Cent un propos sur l’éducation) ironisait déjà sur cette « admirable égalité, qui donne tout à ceux qui ont déjà beaucoup ».

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La revendication de « l’élitisme républicain » camoufle l’élitisme social qui est la clef du système éducatif. Evidemment, les solutions existent — mais c’est là que je me sépare de Delahaye. Je ne crois pas que ce soit en renforçant la préparation à la pédagogie des nouveaux enseignants que l’on améliorera le système, mais en les formant dès le niveau Bac + 1 de façon intensive à la maîtrise des savoirs profonds. D’autant que les élèves ont le plus grand respect pour l’enseignant qui sait — et qui transmet, de façon verticale, ses savoirs. « L’exigence des enseignants est une marque de respect à leur égard », pensent-ils — et ils ont raison. Il n’y a qu’à voir ce que ces élèves pensent des enseignants qui ne se sont pas donné la peine de leur apprendre correctement la grammaire, lorsqu’ils se retrouvent face à un prof qui a décidé de leur enseigner les subtilités du français…

Les solutions que Delahaye préconise — revenir en Primaire à une semaine de 4 jours et demi au moins — ne suffiraient pas à combler l’abîme entre ceux qui arrivent en classe chargés de toute une culture héritée au berceau et ceux qui y débarquent en état d’acculturation totale — particulièrement linguistique. Ce n’est qu’en différenciant les horaires et les programmes —à réécrire d’urgence — que l’on parviendra peut-être à débloquer un système encrassé par les intérêts de classe : cinq jours de classe en Primaire pour tout le monde, six jours pour les plus démunis. Quitte à payer les instituteurs de façon différenciée.

Je reviendrai sur cette question très prochainement : la lecture d’Héritocratie, de Paul Pasquali, renforce la thèse de Delahaye, et offre des perspectives stimulantes.

Jean-Paul Delahaye, L’Ecole n’est pas faite pour les pauvres, Le bord de l’eau, 150 p., 14€

Jean-Paul Delahaye, Exception consolante, Librairie du Labyrinthe, 2021, 253 p., 17€

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La Crétin’Academy

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Deux jeunes militantes de Just Stop Oil, jetant de la soupe à la tomate sur Les Tournesols de Van Gogh, le 14 octobre 2022 (Just Stop Oil via AP)

Les Tournesols à la tomate, Sandrine Rousseau trouve l’idée intéressante !


Les écolo-radicaux, clowns utiles du capitalisme mondialisé, se permettent à moindres frais les pires outrages. Dernier exemple : le 14 octobre, deux jeunes militantes du nébuleux groupe Just Stop Oil ont maculé de soupe à la tomate le tableau Les Tournesols de Van Gogh (1888), exposé à la Galerie nationale de Londres. Dans une vidéo qui a attiré des millions de vues sur les réseaux sociaux, les activistes se collent au mur au-dessous du chef-d’œuvre, avant que l’une d’entre elles, arborant des cheveux roses et se décrivant par la suite comme « queer », lance : « Qu’est-ce qui vaut le plus, l’art ou la vie ? […] Est-ce que vous vous préoccupez plus de protéger un tableau que de protéger notre planète et ses habitants ? » Cette exhibition de supériorité morale a reçu l’approbation de notre Sandrine Rousseau qui, sur Twitter, a déclaré l’action « hyper intéressante ». Le chef-d’œuvre du peintre hollandais, protégé par une vitre, a été rapidement nettoyé et remis à sa place, mais le cadre a été légèrement endommagé. De telles protestations destructrices se multiplient cette année, visant souvent des œuvres d’art. En juillet, à la même Galerie nationale, deux militants du même groupe se sont collés au cadre d’un chef-d’œuvre de Constable, et deux autres à la copie de la Cène de Léonard de Vinci détenue par l’Académie royale. Derrière toutes ces actions se trouve une organisation américaine, le Climate Emergency Fund (Fonds d’urgence pour le climat), créée en 2019, qui a pour mission de financer des protestations écologiques en Europe et en Amérique. Selon The Guardian, ce fonds a déjà distribué 4 millions de dollars cette année, dont 1,1 million à Just Stop Oil. Parmi ses donateurs les plus généreux se trouve Aileen Getty, petite fille du magnat du pétrole, convertie à la cause des Verts. Une porte-parole de l’organisation a décrit l’assaut contre Van Gogh comme une réussite et un modèle à suivre. Tous les chefs-d’œuvre sont désormais en péril.

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Pas mieux avant, pire maintenant !

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Philippe Bilger, le 17/03/14 / PHOTO: BALKAR/FREGE MARC/SIPA / 00825580_000065

Face aux déboires des autorités publiques, on nous répète que les gouvernements précédents ne valaient pas mieux. Pourtant, la liste des scandales et des catastrophes ne cesse de s’allonger.


Mon titre renvoie aux banalités qu’on m’inflige quand je mets en cause, sur divers plans, le pouvoir mis en place et qu’on m’objecte qu’avant ce n’était pas mieux.

Pourtant il me semble que le macronisme est pire et qu’en plus il est arrogant, ce qui renforce la détestation de son incompétence ou de son impuissance.

Si on a droit à un peu de dérision, quand le président de la République confie au ministre de l’Intérieur la charge de représenter la France à l’ouverture de la Coupe du monde au Qatar, on est sûr pour une fois que sa parole sera suivie d’effet et que Gérald Darmanin accomplira correctement sa mission. Cela n’a pas été si fréquent qu’on ait eu cette double satisfaction : il faut donc en profiter.

À bien évaluer ce qui ce passe en France depuis la réélection d’Emmanuel Macron et la majorité relative de Renaissance à l’Assemblée nationale, j’ose affirmer que nous sommes dans une chienlit soft ou ostentatoire et que plus aucun domaine n’échappe au pessimisme civique.

Dans les débats médiatiques, quand l’actualité impose des catastrophes, des meurtres, des trafics de drogue, des violences contre la police et la gendarmerie, des attaques de maires et d’élus, des empoignades parlementaires et des grossièretés politiques comme sujets, je me résous difficilement à les traiter comme si on les découvrait alors que chaque jour ils surgissent, indignent ou désespèrent.

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Au point que, sans forcer le trait, je ne suis pas malhonnête si je considère que les fiascos, au sens large et selon des gravités différentes, constituent notre quotidien et le bilan de ce début de second quinquennat – soyons indulgents à l’égard du premier qui est derrière nous – alors que la normalité à tous points de vue est l’exception.

Il serait trop facile et quasiment sadique de rappeler les incuries, les défaillances et les humiliations qui ont parfois ridiculisé l’image nationale à l’étranger mais aussi et surtout la France elle-même dans la conception fière et noble qu’elle aspire à avoir d’elle-même.

Je ne fais pas l’impasse sur tout ce dont le pouvoir n’est pas directement responsable même s’il est évident que ses retards, ses lacunes, son manque d’anticipation, sa bonne volonté certes se conjuguant avec une absence totale de professionnalisme, ont amplifié les conséquences négatives et accru l’angoisse des citoyens.

En vrac, Lola, le scandale des OQTF si peu et si mal exécutées, de ces déboutés du droit d’asile demeurant tranquillement dans notre pays, de ces crimes commis par des transgresseurs qui n’auraient plus dû être chez nous, de ces mineurs isolés, peut-être isolés mais sans doute guère mineurs, perpétrant vols, violences mais appelant de la part de certains une compassion délétère, du Stade de France, de la Belgique et de l’imam Iquioussen se moquant de nos autorités régaliennes et se permettant de nous donner des leçons, de l’humanitarisme dévoyé de l’Ocean Viking où il n’est pas un Français, à l’exception de nos gouvernants, qui n’avait pas prévu le pire qui est survenu – mineurs disparus, migrants relâchés -, justice débordée, pouvoir conspué seulement capable de s’en prendre à l’Italie, triste et déplorable concentré de la méthode du Président et de ses ministres : une action uniquement verbale, c’est la faute des autres et nous sommes cependant les meilleurs !

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Le président de la République, par ailleurs, recase avec vigilance ses soutiens comme il le leur avait promis. Par exemple Christophe Castaner va cumuler Marseille et le tunnel du Mont-Blanc en vertu de cette règle indécente que tout désaveu par le peuple entraîne des bénéfices politiques et de carrière. On me rétorque que tous les prédécesseurs d’Emmanuel Macron ont agi de la même manière. La différence est qu’ils ne s’en vantaient pas alors que notre président a exposé crûment sa philosophie clientéliste et qu’il l’a rendue maximale.

Les Français sont-ils dupes ? Je ne crois pas. La meilleure des preuves en est, sur le plan démocratique, la dévaluation radicale de la parole publique et le fait révélateur qu’une multitude de ministres stagnent dans un anonymat dont leurs actions, si elles existent, ne les font pas sortir.

Alors on voudra bien me pardonner mon entêtement : ce n’était pas mieux avant mais c’est pire maintenant !

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Lettre d’un jeune Matador français

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Image © Guillaume Brunet-Lentz

Carlos Olsina (de son vrai nom Charles Pasquier) a 26 ans. Il est le 71ème Français à avoir reçu l’ »alternative », et donc, à être Matador de toro. A deux jours d’une possible interdiction de la corrida sur le territoire national, le torero d’origine biterroise écrit ces quelques mots pour expliquer sa vocation. Images de Guillaume Brunet-Lentz.


Plus jeune, je cherchais un sport. Un sport du mercredi. Ce fut le tennis d’abord, le trabendo ensuite. En bon Biterrois, il y eut également le Rugby à l’ASBH. Et puis, dans cette recherche un peu légère, est arrivé l’école taurine de Béziers. Sans vouloir faire de la tauromachie ma vie, il y eut une affinité. Manier les capes, les muletas, imaginer la bête charger sur moi et accueillir sa charge tout en la détournant de mon corps, furent autant de sensations qui, inexplicablement, résonnaient en moi. Arriva, enfin, la rencontre avec cet animal mystérieux qu’est le toro bravo. Le toro espagnol. Ce n’était plus un sport du mercredi dont il s’agissait, ce n’était d’ailleurs plus un sport. J’accédais à un monde qui m’était alors encore inconnu : celui de l’art. Ce monde dans lequel il était possible d’exprimer ses émotions, de les transmettre. Ce monde de la création d’une forme esthétique pour exprimer le fond. A douze ans, ce sont des choses qui troublent, qui interpellent. Après avoir gouté cela, je compris vite que je ne pouvais plus reculer, que ma vie, si je m’en donnais la peine, avait sa place dans ce monde fascinant de la tauromachie.

Image © Guillaume Brunet-Lentz

Mes héros, je les voyais habillés de lumière dans les arènes de Béziers chaque 15 aout… souvenirs inoubliables que je revois à travers mes yeux d’enfant. Je les regardais en me disant, « Un jour serai à leur place. Je veux devenir un héros à mon tour ». Je pensais aussi à la peur d’être face à cet animal si terrifiant. Terrifiant, mais fascinant, attirant, si bien qu’on ne put faire autrement que de lui construire un culte dans nos régions.

Mes premières années à l’école taurine furent plus marquées par le grand nombre de roustes que me flanquèrent les vaches braves, que par les triomphes de mes faenas (enchainement de passes). Mais peut m’importait alors. La graine était en moi et ne cessait de germer. Très rapidement, le toro avait fait le vide dans mes pensées. Il était seul. Il n’y avait plus que lui. C’est inexplicable. Presque mystique. Cette passion du toro et de l’approche de son mystère est irrationnelle. La décision était prise : je serai torero. Torero comme ceux que j’admirais et qui bouleversaient les foules entières par la beauté de leur art. Torero comme ceux dont le courage devenait un exemple pour tous les gosses dont je faisais partie. Malgré la dureté des entrainements, des épreuves, des blessures, malgré le chemin long et parfois ingrat, rien ne me faisait baisser les bras. Plus que l’entrainement physique, il y eut la recherche de l’accord avec le toro. Cet accord si difficile à trouver lorsque l’on a affaire a une bête sauvage animée par son impitoyable instinct de combat ! Faire de mon adversaire un partenaire, une tache d’autant plus difficile que chaque toro est différent, imprévisible, et qu’il faut donc à chaque toro chercher de nouveau. Trouver la corde sensible qui nous liera, qui effacera à mesure le combat, et nous mènera à la fusion… voilà quel fut l’objet de mes rêves, de mes désirs. Trouver cette entente en un moment si court et face à une bête si sauvage relève presque du miracle. Mais c’est aussi cela la tauromachie, l’espoir du miracle.

A cette quête, je l’avoue, se mêlait également le rêve du triomphe et de la reconnaissance. Mais le moteur principal restait avant tout la recherche de cette relation particulière avec le toro. Si particulière qu’on a du mal à mettre des mots dessus, et qu’on a préféré y mettre des passes à l’aide de nos capes. Avec cette cape entre nous, qui nous cache et qui nous lie, on cherche à le connaitre toujours plus, ce toro qu’on ne connaitra jamais vraiment. Il y a d’ailleurs quelque chose d’assez obscène à montrer cette relation si intime. Ce qui se passe entre le toro et le matador ne devrait rester qu’entre eux, pour eux. Mais ce qui justifie le caractère public de cet acte, c’est que le public voyeur de l’histoire qui s’écrit devant lui, se sent parfois touché, ému par ce qui jaillit du couple en piste. Voilà la puissance de la corrida.

Voilà pourquoi j’ai décidé de sacrifier une vie normale à cette quête. Jeune, j’ai quitté ma vie, mes études, pour aller m’installer à Séville avec quelques grands et beaux rêves en poche, et une route assez rude devant moi. Aujourd’hui je suis Matador de toros, et ma route est encore longue. J’aime toujours autant ce toro dont je ne parviens pas à percer les mystères. Je l’aime et j’ai besoin de lui pour m’exprimer. La corrida m’a fait réfléchir, m’a fait grandir. Qui serais-je sans elle ? Impossible de me l’imaginer car ce que je suis, c’est torero. Rien d’autre, torero ! Si l’on balaye la corrida d’un simple revers de main, c’est moi que l’on balaye. C’est moi que l’on interdit. C’est l’émotion noble recherchée par des centaines de milliers de spectateurs qu’on leur arrache. L’interdiction de la corrida, aucune personne ayant gouté à cet art ne pourra s’y résoudre. Je vis aujourd’hui en torero, et c’est bien ainsi que je compte mourir.

Carole Delga : le sectarisme et le néant

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Carole Delga (à gauche) avec Clémentine Autain à la fête de l'Humanité sur la Base 217 du Plessis-Pâté, le 10 septembre 2022 Gabrielle CEZARD/SIPA 01087425_000001

La situation économique de l’Occitanie est plus que préoccupante. La présidente du conseil régional, loin de venir à la rescousse des Occitans, préfère se consacrer à de basses manoeuvres politiciennes. Tribune du maire de Perpignan, Louis Aliot.


En manifestant un 11 novembre devant la mairie de Perpignan pour défendre le droit du Nouvel Parti Anticapitaliste à insulter son maire en le traitant de «fasciste», Carole Delga nous rappelle que même le 11 novembre, elle ne compte pas mettre son sectarisme en veilleuse.

Déjà condamnée pour discrimination à raison des opinions politiques envers la commune de Beaucaire, dirigée par le maire RN Julien Sanchez, Carole Delga incarne le sectarisme politique devenu son seul moyen d’exister. Elle ne vise en réalité qu’à trouver une identité à une gauche régionale en perte de vision, en perte de repères et devant faire face à son échec.

Cette stratégie cynique n’occulte pas le bilan d’une politique qui ignore les réalités d’aujourd’hui et dont les chiffres sont parlants. L’Occitanie est l’une des régions les plus pauvres de France avec un taux de pauvreté de 16.8%. La précarité atteint des niveaux stratosphériques avec 22% des habitants d’Occitanie de moins de 65 ans considérés comme précaires. Carole Delga aime tellement les pauvres qu’elle en fabrique.

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Derrière ces chiffres se cache également une réalité affreuse et discrète, autre versant de la politique conduite non seulement par Carole Delga, mais par tous ses vassaux dans les conseils départementaux et dans les métropoles, Toulouse et Montpellier en tête : La constitution d’une fracture territoriale.

La fumeuse Assemblée des territoires n’a rien changé à la réalité. La politique de Carole Delga conduit à faire migrer les pauvres des champs pour qu’ils deviennent des pauvres des villes. C’est la raison pour laquelle la pauvreté semble diminuer dans la ruralité, tandis qu’elle augmenté dans les grands centres urbains et dans la ruralité profonde. Fini, ce tissu de petites villes et de petits villages qui assuraient l’équilibre économique et social du territoire, nous n’avons plus désormais le choix qu’entre le désert ou la grande métropole, pour ceux dont la voiture pourra encore y entrer.

Louis Aliot à Cap d’Agde le 18 september 2022 Alain ROBERT/SIPA 01088340_000003

Rien, dans les stratégies proposées par Delga et ses supplétifs ne pourra régler ce problème. La gauche régionale se disperse en vœux pieux et saupoudrage qui empêchent la réalisation de projets économiques concrets dignes des moyens d’une région de la taille d’un petit pays. L’avenir est mal anticipé, le présent largement ignoré, et l’on se contente de réagir aux obsessions idéologiques du moment en manquant toute chance d’être pertinent sur les réels enjeux structurants de nos territoires. Au lieu de vouloir sauver le monde depuis l’Occitanie, Carole Delga ferait bien de revenir aux réalités concrètes de la vie des gens.

Les Pyrénées Orientales n’ont que trop souffert de cette sujétion aux absurdités de l’exécutif régional. Ces lubies socialistes ont aggravé un contexte national déjà difficile face auquel le département présidé par Mme Malherbe est totalement impuissant.

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L’élection départementale partielle à laquelle j’ai choisi de me porter candidat est pour l’ensemble des citoyens qui y voteront, l’opportunité d’envoyer un message à la duchesse Delga et à sa vassale Malherbe. Celui que Perpignan, que les électeurs ont confié à mes soins et aux soins de ma majorité municipale, ne se laissera pas faire face à un système qui a décidé d’opérer une véritable ségrégation socio-spatiale des habitants en fonction de l’endroit où ils vivent, mais aussi à raison de leurs opinions politiques, comme l’a démontré la condamnation de Carole Delga pour discrimination à l’égard  de Julien Sanchez.

Dans l’ensemble du département, la lassitude du système Delga-Malherbe est prégnante. Dans toute la région, la demande d’un changement dans les principes politiques et la méthode de gouvernement se fait de plus en plus forte. Perpignan, Beaucaire et tant d’autres ont prouvé qu’il était possible de faire mieux et de ne se résigner ni face à la pauvreté, ni face à l’insécurité, ni face à la volonté politique de briser les territoires qui votent mal. A Paris, en Occitanie, et dans les Pyrénées Orientales aussi, l’urgence, c’est l’alternance.