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Marc Obregon, activiste des profondeurs

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Dans Mort au peuple !, la France de 2039 ressemble à un cauchemar à la Lovecraft.


« Encore un roman antimoderne ? » me suis-je demandé avec un léger soupir quand j’ai ouvert le paquet des éditions Nouvelle Marge que m’adressait le confrère Maximilien Friche. Je savais que son auteur, Marc Obregon, écrit (beaucoup) dans le très-catholique L’Incorrect comme dans le très-monarchiste Le Bien commun. Rien de mainstream donc, fort bien. J’ai vite compris qu’il est, comme son éditeur, un disciple de Maurice Dantec, dont j’ai naguère parlé sans tendresse excessive dans Quolibets. J’apprends aussi qu’il a étudié la sémiotique de l’image et qu’il a publié deux ou trois livres, dans la marge

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Puis, j’ai lu une page de Mort au peuple, son roman… que j’ai terminé dans la nuit, crayon à la main, interloqué, agacé et séduit par cette prose violente, tantôt d’un poète, tantôt d’un activiste des profondeurs, pour citer le regretté Jean Parvulesco, qui aurait, je pense, aimé ce périple eschatologique. Entre Lovecraft et Abellio, Obregon nous dépeint la France de 2039, ou plutôt le mental d’un « terroriste » enfermé à vie dans une cellule de haute sécurité. Né dans les années 90, son héros farci de neuroleptiques (Dantec, encore) y moisit en raison de ses accointances avec un groupuscule mystico-guerrier dirigé par un couple de Persans chiites, les séduisants Ifiq et Zayneb, qui ont préparé un attentat au Palais de Tokyo. Ifiq a rencontré le jeune prolo gaulois dans une entreprise de nettoyage, où il vivote, et a rapidement décelé les failles de son poulain : « Regarde… regarde ta France, ce qu’elle est devenue. »

Néo-prolétaires zombifiés

« Voilà l’héritage de Mérovée, l’héritage de la Sainte à l’épée… des pourceaux qui ont le groin dans leurs téléphones, à faire défiler des images prédigérées… des néo-prolétaires zombifiés, qui ont troqué leur foi et leurs valeurs pour des écrans plats, pour des stérilets connectés… (…)  Si la France pue, c’est parce qu’on y bâfre encore la charogne des Rois ».

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Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir en quoi consiste l’opération en elle-même, machiavélique au suprême. L’essentiel est dans la description clinique d’un jeune conspirationniste du proche avenir, révulsé par le remplacement de toute expérience sensible du monde par le simulacre global. Gavé de sous-culture numérique, ce jeune orphelin entend lutter, les armes à la main, contre les nouvelles formes d’esclavage fondées sur l’organisation scientifique d’une diversion de tous les instants : l’omniprésente pornographie, les faux combats « sociétaux », sans oublier le triomphe d’une laideur sans rien d’accidentel : « Je n’avais pas souvenir  d’une époque plus délétère en matière de mode, aussi vomitive de couleurs, aussi pétrie de mauvaises manières. » Tour à tour sympathique et odieux, notre jeune croisé de l’Âge de fer fera l’expérience de la manipulation ultime. 

Obregon ? À surveiller, Monsieur le Commissaire.

Marc Obregon, Mort au peuple, Nouvelle Marge, 200 pages.

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Andreï Makine: premier amour, unique amour

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Un court roman de la maturité


C’est l’histoire d’un premier amour qui durera toujours. Une rencontre entre Taïa, une adolescente contrebandière malgré elle et un jeune Russe de bonne famille nommé Valdas, au milieu des falaises de Crimée. Un effleurement, un baiser à la tempe, une cape de laine suffisent à engendrer un amour que l’Histoire rendra tragique. Cet amour unique, né pendant l’ancien calendrier julien de la Russie impériale, et vécu durant le grégorien imposé par « les constructeurs de l’avenir radieux », résistera au temps qui se moque des idéologies meurtrières. 

Le calendrier du mensonge

Andreï Makine, romancier russe écrivant dans la langue de Victor Hugo, vit en France depuis plus de trente-cinq ans. Il est l’auteur de nombreux livres, dont Le Testament français, Prix Goncourt 1995. Il a été élu à l’Académie française en 1996. Il signe un nouveau roman âpre, concis et mélancolique, L’ancien calendrier d’un amour, dans lequel il raconte l’histoire de Valdas Bataeff, un vieil homme rencontré en 1991 dans le cimetière de Nice en surplomb de la Méditerranée. Valdas lui révèle : « La femme que j’aimais ne demanderait rien d’autre – ce vent ensoleillé et la ligne de mer entre les cyprès. Désormais, cela nous suffit pour être vivants… » Le roman traverse à grandes enjambées le terrible XXe siècle. Le fil rouge est le destin de ce Russe blanc, désigné ainsi après la révolution russe de 1917, officier blessé à la guerre, hanté par la brève rencontre avec Taïa qu’il retrouve par hasard et qu’il peut enfin aimer. Mais la mort les sépare et aucune autre femme ne parviendra à effacer le souvenir de la jeune contrebandière. On suit Valdas tour à tour chauffeur de taxi à Paris, architecte – ce métier le sauvera –, vélo-taxi dans la France de Vichy. Le tourbillon de sa vie mêlé à la convulsion des événements historiques ne parviendront jamais à faire oublier à Valdas « ces quelques jours lumineux de l’automne 1920. Dans le ‘’champ des derniers épis’’. » 

La leçon de ce court roman de la maturité : se tenir à l’écart « du nouveau calendrier, de ses mensonges et de sa brutalité ».

Andreï Makine, L’ancien calendrier d’un amour, Grasset.

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Lettre à une collègue qui ne m’a jamais répondu

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Nous reproduisons ici la lettre d’une professeur de français de Seine Saint-Denis, dépitée, et désormais à la retraite, qui répondait en 2019 à une collègue ne comprenant pas pourquoi elle ne se rendait pas à la manifestation contre la réforme des retraites de Marisol Touraine. À quoi bon manifester pour des conditions de travail, quand l’éthique du métier est à ce point piétinée depuis 30 ans?


Bonjour C***

Je te préviens, cela va être un peu en vrac (comme cela, ce sera bio…). Je vais essayer, néanmoins, de procéder par thèmes : aujourd’hui, de « la trahison des clercs », depuis au moins trente ans, et de l’idéologie techniciste qui s’est littéralement immiscée dans l’enseignement des lettres. Autre préambule, si je trouve la réforme des retraites problématique, je trouve également que l’essentiel n’est jamais abordé. L’essentiel, c’est quoi ? C’est le fait que « les conditions de travail » aient pris le pas sur « l’éthique du métier »[1]. Et c’est de cette dernière dont je désire te parler car à l’oublier, les autres luttes pour moi perdent de leur sens.

La trahison des clercs, d’abord.

C’est-à-dire le renoncement à la langue et à ce qu’on appelait autrefois « les Humanités ».

Ce renoncement a été mis en place il y a déjà longtemps, je l’ai constaté au collège où j’ai fait l’essentiel de ma carrière et dans la scolarité de mon fils.

Commençons par la méthode globale dont je n’aurai cessé de constater les dégâts dans l’apprentissage de la lecture. Puis, sont venus les tableaux dits de compréhension se substituant à la capacité de s’exprimer ; car c’est une chose de cocher une case dans le dit tableau pour faire une croix au bon endroit (comme les gens qui,autrefois, ne savaient ni lire ni écrire…) quand on demande de désigner le chevalier qui a remporté le Graal, mais c’en est radicalement une autre de répondre par une phrase entière : c’est Galaad qui a remporté le Graal ou le chevalier qui a remporté le Graal s’appelle Galaad.

Et je m’attarde un instant sur ce « mythe » de la compréhension qui ne s’accompagne pas d’une véritable imprégnation de la langue ; laquelle passe par de la répétition ; d’exercices, d’écriture. Je me souviens de la réflexion d’un collègue censée dédouaner les élèves : « Mais tu sais, ils connaissent les règles, mais ils ne les appliquent pas ! » ou, dans le meilleur des cas, quand ils les appliquent, c’est après ; après ne pas l’avoir fait parce que l’imprégnation de la langue et l’intériorisation de la grammaire n’ont pas eu lieu. A mon fils de 12 ans à l’époque, qui m’avait laissé un mot dénué d’erreurs, j’avais dit : « Tu fais des progrès ! » et il m’avait rétorqué : « Non, maman, j’ai fait attention… »

Donc désincarnation de la langue au profit de la compréhension de points particuliers du texte mais sans expression de cette compréhension, et sans que cela signifie qu’ils l’aient compris dans sa globalité.

Le renoncement à l’étude de la grammaire – du au fameux « décloisonnement » qui voulait que tout soit dans tout et réciproquement et qu’à aucun moment on ne puisse isoler un point particulier et faire un cours dessus a failli me coûter ma titularisation, car à la demande d’un élève qui me demandait ce qu’était un pronom, j’avais eu « le malheur » de le lui expliquer !

Cette fameuse théorie du décloisonnement s’accompagnait, très logiquement d’ailleurs, de la théorie de l’autonomie du sujet qui devait, par méthode inductive, deviner les choses afin d’éviter que son magistral de prof ne les lui assène de façon par trop autoritaire. (La langue est fasciste, disait Barthes qui, lui, la maniait fort bien et pouvait donc en jouer !) Rares, bien sûr, étaient les « élus » qui devinaient ce qu’est un pronom et à moins de faire un cours là-dessus, tu vois une solution ?…

Anecdote significative : le dernier inspecteur venu m’inspecter m’a dit qu’il n’aurait pas fallu qu’on les écoutât… Personnellement, je ne l’ai pas fait, mais mes jeunes collègues étaient désemparés.

Le formalisme est venu se substituer à l’apprentissage de la langue. On n’avait plus besoin de la langue pour comprendre les textes ; on allait les comprendre sans elle ! Et sont arrivés tous les schémas actanciels qui te découpaient le machin en tranches ; tous les textes passés à la moulinette du tableau en question pour repérer l’élément déclencheur et autre situation finale. Sans compter les points de vue omniscients, internes ou externes et autres « statues » du narrateur qui parlaient si intimement aux élèves de sixième et cinquième. Les Chevaliers de la Table Ronde en ont pris un coup, les élèves et moi aussi. On quittait la littérature pour entrer dans la technique. Les « Temps modernes » de Chaplin battaient le rappel !

Je me souviens de mon fils (encore lui, à 11 ans cette fois-ci) me cueillant un matin avant de partir au collège pour m’avouer n’avoir rien compris à la cinquième question concernant un extrait de « Pinocchio » : « Préciser la situation de communication ». Dire : « Qui parle ? A qui ? Pour dire quoi ? » aurait sans doute été d’un prosaïsme affligeant ! Donc une seule question regroupant trois termes d’un formalisme aberrant pour un enfant de cet âge, mais pas que pour lui. Mon chirurgien ORL (qui n’est pas mon fils…) me dit un jour : « J’ai fait dix ans d’études supérieures et je ne comprends rien aux questions posées en littérature à ma fille en classe de première, je ne peux pas l’aider ! » On imagine pour ceux qui n’ont pas fait les études en question…

La conséquence de ce formalisme inouï fut, entre autres mais c’est une question capitale, une véritable cassure dans la transmission : parents complètement égarés, gamins répétant des mots ne faisant absolument pas sens pour eux.

Par ailleurs, le texte est devenu progressivement un prétexte à une méthodologie techniciste qui allait nous révéler la structure du squelette. Le texte est passé à la trappe ; les tableaux en tous genres et des méthodes peu compréhensibles ont pris le dessus. Des exercices de dissection, en somme…

Car il fallait sortir de la subjectivité (gros mot par excellence) et de la paraphrase (qui a pourtant le mérite – même s’il n’est pas question de s’en contenter – d’inciter l’élève à traduire avec des synonymes le texte qu’il décrypte et qui suppose, on l’aura compris, un minimum de vocabulaire…)

Non, il fallait étudier la forme qui allait nous révéler le sens, sauf que le sens a fini par échapper à la révélation.

Celle-ci m’est apparue de manière encore plus évidente au lycée. Que l’étude de la rhétorique soit revenue en force n’était pourtant pas pour me déplaire, mais il s’avère que c’est le contraire qui se produisit.

D’abord, le hiatus, pour ne pas dire l’abîme, entre le niveau de langue des élèves et les « savoirs savants » qu’on leur demande conduit à fabriquer de faux savants et de vrais analphabètes. Les Précieuses Ridicules ne sont pas loin et Molière s’en donnerait à cœur joie avec des élèves qui ne maîtrisent pas la syntaxe et qui te parlent « zeugme » et « blason ». Au théâtre ça fait rire, dans la vie ça afflige…

Mais on me dit que c’est cela qu’on exige d’eux (au bac, cela va sans dire) et qu’il faut donc inculquer les figures de style à des élèves qui vous disent « Madame, je sais pas quoi c’est… »

Figures de style qu’ils apprennent par cœur comme on répète le discours du Maître, et je ne vois d’ailleurs pas ce qu’on peut faire d’autre que « répéter le discours du Maître » sans y comprendre un seul mot quand on ne maîtrise pas la langue et que les mots ne font pas sens.

Ainsi, une élève qui a eu 20 au bac et qui était venue passer un oral blanc avec moi sur la scène 2 de l’acte I de Dom Juan, m’a dit que c’était en langage soutenu (vrai), que c’était un texte argumentatif (assurément), qu’on y trouvait des hyperboles pour convaincre – et de citer- (absolument), des périphrases pour persuader – et de citer – (sans aucun doute). Mais quand je lui ai demandé ce que Dom Juan disait dans cette tirade, elle ne savait plus quoi dire car elle n’avait pas compris le texte. Il lui manquait du reste la connaissance d’au moins un mot toutes les deux lignes…

D’autre part, le texte ainsi réduit à des procédés en tous genres, à sa forme (« dans le but de… ») induit une philosophie du langage qui ressemble étrangement à tous les discours journalistiques qu’on peut entendre depuis un moment et qui ne voient jamais que « des éléments de langage » dans le but de… ; à de la communication pour… etc. Cette philosophie du langage repose sur l’idée que, finalement, le narrateur instrumentalise celui-ci, entretient avec lui un rapport purement utilitaire, rapport plus ou moins caché que les « demi-habiles » que nous sommes allons, bien sûr, démasquer ! Tout est forme, le sens n’est plus, et le fameux « J’accuse » de Zola va être réduit à l’usage « d’une anaphore » pour frapper les esprits ! De la même façon, tel texte de Voltaire sur la tolérance verra l’idée de tolérance et ses raisons d’être disparaître au profit des « moyens utilisés pour convaincre ». De quoi ? On s’en fiche…

Et pour finir et dans le genre caricatural qui nous dit tellement l’esprit du temps, tu peux trouver dans un manuel de collège une phrase de ce genre : « Balzac utilise des adjectifs pour enrichir le portrait »…

Cette intentionnalité constamment prêtée au narrateur et que les petits malins que nous sommes allons bien vite débusquer est une injure à la littérature et au réel. Ainsi la colère de Zola et ce qu’il dénonce ne sont absolument plus ce qui compte ! Il me semble que pareille approche de la littérature, où le texte saute, où le sens saute, où le réel saute, où la vérité de ce qui est dit n’a strictement plus aucune importance et ne risque pas d’émouvoir ou de faire réfléchir repose sur une anthropologie misérabiliste ne voyant jamais que le seul « intérêt » des individus et la valeur « utilitaire » de leurs gestes, bref l’esprit de calcul !

J’ai vécu un certain nombre de ruptures, voire un nombre certain, avec des collègues très syndiqués, très politisés, et qui dénonçaient – à juste titre- la précarité et autres absences de moyens, mais pour lesquels l’enseignement des lettres qui nous était imposé ne posait strictement aucun problème, sinon que c’était un peu répétitif et vaguement ennuyeux, peut-être… Mais surtout, que les élèves ne sachent plus lire, écrire et s’exprimer n’était pas un problème majeur pour eux ! Ou plutôt qu’il était exclusivement lié à un fait social (tarte à la crème des « milieux défavorisés ») et jamais à l’enseignement lui-même. Et moi qui ai vécu mon enfance dans une cité HLM à Argenteuil, avec une mère institutrice à une époque quasi julesferrienne, je savais que ce n’était pas vrai.

J’ai eu des mots avec L*** lorsqu’il m’a montré une copie bourrée de fautes de syntaxe, d’orthographe et de grammaire et à laquelle il avait mis 20 parce que « ses objectifs méthodologiques étaient atteints » ! Tes objectifs méthodologiques ?! Et la langue ? Qu’est-ce que tu fais de la langue ?! Oh, la langue, a-t-il balayé d’un revers de la main, mais tu as vu où on est ?…

Autrement dit, pour les élèves du 93, c’est bien suffisant ! Vraiment ?! Quel curieux néocolonialisme que cette opinion là… Sans compter la bonne conscience politique que certains se donnent en croyant réparer ainsi les injustices sociales…

Comprends moi bien C***, ce sont des principes que je dénonce, et quand ce n’est pas la fausse charité pour des « malheureux » qui sévit, c’est la croyance en la méthodologie qui désincarne les textes et les lecteurs, et qui a pour conséquence ô combien peu négligeable… de dégoûter les gosses de la littérature.

Les dix tablettes

Enfin, et afin d’enterrer le cadavre, on n’aura rien trouvé de mieux que de supprimer… les livres.

Puisque le nouveau commandement est « à la technique tu te résoudras », nous voilà avec des tablettes à la place des livres en papier. Personnellement, j’ai voté contre et je ne crois pas avoir été la seule, et pourtant on s’est retrouvé avec cette « vacherie » qui correspond tout à fait à ce qu’un penseur appelle « le capitalisme paradoxant »[2] ; à savoir le fait de nous refiler des technologies censées accomplir des miracles et qui, au bout du compte, nous posent des problèmes supplémentaires… Il paraît (je ne sais pas puisque je continue de travailler sur papier) que ces petites choses excessivement fragiles se détraquent, voire cassent très facilement, et que c’est aux parents de les faire réparer, puis de s’adresser à leur police d’assurance pour se faire rembourser ! Même moi, je ne suis pas sûre que j’aurai le courage de le faire, mais pense un peu aux parents sri-lankais arrivés depuis peu et ne parlant pas la langue lorsqu’ils doivent  se débrouiller avec cela !

Je ne comprends absolument pas qu’on ait pu accepter un fait de cette envergure et je ne l’admets pas.

Alors, et pour terminer enfin (il faut bien), je te dirai donc que ma réticence à aller manifester pour nos conditions de travail est immense dès lors que l’éthique du métier est à ce point piétinée, et par les principaux intéressés.


[1] Rolland Gorri NDLR

[2] Vincent de Gauléjac NDLR

Insécurité: chiffres et non-dits

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Triste coïncidence de l’actualité, au moment où le ministère de l’Intérieur publie le peu reluisant bilan de l’insécurité et de la délinquance de 2022, le meurtre de la jeune Sihem fait la « Une », tragique illustration du bilan de l’(in)action du gouvernement et du législateur. 


Inaction ? Oui, ou plus précisément refus obstiné de s’attaquer aux deux principales causes de l’insécurité : l’idéologie qui gangrène tout notre système judiciaire, et l’importation massive de populations dont le rapport à la violence et à la loi est radicalement différent de celui qui fut le nôtre.

Le ministère de l’Intérieur est bien obligé de le reconnaître : « en France, la quasi-totalité des indicateurs de la délinquance enregistrée sont en hausse en 2022 par rapport à l’année précédente ». Litanie de chiffres inquiétants : +15 % de victimes de coups et blessures volontaires sur personnes de plus de 15 ans (après une hausse de +12 % en 2021), +12 % de viols et tentatives de viols, +11 % de cambriolages, +2 % de vols avec armes, +8 % d’escroqueries, et ainsi de suite. Comment l’expliquer ?

On regretterait presque le confinement

D’abord par un « retour à la normale » après une baisse conjoncturelle de la délinquance liée aux mesures Covid, en particulier au confinement. Il est assez simple de comprendre que si tout le monde reste chez soi il y aura moins de cambriolages, et que moins les gens circulent, plus les forces de l’ordre sont en mesure de contrôler ceux qui circulent et d’identifier parmi eux les malfaiteurs. La fermeture des frontières, bien entendu, a également joué un rôle très important : nombre de cambriolages, par exemple, sont le fait de groupes quasi-mafieux albano-kosovars, et le trafic de stupéfiants s’approvisionne surtout à l’étranger selon des filières bien connues.

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Ensuite, par des changements de paradigme. Si les violences intrafamiliales ont à ce point augmenté (+17%), c’est non pas parce qu’il y en a plus, mais d’une part parce que les victimes peuvent plus facilement porter plainte, et d’autre part parce qu’on judiciarise aujourd’hui ce qui, il y a peu, relevait des services sociaux ou de conseillers conjugaux. Un exemple : certains parquets parlent désormais de « violences psychologiques réciproques » pour une dispute conjugale où le ton monte mais où aucune violence physique n’est exercée. De même pour la définition pour le moins évolutive du harcèlement sexuel. À tel point que même Marlène Schiappa, pourtant l’une des principales responsables de cette évolution, a co-signé avec Tristane Banon (qui elle, en revanche, a toujours été lucide sur le sujet) une tribune dénonçant des dérives évidentes.

Enfin, et c’est hélas le principal, ces chiffres ne font que confirmer une tendance de fond, et c’est avant tout celle-ci qui doit nous mobiliser. Nous l’évoquions plus haut, elle a deux causes : les biais idéologiques de l’institution judiciaire, et certaines immigrations.

La harangue de Baudot

Les biais idéologiques sont connus, ils ont été explicités et même revendiqués par Oswald Baudot dans sa célèbre harangue de 1974. Celle-ci a d’ailleurs été qualifiée à juste titre de « bible de la gauche judiciaire » par Hervé Lehman, lui-même ancien magistrat et auteur d’un excellent ouvrage décryptant ce cancer de la justice française, des « petits juges rouges » au « mur des cons ». Cette orientation instrumentalise une « indépendance » de la justice totalement dévoyée : théoriquement garante d’indépendance, cette « indépendance » est devenue prétexte à une justice ouvertement militante, échappant à tout contrôle.

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Dès lors, se pose avec acuité – et le drame de Sihem, dont le meurtrier n’avait rien à faire en liberté, l’illustre – la question de la responsabilité personnelle des juges. Un médecin qui prescrit un mauvais traitement, un chirurgien qui « rate » son patient, un maçon dont le mur s’effondre, un restaurateur dont les clients ont une intoxication alimentaire, tous doivent rendre des comptes et peuvent être sanctionnés. De quel droit les juges seuls seraient-ils intouchables ?

Les ministres Eric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin, Paris, 25 juillet 2022 © Jacques Witt/SIPA

Développons rapidement ce point. Le législateur prévoit, par exemple, que l’auteur d’un certain crime ou délit peut être puni de 10 ans d’emprisonnement au maximum. Les juges rejettent massivement l’idée des peines planchers, et s’arc-boutent sur la « personnalité des peines » (qui induit pourtant une inégalité entre citoyens et un arbitraire de la sanction, puisque pour les mêmes faits vous serez puni différemment selon le juge devant lequel vous comparaîtrez, en fonction des habitudes locales et de la sensibilité personnelle du magistrat). Soit. Mais puisque les magistrats sont attachés à leur propre liberté et ne veulent pas être seulement « la bouche de la loi », qu’ils assument la responsabilité qui accompagne cette liberté ! Si, donc, le juge décide de ne condamner qu’à cinq ans de prison au lieu des 10 possibles, il décide d’octroyer cinq ans de liberté au coupable. Ce faisant, il fait courir un risque à des victimes potentielles : qu’il assume lui-même ce risque, et soit personnellement responsable de tout crime ou délit que commettra le condamné entre la fin de sa peine et la fin théorique de la peine maximale qui aurait pu être prononcée. De même, bien sûr, pour l’application des peines : toute remise de peine doit engager la responsabilité de la personne qui valide cette remise.

On me dira que dans de telles conditions, les juges ne prendront pas de risque et prononceront systématiquement les peines maximales pour se protéger. Vraiment ? C’est donc qu’ils ont conscience qu’il y a un risque à laisser ou remettre certains individus en liberté, et qu’ils sont prêts actuellement à faire courir ce risque à de futures victimes potentielles qui n’y sont pour rien, mais ne seraient pas prêts à assumer eux-mêmes ce risque ! Laissons-leur le choix : préférer la prudence et l’enfermement pour empêcher un criminel de nuire, ou privilégier les belles raisons humanistes qu’ils invoquent aujourd’hui, mais en assumer personnellement les risques et les conséquences.

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Notons au passage que tout ceci relève du législateur : en donnant aux « juges rouges » les outils pour laisser libre cours à leur idéologie, en refusant de construire suffisamment de places de prison, et en alourdissant sans cesse administrativement la tâche des magistrats soucieux de la sécurité des innocents, le législateur (de droite comme de gauche) est bien évidemment co-responsable de toutes les dérives évoquées.

Immigration subie

Reste la question de l’immigration, ou plus exactement de certaines immigrations, car sur ce point comme sur beaucoup d’autres, confondre la communauté algérienne et la communauté vietnamienne serait aussi injuste qu’absurde….

Gérald Darmanin et Emmanuel Macron eux-mêmes l’ont avoué : certaines nationalités étrangères sont sur-représentées dans la délinquance. Et encore n’est-ce là que la partie visible de l’iceberg, puisqu’aux étrangers « administratifs » il faudrait pouvoir ajouter les étrangers de culture et de mœurs.

Comme l’ont très clairement montré Hugues Lagrange (dans Le déni des cultures) et Maurice Berger, la délinquance et plus encore la violence banalisée ont d’importantes racines culturelles, auxquelles s’ajoute une dimension génétique, non en raison de fumeuses considérations « raciales », mais tout simplement à cause des ravages de la fréquente consanguinité qui est la norme dans certaines cultures (et la même consanguinité sur plusieurs générations dans des familles « de souche », lorsqu’elle existe, produit le même résultat).

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En outre, il faut cesser de considérer comme de la simple délinquance ce qui relève du pillage d’une société moralement désarmée par une société étrangère agressive. La délinquance est un phénomène qui désigne, au sein d’un groupe, le non-respect de normes et de lois par certains membres du groupe. Là, il est question de membres d’un groupe exerçant une activité de prédation au détriment de membres d’autres groupes : ce n’est pas de la délinquance, mais des escarmouches aux frontières, ainsi qu’une violence interne au groupe visant à imposer à tous ses membres le respect de ses règles (c’est le harcèlement que subissent dans les « quartiers » les musulmanes non-voilées, les apostats, les homosexuels). Ajoutons la haine de la France, entretenue quotidiennement par la repentance, l’idéologie décoloniale et le soi-disant « antiracisme », mais aussi le « jihad d’atmosphère » qu’évoquent Gilles Kepel et Bernard Rougier, et on comprend que les « territoires perdus » et autres narco-califats ne sont pas des repaires de brigands, mais des enclaves étrangères, souvent de mœurs islamiques, pratiquant la razzia (la nationalité administrative n’ayant d’importance que pour percevoir aides, allocations, et autres milliards gaspillés de la « politique de la ville », lesquelles forment le « tribut versé aux barbares » – le cas du « gang Traoré » est symptomatique). Rappelons donc qu’une sourate du Coran s’appelle « le butin » et codifie le partage des fruits du pillage, et que ce n’est sans doute pas un hasard si la grande majorité de la population carcérale en France est musulmane (je renvoie, là encore, à la remarquable et très factuelle synthèse de l’observatoire de l’immigration et de la démographie).

En Scandinavie, on prend la mesure du problème migratoire

Enfin, n’oublions pas que tous les pays d’Europe font un constat similaire, par exemple la Suède mais aussi le Danemark ou la Norvège, qui l’ont également documenté, convergence d’observations trop forte pour être niée.

Disons-le très simplement : si on choisit d’importer le bled, il faut accepter que la sécurité passe par l’emploi des méthodes des forces de l’ordre du bled. Et si on se refuse à infliger à toute la population ces méthodes, il faut arrêter d’importer le bled.

Gérald Darmanin peut bien « condamner fermement » et « se rendre sur place », ou même augmenter les effectifs des forces de sécurité intérieure et tempêter contre leurs chefs, cela ne changera hélas rien à l’essentiel. Quand le bateau coule, la solution n’est pas d’écoper avec une cuillère plus grande, mais de colmater les fuites.

Harry, un ami qui vous veut du mal

Pas sûr que l’offensive du prince Harry et de son épouse contre sa famille ébranle la Couronne d’Angleterre. En bon rejeton de la génération woke, le petit dernier déballe un récit victimaire et porte des accusations incohérentes. Autobiographie et interviews sont un business profitable. Reste que le système Sussex est fragile.


« Ceci tuera cela ». Le livre que vient de publier le prince Harry, Le Suppléant, peut-il ébranler les fondements de la monarchie britannique ? Au cours de ses plus de mille ans d’existence, la couronne en a vu bien d’autres. Un premier roi de tous les Anglais, Æthelstan, a émergé au xe siècle. Depuis, la monarchie s’est maintes fois renouvelée en faisant appel à des étrangers : Guillaume le Normand en 1066 (monarque légitime du pays, selon le testament du roi Édouard le Confesseur), le Gallois Henry Tudor en 1485, l’Écossais Jacques Stuart en 1603, le Hollandais Guillaume d’Orange en 1689 et le Hanovrien George en 1714. Le trône a été perturbé par des luttes dynastiques sanglantes : l’ainsi dénommée « Anarchie » entre 1138 et 1153 ; la guerre de Cent Ans qui, de 1337 à 1453, a mêlé l’Angleterre à la rivalité entre les Plantagenêt, prétendants au trône de France et les Valois ; et la guerre des Deux-Roses qui a suivi, de 1455 à 1487. Il y a même eu un interlude républicain, entre 1649 et 1660, à la suite d’une guerre civile entre le roi et ses parlementaires. Un monarque, Richard II, a été déposé et probablement assassiné ; un autre, Charles Ier, a été exécuté après un procès. Son fils, Jacques II, a été chassé. Enfin un roi, George III, est devenu fou. Plus récemment, il y a eu les scandales, matrimoniaux et autres, des enfants d’Elizabeth II. Pour survivre à toute cette turbulence, la couronne a dû faire preuve d’une belle résilience. Elle a rarement perdu cette aura magique si essentielle au fonctionnement de l’État britannique. Selon l’ouvrage de référence de Walter Bagehot, The English Constitution, de 1867, la monarchie joue un rôle central en parlant à l’imagination des citoyens tandis que le Parlement parle à leur raison. Pourtant, une telle longévité n’est pas une garantie de survie. La mystique séculaire de la couronne résistera-t-elle à l’hypermédiatisation moderne qui caractérise l’offensive hostile de Harry et Meghan ? À l’ère numérique, le mystère de la royauté ne risque-t-il pas d’être dissipé durablement par toutes les accusations formulées par le duc et la duchesse de Sussex dans leurs entretiens télévisés, leur documentaire Netflix et l’autobiographie de Harry ?

La machine à simulacres

Les monarques anglais ont compris tôt que, pour exercer le pouvoir, il faut maîtriser les apparences et impressionner par le spectacle. À chaque époque, son média. Sous Elisabeth Ire, les pièces historiques de Shakespeare font de la propagande théâtrale pour la dynastie des Tudor. Afin d’amadouer ses sujets écossais lors de sa visite en 1822, George IV fait appel au romancier Walter Scott pour organiser toute une série de défilés et de rituels costumés qui seront à l’origine de la mode des tartans et des kilts. À travers les « durbars » de Delhi – de vastes rassemblements cérémoniaux pour marquer un couronnement – en 1877, 1903 et 1911, la monarchie impressionne, par sa majesté et sa puissance, les sujets de son empire. À partir de 1924, les monarques manient l’art du discours radiodiffusé, puis télévisé à partir de 1957. En 1969, la famille royale s’essaie au documentaire intime, mais la tentative ne sera pas renouvelée. À la place, elle se contente de la couverture médiatique des grands spectacles publics, comme les mariages et les funérailles, dont le dernier en date, pour l’enterrement d’Elizabeth II, est le plus spectaculaire de tous.

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Pourtant, l’image des Windsor a été gravement abîmée dans les années 1990 par le comportement, les révélations et finalement la mort de la princesse Diana. La monarchie a perdu l’initiative médiatique et ne l’a récupérée qu’au prix de longs et patients efforts, comme l’atteste l’évolution de sa cote de popularité. Aujourd’hui, le fils cadet de Diana tente la même opération de destruction que sa mère et semble mieux armé pour la mener à bien. Il est épaulé par une épouse aussi déterminée que lui ; il a quitté officiellement la famille royale ; et, grâce à un marketing habile d’inspiration américaine, le couple a développé une marque anti-Windsor qui se déploie à travers les productions d’une véritable machine médiatique. Sa campagne est d’autant plus dangereuse qu’elle est lancée à l’époque des réseaux sociaux en ligne et de la folie wokiste. Les charges, qu’elles portent sur le prétendu racisme de la famille royale, son manque d’empathie ou sa manipulation des médias, sont propres à exciter la hargne, surtout celle des générations montantes. Dans des réflexions qui anticipaient l’ère numérique, Jean Baudrillard caractérisait la vie moderne comme affligée moins par des illusions qui faussent (et parfois embellissent) la réalité que par des « simulacres » qui nous détournent de la notion même de réalité. Avec ses spectacles à l’ancienne, minutieusement mis en scène, la monarchie pourrait perdre de nouveau l’initiative face à une machine qui scénarise habilement des séances de confidences intimes, des récits victimaires et des propos accusatoires conformes aux idéologies régnantes. Les nouveaux simulacres des Sussex pourraient avoir raison des vieilles illusions de la maison royale.

Que la pièce maîtresse de cette campagne soit un livre est ironique, sauf que le volume, sans doute moins lu que feuilleté, fournit surtout une matière pour des échanges dans d’autres médias. Tout le monde est désormais au courant des grands thèmes du Suppléant : le cynisme et la cruauté des journalistes ; la détresse provoquée par la perte de la maman ; le trio diabolique composé du frère et futur roi, William, de la méchante belle-mère Camilla et du trop réticent père, Charles. Tout le monde connaît les anecdotes croustillantes ou pittoresques : la bagarre avec William où Harry finit par terre, le dos coupé par une gamelle pour chien brisée par sa chute ; une légère engelure de l’organe sexuel qui afflige le prince suite à une expédition arctique ; sa perte de virginité dans un champ avec une femme plus âgée.

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Si la machine de guerre des Sussex semble puissante par son exploitation des différents médias et la multiplication des interventions, elle se révèle faible en raison de cette même prolifération que Harry et Meghan ont du mal à coordonner. C’est ainsi que des contradictions énormes jettent un doute sur la nature même de leur projet. Harry dénonce la presse, mais exploite les médias à la fois pour porter son message et pour faire de l’argent. Il se plaint des contraintes imposées à la vie privée par le statut de membre de la famille royale, tout en livrant au public des détails intimes sur son entourage et le contenu de discussions confidentielles. Il prétend vouloir « sauver la monarchie d’elle-même », mais en parle de manière si négative que l’on croirait qu’elle n’a rien de récupérable. Il proclame qu’il veut se réconcilier avec cette même famille qu’il dénonce tout au long de son livre. Il a jusqu’au couronnement de Charles, le 6 mai, pour le faire. Finalement, il y a l’hypocrisie scandaleuse de deux personnes privilégiées, vivant dans un luxe appréciable, qui se plaignent d’être des victimes. La machine médiatique des Sussex a démarré en trombe, mais elle aura du mal à garder durablement une semblance de crédibilité.

Le prince Harry et Meghan Markle en plein déballage devant les caméras d’Oprah Winfrey,
dans une interview à charge contre la famille royale britannique, 7 mars 2021.

« Psychobabble »

Au cœur de cette masse de contradictions se trouve la psychologie de Harry. Ce dernier est  typique de la génération woke qui est convaincue que ses sentiments subjectifs doivent primer sur la réalité des événements. Depuis la parution du Suppléant, les commentateurs ont trouvé des erreurs, par exemple sur l’endroit où il se trouvait quand il a appris la nouvelle du décès de la reine mère, sur ce que portait sa femme lors de leur premier rendez-vous ou le nom de la plus grande pierre des joyaux de la couronne. Comme pour anticiper ces critiques, Harry écrit : « Les choses dont je me souviens, la façon dont je m’en souviens, sont tout aussi véridiques que les faits prétendument objectifs. » Quand il s’agit de critiquer les autres, les Sussex s’en donnent à cœur joie, mais n’acceptent pas du tout d’être critiqués à leur tour. Interrogé par des journalistes, Harry se braque quand on lui cite des passages de son propre livre. Les suggestions de racisme au sein de la famille royale évoquées dans l’entretien avec Oprah Winfrey en mars 2021 sont absentes de l’autobiographie, ce qui amène Harry à nier que le couple ait jamais parlé de racisme. Les dénis se multiplient au même rythme que les incohérences.

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Tout aussi woke est sa prétention au statut de victime, visiblement nourrie par son ressentiment vis-à-vis de son frère aîné. Dans une certaine mesure, Harry aurait pu être un héros : il a eu une carrière militaire honorable ; il a créé les Jeux Invictus sur le modèle des Jeux paralympiques, pour les vétérans de guerre handicapés ; il possédait un sens de l’humour impertinent et avait trouvé une épouse différente des autres. Mais il a été rongé de l’intérieur par la rivalité avec William, le prince héritier. Le titre même du livre le proclame : sa préoccupation principale est de rester un suppléant par rapport au trône. Au cours du récit, il va jusqu’à se plaindre d’avoir eu une plus petite chambre que son frère ! L’expression de ce ressentiment fait du livre un véritable objet thérapeutique et un bel exemple de ce qu’on appelle en anglais « psychobabble », c’est-à-dire le recours à des concepts thérapeutiques mal compris qu’on applique à tout bout de champ pour expliquer, voire excuser ses actions. Certes, Harry a suivi une psychothérapie et il vit en Californie, où c’est presque une obligation sociale. Mais le psychobabble résulte aussi du fait que son livre n’est pas vraiment de lui mais rédigé (contre la somme d’un million de dollars) par un prête-plume – l’écrivain américain J. R. Moehringer. Ce lauréat du prix Pulitzer avait déjà écrit l’autobiographie du tennisman Andre Agassi. Afin de mieux entrer dans la tête de ce dernier, l’écrivain a passé deux cent cinquante heures en tête-à-tête avec lui. Le grand sésame serait venu après la lecture de Freud au sujet de l’instinct de mort, quand Moehringer a compris qu’un des mobiles secrets d’Agassi était sa tendance autodestructrice. On imagine bien que le travail avec Harry s’est attaché à trouver de telles « clés » de sa personnalité susceptibles de fournir les éléments d’une bonne intrigue. Cette psychologisation excessive se retrouve aussi dans la surexploitation, tout au long du livre, du trauma de la mort de la mère. Il y a une forme d’impudeur dans cette insistance, surtout quand on subodore que le prince veut s’approprier le rôle et le prestige de Diana en en privant son frère aîné. Au-delà d’une certaine limite, la sincérité apparente se mue en obscénité.

Le retour du réel

Tous les simulacres des Sussex sont trop fragiles pour durer, malgré leur impact immédiat qui correspond surtout à l’appétence du public pour les racontars. Le réel fait inévitablement son retour. La guerre médiatique cache une guerre des modèles économiques, une opposition entre le marketing capitaliste pur et une certaine idée de service et d’héritage détenu en fiducie. Certes, les Windsor sont riches, mais ils sont censés travailler pour le bien public. Le monarque et sa famille sont rémunérés par l’État pour les fonctions qu’ils exercent et doivent rendre des comptes. L’argent qui leur est versé représente normalement 15 % des revenus provenant de l’exploitation de leurs propres domaines, hérités de Guillaume le Conquérant, mais gérés par l’État depuis 1760. La famille dispose aussi des revenus des duchés de Lancaster et de Cornwall. En abandonnant leur statut officiel de membres de la maison royale en 2020 (le « Megxit »), les Sussex se sont coupés de ces sources de revenus comme ils ont tourné le dos aux devoirs qui y sont associés. Bien qu’ils ne soient pas pauvres, ils compensent cette perte financière par les sommes colossales qu’ils reçoivent de Spotify, Netflix et de leur éditeur Random House. Face à leur activité fébrile, la maison royale garde un silence absolu, évitant de répondre publiquement aux reproches et révélations. Dans le film Kagemusha, de Kurosawa, un sosie engagé pour faire croire qu’un roi mort est toujours vivant reçoit la consigne, avant une bataille, de rester sans bouger sur son trône au milieu des combats, quoi qu’il arrive. Son immobilité inébranlable inspire ses troupes qui l’emportent. Espérons que la dignité royale triomphera dans la vie aussi.

Le Suppléant

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Jérôme Garcin : le fond et la forme

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Dans Mes Fragiles, Jérôme Garcin a beaucoup de talent : il le sait, on le sait, il écrit magnifiquement. C’est sa force et paradoxalement aussi sa faiblesse.


Tout dépend du sujet que Jérôme Garcin traite. Le registre du familial et de l’intime devient presque exclusif dans son œuvre, lui qui est par ailleurs si retenu. Si la splendeur très travaillée de son style s’accordait bien avec son livre sur Gérard Philippe dont la flamboyance douloureuse et engagée autorise le comble de l’esthétisme, autant elle « jure » un peu avec Mes Fragilités où il évoque avec finesse, émotion les existences de sa mère et de son frère. Ils ont engendré, dans la vie de l’auteur, par leur mort, des déchirements auxquels le destin l’avait déjà en partie habitué.

En-tout-cas, c’est l’impression que j’ai eue comme si ce double « tombeau » était clivé entre une réalité brute, immédiate, tragique, qui aurait appelé mesure, sobriété et presque sécheresse, et un culte ostentatoire du beau langage qui alors apparaissait telle une offense au fond si éprouvant des drames.

Que veut dire écrire bien ?

Une réflexion surgit alors sur ce que signifie « écrire bien » qui dépasse le cas de Jérôme Garcin. Rien de pire que la sensation surgissant à la lecture de certains livres parce que le style est trop beau et orné au point d’étouffer le thème et l’histoire. Ou au contraire, que le style donne au réel qu’il décrit une magie, une tonalité, une lumière qui ne devrait pas être les siennes. Peut-on imaginer le génial Céline nous offrir son monde torturé et sarcastique avec un style de bon élève classique ?

Ce n’est pas soutenir que Mes Fragiles n’est pas un grand petit livre. Seulement qu’il serait encore plus remarquable si son auteur n’avait pas cherché à nous guider avec tant une brillante, soyeuse et ostentatoire incitation vers des sentiments et des émotions que nous aurions été capables d’embrasser tout seuls : la réalité sans apprêt aurait gagné avec la nudité de ses tragédies.

Mes fragiles de Jérôme Garcin (Gallimard)

Mes fragiles

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La croisière s’abuse

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La nouvelle réforme de l’immigration et le droit à la morale


Nous sommes en 2023 après Jésus-Christ. Astérix, Obélix et Panoramix sont en grande vadrouille dans L’Empire du milieu. Toute la Gaule est occupée. Toute ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur. Réfractaires, ils luttent. « Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à la retraite » (Muray).  La vie n’est pas facile pour les souchiens encerclés par L’Empire du bien, entourés de légions Roms, Numides, Scythes, Woke (Sandrine Abalesbonum, Annie Nobélium-Martyrium, Dany Babaoforum), leurs sections spéciales de censure et « sensitivity readers ». Pour sauver le « vivre ensemble », César Machronix, Elisabeth BornX et Gérard DarManix, gallo-romains, veulent transformer le village en Domaine des dieux, l’ouvrir à la galaxie Gloubi-globale. Au nord, le monde d’après c’est le monde d’avant. Odin, Thor, Freyja, les Scandinaves, ont changé de paradigme. Adieu Goudurix, l’irénisme, Love boat (La Croisière s’amuse), Pacific Princess : la fermeture migratoire est d’actualité.

Qu’on se le dise au fond des ports…

Trop, c’est trop ! N’ayez pas peur ! Dans les clapotements furieux des polémiques et marais, tout le monde pagaie, s’en donne à cœur joie. Babel et Sébastien et les copains d’abord. Chacun son radeau de La Méduse, son Bateau ivre, Exodus, Titanic, Petit baigneur, Pourquoi-Pas... Le gouvernement encalminé nous enthymène en bateau avec un nouveau projet de loi immigration, flexidur. La 22ème réforme depuis 1986… toutes, généreuses, humaines, maîtrisées et fermes, en même temps. Comme la retraite, l’immigration est une chance pour la France. Plus on s’angoisse, plus on réforme, moins ça va mieux.

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-Gentil avec les gentils en réduisant les délais de traitement des demandes d’asile.

-Méchant avec les méchants. Moins de 5 % des obligations de quitter le territoire sont exécutées. Le projet veut réduire de 12 à 4 le nombre des recours ouverts aux expulsables. La peur va changer de camp !

-Start-up nation : Régularisation des sans-papiers dans les métiers « en tension » ; cartes de séjour « talent-professions médicales et de pharmacie ». À venir, le « Kit Navigo spécial repenti » (avec bracelet électronique, du Voltairène et un paquet de fraises Tagada) pour ramener au bercail les lionceaux du Califat ; un « sauf-conduit fiscal » pour attirer Arsène Lupin, les tirailleurs décoloniaux et indigènes de la rente mémorielle (en asile politique à Hollywood), sans oublier les soudeurs polonais de réacteurs nucléaires, les Hedge funds de moutarde et les tireurs de penalty. France is back !

-Au commencement était le verbe. L’intégration passe par la langue. Flaubert, Rousseau, Camus et Céline sont au programme des demandeurs d’asile résilients : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar… Me voici donc seul sur la terre… Aujourd’hui, maman est morte.… Tout cela est si lent, si lourd, si triste… ».

Le projet de loi, les rodomontades, indignations et J’accuse d’opérette ne changeront strictement rien au bazar ambiant et chaos à venir. Nous recueillons les malheureux, les passe-murailles, en nous voilant la face sur les centaines de milliers de refoulés du droit d’asile. Avec un peu de patience ou après un regroupement familial, les clandestins sont régularisés. Cornélien ? Non, insoluble et en réalité, peu importe. Aujourd’hui, on n’a plus le droit… La Convention de Genève de 1951 est dévoyée. Gendarme de Saint-Tropez du Bosphore, Recep Erdoğan rackette l’Europe prise en tenaille par les opinions. Ses frontières sont poreuses, l’immigration maîtrisée et choisie est une chimère, les caisses sont vides, le recrutement de milliers de douaniers n’est pas pour demain, La ruée vers l’Europe (Stephen Smith) c’est maintenant.

Quelques propositions pour résoudre la crise migratoire

  • Les Justes: Yes we can!

Assez de mesquineries comptables ! Deux sauvetages quotidiens dans la Manche, au large de Benghazi, c’est dérisoire. Il faut élargir l’Europe aux nouveaux minarets : du cap nord à la Terre Adélie, de Brest à Vancouver, en passant par Vladivostok. Il faut construire un grand pont au-dessus du détroit de Gibraltar et un tunnel au-dessous. Il faut un plan martial… euh, non, Marshall, un Grenelle européen du sauvetage des réfugiés, une flotte de 500 Fairy boats, nouveaux Liberty ships avec blocs opératoires, salle de jeux, cours d’éducation civique, séminaires de dé-radicalisation et déconstruction patriarco-masculiniste.

Pour favoriser la culture du sauvetage et le sauvetage de la Culture, les traversées seront agrémentées par de savantes conférencières. À bord du Shéhérazade, au large des Baléares, Christiane Taubira contera la tragédie des Républicains espagnols, Bernanos, La France et les radeaux. Bronzette et nudisme solidaires sur la terrasse de la villa Malaparte à Capri. Virginie Despentes con.vi.era les figures de Pénélope-Camille-Bardot, victimes du mépris des porcs.vers narcissiques. Après l’escale de Port Saïd, au cap Sounion, à Ramla Bay, Ariane Mnouchkine chantera l’aède, Ulysse et les sirènes, la charge mentale de Calypso et Nausicaa. Fin de la croisière à Corps-fou avec un apéro-débat sur le mouvement Mythe-too, Gaïa, Ouranos, Sissi, Ariane et Solal. Let my pipoles go !

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  • We can do more !

Distribution de doudounes et cartes IGN du parc de la Vanoise aux réfugiés arrivant à Menton. Construction d’une via ferrata clandestine pour rejoindre Chambon-sur-Lignon. Inauguration d’une liaison Radeaux libres « Île de la Cité-Île de Sein », afin de fluidifier la fraternité et les voies sur berges. L’ASSEC, en partenariat avec le musée des confluences et Sea Watch, lance un « Master de Commerce International du Sauvetage en mer ». Pour les intellectuels, une chaire engagée au Collège de France : « Migration, origines et trajectoires progressistes : du Potemkine sur la Mer rouge, au paddle éco-responsable sur lac de Tibériade ».

  • Les populistes crispés et sectaires : No we cannot!

Pour protéger la côte méditerranéenne, largage de mines dérivantes au large de Saint-Mandrier et réactivation de la batterie haute des Mèdes permettant de bombarder Le Camp des Saints. Porquerolles, port de l’angoisse. O tempora, o moresques…

L’intelligence artificielle et ChatGPT sont rocardiens et formels : « Non, il n’est pas possible d’accueillir toute la misère du monde (…) Il est cependant important de soutenir les efforts de solidarité et de coopération internationaux qui visent à améliorer les conditions de vie pour les personnes les plus vulnérables ». … Libé, Le Monde, le Vatican, Wall Street, Sciences Po, l’Unesco, Docteur Justice et Le Club des Cinq sont d’accord avec ChatGPT et vice versa. Science sans confiance et la richesse des notions… C’est quoi un soutien ? Quels efforts ? Quelle solidarité ? Qui est vulnérable ?

We are the world. We are the children…

L'empire du bien

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Le coup du lapin

La Grande Magie, de Noémie Lvovsky, au cinéma le 8 février.


Il faut être absolument fantaisiste, semble dire le cinéma français en ce début d’année et de retour des spectateurs dans les salles obscures. Avec évidemment plus ou moins de bonheur…

Le cinématographe est né en 1895 d’illusionnistes qui se prenaient les uns pour des industriels (les frères Lumière), les autres pour des artistes (Méliès en tête). « De l’art et des gens » donc, comme aurait dit Cocteau : de l’argent dans tous ses états, du commerce qui peut rapporter et une magie qui laisse émerveillée. Depuis lors, le septième art n’en finit pas de marcher sur ces deux jambes-là, oscillant sans cesse entre la rentabilité et le plaisir, la jouissance du box-office et la réjouissance du divertissement. Le nouveau film de Noémie Lvovsky s’inscrit dans ce mouvement, même s’il ne peut prétendre aux recettes phénoménales d’Avatar 2. Mais qui pourrait sérieusement le lui reprocher ? Là où James Cameron déploie ses lémuriens déguisés en grands Schtroumpfs, Lvovsky, bien plus modestement, adapte au cinéma les couleurs bigarrées de l’univers du grand dramaturge italien Eduardo de Filippo. Créée en 1948, La Grande Magie est l’une des plus importantes œuvres du dramaturge et cinéaste transalpin. L’illusion y côtoie la réalité autant que l’humour et la transgression. Tout commence quand le magicien Otto, au cours d’une représentation, fait disparaître la femme de Calogero à la demande de son amant afin qu’ils s’enfuient ensemble. Tandis que quatre années se sont écoulées, l’illusionniste a persuadé le cocu que le temps écoulé n’est que celui de la représentation théâtrale et que son épouse se trouve enfermée dans un coffret qu’il peut ouvrir, dès qu’il sera certain qu’elle s’y trouve. Marquons un temps d’arrêt pour indiquer qu’un certain Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène et directeur du Théâtre de la Ville à Paris, s’est récemment cru autorisé à confier le rôle de Calogero à une actrice et partant de là à inverser les rôles de l’amant, de la femme et du mari. Puissance de la pensée moderne dont le texte de justification commence par : « Dans la version écrite par Eduardo de Filippo, Calogero est un homme. » Et pourtant non : une pièce originelle n’est pas une simple « version », et oui Calogero est un prénom décidément masculin. Les faits sont toujours têtus. On tremble littéralement à l’idée que ce monsieur pourrait prochainement nous donner à voir La Bourgeoise gentille femme, La Nuit des reines, Othella, Cyrana de Bergerac et Cette folle de Platovna.

Revenons plutôt au délicieux film de Noémie Lvovsky qui nous donne sa version de la pièce originelle sans chercher à lui faire dire le contraire de son propos… On y croise d’abord un casting d’une grande intelligence où se mêlent Denis Podalydès, Sergi Lopez, François Morel, Judith Chemla, Damien Bonnard, Micha Lescot et Laurent Stocker, entre autres et sans oublier la réalisatrice elle-même dont la folie douce fait ici des merveilles. On retrouve ici la veine du réalisme poétique chère au tandem Carné-Prévert : Drôle de drame n’est pas très loin, comme les films réalisés par Bruno Podalydès. Arthur Teboul et son groupe Feu ! Chatterton sont eux à la manœuvre côté musique et chansons, et cela contribue aussi à la réussite du film. Car, c’est bien connu, le merveilleux est musical… Rien ne vient enrayer la fluidité narrative qui rend parfaitement compte de la temporalité « gazeuse » voulue par De Filippo. Si la grande magie opère à tous les sens du terme, c’est bien en raison de cette fidélité à la pièce, librement mais respectueusement adaptée. Du côté du Théâtre de la Ville, on serait bien inspiré de suivre une telle démarche. Non par une sorte de dévotion confite, mais par l’application d’une solide conviction : la pièce vaut plus que toutes ses « versions ». Du reste, pourquoi l’adapter si on ne croit pas en elle et en ses vertus profondément divertissantes ? Noémie Lvovsky a l’intelligence profonde de se mettre dans les pas de De Filippo, elle ne fait pas la maline, elle ne cherche pas l’effet facile du clin d’œil moderne. Si on est sous le charme de ce film, c’est parce qu’il y règne comme un parfum de douce absurdité et d’allègre désespoir. La chanson finale qui est une reprise qu’on dirait écrite tout exprès met parfaitement en valeur cette double dimension paradoxale. Dans un tour de magie, on attend toujours l’échec et c’est sa réussite qui peut décevoir. La Grande Magie nous dit ceci à la perfection : il est de magnifiques naufrages qui incitent à reprendre la mer.

Le film du Puy du Fou bénéficie d’un “effet Streisand”

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Grâce aux médias de gauche, « Vaincre ou mourir » est un succès. La curiosité du public est piquée par les critiques virulentes de la gauche culturelle. La première production cinématographique du Puy du Fou doit-elle la remercier pour cette efficace campagne de pub ? Bon ou mauvais, le film, retraçant la vie du Vendéen Charette, aura eu au moins le mérite de démontrer ce que beaucoup attendent du monde universitaire, des arts en général et du cinéma en particulier: une allégeance totale à la doxa… 


Le cinéma français va mal. Les scénarios tournant presque invariablement autour de sujets dits sociétaux, progressistes ou immigrationnistes, les spectateurs ont compris : ils évitent comme la gale ces films subventionnés par le CNC et, quand ils veulent voir des films français de qualité, piochent dans leurs stocks de DVD ceux dont Thomas Morales ravive régulièrement le souvenir à travers de magnifiques portraits des réalisateurs et des acteurs qui firent jadis de notre cinéma un des plus beaux et des plus enviés du monde. 

Bisque bisque rage !

Curieusement, malgré une histoire de France riche en événements et en hommes qui ont marqué leur temps, excessivement rares sont les films français les prenant pour sujet. « Vaincre ou mourir » vient combler partiellement ce vide mais, au grand dam de la gauche, raconte l’épopée des Vendéens luttant contre les armées républicaines en 1793. En plus, bisque bisque rage !, le succès est là.

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Avant de parler du succès de ce film, mon mauvais fond m’incite à rappeler très précisément le nombre d’entrées réalisé par les films formatés et politiquement corrects récemment sortis et ayant pour certains bénéficié d’une extraordinaire publicité dans les médias de gauche, y compris, bien entendu, l’audiovisuel public :

« Les Rascals », de Jimmy Laporal-Tresor. En 1984, alors que « l’extrême droite gagne du terrain en France », une gentille bande de « jeunes de banlieue » est harcelée par une méchante bande de skinheads. Après deux semaines d’exploitation : 31 376 entrées. La grosse baffe !

« Les engagés », d’Émilie Frèche. David aide un « jeune exilé » à semer la police et à passer illégalement en France. Énorme promo, entre autres sur France Inter. Après six semaines d’exploitation : 33 518 entres. Le méga bide !

« Nos Frangins », de Rachid Bouchareb. Film qui revient sur la mort de Malik Oussekine avec tous les poncifs qu’on peut imaginer sur le racisme et les violences policières. Après six semaines d’exploitation : 78 421 entrées. La super gamelle !

« Les survivants », de Guillaume Renusson. Au cœur des Alpes, Samuel sauve une jeune Afghane qui veut rejoindre la France. Mais des vilains fachos vont les traquer… Après trois semaines d’exploitation : 66 491 entrées. Le gros flop !

Avant ça, « Arthur Rambo », de Laurent Cantet, sur ce « pauvre » Mehdi Meklat, avait fait en tout et pour tout 33 000 entrées, et « Le monde d’hier », de Diastème, sur une présidente de la république luttant courageusement contre l’extrême-droite, 78 000 entrées. Deux fiascos ! 

La comparaison de ces chiffres avec celui de « Vaincre ou mourir », film à petit budget et tourné en seulement dix-huit jours, est cruelle. Le film de Vincent Mottez et Paul Mignot fait en effet un très joli carton dès sa première semaine d’exploitation : près de 112 000 entrées avec seulement 188 copies. Le succès étant là, le nombre de copies est passé à 235 pour la deuxième semaine.

Alexis Corbière (LFI) dénonce une falsification de l’histoire

Il faut dire que ce film a bénéficié d’une incroyable publicité. Le Monde, Télérama, L’Obs, France Inter et, surtout, Libération (la une + cinq pleines pages), ont porté à la connaissance du public un film qui, sinon, aurait pu rester confidentiel. La critique, qui se voulait négative, a été si grossière, si caricaturale, si visiblement idéologique, qu’elle a été totalement contre-productive – et l’effet Streisand a marché à plein. « Vaincre ou mourir », pour lequel les producteurs visaient les 100 000 entrées sans vraiment y croire, va vraisemblablement au moins doubler la mise. Je me réjouis (toujours mon mauvais fond) d’imaginer les journalistes de Libération et du Monde en train d’écumer de rage devant le succès de ce film auquel ils ont très largement contribué, sans le vouloir, naturellement. Je les félicite pour leur mauvaise foi et leur bêtise. Je leur sais gré d’avoir mis à profit ces dernières pour révéler aux yeux du monde leur ignorance crasse de l’histoire de leur pays et leur intolérance devant des œuvres qui ne vont pas dans le sens qu’ils souhaitent. Enfin, je les remercie d’avoir été si hargneux, si calomnieux, si lourds, si totalement dépourvus de cette intelligence et de cette finesse qui font les critiques ravageuses – tandis que les leurs, épaisses et bêtes, ont produit l’effet complètement inverse à celui recherché. 

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Comme si cela ne suffisait pas, ce jeudi 2 février Le Monde ouvre ses colonnes aux députés LFI Alexis Corbière et Matthias Tavel. Ces derniers appellent à « une large mobilisation contre la “falsification de l’histoire” et “la culture de l’effacement” » à l’œuvre, selon eux, dans « Vaincre ou Mourir ». Je vous épargne le long délire de ces députés pour ne porter à votre connaissance que la substantifique moelle de leur tribune : ce film serait une « offensive réactionnaire » et « représente un degré supplémentaire franchi par l’entreprise idéologique de la droite ultraconservatrice. Extrêmes droites et droites extrêmes veulent imposer à la société leur grille de lecture des problèmes de notre temps, leur haine de l’égalité républicaine, leur nostalgie morbide de pseudo-traditions catholiques intégristes, leur nationalisme, autant de prétextes à exclure de la nation française tous ceux dont les origines familiales seraient d’ailleurs. » 

Nous attendons maintenant avec impatience les réflexions historico-cinématographiques de Sandrine Rousseau ou Marine Tondelier, et la production du Puy du Fou pourrait sereinement envisager d’atteindre la barre inespérée des 300 000 entrées !

Tel-Aviv en 64 chroniques vagabondes…

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Il y a quatre ans, Marco Koskas défrayait la chronique littéraire parisienne avec Bande de Français, un roman dont aucun éditeur n’avait voulu, pas même ceux qui l’avaient publié auparavant.

Cette histoire d’une bande de potes qui quittent la France pour reconstruire leur vie à Tel-Aviv détonnait. À l’heure de Mohammed Merah et Dieudonné, se dévoiler sioniste tenait, et tient toujours, du délit de pensée.

À rebours, pour Patrick Besson, ce livre c’était « l’alya sur un dance-floor ». C’est ainsi qu’il le résuma alors dans sa chronique du Point, avant de glisser Koskas dans la première sélection du Prix Renaudot.

Les syndicats de libraires stupéfaits crièrent à la trahison, car Koskas s’étant autoédité sur la plateforme d’Amazon, son livre était introuvable en librairie. Il n’en fallait pas plus pour que le buzz soit lancé. Des tribunes hostiles à l’auteur fleurirent dans les gazettes, dont un portrait très limite dans Libé, bref, le livre fut éjecté manu militari de la liste du Renaudot. Mais il avait fait assez de bruit pour que son écho traverse l’Atlantique et s’américanise sous le titre Goodbye Paris, Shalom Tel-Aviv. Le cinéaste Alexandre Arcady essaya de le porter à l’écran, en vain, faute de budget.

Et revoilà Koskas, toujours aussi amoureux de Tel-Aviv, qui raconte sa ville en 64 chroniques vagabondes, pleines de fêtes sur les toits et de shabbat, toujours en bande. Il raconte son quartier, Florentine, la piscine Gordon, nous rencontrons un imprimeur-radiologue, une femme en pleurs dans un bar, les flamboyants du boulevard Rothschild, la gay pride, etc. Ces chroniques, il les a d’abord publiées sur Facebook au jour le jour, au gré de l’inspiration, pendant dix ans. Patiemment. En attendant des jours meilleurs quand ça va mal, en tissant sa joie de vivre quand ça va bien. Dans cette ville qu’on appelle « La Bulle » parce qu’elle aussi fait bande à part.

En ce moment où le nouveau gouvernement d’Israël tout en kippa et tsitsit inquiète, les chroniques de Marco Koskas nous redonnent l’enchantement de Tel-Aviv comme on l’aime.

Marc Obregon, activiste des profondeurs

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D.R.

Dans Mort au peuple !, la France de 2039 ressemble à un cauchemar à la Lovecraft.


« Encore un roman antimoderne ? » me suis-je demandé avec un léger soupir quand j’ai ouvert le paquet des éditions Nouvelle Marge que m’adressait le confrère Maximilien Friche. Je savais que son auteur, Marc Obregon, écrit (beaucoup) dans le très-catholique L’Incorrect comme dans le très-monarchiste Le Bien commun. Rien de mainstream donc, fort bien. J’ai vite compris qu’il est, comme son éditeur, un disciple de Maurice Dantec, dont j’ai naguère parlé sans tendresse excessive dans Quolibets. J’apprends aussi qu’il a étudié la sémiotique de l’image et qu’il a publié deux ou trois livres, dans la marge

A lire aussi : L’espion qui aimait les livres, de John Le Carré: le chant du cygne de l’espionnage

Puis, j’ai lu une page de Mort au peuple, son roman… que j’ai terminé dans la nuit, crayon à la main, interloqué, agacé et séduit par cette prose violente, tantôt d’un poète, tantôt d’un activiste des profondeurs, pour citer le regretté Jean Parvulesco, qui aurait, je pense, aimé ce périple eschatologique. Entre Lovecraft et Abellio, Obregon nous dépeint la France de 2039, ou plutôt le mental d’un « terroriste » enfermé à vie dans une cellule de haute sécurité. Né dans les années 90, son héros farci de neuroleptiques (Dantec, encore) y moisit en raison de ses accointances avec un groupuscule mystico-guerrier dirigé par un couple de Persans chiites, les séduisants Ifiq et Zayneb, qui ont préparé un attentat au Palais de Tokyo. Ifiq a rencontré le jeune prolo gaulois dans une entreprise de nettoyage, où il vivote, et a rapidement décelé les failles de son poulain : « Regarde… regarde ta France, ce qu’elle est devenue. »

Néo-prolétaires zombifiés

« Voilà l’héritage de Mérovée, l’héritage de la Sainte à l’épée… des pourceaux qui ont le groin dans leurs téléphones, à faire défiler des images prédigérées… des néo-prolétaires zombifiés, qui ont troqué leur foi et leurs valeurs pour des écrans plats, pour des stérilets connectés… (…)  Si la France pue, c’est parce qu’on y bâfre encore la charogne des Rois ».

A lire aussi : Lectures pour une fin de civilisation

Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir en quoi consiste l’opération en elle-même, machiavélique au suprême. L’essentiel est dans la description clinique d’un jeune conspirationniste du proche avenir, révulsé par le remplacement de toute expérience sensible du monde par le simulacre global. Gavé de sous-culture numérique, ce jeune orphelin entend lutter, les armes à la main, contre les nouvelles formes d’esclavage fondées sur l’organisation scientifique d’une diversion de tous les instants : l’omniprésente pornographie, les faux combats « sociétaux », sans oublier le triomphe d’une laideur sans rien d’accidentel : « Je n’avais pas souvenir  d’une époque plus délétère en matière de mode, aussi vomitive de couleurs, aussi pétrie de mauvaises manières. » Tour à tour sympathique et odieux, notre jeune croisé de l’Âge de fer fera l’expérience de la manipulation ultime. 

Obregon ? À surveiller, Monsieur le Commissaire.

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Andreï Makine: premier amour, unique amour

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Andreï Makine © crédit photo : JF Paga

Un court roman de la maturité


C’est l’histoire d’un premier amour qui durera toujours. Une rencontre entre Taïa, une adolescente contrebandière malgré elle et un jeune Russe de bonne famille nommé Valdas, au milieu des falaises de Crimée. Un effleurement, un baiser à la tempe, une cape de laine suffisent à engendrer un amour que l’Histoire rendra tragique. Cet amour unique, né pendant l’ancien calendrier julien de la Russie impériale, et vécu durant le grégorien imposé par « les constructeurs de l’avenir radieux », résistera au temps qui se moque des idéologies meurtrières. 

Le calendrier du mensonge

Andreï Makine, romancier russe écrivant dans la langue de Victor Hugo, vit en France depuis plus de trente-cinq ans. Il est l’auteur de nombreux livres, dont Le Testament français, Prix Goncourt 1995. Il a été élu à l’Académie française en 1996. Il signe un nouveau roman âpre, concis et mélancolique, L’ancien calendrier d’un amour, dans lequel il raconte l’histoire de Valdas Bataeff, un vieil homme rencontré en 1991 dans le cimetière de Nice en surplomb de la Méditerranée. Valdas lui révèle : « La femme que j’aimais ne demanderait rien d’autre – ce vent ensoleillé et la ligne de mer entre les cyprès. Désormais, cela nous suffit pour être vivants… » Le roman traverse à grandes enjambées le terrible XXe siècle. Le fil rouge est le destin de ce Russe blanc, désigné ainsi après la révolution russe de 1917, officier blessé à la guerre, hanté par la brève rencontre avec Taïa qu’il retrouve par hasard et qu’il peut enfin aimer. Mais la mort les sépare et aucune autre femme ne parviendra à effacer le souvenir de la jeune contrebandière. On suit Valdas tour à tour chauffeur de taxi à Paris, architecte – ce métier le sauvera –, vélo-taxi dans la France de Vichy. Le tourbillon de sa vie mêlé à la convulsion des événements historiques ne parviendront jamais à faire oublier à Valdas « ces quelques jours lumineux de l’automne 1920. Dans le ‘’champ des derniers épis’’. » 

La leçon de ce court roman de la maturité : se tenir à l’écart « du nouveau calendrier, de ses mensonges et de sa brutalité ».

Andreï Makine, L’ancien calendrier d’un amour, Grasset.

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Lettre à une collègue qui ne m’a jamais répondu

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Image d'illustration Unsplash

Nous reproduisons ici la lettre d’une professeur de français de Seine Saint-Denis, dépitée, et désormais à la retraite, qui répondait en 2019 à une collègue ne comprenant pas pourquoi elle ne se rendait pas à la manifestation contre la réforme des retraites de Marisol Touraine. À quoi bon manifester pour des conditions de travail, quand l’éthique du métier est à ce point piétinée depuis 30 ans?


Bonjour C***

Je te préviens, cela va être un peu en vrac (comme cela, ce sera bio…). Je vais essayer, néanmoins, de procéder par thèmes : aujourd’hui, de « la trahison des clercs », depuis au moins trente ans, et de l’idéologie techniciste qui s’est littéralement immiscée dans l’enseignement des lettres. Autre préambule, si je trouve la réforme des retraites problématique, je trouve également que l’essentiel n’est jamais abordé. L’essentiel, c’est quoi ? C’est le fait que « les conditions de travail » aient pris le pas sur « l’éthique du métier »[1]. Et c’est de cette dernière dont je désire te parler car à l’oublier, les autres luttes pour moi perdent de leur sens.

La trahison des clercs, d’abord.

C’est-à-dire le renoncement à la langue et à ce qu’on appelait autrefois « les Humanités ».

Ce renoncement a été mis en place il y a déjà longtemps, je l’ai constaté au collège où j’ai fait l’essentiel de ma carrière et dans la scolarité de mon fils.

Commençons par la méthode globale dont je n’aurai cessé de constater les dégâts dans l’apprentissage de la lecture. Puis, sont venus les tableaux dits de compréhension se substituant à la capacité de s’exprimer ; car c’est une chose de cocher une case dans le dit tableau pour faire une croix au bon endroit (comme les gens qui,autrefois, ne savaient ni lire ni écrire…) quand on demande de désigner le chevalier qui a remporté le Graal, mais c’en est radicalement une autre de répondre par une phrase entière : c’est Galaad qui a remporté le Graal ou le chevalier qui a remporté le Graal s’appelle Galaad.

Et je m’attarde un instant sur ce « mythe » de la compréhension qui ne s’accompagne pas d’une véritable imprégnation de la langue ; laquelle passe par de la répétition ; d’exercices, d’écriture. Je me souviens de la réflexion d’un collègue censée dédouaner les élèves : « Mais tu sais, ils connaissent les règles, mais ils ne les appliquent pas ! » ou, dans le meilleur des cas, quand ils les appliquent, c’est après ; après ne pas l’avoir fait parce que l’imprégnation de la langue et l’intériorisation de la grammaire n’ont pas eu lieu. A mon fils de 12 ans à l’époque, qui m’avait laissé un mot dénué d’erreurs, j’avais dit : « Tu fais des progrès ! » et il m’avait rétorqué : « Non, maman, j’ai fait attention… »

Donc désincarnation de la langue au profit de la compréhension de points particuliers du texte mais sans expression de cette compréhension, et sans que cela signifie qu’ils l’aient compris dans sa globalité.

Le renoncement à l’étude de la grammaire – du au fameux « décloisonnement » qui voulait que tout soit dans tout et réciproquement et qu’à aucun moment on ne puisse isoler un point particulier et faire un cours dessus a failli me coûter ma titularisation, car à la demande d’un élève qui me demandait ce qu’était un pronom, j’avais eu « le malheur » de le lui expliquer !

Cette fameuse théorie du décloisonnement s’accompagnait, très logiquement d’ailleurs, de la théorie de l’autonomie du sujet qui devait, par méthode inductive, deviner les choses afin d’éviter que son magistral de prof ne les lui assène de façon par trop autoritaire. (La langue est fasciste, disait Barthes qui, lui, la maniait fort bien et pouvait donc en jouer !) Rares, bien sûr, étaient les « élus » qui devinaient ce qu’est un pronom et à moins de faire un cours là-dessus, tu vois une solution ?…

Anecdote significative : le dernier inspecteur venu m’inspecter m’a dit qu’il n’aurait pas fallu qu’on les écoutât… Personnellement, je ne l’ai pas fait, mais mes jeunes collègues étaient désemparés.

Le formalisme est venu se substituer à l’apprentissage de la langue. On n’avait plus besoin de la langue pour comprendre les textes ; on allait les comprendre sans elle ! Et sont arrivés tous les schémas actanciels qui te découpaient le machin en tranches ; tous les textes passés à la moulinette du tableau en question pour repérer l’élément déclencheur et autre situation finale. Sans compter les points de vue omniscients, internes ou externes et autres « statues » du narrateur qui parlaient si intimement aux élèves de sixième et cinquième. Les Chevaliers de la Table Ronde en ont pris un coup, les élèves et moi aussi. On quittait la littérature pour entrer dans la technique. Les « Temps modernes » de Chaplin battaient le rappel !

Je me souviens de mon fils (encore lui, à 11 ans cette fois-ci) me cueillant un matin avant de partir au collège pour m’avouer n’avoir rien compris à la cinquième question concernant un extrait de « Pinocchio » : « Préciser la situation de communication ». Dire : « Qui parle ? A qui ? Pour dire quoi ? » aurait sans doute été d’un prosaïsme affligeant ! Donc une seule question regroupant trois termes d’un formalisme aberrant pour un enfant de cet âge, mais pas que pour lui. Mon chirurgien ORL (qui n’est pas mon fils…) me dit un jour : « J’ai fait dix ans d’études supérieures et je ne comprends rien aux questions posées en littérature à ma fille en classe de première, je ne peux pas l’aider ! » On imagine pour ceux qui n’ont pas fait les études en question…

La conséquence de ce formalisme inouï fut, entre autres mais c’est une question capitale, une véritable cassure dans la transmission : parents complètement égarés, gamins répétant des mots ne faisant absolument pas sens pour eux.

Par ailleurs, le texte est devenu progressivement un prétexte à une méthodologie techniciste qui allait nous révéler la structure du squelette. Le texte est passé à la trappe ; les tableaux en tous genres et des méthodes peu compréhensibles ont pris le dessus. Des exercices de dissection, en somme…

Car il fallait sortir de la subjectivité (gros mot par excellence) et de la paraphrase (qui a pourtant le mérite – même s’il n’est pas question de s’en contenter – d’inciter l’élève à traduire avec des synonymes le texte qu’il décrypte et qui suppose, on l’aura compris, un minimum de vocabulaire…)

Non, il fallait étudier la forme qui allait nous révéler le sens, sauf que le sens a fini par échapper à la révélation.

Celle-ci m’est apparue de manière encore plus évidente au lycée. Que l’étude de la rhétorique soit revenue en force n’était pourtant pas pour me déplaire, mais il s’avère que c’est le contraire qui se produisit.

D’abord, le hiatus, pour ne pas dire l’abîme, entre le niveau de langue des élèves et les « savoirs savants » qu’on leur demande conduit à fabriquer de faux savants et de vrais analphabètes. Les Précieuses Ridicules ne sont pas loin et Molière s’en donnerait à cœur joie avec des élèves qui ne maîtrisent pas la syntaxe et qui te parlent « zeugme » et « blason ». Au théâtre ça fait rire, dans la vie ça afflige…

Mais on me dit que c’est cela qu’on exige d’eux (au bac, cela va sans dire) et qu’il faut donc inculquer les figures de style à des élèves qui vous disent « Madame, je sais pas quoi c’est… »

Figures de style qu’ils apprennent par cœur comme on répète le discours du Maître, et je ne vois d’ailleurs pas ce qu’on peut faire d’autre que « répéter le discours du Maître » sans y comprendre un seul mot quand on ne maîtrise pas la langue et que les mots ne font pas sens.

Ainsi, une élève qui a eu 20 au bac et qui était venue passer un oral blanc avec moi sur la scène 2 de l’acte I de Dom Juan, m’a dit que c’était en langage soutenu (vrai), que c’était un texte argumentatif (assurément), qu’on y trouvait des hyperboles pour convaincre – et de citer- (absolument), des périphrases pour persuader – et de citer – (sans aucun doute). Mais quand je lui ai demandé ce que Dom Juan disait dans cette tirade, elle ne savait plus quoi dire car elle n’avait pas compris le texte. Il lui manquait du reste la connaissance d’au moins un mot toutes les deux lignes…

D’autre part, le texte ainsi réduit à des procédés en tous genres, à sa forme (« dans le but de… ») induit une philosophie du langage qui ressemble étrangement à tous les discours journalistiques qu’on peut entendre depuis un moment et qui ne voient jamais que « des éléments de langage » dans le but de… ; à de la communication pour… etc. Cette philosophie du langage repose sur l’idée que, finalement, le narrateur instrumentalise celui-ci, entretient avec lui un rapport purement utilitaire, rapport plus ou moins caché que les « demi-habiles » que nous sommes allons, bien sûr, démasquer ! Tout est forme, le sens n’est plus, et le fameux « J’accuse » de Zola va être réduit à l’usage « d’une anaphore » pour frapper les esprits ! De la même façon, tel texte de Voltaire sur la tolérance verra l’idée de tolérance et ses raisons d’être disparaître au profit des « moyens utilisés pour convaincre ». De quoi ? On s’en fiche…

Et pour finir et dans le genre caricatural qui nous dit tellement l’esprit du temps, tu peux trouver dans un manuel de collège une phrase de ce genre : « Balzac utilise des adjectifs pour enrichir le portrait »…

Cette intentionnalité constamment prêtée au narrateur et que les petits malins que nous sommes allons bien vite débusquer est une injure à la littérature et au réel. Ainsi la colère de Zola et ce qu’il dénonce ne sont absolument plus ce qui compte ! Il me semble que pareille approche de la littérature, où le texte saute, où le sens saute, où le réel saute, où la vérité de ce qui est dit n’a strictement plus aucune importance et ne risque pas d’émouvoir ou de faire réfléchir repose sur une anthropologie misérabiliste ne voyant jamais que le seul « intérêt » des individus et la valeur « utilitaire » de leurs gestes, bref l’esprit de calcul !

J’ai vécu un certain nombre de ruptures, voire un nombre certain, avec des collègues très syndiqués, très politisés, et qui dénonçaient – à juste titre- la précarité et autres absences de moyens, mais pour lesquels l’enseignement des lettres qui nous était imposé ne posait strictement aucun problème, sinon que c’était un peu répétitif et vaguement ennuyeux, peut-être… Mais surtout, que les élèves ne sachent plus lire, écrire et s’exprimer n’était pas un problème majeur pour eux ! Ou plutôt qu’il était exclusivement lié à un fait social (tarte à la crème des « milieux défavorisés ») et jamais à l’enseignement lui-même. Et moi qui ai vécu mon enfance dans une cité HLM à Argenteuil, avec une mère institutrice à une époque quasi julesferrienne, je savais que ce n’était pas vrai.

J’ai eu des mots avec L*** lorsqu’il m’a montré une copie bourrée de fautes de syntaxe, d’orthographe et de grammaire et à laquelle il avait mis 20 parce que « ses objectifs méthodologiques étaient atteints » ! Tes objectifs méthodologiques ?! Et la langue ? Qu’est-ce que tu fais de la langue ?! Oh, la langue, a-t-il balayé d’un revers de la main, mais tu as vu où on est ?…

Autrement dit, pour les élèves du 93, c’est bien suffisant ! Vraiment ?! Quel curieux néocolonialisme que cette opinion là… Sans compter la bonne conscience politique que certains se donnent en croyant réparer ainsi les injustices sociales…

Comprends moi bien C***, ce sont des principes que je dénonce, et quand ce n’est pas la fausse charité pour des « malheureux » qui sévit, c’est la croyance en la méthodologie qui désincarne les textes et les lecteurs, et qui a pour conséquence ô combien peu négligeable… de dégoûter les gosses de la littérature.

Les dix tablettes

Enfin, et afin d’enterrer le cadavre, on n’aura rien trouvé de mieux que de supprimer… les livres.

Puisque le nouveau commandement est « à la technique tu te résoudras », nous voilà avec des tablettes à la place des livres en papier. Personnellement, j’ai voté contre et je ne crois pas avoir été la seule, et pourtant on s’est retrouvé avec cette « vacherie » qui correspond tout à fait à ce qu’un penseur appelle « le capitalisme paradoxant »[2] ; à savoir le fait de nous refiler des technologies censées accomplir des miracles et qui, au bout du compte, nous posent des problèmes supplémentaires… Il paraît (je ne sais pas puisque je continue de travailler sur papier) que ces petites choses excessivement fragiles se détraquent, voire cassent très facilement, et que c’est aux parents de les faire réparer, puis de s’adresser à leur police d’assurance pour se faire rembourser ! Même moi, je ne suis pas sûre que j’aurai le courage de le faire, mais pense un peu aux parents sri-lankais arrivés depuis peu et ne parlant pas la langue lorsqu’ils doivent  se débrouiller avec cela !

Je ne comprends absolument pas qu’on ait pu accepter un fait de cette envergure et je ne l’admets pas.

Alors, et pour terminer enfin (il faut bien), je te dirai donc que ma réticence à aller manifester pour nos conditions de travail est immense dès lors que l’éthique du métier est à ce point piétinée, et par les principaux intéressés.


[1] Rolland Gorri NDLR

[2] Vincent de Gauléjac NDLR

Insécurité: chiffres et non-dits

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Triste coïncidence de l’actualité, au moment où le ministère de l’Intérieur publie le peu reluisant bilan de l’insécurité et de la délinquance de 2022, le meurtre de la jeune Sihem fait la « Une », tragique illustration du bilan de l’(in)action du gouvernement et du législateur. 


Inaction ? Oui, ou plus précisément refus obstiné de s’attaquer aux deux principales causes de l’insécurité : l’idéologie qui gangrène tout notre système judiciaire, et l’importation massive de populations dont le rapport à la violence et à la loi est radicalement différent de celui qui fut le nôtre.

Le ministère de l’Intérieur est bien obligé de le reconnaître : « en France, la quasi-totalité des indicateurs de la délinquance enregistrée sont en hausse en 2022 par rapport à l’année précédente ». Litanie de chiffres inquiétants : +15 % de victimes de coups et blessures volontaires sur personnes de plus de 15 ans (après une hausse de +12 % en 2021), +12 % de viols et tentatives de viols, +11 % de cambriolages, +2 % de vols avec armes, +8 % d’escroqueries, et ainsi de suite. Comment l’expliquer ?

On regretterait presque le confinement

D’abord par un « retour à la normale » après une baisse conjoncturelle de la délinquance liée aux mesures Covid, en particulier au confinement. Il est assez simple de comprendre que si tout le monde reste chez soi il y aura moins de cambriolages, et que moins les gens circulent, plus les forces de l’ordre sont en mesure de contrôler ceux qui circulent et d’identifier parmi eux les malfaiteurs. La fermeture des frontières, bien entendu, a également joué un rôle très important : nombre de cambriolages, par exemple, sont le fait de groupes quasi-mafieux albano-kosovars, et le trafic de stupéfiants s’approvisionne surtout à l’étranger selon des filières bien connues.

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Ensuite, par des changements de paradigme. Si les violences intrafamiliales ont à ce point augmenté (+17%), c’est non pas parce qu’il y en a plus, mais d’une part parce que les victimes peuvent plus facilement porter plainte, et d’autre part parce qu’on judiciarise aujourd’hui ce qui, il y a peu, relevait des services sociaux ou de conseillers conjugaux. Un exemple : certains parquets parlent désormais de « violences psychologiques réciproques » pour une dispute conjugale où le ton monte mais où aucune violence physique n’est exercée. De même pour la définition pour le moins évolutive du harcèlement sexuel. À tel point que même Marlène Schiappa, pourtant l’une des principales responsables de cette évolution, a co-signé avec Tristane Banon (qui elle, en revanche, a toujours été lucide sur le sujet) une tribune dénonçant des dérives évidentes.

Enfin, et c’est hélas le principal, ces chiffres ne font que confirmer une tendance de fond, et c’est avant tout celle-ci qui doit nous mobiliser. Nous l’évoquions plus haut, elle a deux causes : les biais idéologiques de l’institution judiciaire, et certaines immigrations.

La harangue de Baudot

Les biais idéologiques sont connus, ils ont été explicités et même revendiqués par Oswald Baudot dans sa célèbre harangue de 1974. Celle-ci a d’ailleurs été qualifiée à juste titre de « bible de la gauche judiciaire » par Hervé Lehman, lui-même ancien magistrat et auteur d’un excellent ouvrage décryptant ce cancer de la justice française, des « petits juges rouges » au « mur des cons ». Cette orientation instrumentalise une « indépendance » de la justice totalement dévoyée : théoriquement garante d’indépendance, cette « indépendance » est devenue prétexte à une justice ouvertement militante, échappant à tout contrôle.

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Dès lors, se pose avec acuité – et le drame de Sihem, dont le meurtrier n’avait rien à faire en liberté, l’illustre – la question de la responsabilité personnelle des juges. Un médecin qui prescrit un mauvais traitement, un chirurgien qui « rate » son patient, un maçon dont le mur s’effondre, un restaurateur dont les clients ont une intoxication alimentaire, tous doivent rendre des comptes et peuvent être sanctionnés. De quel droit les juges seuls seraient-ils intouchables ?

Les ministres Eric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin, Paris, 25 juillet 2022 © Jacques Witt/SIPA

Développons rapidement ce point. Le législateur prévoit, par exemple, que l’auteur d’un certain crime ou délit peut être puni de 10 ans d’emprisonnement au maximum. Les juges rejettent massivement l’idée des peines planchers, et s’arc-boutent sur la « personnalité des peines » (qui induit pourtant une inégalité entre citoyens et un arbitraire de la sanction, puisque pour les mêmes faits vous serez puni différemment selon le juge devant lequel vous comparaîtrez, en fonction des habitudes locales et de la sensibilité personnelle du magistrat). Soit. Mais puisque les magistrats sont attachés à leur propre liberté et ne veulent pas être seulement « la bouche de la loi », qu’ils assument la responsabilité qui accompagne cette liberté ! Si, donc, le juge décide de ne condamner qu’à cinq ans de prison au lieu des 10 possibles, il décide d’octroyer cinq ans de liberté au coupable. Ce faisant, il fait courir un risque à des victimes potentielles : qu’il assume lui-même ce risque, et soit personnellement responsable de tout crime ou délit que commettra le condamné entre la fin de sa peine et la fin théorique de la peine maximale qui aurait pu être prononcée. De même, bien sûr, pour l’application des peines : toute remise de peine doit engager la responsabilité de la personne qui valide cette remise.

On me dira que dans de telles conditions, les juges ne prendront pas de risque et prononceront systématiquement les peines maximales pour se protéger. Vraiment ? C’est donc qu’ils ont conscience qu’il y a un risque à laisser ou remettre certains individus en liberté, et qu’ils sont prêts actuellement à faire courir ce risque à de futures victimes potentielles qui n’y sont pour rien, mais ne seraient pas prêts à assumer eux-mêmes ce risque ! Laissons-leur le choix : préférer la prudence et l’enfermement pour empêcher un criminel de nuire, ou privilégier les belles raisons humanistes qu’ils invoquent aujourd’hui, mais en assumer personnellement les risques et les conséquences.

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Notons au passage que tout ceci relève du législateur : en donnant aux « juges rouges » les outils pour laisser libre cours à leur idéologie, en refusant de construire suffisamment de places de prison, et en alourdissant sans cesse administrativement la tâche des magistrats soucieux de la sécurité des innocents, le législateur (de droite comme de gauche) est bien évidemment co-responsable de toutes les dérives évoquées.

Immigration subie

Reste la question de l’immigration, ou plus exactement de certaines immigrations, car sur ce point comme sur beaucoup d’autres, confondre la communauté algérienne et la communauté vietnamienne serait aussi injuste qu’absurde….

Gérald Darmanin et Emmanuel Macron eux-mêmes l’ont avoué : certaines nationalités étrangères sont sur-représentées dans la délinquance. Et encore n’est-ce là que la partie visible de l’iceberg, puisqu’aux étrangers « administratifs » il faudrait pouvoir ajouter les étrangers de culture et de mœurs.

Comme l’ont très clairement montré Hugues Lagrange (dans Le déni des cultures) et Maurice Berger, la délinquance et plus encore la violence banalisée ont d’importantes racines culturelles, auxquelles s’ajoute une dimension génétique, non en raison de fumeuses considérations « raciales », mais tout simplement à cause des ravages de la fréquente consanguinité qui est la norme dans certaines cultures (et la même consanguinité sur plusieurs générations dans des familles « de souche », lorsqu’elle existe, produit le même résultat).

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En outre, il faut cesser de considérer comme de la simple délinquance ce qui relève du pillage d’une société moralement désarmée par une société étrangère agressive. La délinquance est un phénomène qui désigne, au sein d’un groupe, le non-respect de normes et de lois par certains membres du groupe. Là, il est question de membres d’un groupe exerçant une activité de prédation au détriment de membres d’autres groupes : ce n’est pas de la délinquance, mais des escarmouches aux frontières, ainsi qu’une violence interne au groupe visant à imposer à tous ses membres le respect de ses règles (c’est le harcèlement que subissent dans les « quartiers » les musulmanes non-voilées, les apostats, les homosexuels). Ajoutons la haine de la France, entretenue quotidiennement par la repentance, l’idéologie décoloniale et le soi-disant « antiracisme », mais aussi le « jihad d’atmosphère » qu’évoquent Gilles Kepel et Bernard Rougier, et on comprend que les « territoires perdus » et autres narco-califats ne sont pas des repaires de brigands, mais des enclaves étrangères, souvent de mœurs islamiques, pratiquant la razzia (la nationalité administrative n’ayant d’importance que pour percevoir aides, allocations, et autres milliards gaspillés de la « politique de la ville », lesquelles forment le « tribut versé aux barbares » – le cas du « gang Traoré » est symptomatique). Rappelons donc qu’une sourate du Coran s’appelle « le butin » et codifie le partage des fruits du pillage, et que ce n’est sans doute pas un hasard si la grande majorité de la population carcérale en France est musulmane (je renvoie, là encore, à la remarquable et très factuelle synthèse de l’observatoire de l’immigration et de la démographie).

En Scandinavie, on prend la mesure du problème migratoire

Enfin, n’oublions pas que tous les pays d’Europe font un constat similaire, par exemple la Suède mais aussi le Danemark ou la Norvège, qui l’ont également documenté, convergence d’observations trop forte pour être niée.

Disons-le très simplement : si on choisit d’importer le bled, il faut accepter que la sécurité passe par l’emploi des méthodes des forces de l’ordre du bled. Et si on se refuse à infliger à toute la population ces méthodes, il faut arrêter d’importer le bled.

Gérald Darmanin peut bien « condamner fermement » et « se rendre sur place », ou même augmenter les effectifs des forces de sécurité intérieure et tempêter contre leurs chefs, cela ne changera hélas rien à l’essentiel. Quand le bateau coule, la solution n’est pas d’écoper avec une cuillère plus grande, mais de colmater les fuites.

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Harry, un ami qui vous veut du mal

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Le prince Harry à la cérémonie d’ouverture des Invictus Games 2019 à La Haye (Pays-Bas), 29 octobre 2019. ©Paul Groover/REX/Sipa

Pas sûr que l’offensive du prince Harry et de son épouse contre sa famille ébranle la Couronne d’Angleterre. En bon rejeton de la génération woke, le petit dernier déballe un récit victimaire et porte des accusations incohérentes. Autobiographie et interviews sont un business profitable. Reste que le système Sussex est fragile.


« Ceci tuera cela ». Le livre que vient de publier le prince Harry, Le Suppléant, peut-il ébranler les fondements de la monarchie britannique ? Au cours de ses plus de mille ans d’existence, la couronne en a vu bien d’autres. Un premier roi de tous les Anglais, Æthelstan, a émergé au xe siècle. Depuis, la monarchie s’est maintes fois renouvelée en faisant appel à des étrangers : Guillaume le Normand en 1066 (monarque légitime du pays, selon le testament du roi Édouard le Confesseur), le Gallois Henry Tudor en 1485, l’Écossais Jacques Stuart en 1603, le Hollandais Guillaume d’Orange en 1689 et le Hanovrien George en 1714. Le trône a été perturbé par des luttes dynastiques sanglantes : l’ainsi dénommée « Anarchie » entre 1138 et 1153 ; la guerre de Cent Ans qui, de 1337 à 1453, a mêlé l’Angleterre à la rivalité entre les Plantagenêt, prétendants au trône de France et les Valois ; et la guerre des Deux-Roses qui a suivi, de 1455 à 1487. Il y a même eu un interlude républicain, entre 1649 et 1660, à la suite d’une guerre civile entre le roi et ses parlementaires. Un monarque, Richard II, a été déposé et probablement assassiné ; un autre, Charles Ier, a été exécuté après un procès. Son fils, Jacques II, a été chassé. Enfin un roi, George III, est devenu fou. Plus récemment, il y a eu les scandales, matrimoniaux et autres, des enfants d’Elizabeth II. Pour survivre à toute cette turbulence, la couronne a dû faire preuve d’une belle résilience. Elle a rarement perdu cette aura magique si essentielle au fonctionnement de l’État britannique. Selon l’ouvrage de référence de Walter Bagehot, The English Constitution, de 1867, la monarchie joue un rôle central en parlant à l’imagination des citoyens tandis que le Parlement parle à leur raison. Pourtant, une telle longévité n’est pas une garantie de survie. La mystique séculaire de la couronne résistera-t-elle à l’hypermédiatisation moderne qui caractérise l’offensive hostile de Harry et Meghan ? À l’ère numérique, le mystère de la royauté ne risque-t-il pas d’être dissipé durablement par toutes les accusations formulées par le duc et la duchesse de Sussex dans leurs entretiens télévisés, leur documentaire Netflix et l’autobiographie de Harry ?

La machine à simulacres

Les monarques anglais ont compris tôt que, pour exercer le pouvoir, il faut maîtriser les apparences et impressionner par le spectacle. À chaque époque, son média. Sous Elisabeth Ire, les pièces historiques de Shakespeare font de la propagande théâtrale pour la dynastie des Tudor. Afin d’amadouer ses sujets écossais lors de sa visite en 1822, George IV fait appel au romancier Walter Scott pour organiser toute une série de défilés et de rituels costumés qui seront à l’origine de la mode des tartans et des kilts. À travers les « durbars » de Delhi – de vastes rassemblements cérémoniaux pour marquer un couronnement – en 1877, 1903 et 1911, la monarchie impressionne, par sa majesté et sa puissance, les sujets de son empire. À partir de 1924, les monarques manient l’art du discours radiodiffusé, puis télévisé à partir de 1957. En 1969, la famille royale s’essaie au documentaire intime, mais la tentative ne sera pas renouvelée. À la place, elle se contente de la couverture médiatique des grands spectacles publics, comme les mariages et les funérailles, dont le dernier en date, pour l’enterrement d’Elizabeth II, est le plus spectaculaire de tous.

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Pourtant, l’image des Windsor a été gravement abîmée dans les années 1990 par le comportement, les révélations et finalement la mort de la princesse Diana. La monarchie a perdu l’initiative médiatique et ne l’a récupérée qu’au prix de longs et patients efforts, comme l’atteste l’évolution de sa cote de popularité. Aujourd’hui, le fils cadet de Diana tente la même opération de destruction que sa mère et semble mieux armé pour la mener à bien. Il est épaulé par une épouse aussi déterminée que lui ; il a quitté officiellement la famille royale ; et, grâce à un marketing habile d’inspiration américaine, le couple a développé une marque anti-Windsor qui se déploie à travers les productions d’une véritable machine médiatique. Sa campagne est d’autant plus dangereuse qu’elle est lancée à l’époque des réseaux sociaux en ligne et de la folie wokiste. Les charges, qu’elles portent sur le prétendu racisme de la famille royale, son manque d’empathie ou sa manipulation des médias, sont propres à exciter la hargne, surtout celle des générations montantes. Dans des réflexions qui anticipaient l’ère numérique, Jean Baudrillard caractérisait la vie moderne comme affligée moins par des illusions qui faussent (et parfois embellissent) la réalité que par des « simulacres » qui nous détournent de la notion même de réalité. Avec ses spectacles à l’ancienne, minutieusement mis en scène, la monarchie pourrait perdre de nouveau l’initiative face à une machine qui scénarise habilement des séances de confidences intimes, des récits victimaires et des propos accusatoires conformes aux idéologies régnantes. Les nouveaux simulacres des Sussex pourraient avoir raison des vieilles illusions de la maison royale.

Que la pièce maîtresse de cette campagne soit un livre est ironique, sauf que le volume, sans doute moins lu que feuilleté, fournit surtout une matière pour des échanges dans d’autres médias. Tout le monde est désormais au courant des grands thèmes du Suppléant : le cynisme et la cruauté des journalistes ; la détresse provoquée par la perte de la maman ; le trio diabolique composé du frère et futur roi, William, de la méchante belle-mère Camilla et du trop réticent père, Charles. Tout le monde connaît les anecdotes croustillantes ou pittoresques : la bagarre avec William où Harry finit par terre, le dos coupé par une gamelle pour chien brisée par sa chute ; une légère engelure de l’organe sexuel qui afflige le prince suite à une expédition arctique ; sa perte de virginité dans un champ avec une femme plus âgée.

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Si la machine de guerre des Sussex semble puissante par son exploitation des différents médias et la multiplication des interventions, elle se révèle faible en raison de cette même prolifération que Harry et Meghan ont du mal à coordonner. C’est ainsi que des contradictions énormes jettent un doute sur la nature même de leur projet. Harry dénonce la presse, mais exploite les médias à la fois pour porter son message et pour faire de l’argent. Il se plaint des contraintes imposées à la vie privée par le statut de membre de la famille royale, tout en livrant au public des détails intimes sur son entourage et le contenu de discussions confidentielles. Il prétend vouloir « sauver la monarchie d’elle-même », mais en parle de manière si négative que l’on croirait qu’elle n’a rien de récupérable. Il proclame qu’il veut se réconcilier avec cette même famille qu’il dénonce tout au long de son livre. Il a jusqu’au couronnement de Charles, le 6 mai, pour le faire. Finalement, il y a l’hypocrisie scandaleuse de deux personnes privilégiées, vivant dans un luxe appréciable, qui se plaignent d’être des victimes. La machine médiatique des Sussex a démarré en trombe, mais elle aura du mal à garder durablement une semblance de crédibilité.

Le prince Harry et Meghan Markle en plein déballage devant les caméras d’Oprah Winfrey,
dans une interview à charge contre la famille royale britannique, 7 mars 2021.

« Psychobabble »

Au cœur de cette masse de contradictions se trouve la psychologie de Harry. Ce dernier est  typique de la génération woke qui est convaincue que ses sentiments subjectifs doivent primer sur la réalité des événements. Depuis la parution du Suppléant, les commentateurs ont trouvé des erreurs, par exemple sur l’endroit où il se trouvait quand il a appris la nouvelle du décès de la reine mère, sur ce que portait sa femme lors de leur premier rendez-vous ou le nom de la plus grande pierre des joyaux de la couronne. Comme pour anticiper ces critiques, Harry écrit : « Les choses dont je me souviens, la façon dont je m’en souviens, sont tout aussi véridiques que les faits prétendument objectifs. » Quand il s’agit de critiquer les autres, les Sussex s’en donnent à cœur joie, mais n’acceptent pas du tout d’être critiqués à leur tour. Interrogé par des journalistes, Harry se braque quand on lui cite des passages de son propre livre. Les suggestions de racisme au sein de la famille royale évoquées dans l’entretien avec Oprah Winfrey en mars 2021 sont absentes de l’autobiographie, ce qui amène Harry à nier que le couple ait jamais parlé de racisme. Les dénis se multiplient au même rythme que les incohérences.

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Tout aussi woke est sa prétention au statut de victime, visiblement nourrie par son ressentiment vis-à-vis de son frère aîné. Dans une certaine mesure, Harry aurait pu être un héros : il a eu une carrière militaire honorable ; il a créé les Jeux Invictus sur le modèle des Jeux paralympiques, pour les vétérans de guerre handicapés ; il possédait un sens de l’humour impertinent et avait trouvé une épouse différente des autres. Mais il a été rongé de l’intérieur par la rivalité avec William, le prince héritier. Le titre même du livre le proclame : sa préoccupation principale est de rester un suppléant par rapport au trône. Au cours du récit, il va jusqu’à se plaindre d’avoir eu une plus petite chambre que son frère ! L’expression de ce ressentiment fait du livre un véritable objet thérapeutique et un bel exemple de ce qu’on appelle en anglais « psychobabble », c’est-à-dire le recours à des concepts thérapeutiques mal compris qu’on applique à tout bout de champ pour expliquer, voire excuser ses actions. Certes, Harry a suivi une psychothérapie et il vit en Californie, où c’est presque une obligation sociale. Mais le psychobabble résulte aussi du fait que son livre n’est pas vraiment de lui mais rédigé (contre la somme d’un million de dollars) par un prête-plume – l’écrivain américain J. R. Moehringer. Ce lauréat du prix Pulitzer avait déjà écrit l’autobiographie du tennisman Andre Agassi. Afin de mieux entrer dans la tête de ce dernier, l’écrivain a passé deux cent cinquante heures en tête-à-tête avec lui. Le grand sésame serait venu après la lecture de Freud au sujet de l’instinct de mort, quand Moehringer a compris qu’un des mobiles secrets d’Agassi était sa tendance autodestructrice. On imagine bien que le travail avec Harry s’est attaché à trouver de telles « clés » de sa personnalité susceptibles de fournir les éléments d’une bonne intrigue. Cette psychologisation excessive se retrouve aussi dans la surexploitation, tout au long du livre, du trauma de la mort de la mère. Il y a une forme d’impudeur dans cette insistance, surtout quand on subodore que le prince veut s’approprier le rôle et le prestige de Diana en en privant son frère aîné. Au-delà d’une certaine limite, la sincérité apparente se mue en obscénité.

Le retour du réel

Tous les simulacres des Sussex sont trop fragiles pour durer, malgré leur impact immédiat qui correspond surtout à l’appétence du public pour les racontars. Le réel fait inévitablement son retour. La guerre médiatique cache une guerre des modèles économiques, une opposition entre le marketing capitaliste pur et une certaine idée de service et d’héritage détenu en fiducie. Certes, les Windsor sont riches, mais ils sont censés travailler pour le bien public. Le monarque et sa famille sont rémunérés par l’État pour les fonctions qu’ils exercent et doivent rendre des comptes. L’argent qui leur est versé représente normalement 15 % des revenus provenant de l’exploitation de leurs propres domaines, hérités de Guillaume le Conquérant, mais gérés par l’État depuis 1760. La famille dispose aussi des revenus des duchés de Lancaster et de Cornwall. En abandonnant leur statut officiel de membres de la maison royale en 2020 (le « Megxit »), les Sussex se sont coupés de ces sources de revenus comme ils ont tourné le dos aux devoirs qui y sont associés. Bien qu’ils ne soient pas pauvres, ils compensent cette perte financière par les sommes colossales qu’ils reçoivent de Spotify, Netflix et de leur éditeur Random House. Face à leur activité fébrile, la maison royale garde un silence absolu, évitant de répondre publiquement aux reproches et révélations. Dans le film Kagemusha, de Kurosawa, un sosie engagé pour faire croire qu’un roi mort est toujours vivant reçoit la consigne, avant une bataille, de rester sans bouger sur son trône au milieu des combats, quoi qu’il arrive. Son immobilité inébranlable inspire ses troupes qui l’emportent. Espérons que la dignité royale triomphera dans la vie aussi.

Le Suppléant

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The English Constitution

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Jérôme Garcin : le fond et la forme

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Jérôme Garcin, journaliste et écrivain, en 2018. © SADAKA EDMOND/SIPA

Dans Mes Fragiles, Jérôme Garcin a beaucoup de talent : il le sait, on le sait, il écrit magnifiquement. C’est sa force et paradoxalement aussi sa faiblesse.


Tout dépend du sujet que Jérôme Garcin traite. Le registre du familial et de l’intime devient presque exclusif dans son œuvre, lui qui est par ailleurs si retenu. Si la splendeur très travaillée de son style s’accordait bien avec son livre sur Gérard Philippe dont la flamboyance douloureuse et engagée autorise le comble de l’esthétisme, autant elle « jure » un peu avec Mes Fragilités où il évoque avec finesse, émotion les existences de sa mère et de son frère. Ils ont engendré, dans la vie de l’auteur, par leur mort, des déchirements auxquels le destin l’avait déjà en partie habitué.

En-tout-cas, c’est l’impression que j’ai eue comme si ce double « tombeau » était clivé entre une réalité brute, immédiate, tragique, qui aurait appelé mesure, sobriété et presque sécheresse, et un culte ostentatoire du beau langage qui alors apparaissait telle une offense au fond si éprouvant des drames.

Que veut dire écrire bien ?

Une réflexion surgit alors sur ce que signifie « écrire bien » qui dépasse le cas de Jérôme Garcin. Rien de pire que la sensation surgissant à la lecture de certains livres parce que le style est trop beau et orné au point d’étouffer le thème et l’histoire. Ou au contraire, que le style donne au réel qu’il décrit une magie, une tonalité, une lumière qui ne devrait pas être les siennes. Peut-on imaginer le génial Céline nous offrir son monde torturé et sarcastique avec un style de bon élève classique ?

Ce n’est pas soutenir que Mes Fragiles n’est pas un grand petit livre. Seulement qu’il serait encore plus remarquable si son auteur n’avait pas cherché à nous guider avec tant une brillante, soyeuse et ostentatoire incitation vers des sentiments et des émotions que nous aurions été capables d’embrasser tout seuls : la réalité sans apprêt aurait gagné avec la nudité de ses tragédies.

Mes fragiles de Jérôme Garcin (Gallimard)

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La croisière s’abuse

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Mercredi 1 février 2023, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a présenté son projet de réforme de l'immigration en Conseil des Ministres © Jacques Witt/SIPA

La nouvelle réforme de l’immigration et le droit à la morale


Nous sommes en 2023 après Jésus-Christ. Astérix, Obélix et Panoramix sont en grande vadrouille dans L’Empire du milieu. Toute la Gaule est occupée. Toute ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur. Réfractaires, ils luttent. « Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à la retraite » (Muray).  La vie n’est pas facile pour les souchiens encerclés par L’Empire du bien, entourés de légions Roms, Numides, Scythes, Woke (Sandrine Abalesbonum, Annie Nobélium-Martyrium, Dany Babaoforum), leurs sections spéciales de censure et « sensitivity readers ». Pour sauver le « vivre ensemble », César Machronix, Elisabeth BornX et Gérard DarManix, gallo-romains, veulent transformer le village en Domaine des dieux, l’ouvrir à la galaxie Gloubi-globale. Au nord, le monde d’après c’est le monde d’avant. Odin, Thor, Freyja, les Scandinaves, ont changé de paradigme. Adieu Goudurix, l’irénisme, Love boat (La Croisière s’amuse), Pacific Princess : la fermeture migratoire est d’actualité.

Qu’on se le dise au fond des ports…

Trop, c’est trop ! N’ayez pas peur ! Dans les clapotements furieux des polémiques et marais, tout le monde pagaie, s’en donne à cœur joie. Babel et Sébastien et les copains d’abord. Chacun son radeau de La Méduse, son Bateau ivre, Exodus, Titanic, Petit baigneur, Pourquoi-Pas... Le gouvernement encalminé nous enthymène en bateau avec un nouveau projet de loi immigration, flexidur. La 22ème réforme depuis 1986… toutes, généreuses, humaines, maîtrisées et fermes, en même temps. Comme la retraite, l’immigration est une chance pour la France. Plus on s’angoisse, plus on réforme, moins ça va mieux.

A lire aussi, Edwige Diaz: «Gérald Darmanin n’entend pas lutter contre l’immigration illégale, il veut la régulariser»

-Gentil avec les gentils en réduisant les délais de traitement des demandes d’asile.

-Méchant avec les méchants. Moins de 5 % des obligations de quitter le territoire sont exécutées. Le projet veut réduire de 12 à 4 le nombre des recours ouverts aux expulsables. La peur va changer de camp !

-Start-up nation : Régularisation des sans-papiers dans les métiers « en tension » ; cartes de séjour « talent-professions médicales et de pharmacie ». À venir, le « Kit Navigo spécial repenti » (avec bracelet électronique, du Voltairène et un paquet de fraises Tagada) pour ramener au bercail les lionceaux du Califat ; un « sauf-conduit fiscal » pour attirer Arsène Lupin, les tirailleurs décoloniaux et indigènes de la rente mémorielle (en asile politique à Hollywood), sans oublier les soudeurs polonais de réacteurs nucléaires, les Hedge funds de moutarde et les tireurs de penalty. France is back !

-Au commencement était le verbe. L’intégration passe par la langue. Flaubert, Rousseau, Camus et Céline sont au programme des demandeurs d’asile résilients : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar… Me voici donc seul sur la terre… Aujourd’hui, maman est morte.… Tout cela est si lent, si lourd, si triste… ».

Le projet de loi, les rodomontades, indignations et J’accuse d’opérette ne changeront strictement rien au bazar ambiant et chaos à venir. Nous recueillons les malheureux, les passe-murailles, en nous voilant la face sur les centaines de milliers de refoulés du droit d’asile. Avec un peu de patience ou après un regroupement familial, les clandestins sont régularisés. Cornélien ? Non, insoluble et en réalité, peu importe. Aujourd’hui, on n’a plus le droit… La Convention de Genève de 1951 est dévoyée. Gendarme de Saint-Tropez du Bosphore, Recep Erdoğan rackette l’Europe prise en tenaille par les opinions. Ses frontières sont poreuses, l’immigration maîtrisée et choisie est une chimère, les caisses sont vides, le recrutement de milliers de douaniers n’est pas pour demain, La ruée vers l’Europe (Stephen Smith) c’est maintenant.

Quelques propositions pour résoudre la crise migratoire

  • Les Justes: Yes we can!

Assez de mesquineries comptables ! Deux sauvetages quotidiens dans la Manche, au large de Benghazi, c’est dérisoire. Il faut élargir l’Europe aux nouveaux minarets : du cap nord à la Terre Adélie, de Brest à Vancouver, en passant par Vladivostok. Il faut construire un grand pont au-dessus du détroit de Gibraltar et un tunnel au-dessous. Il faut un plan martial… euh, non, Marshall, un Grenelle européen du sauvetage des réfugiés, une flotte de 500 Fairy boats, nouveaux Liberty ships avec blocs opératoires, salle de jeux, cours d’éducation civique, séminaires de dé-radicalisation et déconstruction patriarco-masculiniste.

Pour favoriser la culture du sauvetage et le sauvetage de la Culture, les traversées seront agrémentées par de savantes conférencières. À bord du Shéhérazade, au large des Baléares, Christiane Taubira contera la tragédie des Républicains espagnols, Bernanos, La France et les radeaux. Bronzette et nudisme solidaires sur la terrasse de la villa Malaparte à Capri. Virginie Despentes con.vi.era les figures de Pénélope-Camille-Bardot, victimes du mépris des porcs.vers narcissiques. Après l’escale de Port Saïd, au cap Sounion, à Ramla Bay, Ariane Mnouchkine chantera l’aède, Ulysse et les sirènes, la charge mentale de Calypso et Nausicaa. Fin de la croisière à Corps-fou avec un apéro-débat sur le mouvement Mythe-too, Gaïa, Ouranos, Sissi, Ariane et Solal. Let my pipoles go !

A lire aussi, du même auteur: Ô race ! Ô désespoir

  • We can do more !

Distribution de doudounes et cartes IGN du parc de la Vanoise aux réfugiés arrivant à Menton. Construction d’une via ferrata clandestine pour rejoindre Chambon-sur-Lignon. Inauguration d’une liaison Radeaux libres « Île de la Cité-Île de Sein », afin de fluidifier la fraternité et les voies sur berges. L’ASSEC, en partenariat avec le musée des confluences et Sea Watch, lance un « Master de Commerce International du Sauvetage en mer ». Pour les intellectuels, une chaire engagée au Collège de France : « Migration, origines et trajectoires progressistes : du Potemkine sur la Mer rouge, au paddle éco-responsable sur lac de Tibériade ».

  • Les populistes crispés et sectaires : No we cannot!

Pour protéger la côte méditerranéenne, largage de mines dérivantes au large de Saint-Mandrier et réactivation de la batterie haute des Mèdes permettant de bombarder Le Camp des Saints. Porquerolles, port de l’angoisse. O tempora, o moresques…

L’intelligence artificielle et ChatGPT sont rocardiens et formels : « Non, il n’est pas possible d’accueillir toute la misère du monde (…) Il est cependant important de soutenir les efforts de solidarité et de coopération internationaux qui visent à améliorer les conditions de vie pour les personnes les plus vulnérables ». … Libé, Le Monde, le Vatican, Wall Street, Sciences Po, l’Unesco, Docteur Justice et Le Club des Cinq sont d’accord avec ChatGPT et vice versa. Science sans confiance et la richesse des notions… C’est quoi un soutien ? Quels efforts ? Quelle solidarité ? Qui est vulnérable ?

We are the world. We are the children…

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Le coup du lapin

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©Jean-Claude LOTHER

La Grande Magie, de Noémie Lvovsky, au cinéma le 8 février.


Il faut être absolument fantaisiste, semble dire le cinéma français en ce début d’année et de retour des spectateurs dans les salles obscures. Avec évidemment plus ou moins de bonheur…

Le cinématographe est né en 1895 d’illusionnistes qui se prenaient les uns pour des industriels (les frères Lumière), les autres pour des artistes (Méliès en tête). « De l’art et des gens » donc, comme aurait dit Cocteau : de l’argent dans tous ses états, du commerce qui peut rapporter et une magie qui laisse émerveillée. Depuis lors, le septième art n’en finit pas de marcher sur ces deux jambes-là, oscillant sans cesse entre la rentabilité et le plaisir, la jouissance du box-office et la réjouissance du divertissement. Le nouveau film de Noémie Lvovsky s’inscrit dans ce mouvement, même s’il ne peut prétendre aux recettes phénoménales d’Avatar 2. Mais qui pourrait sérieusement le lui reprocher ? Là où James Cameron déploie ses lémuriens déguisés en grands Schtroumpfs, Lvovsky, bien plus modestement, adapte au cinéma les couleurs bigarrées de l’univers du grand dramaturge italien Eduardo de Filippo. Créée en 1948, La Grande Magie est l’une des plus importantes œuvres du dramaturge et cinéaste transalpin. L’illusion y côtoie la réalité autant que l’humour et la transgression. Tout commence quand le magicien Otto, au cours d’une représentation, fait disparaître la femme de Calogero à la demande de son amant afin qu’ils s’enfuient ensemble. Tandis que quatre années se sont écoulées, l’illusionniste a persuadé le cocu que le temps écoulé n’est que celui de la représentation théâtrale et que son épouse se trouve enfermée dans un coffret qu’il peut ouvrir, dès qu’il sera certain qu’elle s’y trouve. Marquons un temps d’arrêt pour indiquer qu’un certain Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène et directeur du Théâtre de la Ville à Paris, s’est récemment cru autorisé à confier le rôle de Calogero à une actrice et partant de là à inverser les rôles de l’amant, de la femme et du mari. Puissance de la pensée moderne dont le texte de justification commence par : « Dans la version écrite par Eduardo de Filippo, Calogero est un homme. » Et pourtant non : une pièce originelle n’est pas une simple « version », et oui Calogero est un prénom décidément masculin. Les faits sont toujours têtus. On tremble littéralement à l’idée que ce monsieur pourrait prochainement nous donner à voir La Bourgeoise gentille femme, La Nuit des reines, Othella, Cyrana de Bergerac et Cette folle de Platovna.

Revenons plutôt au délicieux film de Noémie Lvovsky qui nous donne sa version de la pièce originelle sans chercher à lui faire dire le contraire de son propos… On y croise d’abord un casting d’une grande intelligence où se mêlent Denis Podalydès, Sergi Lopez, François Morel, Judith Chemla, Damien Bonnard, Micha Lescot et Laurent Stocker, entre autres et sans oublier la réalisatrice elle-même dont la folie douce fait ici des merveilles. On retrouve ici la veine du réalisme poétique chère au tandem Carné-Prévert : Drôle de drame n’est pas très loin, comme les films réalisés par Bruno Podalydès. Arthur Teboul et son groupe Feu ! Chatterton sont eux à la manœuvre côté musique et chansons, et cela contribue aussi à la réussite du film. Car, c’est bien connu, le merveilleux est musical… Rien ne vient enrayer la fluidité narrative qui rend parfaitement compte de la temporalité « gazeuse » voulue par De Filippo. Si la grande magie opère à tous les sens du terme, c’est bien en raison de cette fidélité à la pièce, librement mais respectueusement adaptée. Du côté du Théâtre de la Ville, on serait bien inspiré de suivre une telle démarche. Non par une sorte de dévotion confite, mais par l’application d’une solide conviction : la pièce vaut plus que toutes ses « versions ». Du reste, pourquoi l’adapter si on ne croit pas en elle et en ses vertus profondément divertissantes ? Noémie Lvovsky a l’intelligence profonde de se mettre dans les pas de De Filippo, elle ne fait pas la maline, elle ne cherche pas l’effet facile du clin d’œil moderne. Si on est sous le charme de ce film, c’est parce qu’il y règne comme un parfum de douce absurdité et d’allègre désespoir. La chanson finale qui est une reprise qu’on dirait écrite tout exprès met parfaitement en valeur cette double dimension paradoxale. Dans un tour de magie, on attend toujours l’échec et c’est sa réussite qui peut décevoir. La Grande Magie nous dit ceci à la perfection : il est de magnifiques naufrages qui incitent à reprendre la mer.

Le film du Puy du Fou bénéficie d’un “effet Streisand”

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"Vaincre ou mourir", un film de Vincent Mottez et Paul Mignot (2023) © Puy du Fou films

Grâce aux médias de gauche, « Vaincre ou mourir » est un succès. La curiosité du public est piquée par les critiques virulentes de la gauche culturelle. La première production cinématographique du Puy du Fou doit-elle la remercier pour cette efficace campagne de pub ? Bon ou mauvais, le film, retraçant la vie du Vendéen Charette, aura eu au moins le mérite de démontrer ce que beaucoup attendent du monde universitaire, des arts en général et du cinéma en particulier: une allégeance totale à la doxa… 


Le cinéma français va mal. Les scénarios tournant presque invariablement autour de sujets dits sociétaux, progressistes ou immigrationnistes, les spectateurs ont compris : ils évitent comme la gale ces films subventionnés par le CNC et, quand ils veulent voir des films français de qualité, piochent dans leurs stocks de DVD ceux dont Thomas Morales ravive régulièrement le souvenir à travers de magnifiques portraits des réalisateurs et des acteurs qui firent jadis de notre cinéma un des plus beaux et des plus enviés du monde. 

Bisque bisque rage !

Curieusement, malgré une histoire de France riche en événements et en hommes qui ont marqué leur temps, excessivement rares sont les films français les prenant pour sujet. « Vaincre ou mourir » vient combler partiellement ce vide mais, au grand dam de la gauche, raconte l’épopée des Vendéens luttant contre les armées républicaines en 1793. En plus, bisque bisque rage !, le succès est là.

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Avant de parler du succès de ce film, mon mauvais fond m’incite à rappeler très précisément le nombre d’entrées réalisé par les films formatés et politiquement corrects récemment sortis et ayant pour certains bénéficié d’une extraordinaire publicité dans les médias de gauche, y compris, bien entendu, l’audiovisuel public :

« Les Rascals », de Jimmy Laporal-Tresor. En 1984, alors que « l’extrême droite gagne du terrain en France », une gentille bande de « jeunes de banlieue » est harcelée par une méchante bande de skinheads. Après deux semaines d’exploitation : 31 376 entrées. La grosse baffe !

« Les engagés », d’Émilie Frèche. David aide un « jeune exilé » à semer la police et à passer illégalement en France. Énorme promo, entre autres sur France Inter. Après six semaines d’exploitation : 33 518 entres. Le méga bide !

« Nos Frangins », de Rachid Bouchareb. Film qui revient sur la mort de Malik Oussekine avec tous les poncifs qu’on peut imaginer sur le racisme et les violences policières. Après six semaines d’exploitation : 78 421 entrées. La super gamelle !

« Les survivants », de Guillaume Renusson. Au cœur des Alpes, Samuel sauve une jeune Afghane qui veut rejoindre la France. Mais des vilains fachos vont les traquer… Après trois semaines d’exploitation : 66 491 entrées. Le gros flop !

Avant ça, « Arthur Rambo », de Laurent Cantet, sur ce « pauvre » Mehdi Meklat, avait fait en tout et pour tout 33 000 entrées, et « Le monde d’hier », de Diastème, sur une présidente de la république luttant courageusement contre l’extrême-droite, 78 000 entrées. Deux fiascos ! 

La comparaison de ces chiffres avec celui de « Vaincre ou mourir », film à petit budget et tourné en seulement dix-huit jours, est cruelle. Le film de Vincent Mottez et Paul Mignot fait en effet un très joli carton dès sa première semaine d’exploitation : près de 112 000 entrées avec seulement 188 copies. Le succès étant là, le nombre de copies est passé à 235 pour la deuxième semaine.

Alexis Corbière (LFI) dénonce une falsification de l’histoire

Il faut dire que ce film a bénéficié d’une incroyable publicité. Le Monde, Télérama, L’Obs, France Inter et, surtout, Libération (la une + cinq pleines pages), ont porté à la connaissance du public un film qui, sinon, aurait pu rester confidentiel. La critique, qui se voulait négative, a été si grossière, si caricaturale, si visiblement idéologique, qu’elle a été totalement contre-productive – et l’effet Streisand a marché à plein. « Vaincre ou mourir », pour lequel les producteurs visaient les 100 000 entrées sans vraiment y croire, va vraisemblablement au moins doubler la mise. Je me réjouis (toujours mon mauvais fond) d’imaginer les journalistes de Libération et du Monde en train d’écumer de rage devant le succès de ce film auquel ils ont très largement contribué, sans le vouloir, naturellement. Je les félicite pour leur mauvaise foi et leur bêtise. Je leur sais gré d’avoir mis à profit ces dernières pour révéler aux yeux du monde leur ignorance crasse de l’histoire de leur pays et leur intolérance devant des œuvres qui ne vont pas dans le sens qu’ils souhaitent. Enfin, je les remercie d’avoir été si hargneux, si calomnieux, si lourds, si totalement dépourvus de cette intelligence et de cette finesse qui font les critiques ravageuses – tandis que les leurs, épaisses et bêtes, ont produit l’effet complètement inverse à celui recherché. 

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Comme si cela ne suffisait pas, ce jeudi 2 février Le Monde ouvre ses colonnes aux députés LFI Alexis Corbière et Matthias Tavel. Ces derniers appellent à « une large mobilisation contre la “falsification de l’histoire” et “la culture de l’effacement” » à l’œuvre, selon eux, dans « Vaincre ou Mourir ». Je vous épargne le long délire de ces députés pour ne porter à votre connaissance que la substantifique moelle de leur tribune : ce film serait une « offensive réactionnaire » et « représente un degré supplémentaire franchi par l’entreprise idéologique de la droite ultraconservatrice. Extrêmes droites et droites extrêmes veulent imposer à la société leur grille de lecture des problèmes de notre temps, leur haine de l’égalité républicaine, leur nostalgie morbide de pseudo-traditions catholiques intégristes, leur nationalisme, autant de prétextes à exclure de la nation française tous ceux dont les origines familiales seraient d’ailleurs. » 

Nous attendons maintenant avec impatience les réflexions historico-cinématographiques de Sandrine Rousseau ou Marine Tondelier, et la production du Puy du Fou pourrait sereinement envisager d’atteindre la barre inespérée des 300 000 entrées !

Tel-Aviv en 64 chroniques vagabondes…

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Il y a quatre ans, Marco Koskas défrayait la chronique littéraire parisienne avec Bande de Français, un roman dont aucun éditeur n’avait voulu, pas même ceux qui l’avaient publié auparavant.

Cette histoire d’une bande de potes qui quittent la France pour reconstruire leur vie à Tel-Aviv détonnait. À l’heure de Mohammed Merah et Dieudonné, se dévoiler sioniste tenait, et tient toujours, du délit de pensée.

À rebours, pour Patrick Besson, ce livre c’était « l’alya sur un dance-floor ». C’est ainsi qu’il le résuma alors dans sa chronique du Point, avant de glisser Koskas dans la première sélection du Prix Renaudot.

Les syndicats de libraires stupéfaits crièrent à la trahison, car Koskas s’étant autoédité sur la plateforme d’Amazon, son livre était introuvable en librairie. Il n’en fallait pas plus pour que le buzz soit lancé. Des tribunes hostiles à l’auteur fleurirent dans les gazettes, dont un portrait très limite dans Libé, bref, le livre fut éjecté manu militari de la liste du Renaudot. Mais il avait fait assez de bruit pour que son écho traverse l’Atlantique et s’américanise sous le titre Goodbye Paris, Shalom Tel-Aviv. Le cinéaste Alexandre Arcady essaya de le porter à l’écran, en vain, faute de budget.

Et revoilà Koskas, toujours aussi amoureux de Tel-Aviv, qui raconte sa ville en 64 chroniques vagabondes, pleines de fêtes sur les toits et de shabbat, toujours en bande. Il raconte son quartier, Florentine, la piscine Gordon, nous rencontrons un imprimeur-radiologue, une femme en pleurs dans un bar, les flamboyants du boulevard Rothschild, la gay pride, etc. Ces chroniques, il les a d’abord publiées sur Facebook au jour le jour, au gré de l’inspiration, pendant dix ans. Patiemment. En attendant des jours meilleurs quand ça va mal, en tissant sa joie de vivre quand ça va bien. Dans cette ville qu’on appelle « La Bulle » parce qu’elle aussi fait bande à part.

En ce moment où le nouveau gouvernement d’Israël tout en kippa et tsitsit inquiète, les chroniques de Marco Koskas nous redonnent l’enchantement de Tel-Aviv comme on l’aime.