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Reims: une banale attaque au couteau?

S’étonner d’une attaque violente d’un immigré sur une joggeuse? Il y en a tellement que nous avons perdu tout notre «capital effroi»…


Reims, 31 décembre 2022. Une femme profite de la dernière après-midi de l’année pour aller faire du sport. Il est 15 h 45 et la trentenaire, en plein footing, s’engage dans la rue René-de-Bovis, dans la partie sud de la ville. Cela aurait pu tomber sur quelqu’un d’autre, à quelques mètres près : sur une passerelle traversant la Vesle, elle croise un homme habillé en djellaba qui se jette sur elle. « L’agresseur l’a plaquée au sol et a hurlé dans une langue étrangère, avant de lui donner un coup de couteau au niveau de la gorge », témoigne une source policière auprès du site web spécialisé dans les faits divers actu17.fr.

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La victime est prise en charge par une infirmière qui passait par-là, avant son transport à l’hôpital. Heureusement, le pronostic vital de notre joggeuse n’a pas été engagé. L’agresseur est retrouvé peu après par la police, son couteau de cuisine toujours en main. L’Union-L’Ardennais brosse le portrait de l’individu. « En situation sociale précaire […], sans activité professionnelle sur le territoire national et vivant en foyer social », Fayas Khan Nagharia serait né le 1er janvier 1999 en Afghanistan et serait arrivé en France en 2019. Son acte violent ne semble pas mériter une seule ligne dans Le Monde ni dans la quasi-globalité de la presse nationale. Nombre d’attaques sont cantonnées dans la presse régionale aux rubriques « faits divers », qui traitent selon la définition du Larousse des « événements sans portée générale qui appartiennent à la vie quotidienne » : on poignarde sur notre territoire, comme d’hab’ quoi. Les événements de la gare du Nord, de Thiais, de Strasbourg, en janvier, ont eu droit au même non-traitement médiatique. Est-ce parce qu’un tel crime relève désormais de la routine ou est-ce pour éviter de s’interroger sur les rapports entre immigration et criminalité ?

Dans la horde primitive de la teuci

Dans le film d’horreur français « La Tour », Blancs, Noirs et Maghrébins se coudoient dans une proximité conflictuelle étouffante. Le film, d’une très grande violence, n’épargne pas les starlettes Angèle Mac et Hatik… Critique.


Dans L’Ange exterminateur, film génial de Luis Buñuel millésimé 1962, un étrange sortilège s’abat sur les invités d’un raout mondain dans une opulente villa mexicaine, leur interdisant soudain de quitter les lieux, tandis que le personnel de service s’évanouit dans la nature. L’enfermement ranime chez ces gens, a priori bien élevés, les instincts les plus primaires, déclenchant dans ce microcosme une sauvagerie où se dissolvent bonnes mœurs et bonnes manières.

Séquences gores et dénouement morbide

Le cinéaste Guillaume Nicloux transpose à sa manière l’argument, mais cette fois dans une de ces « cages à lapins » de béton qui agrémentent si joliment le paysage de nos banlieues contemporaines.

La Tour a été effectivement tourné dans une tour d’Aubervilliers « en attente de réaménagement », dixit le dossier de presse du film. Le postulat est identique au chef d’œuvre du Septième art mentionné plus haut, dont il figure une manière de transposition sous nos latitudes, en 2023. Sinon qu’ici le sortilège prend une coloration concrète, explicite : brusquement, un voile opaque ceinture toutes les issues, portes et fenêtres, de cet « immeuble de grande hauteur », comme on dit.  Et tout corps ou objet cherchant à s’échapper au dehors se voit aspiré sans recours dans ce trou noir ; le dehors n’est plus qu’un gouffre mortel ; voilà les habitants pris au piège : l’édifice sera leur prison – peine à perpétuité.

Le fantastique chez Buñuel relevait d’un imaginaire surréaliste traversé d’humour, tandis qu’ici le registre de l’horreur baigne cet enfermement dès les premières images, dans la même tonalité de vomissure glauque qui clapotera, grevé de séquences gores, jusqu’au dénouement morbide. Au-delà du parti pris horrifique (qui tient parfaitement ses promesses), l’intéressant, c’est la crudité de cette vivisection dans le corps social d’une tour générique de cité telle qu’on l’observe communément dans la France de 2023. D’un bout à l’autre du film, ce ne seront que coups frappés dans des portes d’appartements que leurs occupants terrifiés ouvrent en tremblant, sous la contrainte. De fait, avant même que de se voir collectivement emmurés vivants dans leur logis, les habitants sont condamnés au clanisme ethnique, confessionnel et racial :  blancs, noirs, maghrébins se coudoient dans une proximité conflictuelle, dont le régime de claustration ne fera qu’exacerber jusqu’à l’extrême, en somme, les pathologies organiques: d’où prostitution, cannibalisme, viol, torture, séquestration, assassinat, famine organisée, etc. Non sans procurer au spectateur une certaine joie sadique, le récit déroule ainsi par étapes ( « six mois plus tard » ; « cinq ans plus tard »…), sur un grand nombre d’années, le délitement d’un microcosme urbain revenu, au stade ultime, à l’état  de horde primitive. Miroir grossissant d’une réalité tribale : celle de nos cités ?

Un réalisateur qui ne fait pas dans la dentelle

Cinéaste éclectique entre tous, également acteur et romancier –  capable de naviguer d’une adaptation de Diderot (La Religieuse), à la comédie acide (Le Poulpe), en passant par le cinéma noir, jusqu’au film de guerre (Les Confins du monde, avec Gaspard Ulliel et Gérard Depardieu), le docu-fiction (jusqu’à employer Michel Houellebecq dans son propre rôle)… – Nicloux ne fait pas dans la dentelle. D’une violence sans limites et d’un pessimisme métaphysique absolu, La Tour affiche une position peu conforme à l’irénisme de bon aloi dans les chaumières de la bien-pensance.

Ce quand bien même, aux côtés de la ravissante Angèle Mac (au physique passablement éprouvé tout de même, dans le film, au fil de ses épreuves) le casting s’enjolive du bel Hatik, nouvelle coqueluche du rap « issu-de-la-diversité ». Lequel, pas de chance, coitus interruptus se verra défénestré dans le plus simple appareil, dévoré vivant par le trou noir –  le film finissant sans lui.      

La Tour. Film de Guillaume Nicloux. Durée : 1h29. En salles le 8 février 2023

Génie ou pas fini?

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Macron est un génie. Depuis six ans, il est impossible d’échapper à ce postulat en préambule de tout débat abordant les échecs de la bête à concours de Picardie. Le braquage du siècle de 2017 occulte toute objectivité dans la manière d’appréhender l’homme. La mémoire collective a effacé sa chance de portugais cocufié par toute l’Ibérie avant de toucher les étoiles.


Son Q.I. son talon d’Achille. Relancer la réforme des retraites dans le contexte actuel, laisse perplexe. Soit c’est la preuve d’un manque de bon sens et de flair politique, soit c’est un pari cynique et froid misé sur l’accablement et la résignation d’un peuple à genoux. Il est probable que l’hypothèse 2 soit la bonne, mais alors quid du Père de la Nation. Un rôle qu’il n’a jamais pu ou voulu endosser, la paternité étant un sentiment qui lui est étranger. Il n’est pas là pour les pauvres, la province et la ruralité. Qui ne votent pas pour lui. En VRP de Bruxelles, Davos, Berlin et Washington il livre le sort des classes laborieuses et moyennes dans les bras des magnats du Capital. Privatiser la vie, le ventre des femmes, privatiser la retraite, la santé, la mort. Macron et ses conseillers Mac is Smack étaient sûrs du timing. Ils ne sont pas encore déconfinés dans leur tête, sont désossés par l’inflation, sidérés par la guerre, pas remis de ma réélection. C’est le moment de leur envoyer la dose et la facture. Ces faisans de la com nous administrent la pilule et avec eux même par voie orale on l’a toujours dans le c**. Mais voilà, avec l’énergie du désespoir la rue répond à l’appel du pavé. Et joue une de ses dernières cartouches pour ne pas finir anonyme et broyée parmi les algorithmes de Big Brother. “Qu’ils viennent me chercher!” On revient te chercher, on savait que tu nous attendais…

“Jamais je ne me lasserai d’offenser les imbéciles (Bernanos). Voilà son péché mignon, sa gourmandise ultime. Tant pis pour les conséquences. Il avait promis un premier mandat sans blablas. Un président au travail, dans le secret de sa fonction, rare sur la scène médiatique. Jamais un président n’a été aussi bavard. Il a passé un mandat en Grande Vadrouille, saisi tous les portables et blablaté dans tous les micros qui se tendaient. Il sort la petite phrase qui met le feu, et aussitôt, pour se refaire, part avec sa lance de pompier volontaire en tournée. Et le patron, sa tournée il la met. Sert, ressert, c’est open Macron bar. Ivre de lui-même, de selfies en autographes, il a passé cinq ans à tenter l’entarteur. Jusqu’à s’échouer sur la main du gifleur. “On a mis un gamin à l’Elysée et on va le payer très cher” (Luc Ferry 2017).

Un président Out of Africa. Son bilan à l’étranger est lui aussi catastrophérique. Ses rêves de leadership en Europe se sont fracassés sur la crise en Ukraine. Où son agitation frénétique a fini par user les dirigeants de toutes les diplomaties. Au point de favoriser l’avènement de cette crapule d’Erdogan en numéro 1bis de l’OTAN et en contrôleur général de l’UE. Bien joué. Les relations entre la France et l’Afrique sont plombées pour des générations. Il a couru les anciennes colonies pour s’excuser de tout. Votre corruption, vos boucheries, vos saloperies passées et à venir c’est de notre faute, notre grande faute. Oh mon gars, nos générations n’ont colonisé personne, torturé dégun, tué nobody. Alors fais-toi des soirées privées repentance, des week-ends gégène, des safaris fessées, mais arrête de parler et d’agir au nom du peuple sur des dossiers aussi voraces en chair humaine.

“La vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache(Malraux). Une part d’ombre s’étant barrée avec le coffre de Benalla, le service com a mis en lumière l’atout romanesque de son couple. Comme le bonhomme a d’entrée semé son sillon avec les graines du mépris et de la haine, la récolte s’annonçant prometteuse sa comcom.com a vite balancé au pilon la littérature rose bonbon. Il a voulu du gore, il aura du gore, jusqu’à la fin. Les hommages funèbres, notamment ceux à destination des artistes, dont il s’est fait une mission christique, en disent plus long sur sa personnalité. L’hommage à Belmondo, l’homme de Brio, était éloquent. Il a surjoué en cabot qui a dû rêver longtemps d’un autre destin. Et si banquier, président, n’étaient que des rôles ? Dans lesquels il s’écoute parler, se regarde s’aimer et se pâme à s’amuser ? Des uns, des autres, des faibles, de la fonction… Alors, génie ou pas fini? Pas fini.

Bordeaux: quand l’idéologie des élus veut imprimer sa marque sur des manifestations destinées à la petite enfance

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En Gironde, un atelier de maquillage pour les tout-petits, organisé dans une bibliothèque et animé par une drag-queen, est notamment dénoncé par le parti d’Eric Zemmour.


Dans le cadre du mois de la petite enfance aura lieu à Bordeaux un atelier de maquillage destiné aux enfants de 18 mois à 4 ans. Cet atelier, animé par Serge, présenté comme un « homme en jupe » ou comme drag queen, fait polémique. Pour le plus grand bonheur de la mairie écologiste qui administre la ville, puisque cela permet à ses élus d’adopter des postures de drama queen, d’entonner le grand air de la persécution fasciste et de mettre en avant leur tolérance et leur progressisme !

Espérons que l’atelier maquillage proposé se déroule sans problème. Il ne devrait en rien faire avancer une quelconque lutte, mais l’essentiel est que les enfants s’amusent

La crainte d’un endoctrinement des enfants de 4 ans sur les «stéréotypes de genre»

La seule chose dont tout le monde semble se moquer concerne l’intérêt de ce type de manifestation pour de très jeunes enfants. Mais la municipalité préfère mettre en avant sa belle âme et son esprit de résistance face à la menace de l’extrême droite. «Dès qu’il y a des initiatives portant sur les sujets d’égalité entre les filles et les garçons et de lutte contre les stéréotypes de genre, une frange radicalisée de la population se lâche sur les réseaux sociaux et les sites d’extrême droite», s’agace ainsi Olivier Escots, adjoint au maire en charge des discriminations dans Le Figaro.

Tweet du responsable départemental du parti « Reconquête »

La mairie de Bordeaux a décidé de placer son « mois de la petite enfance » sous le thème de l’égalité filles-garçons. La chose est déjà en soi amusante car, à cet âge-là, les enfants découvrent à peine l’existence des différences sexuelles et n’ont guère l’idée de ce que peut-être un stéréotype de genre, ils sont dans l’apprentissage de la conscience de soi. Ce type d’affichage est donc purement idéologique. Il permet essentiellement à des élus qui n’ont sans doute pas réfléchi à ce qu’ils pourraient apporter en matière de petite enfance, d’exhiber leur bonne conscience et de faire croire qu’ils agissent, alors qu’ils ne font que faire des pâtés de sable avec des concepts qui les dépassent.

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On peut tout à fait comprendre l’importance de lutter contre les discriminations. Un homme qui assume son sexe et son envie de porter des jupes et du maquillage ne mérite pas d’être ostracisé, moqué, encore moins humilié. Et ce n’est pas inutile de le rappeler.

Mais justement, les très jeunes enfants n’ont pas ce type de réflexe. Ils vont facilement vers l’autre. Cette question concerne les jeunes et les adultes, et ne peut alimenter qu’un discours en direction de personnes aptes à le comprendre et concernés par celui-ci. En quoi des enfants de 18 mois à 4 ans doivent-ils être instrumentalisés pour faire passer un message qui ne les concerne pas ? En quoi le fait d’être surpris par le parti pris des organisateurs devrait se traduire par un procès en fascisme fait aux individus et aux familles qui trouvent l’initiative contestable ? En quoi des élus doivent-ils faire de toute manifestation un tract politique destiné à leur tendre un miroir dans lequel ils se contemplent en chevalier blanc du politiquement correct, sans se soucier de ceux à qui l’initiative est censée être destinée ? Il se trouve hélas que de plus en plus d’élus mettent leur mandat au service de leurs obsessions, se mettent à faire la morale à leur population en s’érigeant arbitrairement en directeurs des consciences, le tout sans n’avoir plus aucun rapport avec l’intérêt général.

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On a d’ailleurs du mal à comprendre l’intérêt de l’atelier en question. Le fameux Serge est censé se maquiller, ensuite les enfants sont censés l’imiter. En général, les ateliers maquillage qu‘adorent les enfants consistent à les maquiller, en tigre, papillon, grenouille ou lion. Dans toutes les kermesses de maternelles, ces stands sont pris d’assaut. S’il s’agit juste de les laisser se gribouiller le visage et les mains de maquillage, pas sûr qu’il y ait besoin d’un tuto, encore moins sûr qu’à 3 ans, un enfant ait la coordination nécessaire pour « imiter » la précision d’un maquillage de drag queens. Mais comme tout le monde se moque de ces réalités-là, passons.

Tout à l’égo

Si vraiment des élus voulaient lutter contre les inégalités et développer à terme la tolérance, il existe des dispositifs plus pertinents qui se concentrent sur la période de la petite enfance. Notamment autour du développement du langage et de l’acquisition de vocabulaire. Ces approches ont notamment pour but l’acquisition, par les enfants issus des milieux défavorisés, d’un niveau de langage permettant de faire face aux apprentissages scolaires et de réduire ainsi la fracture sociale. On sait bien que le fait de ne pas maîtriser le langage est un facteur de violence et de difficulté à tisser le lien à l’autre. Seulement voilà, ce type d’engagement ne se résume pas à quelques heures, peu coûteuses, vite effectuées et vite oubliées. Cela demande un véritable investissement, et la participation des crèches, et ne peut porter de fruits que sur la durée. Il est rare que les élus se fassent attaquer sur ce type de programme, ce qui rend difficile la mise en scène de soi-même en martyr de la cause du progressisme et en cible de la méchante extrême-droite…

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Des initiatives utiles et qui ne se suscitent aucune polémique, voilà ce qui ne fait pas les affaires d’élus dont le service de leur propre ego paraît être la motivation principale. En attendant, espérons que l’atelier maquillage proposé se déroule sans problème. Il ne devrait en rien faire avancer une quelconque lutte, mais l’essentiel est que les enfants s’amusent. Pour le reste, cette affaire n’est que la énième illustration d’un certain puritanisme qui tente d’enrégimenter les enfants dès le plus jeune âge, avant même qu’ils n’aient développé leur personnalité.

Que cela puisse heurter certains parents n’est pas étonnant. En revanche, que des élus, au lieu d’interroger leurs choix et leurs pratiques, renvoient toute critique à la fachosphère, interroge.

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Retraite: quand le mot fait la chose

Il faudrait savoir de quoi nous parlons, au fond, quand nous évoquons la «retraite»: est-ce une nouvelle vie qui commence, ou l’existence qui s’achève ? Un peu de philologie permet de comprendre le non-dit de la notion, explique notre chroniqueur.


« Jubilación », disent nos voisins espagnols : on sent que la retraite ibérique sera une longue fête. Les Anglais, eux, ont deux mots : « retirement » au sens économique du terme, et « retreat » au sens militaire. Le brouhaha de ces dernières semaines, en France, ne viendrait-il pas de l’ambiguïté du mot « retraite », qui évoque à la fois la « pension » à venir et la défaite ? 

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Glissade vers la mort

L’ombre portée de la « retraite de Russie » plane derrière notre vision de la retraite. Alors, vouloir à tout prix la retarder, n’est-ce pas double peine ? À l’humiliation de la défaite sociale — nous étions quelque chose, nous avions des collègues, nous ne sommes plus rien et désormais ils nous ignorent, nous n’appartenons plus à leur monde — vient se greffer l’image du vieux soldat revenant d’une guerre perdue. La retraite, dons l’imaginaire collectif, c’est le désastre dans la steppe russe de l’armée napoléonienne, c’est le vieux chevalier revenant fourbu d’une croisade perdue, comme dans le tableau de Carl Friedrich Lessing, Le Retour du Croisé (1835). Un paladin épuisé, son oriflamme en lambeaux, plus rouillé encore que son armure. À 64 ans et peut-être un peu plus, comme je l’expliquais récemment. Ne rentrant chez lui que pour y mourir.
Comme disait il y a quelques jours Cyril Bennasar : « Une retraite ? Plutôt crever ! »

Le dernier croisé, Carl Friedrich Lessing. D.R.

65 ans en Espagne…

Quand le retraité hispanique s’apprête à faire la fête et considère qu’il a la vie devant soi, le retraité français entame sa glissade vers la mort. Deux pays, deux visions diamétralement opposées. Et pourtant l’Espagnol ne part à la retraite, déjà, qu’à 65 ans. Mais il se promet une longue fête humectée de manzanilla, de xérès et d’amontillado, avec tout le temps, enfin, de déguster des tapas, de faire de longues siestes et de courir aux corridas. De l’autre côté des Pyrénées, le Français se voit promis prochainement à l’oubli de tous et à un EHPAD humiliant où il vivotera entre douche hebdomadaire, nourritures molles sans sel et Alzheimer galopant.

… 67 au Royaume-Uni

L’Anglo-Saxon, pendant ce temps, dont l’âge de départ à la retraite devrait passer à 67 ans à l’horizon 2027, ne convoque aucune image de défaite — puisque « retirement » (qui a quand même un petit côté coitus interruptus, non ?) n’est pas « retreat ». Il envisage sereinement de continuer à travailler dans un petit job ou un autre — ou, s’il en a les moyens, d’explorer en détail ces anciennes provinces anglaises que sont le Bordelais et la Dordogne, et d’aller faire un tour, l’hiver, sur… la Promenade des Anglais. Et il ne comprend rien au débat français sur l’ancrage de la retraite à 64 ans…

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À vrai dire, une habile politique sociale, en plaçant au chômage près de 40% des plus de 55 ans, a largement anticipé la mort sociale redoutée. Nombre de nos concitoyens sont pré-défunts dans cette pré-retraite où comme chantait Brel,  
« Les vieux ne rêvent plus
Leurs livres s’ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort
Le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus
Leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil
Et puis du lit au lit
Et s’ils sortent encore
Bras dessus bras dessous tout habillés de raide
C’est pour suivre au soleil
L’enterrement d’un plus vieux, l’enterrement d’une plus laide… »

À vous de choisir, camarades. À vous de savoir si pour vous la retraite est l’entrée dans une désolation grise, ou si elle marquera une nouvelle jeunesse, une nouvelle ardeur. Partez, « là-bas où des oiseaux sont ivres », descendez des fleuves impassibles sur des bateaux ivres — mieux que dans les HLM flottants de la Royal Caribbean, défendez dès aujourd’hui vos droits à la jubilation, et ne laissez pas un fifrelin à vos héritiers: au moins ils n’attendront pas impatiemment que vous cassiez votre pipe.

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Océanisation du Foch: comment gérer les vieilles coques de la Marine?

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Vendredi, l’ancien porte-avions français, le Foch, a été coulé au fond de l’Atlantique par l’armée brésilienne, qui l’avait racheté il y a près de 20 ans, et renommé le São Paulo. Nous ne disposons plus que d’un porte-avions aujourd’hui, le Charles de Gaulle, et il restera en service jusqu’en 2040. Mais il faudrait déjà commencer à anticiper la façon dont on s’en débarrassera…


Le 4 février 2023, l’ex porte-avions Foch a été océanisé [1], à la suite d’un périple digne de celui qu’a connu son sister-ship, le Clémenceau, il y a 17 ans de cela. Une fois de plus, la question de la fin de vie des bâtiments de guerre se retrouve sous les feux de l’actualité. Cependant, il ne faut pas oublier que la conception des deux porte-avions français, construits dans les années 1950, répondait à des préoccupations très éloignées de celles du début du XXIe siècle.

Mis en service en 1963, le porte-avions Foch a été vendu en 2000 à la Marine brésilienne, qui l’a exploité jusqu’en 2017 sous le nom de São Paulo. Lors de son retrait du service actif, il ne faisait plus de doute qu’il devait être envoyé à la casse, car son mauvais état limitait depuis longtemps sa disponibilité opérationnelle. Il fut ainsi vendu à un chantier de démolition turc, et fut pris en charge en août 2022 par un remorqueur hollandais pour être acheminé vers sa dernière destination. Mais la Turquie refusa d’accepter la coque, et le convoi dut opérer un demi-tour au niveau du détroit de Gibraltar. À partir là, le Foch erra sous escorte dans l’Atlantique, étant également indésirable dans les ports brésiliens, jusqu’à ce que son état impose cette décision, qui était la moins mauvaise au vu de la dégradation de la coque.

Des règles très différentes selon les pays

Ce feuilleton n’est pas sans rappeler celui du Clémenceau, dont la déconstruction avait été confiée à l’origine à un chantier espagnol. Il quitta Toulon en 2003, mais on lui fit opérer un demi-tour lorsqu’on se rendit compte que sa véritable destination était un sous-traitant basé en Turquie. Elle fut ensuite confiée à un chantier indien, mais le remorquage, débuté le 31 décembre 2005, tourna au feuilleton entre le refus des autorités indiennes qui força le convoi à faire demi-tour, et l’interdiction d’utiliser le canal de Suez qui obligea à un détour par le cap de Bonne Espérance. Finalement, le convoi revint à Brest le 17 mai 2006, le jour même où les États-Unis océanisaient un de leurs anciens porte-avions, le USS Oriskany. Il fallut alors attendre trois ans pour que le Clémenceau parte pour de bon vers un chantier de démolition au Royaume-Uni. Cet épisode aura au moins un mérite: celui d’avoir sensibilisé l’opinion aux problématiques liées à la démolition navale.

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Cependant, les règles concernant les bâtiments militaires avaient déjà commencé à évoluer en France. Les océanisations avaient été interdites en 2001 côté Méditerranée et en 2004 côté Atlantique [2]. Après l’épisode du Clémenceau, c’est un véritable plan de déconstruction des vieilles coques de la Marine qui est mis en place, mais il faut attendre les années 2010 pour qu’il entre en phase opérationnelle, le temps de trouver des prestataires ayant les capacités suffisantes. Progressivement, le stock qui s’était accumulé est démoli, sur place pour les coques qui ne peuvent plus naviguer, ou dans les chantiers d’une filière qui commence à se constituer : Gardet et de Banézac au Havre, la forme de Bassens à Bordeaux [3], ou Galloo à Gand, en Belgique.

Même les anciens sous-marins nucléaires lanceurs d’engins font l’objet d’un démantèlement dans les règles de l’art, qui a commencé en 2018 et doit s’étaler jusqu’en 2027. En revanche, pour le Charles-de-Gaulle, le défi sera conséquent : outre le traitement des…

>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue « Conflits » <<


[1] Terme généralement préféré à « saborder » dans le monde maritime

[2] Certains bâtiments de grande taille étaient déjà démolis dans des chantiers, à l’exemple du Jean Bart et de l’Arromanches

[3] C’est dans cette forme qu’ont été démolis d’anciens symboles comme le Colbert et la Jeanne d’Arc

Un fauteuil pour 60 millions de prétendants!

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L’Académie française, son histoire et ses arcanes, croquée avec humour par Jean Dutourd (1920-2011) dans un court texte republié au Cherche midi


En France, le granitique fait sourire. Une confrérie de « vieux » messieurs cornaquée par une grande dame, travaillant à la sauvegarde de la langue et à l’élaboration d’un dictionnaire, s’habillant parfois de façon fort peu conventionnelle mais toujours très protocolaire, a de quoi heurter notre égalitarisme épidermique. Sous cape, on ricane devant tant de vanités réunies et d’obsolescence programmée. Ce serait aussi désuet que la truite meunière de ma grand-mère et la sélection du Reader’s digest par voie postale. Le club des 40 existe depuis Richelieu et se réunit tous les jeudis après-midi, à l’heure du goûter. On dit que le Quai de Conti ouvre les portes du paradis. Quand vous interrogez la plupart des écrivains vivants sur leurs envies d’immortalité, ils nient farouchement leur intérêt d’y entrer, d’en faire partie, de se soumettre aux ridicules rites de passage, ils ont passé l’âge du scoutisme et des bons points distribués par la maîtresse. En vérité, ils y pensent tous, en se rasant. Car, selon la formule de Lamartine, l’Académie, « c’est plus qu’une tradition, c’est une habitude de la France ». 

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Poésie en banqueroute

Dans un pays désœuvré, ne croyant ni aux sirènes des politiques, ni aux prospectus des marchands, l’Académie, malgré ses lourdeurs et ses lambris, continue de nous faire croire au pouvoir des mots. Même si la bataille est perdue depuis longtemps, le texte enseveli sous la mitraille des images, la littérature en écharpe, les auteurs au RSA, la phrase en déroute, la poésie en banqueroute, nous savons que, rive gauche, sur les bords de la Seine, il existe une institution certes imparfaite qui donne cependant encore le change. C’est à la fois dérisoire et sublime, naïf et d’une résistance folle dans une époque où un tweet démet un ministre et où une faute de français vous rend populaire à la télévision. Jean Dutourd, Grand officier de la légion d’honneur, élu en 1978 au fauteuil 31 de Jacques Rueff avait écrit L’Académie par un des 40 qui parut, une première fois en 2009, en cachant l’identité de son auteur. 

Il ressort aujourd’hui au Cherche midi avec sa véritable paternité, préfacé par Erik Orsenna et illustré par Philippe Dumas. Le livre est court, joliment démodé, ironique sans trop d’amertume et spirituel du genre rapace comme l’était le pensionnaire à moustache des Grosses Têtes. Sur une centaine de pages érudites, Dutourd s’amuse de ces prédécesseurs illustres, retrouve quelques formules qui ont fait mouche en séance et nous rappelle que « Louis XVIII est le vrai sauveteur de l’Académie. Il l’a rétablie dans son lustre de l’Ancien Régime, il lui a rendu sa prééminence ». On se délecte de la définition établie par Guizot en 1854 sur les qualités nécessaires pour faire un bon académicien, parlant d’un certain Legouvé (1807-1903), dramaturge oublié, recalé deux fois qui retentait sa chance : « Je lui donnerai ma voix, car je lui trouve les qualités d’un véritable académicien. D’abord il présente bien, il est très poli, il est décoré, il n’est d’aucune opinion, je sais bien qu’il a ses ouvrages, mais que voulez-vous, personne n’est parfait ». Là, demeure le principal handicap pour un postulant, son œuvre plus que l’absence d’une œuvre. 

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Académie française ? Bilan globalement positif

Dutourd prévient le prétendant qui serait amené à rendre visite aux académiciens, dans ce tour de manège où les égos les mieux accrochés risquent de trembler : « Il faut poser en principe que votre interlocuteur ne sait rien de vous, n’a pas lu une ligne de vos œuvres et se contrefiche de votre avenir. N’allez pas lui suggérer que vous êtes célèbre ou que vous avez du talent. Étant de l’Académie, il se considère comme incommensurablement plus illustre et plus génial que vous ne le serez jamais (sauf, bien sûr, si vous êtes élu, mais nous n’en sommes pas là) ». Dutourd fait un bilan plutôt positif de cette honorable maison sur plusieurs siècles, si sous Louis XIV y siégèrent tout de même Corneille, Racine, Boileau, La Fontaine et La Bruyère, il y eut bien quelques loupés avec Balzac, Stendhal, Dumas Père ou Molière. Et selon Dutourd, « Elle n’a été vraiment injuste que pour Zola, Benjamin Constant et Baudelaire ». Et aujourd’hui qui ferions-nous entrer ? Je propose Yves Charnet et, je regrette que Marc Alyn ne puisse concourir car l’âge limite de candidature a été fixé à 75 ans.

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Léonard Cohen, ce grand mystique

Écartelé entre sa foi juive et sa quête de sainteté zen, Léonard Cohen a aussi été un fervent drogué et un accro au sexe. La biographie que lui consacre Pascal Bouaziz nuance ses contradictions existentielles et rend hommage à un artiste écorché. Hallelujah !


En 2016, Léonard Cohen, musicien et poète de génie, auréolé du mythe du Juif errant, nous quittait. Pascal Bouaziz – lui-même musicien et auteur-compositeur pour deux groupes majeurs de la scène underground française, Mendelson et Bruit noir – lui consacre une belle biographie sobrement intitulée Léonard Cohen. De lui, il a tout vu, tout lu, tout écouté, et il nous le prouve. Pour Bouaziz, Cohen a été un modèle, littéraire et musical, mais peut-être, aussi, une espèce de double : « Je suis né le même jour que Léonard Cohen, un 21 septembre, lui en 1934, moi en 1972 : la même année que son fils, Adam. Depuis trente ans, je m’évertue à écrire des chansons aussi pures, aussi belles, aussi violentes, aussi crues, aussi vraies que les siennes. »

C’est pourquoi cette biographie s’apparente à une déambulation, à une espèce de quête de fragments de vie pour reconstituer le personnage de Cohen, ses forces, ses failles, son côté terriblement attachant mais aussi, parfois, détestable : un être humain quoi ! Au fil des pages, on découvre et on cherche à comprendre cet éternel étranger, cet homme à femmes – baiseur compulsif – ce poète habité par une foi véritable, son rapport à Dieu qui est peut-être, tout au long de sa vie, ce qui lui a permis de ne pas sombrer.

La judéité tient une place centrale dans l’existence et dans l’œuvre de Léonard Cohen. Ainsi Dance With Me to the End of Love – l’une des plus belles chansons du monde, selon Pascal Bouaziz – n’est pas une chanson d’amour, mais un hommage aux déportés qui étaient obligés de jouer du violon dans les camps de concentration. Quant à Chelsea Hotel #2, vraie chanson d’amour celle-ci, elle a rendu mythique sa brève relation avec Janis Joplin.

Belle, crue, violente… ces adjectifs résument à eux seuls la vie de Cohen. Né à Montréal dans une famille juive pratiquante, d’origine lituanienne, il mène une enfance heureuse. C’est un petit garçon remuant, curieux de tout et qui, à la synagogue, veut lire la Torah et tourner ses lourdes pages. Dieu déjà. Mais Léonard est l’archétype du Juif errant et, très tôt, il a envie de fuir, de voir autre chose, pour se trouver, se révéler ou se retrouver : reconstituer une âme éparpillée. Il pose d’abord sa valise à Londres, avec sa grisaille, puis en Grèce, dans la mythique île d’Hydra, avec son aveuglante lumière. Là, il rencontre la non moins lumineuse Marianne et le couple entre dans la légende. Cependant, tout n’est pas si rose : Marianne lui est dévouée, mais il la trompe tout le temps, de manière quasi compulsive, et il finit par la quitter. Ce point est récurrent tout au long de sa vie, il court derrière les femmes, il les cherche puis il les fuit. Serait-ce son éternelle quête de l’absolu ? Il en est une cependant qui lui tient tête avant de devenir une muse un tantinet soumise : Suzanne, la mère de ses enfants. Les artistes n’ont pas besoin de femmes fortes.

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Léonard Cohen a été poète et écrivain avant de devenir musicien, alors qu’écrire a représenté pour lui une terrible souffrance. Cela n’a pas empêché son roman Les Perdants magnifiques (« Beautiful Losers »), publié en 1966, de connaître un beau succès et d’être considéré comme l’un des romans expérimentaux les plus réussis de ces années-là. Son récit ferait passer Kerouac – exsangue et gavé d’amphétamines – pour un premier communiant. Cette difficulté d’écriture se retrouve avec sa chanson Hallelujah qu’il met plusieurs années à achever, ce qui a bien fait rire Bob Dylan qui disait écrire ses chansons en cinq minutes.

Mais au-delà d’un texte, la quête infinie de Léonard Cohen est la rencontre avec Dieu, il le cherche partout : dans les drogues, dont il a abusé plus que de raison, dans le sexe, dans l’écriture, sur scène… Rien de tout cela ne l’a pourtant éloigné de sa dépression chronique, jusqu’à sa conversion au bouddhisme zen qui a été pour lui comme une rédemption. S’il est apaisé par la mystique asiatique, il n’en demeure pas moins fidèle au judaïsme de ses origines qui lui a appris à douter : il aime dire qu’il croit en Dieu un jour sur deux.

Et en lisant Les Perdants magnifiques, on est tenté de penser que Léonard Cohen a été en quête d’une sorte de sainteté ; il en donne une définition bouleversante : « Qu’est-ce qu’un saint ? Un saint c’est quelqu’un qui a atteint une lointaine possibilité humaine. Il est impossible de dire ce qu’est cette possibilité, je pense que ça a quelque chose à voir avec la possibilité de l’amour. Le contact avec cette énergie aboutira à une sorte d’équilibre dans le chaos de l’existence. Un saint ne dissout pas le chaos, s’il le faisait, le monde aurait changé depuis longtemps. »

L’auteur souligne d’ailleurs que même les drogues n’ont pas entamé son « capital sainteté » : « Que ce drogué qui ne s’est jamais caché de l’être ait pourtant gardé cette image de pureté, de sainteté, de sagesse de moine zen est un grand mystère. »

Ici s’impose la comparaison avec Daniel Darc, autre grand junky, qui se disait « ange déçu », et qui, lui aussi, après avoir abusé de tout, a trouvé une consolation dans la religion. Ce dernier aurait pu faire sienne cette phrase de Léonard Cohen, dans sa chanson Anthem : « There is a crack in everything, that’s how the light gets in » (« Il y a une fissure en toutes choses, c’est ainsi qu’entre la lumière »).

Pascal Bouaziz, Leonard Cohen, « Les indociles », Hoëbeke, 2022.

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De Gaulle et Giono dans le Donbass

C’était écrit, la chronique de Jérôme Leroy


Premier témoignage : « Les soldats se jettent dans la bataille par petits groupes. On les tue. D’autres arrivent et prennent leur place. On les tue de nouveau. Et cela n’arrête pas. Ils marchent sur les cadavres pour avancer. »

Second témoignage : « Nous ne sortons toujours pas de notre trou. Nous ne sommes plus que huit. Celui qui était devant la porte a été tué par un gros éclat qui est arrivé en plein dedans, lui a coupé la gorge et l’a saigné. Nous avons essayé de boucher la porte avec son corps. »

On pourrait jouer aux devinettes. Qui a dit quoi et quand, quel est le témoignage d’un combattant ukrainien dans l’enfer de Soledar recueilli par France Info et quelle est la citation de Jean Giono dans ses Écrits pacifistes, sur la bataille de Verdun ? Il y a quelque chose d’intemporel dans les horreurs de la guerre ou plus exactement, il y a quelque chose d’intemporel dans une certaine manière de faire la guerre, à Verdun ou à Soledar, que les spécialistes en stratégie appellent la « guerre d’attrition ». Jean-Marc Rickli, chercheur au Centre de politique de sécurité de Genève, définit cette guerre ainsi : « Cette forme de combat repose sur l’usure des forces ennemies par un déluge de feu puis un grignotage des territoires écrasés par les bombes. »

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C’est la stratégie de l’état-major allemand qui décide, une bonne partie de l’année 1916, de « saigner à blanc » l’armée française à Verdun. De Gaulle, qui a participé à ces combats, illustre par anticipation, dans ses Mémoires, les propos du chercheur genevois, avec plus de style néanmoins : « Actions brutales à l’extrême qui consistent à concentrer sur un objectif limité le feu intense des batteries, puis à donner l’assaut aux défenseurs décimés et atterrés par l’infernal bombardement. Parfois, peuvent être conquises de cette façon quelques parcelles ravagées, à moins que l’attaque ne soit bloquée par le tir des fantassins français restés vivants et résolus et par nos barrages d’artillerie. »

Si c’est bien Giono qui a vu un camarade égorgé par un éclat d’obus et le combattant ukrainien qui se bat sur un monceau de cadavres, cela pourrait être le contraire. Mais chacun aurait pu, à travers le temps, chanter à l’autre la Chanson de Craonne dont l’auteur est resté anonyme : « Adieu la vie, adieu l’amour / Adieu toutes les femmes / C’est bien fini, c’est pour toujours / De cette guerre infâme / C’est à Verdun, au fort de Vaux / Qu’on a risqué sa peau » ou les vers de Lermontov à propos de Borodino : « Quel jour ce fut ! / comme des ombres / erraient les grands étendards sombres, / tout fumait et brûlait ; le sol de mitraille se pave, / le bras mollit à plus d’un brave, / et les monceaux de morts entravent / dans leur vol les boulets. »

Marc Obregon, activiste des profondeurs

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Dans Mort au peuple !, la France de 2039 ressemble à un cauchemar à la Lovecraft.


« Encore un roman antimoderne ? » me suis-je demandé avec un léger soupir quand j’ai ouvert le paquet des éditions Nouvelle Marge que m’adressait le confrère Maximilien Friche. Je savais que son auteur, Marc Obregon, écrit (beaucoup) dans le très-catholique L’Incorrect comme dans le très-monarchiste Le Bien commun. Rien de mainstream donc, fort bien. J’ai vite compris qu’il est, comme son éditeur, un disciple de Maurice Dantec, dont j’ai naguère parlé sans tendresse excessive dans Quolibets. J’apprends aussi qu’il a étudié la sémiotique de l’image et qu’il a publié deux ou trois livres, dans la marge

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Puis, j’ai lu une page de Mort au peuple, son roman… que j’ai terminé dans la nuit, crayon à la main, interloqué, agacé et séduit par cette prose violente, tantôt d’un poète, tantôt d’un activiste des profondeurs, pour citer le regretté Jean Parvulesco, qui aurait, je pense, aimé ce périple eschatologique. Entre Lovecraft et Abellio, Obregon nous dépeint la France de 2039, ou plutôt le mental d’un « terroriste » enfermé à vie dans une cellule de haute sécurité. Né dans les années 90, son héros farci de neuroleptiques (Dantec, encore) y moisit en raison de ses accointances avec un groupuscule mystico-guerrier dirigé par un couple de Persans chiites, les séduisants Ifiq et Zayneb, qui ont préparé un attentat au Palais de Tokyo. Ifiq a rencontré le jeune prolo gaulois dans une entreprise de nettoyage, où il vivote, et a rapidement décelé les failles de son poulain : « Regarde… regarde ta France, ce qu’elle est devenue. »

Néo-prolétaires zombifiés

« Voilà l’héritage de Mérovée, l’héritage de la Sainte à l’épée… des pourceaux qui ont le groin dans leurs téléphones, à faire défiler des images prédigérées… des néo-prolétaires zombifiés, qui ont troqué leur foi et leurs valeurs pour des écrans plats, pour des stérilets connectés… (…)  Si la France pue, c’est parce qu’on y bâfre encore la charogne des Rois ».

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Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir en quoi consiste l’opération en elle-même, machiavélique au suprême. L’essentiel est dans la description clinique d’un jeune conspirationniste du proche avenir, révulsé par le remplacement de toute expérience sensible du monde par le simulacre global. Gavé de sous-culture numérique, ce jeune orphelin entend lutter, les armes à la main, contre les nouvelles formes d’esclavage fondées sur l’organisation scientifique d’une diversion de tous les instants : l’omniprésente pornographie, les faux combats « sociétaux », sans oublier le triomphe d’une laideur sans rien d’accidentel : « Je n’avais pas souvenir  d’une époque plus délétère en matière de mode, aussi vomitive de couleurs, aussi pétrie de mauvaises manières. » Tour à tour sympathique et odieux, notre jeune croisé de l’Âge de fer fera l’expérience de la manipulation ultime. 

Obregon ? À surveiller, Monsieur le Commissaire.

Marc Obregon, Mort au peuple, Nouvelle Marge, 200 pages.

Reims: une banale attaque au couteau?

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D.R.

S’étonner d’une attaque violente d’un immigré sur une joggeuse? Il y en a tellement que nous avons perdu tout notre «capital effroi»…


Reims, 31 décembre 2022. Une femme profite de la dernière après-midi de l’année pour aller faire du sport. Il est 15 h 45 et la trentenaire, en plein footing, s’engage dans la rue René-de-Bovis, dans la partie sud de la ville. Cela aurait pu tomber sur quelqu’un d’autre, à quelques mètres près : sur une passerelle traversant la Vesle, elle croise un homme habillé en djellaba qui se jette sur elle. « L’agresseur l’a plaquée au sol et a hurlé dans une langue étrangère, avant de lui donner un coup de couteau au niveau de la gorge », témoigne une source policière auprès du site web spécialisé dans les faits divers actu17.fr.

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La victime est prise en charge par une infirmière qui passait par-là, avant son transport à l’hôpital. Heureusement, le pronostic vital de notre joggeuse n’a pas été engagé. L’agresseur est retrouvé peu après par la police, son couteau de cuisine toujours en main. L’Union-L’Ardennais brosse le portrait de l’individu. « En situation sociale précaire […], sans activité professionnelle sur le territoire national et vivant en foyer social », Fayas Khan Nagharia serait né le 1er janvier 1999 en Afghanistan et serait arrivé en France en 2019. Son acte violent ne semble pas mériter une seule ligne dans Le Monde ni dans la quasi-globalité de la presse nationale. Nombre d’attaques sont cantonnées dans la presse régionale aux rubriques « faits divers », qui traitent selon la définition du Larousse des « événements sans portée générale qui appartiennent à la vie quotidienne » : on poignarde sur notre territoire, comme d’hab’ quoi. Les événements de la gare du Nord, de Thiais, de Strasbourg, en janvier, ont eu droit au même non-traitement médiatique. Est-ce parce qu’un tel crime relève désormais de la routine ou est-ce pour éviter de s’interroger sur les rapports entre immigration et criminalité ?

Dans la horde primitive de la teuci

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© Wild Bunch

Dans le film d’horreur français « La Tour », Blancs, Noirs et Maghrébins se coudoient dans une proximité conflictuelle étouffante. Le film, d’une très grande violence, n’épargne pas les starlettes Angèle Mac et Hatik… Critique.


Dans L’Ange exterminateur, film génial de Luis Buñuel millésimé 1962, un étrange sortilège s’abat sur les invités d’un raout mondain dans une opulente villa mexicaine, leur interdisant soudain de quitter les lieux, tandis que le personnel de service s’évanouit dans la nature. L’enfermement ranime chez ces gens, a priori bien élevés, les instincts les plus primaires, déclenchant dans ce microcosme une sauvagerie où se dissolvent bonnes mœurs et bonnes manières.

Séquences gores et dénouement morbide

Le cinéaste Guillaume Nicloux transpose à sa manière l’argument, mais cette fois dans une de ces « cages à lapins » de béton qui agrémentent si joliment le paysage de nos banlieues contemporaines.

La Tour a été effectivement tourné dans une tour d’Aubervilliers « en attente de réaménagement », dixit le dossier de presse du film. Le postulat est identique au chef d’œuvre du Septième art mentionné plus haut, dont il figure une manière de transposition sous nos latitudes, en 2023. Sinon qu’ici le sortilège prend une coloration concrète, explicite : brusquement, un voile opaque ceinture toutes les issues, portes et fenêtres, de cet « immeuble de grande hauteur », comme on dit.  Et tout corps ou objet cherchant à s’échapper au dehors se voit aspiré sans recours dans ce trou noir ; le dehors n’est plus qu’un gouffre mortel ; voilà les habitants pris au piège : l’édifice sera leur prison – peine à perpétuité.

Le fantastique chez Buñuel relevait d’un imaginaire surréaliste traversé d’humour, tandis qu’ici le registre de l’horreur baigne cet enfermement dès les premières images, dans la même tonalité de vomissure glauque qui clapotera, grevé de séquences gores, jusqu’au dénouement morbide. Au-delà du parti pris horrifique (qui tient parfaitement ses promesses), l’intéressant, c’est la crudité de cette vivisection dans le corps social d’une tour générique de cité telle qu’on l’observe communément dans la France de 2023. D’un bout à l’autre du film, ce ne seront que coups frappés dans des portes d’appartements que leurs occupants terrifiés ouvrent en tremblant, sous la contrainte. De fait, avant même que de se voir collectivement emmurés vivants dans leur logis, les habitants sont condamnés au clanisme ethnique, confessionnel et racial :  blancs, noirs, maghrébins se coudoient dans une proximité conflictuelle, dont le régime de claustration ne fera qu’exacerber jusqu’à l’extrême, en somme, les pathologies organiques: d’où prostitution, cannibalisme, viol, torture, séquestration, assassinat, famine organisée, etc. Non sans procurer au spectateur une certaine joie sadique, le récit déroule ainsi par étapes ( « six mois plus tard » ; « cinq ans plus tard »…), sur un grand nombre d’années, le délitement d’un microcosme urbain revenu, au stade ultime, à l’état  de horde primitive. Miroir grossissant d’une réalité tribale : celle de nos cités ?

Un réalisateur qui ne fait pas dans la dentelle

Cinéaste éclectique entre tous, également acteur et romancier –  capable de naviguer d’une adaptation de Diderot (La Religieuse), à la comédie acide (Le Poulpe), en passant par le cinéma noir, jusqu’au film de guerre (Les Confins du monde, avec Gaspard Ulliel et Gérard Depardieu), le docu-fiction (jusqu’à employer Michel Houellebecq dans son propre rôle)… – Nicloux ne fait pas dans la dentelle. D’une violence sans limites et d’un pessimisme métaphysique absolu, La Tour affiche une position peu conforme à l’irénisme de bon aloi dans les chaumières de la bien-pensance.

Ce quand bien même, aux côtés de la ravissante Angèle Mac (au physique passablement éprouvé tout de même, dans le film, au fil de ses épreuves) le casting s’enjolive du bel Hatik, nouvelle coqueluche du rap « issu-de-la-diversité ». Lequel, pas de chance, coitus interruptus se verra défénestré dans le plus simple appareil, dévoré vivant par le trou noir –  le film finissant sans lui.      

La Tour. Film de Guillaume Nicloux. Durée : 1h29. En salles le 8 février 2023

Génie ou pas fini?

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Paris, 22 janvier 2023 © ELIOT BLONDET-POOL/SIPA

Macron est un génie. Depuis six ans, il est impossible d’échapper à ce postulat en préambule de tout débat abordant les échecs de la bête à concours de Picardie. Le braquage du siècle de 2017 occulte toute objectivité dans la manière d’appréhender l’homme. La mémoire collective a effacé sa chance de portugais cocufié par toute l’Ibérie avant de toucher les étoiles.


Son Q.I. son talon d’Achille. Relancer la réforme des retraites dans le contexte actuel, laisse perplexe. Soit c’est la preuve d’un manque de bon sens et de flair politique, soit c’est un pari cynique et froid misé sur l’accablement et la résignation d’un peuple à genoux. Il est probable que l’hypothèse 2 soit la bonne, mais alors quid du Père de la Nation. Un rôle qu’il n’a jamais pu ou voulu endosser, la paternité étant un sentiment qui lui est étranger. Il n’est pas là pour les pauvres, la province et la ruralité. Qui ne votent pas pour lui. En VRP de Bruxelles, Davos, Berlin et Washington il livre le sort des classes laborieuses et moyennes dans les bras des magnats du Capital. Privatiser la vie, le ventre des femmes, privatiser la retraite, la santé, la mort. Macron et ses conseillers Mac is Smack étaient sûrs du timing. Ils ne sont pas encore déconfinés dans leur tête, sont désossés par l’inflation, sidérés par la guerre, pas remis de ma réélection. C’est le moment de leur envoyer la dose et la facture. Ces faisans de la com nous administrent la pilule et avec eux même par voie orale on l’a toujours dans le c**. Mais voilà, avec l’énergie du désespoir la rue répond à l’appel du pavé. Et joue une de ses dernières cartouches pour ne pas finir anonyme et broyée parmi les algorithmes de Big Brother. “Qu’ils viennent me chercher!” On revient te chercher, on savait que tu nous attendais…

“Jamais je ne me lasserai d’offenser les imbéciles (Bernanos). Voilà son péché mignon, sa gourmandise ultime. Tant pis pour les conséquences. Il avait promis un premier mandat sans blablas. Un président au travail, dans le secret de sa fonction, rare sur la scène médiatique. Jamais un président n’a été aussi bavard. Il a passé un mandat en Grande Vadrouille, saisi tous les portables et blablaté dans tous les micros qui se tendaient. Il sort la petite phrase qui met le feu, et aussitôt, pour se refaire, part avec sa lance de pompier volontaire en tournée. Et le patron, sa tournée il la met. Sert, ressert, c’est open Macron bar. Ivre de lui-même, de selfies en autographes, il a passé cinq ans à tenter l’entarteur. Jusqu’à s’échouer sur la main du gifleur. “On a mis un gamin à l’Elysée et on va le payer très cher” (Luc Ferry 2017).

Un président Out of Africa. Son bilan à l’étranger est lui aussi catastrophérique. Ses rêves de leadership en Europe se sont fracassés sur la crise en Ukraine. Où son agitation frénétique a fini par user les dirigeants de toutes les diplomaties. Au point de favoriser l’avènement de cette crapule d’Erdogan en numéro 1bis de l’OTAN et en contrôleur général de l’UE. Bien joué. Les relations entre la France et l’Afrique sont plombées pour des générations. Il a couru les anciennes colonies pour s’excuser de tout. Votre corruption, vos boucheries, vos saloperies passées et à venir c’est de notre faute, notre grande faute. Oh mon gars, nos générations n’ont colonisé personne, torturé dégun, tué nobody. Alors fais-toi des soirées privées repentance, des week-ends gégène, des safaris fessées, mais arrête de parler et d’agir au nom du peuple sur des dossiers aussi voraces en chair humaine.

“La vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache(Malraux). Une part d’ombre s’étant barrée avec le coffre de Benalla, le service com a mis en lumière l’atout romanesque de son couple. Comme le bonhomme a d’entrée semé son sillon avec les graines du mépris et de la haine, la récolte s’annonçant prometteuse sa comcom.com a vite balancé au pilon la littérature rose bonbon. Il a voulu du gore, il aura du gore, jusqu’à la fin. Les hommages funèbres, notamment ceux à destination des artistes, dont il s’est fait une mission christique, en disent plus long sur sa personnalité. L’hommage à Belmondo, l’homme de Brio, était éloquent. Il a surjoué en cabot qui a dû rêver longtemps d’un autre destin. Et si banquier, président, n’étaient que des rôles ? Dans lesquels il s’écoute parler, se regarde s’aimer et se pâme à s’amuser ? Des uns, des autres, des faibles, de la fonction… Alors, génie ou pas fini? Pas fini.

Bordeaux: quand l’idéologie des élus veut imprimer sa marque sur des manifestations destinées à la petite enfance

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Image d'illustration Unsplash

En Gironde, un atelier de maquillage pour les tout-petits, organisé dans une bibliothèque et animé par une drag-queen, est notamment dénoncé par le parti d’Eric Zemmour.


Dans le cadre du mois de la petite enfance aura lieu à Bordeaux un atelier de maquillage destiné aux enfants de 18 mois à 4 ans. Cet atelier, animé par Serge, présenté comme un « homme en jupe » ou comme drag queen, fait polémique. Pour le plus grand bonheur de la mairie écologiste qui administre la ville, puisque cela permet à ses élus d’adopter des postures de drama queen, d’entonner le grand air de la persécution fasciste et de mettre en avant leur tolérance et leur progressisme !

Espérons que l’atelier maquillage proposé se déroule sans problème. Il ne devrait en rien faire avancer une quelconque lutte, mais l’essentiel est que les enfants s’amusent

La crainte d’un endoctrinement des enfants de 4 ans sur les «stéréotypes de genre»

La seule chose dont tout le monde semble se moquer concerne l’intérêt de ce type de manifestation pour de très jeunes enfants. Mais la municipalité préfère mettre en avant sa belle âme et son esprit de résistance face à la menace de l’extrême droite. «Dès qu’il y a des initiatives portant sur les sujets d’égalité entre les filles et les garçons et de lutte contre les stéréotypes de genre, une frange radicalisée de la population se lâche sur les réseaux sociaux et les sites d’extrême droite», s’agace ainsi Olivier Escots, adjoint au maire en charge des discriminations dans Le Figaro.

Tweet du responsable départemental du parti « Reconquête »

La mairie de Bordeaux a décidé de placer son « mois de la petite enfance » sous le thème de l’égalité filles-garçons. La chose est déjà en soi amusante car, à cet âge-là, les enfants découvrent à peine l’existence des différences sexuelles et n’ont guère l’idée de ce que peut-être un stéréotype de genre, ils sont dans l’apprentissage de la conscience de soi. Ce type d’affichage est donc purement idéologique. Il permet essentiellement à des élus qui n’ont sans doute pas réfléchi à ce qu’ils pourraient apporter en matière de petite enfance, d’exhiber leur bonne conscience et de faire croire qu’ils agissent, alors qu’ils ne font que faire des pâtés de sable avec des concepts qui les dépassent.

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On peut tout à fait comprendre l’importance de lutter contre les discriminations. Un homme qui assume son sexe et son envie de porter des jupes et du maquillage ne mérite pas d’être ostracisé, moqué, encore moins humilié. Et ce n’est pas inutile de le rappeler.

Mais justement, les très jeunes enfants n’ont pas ce type de réflexe. Ils vont facilement vers l’autre. Cette question concerne les jeunes et les adultes, et ne peut alimenter qu’un discours en direction de personnes aptes à le comprendre et concernés par celui-ci. En quoi des enfants de 18 mois à 4 ans doivent-ils être instrumentalisés pour faire passer un message qui ne les concerne pas ? En quoi le fait d’être surpris par le parti pris des organisateurs devrait se traduire par un procès en fascisme fait aux individus et aux familles qui trouvent l’initiative contestable ? En quoi des élus doivent-ils faire de toute manifestation un tract politique destiné à leur tendre un miroir dans lequel ils se contemplent en chevalier blanc du politiquement correct, sans se soucier de ceux à qui l’initiative est censée être destinée ? Il se trouve hélas que de plus en plus d’élus mettent leur mandat au service de leurs obsessions, se mettent à faire la morale à leur population en s’érigeant arbitrairement en directeurs des consciences, le tout sans n’avoir plus aucun rapport avec l’intérêt général.

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On a d’ailleurs du mal à comprendre l’intérêt de l’atelier en question. Le fameux Serge est censé se maquiller, ensuite les enfants sont censés l’imiter. En général, les ateliers maquillage qu‘adorent les enfants consistent à les maquiller, en tigre, papillon, grenouille ou lion. Dans toutes les kermesses de maternelles, ces stands sont pris d’assaut. S’il s’agit juste de les laisser se gribouiller le visage et les mains de maquillage, pas sûr qu’il y ait besoin d’un tuto, encore moins sûr qu’à 3 ans, un enfant ait la coordination nécessaire pour « imiter » la précision d’un maquillage de drag queens. Mais comme tout le monde se moque de ces réalités-là, passons.

Tout à l’égo

Si vraiment des élus voulaient lutter contre les inégalités et développer à terme la tolérance, il existe des dispositifs plus pertinents qui se concentrent sur la période de la petite enfance. Notamment autour du développement du langage et de l’acquisition de vocabulaire. Ces approches ont notamment pour but l’acquisition, par les enfants issus des milieux défavorisés, d’un niveau de langage permettant de faire face aux apprentissages scolaires et de réduire ainsi la fracture sociale. On sait bien que le fait de ne pas maîtriser le langage est un facteur de violence et de difficulté à tisser le lien à l’autre. Seulement voilà, ce type d’engagement ne se résume pas à quelques heures, peu coûteuses, vite effectuées et vite oubliées. Cela demande un véritable investissement, et la participation des crèches, et ne peut porter de fruits que sur la durée. Il est rare que les élus se fassent attaquer sur ce type de programme, ce qui rend difficile la mise en scène de soi-même en martyr de la cause du progressisme et en cible de la méchante extrême-droite…

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Des initiatives utiles et qui ne se suscitent aucune polémique, voilà ce qui ne fait pas les affaires d’élus dont le service de leur propre ego paraît être la motivation principale. En attendant, espérons que l’atelier maquillage proposé se déroule sans problème. Il ne devrait en rien faire avancer une quelconque lutte, mais l’essentiel est que les enfants s’amusent. Pour le reste, cette affaire n’est que la énième illustration d’un certain puritanisme qui tente d’enrégimenter les enfants dès le plus jeune âge, avant même qu’ils n’aient développé leur personnalité.

Que cela puisse heurter certains parents n’est pas étonnant. En revanche, que des élus, au lieu d’interroger leurs choix et leurs pratiques, renvoient toute critique à la fachosphère, interroge.

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Retraite: quand le mot fait la chose

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Le Premier ministre Elisabeth Borne explique sa réforme à la télévision, 3 février 2023 © Eric Dessons/JDD/SIPA

Il faudrait savoir de quoi nous parlons, au fond, quand nous évoquons la «retraite»: est-ce une nouvelle vie qui commence, ou l’existence qui s’achève ? Un peu de philologie permet de comprendre le non-dit de la notion, explique notre chroniqueur.


« Jubilación », disent nos voisins espagnols : on sent que la retraite ibérique sera une longue fête. Les Anglais, eux, ont deux mots : « retirement » au sens économique du terme, et « retreat » au sens militaire. Le brouhaha de ces dernières semaines, en France, ne viendrait-il pas de l’ambiguïté du mot « retraite », qui évoque à la fois la « pension » à venir et la défaite ? 

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Glissade vers la mort

L’ombre portée de la « retraite de Russie » plane derrière notre vision de la retraite. Alors, vouloir à tout prix la retarder, n’est-ce pas double peine ? À l’humiliation de la défaite sociale — nous étions quelque chose, nous avions des collègues, nous ne sommes plus rien et désormais ils nous ignorent, nous n’appartenons plus à leur monde — vient se greffer l’image du vieux soldat revenant d’une guerre perdue. La retraite, dons l’imaginaire collectif, c’est le désastre dans la steppe russe de l’armée napoléonienne, c’est le vieux chevalier revenant fourbu d’une croisade perdue, comme dans le tableau de Carl Friedrich Lessing, Le Retour du Croisé (1835). Un paladin épuisé, son oriflamme en lambeaux, plus rouillé encore que son armure. À 64 ans et peut-être un peu plus, comme je l’expliquais récemment. Ne rentrant chez lui que pour y mourir.
Comme disait il y a quelques jours Cyril Bennasar : « Une retraite ? Plutôt crever ! »

Le dernier croisé, Carl Friedrich Lessing. D.R.

65 ans en Espagne…

Quand le retraité hispanique s’apprête à faire la fête et considère qu’il a la vie devant soi, le retraité français entame sa glissade vers la mort. Deux pays, deux visions diamétralement opposées. Et pourtant l’Espagnol ne part à la retraite, déjà, qu’à 65 ans. Mais il se promet une longue fête humectée de manzanilla, de xérès et d’amontillado, avec tout le temps, enfin, de déguster des tapas, de faire de longues siestes et de courir aux corridas. De l’autre côté des Pyrénées, le Français se voit promis prochainement à l’oubli de tous et à un EHPAD humiliant où il vivotera entre douche hebdomadaire, nourritures molles sans sel et Alzheimer galopant.

… 67 au Royaume-Uni

L’Anglo-Saxon, pendant ce temps, dont l’âge de départ à la retraite devrait passer à 67 ans à l’horizon 2027, ne convoque aucune image de défaite — puisque « retirement » (qui a quand même un petit côté coitus interruptus, non ?) n’est pas « retreat ». Il envisage sereinement de continuer à travailler dans un petit job ou un autre — ou, s’il en a les moyens, d’explorer en détail ces anciennes provinces anglaises que sont le Bordelais et la Dordogne, et d’aller faire un tour, l’hiver, sur… la Promenade des Anglais. Et il ne comprend rien au débat français sur l’ancrage de la retraite à 64 ans…

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À vrai dire, une habile politique sociale, en plaçant au chômage près de 40% des plus de 55 ans, a largement anticipé la mort sociale redoutée. Nombre de nos concitoyens sont pré-défunts dans cette pré-retraite où comme chantait Brel,  
« Les vieux ne rêvent plus
Leurs livres s’ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort
Le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus
Leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil
Et puis du lit au lit
Et s’ils sortent encore
Bras dessus bras dessous tout habillés de raide
C’est pour suivre au soleil
L’enterrement d’un plus vieux, l’enterrement d’une plus laide… »

À vous de choisir, camarades. À vous de savoir si pour vous la retraite est l’entrée dans une désolation grise, ou si elle marquera une nouvelle jeunesse, une nouvelle ardeur. Partez, « là-bas où des oiseaux sont ivres », descendez des fleuves impassibles sur des bateaux ivres — mieux que dans les HLM flottants de la Royal Caribbean, défendez dès aujourd’hui vos droits à la jubilation, et ne laissez pas un fifrelin à vos héritiers: au moins ils n’attendront pas impatiemment que vous cassiez votre pipe.

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Océanisation du Foch: comment gérer les vieilles coques de la Marine?

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Wikipedia Commons

Vendredi, l’ancien porte-avions français, le Foch, a été coulé au fond de l’Atlantique par l’armée brésilienne, qui l’avait racheté il y a près de 20 ans, et renommé le São Paulo. Nous ne disposons plus que d’un porte-avions aujourd’hui, le Charles de Gaulle, et il restera en service jusqu’en 2040. Mais il faudrait déjà commencer à anticiper la façon dont on s’en débarrassera…


Le 4 février 2023, l’ex porte-avions Foch a été océanisé [1], à la suite d’un périple digne de celui qu’a connu son sister-ship, le Clémenceau, il y a 17 ans de cela. Une fois de plus, la question de la fin de vie des bâtiments de guerre se retrouve sous les feux de l’actualité. Cependant, il ne faut pas oublier que la conception des deux porte-avions français, construits dans les années 1950, répondait à des préoccupations très éloignées de celles du début du XXIe siècle.

Mis en service en 1963, le porte-avions Foch a été vendu en 2000 à la Marine brésilienne, qui l’a exploité jusqu’en 2017 sous le nom de São Paulo. Lors de son retrait du service actif, il ne faisait plus de doute qu’il devait être envoyé à la casse, car son mauvais état limitait depuis longtemps sa disponibilité opérationnelle. Il fut ainsi vendu à un chantier de démolition turc, et fut pris en charge en août 2022 par un remorqueur hollandais pour être acheminé vers sa dernière destination. Mais la Turquie refusa d’accepter la coque, et le convoi dut opérer un demi-tour au niveau du détroit de Gibraltar. À partir là, le Foch erra sous escorte dans l’Atlantique, étant également indésirable dans les ports brésiliens, jusqu’à ce que son état impose cette décision, qui était la moins mauvaise au vu de la dégradation de la coque.

Des règles très différentes selon les pays

Ce feuilleton n’est pas sans rappeler celui du Clémenceau, dont la déconstruction avait été confiée à l’origine à un chantier espagnol. Il quitta Toulon en 2003, mais on lui fit opérer un demi-tour lorsqu’on se rendit compte que sa véritable destination était un sous-traitant basé en Turquie. Elle fut ensuite confiée à un chantier indien, mais le remorquage, débuté le 31 décembre 2005, tourna au feuilleton entre le refus des autorités indiennes qui força le convoi à faire demi-tour, et l’interdiction d’utiliser le canal de Suez qui obligea à un détour par le cap de Bonne Espérance. Finalement, le convoi revint à Brest le 17 mai 2006, le jour même où les États-Unis océanisaient un de leurs anciens porte-avions, le USS Oriskany. Il fallut alors attendre trois ans pour que le Clémenceau parte pour de bon vers un chantier de démolition au Royaume-Uni. Cet épisode aura au moins un mérite: celui d’avoir sensibilisé l’opinion aux problématiques liées à la démolition navale.

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Cependant, les règles concernant les bâtiments militaires avaient déjà commencé à évoluer en France. Les océanisations avaient été interdites en 2001 côté Méditerranée et en 2004 côté Atlantique [2]. Après l’épisode du Clémenceau, c’est un véritable plan de déconstruction des vieilles coques de la Marine qui est mis en place, mais il faut attendre les années 2010 pour qu’il entre en phase opérationnelle, le temps de trouver des prestataires ayant les capacités suffisantes. Progressivement, le stock qui s’était accumulé est démoli, sur place pour les coques qui ne peuvent plus naviguer, ou dans les chantiers d’une filière qui commence à se constituer : Gardet et de Banézac au Havre, la forme de Bassens à Bordeaux [3], ou Galloo à Gand, en Belgique.

Même les anciens sous-marins nucléaires lanceurs d’engins font l’objet d’un démantèlement dans les règles de l’art, qui a commencé en 2018 et doit s’étaler jusqu’en 2027. En revanche, pour le Charles-de-Gaulle, le défi sera conséquent : outre le traitement des…

>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue « Conflits » <<


[1] Terme généralement préféré à « saborder » dans le monde maritime

[2] Certains bâtiments de grande taille étaient déjà démolis dans des chantiers, à l’exemple du Jean Bart et de l’Arromanches

[3] C’est dans cette forme qu’ont été démolis d’anciens symboles comme le Colbert et la Jeanne d’Arc

Un fauteuil pour 60 millions de prétendants!

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Jean Dutourd. © Hannah Assouline

L’Académie française, son histoire et ses arcanes, croquée avec humour par Jean Dutourd (1920-2011) dans un court texte republié au Cherche midi


En France, le granitique fait sourire. Une confrérie de « vieux » messieurs cornaquée par une grande dame, travaillant à la sauvegarde de la langue et à l’élaboration d’un dictionnaire, s’habillant parfois de façon fort peu conventionnelle mais toujours très protocolaire, a de quoi heurter notre égalitarisme épidermique. Sous cape, on ricane devant tant de vanités réunies et d’obsolescence programmée. Ce serait aussi désuet que la truite meunière de ma grand-mère et la sélection du Reader’s digest par voie postale. Le club des 40 existe depuis Richelieu et se réunit tous les jeudis après-midi, à l’heure du goûter. On dit que le Quai de Conti ouvre les portes du paradis. Quand vous interrogez la plupart des écrivains vivants sur leurs envies d’immortalité, ils nient farouchement leur intérêt d’y entrer, d’en faire partie, de se soumettre aux ridicules rites de passage, ils ont passé l’âge du scoutisme et des bons points distribués par la maîtresse. En vérité, ils y pensent tous, en se rasant. Car, selon la formule de Lamartine, l’Académie, « c’est plus qu’une tradition, c’est une habitude de la France ». 

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Poésie en banqueroute

Dans un pays désœuvré, ne croyant ni aux sirènes des politiques, ni aux prospectus des marchands, l’Académie, malgré ses lourdeurs et ses lambris, continue de nous faire croire au pouvoir des mots. Même si la bataille est perdue depuis longtemps, le texte enseveli sous la mitraille des images, la littérature en écharpe, les auteurs au RSA, la phrase en déroute, la poésie en banqueroute, nous savons que, rive gauche, sur les bords de la Seine, il existe une institution certes imparfaite qui donne cependant encore le change. C’est à la fois dérisoire et sublime, naïf et d’une résistance folle dans une époque où un tweet démet un ministre et où une faute de français vous rend populaire à la télévision. Jean Dutourd, Grand officier de la légion d’honneur, élu en 1978 au fauteuil 31 de Jacques Rueff avait écrit L’Académie par un des 40 qui parut, une première fois en 2009, en cachant l’identité de son auteur. 

Il ressort aujourd’hui au Cherche midi avec sa véritable paternité, préfacé par Erik Orsenna et illustré par Philippe Dumas. Le livre est court, joliment démodé, ironique sans trop d’amertume et spirituel du genre rapace comme l’était le pensionnaire à moustache des Grosses Têtes. Sur une centaine de pages érudites, Dutourd s’amuse de ces prédécesseurs illustres, retrouve quelques formules qui ont fait mouche en séance et nous rappelle que « Louis XVIII est le vrai sauveteur de l’Académie. Il l’a rétablie dans son lustre de l’Ancien Régime, il lui a rendu sa prééminence ». On se délecte de la définition établie par Guizot en 1854 sur les qualités nécessaires pour faire un bon académicien, parlant d’un certain Legouvé (1807-1903), dramaturge oublié, recalé deux fois qui retentait sa chance : « Je lui donnerai ma voix, car je lui trouve les qualités d’un véritable académicien. D’abord il présente bien, il est très poli, il est décoré, il n’est d’aucune opinion, je sais bien qu’il a ses ouvrages, mais que voulez-vous, personne n’est parfait ». Là, demeure le principal handicap pour un postulant, son œuvre plus que l’absence d’une œuvre. 

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Académie française ? Bilan globalement positif

Dutourd prévient le prétendant qui serait amené à rendre visite aux académiciens, dans ce tour de manège où les égos les mieux accrochés risquent de trembler : « Il faut poser en principe que votre interlocuteur ne sait rien de vous, n’a pas lu une ligne de vos œuvres et se contrefiche de votre avenir. N’allez pas lui suggérer que vous êtes célèbre ou que vous avez du talent. Étant de l’Académie, il se considère comme incommensurablement plus illustre et plus génial que vous ne le serez jamais (sauf, bien sûr, si vous êtes élu, mais nous n’en sommes pas là) ». Dutourd fait un bilan plutôt positif de cette honorable maison sur plusieurs siècles, si sous Louis XIV y siégèrent tout de même Corneille, Racine, Boileau, La Fontaine et La Bruyère, il y eut bien quelques loupés avec Balzac, Stendhal, Dumas Père ou Molière. Et selon Dutourd, « Elle n’a été vraiment injuste que pour Zola, Benjamin Constant et Baudelaire ». Et aujourd’hui qui ferions-nous entrer ? Je propose Yves Charnet et, je regrette que Marc Alyn ne puisse concourir car l’âge limite de candidature a été fixé à 75 ans.

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Léonard Cohen, ce grand mystique

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Léonard Cohen, 1992 © Alliance/DPA/Bridgman

Écartelé entre sa foi juive et sa quête de sainteté zen, Léonard Cohen a aussi été un fervent drogué et un accro au sexe. La biographie que lui consacre Pascal Bouaziz nuance ses contradictions existentielles et rend hommage à un artiste écorché. Hallelujah !


En 2016, Léonard Cohen, musicien et poète de génie, auréolé du mythe du Juif errant, nous quittait. Pascal Bouaziz – lui-même musicien et auteur-compositeur pour deux groupes majeurs de la scène underground française, Mendelson et Bruit noir – lui consacre une belle biographie sobrement intitulée Léonard Cohen. De lui, il a tout vu, tout lu, tout écouté, et il nous le prouve. Pour Bouaziz, Cohen a été un modèle, littéraire et musical, mais peut-être, aussi, une espèce de double : « Je suis né le même jour que Léonard Cohen, un 21 septembre, lui en 1934, moi en 1972 : la même année que son fils, Adam. Depuis trente ans, je m’évertue à écrire des chansons aussi pures, aussi belles, aussi violentes, aussi crues, aussi vraies que les siennes. »

C’est pourquoi cette biographie s’apparente à une déambulation, à une espèce de quête de fragments de vie pour reconstituer le personnage de Cohen, ses forces, ses failles, son côté terriblement attachant mais aussi, parfois, détestable : un être humain quoi ! Au fil des pages, on découvre et on cherche à comprendre cet éternel étranger, cet homme à femmes – baiseur compulsif – ce poète habité par une foi véritable, son rapport à Dieu qui est peut-être, tout au long de sa vie, ce qui lui a permis de ne pas sombrer.

La judéité tient une place centrale dans l’existence et dans l’œuvre de Léonard Cohen. Ainsi Dance With Me to the End of Love – l’une des plus belles chansons du monde, selon Pascal Bouaziz – n’est pas une chanson d’amour, mais un hommage aux déportés qui étaient obligés de jouer du violon dans les camps de concentration. Quant à Chelsea Hotel #2, vraie chanson d’amour celle-ci, elle a rendu mythique sa brève relation avec Janis Joplin.

Belle, crue, violente… ces adjectifs résument à eux seuls la vie de Cohen. Né à Montréal dans une famille juive pratiquante, d’origine lituanienne, il mène une enfance heureuse. C’est un petit garçon remuant, curieux de tout et qui, à la synagogue, veut lire la Torah et tourner ses lourdes pages. Dieu déjà. Mais Léonard est l’archétype du Juif errant et, très tôt, il a envie de fuir, de voir autre chose, pour se trouver, se révéler ou se retrouver : reconstituer une âme éparpillée. Il pose d’abord sa valise à Londres, avec sa grisaille, puis en Grèce, dans la mythique île d’Hydra, avec son aveuglante lumière. Là, il rencontre la non moins lumineuse Marianne et le couple entre dans la légende. Cependant, tout n’est pas si rose : Marianne lui est dévouée, mais il la trompe tout le temps, de manière quasi compulsive, et il finit par la quitter. Ce point est récurrent tout au long de sa vie, il court derrière les femmes, il les cherche puis il les fuit. Serait-ce son éternelle quête de l’absolu ? Il en est une cependant qui lui tient tête avant de devenir une muse un tantinet soumise : Suzanne, la mère de ses enfants. Les artistes n’ont pas besoin de femmes fortes.

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Léonard Cohen a été poète et écrivain avant de devenir musicien, alors qu’écrire a représenté pour lui une terrible souffrance. Cela n’a pas empêché son roman Les Perdants magnifiques (« Beautiful Losers »), publié en 1966, de connaître un beau succès et d’être considéré comme l’un des romans expérimentaux les plus réussis de ces années-là. Son récit ferait passer Kerouac – exsangue et gavé d’amphétamines – pour un premier communiant. Cette difficulté d’écriture se retrouve avec sa chanson Hallelujah qu’il met plusieurs années à achever, ce qui a bien fait rire Bob Dylan qui disait écrire ses chansons en cinq minutes.

Mais au-delà d’un texte, la quête infinie de Léonard Cohen est la rencontre avec Dieu, il le cherche partout : dans les drogues, dont il a abusé plus que de raison, dans le sexe, dans l’écriture, sur scène… Rien de tout cela ne l’a pourtant éloigné de sa dépression chronique, jusqu’à sa conversion au bouddhisme zen qui a été pour lui comme une rédemption. S’il est apaisé par la mystique asiatique, il n’en demeure pas moins fidèle au judaïsme de ses origines qui lui a appris à douter : il aime dire qu’il croit en Dieu un jour sur deux.

Et en lisant Les Perdants magnifiques, on est tenté de penser que Léonard Cohen a été en quête d’une sorte de sainteté ; il en donne une définition bouleversante : « Qu’est-ce qu’un saint ? Un saint c’est quelqu’un qui a atteint une lointaine possibilité humaine. Il est impossible de dire ce qu’est cette possibilité, je pense que ça a quelque chose à voir avec la possibilité de l’amour. Le contact avec cette énergie aboutira à une sorte d’équilibre dans le chaos de l’existence. Un saint ne dissout pas le chaos, s’il le faisait, le monde aurait changé depuis longtemps. »

L’auteur souligne d’ailleurs que même les drogues n’ont pas entamé son « capital sainteté » : « Que ce drogué qui ne s’est jamais caché de l’être ait pourtant gardé cette image de pureté, de sainteté, de sagesse de moine zen est un grand mystère. »

Ici s’impose la comparaison avec Daniel Darc, autre grand junky, qui se disait « ange déçu », et qui, lui aussi, après avoir abusé de tout, a trouvé une consolation dans la religion. Ce dernier aurait pu faire sienne cette phrase de Léonard Cohen, dans sa chanson Anthem : « There is a crack in everything, that’s how the light gets in » (« Il y a une fissure en toutes choses, c’est ainsi qu’entre la lumière »).

Pascal Bouaziz, Leonard Cohen, « Les indociles », Hoëbeke, 2022.

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De Gaulle et Giono dans le Donbass

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Portrait de Jean Giono, 1937. Wikimédia commons.

C’était écrit, la chronique de Jérôme Leroy


Premier témoignage : « Les soldats se jettent dans la bataille par petits groupes. On les tue. D’autres arrivent et prennent leur place. On les tue de nouveau. Et cela n’arrête pas. Ils marchent sur les cadavres pour avancer. »

Second témoignage : « Nous ne sortons toujours pas de notre trou. Nous ne sommes plus que huit. Celui qui était devant la porte a été tué par un gros éclat qui est arrivé en plein dedans, lui a coupé la gorge et l’a saigné. Nous avons essayé de boucher la porte avec son corps. »

On pourrait jouer aux devinettes. Qui a dit quoi et quand, quel est le témoignage d’un combattant ukrainien dans l’enfer de Soledar recueilli par France Info et quelle est la citation de Jean Giono dans ses Écrits pacifistes, sur la bataille de Verdun ? Il y a quelque chose d’intemporel dans les horreurs de la guerre ou plus exactement, il y a quelque chose d’intemporel dans une certaine manière de faire la guerre, à Verdun ou à Soledar, que les spécialistes en stratégie appellent la « guerre d’attrition ». Jean-Marc Rickli, chercheur au Centre de politique de sécurité de Genève, définit cette guerre ainsi : « Cette forme de combat repose sur l’usure des forces ennemies par un déluge de feu puis un grignotage des territoires écrasés par les bombes. »

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C’est la stratégie de l’état-major allemand qui décide, une bonne partie de l’année 1916, de « saigner à blanc » l’armée française à Verdun. De Gaulle, qui a participé à ces combats, illustre par anticipation, dans ses Mémoires, les propos du chercheur genevois, avec plus de style néanmoins : « Actions brutales à l’extrême qui consistent à concentrer sur un objectif limité le feu intense des batteries, puis à donner l’assaut aux défenseurs décimés et atterrés par l’infernal bombardement. Parfois, peuvent être conquises de cette façon quelques parcelles ravagées, à moins que l’attaque ne soit bloquée par le tir des fantassins français restés vivants et résolus et par nos barrages d’artillerie. »

Si c’est bien Giono qui a vu un camarade égorgé par un éclat d’obus et le combattant ukrainien qui se bat sur un monceau de cadavres, cela pourrait être le contraire. Mais chacun aurait pu, à travers le temps, chanter à l’autre la Chanson de Craonne dont l’auteur est resté anonyme : « Adieu la vie, adieu l’amour / Adieu toutes les femmes / C’est bien fini, c’est pour toujours / De cette guerre infâme / C’est à Verdun, au fort de Vaux / Qu’on a risqué sa peau » ou les vers de Lermontov à propos de Borodino : « Quel jour ce fut ! / comme des ombres / erraient les grands étendards sombres, / tout fumait et brûlait ; le sol de mitraille se pave, / le bras mollit à plus d’un brave, / et les monceaux de morts entravent / dans leur vol les boulets. »

Marc Obregon, activiste des profondeurs

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D.R.

Dans Mort au peuple !, la France de 2039 ressemble à un cauchemar à la Lovecraft.


« Encore un roman antimoderne ? » me suis-je demandé avec un léger soupir quand j’ai ouvert le paquet des éditions Nouvelle Marge que m’adressait le confrère Maximilien Friche. Je savais que son auteur, Marc Obregon, écrit (beaucoup) dans le très-catholique L’Incorrect comme dans le très-monarchiste Le Bien commun. Rien de mainstream donc, fort bien. J’ai vite compris qu’il est, comme son éditeur, un disciple de Maurice Dantec, dont j’ai naguère parlé sans tendresse excessive dans Quolibets. J’apprends aussi qu’il a étudié la sémiotique de l’image et qu’il a publié deux ou trois livres, dans la marge

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Puis, j’ai lu une page de Mort au peuple, son roman… que j’ai terminé dans la nuit, crayon à la main, interloqué, agacé et séduit par cette prose violente, tantôt d’un poète, tantôt d’un activiste des profondeurs, pour citer le regretté Jean Parvulesco, qui aurait, je pense, aimé ce périple eschatologique. Entre Lovecraft et Abellio, Obregon nous dépeint la France de 2039, ou plutôt le mental d’un « terroriste » enfermé à vie dans une cellule de haute sécurité. Né dans les années 90, son héros farci de neuroleptiques (Dantec, encore) y moisit en raison de ses accointances avec un groupuscule mystico-guerrier dirigé par un couple de Persans chiites, les séduisants Ifiq et Zayneb, qui ont préparé un attentat au Palais de Tokyo. Ifiq a rencontré le jeune prolo gaulois dans une entreprise de nettoyage, où il vivote, et a rapidement décelé les failles de son poulain : « Regarde… regarde ta France, ce qu’elle est devenue. »

Néo-prolétaires zombifiés

« Voilà l’héritage de Mérovée, l’héritage de la Sainte à l’épée… des pourceaux qui ont le groin dans leurs téléphones, à faire défiler des images prédigérées… des néo-prolétaires zombifiés, qui ont troqué leur foi et leurs valeurs pour des écrans plats, pour des stérilets connectés… (…)  Si la France pue, c’est parce qu’on y bâfre encore la charogne des Rois ».

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Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir en quoi consiste l’opération en elle-même, machiavélique au suprême. L’essentiel est dans la description clinique d’un jeune conspirationniste du proche avenir, révulsé par le remplacement de toute expérience sensible du monde par le simulacre global. Gavé de sous-culture numérique, ce jeune orphelin entend lutter, les armes à la main, contre les nouvelles formes d’esclavage fondées sur l’organisation scientifique d’une diversion de tous les instants : l’omniprésente pornographie, les faux combats « sociétaux », sans oublier le triomphe d’une laideur sans rien d’accidentel : « Je n’avais pas souvenir  d’une époque plus délétère en matière de mode, aussi vomitive de couleurs, aussi pétrie de mauvaises manières. » Tour à tour sympathique et odieux, notre jeune croisé de l’Âge de fer fera l’expérience de la manipulation ultime. 

Obregon ? À surveiller, Monsieur le Commissaire.

Marc Obregon, Mort au peuple, Nouvelle Marge, 200 pages.

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