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64 ans, un horizon déjà largement fictif

Le travail c’est la santé!


64 ans, un horizon déjà largement fictif
Manifestant contre la réforme des retraites, 10 janvier 2023, Paris © Eric Dessons/JDD/SIPA

Mardi 31 janvier, second round des protestations contre le projet de loi visant à repousser à 64 ans l’âge de la retraite. Notre chroniqueur comprend mal la fixette syndicale sur un âge de cessation d’activité qui dans les faits est déjà largement fictif.


J’avoue avoir du mal à comprendre cette volonté de défendre coûte que coûte un départ à la retraite à 62 ans.

En fixant à 43 annuités la durée de cotisation nécessaire pour avoir une retraite à taux plein, la loi Touraine du 18 décembre 2013, promulguée le 14 janvier suivant, et entrée en vigueur en 2020, a réglé la question : vu l’allongement des études, qui implique que personne actuellement et davantage encore à l’avenir n’entre sur le marché du travail avant 23 ans, une addition toute simple nous amène à considérer que personne, parallèlement, ne sera à la retraite avant, au mieux, 66 ans.

Mémé-tresse

Et encore, en supposant que l’on a travaillé de façon ininterrompue pendant ces 43 ans. Ce qui est de moins en moins vrai, dans un pays où plus de 30% des plus de cinquante ans est au chômage, et ce sera dans le futur tout à fait exceptionnel. Quant à l’idée de racheter les trimestres non effectués, c’est une pure fiction, dans un pays où les salaires courent en vain derrière l’inflation. À part pour une extrême minorité de cadres supérieurs et de hauts fonctionnaires, qui dans leur majorité n’aspirent pas à partir à 64 ans, mais se voient bien continuer à travailler puisqu’ils se jugent indispensables…

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Prenons l’exemple d’un enseignant. Il est aujourd’hui recruté à Bac + 5 — soit 23 ans, à condition qu’il ait tout réussi du premier coup : et malgré la mansuétude des jurys et la facilité des concours de Professeur des écoles ou de Certifié, c’est loin, très loin d’être le cas. Alors, oyez, oyez, ô chers collègues : vous qui vous plaignez parfois après quelques mois d’enseignement, vous voici partis pour 43 ans — soit une retraite complète à 66 ans dans le meilleur des cas. Regardez bien vos élèves, ils seront quinquagénaires lorsque vous pourrez faire valoir vos droits à une concession rapide au cimetière le plus proche. Et on vous appellera mémé-tresse…

Quoi qu’on dise de l’écart théorique entre la France et les pays voisins qui ont tous des régimes différents que l’UE ne cherche même pas à harmoniser parce que de fait elle est identique, la réalité des faits est la même. Les Français en moyenne partiront au même âge que les Allemands, qui vers 2031 seront à la retraite à 67 ans. Comme aux Pays-Bas. 

Partout en Europe les législations ont évolué en fonction de l’allongement de l’espérance de vie. Il s’agit de maintenir la durée de versement des retraites au même niveau — disons en moyenne une douzaine d’années, quatre ou cinq ans de plus pour les pensions de réversion. C’est tout à fait soutenable. La fiction bien française selon laquelle la retraite est une seconde vie est justement cela — une fiction.

La trouille de la mort

Comment se fait-il que l’on proteste tant contre le relèvement de l’âge de départ, alors que nous n’avons pas entendu les syndicats hurler en 2013 ? Ça ne peut pas être parce qu’alors, c’était la gauche qui était au pouvoir, quelle mauvaise pensée…

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La solution la plus évidente serait d’instaurer un système de retraite à la carte. J’ai été assez dépité de devoir quitter mes élèves à 67 ans, après 49 ans de cotisation. Je me sentais bien d’enseigner encore trois ou quatre ans. Mais je reconnais que nombre de mes collègues — et c’est la même chose dans la plupart des professions — sont complètement grillés à 60 ans, et passent les dernières années à psalmodier des cours usés jusqu’à la corde. Le surplus volontaire des uns pourrait compenser le départ des autres, chacun s’éclate comme il l’entend. Et j’entends très bien que certains travailleurs manuels sont usés à 50 ans. Qu’ils prennent alors de plein droit une retraite où ils jouiront de leur pension au prorata de ce qu’ils auront cotisé — le gouvernement s’engageant, comme il le fait en ce moment, de garantir un montant en dessous duquel on ne pourra descendre. Par exemple les 600 euros que Benoît Hamon prévoyait dans son système de revenu universel… 

L’épopée de Hamon aura au moins appris au PS ce qu’il en coûte de bourrer les urnes — mais non, il n’a rien appris !

En définitive, c’est probablement la crainte de la mort — inéluctable, je ne vous apprends rien — qui est le moteur de ces protestations. Vivre, vivre enfin en attendant que la Camarde toque à la porte. Signe indubitable que trop de gens font un métier qui ne les passionne pas, et attendent impatiemment le jour où ils auront le droit de regarder le temps qui passe — et la faux qui se rapproche. Que n’ont-ils vécu durant leur vie ! Carpe diem, camarades — et cessez de gémir : c’est un sport national qui prend des proportions dantesques, chacun trouvant matière à se plaindre. Prenez du plaisir avant la retraite — car je vous le dis, quand vous aurez cessé de travailler, quand les rhumatismes, l’arthrose et autres désagréments invalidants se rappelleront chaque matin à votre bon souvenir, ce sera une plus ou moins longue glissade vers les planches de sapin de notre destin commun.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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