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La guerre écoresponsable n’existe pas

La transition vers une électricité produite par le nucléaire et les énergies renouvelables fait toutefois l’objet d’un large consensus


La guerre écoresponsable n’existe pas
Catapultage d’un avion Rafale depuis le porte-avion Charles-de-Gaulle, au large de Toulon, 5 juin 2007. Qui peut aujourd’hui envisager un Rafale électrique ? © PATRICK VALASSERIS/AFP

N’en déplaise aux défenseurs de la planète, le pétrole demeure le nerf d’une vraie guerre. Sans énergie fossile, impossible de faire rouler des chars et encore moins de faire voler des avions. Plusieurs pays développent des projets de véhicules hybrides, mais la guerre tout électrique n’est pas pour demain.


Just Stop Oil est un groupe anglais militant pour le climat qui s’attaque à des œuvres d’art célèbres pour exiger du gouvernement britannique qu’il s’engage à arrêter la production de combustibles fossiles (pétrole et gaz). Sans doute ces activistes ignorent-ils qu’en sortant du pétrole de manière brutale et unilatérale, leur pays se condamnerait à la vassalisation – à moins qu’ils s’en fichent. Ils ignorent aussi qu’en cela, ils sont les héritiers des pacifistes des années 1930. En effet, la guerre en Ukraine le démontre tous les jours, sans pétrole, il est impossible de faire la guerre, donc de se défendre contre un agresseur. À vrai dire, difficile de leur reprocher leur ignorance : ce sujet est totalement absent du débat sur la transition énergétique. Personne ne dit que la guerre électrique n’existe pas et n’existera pas avant très longtemps et qu’en conséquence, d’ici ce moment-là, notre liberté et notre indépendance seront tributaires de notre accès au pétrole.

Un véritable enjeu: le contrôle des hydrocarbures

Depuis la Première Guerre mondiale, le lien entre guerre et pétrole est évident. Voilà plus d’un siècle que les hydrocarbures sont la principale source d’énergie ainsi qu’une matière première importante pour la production de biens essentiels (plastiques, caoutchouc, fibres synthétiques, peintures) aux économies développées. Le contrôle de l’approvisionnement (disponibilité, prix) est donc un enjeu majeur pour tous les États et un enjeu vital pour les puissances : impossible d’être une puissance sans pouvoir s’assurer de la disponibilité de cette ressource à un prix abordable. Cependant, avec la transition énergétique, les politiques et les opinions publiques se détournent du pétrole et dans une moindre mesure du gaz, au profit des énergies renouvelables et non carbonées. Investir dans le pétrole devient de plus en plus compliqué et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) recommande même de cesser de construire de nouvelles installations. Les jeunes se désintéressent des métiers liés à cet écosystème et peu à peu, les compétences se perdent.

Or, justement, pour assurer l’approvisionnement en pétrole, il faut créer et contrôler une chaîne d’approvisionnement et de stockage allant du champ de production jusqu’à l’utilisateur final en passant par l’acheminement par la terre ou par mer et le raffinement. Il faut également s’assurer de l’existence d’un immense écosystème : l’industrie (pétrochimie, ainsi que la fabrication de machines et de tubes), les services, la formation aux différents métiers, l’exploration (pour chercher les champs exploitables dans dix ou vingt ans) et d’autres chaînons importants comme les professionnels du financement de ces différentes activités.

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La transition vers une électricité produite par le nucléaire et les énergies renouvelables fait l’objet d’un large consensus. Le déclin et le dépérissement de l’écosystème du pétrole semblent donc à la fois inéluctables et désirables. Certes, il existe des secteurs et des activités où les solutions de rechange sont pratiquement inexistantes (l’aviation par exemple), mais globalement la fin du pétrole, ou du moins sa marginalisation, est largement acceptée, notamment avec la fin de la production de voitures thermiques annoncée pour le milieu de la prochaine décennie. Cependant, si nous connaissons déjà des moyens de transport ne faisant pas appel au pétrole (voiture électrique avec pile chimique ou à l’hydrogène), ces technologies sont totalement inadaptées aux armées. Des chars électriques à batterie posent tellement de problèmes techniques et logistiques qu’il faut les considérer comme pratiquement impossibles à réaliser, tout comme les véhicules blindés, l’artillerie, les engins de génie, les véhicules légers tout terrain, sans oublier les camions qui assurent l’approvisionnement des unités. Le moteur à combustion interne et son carburant sont si efficaces et souples qu’il est suicidaire de les remplacer. L’armée américaine envisage l’intégration de « véhicules électriques légers de reconnaissance », mais ce projet reste expérimental et c’est le cas dans d’autres armées également. La seule évolution réellement envisageable dans les quelques années à venir est l’introduction de la motorisation hybride sur le champ de bataille, ainsi que pour les véhicules de soutien aux combattants. Cette solution, qui n’est pas encore opérationnelle, pourrait certes diminuer la consommation d’hydrocarbures, mais pas la réduire à zéro. Le problème reste donc entier.

Une transition impossible à court-terme?

Pour l’armée de l’air, la démonstration est encore plus facile : qui peut imaginer un Rafale ou un transport A400M électrique ? Dans la marine, une motorisation nucléaire est envisageable technologiquement, mais à très long terme et pas partout.

Plusieurs armées se sont déjà lancées dans le développement d’une nouvelle génération de véhicules électriques. Ainsi, des prototypes de véhicules individuels sont déjà testés aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Certains engins jouissent d’une autonomie de 300 à 350 kilomètres, comparable à celle de leurs jumeaux diesel. Allons-nous pour autant voir dans un avenir proche des brigades électriques ? C’est très peu probable. L’un des obstacles majeurs est la capacité de rechargement. Aujourd’hui, aucune armée ne dispose de la capacité de recharger un véhicule tactique ou de combat entièrement électrique dans un environnement de champ de bataille d’une grande intensité comme en Ukraine. Bien que les armées puissent tirer parti de la technologie et de l’expérience de la filière civile de voitures électriques, l’environnement du champ de bataille présente des exigences particulières.

Les stations de recharge commerciales sont fixes et lourdes, tandis que les forces terrestres ont besoin de chargeurs mobiles susceptibles d’être rapidement transportés d’un endroit à l’autre dans des conditions de combat, en terrain difficile et dans des conditions météorologiques compliquées. L’alimentation par un réseau électrique ne peut garantir ce niveau de mobilité et de flexibilité. Les chargeurs à usage civil sont bien sûr câblés sur le réseau commercial. Cela signifie qu’il faut développer une capacité de production d’énergie de plusieurs mégawatts pour alimenter le point de rechargement.

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Autre problème : les chargeurs commerciaux varient entre 400 kilowatts et 400 mégawatts. Mais, compte tenu de la taille des véhicules militaires et du besoin impératif de recharger rapidement et simultanément plusieurs plateformes à partir d’un seul chargeur, il faudrait disposer de chargeurs beaucoup plus grands. Enfin, ces stations de chargement devraient opérer efficacement dans le désert comme dans la jungle dans des conditions de températures extrêmes, d’exposition au sel et au sable, et de chocs et vibrations importants.

Ce problème de recharge tactique limite fortement la capacité à exploiter les nombreux avantages des véhicules militaires hautement électrifiés : furtivité – peu de bruit, pas de fumée, très peu de chaleur – et logistique simplifiée – moins de pièces de rechange, maintenance plus simple, fin de la nécessité d’acheminer du pétrole et des huiles.

Pour l’heure et dans un avenir envisageable, il faut retenir qu’un char Leclerc emporte 1 700 litres de carburant et en consomme 300 aux 100 kilomètres ! Quant à l’aviation, en vol normal un Rafale consomme environ 60 litres par minute. Tout ce carburant doit provenir de quelque part. La conclusion est claire : aussi longtemps que la Chine, la Russie et les États-Unis poursuivront leurs stratégies de puissance appuyées sur des grandes armées de chars, blindés, frégates et avions, renoncer à la possibilité de s’approvisionner en pétrole abondant et pas trop cher revient tout simplement à se désarmer.

Pour des décennies encore, notre capacité à mener des conflits de haute intensité et de longue durée face à des adversaires étatiques puissants, comme c’est le cas en Ukraine, dépend du pétrole. Et pour pouvoir en disposer, il faut s’assurer que nous maintenions en bon état toutes les filières de production et d’approvisionnement. Sinon, dans une prochaine guerre, avant de manquer d’hommes, de munitions et de volonté, nous subirons une panne sèche. Aujourd’hui et pour longtemps encore, à côté de l’arme nucléaire, le pétrole est l’ultime garant de notre liberté.

Janvier 2023 – Causeur #108

Article extrait du Magazine Causeur




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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