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Quel type de travailleur êtes-vous?

Dans l’univers impitoyable du travail, on trouve des collègues populaires, des meneurs d’ordre, des ambitieux et des fainéants. Pour progresser, mieux vaut connaître ses défauts et ses qualités.


1. Si vous étiez un employé ou un numéro 2, vous seriez :

a) Tullius Détritus dans La Zizanie. Vous savez instaurer des relations de respect mutuel qui rappellent les meilleures heures d’un congrès socialiste, vous avez d’ailleurs donné récemment votre mesure en coachant la dernière élection du chef du parti. Quand on sait que, pour vos dernières vacances, vous avez fait un road trip en Russie et en Ukraine, on comprend mieux pourquoi Xi Jinping vous a offert un voyage à Taïwan et Recep Tayyip Erdogan, un séjour en Grèce.

b) Pépin le Bref. Vous êtes le P’tit Pimousse de l’histoire de France. Petit, mais costaud. Votre n+1 est un roi fainéant. Un tantinet maniaque, vous n’hésitez pas à ramasser le sceptre qu’il laisse traîner un peu partout. De là à le garder…

c) Iznogoud, le Poulidor du putsch, toujours partant, jamais vainqueur. Vous illustrez parfaitement l’adage qui distingue obligation de moyens d’obligation de résultat : malgré l’énergie certaine que vous mettez dans votre projet d’ascension sociale par le crime, la société ne vous offre pas la reconnaissance espérée et la réussite vous fuit.

d) Prince Harry, duc de Sussex. Passe encore que vous ne serviez à rien tout en coûtant une blinde à votre famille, mais faut-il vraiment que vous soyez aussi geignard ? Un peu de dignité que diable, pensez à votre oncle Andrew !

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2. Si vous étiez un grand guerrier, vous seriez :

a) Attila. Vous aussi êtes né pour être un killer, un « cost killer ». Devant vous la ressource humaine tremble et la masse salariale se rétracte. Hélas, point de horde de Huns pour vous aider à mener à bien votre mission salvatrice de délocalisation de la production au fin fond de la Papouasie. Personne pour vous aider à lutter contre le « quiet quitting » qui frappe notre jeunesse amollie dans le confort, en mettant les enfants au travail dès 5 ans pour leur apprendre la vie. Incompris, vous êtes seul et haï, mais votre fiche de paye affiche quatre zéros et votre femme a vingt ans de moins que vous, votre secrétaire aussi.

b) Jeanne d’Arc. Vous êtes la reine de la candidature spontanée et du lancement de carrière fulgurant. De bergère à général en un coup gagnant. Malheureusement vous connaissez des difficultés à l’international et avez du mal avec la filière anglo-saxonne. Méfiez-vous, vous pourriez vous y brûler les ailes.

c) Napoléon. Vous êtes un homme qui sait saisir les opportunités et bousculer le destin. Malheureusement vous ne vous épanouissez que dans le conflit et avez du mal à évoluer dans un cadre européen en respectant la souveraineté territoriale de vos partenaires.

d) Gaston Lagaffe. Vous n’êtes pas paresseux, c’est juste que votre créativité est incomprise de béotiens productivistes aux ambitions triviales et bassement matérialistes.

3. Si vous étiez un loser, vous seriez :

a) Hubert Bonisseur de La Bath dans OSS 117. Vous êtes particulièrement débile, mais encore plus chanceux. Toutes vos initiatives tournent à la catastrophe, mais ce sont vos partenaires qui en payent le prix. Alors pourquoi changer ? Hasta la vista, baby !

b) Jean-Claude Dusse dans Les Bronzés. Vous y croyez pourtant, vous ne ménagez pas vos efforts mais rien à faire, vous ne concluez pas. Allez, dites-nous tout, vous êtes commercial chez Dassault Industries et essayez de vendre des Rafale à nos amis européens ?

c) Cruella d’Enfer. Vous avez plus de charisme que les 101 dalmatiens et leur maître réunis mais voilà, vous êtes un méchant de dessin animé, donc condamné à perdre. Reconvertissez-vous dans le cinéma pour adulte, dans Orange mécanique, c’est le méchant qui gagne à la fin !

d) Bridget Jones. Bon, vous n’êtes pas le couteau le plus affûté du tiroir et vous passez trop de temps sur Tinder au boulot, mais vous savez donner de votre personne. Évitez juste de la donner à votre n+1, personne ne croira en votre mérite, mais tout l’open space dira que votre soutien-gorge vous sert de cordée.

4. Si vous étiez une entreprise, vous seriez :

a) Krupp. Une sympathique entreprise familiale, appuyée sur des valeurs traditionnelles : antisémitisme, exploitation de déportés, soutien au régime nazi… D’ailleurs vous avez même eu les honneurs du cinéma, Les Damnés de Visconti vous servent d’album de famille. De quoi donner envie d’élaguer son arbre généalogique. Justement le film vous fournit le mode d’emploi.

b) Apple. Votre ado passe son temps dans votre sous-sol avec un copain binoclard et boutonneux, et quand vous les espionnez cela ne sent pas la marijuana à plein nez. Vous avez peut-être touché le gros lot et pondu le nouveau Steve Jobs. Vous vous en doutiez un peu, il présente la liste des courses sous forme de Keynote et organise des brainstorming avec la perruche et les acariens du tapis pour choisir le nom du chien.

c) Une start-up. Vous comptez sous-payer vos salariés, mais vous avez installé un baby-foot dans l’open space et du coup vous atteignez les sommets de la coolitude patronale. Vous organisez des « stands up meeting », des ateliers de « design thinking » et vous vous filmez la bouche en cul-de-poule sur les réseaux en expliquant à vos followers que vos employés ne travaillent pas pour vous, mais avec vous. Au final vous fonctionnez comme une entreprise traditionnelle à coups de projets mal définis, de plannings aussi ambitieux qu’irréalistes, de discours de la hiérarchie déconnecté de la réalité du terrain. Bien sûr vous prenez seul toutes les décisions et quand ça tourne mal, vous êtes victime de l’incompétence des autres. Vous êtes sûr que vous n’êtes pas Emmanuel Macron ?

d) Une entreprise de niche. Vous investissez dans l’obsessionnel militant. Un bon marché captif de personnes qui pour se distinguer choisissent de faire quand même dans le grégaire, mais minoritaire. Du coup vous avez investi sur le véganisme. Vos produits sont dégueulasses, mais vous vous marrez bien dans les séances de brainstorming pour choisir les noms. Le coup du foie gras végan rebaptisé « faux gras », qui permet de vendre cher un mixage d’huile de palme, d’amidon de pomme de terre et de tofu, est votre coup de maître. Allez, une bonne côte de bœuf pour fêter ça ?


Résultats :

Un maximum de a)

Le Toxique. Aussi populaire qu’un inspecteur du travail dans un congrès du Medef ou qu’un staphylocoque doré dans un service hospitalier, vous savez mettre de l’ambiance dans l’open space. En matière de team building, vous faites plutôt dans la démolition par explosif et la notion de bienveillance dans le management vous donne envie de dissoudre des chatons dans l’acide. Dans votre dos, on vous appelle Benito. Vous ne comprenez pas pourquoi, vous n’êtes même pas italien.

Un maximum de b)

Le Leader. Meneur d’hommes né, au xiiie siècle vous auriez été Gengis Khan. Au xxie vous vous bornez à blinder vos projets et à organiser vos troupes en task force afin d’affiner votre plan d’attaque pour conquérir de nouveaux marchés en menant une guerre marketing totale. En bref, vous essayez de refourguer à Jean-René de chez Carrefour des œufs de lump daubés au prix du caviar. Cerise sur le logo, comme depuis l’affaire France Telecom pousser ses salariés au suicide pour alléger les équipes est mal perçu, vous êtes obligé de suivre des tutos sur le management par la bienveillance. Et dire que Gengis, lui, avait le droit de découper au sabre ses collaborateurs récalcitrants.

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Un maximum de c)

L’Ambitieux. Vous trichez sur vos rendements réels pour faire passer tous vos collègues pour des glandeurs. Si vous appelez cela « susciter une saine émulation au service du collectif » et réussissez ainsi à faire passer le mensonge et le sadisme pour de la « motivation par objectifs » et de la « conduite opérationnelle participative », vous avez toutes les chances d’obtenir une promotion.

Un maximum de d)

Le Fainéant. Pour vous voir, mieux vaut aller au bas de l’immeuble que dans votre bureau, votre principale activité étant la pause clope. Mais pendant que vous faites preuve d’un dynamisme acharné tout entier voué à la destruction de vos poumons, vous ne remplissez pas votre mission. Ce n’est pas grave, de toute façon vous êtes affecté à la surveillance d’usines où il ne se passe rien. Vous avez commencé votre carrière à Bhopal et venez d’être affecté à Tchernobyl.

Olivier Babeau: la société du spectacle a encore frappé!

Notre collaboratrice, persuadée que consacrer son temps libre au iaido et non à l’usage de la télécommande dans le starting block du canapé, est socialement déterminant, s’est amusée à lire La Tyrannie du divertissement, le dernier essai d’Olivier Babeau. Il l’a apparemment convaincue. Dis-moi ce que tu glandes, je te dirai qui tu es, y apprend-on… Et à la vieille interrogation sur le sens du travail doit se substituer une autre, non moins redoutable, sur le sens du loisir, prévient l’économiste.


Le jeune Olivier Babeau s’était entendu dire par son universitaire de père : « Prends un livre et lis ». Et aujourd’hui ses deux fils sont avides de vidéos footballistiques. C’est parce qu’il balance entre deux âges qu’il livre sa réflexion sur cette voie du temps libre, car « il est urgent de mieux transmettre à tous l’art de résister à soi ».

Entre une génération qui a créé le cordon USB sur le modèle du cordon ombilical et une autre qui croit fermement que ce dernier est la base du premier, le rapport à l’écran, à la lumière qui fut bleue, les nouvelles technologies proposent un nouveau pacte faustien, comme celui que Yuval Harari avait expliqué, concernant l’agriculture, dans Sapiens.

Buchet Chastel

Le stade néolithique a permis la tripartition du temps : temps pour les autres, temps pour soi et temps pour rien. Les loisirs qui s’indexent sur ces temps sont socialement déterminants : « Les loisirs creusent aujourd’hui les inégalités de façon plus dramatique qu’autrefois. » Autrefois, c’était par la skholè et l’otium qu’on reconnaissait un bon citoyen, maintenant, c’est à son degré de consommation, comme le disent certains qui y décèlent l’origine ontologique du « crétin ». Évident pense-t-on : encore faut-il en avoir compris les principes.

Centres d’intérêt 

Il y a trois loisirs : l’aristocratique (concentré sur le rapport aux autres, il est obsédé par l’appartenance au groupe), le studieux (reposant sur la mise à distance du plaisir. Il exerce le corps ou l’esprit pour en améliorer les capacités), et le populaire, dit aussi divertissement (qui s’épuise dans l’instant et n’a pas ou très peu d’effet au-delà du plaisir immédiat). Mais Babeau n’est pas un donneur de leçons, il sait que le lièvre a autant raison que la tortue : « Chacune des trois formes est indispensable » et « une répartition idéale serait par tiers. »

La nouvelle différenciation sociale se fait donc sur l’extracurriculaire qui, comme le veut le CV-type, apparaît dans la case « Centres d’intérêt ». L’usage que chaque groupe social fait de son temps libre est déterminant puisque « le temps libre n’est pas que notre présent. Il prépare surtout notre futur. » Balzac, qui ignorait tout des hikikomoris et du métavers, eût fait des merveilles avec ce nouveau « dis-moi ce que tu glandes, je te dirai qui tu es. »

Les technologies ont garanti un plus grand temps libre. Nous abandonnons peu à peu les tâches les plus rudes, et les disputes sur le corvéable à la vaisselle se sont pacifiées grâce à la machine dédiée à la tâche. Le temps libre a gagné sans cesse en minutes, puis en heures : « En cinquante ans, ce sont 500 heures de loisirs qui sont conquises pour un travailleur moyen ! L’équivalent d’un mois de vie éveillée supplémentaire chaque année. » Vertigineux ? Angoissant ? Là est le drame du temps libre, car le seul problème existentiel reste le choix.

Alors, pour nous l’éviter, les pouvoirs publics ont accepté d’occuper ce treizième mois pour nous. « En France, rappelle Babeau, lorsque la loi de 1906 a réinstitué le dimanche chômé dans une perspective laïque, elle le fait reposer sur deux valeurs nouvelles : le repos et la famille… [les pouvoirs publics] lui substituèrent l’idée d’une nécessité d’ordre public. » Le problème se pose lorsque une famille lambda se retrouve désœuvrée le dimanche et que les parents, laissant libre cours à la responsabilité de leurs enfants, leur disent « fais ce que voudras ». Car le temps est en vue de quelque chose, de la religion, des autres ou simplement de soi, « la question du sens de l’existence se concentre dans ces moments où l’on peut faire ce que l’on veut. » « Fais ce que voudras » n’a plus le sens que Rabelais lui donnait.

Nous avons cru un temps que la culture s’était démocratisée : que la télévision mettait à la portée de tous le Trouvère de Verdi à l’opéra Bastille, que le tourisme faisait accéder chacun à Angkor et que tous, nous pourrions via la réalité virtuelle revivre sur la Terre des Pharaons.  Mais Babeau est catégorique : « La démocratisation de la culture n’a pas eu lieu. » la Télévision a érigé Cyril Hanouna en prophète et le Grand Tour, qui jadis vous emmenait dans toute l’Europe, ne consiste plus qu’à tourner en rond autour de son nombril sur l’axe de rotation d’une perche à selfie.

La paresse culturelle croît

L’occupation du loisir est donc devenue la nouvelle stratégie de différenciation des classes sociales et si l’on doute, comme Eugénie Bastié, que les classes dominantes soient toujours aussi cultivées, il est indéniable que notre vie professionnelle est en partie le résultat de la capitalisation des loisirs que nous avons eus. Le triomphe du divertissement ne touche pas toutes les classes sociales de la même façon, et c’est un choix civilisationnel qui se pose à chacun. Le « non ! » de Bérenger à la fin du Rhinocéros d’Ionesco n’est pas facile à dire…

Comme tout économiste, Babeau cède à la tentation de l’équation élégante : « inégalités = (environnement + hasard).(g+effort)». g étant le facteur intelligence, il est quasiment impossible de modifier l’environnement d’un élève et le kairos, l’occasion propice — à la Castellane, par exemple, zone à trafics des Quartiers Nord de Marseille — passe rarement… On ne peut agir que sur un seul facteur : l’effort, la volonté.

Mais voilà : la paresse culturelle croît, la révolution que la sédentarisation a permise est sur le point de se reproduire avec les écrans. Car si c’est avec eux que l’on se distrayait du travail avant le covid, c’est avec eux qu’on travaille maintenant.

Or, l’écran est par essence même le divertissement : il détourne le regard d’un endroit à l’autre, une pub par-ci détourne d’une pub par-là. Tiktok et ses chorégraphies « en mode stroboscopique » montre l’aspect kaléidoscopique de notre ennui car le vide informationnel est le méthylphénidate de notre vide intérieur.  « Le loisir distrayait du travail. Aujourd’hui le travail vient distraire d’une vie de loisir. » On comprend d’autant plus la tragédie d’une vie sans emploi…

Sens du travail et sens du loisir

Alors que faut-il pour ne pas intégrer malgré soi la fabrique du crétin ? Il faut développer notre « cortex frontal » qui peut « inhiber la compulsion de notre striadum pour le plaisir immédiat », car si « la connexion fronto-striatale » ne se fait pas, ou mal, « c’est notre capacité à résister à nous-même qui diminue » explique Gérald Bronner. Dur ? Pas tant que cela, puisqu’on apprend bien à un chien à ne pas toucher à la balle bruyante la nuit.

En revanche, l’école, avec le principe du divertissement des élèves n’est-elle pas devenue l’instrument chargé d’atrophier ce goût de l’effort, cette volonté de soi, qui était le seul levier capable d’être actionné par tous pour son propre bien futur ? À la Fabrique du crétin (J-P Brighelli) s’ajoute la Fabrique du crétin digital (Michel Desmurget) : « L’école n’est à la limite que le moment de vérification et d’épanouissement d’acquis fondamentalement préparés au-dehors », note judicieusement Babeau.

Qui arrive en classe les mains vides, n’en repart pas la tête pleine ? « La culture générale, précise l’essayiste, accomplit aujourd’hui un grand retour (pour l’instant, il est vrai, peu remarqué) dans la panoplie des armes du succès. … le XXe siècle était celui des spécialistes ; le XXIe est celui des généralistes » — sauf que de culture générale à l’école, peu de nouvelles : quand des élèves donnent comme exemple de la monarchie absolue de droit divin la décapitation de Louis XIV en 1789 par Charles Martel, on ne peut rien objecter à Babeau…

Et en pleine crise du débat sur les retraites, la lecture de cet essai permet de prendre à l’envers le débat sur l’allongement ou non de la durée de cotisation : « À la vieille interrogation sur le sens du travail doit se substituer une autre, non moins redoutable, sur le sens du loisir ». Ce n’était pas exactement ce qu’avait en tête Lafargue quand il parlait en 1880 du « droit à la paresse ».

Olivier Babeau, La Tyrannie du divertissement, Buchet-Chastel, 285 p.

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Pour faire le portrait d’un bobo

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Faire le portrait de M, c’est faire le portrait des bobos. Le magazine, branché, intersectionnel, modulable comme une citadine polyvalente segment B, une Pastabox réchauffée aux micro-ondes positives, ravit les « mutins de Panurge et rebellocrates » (Muray)…


En feuilletant M (le supplément hebdomadaire du Monde) du 11 février, j’ai pensé au poème de Prévert, Pour faire le portrait d’un oiseau. « Peindre d’abord une cage / Avec une porte ouverte / Peindre ensuite / Quelque chose de joli / Quelque chose de simple / Quelque chose de beau / Quelque chose d’utile pour l’oiseau … ». Ça pianote, piaille, piaffe, sur YouTube, TikTok, le métavers, mais les rois de l’azur, princes des nuées – Baudelaire et L’Albatros – ont du plomb dans l’aile et Paname a perdu 70% de ses moineaux. Le monde change de peau : sera-t-il doux et sucré comme la liberté ? Des bécasses activistes, jeunes oies édifiantes, pigeons, I Soli ignoti, s’emploient, font des piges sur le male gaze et les Malgaches.

Notre chroniqueur a feuilleté pour vous M Le magazine (woke) du « Monde » de la semaine

Faire le portrait de M, c’est faire le portrait des bobos. Le magazine, branché, intersectionnel, modulable comme une citadine polyvalente segment B, une Pastabox réchauffée aux micro-ondes positives, ravit les « mutins de Panurge et rebellocrates » (Muray). L’important c’est d’aimer. Du Beau, du Bon, du Bien, du Benêt : M le Béni.  Sur toutes les pages, sur les images dorées des news magazines, Liberté, j’écris ton nom. Les promesses d’émancipation par la culture et l’éducation n’ont pas été tenues mais les dominés font la Une et le buzz. Partout triomphent l’indignation multiculturelle, la libre circulation des vaincus et du politiquement correct, le capitalisme de la révolte. « Les jeunes consciences ont le plumage raide et le vol bruyant » (Michaux).

Woke en stock 

Cent mille milliards de voyages, idées malignes, belles pensées, chemins de traverse : le menu M du weekend dernier était particulièrement savoureux.

– La gazette. Bill Clinton fête l’anniversaire de la création du congé maternité à la Maison-Blanche. La Comédie-Française chante Gainsbourg. La propriété normande de Léopold Sédar et Colette Senghor se transforme en maison de la poésie et résidence d’auteurs.  Dimanche 5 février, séance inaugurale de l’Institut La Boétie. Pour former les cadres insoumis à la servitude volontaire, la chaire est castriste. Une armée de guérilleros à la retraite, doctorants indigents, zadistes indignés, Boyard, Bayard, Brutus, spécialistes d’habitus et compost équitable, brûle des flambeaux de cire rouge. Dussopt est guillotiné, Bayou a pris un clystère. Lundi, grève. Mardi, manif. Mercredi, Edouard Louis Ragueneau a perdu un amant et changé d’éditeur. Jeudi, Mélenchon – comte de Guigne de la Nupes – dit Non à Macron. Vendredi, Annie, Duègne de France. Samedi, Piketty, à Rousseau a dit Oui. « La grandeur de la Gauche, c’est de vouloir sauver les médiocres. Sa faiblesse c’est qu’il y en a trop » (San Antonio).

A lire aussi: Waly Dia, la répétition sans comique

– En couverture et plat de résistance de M, Tony Estanguer, le Boss du comité d’organisation des JO. Triple champion olympique, sourire enjôleur, Tony sait y faire. « Les JO 2024 seront spectaculaires, populaires et écologiques ». La grosse angoisse, ce sont les sauvageons à capuche et machette, les hooligans anglais du 93. Tony est malin : le Dies irae, les larmes, lacrymo, la sécurité, relèvent du pouvoir régalien.

Gros plan sur Les Vaginites, un trio trash punk engagé. Zororité, Rage against ze machists, Moche is beautiful. En culotte maculée de sang, Corinne Masiero et ses joyeuses Collégiennes résistent, chantent « les vieilles, les imbaisables, les hystériques, les dépentesques… choune, moule, foune, brousse, buisson, c’est l’hymne à la vulve » … Vaste programme. Pervers Prévert ? Est-ce que le pont va casser ? Faut-il fendre la Presse ?

 – C’est plus compliqué pour David et Samir qui filent le parfait amour à Tel-Aviv. Le nouveau gouvernement Netanyahou est à droite, fonder une famille impliquera des défis, les tabous sont tenaces, la famille de Samir est tradi : son beau-frère menace de l’enterrer vivant s’il fait un coming-out, sa mère veut le faire soigner. On dirait un sketch de Muriel Robin.

 – La photographe Joanna Piotrowska « met en lumière l’intimité de corps en lutte, celle d’individus qui résistent à toutes sortes de dominations ». Les corps sont sous tension, la politique se niche dans les tapis. Formée à Londres et Cracovie, Joanna aime Chirico, Kafka, Virginia, Moravia. Hyperactive, « elle met en scène des êtres vulnérables … déploie une stratégie anti spectaculaire », construit des cabanes avec des nappes, des porte manteaux, des abat jours, cherche des bourses de recherche. Ses compositions « chorégraphiées au cordeau » sont exposées au BAL, 6, impasse de la Défense. 

Aux Bouffes du nord, Lyna Khoudri interprète Perdre son sac, écrit et mis en scène par Pascal Rambert. « Un texte nerveux dans lequel une laveuse de vitres règle ses comptes avec la société capitaliste… L’héroïne passée par une classe prépa évoque sa précarité, sa révolte, ce mode capitaliste où il est impossible de naviguer, mais aussi son goût des femmes ». Ouvrez, ouvrez la cage aux bobos, regardez-les s’envoler, c’est beau….

La Révolution est un diner de Gala

Pour la gastronomie, les forçats de la faim, M recommande un cake au citron à la pâte aérienne vendu rue de Bretagne, axe central du haut Marais. À l’affiche d’A la belle étoile, le vidéaste et influenceur Riadh Belaïche est intarissable sur les bricks, « fourre-tout culinaires géniaux », les lasagnes et fraisiers succulents préparés par sa maman.

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La fin du magazine est visuelle, c’est la Mode, toujours décalée, métissée, audacieuse. Cette semaine, c’est L’équipée sauvage. « Chaussée de grosses bottes de moto ou de fines sandales, en minijupe ou pantalon de cuir, la bikeuse n’a besoin de personne pour prendre des chemins de traverse ». Une brune pas épaisse prend des pauses rebelles pour vendre des blousons en cuir, blouse à capuche en soie, boucles d’oreilles en argent et quartz.

Les chroniques engagées, reportages coup de poing sont entrecoupés de publicités pleine page. C’est la lutte finale des marques, l’Internationale des poids lourds du Dow Jones, Cac 40, Nikkei 225. Pour toutes les bourses. Avis aux Vaginites : un nouveau sérum permet de diviser les rides par deux en quatre heures, réduire 80% des signes de l’âge en 30 jours.  Grâce aux technologies Beauté, les plus belles coiffures ! Une eau de parfum pour vivre au rythme de la ville. Le nouveau E tech full Hybrid fait 200 ch. Le monde va changer de base mais l’actionnariat, le cœur de cible et la cible du cœur restent stables : CSP +. Qui ça ? Les bobos ; Ah bon, mais où ça ? Les bobos.

Bourgeois-bohème, Gauche caviar… On dit « Champagne socialist » en Angleterre, « Limousine liberal » en Amérique, en Italie « Radical chic », « Salonkommunist » en Allemagne.

« Pour être anarchistes, il ne nous a manqué que de l’argent » (Alfred Capus).

«Soyons unis face au régime mafieux des mollahs»

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Héritier direct au trône du Paon selon la loi de succession impériale, le prince Davoud est membre de la maison des Pahlavi. Enfant, il a vécu les grandes heures de la monarchie iranienne avant d’être contraint de s’exiler avec sa famille en France après la révolution de 1979. À 51 ans, il est un opposant actif au régime des mollahs. Il a été reçu en novembre 2022 au Palais du Luxembourg aux côtés de l’impératrice Farah Pahlavi et de la princesse Noor Pahlavi, fille du prince Reza Shah Pahlavi II, influent porte-parole de l’opposition iranienne. 


Causeur. Le 16 septembre 2022, le décès tragique de Masha Amini a été la « goutte d’eau qui a fait déborder le vase ».  Les Iraniens se sont soulevés contre le régime des mollahs. Frappés par une crise économique, ils réclament de plus en plus de libertés. La répression est violente, et pourtant, si le mouvement montre quelques signes de faiblesse, il demeure toujours aussi actif. Assiste-ton au début de la fin inéluctable du régime théocratique iranien ?

Davoud Pahlavi. Selon moi, on assiste à une vraie révolution qui va changer le cours de l’histoire. Les Iraniens sont épuisés par tant d’années de crise économique. Ils ont perdu tout espoir et n’ont plus rien à perdre. Cela fait quatre mois que les manifestants ne lâchent pas un bout de rue et il faut saluer leur courage, leur ténacité.

Davoud Pahlavi.D.R.

Quelles sont les réelles incidences de ces manifestations sur le régime iranien ?

Je pense que le régime ne s’attendait pas à une telle ampleur de manifestations. Il est évident que le régime craint désormais d’être renversé et cela explique pourquoi le pays a basculé dans un bain de sang. A chaque jour son lot de violence. Une répression ordonnée par un régime mafieux qui n’hésite pas assassiner, ses pères et ses mères, ses fils et filles, ses frères et ses sœurs…

Le rôle des femmes est indéniable dans le déclenchement de cette révolution. En Iran, elles sont des milliers à enlever le voile de leur tête en signe de défiance au régime en place. En France, on a assisté à des manifestations de soutien en faveur de la démocratisation de l’Iran. Mais un certain communautarisme prône le port du voile aux femmes. Comment analysez-vous cette contradiction ?

Je ne suis pas étonné. Les Français doivent savoir que l’Iran finance ce genre de communautarisme, la construction de mosquées qui ont des prédicateurs soumis à Téhéran ou certains mouvements politiques. Je pense que vous avez une idée du parti auquel je fais nettement allusion. Faire tomber le régime des mollahs, c’est déjà enrayer ce communautarisme présent en France.

En 2015, la communauté internationale a signé l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien avec Téhéran. Il a été salué comme une grande avancée avant que les Etats-Unis ne s’en retirent sous le mandat de Donald Trump et y reviennent en fanfare sous celui de Joe Biden. C’est quasiment devenu une arme de chantage pour les mollahs. Peut-on dire que l’Iran a manipulé les Occidentaux pour mieux se renforcer politiquement et militairement ?

On ne peut mieux dire. La République islamique est diplômée en doctorat du mensonge. Ils ont des diplomates de haut-niveau qui ont rapidement appris l’art de la manipulation et il ne faut surtout pas les sous-estimer. Je pense que Donald Trump a très bien fait de sortir de cet accord qui ne fait que profiter aux mollahs. Ceux-là mêmes qui n’hésitent pas à détourner l’aide financière qui est adressée aux Iraniens par la communauté internationale. C’est une vraie mafia institutionnalisée. Les sanctions contre les mollahs sont essentielles et doivent être renforcées.

Comment jugez-vous l’attitude de l’Europe par rapport aux événements actuels qui secouent l’Iran ?

Je la vois de manière très positive, et notamment de la part de la France qui, je le rappelle, conserve une position de leadership sur les questions liées au Moyen-Orient qu’elle connaît bien. Je suis plus critique à l’égard des actions de Joe Biden qui joue un double jeu selon moi. Ménager la chèvre et le chou n’est certainement pas ce qu’il faut faire avec les mollahs. Comprenez-moi bien, il n’est plus dans l’intérêt de personne de continuer à soutenir un tel régime. Nous devons restaurer la démocratie en Iran. Cela profitera à tous économiquement y compris aux Iraniens et aux autres pays. Le Hezbollah sera privé de tout soutien et cessera ses actions de déstabilisation au Liban. Il n’y aura plus de menaces contre l’Etat d’Israël. L’Iran a tissé une toile dont le seul but est d’exporter partout sa révolution. Même la Russie qui a toujours été un allié de l’Iran commence à revoir sa collaboration avec Téhéran. C’est un régime qui est acculé.

L’opposition regroupe divers mouvements politiques mais elle a du mal à se structurer ? Pourquoi ?

Cela fait six mois que les diverses oppositions se parlent, mais il y a également des ambitions personnelles, alors que nous devrions être unis pour les Iraniens. Les distributions de postes ne devraient pas être une priorité sur les agendas des différents partis. Nous devons libérer le pays avant tout et peu importe les différentes idéologies. Nous devons monter dans le train de l’Histoire, c’est impératif. Je ne peux qu’appeler chaque mouvement à montrer l’exemple, faire preuve d’unité et se rassembler derrière le prince Reza Pahlavi qui est un leader naturel et incontournable. Si on aime l’Iran, c’est le devoir national de tous.

L’opposition a-t-elle vraiment des contacts sur place capables de coordonner un mouvement hétéroclite et populaire qui réclame un leader pour le représenter internationalement ?

Oui, nous avons des contacts sur place mais vous comprendrez que je ne peux en dire plus pour des raisons de sécurité des personnes concernées.

Le prince Reza Pahlavi soutient les accords d’Abraham qui normalisent les relations entre Israël et les autres pays arabes. Est-ce important que Jérusalem apporte son soutien à la chute du régime théocratique ? N’y a-t-il pas un risque d’effet kiss-cool alors que l’Iran accuse par exemple les Pahlavi d’être financés par l’Arabie Saoudite ?

La famille impériale n’a jamais été financée par l’Arabie Saoudite. C’est un mensonge qui a été fabriqué par les mollahs. Nous aurons besoin de tous les pays pour reconstruire l’Iran après les mollahs. Israël a toujours été un pays ami du temps du défunt shah, et il me paraît naturel qu’il soit à nos côtés. Nous devons reprendre des relations diplomatiques avec Jérusalem. La chute des mollahs rapprochera les peuples, c’est une évidence pour moi tout comme le retour des Pahlavi en Iran est indispensable pour la stabilité de la région.

Le prince Reza Pahlavi promeut le renversement du régime par des voies pacifiques. On voit aujourd’hui que cela a ses limites et que les résultats escomptés ne sont pas là. Quelle est la stratégie prévue désormais ?

Je vais clarifier vos propos. Quand le prince Reza parle de mouvement pacifique, il sous-entend surtout qu’il ne souhaite pas d’intervention militaire depuis l’extérieur. De l’intérieur, rien n’est à exclure. C’est terrible à dire, mais l’Iran est déjà en guerre civile depuis que les mollahs ont décidé de réprimer durement la révolution. Vous n’imaginez pas les exactions que subissent mes compatriotes. Certains ont déjà pris les armes contre les partisans des mollahs comme les gardiens de la Révolution qui tuent à tour de bras.

Ali Khamenei est le guide suprême de la République islamique d’Iran depuis 1989, date à laquelle est décédé l’ayatollah Khomeiny, tombeur des Pahlavi. On le sait malade, dépressif, paranoïaque. On a eu vent de rivalités internes qui font craindre un remplacement à la tête du pouvoir. Le régime peut-il se durcir au détriment des Iraniens ? 

Plus il est menacé, plus il se durcit. Mais cela veut dire aussi que le pouvoir se sent menacé. On constate que même au sein du gouvernement des voix semblent prêtes à lâcher Khamenei. Le tout est de savoir quand cela va-t-il arriver !?

On sait que la force du régime se trouve dans le corps des Gardiens de la révolution.  L’opposition appelle l’armée à rejoindre les manifestants et Téhéran aurait d’ailleurs purgé ses régiments des éléments sensibles aux manifestations. Quel est l’état d’esprit de l’armée actuellement selon vous ? Peut-elle faire la différence ?

C’est un sujet sensible. Pour moi, avant tout, le peuple est une armée en soi. Les militaires attendent de voir comment la situation va évoluer et le bon moment pour intervenir aux côtés des manifestants. Je suis persuadé qu’ils rejoindront la révolution car ils restent proches du peuple. Ils ont tous un frère, un père, une sœur qui a été arrêté par le régime.

Les Etats-Unis ont été prompts à finir le job en Irak. Pourquoi ne sont-ils toujours pas intervenus en Iran ? C’était pourtant une promesse de campagne du président Trump.

Le prince Reza Pahlavi a raison. Je me répète mais il faut surtout éviter que le pays soit attaqué par une puissance étrangère. Nous ne pouvons pas reproduire l’erreur iraquienne qui reste un désastre que ce soit sur le plan politique ou culturel. Mais rien n’empêche ces pays d‘envoyer des conseillers militaires coordonner tout cela, ou d’armer les résistants iraniens pour qu’ils se battent contre le régime islamique. 

On sait que les Pahlavi sont très populaires parmi la diaspora iranienne. On entend leur nom scandé par les manifestants en Iran. Quel est donc le poids réel de la maison impériale en Iran ? 

Il est important. Les Iraniens restent très nostalgiques du règne du Shah qui a modernisé le pays. Souvenez-vous tout ce que l’impératrice Farah Diba a accompli pour les femmes, les artistes… Des chanteurs internationaux venaient se produire en Iran comme Charles Aznavour, un de mes chanteurs préférés. Le temps s’est brutalement arrêté avec l’avènement des mollahs. Le nom de Pahlavi en Iran est toujours resté synonyme de liberté.

Quel est selon vous le meilleur régime qui devrait être installé en Iran après les mollahs ? Une république laïque, une république parlementaire avec la Sharia, une monarchie constitutionnelle ?

Il y a ce que je pense et la réalité qui doit s’imposer. Naturellement, monarchiste et nationaliste, je préconise le retour d’une monarchie constitutionnelle pour l’Iran avec Reza Pahlavi à sa tête car c’est dans les veines de la culture iranienne. Mais avant de se poser cette question des institutions, mettons d’abord en place un gouvernement d’union nationale qui remettra de l’ordre dans le pays, qui s’attaquera à des sujets sociétaux comme les droits des femmes (fer de lance de la révolution), à la cause environnementale, qui réintroduira du capital dans le pays, et stoppera le chômage actuellement trop important notamment chez les jeunes. Il sera toujours temps, après, de poser la question aux Iraniens sur le type de régime qu’ils souhaitent une fois la stabilité revenue lors d’un référendum ou lors d’élections démocratiques.

Ne craignez-vous pas la talibanisation de l’Iran si le régime des mollahs tombe ? Un gouvernement de coalition nationale est-il réellement envisageable ?

Si on veut éviter ce schéma, il faut impérativement un gouvernement d’union nationale dès le départ et que je souhaite dirigé par le prince Reza Pahlavi, mon cousin. L’Iran ne sera pas l’Afghanistan pour la simple raison que les Iraniens ne souhaitent plus de fous d’Allah au pouvoir. Les partis politiques doivent cesser de s’attaquer les uns les autres, ils doivent agir pour le bien commun de nos compatriotes.

Quel rôle souhaitez-vous jouer dans le processus de transition démocratique ?

Je reste loyal à mon cousin Reza Pahlavi et s’il estime que je peux apporter ma pierre à l’édifice démocratique, je serai à 400% derrière la mission qu’il me confiera. Je suis ambitieux, mais pour mon pays et non pour mon intérêt personnel. Il n’est pas question que l’Iran revive ce qu’il a vécu en 1979 où chacun a tenté de titrer la couverture pour soi alors que le pays sombrait dans l’obscurantisme.

Imaginons un instant que la monarchie soit restaurée. Vous êtes techniquement l’héritier au trône du Paon selon la constitution impériale. Votre cousin n’a que des filles. Accepteriez-vous de céder votre place à la princesse Nour et soutenir son accession comme impératrice d’Iran ?

Du temps de Mohammed Reza Shah, la constitution imposait une succession exclusivement masculine. Les choses peuvent changer et je n’y suis pas opposé. La princesse Nour a toutes les qualités pour être une chef d’État et elle a été formée à bonne école par son père et sa grand-mère, l’impératrice Farah. Elle est très investie dans le combat pour le retour à la démocratie. Etant donné tout ce que les Iraniennes ont supporté durant 40 ans, ce serait légitime qu’elle devienne l’héritière officielle au trône. Elle sera une très belle reine et je soutiendrai cette idée. Elle a du talent.

Comment imaginer-vous l’Iran de demain ?

Une démocratie retrouvée ou chacun aura du cœur à l’ouvrage afin de redonner un avenir à notre pays et la place où il doit être. Un Iran qui doit être aussi neutre que la Suisse et un symbole de paix.

L’ADN de Dracula sous le regard de deux «détectives des protéines»

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Alors que des scientifiques effectuent actuellement des analyses biochimiques sur une lettre écrite par Vlad III l’Empaleur, retour sur la figure d’un prince de Valachie qui inspira l’œuvre majeure de Bram Stoker.


C’est un mythe qui continue de fasciner des générations entières. Celui de Dracula dont l’âme hanterait encore les Carpates et dont l’histoire plonge ses racines au cœur de celles du plus célèbre prince de Roumanie. Le 11 décembre 2022, le quotidien The Guardian a annoncé que Gleb et Svetlana Zilberstein, un couple de scientifiques, s’étaient lancés dans un travail d’analyses biochimiques sur une lettre retrouvée et écrite par le voïvode Vlad III Basarab. Entre le prince de la nuit, figure du gothisme 2.0, et celui de Bessarabie, une plume les sépare : celle de l’écrivain irlandais Bram Stoker qui va inscrire dans le marbre de la littérature son œuvre majeure, déclinée à toutes les sauces ketchup.

Représentation de Vlad Țepeș dans un tableau dépeignant le calvaire du Christ (détail), Vienne, église Notre-Dame-du-Rivage, 1460. D.R.

Sur ce document daté de 1475, où le prince de Valachie informe les habitants de Sibiu de son installation dans la ville, point de traces de morsures canines mais de la sueur, de la salive et des empreintes digitales. Une mine d’or pour ceux qui ont été surnommés les « détectives des protéines », bien qu’ils préfèrent eux-mêmes l’appellation de « chimistes historiques ». Ils ont déjà fait leurs preuves puisqu’ils ont permis de fournir de nombreuses informations sur les modes de vie de Mikhaïl Boulgakov, d’Anton Tchekhov et de George Orwell. Comme ils l’ont donc expliqué au média britannique, ils espèrent pouvoir reconstituer un « portrait moléculaire » de Vlad l’Empaleur et d’en savoir davantage sur « sa santé, ce qu’il mangeait et l’atmosphère dans laquelle il vivait ». D’après Gleb et Svetlana Zilberstein, l’extraction des molécules eut lieu 125 ans, jour pour jour, après la publication du roman de Bram Stoker. Toujours selon leurs dires, la pluie et la foudre se seraient abattues toute la nuit, accompagnées de hurlements de chiens. Une expérience qu’ils qualifient de « mystique » et qui leur fait penser que « le comte Dracula a béni sa libération des archives roumaines ». Mais si cette description théâtrale participe au mythe du noble vampire, qu’en est-il réellement du véritable Vlad Țepeș ?

Une vie mouvementée

Issu de la Maison Basarab, Vlad III naît, entre 1431 et 1436, à Târgoviște, capitale de la Valachie, ou à Sighișoara, en Transylvanie, en des temps troublés, selon une légende popularisée par l’historien roumano-américain Radu Florescu. Durant la première moitié du XVᵉ siècle, le Saint-Empire romain et les pays chrétiens d’Europe de l’Est sont menacés par les Ottomans. L’Empire byzantin vit ses dernières heures avant sa chute définitive en 1453. Les royaumes, comme la Valachie, qui se trouvent entre les deux empires, sont le théâtre de batailles acharnées entre l’islam et le christianisme.

Six siècles après sa mort, Vlad III Drăculea intrigue toujours. En Roumanie, sa figure a même été réhabilitée, lors de la période communiste

Son père Vlad II Dracul était un chevalier du Dragon, un ordre créé en 1408 par Sigismond de Luxembourg, afin de lutter contre les Turcs, dont le symbole était la Bête de l’Apocalypse, d’où son surnom. Vlad III sera d’ailleurs appelé Drăculea (« Fils du Dragon »), dont l’homonymie en roumain désigne aussi le Diable. Un terme qui sera repris par les chroniqueurs occidentaux allemands afin jeter le discrédit sur cette branche des Basarab. En conflit avec le voïvode de Transylvanie et régent hongrois Jean Hunyadi, Vlad II est obligé de s’allier avec l’envahisseur ottoman et envoyer ses fils Vlad et le futur Radu III le Beau en otages, à la cour du sultan. Le voïvode de Transylvanie profite de cette occasion pour assassiner le prince valaque et enterrer vivant son troisième fils Mircea II le Jeune.

De retour d’Andrinople, en 1448, son fils Vlad récupère son trône grâce aux hommes que lui a prêté le pacha Mustafa Hassan. Brièvement chassé, il revient victorieux en 1456 après deux mois d’exil. Il va encore régner six années, durant lesquelles il consolide son pouvoir en centralisant son autorité. En 1462, le prince valaque rompt son alliance avec les Turcs et leur déclare la guerre, allié à Matthias Corvin, le roi de Hongrie, dont il s’est rapproché. S’ensuit alors un terrible conflit, durant lequel Vlad Țepeș s’illustre par sa folie meurtrière, ses excès et son caractère imprévisible. A tel point que le tombeur de Constantinople Mehmet II tente de le faire assassiner dans la nuit du 17 au 18 juin 1462. Si le voïvode parvient à s’enfuir, sa femme va connaître un sort plus funeste. Une légende affirme qu’elle aurait trouvé la mort en tombant du haut de la falaise, au pied de la forteresse de Poenari, alors qu’elle tentait de s’échapper. Radu III le Beau, soutenu par les Ottomans, monte sur le trône de Valachie, laissant Vlad se faire arrêter par le roi de Hongrie qui ne veut plus entendre parler de lui. Ce dernier va le retenir captif pendant douze ans, sous le seul motif de sa réputation. En 1476, il retrouve sa couronne, avant d’être finalement tué au cours d’une bataille contre les Turcs, quelques mois plus tard. Un règne débuté dans le sang qui se termina dans le sang.

Un tyran sanglant

Vlad III est reconnu pour sa cruauté sans limite. Il n’hésitait pas à exécuter le moindre opposant à son autorité. Son châtiment favori était le supplice du pal (d’où son surnom d’Empaleur, – en roumain « Țepeș »), qui consiste à introduire un pieu dans l’anus du condamné, avant de le planter en terre. La victime est alors embrochée, jusqu’à ce que la pointe ressorte par le thorax, les épaules ou la bouche, agonisant dans d’atroces douleurs, décédant d’hémorragie interne, de faim, de soif ou tout simplement dévoré par les vautours. Un bâton arrondi était choisi pour que le supplice fasse moins de dégâts sur les organes internes et que la souffrance dure donc plus longtemps. Selon Johann Christian von Engel, Vlad Țepeș aurait découvert cette pratique, lorsqu’il était en otage chez les Turcs, qui utilisait régulièrement ce supplice. La Chronique de Brodoc contribuera grandement à forger l’image du prince de Valachie en « vampire sanguinaire se repaissant de chair humaine et buvant du sang, attablé devant une forêt de pals ».

C’est lors de son accession, le dimanche de Pâques 1457, qu’il inaugure cette pratique ancestrale. Bien décidé à se venger, il invite les boyards impliqués dans l’assassinat de son père et de son frère aîné, avec leurs familles, à un grand repas. Les femmes et les enfants seront arrêtés, empalés, les hommes obligés de marcher cent kilomètres et de reconstruire une citadelle de leurs mains avant de tous mourir d’épuisement. Sa cruauté sera sans limites. En 1461, il fait clouer les turbans des ambassadeurs de Mehmet II sur leurs crânes pour avoir refusé de les ôter en sa présence, avant de les empaler. Les historiens pensent aujourd’hui que Vlad n’a fait que prendre les devants, car Hamza Bey, l’un des émissaires, avait reçu l’ordre de le tuer ou de le capturer, s’il refusait les conditions du sultan qui marchait alors sur la Valachie. À l’arrivée du dirigeant turc, c’est une forêt d’officiers vaincus et empalés provenant de ses régiments qu’il découvre aux alentours de la demeure du voïvode. Un spectacle qui glacera le sang du souverain ottoman lui-même. Enfin, pour ajouter encore plus à la réputation de ce prince valaque, il se serait débarrassé des minorités encombrantes, telles que les gitans et les mendiants, en les invitant à un banquet et en les faisant brûler vifs…

Six siècles après sa mort, Vlad III Drăculea intrigue toujours. En Roumanie, sa figure a même été réhabilitée, lors de la période communiste, certains Roumains voyant en lui une sorte de justicier luttant contre les élites corrompues de son pays et les puissances étrangères. Avec une nuance toutefois. Dracula n’a été publié en langue roumaine, qu’après la mort de Nicolae Ceaușescu en 1989, afin d’éviter l’amalgame entre un tyran vampire et un dictateur sanguinaire !

L’analyse des différentes traces ADN présentes sur cette lettre pourrait donc nous permettre d’en savoir plus sur son mode de vie. Au risque de renforcer le mythe qui perdure.

De nos jours, Vlad l’Empaleur est une manne touristique fantastique pour le pays, comme l’en témoigne les affiches publicitaires pour les châteaux de Bran, qui ne fut jamais habité par le prince valaque, et de Hunedoara, où il aurait été emprisonné. Enfin, si l’on ne peut établir avec certitude qu’il existe des descendants de Vlad Țepeș, il semblerait qu’il soit un possible ascendant du roi Charles III. Lequel adore la Roumanie. Espérons que nos voisins britanniques ne se feront pas du sang d’encre sur le règne à venir après la lecture de cet article…

Drag queens: elles sont partout!

En Amérique, les drag queens ont envahi l’espace public. Et cela ne doit rien au hasard… Autrefois figures nocturnes et festives, elles sont devenues des figures politiques. Elles pourraient carrément occuper le devant de la scène de la prochaine élection présidentielle américaine.


En Amérique du Nord, on croirait que les drag queens ont littéralement envahi l’espace public. Maintenant, les drag queens sont partout, des émissions de télé aux derniers défilés en passant par les écoles où elles sont parfois chargées d’animer des activités. Évidemment, le tout en bonne partie grâce à l’argent de contribuables qui n’ont jamais voulu de ce vaste programme.

Le 6 février, nous avons même appris que le légendaire Carnaval de Québec – festivités hivernales remontant à 1894 – avait pris l’initiative d’interrompre la très réactionnaire tradition des duchesses, ces «miss» choisies pour incarner l’événement.

«Finies les duchesses, place maintenant aux drag queens et aux drag kings! Leur art flamboyant est à l’honneur cette année, célébré sur un char allégorique pour la toute première fois», se réjouit le journal Le Devoir.

Des figures de scène aux figures militantes

Interprétées par des hommes, les drag queens remplacent les femmes partout où elles peuvent dans un curieux renversement du féminisme. Aujourd’hui, on défend moins les droits des femmes que ceux des trans, nouveaux chouchous de l’establishment.

A lire aussi: Marguerite Stern et Dora Moutot: «Le féminisme actuel a été parasité par l’idéologie transgenre et queer»

Célébrées par le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, et une foule de politiciens, les drags queens sont plus demandées que le père Noël, ce personnage patriarcal de race blanche qu’il vaudrait peut-être mieux oublier au nom du progrès.

Autrefois de colorées et burlesques figures de cabaret, des figures nocturnes et festives défendues par des Charles Aznavour, un nouveau rôle leur a été confié: représenter l’idéologie trans, partager la bonne nouvelle de la déconstruction du «genre», un puissant courant social auquel les enfants et adolescents sont de plus en plus exposés. Généralement au détriment de leur équilibre psychologique.

Vers le transhumanisme

Je rappelle que le transgenrisme nie l’existence des deux sexes, proposant d’abolir les frontières entre le masculin et le féminin. Le transgenrisme rejette la «binarité» sexuelle pour mieux creuser le lit du transhumanisme, une idéologie qui vise «l’amélioration» de l’espèce humaine au moyen de la technologie.

Le corps humain est vu comme un objet destiné à être modelé, comme un simple avatar pouvant être modifié et reconfiguré selon ses aspirations personnelles. Autrement dit selon ses fantasmes. Sans toujours le réaliser, les drags sont devenues les porte-paroles de cette idéologie loin d’être subversive ou antisystème.

Une industrie capitaliste

Car comme l’a bien relevé Libre Média, en Amérique du Nord, le changement de sexe des adultes, mais aussi des enfants étiquetés comme «trans» est soutenu par une florissante industrie médicale et pharmaceutique qui a fait de la diversité son fonds de commerce. C’est très payant, la diversité sexuelle.

La liste des dix principaux contributeurs aux causes transgenres aux États-Unis en 2017-2018 (qui représentaient ensemble 55% de tous les financements) montre le rôle central occupé par Big Pharma dans ce nouveau marché du corps humain.

L’étude du «genre» est aussi devenue un domaine de recherche (ou plutôt d’endoctrinement) à part entière dans des dizaines d’universités occidentales, et certaines sont parmi les plus prestigieuses.

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Tous les jours aux États-Unis, des médecins sont grassement payés pour opérer des jeunes à qui l’imaginaire ambiant a fait croire qu’ils n’avaient pas le bon corps. Pour cette raison, plusieurs États comme la Floride ont commencé à légiférer pour encadrer sinon interdire certaines pratiques comme le fait de prescrire à des mineurs des bloqueurs d’hormones et de puberté. La question polarise de plus en plus les Américains et risque de s’inviter dans la prochaine campagne présidentielle.

Le wokisme triomphant

La prolifération des drag queens n’est pas la valorisation d’un art de scène un peu olé olé. C’est l’imposition du wokisme à toutes les sphères de la société. Surtout, c’est l’intrusion de la théorie du genre dans l’univers des enfants, une idéologie dont les effets peuvent être pour eux catastrophiques sur le plan psychologique, et irréversibles sur le plan corporel.

Quand il s’agit d’amputer un enfant d’une partie de son corps, le transgenrisme n’est rien d’autre qu’une boucherie criminelle. Il est temps de revenir à la raison.

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Théâtre du Nord, théâtre mort

L’impayable David Bobée a repris les rênes du théâtre du Nord en 2021. Causeur vous dévoile la programmation à venir…


Les Lillois qui apprécient l’art théâtral susceptible de bousculer les codes sont de petits veinards.

Après avoir déconstruit le Dom Juan de Molière, jugé trop viril et violent, en « dégenrant » ou « racisant » certains personnages pour dénoncer les rapports de domination, le sexisme et la glottophobie (discrimination via les langues ou les accents), David Bobée, le directeur du Théâtre du Nord, a prévu deux attractions qui devraient combler les spectateurs progressistes les plus exigeants. Ces derniers pourront voir, fin février, un spectacle intitulé « Prolo not dède », la rencontre entre deux « transfuges de classe », deux « porte-voix des invisibles », deux artistes prolétaires dénonçant le « racisme de classe » et prêts à bouffer du bourgeois pour « venger leur race », j’ai nommé… Corinne Masiero (alias Capitaine Marleau) et… Édouard Louis, l’écrivain « qui couche sa vie dans ses romans pour qu’elle devienne matière à réflexion sociologique », sans doute un futur nobélisable. Il sera question de la violence sociale, des violences faites aux femmes et même des « silences complices », lesquels seront toutefois brisés par une musique du genre tonitruant grâce aux Vaginites, un « trio féministe électro-punk [1] ». Bobée avertit les bourgeois du Nord : « Si t’es allergique au parlé prolo, faut pas venir ! » Ceux qui auront su vaincre leurs préjugés et apprécier ce premier spectacle pourront, en mars, reprendre une ration de théâtre nombriliste. Le metteur en scène Milo Rau et… Édouard Louis présenteront « The Interrogation » et, donc, s’interrogeront : « Est-ce que l’art peut être plus qu’une simple analyse et une reconstitution de la vie ? Ou l’art n’est-il que le témoignage de notre incapacité à nous libérer de notre condition ? » et tout ça. Il est promis des « émotions fortes » pouvant déclencher « l’empathie et la solidarité ».

Assurons les véritables amateurs de théâtre de Lille de toute notre compassion.


[1] Toutes les citations proviennent du site web du Théâtre du Nord.

Il ne faut pas surestimer les Russes

Alors qu’une nouvelle offensive russe est attendue avec le printemps sur le front ukrainien, notre penchant à surestimer les capacités de l’armée russe est de retour. Analyses.


La communauté américaine du renseignement a vu juste. Dès 2021 elle a percé avant tout le monde les véritables intentions russes, à travers ce que Churchill avait appelé « un rempart de mensonges » (« In wartime, truth is so precious that she should always be attended by a bodyguard of lies » « En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle doit toujours être protégée par un rempart de mensonges »), c’est-à-dire la dissimulation. En revanche, les spécialistes américains – rejoints sur ce point par presque tous les autres, y compris chinois – se sont lourdement trompés en surestimant les capacités militaires de la Fédération de Russie. Même s’il est vrai qu’il vaut mieux surestimer que sous-estimer l’adversaire, cela reste une erreur, reconnue par les Américains. À leur décharge il faut dire que Poutine lui-même a surestimé ses forces armées ! On peut ajouter un effet de projection (les Russes auraient dû apprendre de leurs erreurs en Géorgie en 2008, comme nous l’aurions fait à leur place) et une longue tradition (pendant la Guerre froide, l’Occident a systématiquement surestimé le renseignement et le matériel des Soviétiques, ce qui explique par ailleurs la surprise de la chute de l’URSS).

Un soi-disant rapport du Mossad

Ces dernières semaines, malgré un mea-culpa généralisé, on peut discerner de nouveau une tendance à surestimer les Russes. Ainsi on peut lire que les Russes ont massé une force énorme composée de soldats nouvellement formés et équipés de quantités de chars, canons et avions et que cette force s’apprête à lancer une attaque contre l’Ukraine. Selon le bimestriel Foreign Policy, les Russes auraient rassemblé 1800 chars, 700 avions et des centaines de milliers d’hommes issus de la « mobilisation partielle » de l’automne [1]. D’autres articles alarmistes se sont succédé, et comme une dynamique de rumeur, les chiffres ont encore gonflé. En même temps, un soi-disant « rapport secret du Mossad » révélant des lourdes pertes ukrainiennes, circulait, essentiellement sur les réseaux sociaux.  Pour ne pas devenir bipolaire à force de faire des va-et-vient entre sur et sous-estimation des forces russes en présence, il faut essayer de s’en tenir aux faits et à l’analyse de ce qui s’est vraiment passé sur le terrain depuis le 24 février 2022. 

À partir de l’analyse des récentes opérations russes à Kreminna, Bakhmout et Vouhledar, on peut constater et affirmer que les avancées russes, lorsqu’elles sont réussies, comme à Bakhmout, ne sont qu’incrémentielles. Il n’y a jamais eu de véritable percée (encore moins l’exploitation d’une percée), et les pertes en hommes et matériel (blindés et aéronefs) sont extrêmement élevées. De plus, à l’inverse des Ukrainiens, nous n’avons pas vu d’unités russes exécuter un manœuvre interarmes qui permettrait de changer rapidement et radicalement la donne sur le champ de bataille, jusqu’à présent.

Or, l’exécution d’une grande offensive interarmes est extrêmement difficile et rien ne permet d’affirmer que les Russes maitrisent cet art. L’exemple le plus frappant et récent nous a été donné lors de l’attaque russe autour de Vouhledar fin janvier / début février. Cette opération a démontré que même les meilleures unités, parmi les mieux entraînées et équipées de l’armée russe (comme l’infanterie de Marine), n’en sont pas capables.

Et puis, il y a la logistique…

Si on peut constater que les Russes arrivent à approvisionner correctement leurs unités d’artillerie, rien ne permet d’affirmer qu’ils sont capables de ravitailler et soutenir logistiquement des centaines de milliers d’hommes et des milliers de blindés en mouvement pendant un engagement plus long et plus dur, sur un front long de centaines de kilomètres.   

Pour entrer dans le détail, rappelons que les grands dépôts russes sont situés hors de portée des HIMARS, c’est-à-dire à des dizaines de kilomètres derrière leurs « clients », les unités de manœuvre et de feu. En conséquence, près du front, les Russes disposent de petits dépôts, éparpillés, et ils doivent compter sur un approvisionnement en flux tendu par des camions faisant la navette depuis les grands dépôts. Dans ces conditions, soutenir une percée exigerait des capacités d’organisation des hommes et du matériel (un grand nombre de camions, de camions citernes, de remorques) que les Russes n’ont pas encore démontré avoir. Quand une armée n’arrive pas à approvisionner régulièrement ses forces qui avancent, alors non seulement elle cesse d’avancer (à court d’essence et de munitions) mais elle devient la proie facile à des contrattaques.

L’idée que les Ukrainiens vont être écrasés par un rouleau compresseur russe exécutant une offensive massive et bien planifiée est donc assez improbable, surtout tant que le pays attaqué demeure alimenté par des renseignements américains et occidentaux de grande qualité. La semaine dernière, le Wall Street Journal détaillait le partage des renseignements américains avec l’Ukraine, dont on sait qu’il a lieu depuis le printemps 2022 [2]

« More of the same »

On a beaucoup parlé de l’apprentissage militaire russe, et de l’importance que cela aura pour toute offensive majeure. Il y a certainement eu des signes d’adaptation de la part de l’armée russe, comme l’éloignement des dépôts. Mais fondamentalement, l’essentiel n’a pas changé. Leurs unités blindées sont incapables de lancer les types d’offensives auxquels beaucoup s’attendaient avant la guerre, et leur armée de l’Air est toujours incapable de maitriser le ciel au-dessus du champ de bataille. Si adaptation il y a eu, c’est justement celle qui a conduit les Russes à utiliser artillerie et infanterie pour réaliser des avancées lentes et couteuses. Les deux dernières semaines, marquées par des pertes russes massives, démontrent que cette manière de se battre n’est pas l’apanage de Wagner et de ses soldats-prisonniers.

Ce à quoi il faut s’attendre, c’est : « more of the same », une accélération du rythme de ce que les Russes ont fait au cours des dernières semaines et des derniers mois. Tant que l’Ukraine dispose de suffisamment de munitions (c’est, pour ce pays attaqué, toujours la considération clé), ces offensives russes massives devraient pouvoir être contenues. On peut même avancer que l’Ukraine a intérêt à voir les Russes dépenser leurs ressources de cette manière.

Tout repose donc sur la résilience de l’Ukraine et de l’alliance qui la soutient, car la Russie n’a pas encore trouvé la clé du coffre-fort.   


[1] https://foreignpolicy.com/2023/02/08/ukraine-russia-counteroffensive-abrams-tanks-putin-war/

[2] https://www.wsj.com/livecoverage/ukraine-zelensky-biden-congress-washington-trip-russia/card/u-s-has-eased-intelligence-sharing-rules-to-help-ukraine-target-russians-6pgEkPNCQRX8z4KBu4V4

La Vendée à l’honneur

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«Vaincre ou mourir», comme une lueur d’espérance.


Dans une période où les sujets graves abondent, ne faut-il pas voir comme un heureux signe qu’un film – un simple film – fasse l’actualité ?  Je veux parler de Vaincre ou mourir.

Il est rare qu’un film suscite un tel débat. Tel est pourtant le cas de celui réalisé et produit par Le Puy du Fou. Mais, à mon sens, voilà qui n’est pas le fruit du hasard ou de la chance. Ce film arrive au bon moment et est le signe de quelque chose qui le dépasse infiniment. Vaincre ou mourir est un triple symbole.

Symbole d’une France fière de son histoire qui de siècle en siècle a été écrite par des héros qui sont autant de modèles.  Héros que l’on admire car ils ont su tout donner animés par l’honneur, la fidélité, le respect de la parole donnée, le courage physique et mental. Charrette comme les autres combattants de la cause vendéenne était de ceux-là. A peine mort, il est entré dans la légende et deux cent trente ans après les évènements il est toujours un exemple. Il est de la race des héros dont on aime faire des films que l’on revoie, de ceux que l’on retrouve dans la Cité de l’Histoire créée il y a peu à La Défense. Ce film est la réponse à toutes les tentatives de gommer notre histoire de France. La France au contraire la revendique, d’où le succès du film alors même qu’il est en dehors des grands circuits habituels et « dérange » une partie des critiques. L’enthousiasme du public en dit plus que les critiques idéologiques.

Ce film est aussi le symbole d’une province qui depuis le génocide ordonné pour l’exterminer a toujours souhaité marquer son identité. Être fier d’être vendéen. En être fier car cette fierté a été payée par plus de 400 000 morts. A l’heure où certains voudraient voir disparaitre les identités nationales, la Vendée revendique aussi une identité locale. Ce film rappelle qu’il y a des différences notables d’une région à l’autre. Les Vendéens sont uniques et ont payé cette identité de leur sang versé. L’épopée commencée en 1793 est celle de tout un peuple qui a réagi. Cette volonté très forte anime toujours la Vendée qui demeure en France une des régions les plus dynamiques, au taux de chômage inférieur à la moyenne nationale, à la croissance économique supérieure. Ce film a donc trouvé dans les bocages de l’ouest le terreau qui lui fallait et il en incarne le dynamisme. Mémoire et futur y sont intimement liés.

J’en viens à mon troisième point. Ce film me parait être aussi à l’image d’une nouvelle génération qui se lève et qui reprend son destin en mains. Exactement comme il y a 40 ans il fallait redécouvrir une forme de la culture populaire (ce qui fut réalisé par la création, le succès et la croissance du Puy du Fou), il convient désormais de réinvestir tous les pans de la société. Régulièrement remontent vers moi les initiatives de jeunes entrepreneurs qui s’engagent dans les domaines économiques, culturels, de la santé, de l’éducation, demain politiques. Toujours avec succès car ils sont animés du souci du bien commun. Ce film est à cette aune. Il marque un renouveau. Qui aurait pu penser qu’un secteur aussi encadré que celui de la création cinématographique pouvait être bousculé par des initiatives individuelles animées par une intense volonté de faire bien et mieux ? Cette victoire de la volonté est à féliciter.

Vaincre et mourir apparaît bel et bien comme le film d’une espérance retrouvée d’une nouvelle France qui compte gagner et reprendre sa place, dans tous les domaines, dans la vie sociale et dans le concert des nations.

Bars à coquillettes et kebabs: la gastronomie française mondialisée

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Alors que l’hécatombe des bistrots d’autrefois continue, de nouveaux concepts de restauration, qu’on jugera pratiques ou ridicules selon sa propre sensibilité, prolifèrent dans le pays.


Sans chercher à dénigrer les coquillettes, qui sustentent petits et grands, réjouissant les plus fortunés comme les plus démunis par toutes les saisons, l’idée d’un bar consacré exclusivement à cette petite pâte creuse en forme de demi-lune n’a pu germer que dans l’esprit retors d’un ancien étudiant en école de commerce cherchant à réaliser les plus grosses marges du secteur de la restauration.

Jusqu’au 5 février prochain, vous pourrez donc déguster les coquillettes sous toutes leurs formes dans un « pop-up store » situé rue Saint-Denis et exclusivement dédié à ce produit ménager que tous les étudiants de France possèdent dans leur placard. Pour la modique somme de 12,90 euros, vous aurez l’insigne privilège de repartir avec un bol en carton – il n’y a pas de petites économies -, dans lequel se trouvera un plat d’une simplicité biblique « revisité » et surtout rebaptisé avec un nom en franglish comme le Coqui’chicken boursin qui doit utiliser cet autre standard de la gastronomie française qu’est le fromage à tartiner du même nom.

Le mono-produit présente de nombreux avantages

Il n’en fallait évidemment pas plus pour que quelques internautes facétieux se moquent de cet énième concept, qui n’est d’ailleurs pas nouveau, puisque Toulouse peut déjà se targuer d’avoir un restaurant permanent dont le chef n’est occupé qu’à la difficile confection de recettes employant les coquillettes comme ingrédient principal. Ainsi, une internaute a proposé d’ouvrir un bar à pain de mie où le client tartinera lui-même avec les « toppings » de son choix. Idée géniale s’il en est puisque ce restaurant ne nécessiterait qu’un personnel en nombre limité, le client accomplissant lui-même une bonne part du travail. L’Hippopotamus, le Buffalo Grill cher à Emmanuel Macron, et le Diners à l’américaine des aires d’autoroute ont donc désormais leurs homologues des quartiers-dortoirs estudiantins et des salariés du tertiaire, à Paris comme dans les métropoles provinciales.

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Des concepts de ce type, qu’on jugera pratiques ou ridicules selon sa propre sensibilité, fleurissent un peu partout en France. La France découvre un type de restauration jusqu’alors réservé à l’Asie ou aux Etats-Unis, hors quelques exceptions comme la chaîne familiale des Relais de l’Entrecôte, où la traditionnelle carte et les menus sont remplacés par un produit décliné en plusieurs recettes. Ceux qui connaissent un peu le monde de l’entreprise auront vite compris le filon. Le mono-produit présente en effet de nombreux avantages concurrentiels. Il demande moins de travail une fois le concept rôdé, n’exige pas un personnel très formé en cuisine, et, last but not least, permet de réaliser d’importants profits.

Même les chefs s’y mettent

Ces raisons poussent donc de nombreux jeunes entrepreneurs à lancer des établissements du genre, mais également des grands chefs qui voient là une occasion de rentabiliser le reste de leurs activités. Certains le font avec succès et lancent des franchises qu’on finira immanquablement par retrouver dans les halls de gares. Citons notamment Michel Sarran, restaurateur doublement étoilé et ancien juré de Top Chef, qui a exporté avec bonheur un peu partout dans l’hexagone son « Croc’Michel ». D’autres ont connu des revers, à l’image de l’Aveyronnais Michel Bras dont les crêpes coniques n’ont pas su faire oublier l’aligot.

Qu’il s’agisse du croque-monsieur, du sandwich au pastrami de la gastronomie juive d’Amérique du Nord, des bo-buns vietnamiens, des paninis transalpins, des gaufres aux formes les plus originales (allez faire un tour dans le Marais pour les découvrir), ou bien sûr de cette création franchouillarde qu’est le tacos banlieusard fourré aux cordons-bleus du Père Dodu, il y a une visée commerciale qui signe aussi malheureusement un appauvrissement culturel et s’appuie sur la livraison à domicile par les plateformes de type Uber Eats. Les confinements dus à l’épidémie de coronavirus ont évidemment renforcé le phénomène mais il serait faux d’affirmer qu’ils en sont la cause unique et le fait générateur.

La gastronomie de la France d’avant disparait

La disparition des bistrots et cafés est une tendance lourde depuis plusieurs décennies. Une étude Statista produite par Tristan Gaudiaut le 5 mai 2020 le montrait très clairement [1]. La France avait 200 000 débits de boisson en 1960, on n’en décompterait plus que 38 800. Pis encore, entre 2010 et 2016, la France a encore perdu 10 000 établissements. Dans les zones rurales, c’est une véritable hécatombe. Il n’est d’ailleurs qu’à se promener dans des villes moyennes de la France dite des préfectures pour en sortir profondément triste – on y trouvera désormais plus facilement kebabs et pizzerias que restaurants traditionnels. Si plus de la moitié des cafés ont disparu en 20 ans, c’est parce qu’il est très difficile d’en faire des entreprises prospères et rentables.

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Paris est aussi touchée. La hausse spectaculaire des loyers couplée à l’apparition de groupes ayant pour stratégie la multiplication de franchises imposent une pression intenable pour le tenancier d’un bistrot familial. Mais il n’y a pas que ça. Il est malheureusement désormais difficile de trouver à Paris comme dans le reste de la France des restaurants bon marché où le choix ne se résume pas à une carte estampillée « Metro » (où vous aurez droit aux mêmes « burgers », salades dites « César », tartares, etc.). La cuisine régionale n’est plus qu’un lointain souvenir, de même que le répertoire bourgeois hérité d’Auguste Escoffier. Ces recettes demandent beaucoup de travail et des produits de qualité. Plus personne ne veut de plats mijotés qui nous obligent à nous installer à table avec une serviette et des couverts. Du reste, les goûts se sont de plus en plus mondialisés, les cartes présentant souvent un mélange d’influences asiatiques, italiennes et américaines, la France se retrouvant avec la portion congrue.

La civilisation française est mortelle

Dans une société liquide et nomade, la cuisine sédentaire ne fait plus vraiment recette. En recherche de terroir et de traditions, les Français s’abandonnent parfois aussi à une forme de caricature, où seule la viande est honorée, négligeant soupes, légumineuses, tartes et autres poules au pot. Les orgies rabelaisiennes de l’humoriste Jason Chicandier en témoignent. Mais que ces quelques excès soient pardonnés, car nous en sommes arrivés à un stade terminal où il semble qu’il faudra bientôt éditer des guides des restaurants authentiquement français pour que les touristes étrangers puissent encore s’y retrouver ! Je force le trait, mais la tendance est réelle. Massimo Mori, chef italien et propriétaire du Mori’s Bar à Paris, l’explique : « La cuisine italienne souffre d’être dénaturée à l’étranger, mais la cuisine française se mondialise en France. C’est triste. Vous avez pourtant une cuisine régionale fabuleuse. J’ai peur qu’elle ne sombre dans l’oubli ».

Si les civilisations sont mortelles, les gastronomies le sont aussi. Quelques chefs font de la résistance. Le Café des Ministères dans le septième arrondissement ou encore un Yves Camdeborde mettent à l’honneur la France éternelle, pas une France figée dans le passé, mais une France qui connait encore les classiques de ses grands-mères paysannes sans s’interdire de les dépoussiérer. Aidons-les et avec eux tous les jeunes chefs qui ne veulent pas passer leur vie à préparer des coquillettes au jambon !

Le non du peuple

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Gabriel Robin est essayiste (Le Non Du Peuple, Cerf) et directeur de l’Agence Monceau, il travaille avec plusieurs chefs.


[1] https://fr.statista.com/infographie/21597/evolution-du-nombre-de-bistrots-et-cafes-en-france/

Quel type de travailleur êtes-vous?

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Les 7 nains rentrent de la mine, Disney 1937 © MARY EVANS/SIPA

Dans l’univers impitoyable du travail, on trouve des collègues populaires, des meneurs d’ordre, des ambitieux et des fainéants. Pour progresser, mieux vaut connaître ses défauts et ses qualités.


1. Si vous étiez un employé ou un numéro 2, vous seriez :

a) Tullius Détritus dans La Zizanie. Vous savez instaurer des relations de respect mutuel qui rappellent les meilleures heures d’un congrès socialiste, vous avez d’ailleurs donné récemment votre mesure en coachant la dernière élection du chef du parti. Quand on sait que, pour vos dernières vacances, vous avez fait un road trip en Russie et en Ukraine, on comprend mieux pourquoi Xi Jinping vous a offert un voyage à Taïwan et Recep Tayyip Erdogan, un séjour en Grèce.

b) Pépin le Bref. Vous êtes le P’tit Pimousse de l’histoire de France. Petit, mais costaud. Votre n+1 est un roi fainéant. Un tantinet maniaque, vous n’hésitez pas à ramasser le sceptre qu’il laisse traîner un peu partout. De là à le garder…

c) Iznogoud, le Poulidor du putsch, toujours partant, jamais vainqueur. Vous illustrez parfaitement l’adage qui distingue obligation de moyens d’obligation de résultat : malgré l’énergie certaine que vous mettez dans votre projet d’ascension sociale par le crime, la société ne vous offre pas la reconnaissance espérée et la réussite vous fuit.

d) Prince Harry, duc de Sussex. Passe encore que vous ne serviez à rien tout en coûtant une blinde à votre famille, mais faut-il vraiment que vous soyez aussi geignard ? Un peu de dignité que diable, pensez à votre oncle Andrew !

A lire aussi, Céline Pina: De quoi le rejet de la réforme des retraites est le nom

2. Si vous étiez un grand guerrier, vous seriez :

a) Attila. Vous aussi êtes né pour être un killer, un « cost killer ». Devant vous la ressource humaine tremble et la masse salariale se rétracte. Hélas, point de horde de Huns pour vous aider à mener à bien votre mission salvatrice de délocalisation de la production au fin fond de la Papouasie. Personne pour vous aider à lutter contre le « quiet quitting » qui frappe notre jeunesse amollie dans le confort, en mettant les enfants au travail dès 5 ans pour leur apprendre la vie. Incompris, vous êtes seul et haï, mais votre fiche de paye affiche quatre zéros et votre femme a vingt ans de moins que vous, votre secrétaire aussi.

b) Jeanne d’Arc. Vous êtes la reine de la candidature spontanée et du lancement de carrière fulgurant. De bergère à général en un coup gagnant. Malheureusement vous connaissez des difficultés à l’international et avez du mal avec la filière anglo-saxonne. Méfiez-vous, vous pourriez vous y brûler les ailes.

c) Napoléon. Vous êtes un homme qui sait saisir les opportunités et bousculer le destin. Malheureusement vous ne vous épanouissez que dans le conflit et avez du mal à évoluer dans un cadre européen en respectant la souveraineté territoriale de vos partenaires.

d) Gaston Lagaffe. Vous n’êtes pas paresseux, c’est juste que votre créativité est incomprise de béotiens productivistes aux ambitions triviales et bassement matérialistes.

3. Si vous étiez un loser, vous seriez :

a) Hubert Bonisseur de La Bath dans OSS 117. Vous êtes particulièrement débile, mais encore plus chanceux. Toutes vos initiatives tournent à la catastrophe, mais ce sont vos partenaires qui en payent le prix. Alors pourquoi changer ? Hasta la vista, baby !

b) Jean-Claude Dusse dans Les Bronzés. Vous y croyez pourtant, vous ne ménagez pas vos efforts mais rien à faire, vous ne concluez pas. Allez, dites-nous tout, vous êtes commercial chez Dassault Industries et essayez de vendre des Rafale à nos amis européens ?

c) Cruella d’Enfer. Vous avez plus de charisme que les 101 dalmatiens et leur maître réunis mais voilà, vous êtes un méchant de dessin animé, donc condamné à perdre. Reconvertissez-vous dans le cinéma pour adulte, dans Orange mécanique, c’est le méchant qui gagne à la fin !

d) Bridget Jones. Bon, vous n’êtes pas le couteau le plus affûté du tiroir et vous passez trop de temps sur Tinder au boulot, mais vous savez donner de votre personne. Évitez juste de la donner à votre n+1, personne ne croira en votre mérite, mais tout l’open space dira que votre soutien-gorge vous sert de cordée.

4. Si vous étiez une entreprise, vous seriez :

a) Krupp. Une sympathique entreprise familiale, appuyée sur des valeurs traditionnelles : antisémitisme, exploitation de déportés, soutien au régime nazi… D’ailleurs vous avez même eu les honneurs du cinéma, Les Damnés de Visconti vous servent d’album de famille. De quoi donner envie d’élaguer son arbre généalogique. Justement le film vous fournit le mode d’emploi.

b) Apple. Votre ado passe son temps dans votre sous-sol avec un copain binoclard et boutonneux, et quand vous les espionnez cela ne sent pas la marijuana à plein nez. Vous avez peut-être touché le gros lot et pondu le nouveau Steve Jobs. Vous vous en doutiez un peu, il présente la liste des courses sous forme de Keynote et organise des brainstorming avec la perruche et les acariens du tapis pour choisir le nom du chien.

c) Une start-up. Vous comptez sous-payer vos salariés, mais vous avez installé un baby-foot dans l’open space et du coup vous atteignez les sommets de la coolitude patronale. Vous organisez des « stands up meeting », des ateliers de « design thinking » et vous vous filmez la bouche en cul-de-poule sur les réseaux en expliquant à vos followers que vos employés ne travaillent pas pour vous, mais avec vous. Au final vous fonctionnez comme une entreprise traditionnelle à coups de projets mal définis, de plannings aussi ambitieux qu’irréalistes, de discours de la hiérarchie déconnecté de la réalité du terrain. Bien sûr vous prenez seul toutes les décisions et quand ça tourne mal, vous êtes victime de l’incompétence des autres. Vous êtes sûr que vous n’êtes pas Emmanuel Macron ?

d) Une entreprise de niche. Vous investissez dans l’obsessionnel militant. Un bon marché captif de personnes qui pour se distinguer choisissent de faire quand même dans le grégaire, mais minoritaire. Du coup vous avez investi sur le véganisme. Vos produits sont dégueulasses, mais vous vous marrez bien dans les séances de brainstorming pour choisir les noms. Le coup du foie gras végan rebaptisé « faux gras », qui permet de vendre cher un mixage d’huile de palme, d’amidon de pomme de terre et de tofu, est votre coup de maître. Allez, une bonne côte de bœuf pour fêter ça ?


Résultats :

Un maximum de a)

Le Toxique. Aussi populaire qu’un inspecteur du travail dans un congrès du Medef ou qu’un staphylocoque doré dans un service hospitalier, vous savez mettre de l’ambiance dans l’open space. En matière de team building, vous faites plutôt dans la démolition par explosif et la notion de bienveillance dans le management vous donne envie de dissoudre des chatons dans l’acide. Dans votre dos, on vous appelle Benito. Vous ne comprenez pas pourquoi, vous n’êtes même pas italien.

Un maximum de b)

Le Leader. Meneur d’hommes né, au xiiie siècle vous auriez été Gengis Khan. Au xxie vous vous bornez à blinder vos projets et à organiser vos troupes en task force afin d’affiner votre plan d’attaque pour conquérir de nouveaux marchés en menant une guerre marketing totale. En bref, vous essayez de refourguer à Jean-René de chez Carrefour des œufs de lump daubés au prix du caviar. Cerise sur le logo, comme depuis l’affaire France Telecom pousser ses salariés au suicide pour alléger les équipes est mal perçu, vous êtes obligé de suivre des tutos sur le management par la bienveillance. Et dire que Gengis, lui, avait le droit de découper au sabre ses collaborateurs récalcitrants.

A lire aussi, Elisabeth Lévy : La retraite en héritage

Un maximum de c)

L’Ambitieux. Vous trichez sur vos rendements réels pour faire passer tous vos collègues pour des glandeurs. Si vous appelez cela « susciter une saine émulation au service du collectif » et réussissez ainsi à faire passer le mensonge et le sadisme pour de la « motivation par objectifs » et de la « conduite opérationnelle participative », vous avez toutes les chances d’obtenir une promotion.

Un maximum de d)

Le Fainéant. Pour vous voir, mieux vaut aller au bas de l’immeuble que dans votre bureau, votre principale activité étant la pause clope. Mais pendant que vous faites preuve d’un dynamisme acharné tout entier voué à la destruction de vos poumons, vous ne remplissez pas votre mission. Ce n’est pas grave, de toute façon vous êtes affecté à la surveillance d’usines où il ne se passe rien. Vous avez commencé votre carrière à Bhopal et venez d’être affecté à Tchernobyl.

Olivier Babeau: la société du spectacle a encore frappé!

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Image d'illustration Unsplash

Notre collaboratrice, persuadée que consacrer son temps libre au iaido et non à l’usage de la télécommande dans le starting block du canapé, est socialement déterminant, s’est amusée à lire La Tyrannie du divertissement, le dernier essai d’Olivier Babeau. Il l’a apparemment convaincue. Dis-moi ce que tu glandes, je te dirai qui tu es, y apprend-on… Et à la vieille interrogation sur le sens du travail doit se substituer une autre, non moins redoutable, sur le sens du loisir, prévient l’économiste.


Le jeune Olivier Babeau s’était entendu dire par son universitaire de père : « Prends un livre et lis ». Et aujourd’hui ses deux fils sont avides de vidéos footballistiques. C’est parce qu’il balance entre deux âges qu’il livre sa réflexion sur cette voie du temps libre, car « il est urgent de mieux transmettre à tous l’art de résister à soi ».

Entre une génération qui a créé le cordon USB sur le modèle du cordon ombilical et une autre qui croit fermement que ce dernier est la base du premier, le rapport à l’écran, à la lumière qui fut bleue, les nouvelles technologies proposent un nouveau pacte faustien, comme celui que Yuval Harari avait expliqué, concernant l’agriculture, dans Sapiens.

Buchet Chastel

Le stade néolithique a permis la tripartition du temps : temps pour les autres, temps pour soi et temps pour rien. Les loisirs qui s’indexent sur ces temps sont socialement déterminants : « Les loisirs creusent aujourd’hui les inégalités de façon plus dramatique qu’autrefois. » Autrefois, c’était par la skholè et l’otium qu’on reconnaissait un bon citoyen, maintenant, c’est à son degré de consommation, comme le disent certains qui y décèlent l’origine ontologique du « crétin ». Évident pense-t-on : encore faut-il en avoir compris les principes.

Centres d’intérêt 

Il y a trois loisirs : l’aristocratique (concentré sur le rapport aux autres, il est obsédé par l’appartenance au groupe), le studieux (reposant sur la mise à distance du plaisir. Il exerce le corps ou l’esprit pour en améliorer les capacités), et le populaire, dit aussi divertissement (qui s’épuise dans l’instant et n’a pas ou très peu d’effet au-delà du plaisir immédiat). Mais Babeau n’est pas un donneur de leçons, il sait que le lièvre a autant raison que la tortue : « Chacune des trois formes est indispensable » et « une répartition idéale serait par tiers. »

La nouvelle différenciation sociale se fait donc sur l’extracurriculaire qui, comme le veut le CV-type, apparaît dans la case « Centres d’intérêt ». L’usage que chaque groupe social fait de son temps libre est déterminant puisque « le temps libre n’est pas que notre présent. Il prépare surtout notre futur. » Balzac, qui ignorait tout des hikikomoris et du métavers, eût fait des merveilles avec ce nouveau « dis-moi ce que tu glandes, je te dirai qui tu es. »

Les technologies ont garanti un plus grand temps libre. Nous abandonnons peu à peu les tâches les plus rudes, et les disputes sur le corvéable à la vaisselle se sont pacifiées grâce à la machine dédiée à la tâche. Le temps libre a gagné sans cesse en minutes, puis en heures : « En cinquante ans, ce sont 500 heures de loisirs qui sont conquises pour un travailleur moyen ! L’équivalent d’un mois de vie éveillée supplémentaire chaque année. » Vertigineux ? Angoissant ? Là est le drame du temps libre, car le seul problème existentiel reste le choix.

Alors, pour nous l’éviter, les pouvoirs publics ont accepté d’occuper ce treizième mois pour nous. « En France, rappelle Babeau, lorsque la loi de 1906 a réinstitué le dimanche chômé dans une perspective laïque, elle le fait reposer sur deux valeurs nouvelles : le repos et la famille… [les pouvoirs publics] lui substituèrent l’idée d’une nécessité d’ordre public. » Le problème se pose lorsque une famille lambda se retrouve désœuvrée le dimanche et que les parents, laissant libre cours à la responsabilité de leurs enfants, leur disent « fais ce que voudras ». Car le temps est en vue de quelque chose, de la religion, des autres ou simplement de soi, « la question du sens de l’existence se concentre dans ces moments où l’on peut faire ce que l’on veut. » « Fais ce que voudras » n’a plus le sens que Rabelais lui donnait.

Nous avons cru un temps que la culture s’était démocratisée : que la télévision mettait à la portée de tous le Trouvère de Verdi à l’opéra Bastille, que le tourisme faisait accéder chacun à Angkor et que tous, nous pourrions via la réalité virtuelle revivre sur la Terre des Pharaons.  Mais Babeau est catégorique : « La démocratisation de la culture n’a pas eu lieu. » la Télévision a érigé Cyril Hanouna en prophète et le Grand Tour, qui jadis vous emmenait dans toute l’Europe, ne consiste plus qu’à tourner en rond autour de son nombril sur l’axe de rotation d’une perche à selfie.

La paresse culturelle croît

L’occupation du loisir est donc devenue la nouvelle stratégie de différenciation des classes sociales et si l’on doute, comme Eugénie Bastié, que les classes dominantes soient toujours aussi cultivées, il est indéniable que notre vie professionnelle est en partie le résultat de la capitalisation des loisirs que nous avons eus. Le triomphe du divertissement ne touche pas toutes les classes sociales de la même façon, et c’est un choix civilisationnel qui se pose à chacun. Le « non ! » de Bérenger à la fin du Rhinocéros d’Ionesco n’est pas facile à dire…

Comme tout économiste, Babeau cède à la tentation de l’équation élégante : « inégalités = (environnement + hasard).(g+effort)». g étant le facteur intelligence, il est quasiment impossible de modifier l’environnement d’un élève et le kairos, l’occasion propice — à la Castellane, par exemple, zone à trafics des Quartiers Nord de Marseille — passe rarement… On ne peut agir que sur un seul facteur : l’effort, la volonté.

Mais voilà : la paresse culturelle croît, la révolution que la sédentarisation a permise est sur le point de se reproduire avec les écrans. Car si c’est avec eux que l’on se distrayait du travail avant le covid, c’est avec eux qu’on travaille maintenant.

Or, l’écran est par essence même le divertissement : il détourne le regard d’un endroit à l’autre, une pub par-ci détourne d’une pub par-là. Tiktok et ses chorégraphies « en mode stroboscopique » montre l’aspect kaléidoscopique de notre ennui car le vide informationnel est le méthylphénidate de notre vide intérieur.  « Le loisir distrayait du travail. Aujourd’hui le travail vient distraire d’une vie de loisir. » On comprend d’autant plus la tragédie d’une vie sans emploi…

Sens du travail et sens du loisir

Alors que faut-il pour ne pas intégrer malgré soi la fabrique du crétin ? Il faut développer notre « cortex frontal » qui peut « inhiber la compulsion de notre striadum pour le plaisir immédiat », car si « la connexion fronto-striatale » ne se fait pas, ou mal, « c’est notre capacité à résister à nous-même qui diminue » explique Gérald Bronner. Dur ? Pas tant que cela, puisqu’on apprend bien à un chien à ne pas toucher à la balle bruyante la nuit.

En revanche, l’école, avec le principe du divertissement des élèves n’est-elle pas devenue l’instrument chargé d’atrophier ce goût de l’effort, cette volonté de soi, qui était le seul levier capable d’être actionné par tous pour son propre bien futur ? À la Fabrique du crétin (J-P Brighelli) s’ajoute la Fabrique du crétin digital (Michel Desmurget) : « L’école n’est à la limite que le moment de vérification et d’épanouissement d’acquis fondamentalement préparés au-dehors », note judicieusement Babeau.

Qui arrive en classe les mains vides, n’en repart pas la tête pleine ? « La culture générale, précise l’essayiste, accomplit aujourd’hui un grand retour (pour l’instant, il est vrai, peu remarqué) dans la panoplie des armes du succès. … le XXe siècle était celui des spécialistes ; le XXIe est celui des généralistes » — sauf que de culture générale à l’école, peu de nouvelles : quand des élèves donnent comme exemple de la monarchie absolue de droit divin la décapitation de Louis XIV en 1789 par Charles Martel, on ne peut rien objecter à Babeau…

Et en pleine crise du débat sur les retraites, la lecture de cet essai permet de prendre à l’envers le débat sur l’allongement ou non de la durée de cotisation : « À la vieille interrogation sur le sens du travail doit se substituer une autre, non moins redoutable, sur le sens du loisir ». Ce n’était pas exactement ce qu’avait en tête Lafargue quand il parlait en 1880 du « droit à la paresse ».

Olivier Babeau, La Tyrannie du divertissement, Buchet-Chastel, 285 p.

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Pour faire le portrait d’un bobo

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La façade de l'immeuble du journal Le Monde à Paris, janvier 2015. SIPA.

Faire le portrait de M, c’est faire le portrait des bobos. Le magazine, branché, intersectionnel, modulable comme une citadine polyvalente segment B, une Pastabox réchauffée aux micro-ondes positives, ravit les « mutins de Panurge et rebellocrates » (Muray)…


En feuilletant M (le supplément hebdomadaire du Monde) du 11 février, j’ai pensé au poème de Prévert, Pour faire le portrait d’un oiseau. « Peindre d’abord une cage / Avec une porte ouverte / Peindre ensuite / Quelque chose de joli / Quelque chose de simple / Quelque chose de beau / Quelque chose d’utile pour l’oiseau … ». Ça pianote, piaille, piaffe, sur YouTube, TikTok, le métavers, mais les rois de l’azur, princes des nuées – Baudelaire et L’Albatros – ont du plomb dans l’aile et Paname a perdu 70% de ses moineaux. Le monde change de peau : sera-t-il doux et sucré comme la liberté ? Des bécasses activistes, jeunes oies édifiantes, pigeons, I Soli ignoti, s’emploient, font des piges sur le male gaze et les Malgaches.

Notre chroniqueur a feuilleté pour vous M Le magazine (woke) du « Monde » de la semaine

Faire le portrait de M, c’est faire le portrait des bobos. Le magazine, branché, intersectionnel, modulable comme une citadine polyvalente segment B, une Pastabox réchauffée aux micro-ondes positives, ravit les « mutins de Panurge et rebellocrates » (Muray). L’important c’est d’aimer. Du Beau, du Bon, du Bien, du Benêt : M le Béni.  Sur toutes les pages, sur les images dorées des news magazines, Liberté, j’écris ton nom. Les promesses d’émancipation par la culture et l’éducation n’ont pas été tenues mais les dominés font la Une et le buzz. Partout triomphent l’indignation multiculturelle, la libre circulation des vaincus et du politiquement correct, le capitalisme de la révolte. « Les jeunes consciences ont le plumage raide et le vol bruyant » (Michaux).

Woke en stock 

Cent mille milliards de voyages, idées malignes, belles pensées, chemins de traverse : le menu M du weekend dernier était particulièrement savoureux.

– La gazette. Bill Clinton fête l’anniversaire de la création du congé maternité à la Maison-Blanche. La Comédie-Française chante Gainsbourg. La propriété normande de Léopold Sédar et Colette Senghor se transforme en maison de la poésie et résidence d’auteurs.  Dimanche 5 février, séance inaugurale de l’Institut La Boétie. Pour former les cadres insoumis à la servitude volontaire, la chaire est castriste. Une armée de guérilleros à la retraite, doctorants indigents, zadistes indignés, Boyard, Bayard, Brutus, spécialistes d’habitus et compost équitable, brûle des flambeaux de cire rouge. Dussopt est guillotiné, Bayou a pris un clystère. Lundi, grève. Mardi, manif. Mercredi, Edouard Louis Ragueneau a perdu un amant et changé d’éditeur. Jeudi, Mélenchon – comte de Guigne de la Nupes – dit Non à Macron. Vendredi, Annie, Duègne de France. Samedi, Piketty, à Rousseau a dit Oui. « La grandeur de la Gauche, c’est de vouloir sauver les médiocres. Sa faiblesse c’est qu’il y en a trop » (San Antonio).

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– En couverture et plat de résistance de M, Tony Estanguer, le Boss du comité d’organisation des JO. Triple champion olympique, sourire enjôleur, Tony sait y faire. « Les JO 2024 seront spectaculaires, populaires et écologiques ». La grosse angoisse, ce sont les sauvageons à capuche et machette, les hooligans anglais du 93. Tony est malin : le Dies irae, les larmes, lacrymo, la sécurité, relèvent du pouvoir régalien.

Gros plan sur Les Vaginites, un trio trash punk engagé. Zororité, Rage against ze machists, Moche is beautiful. En culotte maculée de sang, Corinne Masiero et ses joyeuses Collégiennes résistent, chantent « les vieilles, les imbaisables, les hystériques, les dépentesques… choune, moule, foune, brousse, buisson, c’est l’hymne à la vulve » … Vaste programme. Pervers Prévert ? Est-ce que le pont va casser ? Faut-il fendre la Presse ?

 – C’est plus compliqué pour David et Samir qui filent le parfait amour à Tel-Aviv. Le nouveau gouvernement Netanyahou est à droite, fonder une famille impliquera des défis, les tabous sont tenaces, la famille de Samir est tradi : son beau-frère menace de l’enterrer vivant s’il fait un coming-out, sa mère veut le faire soigner. On dirait un sketch de Muriel Robin.

 – La photographe Joanna Piotrowska « met en lumière l’intimité de corps en lutte, celle d’individus qui résistent à toutes sortes de dominations ». Les corps sont sous tension, la politique se niche dans les tapis. Formée à Londres et Cracovie, Joanna aime Chirico, Kafka, Virginia, Moravia. Hyperactive, « elle met en scène des êtres vulnérables … déploie une stratégie anti spectaculaire », construit des cabanes avec des nappes, des porte manteaux, des abat jours, cherche des bourses de recherche. Ses compositions « chorégraphiées au cordeau » sont exposées au BAL, 6, impasse de la Défense. 

Aux Bouffes du nord, Lyna Khoudri interprète Perdre son sac, écrit et mis en scène par Pascal Rambert. « Un texte nerveux dans lequel une laveuse de vitres règle ses comptes avec la société capitaliste… L’héroïne passée par une classe prépa évoque sa précarité, sa révolte, ce mode capitaliste où il est impossible de naviguer, mais aussi son goût des femmes ». Ouvrez, ouvrez la cage aux bobos, regardez-les s’envoler, c’est beau….

La Révolution est un diner de Gala

Pour la gastronomie, les forçats de la faim, M recommande un cake au citron à la pâte aérienne vendu rue de Bretagne, axe central du haut Marais. À l’affiche d’A la belle étoile, le vidéaste et influenceur Riadh Belaïche est intarissable sur les bricks, « fourre-tout culinaires géniaux », les lasagnes et fraisiers succulents préparés par sa maman.

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La fin du magazine est visuelle, c’est la Mode, toujours décalée, métissée, audacieuse. Cette semaine, c’est L’équipée sauvage. « Chaussée de grosses bottes de moto ou de fines sandales, en minijupe ou pantalon de cuir, la bikeuse n’a besoin de personne pour prendre des chemins de traverse ». Une brune pas épaisse prend des pauses rebelles pour vendre des blousons en cuir, blouse à capuche en soie, boucles d’oreilles en argent et quartz.

Les chroniques engagées, reportages coup de poing sont entrecoupés de publicités pleine page. C’est la lutte finale des marques, l’Internationale des poids lourds du Dow Jones, Cac 40, Nikkei 225. Pour toutes les bourses. Avis aux Vaginites : un nouveau sérum permet de diviser les rides par deux en quatre heures, réduire 80% des signes de l’âge en 30 jours.  Grâce aux technologies Beauté, les plus belles coiffures ! Une eau de parfum pour vivre au rythme de la ville. Le nouveau E tech full Hybrid fait 200 ch. Le monde va changer de base mais l’actionnariat, le cœur de cible et la cible du cœur restent stables : CSP +. Qui ça ? Les bobos ; Ah bon, mais où ça ? Les bobos.

Bourgeois-bohème, Gauche caviar… On dit « Champagne socialist » en Angleterre, « Limousine liberal » en Amérique, en Italie « Radical chic », « Salonkommunist » en Allemagne.

« Pour être anarchistes, il ne nous a manqué que de l’argent » (Alfred Capus).

«Soyons unis face au régime mafieux des mollahs»

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Des manifestants brandissent des portraits des Pahlavi, Strasbourg, 16 janvier 2023 © Jean-Francois Badias/AP/SIPA

Héritier direct au trône du Paon selon la loi de succession impériale, le prince Davoud est membre de la maison des Pahlavi. Enfant, il a vécu les grandes heures de la monarchie iranienne avant d’être contraint de s’exiler avec sa famille en France après la révolution de 1979. À 51 ans, il est un opposant actif au régime des mollahs. Il a été reçu en novembre 2022 au Palais du Luxembourg aux côtés de l’impératrice Farah Pahlavi et de la princesse Noor Pahlavi, fille du prince Reza Shah Pahlavi II, influent porte-parole de l’opposition iranienne. 


Causeur. Le 16 septembre 2022, le décès tragique de Masha Amini a été la « goutte d’eau qui a fait déborder le vase ».  Les Iraniens se sont soulevés contre le régime des mollahs. Frappés par une crise économique, ils réclament de plus en plus de libertés. La répression est violente, et pourtant, si le mouvement montre quelques signes de faiblesse, il demeure toujours aussi actif. Assiste-ton au début de la fin inéluctable du régime théocratique iranien ?

Davoud Pahlavi. Selon moi, on assiste à une vraie révolution qui va changer le cours de l’histoire. Les Iraniens sont épuisés par tant d’années de crise économique. Ils ont perdu tout espoir et n’ont plus rien à perdre. Cela fait quatre mois que les manifestants ne lâchent pas un bout de rue et il faut saluer leur courage, leur ténacité.

Davoud Pahlavi.D.R.

Quelles sont les réelles incidences de ces manifestations sur le régime iranien ?

Je pense que le régime ne s’attendait pas à une telle ampleur de manifestations. Il est évident que le régime craint désormais d’être renversé et cela explique pourquoi le pays a basculé dans un bain de sang. A chaque jour son lot de violence. Une répression ordonnée par un régime mafieux qui n’hésite pas assassiner, ses pères et ses mères, ses fils et filles, ses frères et ses sœurs…

Le rôle des femmes est indéniable dans le déclenchement de cette révolution. En Iran, elles sont des milliers à enlever le voile de leur tête en signe de défiance au régime en place. En France, on a assisté à des manifestations de soutien en faveur de la démocratisation de l’Iran. Mais un certain communautarisme prône le port du voile aux femmes. Comment analysez-vous cette contradiction ?

Je ne suis pas étonné. Les Français doivent savoir que l’Iran finance ce genre de communautarisme, la construction de mosquées qui ont des prédicateurs soumis à Téhéran ou certains mouvements politiques. Je pense que vous avez une idée du parti auquel je fais nettement allusion. Faire tomber le régime des mollahs, c’est déjà enrayer ce communautarisme présent en France.

En 2015, la communauté internationale a signé l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien avec Téhéran. Il a été salué comme une grande avancée avant que les Etats-Unis ne s’en retirent sous le mandat de Donald Trump et y reviennent en fanfare sous celui de Joe Biden. C’est quasiment devenu une arme de chantage pour les mollahs. Peut-on dire que l’Iran a manipulé les Occidentaux pour mieux se renforcer politiquement et militairement ?

On ne peut mieux dire. La République islamique est diplômée en doctorat du mensonge. Ils ont des diplomates de haut-niveau qui ont rapidement appris l’art de la manipulation et il ne faut surtout pas les sous-estimer. Je pense que Donald Trump a très bien fait de sortir de cet accord qui ne fait que profiter aux mollahs. Ceux-là mêmes qui n’hésitent pas à détourner l’aide financière qui est adressée aux Iraniens par la communauté internationale. C’est une vraie mafia institutionnalisée. Les sanctions contre les mollahs sont essentielles et doivent être renforcées.

Comment jugez-vous l’attitude de l’Europe par rapport aux événements actuels qui secouent l’Iran ?

Je la vois de manière très positive, et notamment de la part de la France qui, je le rappelle, conserve une position de leadership sur les questions liées au Moyen-Orient qu’elle connaît bien. Je suis plus critique à l’égard des actions de Joe Biden qui joue un double jeu selon moi. Ménager la chèvre et le chou n’est certainement pas ce qu’il faut faire avec les mollahs. Comprenez-moi bien, il n’est plus dans l’intérêt de personne de continuer à soutenir un tel régime. Nous devons restaurer la démocratie en Iran. Cela profitera à tous économiquement y compris aux Iraniens et aux autres pays. Le Hezbollah sera privé de tout soutien et cessera ses actions de déstabilisation au Liban. Il n’y aura plus de menaces contre l’Etat d’Israël. L’Iran a tissé une toile dont le seul but est d’exporter partout sa révolution. Même la Russie qui a toujours été un allié de l’Iran commence à revoir sa collaboration avec Téhéran. C’est un régime qui est acculé.

L’opposition regroupe divers mouvements politiques mais elle a du mal à se structurer ? Pourquoi ?

Cela fait six mois que les diverses oppositions se parlent, mais il y a également des ambitions personnelles, alors que nous devrions être unis pour les Iraniens. Les distributions de postes ne devraient pas être une priorité sur les agendas des différents partis. Nous devons libérer le pays avant tout et peu importe les différentes idéologies. Nous devons monter dans le train de l’Histoire, c’est impératif. Je ne peux qu’appeler chaque mouvement à montrer l’exemple, faire preuve d’unité et se rassembler derrière le prince Reza Pahlavi qui est un leader naturel et incontournable. Si on aime l’Iran, c’est le devoir national de tous.

L’opposition a-t-elle vraiment des contacts sur place capables de coordonner un mouvement hétéroclite et populaire qui réclame un leader pour le représenter internationalement ?

Oui, nous avons des contacts sur place mais vous comprendrez que je ne peux en dire plus pour des raisons de sécurité des personnes concernées.

Le prince Reza Pahlavi soutient les accords d’Abraham qui normalisent les relations entre Israël et les autres pays arabes. Est-ce important que Jérusalem apporte son soutien à la chute du régime théocratique ? N’y a-t-il pas un risque d’effet kiss-cool alors que l’Iran accuse par exemple les Pahlavi d’être financés par l’Arabie Saoudite ?

La famille impériale n’a jamais été financée par l’Arabie Saoudite. C’est un mensonge qui a été fabriqué par les mollahs. Nous aurons besoin de tous les pays pour reconstruire l’Iran après les mollahs. Israël a toujours été un pays ami du temps du défunt shah, et il me paraît naturel qu’il soit à nos côtés. Nous devons reprendre des relations diplomatiques avec Jérusalem. La chute des mollahs rapprochera les peuples, c’est une évidence pour moi tout comme le retour des Pahlavi en Iran est indispensable pour la stabilité de la région.

Le prince Reza Pahlavi promeut le renversement du régime par des voies pacifiques. On voit aujourd’hui que cela a ses limites et que les résultats escomptés ne sont pas là. Quelle est la stratégie prévue désormais ?

Je vais clarifier vos propos. Quand le prince Reza parle de mouvement pacifique, il sous-entend surtout qu’il ne souhaite pas d’intervention militaire depuis l’extérieur. De l’intérieur, rien n’est à exclure. C’est terrible à dire, mais l’Iran est déjà en guerre civile depuis que les mollahs ont décidé de réprimer durement la révolution. Vous n’imaginez pas les exactions que subissent mes compatriotes. Certains ont déjà pris les armes contre les partisans des mollahs comme les gardiens de la Révolution qui tuent à tour de bras.

Ali Khamenei est le guide suprême de la République islamique d’Iran depuis 1989, date à laquelle est décédé l’ayatollah Khomeiny, tombeur des Pahlavi. On le sait malade, dépressif, paranoïaque. On a eu vent de rivalités internes qui font craindre un remplacement à la tête du pouvoir. Le régime peut-il se durcir au détriment des Iraniens ? 

Plus il est menacé, plus il se durcit. Mais cela veut dire aussi que le pouvoir se sent menacé. On constate que même au sein du gouvernement des voix semblent prêtes à lâcher Khamenei. Le tout est de savoir quand cela va-t-il arriver !?

On sait que la force du régime se trouve dans le corps des Gardiens de la révolution.  L’opposition appelle l’armée à rejoindre les manifestants et Téhéran aurait d’ailleurs purgé ses régiments des éléments sensibles aux manifestations. Quel est l’état d’esprit de l’armée actuellement selon vous ? Peut-elle faire la différence ?

C’est un sujet sensible. Pour moi, avant tout, le peuple est une armée en soi. Les militaires attendent de voir comment la situation va évoluer et le bon moment pour intervenir aux côtés des manifestants. Je suis persuadé qu’ils rejoindront la révolution car ils restent proches du peuple. Ils ont tous un frère, un père, une sœur qui a été arrêté par le régime.

Les Etats-Unis ont été prompts à finir le job en Irak. Pourquoi ne sont-ils toujours pas intervenus en Iran ? C’était pourtant une promesse de campagne du président Trump.

Le prince Reza Pahlavi a raison. Je me répète mais il faut surtout éviter que le pays soit attaqué par une puissance étrangère. Nous ne pouvons pas reproduire l’erreur iraquienne qui reste un désastre que ce soit sur le plan politique ou culturel. Mais rien n’empêche ces pays d‘envoyer des conseillers militaires coordonner tout cela, ou d’armer les résistants iraniens pour qu’ils se battent contre le régime islamique. 

On sait que les Pahlavi sont très populaires parmi la diaspora iranienne. On entend leur nom scandé par les manifestants en Iran. Quel est donc le poids réel de la maison impériale en Iran ? 

Il est important. Les Iraniens restent très nostalgiques du règne du Shah qui a modernisé le pays. Souvenez-vous tout ce que l’impératrice Farah Diba a accompli pour les femmes, les artistes… Des chanteurs internationaux venaient se produire en Iran comme Charles Aznavour, un de mes chanteurs préférés. Le temps s’est brutalement arrêté avec l’avènement des mollahs. Le nom de Pahlavi en Iran est toujours resté synonyme de liberté.

Quel est selon vous le meilleur régime qui devrait être installé en Iran après les mollahs ? Une république laïque, une république parlementaire avec la Sharia, une monarchie constitutionnelle ?

Il y a ce que je pense et la réalité qui doit s’imposer. Naturellement, monarchiste et nationaliste, je préconise le retour d’une monarchie constitutionnelle pour l’Iran avec Reza Pahlavi à sa tête car c’est dans les veines de la culture iranienne. Mais avant de se poser cette question des institutions, mettons d’abord en place un gouvernement d’union nationale qui remettra de l’ordre dans le pays, qui s’attaquera à des sujets sociétaux comme les droits des femmes (fer de lance de la révolution), à la cause environnementale, qui réintroduira du capital dans le pays, et stoppera le chômage actuellement trop important notamment chez les jeunes. Il sera toujours temps, après, de poser la question aux Iraniens sur le type de régime qu’ils souhaitent une fois la stabilité revenue lors d’un référendum ou lors d’élections démocratiques.

Ne craignez-vous pas la talibanisation de l’Iran si le régime des mollahs tombe ? Un gouvernement de coalition nationale est-il réellement envisageable ?

Si on veut éviter ce schéma, il faut impérativement un gouvernement d’union nationale dès le départ et que je souhaite dirigé par le prince Reza Pahlavi, mon cousin. L’Iran ne sera pas l’Afghanistan pour la simple raison que les Iraniens ne souhaitent plus de fous d’Allah au pouvoir. Les partis politiques doivent cesser de s’attaquer les uns les autres, ils doivent agir pour le bien commun de nos compatriotes.

Quel rôle souhaitez-vous jouer dans le processus de transition démocratique ?

Je reste loyal à mon cousin Reza Pahlavi et s’il estime que je peux apporter ma pierre à l’édifice démocratique, je serai à 400% derrière la mission qu’il me confiera. Je suis ambitieux, mais pour mon pays et non pour mon intérêt personnel. Il n’est pas question que l’Iran revive ce qu’il a vécu en 1979 où chacun a tenté de titrer la couverture pour soi alors que le pays sombrait dans l’obscurantisme.

Imaginons un instant que la monarchie soit restaurée. Vous êtes techniquement l’héritier au trône du Paon selon la constitution impériale. Votre cousin n’a que des filles. Accepteriez-vous de céder votre place à la princesse Nour et soutenir son accession comme impératrice d’Iran ?

Du temps de Mohammed Reza Shah, la constitution imposait une succession exclusivement masculine. Les choses peuvent changer et je n’y suis pas opposé. La princesse Nour a toutes les qualités pour être une chef d’État et elle a été formée à bonne école par son père et sa grand-mère, l’impératrice Farah. Elle est très investie dans le combat pour le retour à la démocratie. Etant donné tout ce que les Iraniennes ont supporté durant 40 ans, ce serait légitime qu’elle devienne l’héritière officielle au trône. Elle sera une très belle reine et je soutiendrai cette idée. Elle a du talent.

Comment imaginer-vous l’Iran de demain ?

Une démocratie retrouvée ou chacun aura du cœur à l’ouvrage afin de redonner un avenir à notre pays et la place où il doit être. Un Iran qui doit être aussi neutre que la Suisse et un symbole de paix.

L’ADN de Dracula sous le regard de deux «détectives des protéines»

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Christopher Lee "Dracula" de Terence Fisher (1958) © MARY EVANS/SIPA

Alors que des scientifiques effectuent actuellement des analyses biochimiques sur une lettre écrite par Vlad III l’Empaleur, retour sur la figure d’un prince de Valachie qui inspira l’œuvre majeure de Bram Stoker.


C’est un mythe qui continue de fasciner des générations entières. Celui de Dracula dont l’âme hanterait encore les Carpates et dont l’histoire plonge ses racines au cœur de celles du plus célèbre prince de Roumanie. Le 11 décembre 2022, le quotidien The Guardian a annoncé que Gleb et Svetlana Zilberstein, un couple de scientifiques, s’étaient lancés dans un travail d’analyses biochimiques sur une lettre retrouvée et écrite par le voïvode Vlad III Basarab. Entre le prince de la nuit, figure du gothisme 2.0, et celui de Bessarabie, une plume les sépare : celle de l’écrivain irlandais Bram Stoker qui va inscrire dans le marbre de la littérature son œuvre majeure, déclinée à toutes les sauces ketchup.

Représentation de Vlad Țepeș dans un tableau dépeignant le calvaire du Christ (détail), Vienne, église Notre-Dame-du-Rivage, 1460. D.R.

Sur ce document daté de 1475, où le prince de Valachie informe les habitants de Sibiu de son installation dans la ville, point de traces de morsures canines mais de la sueur, de la salive et des empreintes digitales. Une mine d’or pour ceux qui ont été surnommés les « détectives des protéines », bien qu’ils préfèrent eux-mêmes l’appellation de « chimistes historiques ». Ils ont déjà fait leurs preuves puisqu’ils ont permis de fournir de nombreuses informations sur les modes de vie de Mikhaïl Boulgakov, d’Anton Tchekhov et de George Orwell. Comme ils l’ont donc expliqué au média britannique, ils espèrent pouvoir reconstituer un « portrait moléculaire » de Vlad l’Empaleur et d’en savoir davantage sur « sa santé, ce qu’il mangeait et l’atmosphère dans laquelle il vivait ». D’après Gleb et Svetlana Zilberstein, l’extraction des molécules eut lieu 125 ans, jour pour jour, après la publication du roman de Bram Stoker. Toujours selon leurs dires, la pluie et la foudre se seraient abattues toute la nuit, accompagnées de hurlements de chiens. Une expérience qu’ils qualifient de « mystique » et qui leur fait penser que « le comte Dracula a béni sa libération des archives roumaines ». Mais si cette description théâtrale participe au mythe du noble vampire, qu’en est-il réellement du véritable Vlad Țepeș ?

Une vie mouvementée

Issu de la Maison Basarab, Vlad III naît, entre 1431 et 1436, à Târgoviște, capitale de la Valachie, ou à Sighișoara, en Transylvanie, en des temps troublés, selon une légende popularisée par l’historien roumano-américain Radu Florescu. Durant la première moitié du XVᵉ siècle, le Saint-Empire romain et les pays chrétiens d’Europe de l’Est sont menacés par les Ottomans. L’Empire byzantin vit ses dernières heures avant sa chute définitive en 1453. Les royaumes, comme la Valachie, qui se trouvent entre les deux empires, sont le théâtre de batailles acharnées entre l’islam et le christianisme.

Six siècles après sa mort, Vlad III Drăculea intrigue toujours. En Roumanie, sa figure a même été réhabilitée, lors de la période communiste

Son père Vlad II Dracul était un chevalier du Dragon, un ordre créé en 1408 par Sigismond de Luxembourg, afin de lutter contre les Turcs, dont le symbole était la Bête de l’Apocalypse, d’où son surnom. Vlad III sera d’ailleurs appelé Drăculea (« Fils du Dragon »), dont l’homonymie en roumain désigne aussi le Diable. Un terme qui sera repris par les chroniqueurs occidentaux allemands afin jeter le discrédit sur cette branche des Basarab. En conflit avec le voïvode de Transylvanie et régent hongrois Jean Hunyadi, Vlad II est obligé de s’allier avec l’envahisseur ottoman et envoyer ses fils Vlad et le futur Radu III le Beau en otages, à la cour du sultan. Le voïvode de Transylvanie profite de cette occasion pour assassiner le prince valaque et enterrer vivant son troisième fils Mircea II le Jeune.

De retour d’Andrinople, en 1448, son fils Vlad récupère son trône grâce aux hommes que lui a prêté le pacha Mustafa Hassan. Brièvement chassé, il revient victorieux en 1456 après deux mois d’exil. Il va encore régner six années, durant lesquelles il consolide son pouvoir en centralisant son autorité. En 1462, le prince valaque rompt son alliance avec les Turcs et leur déclare la guerre, allié à Matthias Corvin, le roi de Hongrie, dont il s’est rapproché. S’ensuit alors un terrible conflit, durant lequel Vlad Țepeș s’illustre par sa folie meurtrière, ses excès et son caractère imprévisible. A tel point que le tombeur de Constantinople Mehmet II tente de le faire assassiner dans la nuit du 17 au 18 juin 1462. Si le voïvode parvient à s’enfuir, sa femme va connaître un sort plus funeste. Une légende affirme qu’elle aurait trouvé la mort en tombant du haut de la falaise, au pied de la forteresse de Poenari, alors qu’elle tentait de s’échapper. Radu III le Beau, soutenu par les Ottomans, monte sur le trône de Valachie, laissant Vlad se faire arrêter par le roi de Hongrie qui ne veut plus entendre parler de lui. Ce dernier va le retenir captif pendant douze ans, sous le seul motif de sa réputation. En 1476, il retrouve sa couronne, avant d’être finalement tué au cours d’une bataille contre les Turcs, quelques mois plus tard. Un règne débuté dans le sang qui se termina dans le sang.

Un tyran sanglant

Vlad III est reconnu pour sa cruauté sans limite. Il n’hésitait pas à exécuter le moindre opposant à son autorité. Son châtiment favori était le supplice du pal (d’où son surnom d’Empaleur, – en roumain « Țepeș »), qui consiste à introduire un pieu dans l’anus du condamné, avant de le planter en terre. La victime est alors embrochée, jusqu’à ce que la pointe ressorte par le thorax, les épaules ou la bouche, agonisant dans d’atroces douleurs, décédant d’hémorragie interne, de faim, de soif ou tout simplement dévoré par les vautours. Un bâton arrondi était choisi pour que le supplice fasse moins de dégâts sur les organes internes et que la souffrance dure donc plus longtemps. Selon Johann Christian von Engel, Vlad Țepeș aurait découvert cette pratique, lorsqu’il était en otage chez les Turcs, qui utilisait régulièrement ce supplice. La Chronique de Brodoc contribuera grandement à forger l’image du prince de Valachie en « vampire sanguinaire se repaissant de chair humaine et buvant du sang, attablé devant une forêt de pals ».

C’est lors de son accession, le dimanche de Pâques 1457, qu’il inaugure cette pratique ancestrale. Bien décidé à se venger, il invite les boyards impliqués dans l’assassinat de son père et de son frère aîné, avec leurs familles, à un grand repas. Les femmes et les enfants seront arrêtés, empalés, les hommes obligés de marcher cent kilomètres et de reconstruire une citadelle de leurs mains avant de tous mourir d’épuisement. Sa cruauté sera sans limites. En 1461, il fait clouer les turbans des ambassadeurs de Mehmet II sur leurs crânes pour avoir refusé de les ôter en sa présence, avant de les empaler. Les historiens pensent aujourd’hui que Vlad n’a fait que prendre les devants, car Hamza Bey, l’un des émissaires, avait reçu l’ordre de le tuer ou de le capturer, s’il refusait les conditions du sultan qui marchait alors sur la Valachie. À l’arrivée du dirigeant turc, c’est une forêt d’officiers vaincus et empalés provenant de ses régiments qu’il découvre aux alentours de la demeure du voïvode. Un spectacle qui glacera le sang du souverain ottoman lui-même. Enfin, pour ajouter encore plus à la réputation de ce prince valaque, il se serait débarrassé des minorités encombrantes, telles que les gitans et les mendiants, en les invitant à un banquet et en les faisant brûler vifs…

Six siècles après sa mort, Vlad III Drăculea intrigue toujours. En Roumanie, sa figure a même été réhabilitée, lors de la période communiste, certains Roumains voyant en lui une sorte de justicier luttant contre les élites corrompues de son pays et les puissances étrangères. Avec une nuance toutefois. Dracula n’a été publié en langue roumaine, qu’après la mort de Nicolae Ceaușescu en 1989, afin d’éviter l’amalgame entre un tyran vampire et un dictateur sanguinaire !

L’analyse des différentes traces ADN présentes sur cette lettre pourrait donc nous permettre d’en savoir plus sur son mode de vie. Au risque de renforcer le mythe qui perdure.

De nos jours, Vlad l’Empaleur est une manne touristique fantastique pour le pays, comme l’en témoigne les affiches publicitaires pour les châteaux de Bran, qui ne fut jamais habité par le prince valaque, et de Hunedoara, où il aurait été emprisonné. Enfin, si l’on ne peut établir avec certitude qu’il existe des descendants de Vlad Țepeș, il semblerait qu’il soit un possible ascendant du roi Charles III. Lequel adore la Roumanie. Espérons que nos voisins britanniques ne se feront pas du sang d’encre sur le règne à venir après la lecture de cet article…

Drag queens: elles sont partout!

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Concert "RuPaul's Drag Race Werq The World", Austin, Texas, juillet 2022 © Ralph Arvesen/Shutterstock/SIPA

En Amérique, les drag queens ont envahi l’espace public. Et cela ne doit rien au hasard… Autrefois figures nocturnes et festives, elles sont devenues des figures politiques. Elles pourraient carrément occuper le devant de la scène de la prochaine élection présidentielle américaine.


En Amérique du Nord, on croirait que les drag queens ont littéralement envahi l’espace public. Maintenant, les drag queens sont partout, des émissions de télé aux derniers défilés en passant par les écoles où elles sont parfois chargées d’animer des activités. Évidemment, le tout en bonne partie grâce à l’argent de contribuables qui n’ont jamais voulu de ce vaste programme.

Le 6 février, nous avons même appris que le légendaire Carnaval de Québec – festivités hivernales remontant à 1894 – avait pris l’initiative d’interrompre la très réactionnaire tradition des duchesses, ces «miss» choisies pour incarner l’événement.

«Finies les duchesses, place maintenant aux drag queens et aux drag kings! Leur art flamboyant est à l’honneur cette année, célébré sur un char allégorique pour la toute première fois», se réjouit le journal Le Devoir.

Des figures de scène aux figures militantes

Interprétées par des hommes, les drag queens remplacent les femmes partout où elles peuvent dans un curieux renversement du féminisme. Aujourd’hui, on défend moins les droits des femmes que ceux des trans, nouveaux chouchous de l’establishment.

A lire aussi: Marguerite Stern et Dora Moutot: «Le féminisme actuel a été parasité par l’idéologie transgenre et queer»

Célébrées par le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, et une foule de politiciens, les drags queens sont plus demandées que le père Noël, ce personnage patriarcal de race blanche qu’il vaudrait peut-être mieux oublier au nom du progrès.

Autrefois de colorées et burlesques figures de cabaret, des figures nocturnes et festives défendues par des Charles Aznavour, un nouveau rôle leur a été confié: représenter l’idéologie trans, partager la bonne nouvelle de la déconstruction du «genre», un puissant courant social auquel les enfants et adolescents sont de plus en plus exposés. Généralement au détriment de leur équilibre psychologique.

Vers le transhumanisme

Je rappelle que le transgenrisme nie l’existence des deux sexes, proposant d’abolir les frontières entre le masculin et le féminin. Le transgenrisme rejette la «binarité» sexuelle pour mieux creuser le lit du transhumanisme, une idéologie qui vise «l’amélioration» de l’espèce humaine au moyen de la technologie.

Le corps humain est vu comme un objet destiné à être modelé, comme un simple avatar pouvant être modifié et reconfiguré selon ses aspirations personnelles. Autrement dit selon ses fantasmes. Sans toujours le réaliser, les drags sont devenues les porte-paroles de cette idéologie loin d’être subversive ou antisystème.

Une industrie capitaliste

Car comme l’a bien relevé Libre Média, en Amérique du Nord, le changement de sexe des adultes, mais aussi des enfants étiquetés comme «trans» est soutenu par une florissante industrie médicale et pharmaceutique qui a fait de la diversité son fonds de commerce. C’est très payant, la diversité sexuelle.

La liste des dix principaux contributeurs aux causes transgenres aux États-Unis en 2017-2018 (qui représentaient ensemble 55% de tous les financements) montre le rôle central occupé par Big Pharma dans ce nouveau marché du corps humain.

L’étude du «genre» est aussi devenue un domaine de recherche (ou plutôt d’endoctrinement) à part entière dans des dizaines d’universités occidentales, et certaines sont parmi les plus prestigieuses.

A lire aussi: Réforme des retraites: une étrange omission

Tous les jours aux États-Unis, des médecins sont grassement payés pour opérer des jeunes à qui l’imaginaire ambiant a fait croire qu’ils n’avaient pas le bon corps. Pour cette raison, plusieurs États comme la Floride ont commencé à légiférer pour encadrer sinon interdire certaines pratiques comme le fait de prescrire à des mineurs des bloqueurs d’hormones et de puberté. La question polarise de plus en plus les Américains et risque de s’inviter dans la prochaine campagne présidentielle.

Le wokisme triomphant

La prolifération des drag queens n’est pas la valorisation d’un art de scène un peu olé olé. C’est l’imposition du wokisme à toutes les sphères de la société. Surtout, c’est l’intrusion de la théorie du genre dans l’univers des enfants, une idéologie dont les effets peuvent être pour eux catastrophiques sur le plan psychologique, et irréversibles sur le plan corporel.

Quand il s’agit d’amputer un enfant d’une partie de son corps, le transgenrisme n’est rien d’autre qu’une boucherie criminelle. Il est temps de revenir à la raison.

Un québécois à Mexico: Récit d'un double choc culturel

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Théâtre du Nord, théâtre mort

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D.R.

L’impayable David Bobée a repris les rênes du théâtre du Nord en 2021. Causeur vous dévoile la programmation à venir…


Les Lillois qui apprécient l’art théâtral susceptible de bousculer les codes sont de petits veinards.

Après avoir déconstruit le Dom Juan de Molière, jugé trop viril et violent, en « dégenrant » ou « racisant » certains personnages pour dénoncer les rapports de domination, le sexisme et la glottophobie (discrimination via les langues ou les accents), David Bobée, le directeur du Théâtre du Nord, a prévu deux attractions qui devraient combler les spectateurs progressistes les plus exigeants. Ces derniers pourront voir, fin février, un spectacle intitulé « Prolo not dède », la rencontre entre deux « transfuges de classe », deux « porte-voix des invisibles », deux artistes prolétaires dénonçant le « racisme de classe » et prêts à bouffer du bourgeois pour « venger leur race », j’ai nommé… Corinne Masiero (alias Capitaine Marleau) et… Édouard Louis, l’écrivain « qui couche sa vie dans ses romans pour qu’elle devienne matière à réflexion sociologique », sans doute un futur nobélisable. Il sera question de la violence sociale, des violences faites aux femmes et même des « silences complices », lesquels seront toutefois brisés par une musique du genre tonitruant grâce aux Vaginites, un « trio féministe électro-punk [1] ». Bobée avertit les bourgeois du Nord : « Si t’es allergique au parlé prolo, faut pas venir ! » Ceux qui auront su vaincre leurs préjugés et apprécier ce premier spectacle pourront, en mars, reprendre une ration de théâtre nombriliste. Le metteur en scène Milo Rau et… Édouard Louis présenteront « The Interrogation » et, donc, s’interrogeront : « Est-ce que l’art peut être plus qu’une simple analyse et une reconstitution de la vie ? Ou l’art n’est-il que le témoignage de notre incapacité à nous libérer de notre condition ? » et tout ça. Il est promis des « émotions fortes » pouvant déclencher « l’empathie et la solidarité ».

Assurons les véritables amateurs de théâtre de Lille de toute notre compassion.


[1] Toutes les citations proviennent du site web du Théâtre du Nord.

Il ne faut pas surestimer les Russes

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Soldats russes en Ukraine, localisation non connue © ALEXEY MAISHEV/SPUTNIK/SIPA

Alors qu’une nouvelle offensive russe est attendue avec le printemps sur le front ukrainien, notre penchant à surestimer les capacités de l’armée russe est de retour. Analyses.


La communauté américaine du renseignement a vu juste. Dès 2021 elle a percé avant tout le monde les véritables intentions russes, à travers ce que Churchill avait appelé « un rempart de mensonges » (« In wartime, truth is so precious that she should always be attended by a bodyguard of lies » « En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle doit toujours être protégée par un rempart de mensonges »), c’est-à-dire la dissimulation. En revanche, les spécialistes américains – rejoints sur ce point par presque tous les autres, y compris chinois – se sont lourdement trompés en surestimant les capacités militaires de la Fédération de Russie. Même s’il est vrai qu’il vaut mieux surestimer que sous-estimer l’adversaire, cela reste une erreur, reconnue par les Américains. À leur décharge il faut dire que Poutine lui-même a surestimé ses forces armées ! On peut ajouter un effet de projection (les Russes auraient dû apprendre de leurs erreurs en Géorgie en 2008, comme nous l’aurions fait à leur place) et une longue tradition (pendant la Guerre froide, l’Occident a systématiquement surestimé le renseignement et le matériel des Soviétiques, ce qui explique par ailleurs la surprise de la chute de l’URSS).

Un soi-disant rapport du Mossad

Ces dernières semaines, malgré un mea-culpa généralisé, on peut discerner de nouveau une tendance à surestimer les Russes. Ainsi on peut lire que les Russes ont massé une force énorme composée de soldats nouvellement formés et équipés de quantités de chars, canons et avions et que cette force s’apprête à lancer une attaque contre l’Ukraine. Selon le bimestriel Foreign Policy, les Russes auraient rassemblé 1800 chars, 700 avions et des centaines de milliers d’hommes issus de la « mobilisation partielle » de l’automne [1]. D’autres articles alarmistes se sont succédé, et comme une dynamique de rumeur, les chiffres ont encore gonflé. En même temps, un soi-disant « rapport secret du Mossad » révélant des lourdes pertes ukrainiennes, circulait, essentiellement sur les réseaux sociaux.  Pour ne pas devenir bipolaire à force de faire des va-et-vient entre sur et sous-estimation des forces russes en présence, il faut essayer de s’en tenir aux faits et à l’analyse de ce qui s’est vraiment passé sur le terrain depuis le 24 février 2022. 

À partir de l’analyse des récentes opérations russes à Kreminna, Bakhmout et Vouhledar, on peut constater et affirmer que les avancées russes, lorsqu’elles sont réussies, comme à Bakhmout, ne sont qu’incrémentielles. Il n’y a jamais eu de véritable percée (encore moins l’exploitation d’une percée), et les pertes en hommes et matériel (blindés et aéronefs) sont extrêmement élevées. De plus, à l’inverse des Ukrainiens, nous n’avons pas vu d’unités russes exécuter un manœuvre interarmes qui permettrait de changer rapidement et radicalement la donne sur le champ de bataille, jusqu’à présent.

Or, l’exécution d’une grande offensive interarmes est extrêmement difficile et rien ne permet d’affirmer que les Russes maitrisent cet art. L’exemple le plus frappant et récent nous a été donné lors de l’attaque russe autour de Vouhledar fin janvier / début février. Cette opération a démontré que même les meilleures unités, parmi les mieux entraînées et équipées de l’armée russe (comme l’infanterie de Marine), n’en sont pas capables.

Et puis, il y a la logistique…

Si on peut constater que les Russes arrivent à approvisionner correctement leurs unités d’artillerie, rien ne permet d’affirmer qu’ils sont capables de ravitailler et soutenir logistiquement des centaines de milliers d’hommes et des milliers de blindés en mouvement pendant un engagement plus long et plus dur, sur un front long de centaines de kilomètres.   

Pour entrer dans le détail, rappelons que les grands dépôts russes sont situés hors de portée des HIMARS, c’est-à-dire à des dizaines de kilomètres derrière leurs « clients », les unités de manœuvre et de feu. En conséquence, près du front, les Russes disposent de petits dépôts, éparpillés, et ils doivent compter sur un approvisionnement en flux tendu par des camions faisant la navette depuis les grands dépôts. Dans ces conditions, soutenir une percée exigerait des capacités d’organisation des hommes et du matériel (un grand nombre de camions, de camions citernes, de remorques) que les Russes n’ont pas encore démontré avoir. Quand une armée n’arrive pas à approvisionner régulièrement ses forces qui avancent, alors non seulement elle cesse d’avancer (à court d’essence et de munitions) mais elle devient la proie facile à des contrattaques.

L’idée que les Ukrainiens vont être écrasés par un rouleau compresseur russe exécutant une offensive massive et bien planifiée est donc assez improbable, surtout tant que le pays attaqué demeure alimenté par des renseignements américains et occidentaux de grande qualité. La semaine dernière, le Wall Street Journal détaillait le partage des renseignements américains avec l’Ukraine, dont on sait qu’il a lieu depuis le printemps 2022 [2]

« More of the same »

On a beaucoup parlé de l’apprentissage militaire russe, et de l’importance que cela aura pour toute offensive majeure. Il y a certainement eu des signes d’adaptation de la part de l’armée russe, comme l’éloignement des dépôts. Mais fondamentalement, l’essentiel n’a pas changé. Leurs unités blindées sont incapables de lancer les types d’offensives auxquels beaucoup s’attendaient avant la guerre, et leur armée de l’Air est toujours incapable de maitriser le ciel au-dessus du champ de bataille. Si adaptation il y a eu, c’est justement celle qui a conduit les Russes à utiliser artillerie et infanterie pour réaliser des avancées lentes et couteuses. Les deux dernières semaines, marquées par des pertes russes massives, démontrent que cette manière de se battre n’est pas l’apanage de Wagner et de ses soldats-prisonniers.

Ce à quoi il faut s’attendre, c’est : « more of the same », une accélération du rythme de ce que les Russes ont fait au cours des dernières semaines et des derniers mois. Tant que l’Ukraine dispose de suffisamment de munitions (c’est, pour ce pays attaqué, toujours la considération clé), ces offensives russes massives devraient pouvoir être contenues. On peut même avancer que l’Ukraine a intérêt à voir les Russes dépenser leurs ressources de cette manière.

Tout repose donc sur la résilience de l’Ukraine et de l’alliance qui la soutient, car la Russie n’a pas encore trouvé la clé du coffre-fort.   


[1] https://foreignpolicy.com/2023/02/08/ukraine-russia-counteroffensive-abrams-tanks-putin-war/

[2] https://www.wsj.com/livecoverage/ukraine-zelensky-biden-congress-washington-trip-russia/card/u-s-has-eased-intelligence-sharing-rules-to-help-ukraine-target-russians-6pgEkPNCQRX8z4KBu4V4

La Vendée à l’honneur

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Le Prince Louis de Bourbo se réjouit du succès du film "Vaincre ou Mourir". Photo: Marie-Béatrice Seillant

«Vaincre ou mourir», comme une lueur d’espérance.


Dans une période où les sujets graves abondent, ne faut-il pas voir comme un heureux signe qu’un film – un simple film – fasse l’actualité ?  Je veux parler de Vaincre ou mourir.

Il est rare qu’un film suscite un tel débat. Tel est pourtant le cas de celui réalisé et produit par Le Puy du Fou. Mais, à mon sens, voilà qui n’est pas le fruit du hasard ou de la chance. Ce film arrive au bon moment et est le signe de quelque chose qui le dépasse infiniment. Vaincre ou mourir est un triple symbole.

Symbole d’une France fière de son histoire qui de siècle en siècle a été écrite par des héros qui sont autant de modèles.  Héros que l’on admire car ils ont su tout donner animés par l’honneur, la fidélité, le respect de la parole donnée, le courage physique et mental. Charrette comme les autres combattants de la cause vendéenne était de ceux-là. A peine mort, il est entré dans la légende et deux cent trente ans après les évènements il est toujours un exemple. Il est de la race des héros dont on aime faire des films que l’on revoie, de ceux que l’on retrouve dans la Cité de l’Histoire créée il y a peu à La Défense. Ce film est la réponse à toutes les tentatives de gommer notre histoire de France. La France au contraire la revendique, d’où le succès du film alors même qu’il est en dehors des grands circuits habituels et « dérange » une partie des critiques. L’enthousiasme du public en dit plus que les critiques idéologiques.

Ce film est aussi le symbole d’une province qui depuis le génocide ordonné pour l’exterminer a toujours souhaité marquer son identité. Être fier d’être vendéen. En être fier car cette fierté a été payée par plus de 400 000 morts. A l’heure où certains voudraient voir disparaitre les identités nationales, la Vendée revendique aussi une identité locale. Ce film rappelle qu’il y a des différences notables d’une région à l’autre. Les Vendéens sont uniques et ont payé cette identité de leur sang versé. L’épopée commencée en 1793 est celle de tout un peuple qui a réagi. Cette volonté très forte anime toujours la Vendée qui demeure en France une des régions les plus dynamiques, au taux de chômage inférieur à la moyenne nationale, à la croissance économique supérieure. Ce film a donc trouvé dans les bocages de l’ouest le terreau qui lui fallait et il en incarne le dynamisme. Mémoire et futur y sont intimement liés.

J’en viens à mon troisième point. Ce film me parait être aussi à l’image d’une nouvelle génération qui se lève et qui reprend son destin en mains. Exactement comme il y a 40 ans il fallait redécouvrir une forme de la culture populaire (ce qui fut réalisé par la création, le succès et la croissance du Puy du Fou), il convient désormais de réinvestir tous les pans de la société. Régulièrement remontent vers moi les initiatives de jeunes entrepreneurs qui s’engagent dans les domaines économiques, culturels, de la santé, de l’éducation, demain politiques. Toujours avec succès car ils sont animés du souci du bien commun. Ce film est à cette aune. Il marque un renouveau. Qui aurait pu penser qu’un secteur aussi encadré que celui de la création cinématographique pouvait être bousculé par des initiatives individuelles animées par une intense volonté de faire bien et mieux ? Cette victoire de la volonté est à féliciter.

Vaincre et mourir apparaît bel et bien comme le film d’une espérance retrouvée d’une nouvelle France qui compte gagner et reprendre sa place, dans tous les domaines, dans la vie sociale et dans le concert des nations.

Bars à coquillettes et kebabs: la gastronomie française mondialisée

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Publicité pour le restaurant temporaire proposant des coquillettes dans le centre de Paris. Photo: Capture Instagram

Alors que l’hécatombe des bistrots d’autrefois continue, de nouveaux concepts de restauration, qu’on jugera pratiques ou ridicules selon sa propre sensibilité, prolifèrent dans le pays.


Sans chercher à dénigrer les coquillettes, qui sustentent petits et grands, réjouissant les plus fortunés comme les plus démunis par toutes les saisons, l’idée d’un bar consacré exclusivement à cette petite pâte creuse en forme de demi-lune n’a pu germer que dans l’esprit retors d’un ancien étudiant en école de commerce cherchant à réaliser les plus grosses marges du secteur de la restauration.

Jusqu’au 5 février prochain, vous pourrez donc déguster les coquillettes sous toutes leurs formes dans un « pop-up store » situé rue Saint-Denis et exclusivement dédié à ce produit ménager que tous les étudiants de France possèdent dans leur placard. Pour la modique somme de 12,90 euros, vous aurez l’insigne privilège de repartir avec un bol en carton – il n’y a pas de petites économies -, dans lequel se trouvera un plat d’une simplicité biblique « revisité » et surtout rebaptisé avec un nom en franglish comme le Coqui’chicken boursin qui doit utiliser cet autre standard de la gastronomie française qu’est le fromage à tartiner du même nom.

Le mono-produit présente de nombreux avantages

Il n’en fallait évidemment pas plus pour que quelques internautes facétieux se moquent de cet énième concept, qui n’est d’ailleurs pas nouveau, puisque Toulouse peut déjà se targuer d’avoir un restaurant permanent dont le chef n’est occupé qu’à la difficile confection de recettes employant les coquillettes comme ingrédient principal. Ainsi, une internaute a proposé d’ouvrir un bar à pain de mie où le client tartinera lui-même avec les « toppings » de son choix. Idée géniale s’il en est puisque ce restaurant ne nécessiterait qu’un personnel en nombre limité, le client accomplissant lui-même une bonne part du travail. L’Hippopotamus, le Buffalo Grill cher à Emmanuel Macron, et le Diners à l’américaine des aires d’autoroute ont donc désormais leurs homologues des quartiers-dortoirs estudiantins et des salariés du tertiaire, à Paris comme dans les métropoles provinciales.

A lire aussi: France qui bosse, France qui glande

Des concepts de ce type, qu’on jugera pratiques ou ridicules selon sa propre sensibilité, fleurissent un peu partout en France. La France découvre un type de restauration jusqu’alors réservé à l’Asie ou aux Etats-Unis, hors quelques exceptions comme la chaîne familiale des Relais de l’Entrecôte, où la traditionnelle carte et les menus sont remplacés par un produit décliné en plusieurs recettes. Ceux qui connaissent un peu le monde de l’entreprise auront vite compris le filon. Le mono-produit présente en effet de nombreux avantages concurrentiels. Il demande moins de travail une fois le concept rôdé, n’exige pas un personnel très formé en cuisine, et, last but not least, permet de réaliser d’importants profits.

Même les chefs s’y mettent

Ces raisons poussent donc de nombreux jeunes entrepreneurs à lancer des établissements du genre, mais également des grands chefs qui voient là une occasion de rentabiliser le reste de leurs activités. Certains le font avec succès et lancent des franchises qu’on finira immanquablement par retrouver dans les halls de gares. Citons notamment Michel Sarran, restaurateur doublement étoilé et ancien juré de Top Chef, qui a exporté avec bonheur un peu partout dans l’hexagone son « Croc’Michel ». D’autres ont connu des revers, à l’image de l’Aveyronnais Michel Bras dont les crêpes coniques n’ont pas su faire oublier l’aligot.

Qu’il s’agisse du croque-monsieur, du sandwich au pastrami de la gastronomie juive d’Amérique du Nord, des bo-buns vietnamiens, des paninis transalpins, des gaufres aux formes les plus originales (allez faire un tour dans le Marais pour les découvrir), ou bien sûr de cette création franchouillarde qu’est le tacos banlieusard fourré aux cordons-bleus du Père Dodu, il y a une visée commerciale qui signe aussi malheureusement un appauvrissement culturel et s’appuie sur la livraison à domicile par les plateformes de type Uber Eats. Les confinements dus à l’épidémie de coronavirus ont évidemment renforcé le phénomène mais il serait faux d’affirmer qu’ils en sont la cause unique et le fait générateur.

La gastronomie de la France d’avant disparait

La disparition des bistrots et cafés est une tendance lourde depuis plusieurs décennies. Une étude Statista produite par Tristan Gaudiaut le 5 mai 2020 le montrait très clairement [1]. La France avait 200 000 débits de boisson en 1960, on n’en décompterait plus que 38 800. Pis encore, entre 2010 et 2016, la France a encore perdu 10 000 établissements. Dans les zones rurales, c’est une véritable hécatombe. Il n’est d’ailleurs qu’à se promener dans des villes moyennes de la France dite des préfectures pour en sortir profondément triste – on y trouvera désormais plus facilement kebabs et pizzerias que restaurants traditionnels. Si plus de la moitié des cafés ont disparu en 20 ans, c’est parce qu’il est très difficile d’en faire des entreprises prospères et rentables.

A lire aussi: Vers l’effondrement de la filière sucre française

Paris est aussi touchée. La hausse spectaculaire des loyers couplée à l’apparition de groupes ayant pour stratégie la multiplication de franchises imposent une pression intenable pour le tenancier d’un bistrot familial. Mais il n’y a pas que ça. Il est malheureusement désormais difficile de trouver à Paris comme dans le reste de la France des restaurants bon marché où le choix ne se résume pas à une carte estampillée « Metro » (où vous aurez droit aux mêmes « burgers », salades dites « César », tartares, etc.). La cuisine régionale n’est plus qu’un lointain souvenir, de même que le répertoire bourgeois hérité d’Auguste Escoffier. Ces recettes demandent beaucoup de travail et des produits de qualité. Plus personne ne veut de plats mijotés qui nous obligent à nous installer à table avec une serviette et des couverts. Du reste, les goûts se sont de plus en plus mondialisés, les cartes présentant souvent un mélange d’influences asiatiques, italiennes et américaines, la France se retrouvant avec la portion congrue.

La civilisation française est mortelle

Dans une société liquide et nomade, la cuisine sédentaire ne fait plus vraiment recette. En recherche de terroir et de traditions, les Français s’abandonnent parfois aussi à une forme de caricature, où seule la viande est honorée, négligeant soupes, légumineuses, tartes et autres poules au pot. Les orgies rabelaisiennes de l’humoriste Jason Chicandier en témoignent. Mais que ces quelques excès soient pardonnés, car nous en sommes arrivés à un stade terminal où il semble qu’il faudra bientôt éditer des guides des restaurants authentiquement français pour que les touristes étrangers puissent encore s’y retrouver ! Je force le trait, mais la tendance est réelle. Massimo Mori, chef italien et propriétaire du Mori’s Bar à Paris, l’explique : « La cuisine italienne souffre d’être dénaturée à l’étranger, mais la cuisine française se mondialise en France. C’est triste. Vous avez pourtant une cuisine régionale fabuleuse. J’ai peur qu’elle ne sombre dans l’oubli ».

Si les civilisations sont mortelles, les gastronomies le sont aussi. Quelques chefs font de la résistance. Le Café des Ministères dans le septième arrondissement ou encore un Yves Camdeborde mettent à l’honneur la France éternelle, pas une France figée dans le passé, mais une France qui connait encore les classiques de ses grands-mères paysannes sans s’interdire de les dépoussiérer. Aidons-les et avec eux tous les jeunes chefs qui ne veulent pas passer leur vie à préparer des coquillettes au jambon !

Le non du peuple

Price: 25,00 €

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Gabriel Robin est essayiste (Le Non Du Peuple, Cerf) et directeur de l’Agence Monceau, il travaille avec plusieurs chefs.


[1] https://fr.statista.com/infographie/21597/evolution-du-nombre-de-bistrots-et-cafes-en-france/