Accueil Culture L’ADN de Dracula sous le regard de deux «détectives des protéines»

L’ADN de Dracula sous le regard de deux «détectives des protéines»

Portrait du Roumain Vlad III Basarab, dit «l'Empaleur» ...


L’ADN de Dracula sous le regard de deux «détectives des protéines»
Christopher Lee "Dracula" de Terence Fisher (1958) © MARY EVANS/SIPA

Alors que des scientifiques effectuent actuellement des analyses biochimiques sur une lettre écrite par Vlad III l’Empaleur, retour sur la figure d’un prince de Valachie qui inspira l’œuvre majeure de Bram Stoker.


C’est un mythe qui continue de fasciner des générations entières. Celui de Dracula dont l’âme hanterait encore les Carpates et dont l’histoire plonge ses racines au cœur de celles du plus célèbre prince de Roumanie. Le 11 décembre 2022, le quotidien The Guardian a annoncé que Gleb et Svetlana Zilberstein, un couple de scientifiques, s’étaient lancés dans un travail d’analyses biochimiques sur une lettre retrouvée et écrite par le voïvode Vlad III Basarab. Entre le prince de la nuit, figure du gothisme 2.0, et celui de Bessarabie, une plume les sépare : celle de l’écrivain irlandais Bram Stoker qui va inscrire dans le marbre de la littérature son œuvre majeure, déclinée à toutes les sauces ketchup.

Représentation de Vlad Țepeș dans un tableau dépeignant le calvaire du Christ (détail), Vienne, église Notre-Dame-du-Rivage, 1460. D.R.

Sur ce document daté de 1475, où le prince de Valachie informe les habitants de Sibiu de son installation dans la ville, point de traces de morsures canines mais de la sueur, de la salive et des empreintes digitales. Une mine d’or pour ceux qui ont été surnommés les « détectives des protéines », bien qu’ils préfèrent eux-mêmes l’appellation de « chimistes historiques ». Ils ont déjà fait leurs preuves puisqu’ils ont permis de fournir de nombreuses informations sur les modes de vie de Mikhaïl Boulgakov, d’Anton Tchekhov et de George Orwell. Comme ils l’ont donc expliqué au média britannique, ils espèrent pouvoir reconstituer un « portrait moléculaire » de Vlad l’Empaleur et d’en savoir davantage sur « sa santé, ce qu’il mangeait et l’atmosphère dans laquelle il vivait ». D’après Gleb et Svetlana Zilberstein, l’extraction des molécules eut lieu 125 ans, jour pour jour, après la publication du roman de Bram Stoker. Toujours selon leurs dires, la pluie et la foudre se seraient abattues toute la nuit, accompagnées de hurlements de chiens. Une expérience qu’ils qualifient de « mystique » et qui leur fait penser que « le comte Dracula a béni sa libération des archives roumaines ». Mais si cette description théâtrale participe au mythe du noble vampire, qu’en est-il réellement du véritable Vlad Țepeș ?

Une vie mouvementée

Issu de la Maison Basarab, Vlad III naît, entre 1431 et 1436, à Târgoviște, capitale de la Valachie, ou à Sighișoara, en Transylvanie, en des temps troublés, selon une légende popularisée par l’historien roumano-américain Radu Florescu. Durant la première moitié du XVᵉ siècle, le Saint-Empire romain et les pays chrétiens d’Europe de l’Est sont menacés par les Ottomans. L’Empire byzantin vit ses dernières heures avant sa chute définitive en 1453. Les royaumes, comme la Valachie, qui se trouvent entre les deux empires, sont le théâtre de batailles acharnées entre l’islam et le christianisme.

Six siècles après sa mort, Vlad III Drăculea intrigue toujours. En Roumanie, sa figure a même été réhabilitée, lors de la période communiste

Son père Vlad II Dracul était un chevalier du Dragon, un ordre créé en 1408 par Sigismond de Luxembourg, afin de lutter contre les Turcs, dont le symbole était la Bête de l’Apocalypse, d’où son surnom. Vlad III sera d’ailleurs appelé Drăculea (« Fils du Dragon »), dont l’homonymie en roumain désigne aussi le Diable. Un terme qui sera repris par les chroniqueurs occidentaux allemands afin jeter le discrédit sur cette branche des Basarab. En conflit avec le voïvode de Transylvanie et régent hongrois Jean Hunyadi, Vlad II est obligé de s’allier avec l’envahisseur ottoman et envoyer ses fils Vlad et le futur Radu III le Beau en otages, à la cour du sultan. Le voïvode de Transylvanie profite de cette occasion pour assassiner le prince valaque et enterrer vivant son troisième fils Mircea II le Jeune.

De retour d’Andrinople, en 1448, son fils Vlad récupère son trône grâce aux hommes que lui a prêté le pacha Mustafa Hassan. Brièvement chassé, il revient victorieux en 1456 après deux mois d’exil. Il va encore régner six années, durant lesquelles il consolide son pouvoir en centralisant son autorité. En 1462, le prince valaque rompt son alliance avec les Turcs et leur déclare la guerre, allié à Matthias Corvin, le roi de Hongrie, dont il s’est rapproché. S’ensuit alors un terrible conflit, durant lequel Vlad Țepeș s’illustre par sa folie meurtrière, ses excès et son caractère imprévisible. A tel point que le tombeur de Constantinople Mehmet II tente de le faire assassiner dans la nuit du 17 au 18 juin 1462. Si le voïvode parvient à s’enfuir, sa femme va connaître un sort plus funeste. Une légende affirme qu’elle aurait trouvé la mort en tombant du haut de la falaise, au pied de la forteresse de Poenari, alors qu’elle tentait de s’échapper. Radu III le Beau, soutenu par les Ottomans, monte sur le trône de Valachie, laissant Vlad se faire arrêter par le roi de Hongrie qui ne veut plus entendre parler de lui. Ce dernier va le retenir captif pendant douze ans, sous le seul motif de sa réputation. En 1476, il retrouve sa couronne, avant d’être finalement tué au cours d’une bataille contre les Turcs, quelques mois plus tard. Un règne débuté dans le sang qui se termina dans le sang.

Un tyran sanglant

Vlad III est reconnu pour sa cruauté sans limite. Il n’hésitait pas à exécuter le moindre opposant à son autorité. Son châtiment favori était le supplice du pal (d’où son surnom d’Empaleur, – en roumain « Țepeș »), qui consiste à introduire un pieu dans l’anus du condamné, avant de le planter en terre. La victime est alors embrochée, jusqu’à ce que la pointe ressorte par le thorax, les épaules ou la bouche, agonisant dans d’atroces douleurs, décédant d’hémorragie interne, de faim, de soif ou tout simplement dévoré par les vautours. Un bâton arrondi était choisi pour que le supplice fasse moins de dégâts sur les organes internes et que la souffrance dure donc plus longtemps. Selon Johann Christian von Engel, Vlad Țepeș aurait découvert cette pratique, lorsqu’il était en otage chez les Turcs, qui utilisait régulièrement ce supplice. La Chronique de Brodoc contribuera grandement à forger l’image du prince de Valachie en « vampire sanguinaire se repaissant de chair humaine et buvant du sang, attablé devant une forêt de pals ».

C’est lors de son accession, le dimanche de Pâques 1457, qu’il inaugure cette pratique ancestrale. Bien décidé à se venger, il invite les boyards impliqués dans l’assassinat de son père et de son frère aîné, avec leurs familles, à un grand repas. Les femmes et les enfants seront arrêtés, empalés, les hommes obligés de marcher cent kilomètres et de reconstruire une citadelle de leurs mains avant de tous mourir d’épuisement. Sa cruauté sera sans limites. En 1461, il fait clouer les turbans des ambassadeurs de Mehmet II sur leurs crânes pour avoir refusé de les ôter en sa présence, avant de les empaler. Les historiens pensent aujourd’hui que Vlad n’a fait que prendre les devants, car Hamza Bey, l’un des émissaires, avait reçu l’ordre de le tuer ou de le capturer, s’il refusait les conditions du sultan qui marchait alors sur la Valachie. À l’arrivée du dirigeant turc, c’est une forêt d’officiers vaincus et empalés provenant de ses régiments qu’il découvre aux alentours de la demeure du voïvode. Un spectacle qui glacera le sang du souverain ottoman lui-même. Enfin, pour ajouter encore plus à la réputation de ce prince valaque, il se serait débarrassé des minorités encombrantes, telles que les gitans et les mendiants, en les invitant à un banquet et en les faisant brûler vifs…

Six siècles après sa mort, Vlad III Drăculea intrigue toujours. En Roumanie, sa figure a même été réhabilitée, lors de la période communiste, certains Roumains voyant en lui une sorte de justicier luttant contre les élites corrompues de son pays et les puissances étrangères. Avec une nuance toutefois. Dracula n’a été publié en langue roumaine, qu’après la mort de Nicolae Ceaușescu en 1989, afin d’éviter l’amalgame entre un tyran vampire et un dictateur sanguinaire !

L’analyse des différentes traces ADN présentes sur cette lettre pourrait donc nous permettre d’en savoir plus sur son mode de vie. Au risque de renforcer le mythe qui perdure.

De nos jours, Vlad l’Empaleur est une manne touristique fantastique pour le pays, comme l’en témoigne les affiches publicitaires pour les châteaux de Bran, qui ne fut jamais habité par le prince valaque, et de Hunedoara, où il aurait été emprisonné. Enfin, si l’on ne peut établir avec certitude qu’il existe des descendants de Vlad Țepeș, il semblerait qu’il soit un possible ascendant du roi Charles III. Lequel adore la Roumanie. Espérons que nos voisins britanniques ne se feront pas du sang d’encre sur le règne à venir après la lecture de cet article…



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Drag queens: elles sont partout!
Article suivant «Soyons unis face au régime mafieux des mollahs»

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération