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Réforme des retraites: une étrange omission

La cause des hommes, la chronique de Jean-Michel Delacomptée


Réforme des retraites: une étrange omission
Sœur André, doyenne de l'humanité, est décédée le 17 janvier 2023. ©AP Photo/Daniel Cole/Sipa

Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des mœurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident ?


Parmi les nombreuses questions que pose à tout citoyen intellectuellement honnête la réforme des retraites, il y en a une qui me chiffonne tout particulièrement. À vrai dire, j’hésite à la formuler en public parce que je crains qu’elle soit ridicule. Oui, ridicule, tant je trouve étrange que personne ne la pose. Si personne ne la pose, c’est que la réponse doit être évidente, donc pourquoi la poser ? Il faut être simplet ou naïf, voilà ce que je crains.

La réforme des retraites accusée de pénaliser les femmes

La question est la suivante : sachant que la réforme entend fixer à 64 ans l’âge légal du départ à la retraite, pourquoi la différence d’espérance de vie entre les femmes et les hommes n’est-elle pas prise en compte ? Car les données chiffrées ne laissent aucun doute : selon l’Insee (chiffres de 2022), en France l’espérance de vie à 65 ans est de 23,1 ans pour les femmes, de 19,2 ans pour les hommes. Ce qui fait quasiment quatre ans de différence à l’avantage des premières. Ce n’est pas une broutille, quatre ans, c’est un véritable gouffre à en juger par la lutte acharnée menée par l’ensemble des syndicats contre l’allongement de deux ans du temps de labeur pour une retraite à taux plein.

Le problème ne se limite pas à ces quatre ans de différence. Selon la Drees [1] (chiffres de 2020), l’espérance de vie sans incapacité quand on atteint 65 ans s’établit à 12,1 ans pour les femmes, à 10,6 ans pour les hommes. Autrement dit, non seulement les femmes vivent quatre ans de plus que les hommes mais à partir de 65 ans, elles vivent deux ans de plus qu’eux en jouissant de la pleine possession de leurs moyens. S’il ne s’agit pas d’une inégalité doublement stigmatisante, qu’est-ce qu’une inégalité ?

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Et ce n’est pas tout. L’Insee fournit d’autres données hautement significatives concernant la part de personnes survivantes par âge, selon le niveau de vie et selon le sexe. À suivre les chiffres de 2018 – que le lecteur me pardonne cet effort toujours indigeste – 10 % des hommes meurent avant 60 ans, 12 % avant 62 ans, 14 % avant 64 ans, 25 % avant 73 ans, 50 % avant 84 ans, 90 % avant 95 ans, et 95 % avant 97 ans. Le sort des femmes est nettement plus enviable : 10 % décèdent avant 70 ans, 25% avant 82 ans, 50 % avant 89 ans, 90 % avant 98 ans et 95 % avant 101 ans.

Si l’on s’interroge ensuite sur les déterminants sociaux, on constate qu’un quart des 5 % les plus pauvres décèdent avant leurs 62 printemps, mais qu’au sein des populations les plus pauvres, les femmes vivent là encore plus longtemps que les hommes. Elles « vivent même souvent plus longtemps que les hommes les plus aisés », observe l’Insee.

L’intérêt des statistiques n’étant plus à démontrer quand on veut substituer la réalité des faits aux vapeurs des préjugés et à l’imposture des mensonges, on ne saurait trop insister sur les constats tirés des analyses dûment chiffrées : « Il y a un différentiel très fort entre les hommes et les femmes, confirme la chef de la division des enquêtes et études démographiques à l’Insee citée par Le Figaro. Non seulement les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, mais les différentiels sociaux sont moins marqués chez elles. » Et de préciser : « Une partie de la différence peut s’expliquer par le parcours professionnel, les femmes n’ayant pas forcément les mêmes métiers que les hommes, notamment sur les métiers à risque. »

Un oubli des inspecteurs de la révolution morale en cours

Cet avantage se trouve bien sûr écorné par le montant inférieur des pensions touchées par le « sexe faible », épargné par les métiers à risques mais aussi, plus globalement, les métiers de force qui brisent les reins, broient les épaules et rendent les travailleurs qui se les coltinent incapables de fournir des efforts physiques bien avant la soixantaine. On notera à ce propos que les métiers à risque sont pour l’essentiel assurés par des hommes, ce qui conduit à penser que la virilité prétendument toxique a bon dos mais aussi, en extrapolant, que les rapports entretenus par les hommes avec le risque et, a contrario, par les femmes avec la prudence démentent l’origine strictement culturelle des stéréotypes de genre tout en soulignant le rôle joué par la physiologie dans les comportements humains. De cela, on peut inférer que ce n’est pas un hasard ni un complot du patriarcat si les femmes ont par nature tendance à opter pour les métiers du care, caractérisés par le souci d’autrui, tandis que les hommes tendent à privilégier les emplois fortement tournés vers l’action, c’est-à-dire vers les engins mécaniques, la conquête spatiale, le maintien de l’ordre ou la guerre.

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Les féministes militantes verront dans l’indifférence à la plus faible espérance de vie des hommes une juste manière de contrebalancer l’inégalité qui, à l’âge de la retraite, pénalise les femmes sur le plan financier en conséquence des interruptions de carrière qu’elles ont subies, des fréquents écarts entre leurs salaires et ceux des hommes, de leurs revenus insuffisants au regard de la pénibilité de leurs tâches au long de leur vie professionnelle. À quoi on répondra aisément qu’aux pensions de réversion touchées quand leur conjoint décède, s’ajoutent les trimestres supplémentaires accordés pour chaque naissance, ainsi que le rattrapage salarial déployé par nombre d’entreprises au retour des congés maternité, qui compensent les interruptions de carrière liées aux enfants. Mais, nonobstant mille cas spécifiques, restent les chiffres habituellement avancés selon lesquels les femmes bénéficient en moyenne d’une retraite de 28 % inférieure à celle des hommes, pensions de réversion comprises. Et le meilleur argument pour éviter de tomber dans des compensations de mauvais aloi consiste à refuser par principe de déshabiller Pierre pour habiller Paul.

Aussi revenons aux quatre années d’espérance de vie qui manquent aux hommes en comparaison de celle des femmes et à la question initiale, qui se révèle finalement pertinente : sachant que les inspecteurs de la révolution morale traquent impitoyablement les moindres traces d’inégalité entre les sexes, pourquoi la différence d’espérance de vie à 65 ans – ou à 64 – au détriment des hommes n’est-elle pas prise en compte dans la réforme des retraites ?

Peut-être la réponse tient-elle à la trop grande diversité des situations à examiner et dans la complexité des calculs à effectuer pour intégrer les données subséquentes dans la réforme. Mais il est probable qu’elle réside plutôt dans la volonté tacite, voire inconsciente, de priver le sexe masculin de toute espèce de considération susceptible de contrarier la promotion systématique des intérêts féminins. Ce qui explique sans doute que le culte du progrès aujourd’hui régnant fait passer par pertes et profits, au nom de l’égalité entre les sexes, une inégalité aussi criante.

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[1] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.

Février 2023 – Causeur #109

Article extrait du Magazine Causeur




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Universitaire, romancier et essayiste

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