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Un Gandhi qui en cache un autre

Tushar Gandhi, le petit fils du célèbre indépendantiste hindou mort assassiné, critique le gouvernement indien actuel avec virulence.


Tushar Gandhi, 63 ans, a vécu toute sa vie dans le souvenir de son arrière-grand-père, le Mahatma Gandhi, assassiné en 1948 par Nathuram Vinayak Godse, un nationaliste hindou profondément anti-musulman.  

Relativement absent du débat politique, Tushar Gandhi est pourtant sorti de sa réserve lors d’un entretien à l’Indian Express. Il a pointé du doigt les dérives xénophobes du gouvernement du Premier ministre Narendra Modi, a accusé le Bharatiya Janata Party (BJP) d’être à l’origine des fortes tensions religieuses qui secouent l’ancien joyau de l’Empire britannique et de sacrifier le message de paix et de tolérance du Mahatma sur l’autel des haines. Selon lui, le BJP ne cesse de distiller « une idéologie de division dans le cœur des Indiens ». Tushar Gandhi est d’ailleurs persuadé que Narendra Modi « sait ce qu’il fait en attisant un feu qui consumera un jour l’Inde entière ».

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Érigé en héros national, Nathuram Vinayak Godse est toujours vénéré comme tel par la frange la plus ultra du nationalisme hindou. Ses partisans n’ont pas hésité à lui dédier un temple en 2015 et réclament même, au travers d’une campagne, qu’il soit réhabilité par la justice. Une exigence que condamne le descendant de Gandhi qui entend défendre avec force l’héritage du Mahatma (dont il est le gardien passionné) et qui d’après lui repose sur « l’honnêteté, l’égalité, l’unité et l’inclusion ». Il ne cache cependant pas ses inquiétudes. Compte tenu de la faiblesse de ses challengers potentiels, tout semble confirmer que Modi sera reconduit à la tête de l’État lors des prochaines élections législatives prévues cette année. « Le poison est si profondément ancré dans la société, [les nationalistes] ont tellement de succès, que je ne vois pas mon combat triompher en Inde avant des années » déplore-t-il, résigné. « Mais je reste déterminé à le continuer » affirme-t-il, condamnant un BJP qui ne manque pourtant pas une occasion de se réclamer de son ancêtre, le Père de l’indépendance indienne…

James Bond sous les ciseaux des censeurs

Notre chroniqueur, grand spécialiste des romans de Ian Fleming depuis son enfance, s’insurge violemment contre la dernière initiative de l’éditeur anglais visant à réécrire tout ce qui, dans la saga de 007, offusque tel ou tel segment du wokisme…


« No doubt about it, James Bond is a racist. Although we’re told in Ian Fleming’s novel Diamonds Are Forever (1956) that “Bond had a natural affection for coloured people”, he speaks in fairly unpleasant terms about nearly every black person he meets. » Et de remplacer systématiquement le N-word (nigger, et même negro) par une périphrase du type « black person ».

C’est ce que nous a appris la semaine dernière le bien informé Telegraph. Les « sensitivity readers » — qui s’apparentent désormais à une censure préalable — imposent à Ian Fleming le même traitement qu’à Roald Dahl, auteur de livres pour enfants inconciliables avec l’eau tiède aujourd’hui dominante. Désormais on ne sera plus « gros » dans Charlie et la chocolaterie, les obèses ayant trouvé préjudice à une telle dénomination. « Le personnage d’Augustus Gloop, nous explique Le Soir, ne sera ainsi plus décrit comme « gros » mais « énorme ». Mais les énormes, les baleines sur pieds et autres gras du bide, qui sont légion désormais, ne vont-ils pas se plaindre à leur tour ?

Notons qu’Edwige Pasquier, directrice générale de Gallimard, a expliqué qu’elle ne changerait rien aux traductions de Roald Dahl proposé en France. Merci à elle.

Et les juifs ?

J’ai lu les aventures de James Bond quand j’avais dix ans — et je les ai relues régulièrement, d’abord dans l’édition Plon d’origine, puis en Bouquins. De temps en temps, je les lis encore en anglais — tous les textes sont disponibles sur Internet.

Et en 1966 — j’avais 13 ans — j’ai dévoré dans la revue Communications n°8 un remarquable article d’Umberto Eco, « James Bond, une combinatoire narrative » : le sémiologue italien futur auteur du Nom de la rose, y explique que « la condamnation raciste frappe particulièrement les Juifs, les Allemands, les Slaves et les Italiens, toujours considérés comme des métèques ». Pas particulièrement les Noirs, qui bénéficient même d’une promotion, par exemple dans ce dialogue[1] « tongue in cheek » extrait de Live and let die, comme on dit là-bas, entre M et son agent préféré :

« – I don’t think I’ve ever heard of a great negro criminal before, said Bond. Chinamen, of course, the men behind the opium trade. There’ve been some big-time Japs, mostly in pearls and drugs. Plenty of negroes mixed up in diamonds and gold in Africa, but always in a small way. They don’t seem to take to big business. Pretty law-abiding chaps I should have thought, except when they’ve drunk too much.

– Our man’s a bit of an exception, said M. He’s not pure negro. Born in Haiti. Good dose of French blood. Trained in Moscow, too, as you’ll see from the file. And the negro races are just beginning to throw up geniuses in all the professions — scientists, doctors, writers. It’s about time they turned out a great criminal. After all, there are 250,000,000 of them in the world. Nearly a third of the white population. They’ve got plenty of brains and ability and guts. And now Moscow’s taught one of them the technique. »

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Ah, cette touche de sang français qui relève le niveau… Perfide albion ! Mais enfin, le fait que « Mister Big » soit un agent du KGB l’emporte sur toutes les considérations raciales.

Au passage, les Juifs (dont la nouvelle censure anglaise ne parle pas) sont bien plus stigmatisés que les « negroes » chez Fleming. Les Etats-Unis, qui adorent donner des leçons de démocratie et d’antiracisme au monde, devraient s’insurger contre cette remarque (dans Goldfinger) d’un directeur d’hôtel de Floride qui précise à Bond : « You’d think he’d be a Jew from the name, but he doesn’t look it. We’re restricted at the Floridiana. Wouldn’t have got in if he had been. »

Vous avez bien lu. Dans un roman sorti en 1959, on stipulait calmement qu’un Juif identifié comme tel n’avait pas sa place dans un établissement de luxe américain. Pour les youpins, l’hôtel borgne !

Et les roux ?

Et je passe sur le fait que conformément au standard médiéval, Fleming décide presque systématiquement que les méchants seront roux : Le Chiffre dans Casino Royal, Goldfinger dans le roman éponyme, Drax dans Moonraker, et dans Diamonds are forever un certain Shady Tree, qui est de surcroît bossu : « Bond didn’t remember having seen a red-haired hunchback before. He could imagine that the combination would be useful for frightening the small fry who worked for the gang. »

Double discrimination. J’entends d’ici les bossus se plaindre. Sans doute n’ont-ils pas lu Notre-Dame de Paris, où Quasimodo est le summum du bossu. Ou le roman de Paul Féval, où le beau Lagardère se grime en bossu d’opérette… Ou…

Quant aux homosexuels, ce sont soit des tueurs psychopathes (Wint et Kidd dans Diamonds are forever), soit des lesbiennes qui ne demandent qu’à être remises sur le droit chemin de l’hétérosexualité par un Bond toujours fringant — Tiffany Case dans ce même roman, Tilly Masterton et Pussy Galore (quel nom ! À traduire par « super chatte ») dans Goldfinger.

A ne pas manquer: Causeur: Rééducation nationale «Stop au grand endoctrinement!»

Mais après tout, Gérard de Villiers aussi en a écrit de raides… Peut-être faudrait-il réécrire les aventures de SAS ? Ou passer à la moulinette woke aussi bien Montesquieu (« Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves », écrit-il dans l’Esprit des lois) que Voltaire : « En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre », écrit innocemment le philosophe au chapitre XIX de Candide.
Ainsi s’exprimait le XVIIIe siècle. Ainsi pensait-on dans les années 1950-1960 en Angleterre — et dans la plupart des pays d’Europe. Un texte fournit toujours une vision de l’époque à laquelle il a été écrit. Mais les nouveaux curés qui veulent nous régenter ignorent ces considérations. Ils sont le Bien, et tout le reste est le Mal.

Savonarole a tenté un coup de ce genre à Florence à la fin du XVe siècle. Sa république théocratique a duré cinq ans, il a fait incendier sur son « bûcher des vanités » des quantités monstrueuses de livres et d’œuvres d’art — en particulier des tableaux sublimes, mais païens, de Botticelli. Puis les Florentins, revenant à la raison, l’ont arrêté, torturé, pendu puis brûlé. On en a fait autant aux Nazis qui avaient largement eux aussi pratiqué l’autodafé. Ainsi devraient finir tous les censeurs.
Mais non, nous vivons une époque moins sanglante, n’est-ce pas… Nous n’allons pas sortir notre vieux Walther PPK, le pistolet emblématique de Bond. Contentons-nous de gifler publiquement ces apôtres de la bêtise quand nous en rencontrerons un. Parce que la limite désormais a été dépassée.

Ian Fleming, James Bond 007 t. 1, Bouquins, Robert Laffont, 896 p.

Ian Fleming, James Bond 007 t. 2, Bouquins, Robert Laffont, 864 p.


[1] J’ai cité les extraits des romans en anglais, pour qu’il n’y ait aucune incertitude sur la traduction. Désolé pour ceux qui ne manient pas la langue de Shakespeare et de Ian Fleming.

Il faut sauver la buvette de l’Assemblée nationale

On apprend que la consommation d’alcool est en hausse à la buvette de l’Assemblée. Santé, messieurs les députés! Toutefois, des incidents liés à des excès de boisson, lors des débats sur la réforme des retraites, sont rapportés par la presse. Ils pourraient menacer cette institution tricolore…


La buvette de l’Assemblée nationale est au cœur d’un nouveau scandale ! Le Journal du Dimanche rapporte que la question de la suralcoolisation des députés a été évoquée lors de la réunion du bureau du Palais Bourbon, le 8 février. Le député Sébastien Chenu (RN), vice-président de l’Assemblée nationale et fidèle lieutenant de Marine Le Pen, aurait même proposé l’interdiction totale d’alcool après 21h30, heure à laquelle a été identifié un pic de consommation. Laconique, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (Renaissance), a souhaité que « chaque président de groupe concerné par ce type de comportement gère la situation si elle se présente ».

Le bateau ivre

Rapportées par nos confrères, certaines anecdotes sont croustillantes. « Dans la buvette et dans les jardins, c’était alcool à gogo jusqu’à 3 heures du matin » confie une élue marconiste au JDD. Certains collègues commenceraient à consommer des spiritueux dès 11 heures, pour passer au rhum à partir de 16 heures. D’autres rumeurs, rapportées par le Parisien, évoquent carrément un député Nupes aperçu en train de vomir dans une poubelle… Ces gauchistes ne savent vraiment jamais se tenir ! Affichant sa plus grande sollicitude, Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance, a confié à l’issue de la réunion du bureau de l’Assemblée que « c’est [son] job de faire attention aux écarts et d’être attentifs aux autres ». Autres qui ont la charge d’être attentifs à notre santé collective, alors qu’ils semblent avoir bien du mal à ménager la leur, a-t-on envie de lui répondre… De là à dire que la République est un bateau ivre…

En coulisses, les assistants parlementaires font du commérage alors que les différents groupes se renvoient la responsabilité des incidents évoqués dans la presse.

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Ce n’est pas la première fois que la buvette de l’Assemblée fait parler d’elle. En 2013, Philippe Le Ray, député UMP du Morbihan, avait perturbé l’intervention de la députée EELV de la Vienne, Véronique Massonneau, en imitant le caquetage d’une poule. Les médias avaient complaisamment relayé l’incident. Devant un tel dérapage « sexiste », les députés de gauche avaient fait part de leur indignation, que les collègues de l’élu breton attribuaient, comme pour l’absoudre, à l’alcool.

La vague Coca du macronisme

Nouveaux, changeants ou résurgents, ces comportements tranchent en tout cas avec ceux, plus sobres, de la précédente mandature.

En 2018, la questure de l’Assemblée nationale, chargée de gérer les 550 millions d’euros alloués au fonctionnement du Palais Bourbon (et dans lesquels on trouve notamment les frais de boisson), avait noté une baisse de près de 50% de la vente de bouteilles de vin et d’alcools forts au profit du Coca zéro et de la bière. On se souvient que le grand raz de marée dégagiste de 2017 avait amené à l’Assemblée nombre de novices en politique, souvent issus de la « société civile », c’est-à-dire des élus issus des cabinets de conseil ou du monde de l’entreprise, où les usages ne sont pas les mêmes. Dans l’ennuyeuse « startup nation », les cadres supérieurs réservent souvent l’alcool pour « l’after work » – parfois une simple pinte de bière en terrasse vers 19h, à 4 degrés pour les plus ambitieux.

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À l’inverse, alcool et vie publique sont depuis longtemps inséparables en France. Les vieux routiers de la politique devenaient souvent parlementaires après avoir longtemps cheminé comme élus locaux, maires ruraux, conseillers généraux, présidents de syndicats mixtes… Autant de responsabilités qui commandent de paraitre aux cocktails, diners, réceptions, inaugurations, apéritifs d’associations et évènements le plus souvent arrosés. Dans notre pays, l’alcool est synonyme de vie sociale et finalement de vie publique. Monsieur Duchemain, alias Louis de Funès dans le film « L’aile ou la cuisse » ajoute que « le vin c’est la terre, c’est aussi le soleil » ! Le vin est le plus beau fruit d’un terroir qu’est censé représenter un élu. Au goût pour l’alcool de nos élus d’antan, s’ajoute donc souvent une activité de lobbying en faveur des producteurs de la circonscription. Les plus vieux barmans de la buvette de l’Assemblée se souviennent d’ailleurs des sollicitations d’élus désireux de voir apparaître telle ou telle appellation sur la carte…

Tu m’en remets un petit ?

Heureuse nouvelle donc, nos députés recommencent à lever le coude. À quoi attribuer ce retour aux sources ? Dans une assemblée éclatée en quatre blocs antagonistes, avec une majorité désormais relative et des débats ponctués de coups de gueule, d’obstructions et de suspensions de séance, peut-être que certains élus ont du mal à tenir le choc. Pour supporter la pression, lors de séances qui durent tard la nuit, certains sont tentés de caresser le merlot. L’un d’entre eux, cité par le JDD, révèle les nouveaux usages: « il y a quand même un effet générationnel: plus de vin pour les anciens, plus de bière et de cocktails genre Spritz pour les jeunes, mais moins d’alcools forts genre whisky ». Les élus de la nouvelle génération suivent en cela les évolutions de consommation des Français, qui, depuis plusieurs décennies, délaissent le vin de table.

P. le maudit

L’édito de mars d’Elisabeth Lévy.


Au moment où j’écris ces lignes, cela fait plus de dix jours que la minute de la haine bat son plein sans discontinuer. Le samedi 10 février, au détour tragique d’une route de Seine-et-Marne, la France s’est trouvé un nouveau diable, un salaud intégral que tout le monde aime détester. Pierre Palmade est le Winston d’Orwell, l’ennemi du peuple et du genre humain, qui réconcilie la droite Valeurs actuelles et la gauche Libé, CNews et BFM, Gilbert Collard et Régis de Castelnau, Eddy de Preto et Booba.

Soyons clairs. Ce qu’a fait l’humoriste – prendre le volant défoncé – est irresponsable, irréparable, criminel. Un petit garçon est défiguré à vie, son père, entre la vie et la mort, et sa tante sans doute durablement traumatisée après la perte de son enfant à naître. De plus, ces dernières années, Palmade n’a pas été chiche en confidences intimes et pleurnicheries publiques sur son addiction et ses vaines tentatives pour s’en délivrer. Le public se sent donc autorisé à poursuivre ce dégoûtant déballage : on a appris, par exemple, que des sex-toys avaient été trouvés à son domicile – en quoi cela nous regarde-t-il, est-ce interdit ?

La folle mécanique qui se met en branle dès le lendemain de l’accident, l’hystérie collective qui, des studios aux bistrots, s’empare de toute la France échappe à toute rationalité. Il ne s’agit pas de s’interroger sur l’acte et sur sa sanction légitime, ni sur la meilleure façon de rendre justice à une famille endeuillée. Palmade est le coupable expiatoire, l’exutoire d’une haine mâtinée de bonne conscience d’autant plus féroce qu’elle se drape dans la défense de l’innocence assassinée.

A lire aussi, du même auteur: L’emprise contre-attaque

La France des Gilets jaunes s’étrangle, convaincue qu’il va bénéficier d’un traitement de faveur. Il devrait être en prison, gronde-t-elle par le truchement de ses porte-voix médiatiques, alors que le juge a décidé d’envoyer le mauvais sujet se faire soigner. Et voilà que, divine surprise, on apprend qu’une enquête préliminaire a été ouverte pour « détention d’images pédopornographiques ». Une enquête préliminaire, ça ne veut pas dire grand-chose. Et celle-ci fait suite aux allégations de témoins plutôt louches, dont l’un tente de monnayer son histoire auprès d’une chaîne info. Bref, à ce stade, il n’y a rien de plus que des rumeurs et ragots dont les médias se repaissent, après avoir rituellement précisé que rien n’est confirmé. Sur les plateaux, les spécialistes de la pédophilie succèdent aux experts en cocaïne. Les audiences battent des records. Quel spectacle plus réjouissant qu’une célébrité à terre ?

Il faut dire que cette terrible affaire repose sur un cocktail explosif, idéal pour nourrir tous les fantasmes : drogue, sexe, argent, show-biz. « Les élites sans foi ni loi qui font la leçon au petit peuple. » « Les puissants qui s’adonnent à des orgies en prenant des drogues[1]. » La vie facile, mère de tous les vices. Je ne sais plus qui déclare tranquillement que les artistes ont un devoir d’exemplarité, la bonne blague. On oublie opportunément que l’addiction à la drogue, comme l’alcoolisme, est une maladie. Les drogués sont des salauds. Enfin, les drogués riches.

Puritanisme et complotisme sont les deux mamelles de cette triste France. Palmade devient l’incarnation de ces élites sataniques, pédophiles et décadentes, dont la frange la plus cinglée des trumpistes, les adeptes de QAnon, croit dur comme fer qu’elles dirigent le monde. Chez Cyril Hanouna, Karl Zéro en remet une couche et déclare avec une assurance inébranlable que quand on commence par la drogue, on finit toujours par les enfants. Si Palmade n’est pas en garde à vue, précise-t-il, c’est parce qu’il sait trop de choses, que des puissants sont impliqués. Le haut fait d’armes de Karl Zéro est d’avoir accusé Dominique Baudis de pédophilie (déjà) et autres turpitudes. Cela devrait le disqualifier à jamais mais non, il pérore sur un prétendu scandale d’État sans produire l’ombre d’un fait à l’appui de cette thèse. Les airs entendus suffisent.

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René Girard est sans doute le meilleur guide pour comprendre cette éprouvante séquence. Palmade, c’est l’Autre absolu, le bouc émissaire chargé de tous nos péchés dont le sacrifice réconcilie la communauté. Sa culpabilité est l’aune de notre innocence, nous qui jamais n’avons conduit en ayant bu un verre de trop ni éprouvé le moindre désir inavouable. Il n’appartient plus à l’humanité. Et quiconque se risquerait à avouer un infime mouvement de compassion à son endroit en serait expulsé avec lui. Sous le règne de la vertu, il n’y a pour le pêcheur ni pardon, ni rédemption, ni compassion.

Depuis une semaine, L’Auvergnat de Brassens me trotte dans la tête. « Elle est à toi cette chanson / Toi, l’étranger qui sans façon / D’un air malheureux m’as souri / Lorsque les gendarmes m’ont pris / Toi qui n’as pas applaudi quand / Les croquantes et les croquants / Tous les gens bien intentionnés / Riaient de me voir amené. » Comme tout le monde, j’ai applaudi. Et j’en ai honte.


[1] Messages authentiques, envoyés à un ami qui refusait de hurler avec les loups.

Causeur: Rééducation nationale «Stop au grand endoctrinement!»

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Découvrez le sommaire de notre numéro de mars


Éducation nationale ? Plutôt rééducation nationale, tant l’enseignement y est devenu le vecteur d’une propagande insidieuse. En accompagnement de notre dossier, Éric Zemmour se confie à Elisabeth Lévy et Jonathan Siksou sur le combat culturel qu’il mène contre ce qu’il appelle le « Grand Endoctrinement », cette machine à décerveler et à formater qu’est devenue l’école de la République. Il ne se contente pas de dénoncer les dérives idéologiques en question mais apporte le moyen de les contrer. En à peine six mois, le réseau « Parents vigilants » a rassemblé plus de 40 000 personnes, et les témoignages de parents, professeurs et élèves affluent par milliers de tout le territoire[1]. Causeur présente un florilège de ces textes, souvent aussi hilarants qu’ils sont terrifiants. Selon le président de « Reconquête ! » : « Nous retrouvons à l’école presque tous les maux de notre pays: effondrement de l’État, haine de soi, pertes des repères les plus évidents, violence, offensive islamique, collapsologie pseudo-écolo ». Ou selon un des témoignages : « L’anglais est woke, le français féministe, l’économie marxiste, la géographie écologiste et l’histoire déconstructiviste ». Un ex-enseignant, Paul Rafin, nous raconte comment, pour ne pas subir le désastre de l’Éducation nationale, il a choisi de travailler dans les établissements privés sous contrat, mais y a trouvé les mêmes méthodes que dans l’instruction publique. Notre ministre de l’Éducation nationale est-il woke ? Jean-Baptiste Roques trouve que la question est à nuancer car Pap Ndiaye est en fait un virtuose du « en même temps », capable de défendre un jour l’universalisme républicain et le lendemain le racialisme américain. Si, comme le souligne Françoise Bonardel, les élèves sont plus que jamais « déconstruits » à l’école, les choses ne vont pas mieux à l’université ou dans les écoles supérieures. Selon Alexandre de Galzain, ces établissements sont aussi gangrénés par les idéologies progressistes que l’enseignement primaire et secondaire. Et les écoles de journalisme occupent une place de choix sur le podium de la pensée unique, voire totalitaire.

Le nouveau numéro de « Causeur » est en vente. En une de notre numéro 110, l’ancien candidat à la présidentielle Eric Zemmour s’attaque au sujet de l’Education nationale © Causeur

Quel spectacle plus réjouissant qu’une célébrité à terre ? Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy analyse l’affaire Pierre Palmade : la transformation de l’humoriste en ennemi du peuple a réussi à réconcilier la droite Valeurs actuelles et la gauche Libé. Certes, ses actes sont irresponsables, irréparables et criminels, mais les médias ont fait de lui le parfait bouc émissaire. Chargé de tous nos péchés, son sacrifice réconcilie la communauté. En mettant en garde contre le déclin des vertus masculines chez les hommes, Vincent Cassel s’est-il montré misogyne ? Que nenni ! répond Jean-Michel Delacomptée qui, dans sa chronique, défend la nécessité du courage physique dans toute société qui entend survivre. Emmanuelle Ménard continue à nous raconter sa vie à l’Assemblée. Entre les simagrées de l’extrême gauche et de la majorité, elle a assisté au « lynchage » (métaphorique) d’Adrien Quatennens par ses collègues élus au moment où il a pris la parole. Commentaire : « Parfois, j’ai honte d’être député ». Olivier Dartigolles dénonce les efforts de la majorité pour réformer les retraites : « Plus ils expliquent leur projet injuste, et plus le pays le rejette ».

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Nous voyageons dans une terre aujourd’hui méconnaissable, rebaptisée le Belgistan, et notre cicérone est Céline Pina. La bombe démographique qui y couve, suite à des conventions migratoires signées avec le Maroc et la Turquie, pourrait faire de la Belgique le premier État musulman d’Europe. Se confiant à Gil Mihaely, Arno Klarsfeld soutient qu’il est impossible d’accueillir l’Ukraine au sein de l’UE tant qu’elle érigera en héros des génocidaires de l’époque nazie. Le général Vincent Desportes explique que, si après la chute de l’URSS, nous avons créé une armée de maintien de la paix, il faut maintenant reconstruire une armée capable de nous protéger sur notre sol, dans l’éventualité d’une guerre longue et de haute intensité. En conversation avec Gil Mihaely, Denis Sassou-Nguesso, le président de la République du Congo et le dernier chef d’État issu de la génération de la décolonisation, porte un regard lucide et apaisé sur le passé. Selon lui, « tout n’a pas été négatif dans la colonisation ». Jean-Luc Gréau et Philippe Murer tirent les leçons de ce qui est la pire performance commerciale de la France depuis l’après-guerre, avec un déficit de 164 milliards d’euros. Les remèdes pour sortir du déclin existent, mais l’UE nous les interdit.

Pour épater le bourgeois, surtout le petit bourgeois, peu sont mieux qualifiés à notre époque que la chanteuse et actrice, Afida Turner. Vulgaire pour les uns, iconique pour les autres, sa façon de jouer de son corps va à l’encontre des codes du nouveau féminisme. Yannis Ezziadi s’entretient avec ce phénomène de société. D’une femme scandaleuse à une autre… Jérôme Leroy salue la parution dans la collection Pléiade d’un nouveau volume des œuvres de Colette qui, selon lui, est grande parce qu’elle ne connaît ni le vice ni la vertu. Il était temps de redécouvrir le compositeur Ambroise Thomas. Figure emblématique de son époque, sa renommée s’est éteinte avec lui en 1896. Julien San Frax nous parle d’une nouvelle production très attendue de son opéra, Hamlet, à l’Opéra Bastille. Si vous avez souffert d’entendre parler partout ces derniers temps d’Annie Ernaux, Didier Desrimais vous propose un remède : la lecture de deux livres de Bruno Lafourcade, un écrivain indispensable pour nous aider à traverser notre époque.

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Aux amateurs de Proust, Patrick Mandon propose un recueil de pastiches. Quant aux amateurs de Giacometti, Pierre Lamalattie les met en garde contre le projet de la Fondation du sculpteur qui consiste à investir l’ancienne gare des Invalides. Une folie des grandeurs qui doit, pour attirer le public contemporain, faire la part belle au marchandising et s’ouvrir aux « modernités plurielles ». Que ce soit à Paris, Madrid ou Amsterdam, certaines expositions artistiques valent le déplacement ; Georgia Ray est partie en éclaireuse les visiter pour nous. Jean Chauvet accueille d’un œil bienveillant la sortie d’un film français consacré, non à la vie d’un couple en chambre de bonne, mais à la politique. Pendant qu’Emmanuel Tresmontant cherche son pain quotidien et trouve le meilleur, non à la campagne, mais en ville. Ivan Rioufol déplore la manière dont le pouvoir macronien cherche à compenser sa faiblesse en muselant ses critiques. Pour terminer, Marsault nous offre une belle leçon de politesse. Après tout, il vaut mieux être bien éduqué que subir la rééducation.


[1] Le mouvement est coordonné par Sarah Knafo et Damien Rieu – voir le site www.protegeons-nos-enfants.fr.

Armer l’Ukraine ou la laisser mourir

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Si l’Ukraine a su remporter tant de victoires spectaculaires en une année de combats acharnés, c’est notamment en raison des armes qu’elle avait entre les mains. Volodymyr Zelensky parcourt sans relâche la planète pour en réclamer d’autres, parce qu’il sait que sans elles, une victoire ukrainienne est impossible.


L’Ukraine n’est pas tombée. Ni en trois jours. Ni en un an. Si elle n’est pas tombée, ce n’est pas seulement en raison de l’incroyable capacité de résistance du peuple ukrainien, qui se bat au front comme à l’arrière. Ce n’est pas seulement par cette abnégation qui conduit les guerriers ukrainiens à mourir en masse à Bakhmout, pourvu que leurs envahisseurs meurent davantage encore. Ce n’est pas seulement du fait de l’intelligence du commandement, qui a réussi un quasi sans faute en 12 mois de combat. Ce n’est pas seulement en raison de la spectaculaire médiocrité de l’armée russe, son commandement défectueux, sa planification incertaine, sa faible capacité au combat interarmes ou sa logistique des plus bancales.

Si l’Ukraine a su, à Kiev, à Tchernihiv, à Sumy, à Karkhiv, à Mikolaïv, à Kherson, remporter tant de victoires spectaculaires en une année de combats acharnés, c’est notamment en raison des armes qu’elle avait dans les mains.

Les Russes tirent quatre fois plus d’obus que les Ukrainiens

Si le président ukrainien parcourt le monde occidental, de Washington à Bruxelles, en réclamant sans relâche des armes, les plus nombreuses, les plus modernes, les plus performantes possible, c’est parce qu’il sait que c’est dans cette donnée essentielle que résidera la victoire ukrainienne.

Les soldats ukrainiens sont dotés des mêmes armes soviétiques que les Russes, de l’AK-47 Kalashnikov au char de combat T-72. Les arsenaux des pays de l’Union européenne anciennement membres du pacte de Varsovie sont en train d’être vidés au profit de l’Ukraine mais cela reste très insuffisant : l’Ukraine tire quatre fois moins d’obus de 155 mm que ce que la Russie envoie chaque jour sur les lignes ukrainiennes.

L’Ukraine a su développer ses systèmes d’armes propres, dont la performance a stupéfié la marine russe. C’est un missile antinavire Neptune, de conception soviétique mais d’amélioration purement ukrainienne, qui a entraîné par le fond la frégate Moskva, navire amiral de la flotte russe de la mer Noire. Depuis, les navires de surface de la flotte russe sont condamnés à se cacher dans les ports de Sébastopol et Novorossisk, en se contentant par moments de lancer des missiles de croisière à grande distance du littoral ukrainien. Les perspectives de débarquement russe sur le littoral ukrainien sont désormais exclues.

Mais c’est bien la fourniture à l’Ukraine par les Anglais et les Américains, entre 2014 et 2022, de systèmes d’armes lance-missiles, qui a permis la débâcle russe lors du premier mois de l’invasion. Si les carcasses de centaines de chars russes dont beaucoup de modèles récents se sont entassées devant les grandes villes ukrainiennes, c’est largement grâce aux missiles antichars Javelin américains et NLAW britanniques. Si les pointes blindées de l’armée russe, lancées à travers tout le nord-est de l’Ukraine ont dû reculer, c’est notamment parce que les camions de logistique censés les ravitailler se faisaient détruire en masse par les lance-missiles portables fournis par les Occidentaux. Si à compter de l’été, toute la planification logistique et de commandement russe a été bouleversée et repoussée chaque jour un peu plus vers l’arrière, c’est à la précision et au potentiel de destruction des lance-roquettes multiples HIMARS américains que les Ukrainiens doivent leur succès. Si les hélicoptères de combat et de transport de l’assaillant sont tombés comme des mouches lors de l’assaut initial sur l’aéroport d’Hostomel, c’est avant tout grâce aux Stinger américains. Si aujourd’hui le ciel d’Ukraine est vide d’avions russes au-delà des lignes de front, si les vagues de drones kamikazes et de missiles de croisière tombant sur les villes ukrainiennes sont de moins en moins efficaces, c’est grâce à la densité de la défense aérienne armée de ces lance-missiles (dont les Crotale français). L’arrivée prochaine des Patriot américains renforcera celle-ci de façon décisive.

Si demain le soutien s’arrête…

Lance-missiles, chars, avions, navires, radars, munitions en quantité, en ajoutant l’entraînement requis pour exploiter ces systèmes d’armes complexes qui surclassent de loin les meilleures armes russes : autant de conditions qui s’avèreront décisives pour une victoire de l’Ukraine.

Si en revanche le soutien occidental, américain, européen, français, devait s’interrompre, alors l’Ukraine tomberait. Malgré la bravoure, la vaillance, l’inventivité et la foi dans sa cause du peuple ukrainien, le rapport de force démographique et matériel permettrait alors à la Russie de l’emporter.

Nombre de voix en France et ailleurs, portées par la volonté de paix et la peur d’une escalade incontrôlable, demandent l’arrêt du soutien en armes à l’Ukraine, afin de privilégier l’organisation de négociations de paix. Ces pacifistes se leurrent. Il n’y aura pas de négociations de paix tant qu’une armée n’aura pas pris un avantage décisif sur l’autre.

L’Ukraine veut la libération de tout le territoire qui lui a été volé, du Donbass à la Crimée, en passant par les rives du Dniepr. La Russie elle, veut la conquête de l’Ukraine. « L’Ukraine n’a aucun droit à la souveraineté » affirmait le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov au déclenchement du conflit. Si les colonnes de chars russes ont foncé de Tchernobyl à Kiev, aux premières heures de cette guerre, si les « référendums » de rattachement à la Russie ont été organisés dans les oblasts de Zaporijia et Kherson, ce n’est pas pour « libérer » le Donbass, mais pour asservir et annexer la totalité du territoire ukrainien, de Donetsk à Lviv, de Kiev à Odessa.

Si l’Ukraine cesse d’être armée, l’Ukraine tombera. Si l’Ukraine tombe, la Russie la prendra toute entière. Puis la Moldavie. Puis la Biélorussie. Puis le corridor de Suwalki reliant celle-ci à Kaliningrad finira par jouer le même rôle que le corridor de Dantzig en 1939.

In fine, au-delà de toutes les postures, des espoirs, des regrets et des rêves de paix, cette guerre absurde se résume pour nous, Européens à un choix simple: armer l’Ukraine ou la laisser mourir.

Et s’ils laissaient Edouard Philippe un peu tranquille?

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Le 25 mars, le premier congrès d’Horizons se tiendra à Paris. Depuis des mois, l’ancien Premier ministre développe une stratégie politique qui agace Emmanuel Macron. C’est au point qu’on peut se demander si le président de la République n’a pas déjà choisi de soutenir Bruno Le Maire ou Gerald Darmanin pour la suite. Analyse.


Je suis persuadé qu’Édouard Philippe sera considéré comme coupable de son succès, de la même manière que tout lui est reproché par les macronistes depuis qu’Emmanuel Macron l’a remplacé comme Premier ministre. Souvenez-vous : Édouard Philippe avait commis le crime de lèse-majesté de demeurer devant le président dans les sondages…

Une dissidence subtile

Les avanies, la condescendance, les accusations de déloyauté n’ont jamais cessé depuis. Comme s’il faisait peur et, à la fois, troublait par sa discrétion calculée. On a presque l’impression que l’idéal, pour les adversaires de son camp, inspirés et stimulés par Emmanuel Macron, serait de le voir disparaître de la joute politique. Laurent Marcangeli, député de la 1ere circonscription de Corse du Sud et chef de file des députés Horizons, a raison : « Notre existence dérange. Qu’Édouard soit populaire, qu’il crée son parti, qu’il ait un groupe parlementaire, ça déplaît. » Profondément le malaise vient du fait que la démarche d’Édouard Philippe échappe au schéma classique qui voudrait qu’une personnalité rejetée et jalousée ne puisse s’abandonner qu’à l’alternative suivante: se révolter avec perte et fracas ou se fondre dans la masse majoritaire et espérer dans le futur.

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Édouard Philippe a choisi une dissidence plus subtile. Il n’est pas tout à fait et pleinement dedans, il n’est pas à l’évidence dehors. Il essaie de sauvegarder son indépendance et sa liberté en instillant une opposition délicate, en proposant des mesures autonomes trop systématiquement écartées, parfois à juste titre comme l’instauration de peines minimales d’un an d’emprisonnement contre les récidivistes jugés coupables de délits de violences contre les forces de l’ordre.

Quand Édouard Philippe s’attache à « l’ordre des comptes et à l’ordre dans la rue », lorsqu’il vise la politique des chèques et regrette trop de concessions sur le plan des retraites, nul doute qu’il jette dans le jardin présidentiel et celui de la majorité relative des pierres offensantes dans un univers habitué à plier et à obéir.

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Son alopécie complaisamment commentée

Ces aigreurs qu’Édouard Philippe maîtrise et distille à doses homéopathiques, mêlées à son aura qui persiste et s’amplifie parmi les personnalités qui comptent pour 2027, doivent être d’autant plus insupportables pour le président qu’il n’oublie sans doute pas que durant son premier mandat, le Premier ministre avait commis quelques erreurs fondamentales qui ont obéré son bilan. Il n’empêche que, si Édouard Philippe a tactiquement un problème – le problème de tous ceux qui ont été et voudraient être. Que faire en attendant ? – et qu’il tente « de résoudre l’équation entre la loyauté et la différenciation… en montrant aux Français qu’il n’est pas Macron tout en étant loyal », l’attitude du pouvoir à son encontre n’est pas digne.

La joie mauvaise et diffuse avec laquelle son alopécie a été commentée comme si elle ruinait son avenir, le contraignant à se défendre : « ça n’est ni douloureux ni dangereux ni contagieux ni grave », la dérision avec laquelle on moque sa stratégie qui n’est pas médiatique mais se consacre à « un grand travail d’entraînement, de réflexion et d’enracinement », son caractère secret qui laisse présumer des menaces constantes contre le macronisme, sont autant de signes qui démontrent que le président est plus préoccupé par la volonté de bloquer Édouard Philippe que par celle d’entraver le futur de Bruno Le Maire ou de Gérald Darmanin.

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Si le destin d’Édouard Philippe ne me laisse pas indifférent, cela tient à deux raisons. D’une part, dans le camp macroniste, il me paraît la personnalité la plus singulière, la plus réfléchie. D’autre part, est-il exclu que, chez LR qu’il a quitté, il puisse un jour redevenir une option ? En attendant ce qui adviendra et qui est imprévisible, s’ils laissaient tous Édouard Philippe un peu tranquille ?

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Alchimie des marges

Le nouveau film de Clément Cogitore, étrange et poétique, nous fait découvrir le petit commerce d’un immigré manipulateur, dans la Goutte d’or, quartier pour le moins métissé du nord de Paris. Critique.


La nuit, sur un terrain vague Porte de la Chapelle, en bordure de la capitale, une pelle de chantier vomit sa charge de gravats. Prélude de Goutte d’Or, dernier opus du jeune et très brillant artiste-installateur, photographe, cinéaste et metteur en scène lyrique Clément Cogitore, à qui l’on doit, outre la mémorable régie des Indes galantes de Rameau, à l’Opéra en 2017, un premier long métrage en 2015, l’étrange et magnifique film de guerre Ni le ciel ni la terre, avec Jérémie Renier dans le rôle principal et, deux ans plus tard, un documentaire d’exception: Braguino.

Karim Leklou et Clément Cogitore, sur le tournage. Photo : Laurent le Crabe / Diaphana

Ramsès à Barbès

Ce vieux quartier populaire de Paris, de longue date miné par la petite délinquance et que le cinéaste connait comme sa poche pour y avoir vécu naguère, fournit au film son titre si poétique, bien en accord avec la magie propre à l’esthétique de Cogitore. De fait, si le récit s’inscrit dans une forme de réalisme qui intègre sans détour, dans l’authentique décor urbain qui en est la toile de fond, la composante anthropologique particulière à cette zone interlope qu’est devenue la Goutte d’Or, le film, très vite, nous emporte, hors des sentiers battus du naturalisme à la française, vers des confins qui ont partie liée avec la mystique et l’hallucination. 

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Ramsès (excellemment campé par le comédien Karim Leklou), homme entre deux âges, grassouillet au regard charbonneux, se fait habilement passer pour un médium auprès d’une clientèle locale infiniment crédule, appâtée par des tracts distribués par des « petites mains » au pied de la station de métro Barbès-Rochechouart, lieu de tous les trafics dans la réalité parisienne, comme chacun sait. De proche en proche (et l’art souverain de Cogitore consiste à divulguer graduellement, par touches, les indices d’une intrigue de plus en plus improbable) l’on prend la mesure des subterfuges par lesquels cette petite mafia de la voyance, sous le patronage de Ramsès, a mis au point une technique (qu’on ne déflorera pas dans ces lignes) pour leur laisser accroire que ses dons rappellent les morts ici-bas. Thérapie salutaire conduite par un escroc : Cogitore exploite cette ambigüité de main de maître.

© Diaphana Distribution

Faune d’immigrés et d’enfants voyous

Dans les rets de ce manipulateur inspiré, « mage » secourable à l’air vaguement égaré et à la physionomie christique, gravite une faune d’immigrés africains ou maghrébins, à laquelle s’adjoint bientôt une périlleuse bande de mioches, incontrôlables laissés pour compte de l’immigration clandestine tangéroise, dangereux enfants-voyous qui survivent en chapardant, en agressant ou en vendant de la came. Immersion dans les marges de ce Paris contemporain violent, exogène et tribal, où une langue française paupérisée, grevée d’imprécations et de jurons – « sur la chatte de ta mère ; je te nique … », etc. – dans laquelle s’entremêlent des idiomes « deridja », Goutte d’or, comique par instants, finit par prendre la dimension polyglotte d’une fable orientaliste : si Cogitore est sociologue, c’est en poète. 

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Chargé de trouble et de mystère mais soutenu par une dramaturgie captivante de bout en bout, ce faux polar urbain investit avec acuité ce microcosme géographique : depuis la citadelle HLM du vieux père de Ramsès, happé lui aussi par ses propres croyances irrationnelles, jusqu’à l’univers parallèle des marabouts qui se font concurrence sur ce marché de niche, des petites frappes mineures terrorisent la zone, des athlétiques maître-chiens vigiles de parking noirs d’ébène, comme surgis d’un conte de fées, participent de cette loi de la jungle… La mort s’invite au cœur du film, sous les traits d’un enfant dont Ramsès retrouvera magiquement la dépouille abandonnée au milieu de l’un de ces monstrueux chantiers dont la ceinture de Paris est aujourd’hui le siège…

Se tenant à l’écart de toute intention édifiante sur fond de présupposés idéologiques attendus (comme son titre pouvait le faire redouter), Goutte d’Or façonne, adossé à cet arrière-plan anthropologique et géographique finement observé, une vivifiante alchimie poétique.     

Goutte d’Or. Film de Clément Cogitore Avec Karim Leklou. France Durée : 1h38. En salles le 1er mars 2023

La longue nuit du dodo

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En se donnant pour objectif de ressusciter le dodo, la start-up américaine Colossal Biosciences s’offre un gros coup de pub. Récit.


A l’entrée du Muséum national d’histoire naturelle trône le dodo, un oiseau exotique lourd et lent, au plumage bleu-gris, doté d’ailes atrophiées qui ne lui permettaient pas de voler. Le volatile, endémique de l’Île Maurice, a disparu à la fin du XVIIe siècle. Trop flegmatique, trop peu méfiant à l’égard des humains, trop rêveur peut-être, rien n’a pu le sauver. Il fut la cible d’une chasse acharnée.

Apprentis-sorciers

Aujourd’hui, la start-up américaine Colossal Biosciences, basée au Texas, entend faire entrer le dodo dans un processus de « dé-extinction », grâce au séquençage d’un ADN ancien et à des technologies de clonage. L’entreprise – soutenue par la CIA et Paris Hilton (c’est vrai…) – envisage aussi de ressusciter le mammouth laineux, qui balançait jadis ses défenses avantageuses de la Sibérie au sud de Malakoff.

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Bien sûr les observateurs râlent : c’est scientifiquement infaisable ! Pourquoi se lancer dans une telle entreprise alors qu’il serait préférable de sauver des espèces qui sont aujourd’hui en voie d’extinction ? L’entreprise, elle, espère le doux miel du retour sur investissement. Hitler, en son temps, avait encouragé les célèbres biologistes Lutz et Heinz Heck à recréer l’auroch sauvage – monstrueux animal disparu dans la nuit des temps, et ancêtre des bovins domestiques actuels. Leurs aurochs germaniques bricolés à base de croisements génétiques furent lâchés dans la forêt primaire de Białowieża, dans la Pologne occupée par les nazis. Les animaux ne semblent pas avoir survécu à la nature, à la guerre et aux humains. L’époque n’était pas propice. Toutes ces initiatives arrivaient peut-être trop tôt.

Les apprentis-sorciers de demain – revenant sur les temps récemment perdus – chercheront sûrement à recréer en laboratoire certains spécimens disparus : le gaulliste de gauche, l’homme non déconstruit, la femme au foyer, le berger allemand, la femme à barbe, le poinçonneur des Lilas, le communiste historique…

Martine Aubry parvient à faire interdire la soirée privée «Qu’ils retournent en Afrique»

Les propos tenus dans l’officine identitaire, «La Citadelle», sont-ils parfois discutables? C’est fort possible. Mais les manœuvres judiciaires de Martine Aubry, pour faire fermer le lieu, ne le sont pas moins. Aidé du préfet, le maire de Lille a réussi à faire interdire une soirée polémique, vendredi dernier, mais le Tribunal administratif a annulé son arrêté municipal ordonnant la fermeture de l’établissement.


Connaissez-vous l’histoire de La Citadelle ? Il y a les grands récits du Moyen-Âge et de l’époque moderne, et il y a ce récit invraisemblable de la mi-février 2023, que je me dois de vous narrer.

Bon public de ce tour de passe-passe, la presse a accepté de confondre encore une fois ce qui déplaît avec ce qui est interdit

La Citadelle est une association qui a le tort d’être chauvine. Pour vous donner une idée fidèle de son registre, je vous dirais qu’elle avait organisé pour le 24 février une soirée intitulée « Qu’ils retournent en Afrique ! », en référence à la frasque du député Grégoire de Fournas.

Martine et la justice, Martine et les journalistes

Le maire de Lille, qui n’est autre que Martine Aubry, a cru trouver là le moyen de faire fermer l’officine de ce club en se vantant dans la presse d’avoir porté un coup fatal à une dangereuse mouvance d’extrême-droite. Ce thème provocateur justifiait-il une telle mesure ? Visiblement non, puisque dans l’arrêté municipal ordonnant la fermeture de l’officine, la décision était motivée par le non respect de la règlementation concernant les établissements recevant du public. Est-ce que Martine Aubry mentait à la presse ou est-ce qu’elle mentait à la justice ?

Le décalage entre la transparence des motifs politiques poursuivis par le maire de Lille et la discrétion du motif d’ordre public utilisé effectivement faisait apparaître l’invocation de la loi pour ce qu’elle était : un simple prétexte. Or quand une autorité publique se sert d’un pouvoir de police à des fins étrangères à celles qui sont prévues pour l’exercice de ce pouvoir, elle commet un détournement de pouvoir.

Que révèle cette instrumentalisation de la loi ? Elle révèle le caractère misérable et clandestin des positions du maire. Si Martine Aubry invoquait devant l’opinion publique un motif qu’elle n’osait invoquer sur le papier, c’est que ce motif du racisme supposé de l’association visée n’était pas sérieux.

A relire, Céline Pina: Scandale à l’Assemblée: dérapage raciste ou instrumentalisation politique?

L’association La Citadelle promeut l’identité nationale et se positionne contre l’immigration irrégulière. Il n’en fallait pas plus pour que la matronne lilloise et la presse nationale ne vouent La Citadelle aux gémonies. Dans un excès de déontologie journalistique, des médias comme Libération ou France Info se sont intéressés à ce que pensaient les gens de gauche de cette initiative, plutôt qu’à ce qu’en disent les lois.

Un boys club droitard dans le viseur de Martine Aubry depuis longtemps

Tout va bien dans le meilleur des mondes, quand Martine Aubry affirme à l’AFP : « Depuis louverture en 2016, je nai eu de cesse de trouver des moyens pour les faire interdire, considérant quils navaient pas leur place dans la ville ». 

Vous croyiez ainsi être dans un État de droit où les réunions privées ne peuvent être interdites pour des motifs politiques ? Halte là ! D’un coup de baguette magique, la fée Martine vous en fait une réunion publique. Il suffit d’accuser un adversaire politique de raciste pour en faire interdire les événements. La question capitale qui n’a jamais été posée demeure donc celle-ci : est-ce à cette vieille baronne joufflue du Parti socialiste de déterminer à la place de la justice ce qui constitue une provocation à la haine raciale ?

La fée Martine choisit le procès d’intention plutôt que le procès, la tribune médiatique plutôt que la barre du tribunal, c’est pour cela qu’elle est la fée Martine.

Bon public de ce tour de passe-passe, la presse a accepté de confondre encore une fois ce qui déplaît avec ce qui est interdit. Mais dans un État de droit, ce n’est pas ce qui déplaît à la fée Martine qui est interdit, c’est ce qui contrevient aux lois.

Par une ordonnance de référé du 24 février, le Tribunal administratif de Lille, plus sensible que Martine Aubry au fait qu’il existe un État de droit, a suspendu la décision tant saluée de fermeture de l’officine, mettant fin à cette sinistre fumisterie. L’officine de l’association La Citadelle rouvrira ses portes. Aussitôt, la fée Martine rend un nouvel arrêté d’interdiction de la soirée qui devait avoir lieu. Sur quel fondement cette fois-ci ? Aucun, sinon la vague incantation de l’ordre public.

Une horde de milices d’extrême-gauche, soutenues par de la racaille parlementaire du nom de LFI, manifestent leur intolérance à l’égard d’un bar nationaliste. Dans ce nouveau monde gauchiste, ce sont les associations communistes, les syndicats, la milice antifasciste, ce sont des gens qui se cachent le visage et qui brandissent des barres en fer qui décident de qui peut s’installer ou pas dans une rue. C’est une nouvelle idée de l’ordre public. C’est moderne sans vraiment l’être.

Derrière les questions juridiques initiales, cette affaire s’inscrit dans un climat de prédation politique, de discrimination revendiquée et de tentative de justice populaire, qui est le fait exclusif de l’extrême-gauche. Les mêmes petites fées qui parasitent le fonctionnement d’une association parfaitement licite sont celles qui laissent impunies les atteintes aux biens et aux personnes commises par des bandes au visage masqué qui se réclament de l’antifascisme, ce sont les mêmes qui ne surveillent pas les devantures vandalisées, qui tardent à traiter les plaintes des personnes agressées ou menacées de mort, les mêmes qui, par leur carence, trahissent leur complaisance.

Dans l’imaginaire gauchiste, l’arbitraire autocentré tient lieu de loi. Mais dans la vraie vie, c’est la loi qui tient lieu de loi. Entre la gauche et l’Etat de droit, l’une est de trop.

Un Gandhi qui en cache un autre

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Tushar Gandhi (au centre) entouré de ses soutiens, Mumbai, novembre 2022 © Vijay Bate/Hindustan Times/Shutt/SIPA

Tushar Gandhi, le petit fils du célèbre indépendantiste hindou mort assassiné, critique le gouvernement indien actuel avec virulence.


Tushar Gandhi, 63 ans, a vécu toute sa vie dans le souvenir de son arrière-grand-père, le Mahatma Gandhi, assassiné en 1948 par Nathuram Vinayak Godse, un nationaliste hindou profondément anti-musulman.  

Relativement absent du débat politique, Tushar Gandhi est pourtant sorti de sa réserve lors d’un entretien à l’Indian Express. Il a pointé du doigt les dérives xénophobes du gouvernement du Premier ministre Narendra Modi, a accusé le Bharatiya Janata Party (BJP) d’être à l’origine des fortes tensions religieuses qui secouent l’ancien joyau de l’Empire britannique et de sacrifier le message de paix et de tolérance du Mahatma sur l’autel des haines. Selon lui, le BJP ne cesse de distiller « une idéologie de division dans le cœur des Indiens ». Tushar Gandhi est d’ailleurs persuadé que Narendra Modi « sait ce qu’il fait en attisant un feu qui consumera un jour l’Inde entière ».

À lire aussi, du même auteur: Le maire blanc, homosexuel et zoulouphone qui fait trembler la classe politique sud-africaine

Érigé en héros national, Nathuram Vinayak Godse est toujours vénéré comme tel par la frange la plus ultra du nationalisme hindou. Ses partisans n’ont pas hésité à lui dédier un temple en 2015 et réclament même, au travers d’une campagne, qu’il soit réhabilité par la justice. Une exigence que condamne le descendant de Gandhi qui entend défendre avec force l’héritage du Mahatma (dont il est le gardien passionné) et qui d’après lui repose sur « l’honnêteté, l’égalité, l’unité et l’inclusion ». Il ne cache cependant pas ses inquiétudes. Compte tenu de la faiblesse de ses challengers potentiels, tout semble confirmer que Modi sera reconduit à la tête de l’État lors des prochaines élections législatives prévues cette année. « Le poison est si profondément ancré dans la société, [les nationalistes] ont tellement de succès, que je ne vois pas mon combat triompher en Inde avant des années » déplore-t-il, résigné. « Mais je reste déterminé à le continuer » affirme-t-il, condamnant un BJP qui ne manque pourtant pas une occasion de se réclamer de son ancêtre, le Père de l’indépendance indienne…

James Bond sous les ciseaux des censeurs

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Sean Connery, "James Bond", "Les diamants sont éternels" (1971) © REX FEATURES/SIPA

Notre chroniqueur, grand spécialiste des romans de Ian Fleming depuis son enfance, s’insurge violemment contre la dernière initiative de l’éditeur anglais visant à réécrire tout ce qui, dans la saga de 007, offusque tel ou tel segment du wokisme…


« No doubt about it, James Bond is a racist. Although we’re told in Ian Fleming’s novel Diamonds Are Forever (1956) that “Bond had a natural affection for coloured people”, he speaks in fairly unpleasant terms about nearly every black person he meets. » Et de remplacer systématiquement le N-word (nigger, et même negro) par une périphrase du type « black person ».

C’est ce que nous a appris la semaine dernière le bien informé Telegraph. Les « sensitivity readers » — qui s’apparentent désormais à une censure préalable — imposent à Ian Fleming le même traitement qu’à Roald Dahl, auteur de livres pour enfants inconciliables avec l’eau tiède aujourd’hui dominante. Désormais on ne sera plus « gros » dans Charlie et la chocolaterie, les obèses ayant trouvé préjudice à une telle dénomination. « Le personnage d’Augustus Gloop, nous explique Le Soir, ne sera ainsi plus décrit comme « gros » mais « énorme ». Mais les énormes, les baleines sur pieds et autres gras du bide, qui sont légion désormais, ne vont-ils pas se plaindre à leur tour ?

Notons qu’Edwige Pasquier, directrice générale de Gallimard, a expliqué qu’elle ne changerait rien aux traductions de Roald Dahl proposé en France. Merci à elle.

Et les juifs ?

J’ai lu les aventures de James Bond quand j’avais dix ans — et je les ai relues régulièrement, d’abord dans l’édition Plon d’origine, puis en Bouquins. De temps en temps, je les lis encore en anglais — tous les textes sont disponibles sur Internet.

Et en 1966 — j’avais 13 ans — j’ai dévoré dans la revue Communications n°8 un remarquable article d’Umberto Eco, « James Bond, une combinatoire narrative » : le sémiologue italien futur auteur du Nom de la rose, y explique que « la condamnation raciste frappe particulièrement les Juifs, les Allemands, les Slaves et les Italiens, toujours considérés comme des métèques ». Pas particulièrement les Noirs, qui bénéficient même d’une promotion, par exemple dans ce dialogue[1] « tongue in cheek » extrait de Live and let die, comme on dit là-bas, entre M et son agent préféré :

« – I don’t think I’ve ever heard of a great negro criminal before, said Bond. Chinamen, of course, the men behind the opium trade. There’ve been some big-time Japs, mostly in pearls and drugs. Plenty of negroes mixed up in diamonds and gold in Africa, but always in a small way. They don’t seem to take to big business. Pretty law-abiding chaps I should have thought, except when they’ve drunk too much.

– Our man’s a bit of an exception, said M. He’s not pure negro. Born in Haiti. Good dose of French blood. Trained in Moscow, too, as you’ll see from the file. And the negro races are just beginning to throw up geniuses in all the professions — scientists, doctors, writers. It’s about time they turned out a great criminal. After all, there are 250,000,000 of them in the world. Nearly a third of the white population. They’ve got plenty of brains and ability and guts. And now Moscow’s taught one of them the technique. »

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Ah, cette touche de sang français qui relève le niveau… Perfide albion ! Mais enfin, le fait que « Mister Big » soit un agent du KGB l’emporte sur toutes les considérations raciales.

Au passage, les Juifs (dont la nouvelle censure anglaise ne parle pas) sont bien plus stigmatisés que les « negroes » chez Fleming. Les Etats-Unis, qui adorent donner des leçons de démocratie et d’antiracisme au monde, devraient s’insurger contre cette remarque (dans Goldfinger) d’un directeur d’hôtel de Floride qui précise à Bond : « You’d think he’d be a Jew from the name, but he doesn’t look it. We’re restricted at the Floridiana. Wouldn’t have got in if he had been. »

Vous avez bien lu. Dans un roman sorti en 1959, on stipulait calmement qu’un Juif identifié comme tel n’avait pas sa place dans un établissement de luxe américain. Pour les youpins, l’hôtel borgne !

Et les roux ?

Et je passe sur le fait que conformément au standard médiéval, Fleming décide presque systématiquement que les méchants seront roux : Le Chiffre dans Casino Royal, Goldfinger dans le roman éponyme, Drax dans Moonraker, et dans Diamonds are forever un certain Shady Tree, qui est de surcroît bossu : « Bond didn’t remember having seen a red-haired hunchback before. He could imagine that the combination would be useful for frightening the small fry who worked for the gang. »

Double discrimination. J’entends d’ici les bossus se plaindre. Sans doute n’ont-ils pas lu Notre-Dame de Paris, où Quasimodo est le summum du bossu. Ou le roman de Paul Féval, où le beau Lagardère se grime en bossu d’opérette… Ou…

Quant aux homosexuels, ce sont soit des tueurs psychopathes (Wint et Kidd dans Diamonds are forever), soit des lesbiennes qui ne demandent qu’à être remises sur le droit chemin de l’hétérosexualité par un Bond toujours fringant — Tiffany Case dans ce même roman, Tilly Masterton et Pussy Galore (quel nom ! À traduire par « super chatte ») dans Goldfinger.

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Mais après tout, Gérard de Villiers aussi en a écrit de raides… Peut-être faudrait-il réécrire les aventures de SAS ? Ou passer à la moulinette woke aussi bien Montesquieu (« Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves », écrit-il dans l’Esprit des lois) que Voltaire : « En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre », écrit innocemment le philosophe au chapitre XIX de Candide.
Ainsi s’exprimait le XVIIIe siècle. Ainsi pensait-on dans les années 1950-1960 en Angleterre — et dans la plupart des pays d’Europe. Un texte fournit toujours une vision de l’époque à laquelle il a été écrit. Mais les nouveaux curés qui veulent nous régenter ignorent ces considérations. Ils sont le Bien, et tout le reste est le Mal.

Savonarole a tenté un coup de ce genre à Florence à la fin du XVe siècle. Sa république théocratique a duré cinq ans, il a fait incendier sur son « bûcher des vanités » des quantités monstrueuses de livres et d’œuvres d’art — en particulier des tableaux sublimes, mais païens, de Botticelli. Puis les Florentins, revenant à la raison, l’ont arrêté, torturé, pendu puis brûlé. On en a fait autant aux Nazis qui avaient largement eux aussi pratiqué l’autodafé. Ainsi devraient finir tous les censeurs.
Mais non, nous vivons une époque moins sanglante, n’est-ce pas… Nous n’allons pas sortir notre vieux Walther PPK, le pistolet emblématique de Bond. Contentons-nous de gifler publiquement ces apôtres de la bêtise quand nous en rencontrerons un. Parce que la limite désormais a été dépassée.

Ian Fleming, James Bond 007 t. 1, Bouquins, Robert Laffont, 896 p.

Ian Fleming, James Bond 007 t. 2, Bouquins, Robert Laffont, 864 p.


[1] J’ai cité les extraits des romans en anglais, pour qu’il n’y ait aucune incertitude sur la traduction. Désolé pour ceux qui ne manient pas la langue de Shakespeare et de Ian Fleming.

Il faut sauver la buvette de l’Assemblée nationale

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On apprend que la consommation d’alcool est en hausse à la buvette de l’Assemblée. Santé, messieurs les députés! Toutefois, des incidents liés à des excès de boisson, lors des débats sur la réforme des retraites, sont rapportés par la presse. Ils pourraient menacer cette institution tricolore…


La buvette de l’Assemblée nationale est au cœur d’un nouveau scandale ! Le Journal du Dimanche rapporte que la question de la suralcoolisation des députés a été évoquée lors de la réunion du bureau du Palais Bourbon, le 8 février. Le député Sébastien Chenu (RN), vice-président de l’Assemblée nationale et fidèle lieutenant de Marine Le Pen, aurait même proposé l’interdiction totale d’alcool après 21h30, heure à laquelle a été identifié un pic de consommation. Laconique, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (Renaissance), a souhaité que « chaque président de groupe concerné par ce type de comportement gère la situation si elle se présente ».

Le bateau ivre

Rapportées par nos confrères, certaines anecdotes sont croustillantes. « Dans la buvette et dans les jardins, c’était alcool à gogo jusqu’à 3 heures du matin » confie une élue marconiste au JDD. Certains collègues commenceraient à consommer des spiritueux dès 11 heures, pour passer au rhum à partir de 16 heures. D’autres rumeurs, rapportées par le Parisien, évoquent carrément un député Nupes aperçu en train de vomir dans une poubelle… Ces gauchistes ne savent vraiment jamais se tenir ! Affichant sa plus grande sollicitude, Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance, a confié à l’issue de la réunion du bureau de l’Assemblée que « c’est [son] job de faire attention aux écarts et d’être attentifs aux autres ». Autres qui ont la charge d’être attentifs à notre santé collective, alors qu’ils semblent avoir bien du mal à ménager la leur, a-t-on envie de lui répondre… De là à dire que la République est un bateau ivre…

En coulisses, les assistants parlementaires font du commérage alors que les différents groupes se renvoient la responsabilité des incidents évoqués dans la presse.

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Ce n’est pas la première fois que la buvette de l’Assemblée fait parler d’elle. En 2013, Philippe Le Ray, député UMP du Morbihan, avait perturbé l’intervention de la députée EELV de la Vienne, Véronique Massonneau, en imitant le caquetage d’une poule. Les médias avaient complaisamment relayé l’incident. Devant un tel dérapage « sexiste », les députés de gauche avaient fait part de leur indignation, que les collègues de l’élu breton attribuaient, comme pour l’absoudre, à l’alcool.

La vague Coca du macronisme

Nouveaux, changeants ou résurgents, ces comportements tranchent en tout cas avec ceux, plus sobres, de la précédente mandature.

En 2018, la questure de l’Assemblée nationale, chargée de gérer les 550 millions d’euros alloués au fonctionnement du Palais Bourbon (et dans lesquels on trouve notamment les frais de boisson), avait noté une baisse de près de 50% de la vente de bouteilles de vin et d’alcools forts au profit du Coca zéro et de la bière. On se souvient que le grand raz de marée dégagiste de 2017 avait amené à l’Assemblée nombre de novices en politique, souvent issus de la « société civile », c’est-à-dire des élus issus des cabinets de conseil ou du monde de l’entreprise, où les usages ne sont pas les mêmes. Dans l’ennuyeuse « startup nation », les cadres supérieurs réservent souvent l’alcool pour « l’after work » – parfois une simple pinte de bière en terrasse vers 19h, à 4 degrés pour les plus ambitieux.

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À l’inverse, alcool et vie publique sont depuis longtemps inséparables en France. Les vieux routiers de la politique devenaient souvent parlementaires après avoir longtemps cheminé comme élus locaux, maires ruraux, conseillers généraux, présidents de syndicats mixtes… Autant de responsabilités qui commandent de paraitre aux cocktails, diners, réceptions, inaugurations, apéritifs d’associations et évènements le plus souvent arrosés. Dans notre pays, l’alcool est synonyme de vie sociale et finalement de vie publique. Monsieur Duchemain, alias Louis de Funès dans le film « L’aile ou la cuisse » ajoute que « le vin c’est la terre, c’est aussi le soleil » ! Le vin est le plus beau fruit d’un terroir qu’est censé représenter un élu. Au goût pour l’alcool de nos élus d’antan, s’ajoute donc souvent une activité de lobbying en faveur des producteurs de la circonscription. Les plus vieux barmans de la buvette de l’Assemblée se souviennent d’ailleurs des sollicitations d’élus désireux de voir apparaître telle ou telle appellation sur la carte…

Tu m’en remets un petit ?

Heureuse nouvelle donc, nos députés recommencent à lever le coude. À quoi attribuer ce retour aux sources ? Dans une assemblée éclatée en quatre blocs antagonistes, avec une majorité désormais relative et des débats ponctués de coups de gueule, d’obstructions et de suspensions de séance, peut-être que certains élus ont du mal à tenir le choc. Pour supporter la pression, lors de séances qui durent tard la nuit, certains sont tentés de caresser le merlot. L’un d’entre eux, cité par le JDD, révèle les nouveaux usages: « il y a quand même un effet générationnel: plus de vin pour les anciens, plus de bière et de cocktails genre Spritz pour les jeunes, mais moins d’alcools forts genre whisky ». Les élus de la nouvelle génération suivent en cela les évolutions de consommation des Français, qui, depuis plusieurs décennies, délaissent le vin de table.

P. le maudit

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Pierre Palmade au Parc des Princes, le 13 mai 2012 © MYSTY/SIPA

L’édito de mars d’Elisabeth Lévy.


Au moment où j’écris ces lignes, cela fait plus de dix jours que la minute de la haine bat son plein sans discontinuer. Le samedi 10 février, au détour tragique d’une route de Seine-et-Marne, la France s’est trouvé un nouveau diable, un salaud intégral que tout le monde aime détester. Pierre Palmade est le Winston d’Orwell, l’ennemi du peuple et du genre humain, qui réconcilie la droite Valeurs actuelles et la gauche Libé, CNews et BFM, Gilbert Collard et Régis de Castelnau, Eddy de Preto et Booba.

Soyons clairs. Ce qu’a fait l’humoriste – prendre le volant défoncé – est irresponsable, irréparable, criminel. Un petit garçon est défiguré à vie, son père, entre la vie et la mort, et sa tante sans doute durablement traumatisée après la perte de son enfant à naître. De plus, ces dernières années, Palmade n’a pas été chiche en confidences intimes et pleurnicheries publiques sur son addiction et ses vaines tentatives pour s’en délivrer. Le public se sent donc autorisé à poursuivre ce dégoûtant déballage : on a appris, par exemple, que des sex-toys avaient été trouvés à son domicile – en quoi cela nous regarde-t-il, est-ce interdit ?

La folle mécanique qui se met en branle dès le lendemain de l’accident, l’hystérie collective qui, des studios aux bistrots, s’empare de toute la France échappe à toute rationalité. Il ne s’agit pas de s’interroger sur l’acte et sur sa sanction légitime, ni sur la meilleure façon de rendre justice à une famille endeuillée. Palmade est le coupable expiatoire, l’exutoire d’une haine mâtinée de bonne conscience d’autant plus féroce qu’elle se drape dans la défense de l’innocence assassinée.

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La France des Gilets jaunes s’étrangle, convaincue qu’il va bénéficier d’un traitement de faveur. Il devrait être en prison, gronde-t-elle par le truchement de ses porte-voix médiatiques, alors que le juge a décidé d’envoyer le mauvais sujet se faire soigner. Et voilà que, divine surprise, on apprend qu’une enquête préliminaire a été ouverte pour « détention d’images pédopornographiques ». Une enquête préliminaire, ça ne veut pas dire grand-chose. Et celle-ci fait suite aux allégations de témoins plutôt louches, dont l’un tente de monnayer son histoire auprès d’une chaîne info. Bref, à ce stade, il n’y a rien de plus que des rumeurs et ragots dont les médias se repaissent, après avoir rituellement précisé que rien n’est confirmé. Sur les plateaux, les spécialistes de la pédophilie succèdent aux experts en cocaïne. Les audiences battent des records. Quel spectacle plus réjouissant qu’une célébrité à terre ?

Il faut dire que cette terrible affaire repose sur un cocktail explosif, idéal pour nourrir tous les fantasmes : drogue, sexe, argent, show-biz. « Les élites sans foi ni loi qui font la leçon au petit peuple. » « Les puissants qui s’adonnent à des orgies en prenant des drogues[1]. » La vie facile, mère de tous les vices. Je ne sais plus qui déclare tranquillement que les artistes ont un devoir d’exemplarité, la bonne blague. On oublie opportunément que l’addiction à la drogue, comme l’alcoolisme, est une maladie. Les drogués sont des salauds. Enfin, les drogués riches.

Puritanisme et complotisme sont les deux mamelles de cette triste France. Palmade devient l’incarnation de ces élites sataniques, pédophiles et décadentes, dont la frange la plus cinglée des trumpistes, les adeptes de QAnon, croit dur comme fer qu’elles dirigent le monde. Chez Cyril Hanouna, Karl Zéro en remet une couche et déclare avec une assurance inébranlable que quand on commence par la drogue, on finit toujours par les enfants. Si Palmade n’est pas en garde à vue, précise-t-il, c’est parce qu’il sait trop de choses, que des puissants sont impliqués. Le haut fait d’armes de Karl Zéro est d’avoir accusé Dominique Baudis de pédophilie (déjà) et autres turpitudes. Cela devrait le disqualifier à jamais mais non, il pérore sur un prétendu scandale d’État sans produire l’ombre d’un fait à l’appui de cette thèse. Les airs entendus suffisent.

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René Girard est sans doute le meilleur guide pour comprendre cette éprouvante séquence. Palmade, c’est l’Autre absolu, le bouc émissaire chargé de tous nos péchés dont le sacrifice réconcilie la communauté. Sa culpabilité est l’aune de notre innocence, nous qui jamais n’avons conduit en ayant bu un verre de trop ni éprouvé le moindre désir inavouable. Il n’appartient plus à l’humanité. Et quiconque se risquerait à avouer un infime mouvement de compassion à son endroit en serait expulsé avec lui. Sous le règne de la vertu, il n’y a pour le pêcheur ni pardon, ni rédemption, ni compassion.

Depuis une semaine, L’Auvergnat de Brassens me trotte dans la tête. « Elle est à toi cette chanson / Toi, l’étranger qui sans façon / D’un air malheureux m’as souri / Lorsque les gendarmes m’ont pris / Toi qui n’as pas applaudi quand / Les croquantes et les croquants / Tous les gens bien intentionnés / Riaient de me voir amené. » Comme tout le monde, j’ai applaudi. Et j’en ai honte.


[1] Messages authentiques, envoyés à un ami qui refusait de hurler avec les loups.

Causeur: Rééducation nationale «Stop au grand endoctrinement!»

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© Causeur

Découvrez le sommaire de notre numéro de mars


Éducation nationale ? Plutôt rééducation nationale, tant l’enseignement y est devenu le vecteur d’une propagande insidieuse. En accompagnement de notre dossier, Éric Zemmour se confie à Elisabeth Lévy et Jonathan Siksou sur le combat culturel qu’il mène contre ce qu’il appelle le « Grand Endoctrinement », cette machine à décerveler et à formater qu’est devenue l’école de la République. Il ne se contente pas de dénoncer les dérives idéologiques en question mais apporte le moyen de les contrer. En à peine six mois, le réseau « Parents vigilants » a rassemblé plus de 40 000 personnes, et les témoignages de parents, professeurs et élèves affluent par milliers de tout le territoire[1]. Causeur présente un florilège de ces textes, souvent aussi hilarants qu’ils sont terrifiants. Selon le président de « Reconquête ! » : « Nous retrouvons à l’école presque tous les maux de notre pays: effondrement de l’État, haine de soi, pertes des repères les plus évidents, violence, offensive islamique, collapsologie pseudo-écolo ». Ou selon un des témoignages : « L’anglais est woke, le français féministe, l’économie marxiste, la géographie écologiste et l’histoire déconstructiviste ». Un ex-enseignant, Paul Rafin, nous raconte comment, pour ne pas subir le désastre de l’Éducation nationale, il a choisi de travailler dans les établissements privés sous contrat, mais y a trouvé les mêmes méthodes que dans l’instruction publique. Notre ministre de l’Éducation nationale est-il woke ? Jean-Baptiste Roques trouve que la question est à nuancer car Pap Ndiaye est en fait un virtuose du « en même temps », capable de défendre un jour l’universalisme républicain et le lendemain le racialisme américain. Si, comme le souligne Françoise Bonardel, les élèves sont plus que jamais « déconstruits » à l’école, les choses ne vont pas mieux à l’université ou dans les écoles supérieures. Selon Alexandre de Galzain, ces établissements sont aussi gangrénés par les idéologies progressistes que l’enseignement primaire et secondaire. Et les écoles de journalisme occupent une place de choix sur le podium de la pensée unique, voire totalitaire.

Le nouveau numéro de « Causeur » est en vente. En une de notre numéro 110, l’ancien candidat à la présidentielle Eric Zemmour s’attaque au sujet de l’Education nationale © Causeur

Quel spectacle plus réjouissant qu’une célébrité à terre ? Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy analyse l’affaire Pierre Palmade : la transformation de l’humoriste en ennemi du peuple a réussi à réconcilier la droite Valeurs actuelles et la gauche Libé. Certes, ses actes sont irresponsables, irréparables et criminels, mais les médias ont fait de lui le parfait bouc émissaire. Chargé de tous nos péchés, son sacrifice réconcilie la communauté. En mettant en garde contre le déclin des vertus masculines chez les hommes, Vincent Cassel s’est-il montré misogyne ? Que nenni ! répond Jean-Michel Delacomptée qui, dans sa chronique, défend la nécessité du courage physique dans toute société qui entend survivre. Emmanuelle Ménard continue à nous raconter sa vie à l’Assemblée. Entre les simagrées de l’extrême gauche et de la majorité, elle a assisté au « lynchage » (métaphorique) d’Adrien Quatennens par ses collègues élus au moment où il a pris la parole. Commentaire : « Parfois, j’ai honte d’être député ». Olivier Dartigolles dénonce les efforts de la majorité pour réformer les retraites : « Plus ils expliquent leur projet injuste, et plus le pays le rejette ».

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Nous voyageons dans une terre aujourd’hui méconnaissable, rebaptisée le Belgistan, et notre cicérone est Céline Pina. La bombe démographique qui y couve, suite à des conventions migratoires signées avec le Maroc et la Turquie, pourrait faire de la Belgique le premier État musulman d’Europe. Se confiant à Gil Mihaely, Arno Klarsfeld soutient qu’il est impossible d’accueillir l’Ukraine au sein de l’UE tant qu’elle érigera en héros des génocidaires de l’époque nazie. Le général Vincent Desportes explique que, si après la chute de l’URSS, nous avons créé une armée de maintien de la paix, il faut maintenant reconstruire une armée capable de nous protéger sur notre sol, dans l’éventualité d’une guerre longue et de haute intensité. En conversation avec Gil Mihaely, Denis Sassou-Nguesso, le président de la République du Congo et le dernier chef d’État issu de la génération de la décolonisation, porte un regard lucide et apaisé sur le passé. Selon lui, « tout n’a pas été négatif dans la colonisation ». Jean-Luc Gréau et Philippe Murer tirent les leçons de ce qui est la pire performance commerciale de la France depuis l’après-guerre, avec un déficit de 164 milliards d’euros. Les remèdes pour sortir du déclin existent, mais l’UE nous les interdit.

Pour épater le bourgeois, surtout le petit bourgeois, peu sont mieux qualifiés à notre époque que la chanteuse et actrice, Afida Turner. Vulgaire pour les uns, iconique pour les autres, sa façon de jouer de son corps va à l’encontre des codes du nouveau féminisme. Yannis Ezziadi s’entretient avec ce phénomène de société. D’une femme scandaleuse à une autre… Jérôme Leroy salue la parution dans la collection Pléiade d’un nouveau volume des œuvres de Colette qui, selon lui, est grande parce qu’elle ne connaît ni le vice ni la vertu. Il était temps de redécouvrir le compositeur Ambroise Thomas. Figure emblématique de son époque, sa renommée s’est éteinte avec lui en 1896. Julien San Frax nous parle d’une nouvelle production très attendue de son opéra, Hamlet, à l’Opéra Bastille. Si vous avez souffert d’entendre parler partout ces derniers temps d’Annie Ernaux, Didier Desrimais vous propose un remède : la lecture de deux livres de Bruno Lafourcade, un écrivain indispensable pour nous aider à traverser notre époque.

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Aux amateurs de Proust, Patrick Mandon propose un recueil de pastiches. Quant aux amateurs de Giacometti, Pierre Lamalattie les met en garde contre le projet de la Fondation du sculpteur qui consiste à investir l’ancienne gare des Invalides. Une folie des grandeurs qui doit, pour attirer le public contemporain, faire la part belle au marchandising et s’ouvrir aux « modernités plurielles ». Que ce soit à Paris, Madrid ou Amsterdam, certaines expositions artistiques valent le déplacement ; Georgia Ray est partie en éclaireuse les visiter pour nous. Jean Chauvet accueille d’un œil bienveillant la sortie d’un film français consacré, non à la vie d’un couple en chambre de bonne, mais à la politique. Pendant qu’Emmanuel Tresmontant cherche son pain quotidien et trouve le meilleur, non à la campagne, mais en ville. Ivan Rioufol déplore la manière dont le pouvoir macronien cherche à compenser sa faiblesse en muselant ses critiques. Pour terminer, Marsault nous offre une belle leçon de politesse. Après tout, il vaut mieux être bien éduqué que subir la rééducation.


[1] Le mouvement est coordonné par Sarah Knafo et Damien Rieu – voir le site www.protegeons-nos-enfants.fr.

Armer l’Ukraine ou la laisser mourir

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Soldats ukrainiens, région de Bakhmout, 26 février 2023 © Evgeniy Maloletka/AP/SIPA

Si l’Ukraine a su remporter tant de victoires spectaculaires en une année de combats acharnés, c’est notamment en raison des armes qu’elle avait entre les mains. Volodymyr Zelensky parcourt sans relâche la planète pour en réclamer d’autres, parce qu’il sait que sans elles, une victoire ukrainienne est impossible.


L’Ukraine n’est pas tombée. Ni en trois jours. Ni en un an. Si elle n’est pas tombée, ce n’est pas seulement en raison de l’incroyable capacité de résistance du peuple ukrainien, qui se bat au front comme à l’arrière. Ce n’est pas seulement par cette abnégation qui conduit les guerriers ukrainiens à mourir en masse à Bakhmout, pourvu que leurs envahisseurs meurent davantage encore. Ce n’est pas seulement du fait de l’intelligence du commandement, qui a réussi un quasi sans faute en 12 mois de combat. Ce n’est pas seulement en raison de la spectaculaire médiocrité de l’armée russe, son commandement défectueux, sa planification incertaine, sa faible capacité au combat interarmes ou sa logistique des plus bancales.

Si l’Ukraine a su, à Kiev, à Tchernihiv, à Sumy, à Karkhiv, à Mikolaïv, à Kherson, remporter tant de victoires spectaculaires en une année de combats acharnés, c’est notamment en raison des armes qu’elle avait dans les mains.

Les Russes tirent quatre fois plus d’obus que les Ukrainiens

Si le président ukrainien parcourt le monde occidental, de Washington à Bruxelles, en réclamant sans relâche des armes, les plus nombreuses, les plus modernes, les plus performantes possible, c’est parce qu’il sait que c’est dans cette donnée essentielle que résidera la victoire ukrainienne.

Les soldats ukrainiens sont dotés des mêmes armes soviétiques que les Russes, de l’AK-47 Kalashnikov au char de combat T-72. Les arsenaux des pays de l’Union européenne anciennement membres du pacte de Varsovie sont en train d’être vidés au profit de l’Ukraine mais cela reste très insuffisant : l’Ukraine tire quatre fois moins d’obus de 155 mm que ce que la Russie envoie chaque jour sur les lignes ukrainiennes.

L’Ukraine a su développer ses systèmes d’armes propres, dont la performance a stupéfié la marine russe. C’est un missile antinavire Neptune, de conception soviétique mais d’amélioration purement ukrainienne, qui a entraîné par le fond la frégate Moskva, navire amiral de la flotte russe de la mer Noire. Depuis, les navires de surface de la flotte russe sont condamnés à se cacher dans les ports de Sébastopol et Novorossisk, en se contentant par moments de lancer des missiles de croisière à grande distance du littoral ukrainien. Les perspectives de débarquement russe sur le littoral ukrainien sont désormais exclues.

Mais c’est bien la fourniture à l’Ukraine par les Anglais et les Américains, entre 2014 et 2022, de systèmes d’armes lance-missiles, qui a permis la débâcle russe lors du premier mois de l’invasion. Si les carcasses de centaines de chars russes dont beaucoup de modèles récents se sont entassées devant les grandes villes ukrainiennes, c’est largement grâce aux missiles antichars Javelin américains et NLAW britanniques. Si les pointes blindées de l’armée russe, lancées à travers tout le nord-est de l’Ukraine ont dû reculer, c’est notamment parce que les camions de logistique censés les ravitailler se faisaient détruire en masse par les lance-missiles portables fournis par les Occidentaux. Si à compter de l’été, toute la planification logistique et de commandement russe a été bouleversée et repoussée chaque jour un peu plus vers l’arrière, c’est à la précision et au potentiel de destruction des lance-roquettes multiples HIMARS américains que les Ukrainiens doivent leur succès. Si les hélicoptères de combat et de transport de l’assaillant sont tombés comme des mouches lors de l’assaut initial sur l’aéroport d’Hostomel, c’est avant tout grâce aux Stinger américains. Si aujourd’hui le ciel d’Ukraine est vide d’avions russes au-delà des lignes de front, si les vagues de drones kamikazes et de missiles de croisière tombant sur les villes ukrainiennes sont de moins en moins efficaces, c’est grâce à la densité de la défense aérienne armée de ces lance-missiles (dont les Crotale français). L’arrivée prochaine des Patriot américains renforcera celle-ci de façon décisive.

Si demain le soutien s’arrête…

Lance-missiles, chars, avions, navires, radars, munitions en quantité, en ajoutant l’entraînement requis pour exploiter ces systèmes d’armes complexes qui surclassent de loin les meilleures armes russes : autant de conditions qui s’avèreront décisives pour une victoire de l’Ukraine.

Si en revanche le soutien occidental, américain, européen, français, devait s’interrompre, alors l’Ukraine tomberait. Malgré la bravoure, la vaillance, l’inventivité et la foi dans sa cause du peuple ukrainien, le rapport de force démographique et matériel permettrait alors à la Russie de l’emporter.

Nombre de voix en France et ailleurs, portées par la volonté de paix et la peur d’une escalade incontrôlable, demandent l’arrêt du soutien en armes à l’Ukraine, afin de privilégier l’organisation de négociations de paix. Ces pacifistes se leurrent. Il n’y aura pas de négociations de paix tant qu’une armée n’aura pas pris un avantage décisif sur l’autre.

L’Ukraine veut la libération de tout le territoire qui lui a été volé, du Donbass à la Crimée, en passant par les rives du Dniepr. La Russie elle, veut la conquête de l’Ukraine. « L’Ukraine n’a aucun droit à la souveraineté » affirmait le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov au déclenchement du conflit. Si les colonnes de chars russes ont foncé de Tchernobyl à Kiev, aux premières heures de cette guerre, si les « référendums » de rattachement à la Russie ont été organisés dans les oblasts de Zaporijia et Kherson, ce n’est pas pour « libérer » le Donbass, mais pour asservir et annexer la totalité du territoire ukrainien, de Donetsk à Lviv, de Kiev à Odessa.

Si l’Ukraine cesse d’être armée, l’Ukraine tombera. Si l’Ukraine tombe, la Russie la prendra toute entière. Puis la Moldavie. Puis la Biélorussie. Puis le corridor de Suwalki reliant celle-ci à Kaliningrad finira par jouer le même rôle que le corridor de Dantzig en 1939.

In fine, au-delà de toutes les postures, des espoirs, des regrets et des rêves de paix, cette guerre absurde se résume pour nous, Européens à un choix simple: armer l’Ukraine ou la laisser mourir.

Et s’ils laissaient Edouard Philippe un peu tranquille?

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Edouard Philippe à Paris, lors du prix de l'humour politique, 6 décembre 2022 © Lionel GUERICOLAS /MPP/SIPA

Le 25 mars, le premier congrès d’Horizons se tiendra à Paris. Depuis des mois, l’ancien Premier ministre développe une stratégie politique qui agace Emmanuel Macron. C’est au point qu’on peut se demander si le président de la République n’a pas déjà choisi de soutenir Bruno Le Maire ou Gerald Darmanin pour la suite. Analyse.


Je suis persuadé qu’Édouard Philippe sera considéré comme coupable de son succès, de la même manière que tout lui est reproché par les macronistes depuis qu’Emmanuel Macron l’a remplacé comme Premier ministre. Souvenez-vous : Édouard Philippe avait commis le crime de lèse-majesté de demeurer devant le président dans les sondages…

Une dissidence subtile

Les avanies, la condescendance, les accusations de déloyauté n’ont jamais cessé depuis. Comme s’il faisait peur et, à la fois, troublait par sa discrétion calculée. On a presque l’impression que l’idéal, pour les adversaires de son camp, inspirés et stimulés par Emmanuel Macron, serait de le voir disparaître de la joute politique. Laurent Marcangeli, député de la 1ere circonscription de Corse du Sud et chef de file des députés Horizons, a raison : « Notre existence dérange. Qu’Édouard soit populaire, qu’il crée son parti, qu’il ait un groupe parlementaire, ça déplaît. » Profondément le malaise vient du fait que la démarche d’Édouard Philippe échappe au schéma classique qui voudrait qu’une personnalité rejetée et jalousée ne puisse s’abandonner qu’à l’alternative suivante: se révolter avec perte et fracas ou se fondre dans la masse majoritaire et espérer dans le futur.

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Édouard Philippe a choisi une dissidence plus subtile. Il n’est pas tout à fait et pleinement dedans, il n’est pas à l’évidence dehors. Il essaie de sauvegarder son indépendance et sa liberté en instillant une opposition délicate, en proposant des mesures autonomes trop systématiquement écartées, parfois à juste titre comme l’instauration de peines minimales d’un an d’emprisonnement contre les récidivistes jugés coupables de délits de violences contre les forces de l’ordre.

Quand Édouard Philippe s’attache à « l’ordre des comptes et à l’ordre dans la rue », lorsqu’il vise la politique des chèques et regrette trop de concessions sur le plan des retraites, nul doute qu’il jette dans le jardin présidentiel et celui de la majorité relative des pierres offensantes dans un univers habitué à plier et à obéir.

A lire aussi: Olivier Marleix (LR): “Aucune réforme des retraites n’a jamais été populaire”

Son alopécie complaisamment commentée

Ces aigreurs qu’Édouard Philippe maîtrise et distille à doses homéopathiques, mêlées à son aura qui persiste et s’amplifie parmi les personnalités qui comptent pour 2027, doivent être d’autant plus insupportables pour le président qu’il n’oublie sans doute pas que durant son premier mandat, le Premier ministre avait commis quelques erreurs fondamentales qui ont obéré son bilan. Il n’empêche que, si Édouard Philippe a tactiquement un problème – le problème de tous ceux qui ont été et voudraient être. Que faire en attendant ? – et qu’il tente « de résoudre l’équation entre la loyauté et la différenciation… en montrant aux Français qu’il n’est pas Macron tout en étant loyal », l’attitude du pouvoir à son encontre n’est pas digne.

La joie mauvaise et diffuse avec laquelle son alopécie a été commentée comme si elle ruinait son avenir, le contraignant à se défendre : « ça n’est ni douloureux ni dangereux ni contagieux ni grave », la dérision avec laquelle on moque sa stratégie qui n’est pas médiatique mais se consacre à « un grand travail d’entraînement, de réflexion et d’enracinement », son caractère secret qui laisse présumer des menaces constantes contre le macronisme, sont autant de signes qui démontrent que le président est plus préoccupé par la volonté de bloquer Édouard Philippe que par celle d’entraver le futur de Bruno Le Maire ou de Gérald Darmanin.

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Si le destin d’Édouard Philippe ne me laisse pas indifférent, cela tient à deux raisons. D’une part, dans le camp macroniste, il me paraît la personnalité la plus singulière, la plus réfléchie. D’autre part, est-il exclu que, chez LR qu’il a quitté, il puisse un jour redevenir une option ? En attendant ce qui adviendra et qui est imprévisible, s’ils laissaient tous Édouard Philippe un peu tranquille ?

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Alchimie des marges

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Karim Leklou dans "Goutte d'or" (2023), film de Clément Cogitore © 2022_Kazak Productions / France 2 Cinema

Le nouveau film de Clément Cogitore, étrange et poétique, nous fait découvrir le petit commerce d’un immigré manipulateur, dans la Goutte d’or, quartier pour le moins métissé du nord de Paris. Critique.


La nuit, sur un terrain vague Porte de la Chapelle, en bordure de la capitale, une pelle de chantier vomit sa charge de gravats. Prélude de Goutte d’Or, dernier opus du jeune et très brillant artiste-installateur, photographe, cinéaste et metteur en scène lyrique Clément Cogitore, à qui l’on doit, outre la mémorable régie des Indes galantes de Rameau, à l’Opéra en 2017, un premier long métrage en 2015, l’étrange et magnifique film de guerre Ni le ciel ni la terre, avec Jérémie Renier dans le rôle principal et, deux ans plus tard, un documentaire d’exception: Braguino.

Karim Leklou et Clément Cogitore, sur le tournage. Photo : Laurent le Crabe / Diaphana

Ramsès à Barbès

Ce vieux quartier populaire de Paris, de longue date miné par la petite délinquance et que le cinéaste connait comme sa poche pour y avoir vécu naguère, fournit au film son titre si poétique, bien en accord avec la magie propre à l’esthétique de Cogitore. De fait, si le récit s’inscrit dans une forme de réalisme qui intègre sans détour, dans l’authentique décor urbain qui en est la toile de fond, la composante anthropologique particulière à cette zone interlope qu’est devenue la Goutte d’Or, le film, très vite, nous emporte, hors des sentiers battus du naturalisme à la française, vers des confins qui ont partie liée avec la mystique et l’hallucination. 

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Ramsès (excellemment campé par le comédien Karim Leklou), homme entre deux âges, grassouillet au regard charbonneux, se fait habilement passer pour un médium auprès d’une clientèle locale infiniment crédule, appâtée par des tracts distribués par des « petites mains » au pied de la station de métro Barbès-Rochechouart, lieu de tous les trafics dans la réalité parisienne, comme chacun sait. De proche en proche (et l’art souverain de Cogitore consiste à divulguer graduellement, par touches, les indices d’une intrigue de plus en plus improbable) l’on prend la mesure des subterfuges par lesquels cette petite mafia de la voyance, sous le patronage de Ramsès, a mis au point une technique (qu’on ne déflorera pas dans ces lignes) pour leur laisser accroire que ses dons rappellent les morts ici-bas. Thérapie salutaire conduite par un escroc : Cogitore exploite cette ambigüité de main de maître.

© Diaphana Distribution

Faune d’immigrés et d’enfants voyous

Dans les rets de ce manipulateur inspiré, « mage » secourable à l’air vaguement égaré et à la physionomie christique, gravite une faune d’immigrés africains ou maghrébins, à laquelle s’adjoint bientôt une périlleuse bande de mioches, incontrôlables laissés pour compte de l’immigration clandestine tangéroise, dangereux enfants-voyous qui survivent en chapardant, en agressant ou en vendant de la came. Immersion dans les marges de ce Paris contemporain violent, exogène et tribal, où une langue française paupérisée, grevée d’imprécations et de jurons – « sur la chatte de ta mère ; je te nique … », etc. – dans laquelle s’entremêlent des idiomes « deridja », Goutte d’or, comique par instants, finit par prendre la dimension polyglotte d’une fable orientaliste : si Cogitore est sociologue, c’est en poète. 

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Chargé de trouble et de mystère mais soutenu par une dramaturgie captivante de bout en bout, ce faux polar urbain investit avec acuité ce microcosme géographique : depuis la citadelle HLM du vieux père de Ramsès, happé lui aussi par ses propres croyances irrationnelles, jusqu’à l’univers parallèle des marabouts qui se font concurrence sur ce marché de niche, des petites frappes mineures terrorisent la zone, des athlétiques maître-chiens vigiles de parking noirs d’ébène, comme surgis d’un conte de fées, participent de cette loi de la jungle… La mort s’invite au cœur du film, sous les traits d’un enfant dont Ramsès retrouvera magiquement la dépouille abandonnée au milieu de l’un de ces monstrueux chantiers dont la ceinture de Paris est aujourd’hui le siège…

Se tenant à l’écart de toute intention édifiante sur fond de présupposés idéologiques attendus (comme son titre pouvait le faire redouter), Goutte d’Or façonne, adossé à cet arrière-plan anthropologique et géographique finement observé, une vivifiante alchimie poétique.     

Goutte d’Or. Film de Clément Cogitore Avec Karim Leklou. France Durée : 1h38. En salles le 1er mars 2023

La longue nuit du dodo

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Beth Shapiro et Ben Lamm de la société américaine Colossal. Image: D.R.

En se donnant pour objectif de ressusciter le dodo, la start-up américaine Colossal Biosciences s’offre un gros coup de pub. Récit.


A l’entrée du Muséum national d’histoire naturelle trône le dodo, un oiseau exotique lourd et lent, au plumage bleu-gris, doté d’ailes atrophiées qui ne lui permettaient pas de voler. Le volatile, endémique de l’Île Maurice, a disparu à la fin du XVIIe siècle. Trop flegmatique, trop peu méfiant à l’égard des humains, trop rêveur peut-être, rien n’a pu le sauver. Il fut la cible d’une chasse acharnée.

Apprentis-sorciers

Aujourd’hui, la start-up américaine Colossal Biosciences, basée au Texas, entend faire entrer le dodo dans un processus de « dé-extinction », grâce au séquençage d’un ADN ancien et à des technologies de clonage. L’entreprise – soutenue par la CIA et Paris Hilton (c’est vrai…) – envisage aussi de ressusciter le mammouth laineux, qui balançait jadis ses défenses avantageuses de la Sibérie au sud de Malakoff.

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Bien sûr les observateurs râlent : c’est scientifiquement infaisable ! Pourquoi se lancer dans une telle entreprise alors qu’il serait préférable de sauver des espèces qui sont aujourd’hui en voie d’extinction ? L’entreprise, elle, espère le doux miel du retour sur investissement. Hitler, en son temps, avait encouragé les célèbres biologistes Lutz et Heinz Heck à recréer l’auroch sauvage – monstrueux animal disparu dans la nuit des temps, et ancêtre des bovins domestiques actuels. Leurs aurochs germaniques bricolés à base de croisements génétiques furent lâchés dans la forêt primaire de Białowieża, dans la Pologne occupée par les nazis. Les animaux ne semblent pas avoir survécu à la nature, à la guerre et aux humains. L’époque n’était pas propice. Toutes ces initiatives arrivaient peut-être trop tôt.

Les apprentis-sorciers de demain – revenant sur les temps récemment perdus – chercheront sûrement à recréer en laboratoire certains spécimens disparus : le gaulliste de gauche, l’homme non déconstruit, la femme au foyer, le berger allemand, la femme à barbe, le poinçonneur des Lilas, le communiste historique…

Martine Aubry parvient à faire interdire la soirée privée «Qu’ils retournent en Afrique»

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Aurelien Verhassel derrière le bar de "la Citadelle", repaire des identitaires lillois, septembre 2016 © SARAH ALCALAY/SIPA

Les propos tenus dans l’officine identitaire, «La Citadelle», sont-ils parfois discutables? C’est fort possible. Mais les manœuvres judiciaires de Martine Aubry, pour faire fermer le lieu, ne le sont pas moins. Aidé du préfet, le maire de Lille a réussi à faire interdire une soirée polémique, vendredi dernier, mais le Tribunal administratif a annulé son arrêté municipal ordonnant la fermeture de l’établissement.


Connaissez-vous l’histoire de La Citadelle ? Il y a les grands récits du Moyen-Âge et de l’époque moderne, et il y a ce récit invraisemblable de la mi-février 2023, que je me dois de vous narrer.

Bon public de ce tour de passe-passe, la presse a accepté de confondre encore une fois ce qui déplaît avec ce qui est interdit

La Citadelle est une association qui a le tort d’être chauvine. Pour vous donner une idée fidèle de son registre, je vous dirais qu’elle avait organisé pour le 24 février une soirée intitulée « Qu’ils retournent en Afrique ! », en référence à la frasque du député Grégoire de Fournas.

Martine et la justice, Martine et les journalistes

Le maire de Lille, qui n’est autre que Martine Aubry, a cru trouver là le moyen de faire fermer l’officine de ce club en se vantant dans la presse d’avoir porté un coup fatal à une dangereuse mouvance d’extrême-droite. Ce thème provocateur justifiait-il une telle mesure ? Visiblement non, puisque dans l’arrêté municipal ordonnant la fermeture de l’officine, la décision était motivée par le non respect de la règlementation concernant les établissements recevant du public. Est-ce que Martine Aubry mentait à la presse ou est-ce qu’elle mentait à la justice ?

Le décalage entre la transparence des motifs politiques poursuivis par le maire de Lille et la discrétion du motif d’ordre public utilisé effectivement faisait apparaître l’invocation de la loi pour ce qu’elle était : un simple prétexte. Or quand une autorité publique se sert d’un pouvoir de police à des fins étrangères à celles qui sont prévues pour l’exercice de ce pouvoir, elle commet un détournement de pouvoir.

Que révèle cette instrumentalisation de la loi ? Elle révèle le caractère misérable et clandestin des positions du maire. Si Martine Aubry invoquait devant l’opinion publique un motif qu’elle n’osait invoquer sur le papier, c’est que ce motif du racisme supposé de l’association visée n’était pas sérieux.

A relire, Céline Pina: Scandale à l’Assemblée: dérapage raciste ou instrumentalisation politique?

L’association La Citadelle promeut l’identité nationale et se positionne contre l’immigration irrégulière. Il n’en fallait pas plus pour que la matronne lilloise et la presse nationale ne vouent La Citadelle aux gémonies. Dans un excès de déontologie journalistique, des médias comme Libération ou France Info se sont intéressés à ce que pensaient les gens de gauche de cette initiative, plutôt qu’à ce qu’en disent les lois.

Un boys club droitard dans le viseur de Martine Aubry depuis longtemps

Tout va bien dans le meilleur des mondes, quand Martine Aubry affirme à l’AFP : « Depuis louverture en 2016, je nai eu de cesse de trouver des moyens pour les faire interdire, considérant quils navaient pas leur place dans la ville ». 

Vous croyiez ainsi être dans un État de droit où les réunions privées ne peuvent être interdites pour des motifs politiques ? Halte là ! D’un coup de baguette magique, la fée Martine vous en fait une réunion publique. Il suffit d’accuser un adversaire politique de raciste pour en faire interdire les événements. La question capitale qui n’a jamais été posée demeure donc celle-ci : est-ce à cette vieille baronne joufflue du Parti socialiste de déterminer à la place de la justice ce qui constitue une provocation à la haine raciale ?

La fée Martine choisit le procès d’intention plutôt que le procès, la tribune médiatique plutôt que la barre du tribunal, c’est pour cela qu’elle est la fée Martine.

Bon public de ce tour de passe-passe, la presse a accepté de confondre encore une fois ce qui déplaît avec ce qui est interdit. Mais dans un État de droit, ce n’est pas ce qui déplaît à la fée Martine qui est interdit, c’est ce qui contrevient aux lois.

Par une ordonnance de référé du 24 février, le Tribunal administratif de Lille, plus sensible que Martine Aubry au fait qu’il existe un État de droit, a suspendu la décision tant saluée de fermeture de l’officine, mettant fin à cette sinistre fumisterie. L’officine de l’association La Citadelle rouvrira ses portes. Aussitôt, la fée Martine rend un nouvel arrêté d’interdiction de la soirée qui devait avoir lieu. Sur quel fondement cette fois-ci ? Aucun, sinon la vague incantation de l’ordre public.

Une horde de milices d’extrême-gauche, soutenues par de la racaille parlementaire du nom de LFI, manifestent leur intolérance à l’égard d’un bar nationaliste. Dans ce nouveau monde gauchiste, ce sont les associations communistes, les syndicats, la milice antifasciste, ce sont des gens qui se cachent le visage et qui brandissent des barres en fer qui décident de qui peut s’installer ou pas dans une rue. C’est une nouvelle idée de l’ordre public. C’est moderne sans vraiment l’être.

Derrière les questions juridiques initiales, cette affaire s’inscrit dans un climat de prédation politique, de discrimination revendiquée et de tentative de justice populaire, qui est le fait exclusif de l’extrême-gauche. Les mêmes petites fées qui parasitent le fonctionnement d’une association parfaitement licite sont celles qui laissent impunies les atteintes aux biens et aux personnes commises par des bandes au visage masqué qui se réclament de l’antifascisme, ce sont les mêmes qui ne surveillent pas les devantures vandalisées, qui tardent à traiter les plaintes des personnes agressées ou menacées de mort, les mêmes qui, par leur carence, trahissent leur complaisance.

Dans l’imaginaire gauchiste, l’arbitraire autocentré tient lieu de loi. Mais dans la vraie vie, c’est la loi qui tient lieu de loi. Entre la gauche et l’Etat de droit, l’une est de trop.