Accueil Politique Olivier Marleix (LR): « Aucune réforme des retraites n’a jamais été populaire »

Olivier Marleix (LR): « Aucune réforme des retraites n’a jamais été populaire »

Entretien avec Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale


Olivier Marleix (LR): « Aucune réforme des retraites n’a jamais été populaire »
Le député Olivier Marleix photographié en 2019 à l'Assemblée nationale © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix, explique à Causeur pourquoi il votera la réforme des retraites. Il déplore que beaucoup de Français n’en retiennent que les pires aspects, la communication du gouvernement étant mauvaise…


Causeur. Cette réforme des retraites va-t-elle, et surtout doit-elle, passer dans sa forme finale ?

Olivier Marleix. On peut difficilement soutenir l’idée qu’il n’y a pas besoin de réforme, qu’on pourrait faire l’économie d’un recul de l’âge de départ à la retraite. Il faut donc qu’elle soit adoptée avec tous les ajustements qui méritent d’être faits. C’est vrai qu’elle est incomplète sur plusieurs points, notamment la politique familiale.

Des milliers d’amendements de la Nupes pour faire obstruction, une tête de ministre jouée à la balle par un député lors d’une manifestation, ce même ministre qualifié d’ « assassin » par un autre lors des débats: est-ce que, comme le dit le Canard Enchaîné, c’est pas bientôt fini cet « hémicirque » ? Allez-vous libérer la vie parlementaire de cet enfer en vous assurant que votre groupe donnera une majorité au projet de réforme des retraites du gouvernement ?

Je ne sais pas si le fait qu’il y ait une majorité sur ce texte suffira à changer la Nupes ! Le comportement de LFI, mais aussi des partis otages de LFI (PS, PCF, EELV) témoigne d’une radicalité, exprime même parfois une forme de violence. Qu’un député portant l’écharpe tricolore dise que la tête du ministre est comme un ballon, c’est assez douteux ! L’idée que l’Assemblée nationale puisse être un endroit qui donne l’exemple de la violence et qui, partant, peut légitimer la violence à l’extérieur, est insupportable et contraire au débat démocratique. Mais tout cela n’est pas vraiment surprenant. Malheureusement, le président de la République a sa part de responsabilité dans cette dégradation de la vie politique. C’est le résultat de sa propre stratégie politique de radicalisation, qui a consisté à fracturer le pays, à renvoyer les gens de gauche dans les bras de l’extrême gauche, et les gens de droite dans les bras de l’extrême droite. Les députés de LFI ont un comportement inacceptable, certes, mais interrogeons-nous : comment en sommes-nous arrivés à créer ce climat dans le pays ? Est-ce vraiment le fruit du hasard ?

Que des jeunes ou des fonctionnaires bénéficiant de régimes spéciaux portent des idées de gauche et manifestent, ce n’est pas franchement une surprise

Quelle est votre stratégie politique, chez les LR, pour vous montrer responsables en soutenant une réforme nécessaire, et en même temps pour montrer que vous n’êtes pas aux ordres du gouvernement ?

Cela passe par le choix de quelques combats emblématiques. Le premier combat, le plus important, c’est celui de la revalorisation immédiate des retraites. Nous avons obtenu que 1 800 000 retraités voient leur pension augmenter de 678 euros par an en moyenne. Nous voulons montrer que cette réforme n’est pas faite uniquement pour envoyer un signal aux marchés financiers, et qu’elle n’est pas faite non plus pour répondre à une injonction de la Commission européenne, même si le gouvernement lui a déjà envoyé une copie et que cela existe dans l’esprit du président de la République ! Pour nous, cette réforme des retraites est faite pour les Français. Elle est faite pour assurer la sauvegarde de ce système par répartition qu’a légué le général de Gaulle à la Libération et auquel nous sommes attachés. Il était important de montrer qu’à l’effort contributif demandé aux Français pour préserver le système, il y avait un gain immédiat pour les retraités eux-mêmes – cette revalorisation des pensions. Au total, on parle de 1,8 million d’euros de revalorisation. C’est un effort jamais réalisé.

Tout compte fait, on a eu le sentiment étonnant, pendant les débats, que la droite se montrait plus gentille que le gouvernement, moins brutale que lui !

Il est évident que si on veut réussir une réforme, il y a un souci d’acceptabilité, c’est pour cela aussi qu’on s’est opposé à une réforme trop brutale. Quand on fait des réformes dans un pays, ce n’est pas contre les citoyens, c’est dans leur intérêt ! Ce n’est pas aux Français de payer les retards de Macron. Avant d’aller à 65 ans, il faut passer par 64, et avant d’aller à 64, il faut passer par 63. On a donc fixé le rythme souhaitable à un trimestre par an, ce qui amène à 63 ans à la fin de ce quinquennat, et 64 ans en 2031.

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Pour nous cette réforme n’est pas dogmatique, elle est pragmatique. Elle répond à la nécessité très concrète de rééquilibrer le système. On pourrait ne pas faire de réforme, mais on aurait un déficit qui se creuserait – qui ne serait peut-être pas dramatique par rapport au déficit de l’État (car on a des déficits partout) – sauf qu’il y aurait une conséquence : on ne pourrait plus du tout augmenter les retraites, et les retraités qui ont déjà perdu 200 euros par mois de pouvoir d’achat depuis 10 ans, sous l’effet de la CSG et des impôts, verraient leur pouvoir d’achat continuer de baisser. Moi je le refuse ! La retraite c’est le capital de ceux qui n’en ont pas.

Sur le traitement particulier pour les gens qui ont commencé plus tôt, il y a eu beaucoup de discussions au sein même de votre groupe. Est-ce que le public vous sera reconnaissant pour cela ? Après un recadrage avec le chef du parti Eric Ciotti mardi soir, votre groupe est-il maintenant sur la même ligne et d’accord ? Parmi les députés LR, est-ce qu’il y en a encore beaucoup qui pourraient ne pas voter pour cette réforme ?

Aucune réforme des retraites n’a jamais été populaire. Je considère qu’en dix ans de Macron, ce sera sans doute le seul acte de redressement du pays qui aura été proposé. On n’a pas le droit de passer à côté. On verra dans trois, quatre ou cinq ans qui aura été responsable et qui ne l’aura pas été. Il y a peut-être douze ou quinze députés LR qui ont dit de manière définitive ne pas vouloir voter la réforme. C’est leur liberté.

Dans les rangs du Rassemblement national, où ils sont pourtant plus nombreux que vous, ils vont voter ce que leur chef Marine Le Pen leur dit de voter. Enviez-vous parfois la discipline qu’il peut y avoir dans ce groupe ?

Je ne suis pas sûr qu’il y ait motif à tirer gloire d’être un Playmobil de la majorité qui votera pour la réforme, ou un petit soldat de plomb de Le Pen qui votera contre parce qu’il y est obligé,  même s’il n’est pas d’accord ! Finalement, RN ou LFI, ces députés sont interchangeables, ce sont des gens à qui un parti politique a donné une investiture et qui sont souvent parachutés. Ce n’est pas le modèle politique que je veux pour mon pays. Je pense qu’il vaut mieux des députés bien ancrés dans leur territoire, qui ont des convictions même si parfois on n’est pas d’accord.

Avec les protestations qui se poursuivent, craignez-vous que le pays soit gouverné par la rue ?

Le débat à l’Assemblée nationale se termine vendredi à minuit, puis le texte part au Sénat, où les sénateurs débutent immédiatement avec la Commission des Affaires sociales. Ensuite,  le débat va durer du 2 au 12 mars dans l’hémicycle, et, il n’y a pas de mystère, à mon avis, le texte sera voté au Sénat. Après cela, il y aura une commission mixte paritaire et le texte peut être promulgué à partir du 16 mars. Le mouvement social va surtout être relancé à partir du 7 ou 8 mars, je crois. Il y aura probablement quelques jours de blocage. Il ne faut pas exclure qu’on ait aussi des mouvements un peu plus durs. Mais je pense que le processus ira jusqu’au bout. Personne ne peut prédire comment réagit l’opinion. Le fait que ce soit les régimes spéciaux – assez réservés – qui bloquent le pays ne sera peut-être pas apprécié par les Français !

La réalité, c’est que les gens qui nous parlent de la réforme dans nos circonscriptions, ce sont des gens qui sont à cinq ou six ans de la retraite, et qui sont donc le plus directement concernés par l’accélération du calendrier. Mais les cinquantenaires savent que de toute façon la réforme Touraine les oblige déjà à faire 43 annuités et qu’ils ne pourront pas partir avant 64 ans. Tous les autres qui manifestent sont en réalité ceux qui n’aiment pas Macron. Certes, ça fait beaucoup de monde !

Qu’est-ce que ça dit des Français, le fait qu’il y ait autant de monde dans la rue pour la retraite ? Notre directrice de la rédaction dit que les Français sont devenus « un peuple d’ayant-droits qui s’adonne aux délices d’un individualisme financé par l’État ». Partagez-vous ce point de vue ?

Ça y ressemble un peu. Mais, n’oubliez pas qu’il y a avant tout l’inconséquence du gouvernement. Il y a un problème sur la cohérence générale de la politique menée par Macron, qui n’aide pas à l’acceptation de la réforme. Comment comprendre que la perspective d’un déficit de 12 milliards en 2027 sur notre régime de retraites soit un problème, alors qu’un déficit de 156 milliards dans le budget (qu’on a voté il y a un mois) n’est pas un problème ? C’est totalement incompréhensible ! Les gens se disent qu’on sait trouver de l’argent quand il faut. Et cela ne donne pas le sentiment d’un effort réparti.

Ensuite, on est dans un pays qui est quand même dans une spirale de la dépense publique, de l’assistance à tous les étages. Quelqu’un me rapportait ce matin l’exemple d’une mère de famille qui avait huit enfants et qui, au mois de septembre, a eu près de 8000 euros de revenus de l’assistance entre les allocations familiales, l’APL et les allocations de rentrée scolaire. Nous vivons dans un pays où le sens du travail et de l’effort a été étouffé sous des politiques de redistribution tous azimuts, et Macron a finalement été dans la fuite en avant en la matière. Ce coup de frein soudain est incompréhensible pour les gens. Il y a aussi la relation des Français avec le travail qui est « en crise » ou en mutation. Pendant la pandémie, les Français ont pu, pendant plusieurs mois, continuer à gagner leur vie en restant assis sur leur canapé, à regarder Édouard Philippe à la télé. Quel cauchemar ! Cela a entretenu l’illusion « mélenchonesque » qu’il n’y a pas besoin de travailler. Il y a aussi une évolution un peu philosophique : les gens s’interrogent collectivement sur la dimension matérialiste de nos vies. Certains font des choix de vie différents aujourd’hui. Je pense à ces avocats d’affaires qui ont travaillé comme des malades pour avoir un bon patrimoine et pouvoir arrêter de travailler avant 50 ans. Je connais aussi un Polytechnicien qui a tout arrêté pour aller ouvrir une petite boulangerie dans les Alpes de Haute-Provence… Ces gens sont dans une aspiration à autre chose.

Et tous ces phénomènes se rejoignent. Enfin, ne nions pas qu’il y a une « crise des vocations » à la fois pour les salariés de grandes multinationales qui sont « une donnée » dans un tableau Excel ou pour les agents en quête de sens dans des services publics, hôpital, écoles, justice, police, à bout de souffle.

Quand vous voyez un jeune qui va manifester pour sa retraite, qu’avez-vous envie de lui dire ?

L’image de cette petite fille sur BFMTV qui dit « si on laisse passer cette réforme, après il y en aura une autre puis une autre et on va travailler jusqu’à la fin de notre vie » est ubuesque ! Il faut que nos compatriotes se rappellent que le travail est au cœur du pacte social, lequel a été abîmé par cette redistribution déconnectée du travail que j’évoquai. On ponctionne de plus en plus sur un nombre de plus en plus réduit de gens, pour donner à d’autres à qui on ne demande pas d’efforts. La tentation de l’individualisme gagne du terrain. La question du travail dépasse même notre pacte social. Travailler, c’est une loi naturelle. Depuis la Préhistoire, si l’homme ne chasse pas, il ne mange pas. Le travail n’est pas une invention capitaliste comme veut le faire croire la LFI. Le fait de produire est une nécessité de l’humanité depuis ses débuts.

On a tellement fait croire aux gens qu’il existait de l’argent magique, qu’il n’y avait pas de problème de dépenses publiques, que tout d’un coup cette réforme paraît incompréhensible ! La comparaison avec d’autres pays européens est édifiante. Partout, nos voisins ont engagé des processus pour aller jusqu’à 66 ou 67 ans. 

Entre le bazar de l’extrême gauche à l’Assemblée et la mobilisation dans les rues, on a l’impression qu’on ne parle plus que de ça en France. Vos électeurs ont peut-être envie de passer à autre chose.

Que des jeunes ou des fonctionnaires bénéficiant de régimes spéciaux portent des idées de gauche et manifestent, ce n’est pas franchement une surprise. Mais effectivement, quelle ambition les Français veulent-ils avoir pour leur pays ? Il faut quand même bien comprendre que si on ne fait pas cette réforme, on paupérisera petit à petit notre système de retraites, qui est aujourd’hui un système hyper-redistributif. C’est vraiment le système le plus favorable pour les gens les plus modestes en réalité. Il y a un bien commun à protéger ! Je pense que la vraie difficulté de cette réforme, c’est que Macron est le plus mal placé pour la porter. C’est une réforme des retraites qui ne lui ressemble pas. Quand Sarkozy fait la sienne en 2010, c’est le président qui, avant, s’est intéressé aux Français les plus modestes avec les heures supplémentaires, par définition les non-cadres. C’est lui qui a protégé l’épargne des Français lors de la crise financière. Sarkozy est alors crédible dans la défense de la sauvegarde d’un système favorable aux gens les plus modestes. Macron, lui, n’est pas crédible pour protéger les plus modestes.

Pour l’instant, Macron semble ailleurs. Que pensez-vous de la communication du gouvernement ? Tout le monde dit que que Mme Borne manque cruellement d’empathie. Cela n’envenime-t-il pas les choses ?

Je pense que Macron fait effectivement bien de ne pas en parler, son impopularité n’arrangerait pas les choses, au contraire. Elle explique une grande part du rejet de la réforme.

Le gouvernement s’est inspiré du contre-projet que les Républicains avaient proposé en 2018 sur les critères d’âge. Ils ont repris le travail des Républicains au Sénat. L’exécutif n’est pas bien placé pour l’expliquer, parce que ce n’est pas leur philosophie. Je suis frappé de voir à quel point le gouvernement s’est embourbé dans cette histoire des 1200 euros.

L’année prochaine, il y aura 1,8 milliard pour la revalorisation des petites retraites. Il n’y avait sans doute pas eu depuis des décennies un tel effort de rattrapage. Ils ne le mettent pas du tout en avant. Les gens ne retiennent que les pires aspects, car la communication du gouvernement est pitoyable.



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Martin Pimentel est rédacteur en chef de Causeur.fr et Jeremy Stubbs est directeur adjoint de la rédaction

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