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Scandale à l’Assemblée: dérapage raciste ou instrumentalisation politique?

La posture morale en politique permet souvent de masquer un vide idéologique.


Scandale à l’Assemblée: dérapage raciste ou instrumentalisation politique?
Carlos Martens Bilongo / Capture d'écran YouTube d'une vidéo du 04/11/22 de la chaine BFMTV

Depuis jeudi, les députés sont en émoi. Un incident raciste aurait eu lieu lors des questions d’actualité au gouvernement, entraînant, fait rarissime, la suspension de ladite séance. Alors tempête dans un verre d’eau ? Dérapage raciste du RN ? Instrumentalisation politique d’un incident par une La France insoumise en crise et un gouvernement qui ne cesse de reculer dans les sondages ? Et si l’affaire était un cocktail mélangeant tous ces ingrédients ?


Rappel des faits : en séance de questions au gouvernement, le député Carlos Martens Bilongo prend la parole à propos de la situation d’un bateau transportant des migrants en Méditerranée. On entend alors une voix crier : « Qu’il(s) retourne(nt) en Afrique ». La sortie émane des rangs du Rassemblement National et vient du député Grégoire de Fournas. La question se pose alors de savoir si le retour en Afrique évoqué concernait le député La France insoumise, noir de peau, ou le bateau de migrants. Interrogé à la sortie de l’hémicycle, Grégoire de Fournas, à qui un journaliste reproche d’avoir insulté un député noir, réagit en disant en substance que son collègue n’est pas un député « Noir » mais un député français qui a la même légitimité que lui à siéger au sein de l’Assemblée. Il précise que ses propos concernaient le bateau transportant les migrants et non son collègue. De son côté, le député Bilongo soutient avoir entendu « retourne en Afrique » et a déclaré « Aujourd’hui dans l’hémicycle, on insulte ma personne. On insulte des millions de Français qui me ressemblent ». L’enregistrement montre que le député Rassemblement National a bien dit « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique » mais selon ceux qui l’accusent de racisme, cela équivaut à la même chose que s’il s’en était pris à son collègue.

Ce qui n’est pourtant pas le cas. En effet, dire à un député de la République de retourner en Afrique, c’est lui discuter son appartenance à la France et sa légitimité à nous représenter, quand cette admonestation s’adresse à un homme noir de peau, l’insulte raciste ne fait pas de doute et l’indignité à l’entendre retentir au sein de l’hémicycle est avérée. En revanche, refuser d’accueillir des migrants et souhaiter que, si la France intervient pour les sauver, elle les ramène d’où ils viennent, n’a rien de raciste. C’est tout le sens des OQTF dont tout le monde réclame qu’elles soient exécutées. On peut trouver la teneur du propos politiquement choquante, être en désaccord, voir dans la sentence lapidaire une forme de xénophobie, mais il est difficile d’instruire un procès en racisme. Certes cette interjection n’est pas du niveau de ce que nous aimerions entendre à l’Assemblée, mais pour le coup il suffit de lire les comptes rendus pour constater qu’insultes et propos déplacés sont récurrents sur les bancs du parlement. Ce n’est ni la première ni la dernière fois que l’on entend et entendra un propos dont l’auteur n’a pas de quoi être fier.

Alors pourquoi un tel scandale, qu’est-ce-qui explique une telle effervescence politico-médiatique ? Il est fort probable qu’une fois la phase d’instrumentalisation passée, ne restent que des postures qui ne grandissent personne et soulignent surtout la médiocrité de notre personnel politique et son absence totale d’honnêteté intellectuelle.

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Du côté du Rassemblement National, parti qui a longtemps assumé par la voix de son ancien président et fondateur, Jean-Marie Le Pen, un racisme et un antisémitisme décomplexé, une telle phrase, même si elle concerne la question des migrants, ne pouvait que réactiver la mémoire des saillies ouvertement racistes et antisémites dont Jean-Marie Le Pen aimait émailler son discours. Le fait que le député qui s’exprimait sur cette question était noir de peau en rajoutait encore dans les éléments de contexte négatif. On peut penser à une forme de retour du refoulé de la part du député de Fournas. Pourtant on pourrait aussi lire la scène comme le fait que l’égalité est tellement réalisée que même au Rassemblement National, personne ne songe à censurer son langage au nom de l’interprétation qui pourrait en être faite, car la question de la couleur de peau ne se pose plus et que nul ne songe à remettre en cause la légitimité d’un élu sur de telles bases.

Du côté de La France insoumise, créer un scandale en endossant la posture de l’antiracisme vient à point. La véhémence de Jean-Luc Mélenchon et ses outrances verbales font de lui le digne héritier de Jean-Marie Le Pen. Les deux tribuns se ressemblent dans leur manière d’user du langage et d’en appeler à la violence. A cela s’ajoute une dérive islamogauchiste et racialiste réelle qui fait que La France insoumise compte dans ses rangs beaucoup d’élus pour qui la couleur de peau définit les individus. Ce qui est le fondement du racisme. Selon eux, le Blanc est un oppresseur, tout ce qui n’est pas Blanc est un opprimé, les rapports entre les hommes se résument à des questions de domination et la violence politique est légitime puisqu’il n’y a pas quête d’égalité mais volonté de revanche. Une telle lecture de la société est massivement rejetée par les Français, à tel point que dans une étude faite par IPSOS pour la fondation Jean-Jaurès, c’est aujourd’hui La France insoumise qui est vue comme la plus grande menace pour la démocratie et non plus le Rassemblement National. Il était donc urgent pour La France insoumise de se mettre en scène dans une posture morale où elle incarne le Bien face au retour de la « bête immonde ». La référence au racisme ayant pour rôle de renvoyer le Rassemblement National à une reductio ad hitlerum qui redore en comparaison le blason de La France insoumise. Le problème, c’est que la question de l’égalité entre les hommes à raison du respect de leur égale dignité humaine est à géométrie variable à gauche. Selon que la discrimination se fait par la race ou le sexe, dans le premier cas elle est inadmissible, dans le deuxième cas, elle est défendue comme une liberté. Difficile de comprendre. Ainsi, le député Bilongo qui se dit victime de racisme, promeut dans le même temps le voile. Ce signe qui refuse l’égalité aux femmes, les infériorise et marque leur impureté ne le dérange pas au point qu’il le met en scène à l’intérieur même de l’Assemblée nationale.

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Mais l’instrumentalisation de cette histoire ne concerne pas que les plus radicaux au sein de l’Assemblée nationale. La majorité présidentielle en fait aussi des tonnes. Il s’agit là au contraire d’essayer de faire croire que ce parti sans identité forte serait malgré tout porteur d’une vision du monde et de l’homme qui en fait un véritable parti politique et non une coalition de techniciens sans vision ni idéal autre que l’adaptation aux contraintes de la globalisation. La lutte contre le racisme, même quand il n’existe pas vraiment, permet de faire croire que l’on a encore une véritable dimension culturelle et intellectuelle et que l’on ne se résume pas à un regroupement d’intérêts de classe. La posture morale en politique permet souvent de masquer le vide idéologique. Elle ne demande ni travail ni action et est souvent payante en termes d’image. L’indignation sert alors à promouvoir sa propre vertu à peu de frais puisque sur le fond cela n’engage à rien et peut rapporter beaucoup.

A la fin, le véritable racisme, celui qui sème la haine entre les hommes et les essentialise, celui qui instrumentalise l’histoire et fait de la couleur de la peau une appartenance et une identité, n’est pas combattu. Ce racisme-là est commun à une partie des extrémistes, qu’ils soient de gauche ou de droite, et est parfaitement assumé dans le discours politique d’une certaine gauche, alors qu’il est au moins devenu honteux à l’extrême-droite. La dérive d’une partie importante de la lutte antiraciste qui a basculé de la quête d’égalité vers la haine de la « blanchité » n’aide pas à ce que ce combat soit aussi fédérateur qu’il le devrait.



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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