L’éditorial de février d’Elisabeth Lévy
C’est une société rongée par un « mal millénaire », tissé de « discriminations, violences et injustices ». Un pays où à en croire Le Monde, le vécu des femmes est terrible – en la matière, tous les amalgames sont permis et toutes les femmes enrôlées dans ce concours du malheur. Vous l’avez compris, ce pays patriarcal (en plus d’être colonial, raciste et nucléaire), ce n’est pas l’Iran ni l’Afghanistan, mais la France. Ce constat désolant émane du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a publié fin janvier son dixième rapport sur l’état du sexisme en France. Dès les premières lignes, ce merveilleux bidule que nous devons à François Hollande annonce la couleur : « Le sexisme ne recule pas. Au contraire, il perdure et ses manifestations les plus violentes s’aggravent. » Métro-boulot-dodo-bistrot : l’existence des femmes est une litanie d’avanies. Le sexisme est partout, en particulier dans la tête de tous les hommes – dans la tête, façon de parler. Sur France Inter, Léa Salamé n’en revenait pas : « Cinq ans après Metoo, c’est hallucinant, hallucinant », répétait-elle, la voix pleine de trémolos. Cinq ans de propagande frénétique, d’accusations sans preuve, de condamnations sans jugement, de parole libérée à défaut d’être toujours vraie, et le calvaire continue. À quoi ça sert que Salamé se décarcasse ?
Le baromètre Viavoice réalisé pour l’occasion regorge de données accablantes. Ainsi, 80 % des femmes interrogées estiment (c’est moi qui souligne) avoir déjà été traitées moins bien que les hommes en raison de leur sexe. Alors que le statut victimaire équivaut à la Légion d’honneur, n’importe quel membre de n’importe quel groupe vous dira qu’il est maltraité à cause de son appartenance. Mais ne chipotons pas, si elles le disent, c’est que c’est vrai.
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Parmi les situations sexistes proposées à l’appréciation des personnes interrogées, on trouve par exemple « Un homme commentant la tenue vestimentaire d’une femme » : croyez-le ou pas, 57 % des hommes et 77 % des femmes trouvent cela problématique. Hou ! les vilaines menteuses, elles n’aiment pas les compliments ? Enfin, si on dépense des sommes déraisonnables en fanfreluches et colifichets, ce n’est pas du tout pour attirer regards et louanges, la seule chose qui importe, c’est la beauté intérieure. On apprend aussi que 57 % des femmes ont déjà entendu une blague sur les blondes ou les femmes qui ne savent pas conduire. Une cellule d’aide psychologique s’impose.
Le plus grave, c’est que les hommes refusent de faire repentance, en particulier les plus jeunes, qui n’ont pas eu le temps de se faire convenablement déconstruire : 59 % des 25-34 ans jugent acceptable d’aborder une femme dans la rue pour lui proposer d’aller boire un verre. On commence comme ça et on finit agresseur, comme le suggère le message du HCE, décliné en spot publicitaire : « Le sexisme, on ne sait pas où ça commence, mais on sait comment ça finit. » Draguer, c’est violer. Les femmes sont tellement gourdes qu’elles sont incapables de décliner une invitation.
Je vous vois venir. On ne peut pas rire de tout, il y a des viols et des violences, c’est un sujet sérieux. Assurément. L’ennui c’est qu’il n’est pas traité sérieusement.
Bien entendu, il n’est jamais question des immenses progrès accomplis en quelques années. Pour prendre un seul exemple, seuls 8 % des sondés pensent qu’une femme ne pourrait pas être présidente. On ne va pas gâcher un festival de récriminations avec de bonnes nouvelles.
Sans surprise, le HCE se garde bien d’affiner l’analyse en fonction des spécificités culturelles et religieuses. Qui sont ces 16 % d’hommes qui refusent que leur femme voie d’autres hommes, des Bretons ? Sur quelles lignes de bus faut-il faire attention à sa tenue ? Là-dessus silence radio. On le sait, le mal, c’est le mâle blanc.
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Le plus problématique, c’est sans doute le confusionnisme délibéré créé par le terme « sexisme », improbable fourre-tout qui met sur le même plan la séduction et la violence, la goujaterie et la discrimination, la différence et l’inégalité. Ce grand mélange des genres, qui aboutit à banaliser les vraies violences, permet de justifier l’idée du continuum allant du « sexisme ordinaire » au « féminicide ». Toute expression de la différence des sexes, toute affirmation de virilité (ou de féminité) est sexiste, donc pendable. Que des ados bourrés d’hormones regardent du porno et disent des cochonneries, ce n’est ni nouveau ni grave. Ce qui est fâcheux, c’est qu’ils soient incapables de faire la différence entre les images charriées par leurs écrans et la vraie vie.
S’agissant de sexualité, le même flou conduit à criminaliser des situations banales. C’est ainsi que le HCE récuse toute solution de continuité entre le refus, le « non-consentement » et le consentement clair, ce qui revient à mettre sur le même plan un viol ou une agression sexuelle et une relation consentie sans enthousiasme, « sur l’insistance de son partenaire ». Un homme qui insiste pour faire l’amour est coupable. Mais une femme qui cède à cette insistance (par amour, gentillesse ou parce que l’envie lui est venue) pourra ensuite se raviser et estimer qu’elle était dans une situation de non-consentement. Surtout si le salaud oublie de lui souhaiter son anniversaire. Il me semble pourtant que les femmes sont des adultes comme les autres. Alors quand une femme dit oui, c’est oui.
N.B. Amoureux comme nous de l’engueulade amicale, mon ami et contradicteur de CNews, Olivier Dartigolles, éditorialiste politique proche du PCF, a accepté de tenir dans les colonnes de Causeur une chronique mensuelle, intitulée « Coup de rouge ». Qu’il soit le bienvenu !