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George Sanders, profession acteur et fripouille

« Profession fripouille » (Séguier, 2023), les mémoires d’un grand cynique


George Sanders, profession acteur et fripouille
L'acteur britannique George Sanders, dans le film "Le village des damnés" (1960) © REX FEATURES/SIPA

Les éditions Séguier ont la très bonne idée de proposer une nouvelle traduction des Mémoires de l’acteur George Sanders. Une première version avait paru en 2004, aux Puf, sous l’impulsion de Roland Jaccard, et sous le titre Mémoires d’une fripouille…


George Sanders est né en 1906 en Russie. Ses parents, d’origine écossaise, l’envoyèrent faire ses études en Grande-Bretagne, au moment où la révolution russe éclata. Jusqu’à l’âge de 30 ans, il vécut de divers métiers, qu’il narre avec fantaisie, avant de devenir comédien par hasard. Il joue dans un premier film anglais en 1936, puis se rend à Hollywood, où il signe un contrat avec la 20th Century Fox. Comme il l’avoue lui-même, « le fait de jouer dans des films ne m’a jamais follement enthousiasmé ». Sanders a toujours abordé le métier d’acteur avec une sorte de dégoût foncier. De manière générale, sa nature nonchalante et rétive au travail le conduisait à une « indifférence » qui a nui à sa carrière. Il a la lucidité, à plusieurs reprises, de le confesser ouvertement : « Quelque peu sur le tard, écrit-il, je suis parvenu à la conclusion que ma réelle vocation dans la vie est l’oisiveté ; voilà quelque chose où j’aurais pu me montrer brillant. » Un autre trait de son caractère est de se dévaluer systématiquement.

Séguier

Certes, Sanders, qui avait au compteur plus d’une centaine de films, a joué dans un certain nombre de navets. Il était peu exigeant dans ses choix. L’intérêt de ces Mémoires apparaît néanmoins lorsqu’il en vient à des tournages marquants, en particulier Voyage en Italie de Rossellini et All About Eve de Mankiewicz. Il ne dit rien, hélas, du Portrait de Dorian Gray d’Albert Lewin, réalisé en 1945, dans lequel il incarnait un Lord Henry en dandy d’anthologie. C’est sur Voyage en Italie qu’il se montre le plus disert, parce qu’il n’en a pas du tout aimé le tournage, ni le résultat. Les détails dont il se souvient, quoique dans une veine sarcastique, ont retenu l’attention des cinéphiles, le fait notamment qu’il n’y avait pas de scénario écrit. Ce fut, raconte-t-il, une « étrange aventure » et un « état d’ahurissement » permanent, avec un Rossellini davantage obsédé par la plongée sous-marine que par son film.

L’arme de l’humour noir

Sanders est plus tendre lorsqu’il s’agit de parler des femmes de sa vie, essentiellement ici de « la riche, turbulente et fantasque émigrée juive hongroise Zsa Zsa Gabor », comme nous la présente dans une belle formule le traducteur. Elle lui inspire cependant des traits de misogynie plus ou moins drôles, que plus personne aujourd’hui n’oserait formuler publiquement, comme par exemple : « il est impossible de tomber amoureux d’une femme sans éprouver à un moment ou à un autre le désir irrépressible de l’étrangler ». En revanche, Sanders ne parle pas de sa dernière femme, Benita Hume, dont Romain Slocombe, dans sa postface, nous dit qu’elle fut son grand amour. Au fond, Sanders ne se laisse jamais aller à la sentimentalité. Il ne recherche pas la sincérité ultime, sous la carapace, mais plutôt à conforter sa réputation de « cad », de fripouille peu recommandable. Son moyen, pour parvenir à cette fin, reste un usage immodéré de l’humour, parfois de l’humour noir, et, bien sûr, de l’autodénigrement. Il frôle quelquefois le génie de l’humour juif. Groucho Marx aurait pu déclarer, dans un de ses films, la phrase suivante, qui est de Sanders au meilleur de sa forme : « je suis l’une des personnes les plus saines que je connaisse. Si je ne l’étais pas, jamais je n’aurais pris le risque de me rendre chez un psychiatre. »

La solitude du dernier acte

La mort de Sanders par suicide, en 1972 en Espagne, sur laquelle revient Romain Slocombe, ajoute une lumière assez triste de solitude sur le destin de ce grand cynique. Dans un billet laissé près de lui, l’acteur avait écrit : « Cher monde, je m’en vais parce que je m’ennuie. Je crois que j’ai vécu suffisamment longtemps. Je vous laisse avec vos soucis dans cette charmante fosse d’aisance. Bonne chance. » Ultime pirouette d’un esprit raffiné, qui a voulu en finir de manière irréfragable, avant que les dieux eux-mêmes ne l’abandonnent. Ses Mémoires sont à placer bien en évidence, dans votre bibliothèque, à côté des rares pourvoyeurs de liberté.

George Sanders, Profession fripouille. Mémoires. Préface d’Éric Neuhoff. Nouvelle traduction de l’anglais et épilogue de Romain Slocombe. Éd. Séguier.

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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