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Macron et la Palestine: entre sincérité et naïveté

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Retour sur le discours historique du président Macron à l’ONU et la reconnaissance de la Palestine


Ce lundi 22 septembre, Emmanuel Macron à la tribune des Nations Unies devait penser que sa vocation n’était désormais plus tellement de présider la France, ce pays ingouvernable, que de réparer le monde. Lui qui n’a aucune expérience militaire, finissait son discours, dont je vais essayer de suivre l’argumentation, par une réflexion sur la guerre destinée à une délégation israélienne ostensiblement absente : «La paix est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus difficile que toutes les guerres. Mais le temps est venu…» Il est facile d’exiger pour autrui ce qu’on n’a pas besoin de s’imposer à soi-même. À la France, Emmanuel Macron ne faisait courir aucun risque. Pour Israël, qui fait face à un ennemi entièrement voué à sa perte, il jouait avec sa survie…

Droit à l’erreur

Le président français prétend bâtir la paix. Qui pourrait ne pas souscrire à un tel objectif ? Mais le diable n’est pas dans le projet, il est dans les détails et ceux-ci ont de quoi laisser sceptiques des Israéliens qui n’ont pas le droit à l’erreur.

Le Hamas est déjà vaincu sur le plan militaire, dit le président comme si cela était un acquis définitif et un résultat qui n’aurait guère demandé d’effort à Israël. Il reste à le vaincre sur le plan politique et ce travail difficile, Emmanuel Macron veut en être le maitre d’œuvre. D’ores et déjà, dit-il, la reconnaissance de la Palestine par la France est une défaite du Hamas: message à envoyer à l’organisation terroriste qui ne l’avait probablement pas compris ainsi quand elle s’est réjouie de l’initiative française. Il s’agit de mettre en œuvre un plan de «paix et de sécurité». Dont la première étape, une urgence absolue, consistera à coupler la libération des 48 otages israéliens et la fin des opérations militaires. Pour ce résultat, il suffit, suivant Emmanuel Macron, de compter sur le Qatar et l’Egypte, avec les Etats-Unis en arrière-plan, à condition qu’Israël n’entrave pas leurs efforts. Si tel est le cas, ces préalables devraient être vite réglés, et la France pourrait alors ouvrir son ambassade en Palestine.

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Ensuite, il faudra reconstruire Gaza, une tâche à laquelle s’attèleront l’Autorité palestinienne, dont le président Abbas a promis de façon crédible d’adopter un comportement démocratique, efficace et respectueux de son voisin israélien. Quant aux forces de sécurité dont il disposera, elles auront été entrainées par la France et ses alliés, et elles parachèveront le démantèlement du Hamas. Pour parfaire ce travail, Emmanuel Macron envisage une initiative originale: confier à l’ONU une mission de sécurité civile et militaire. Si j’ai bien compris, il s’agirait de faire appel à l’UNWRA dont chacun connait le glorieux palmarès, et de l’associer à une force militaire internationale analogue à la FINUL, cette force d’interposition au Liban qui avait laissé faire le Hezbollah, censé se tenir loin de la frontière.

Si le gouvernement israélien ne s’engageait pas dans un plan si prometteur, la France et l’Europe en tireraient les conséquences sur le plan économique. Actuellement, dit Emmanuel Macron, 142 Etats tendent à Israël une main prête à être serrée. Il ne précise pas si l’Iran est inclus parmi ces Etats…

La sincérité française pas en doute

Je fais partie de ceux qui pensent qu’Emmanuel Macron est parfaitement sincère quand il parle de son admiration pour Israël et quand il fustige l’antisémitisme, mais j’ai été accablé par la naïveté du plan présidentiel. Se fier aux promesses d’une Autorité palestinienne qui a prouvé son incurie (le terme vient d’Emmanuel Macron lui-même), qui n’a cessé de pratiquer le double langage et qui en tout état de cause, si des élections avaient lieu, serait balayée par le Hamas, cela relève de la méthode Coué.

Penser avoir tout compris à la guerre de Gaza parce qu’on a rencontré des victimes, par exemple des Gazaouis réfugiés en Egypte à al-Arich, et adopter le narratif manigancé par une propagande anti-israélienne extraordinairement efficace, témoigne en même temps de présomption et de crédulité.

Ignorer que toute guerre est tragique, qu’une guerre urbaine frappe particulièrement les civils, que ce fut le cas dans la guerre contre Daech où la France était elle-même engagée, que ce l’est encore plus là où les souterrains ajoutent une dimension nouvelle aux opérations mais que jamais un belligérant n’avait encore utilisé la mort de sa propre population comme arme de guerre pour disqualifier l’ennemi, c’est montrer indifférence à l’égard des réalités militaires sur le terrain et aveuglement sur l’objectivité des médias.

Ne pas rappeler dans son discours que la haine anti-israélienne ressassée à longueur de temps dans les sociétés palestiniennes, est associée aujourd’hui à un islam de conquête qui risque de prospérer dans le Gaza nouveau qu’il envisage, c’est, enfin, faire preuve d’une légèreté aux conséquences potentiellement funestes.

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Le président a parlé avec émotion du 7-Octobre, mais il ne semble pas avoir compris que l’horreur du massacre, qui a touché des Israéliens particulièrement attachés à l’idée d’un Etat palestinien, a rendu le soutien à cette idée d’autant plus problématique que chacun a vu l’enthousiasme qu’a suscité cet événement dans les foules palestiniennes.

Il y a bien des arguments juridiques pour être hostile à la reconnaissance de la Palestine. Certains rappellent que dans une période sans gouvernement on ne doit traiter que d’affaires courantes ou urgentes et que cette reconnaissance n’est ni une affaire courante, ni une affaire urgente. D’autres rappellent que l’article IX de l’Accord intérimaire israélo-palestinien de 1995, qu’on appelle Oslo II, interdit à l’autorité palestinienne toute initiative diplomatique. D’autres encore se réfèrent à la réunion de Montevideo en 1933, qui définissait les critères d’un Etat, pour constater que la Palestine actuelle ne les remplit pas. 

Il en est même qui, partisans du grand Israël, signalent que la conférence de San Remo qui  en 1920 a façonné le Moyen Orient après la défaite ottomane, ne parlait pas de foyer arabe en Palestine en même temps qu’elle avalisait la déclaration Balfour.

En ce qui me concerne ces arguments juridiques pèsent peu devant une tragique constatation. Alors que pour les Juifs un second cataclysme émotionnel est survenu à partir du 8 octobre quand ils ont vu se déchainer un antisémitisme contre lequel la frilosité de la réponse judiciaire et politique a été patente, la reconnaissance d’un Etat de Palestine alors que le Hamas n’est pas encore vaincu, suggère que ce massacre a été une bonne idée.

Quoi qu’ils pensent par ailleurs de tel ou tel aspect de la politique israélienne, un tel message est insupportable pour l’immense majorité des Juifs, et, je l’espère, pour la plus grande partie de la population française.

Retrouvez Richard Prasquier au micro de Radio J.

Les hommes préfèrent les trans

En pleine période puritaine, le plus grand bordel de France demeure… le bois de Boulogne ! On vient s’y enivrer de sexe, de stupre et, surtout, on vient y chercher les transsexuelles. Objets de fascination et de trouble désir pour les hétéros, elles sont le trésor du bois sur lequel elles règnent. Immersion dans ces folles nuits où les normes sont abolies.


Pour les vacances, certains sont partis à Marbella, Saint-Tropez ou encore à Mikonos. Moi, c’est au bois de Boulogne que j’ai décidé de passer mon été, du moins beaucoup de mes soirées. Et, pour sûr, il a été bien plus fantastique et dépaysant que celui de mes amis. Lorsque j’avais 20 ans, accompagné d’un camarade ou deux, j’y passais certains soirs des heures entières. Nous étions fascinés par ce monde parallèle, par cette ville clandestine engloutie dans les bois, qui éclot au soleil couché, et va fiévreusement jusqu’au petit matin au rythme des désirs les plus brûlants. Quinze ans plus tard, me voici de retour ! Ô bois de tous les fantasmes, tu n’as pas changé. Le monde s’aseptise, et toi tu ne bouges pas. En plein essor du puritanisme, tes seins, tes fesses, tes langues, tes voyeurs et tes exhibitionnistes sont toujours aussi nombreux. Tes moindres recoins puent le sexe à plein nez. À la porte Maillot, c’est encore la vie normale. Mais voilà qu’un panneau d’indication porte ton nom. Je le suis, je tourne à droite. J’aperçois les premiers arbres… nous voilà en zone libre ! Il est 22 H 45. Quelques femmes seules attendent, dès les premiers mètres dans le bois. Rien de spectaculaire. Peu de passage, presque pas de clients. Ce n’est pas ça qu’on vient chercher ici. Les femmes ordinaires se trouvent déjà dans la vie normale. Le trésor est ailleurs. Ce qui attire la foule, c’est un autre type de femmes. Me voilà maintenant sur l’allée de Longchamp, une des plus grosses artères traversant le bois. J’entre dans le vif du sujet. Fenêtres ouvertes je roule et, non loin, déjà résonne la salsa.

À quelques mètres, un groupe de filles danse sur le bord de la route. Les arbres, auxquels elles tournent le dos, sont leur décor. Les transsexuelles latino-américaines ! Plus de 90 % des filles qui travaillent ici sont trans. C’est pour elles que ce lieu vit la nuit. Pour elles que les voitures sont toutes là, si nombreuses et si lentes, se traînant si lourdes, surchargées de désirs. Ces créatures magnifiques et troublantes sont les objets de toutes les convoitises. Des curiosités les plus obsédantes. Avec quelques guirlandes lumineuses de toutes les couleurs accrochées aux arbres, le groupe de six filles s’est délimité son petit pré carré sur sept ou huit mètres. Certaines sont très belles. Deux types latinos, avec de bonnes gueules sympathiques, sont assis avec elles, rient et boivent. Ce sont en général des hommes de leur entourage qui leur tiennent compagnie et leur assurent un minimum de sécurité. Au bois, les filles trans travaillent de leur plein gré et pour leur compte. Les chicas dansent en se partageant une flasque de whisky. Je ralentis devant elles. Les mains passent dans les cheveux, les langues caressent les lèvres, les mains caressent les seins. Je poursuis ma tournée. D’autres prés carrés lumineux se trouvent en bordure de la route. Sur chacun on écoute de la salsa, de la cumbia ou du merengue, et on y parle en espagnol ou en brésilien. Ici, c’est Cali à Paris. C’est Lima à Boulogne. C’est le bois de Rio. Certaines chicas, assises entre elles, sont en train de dîner. Une femme (biologique, pas une trans) plus toute jeune va et vient chaque soir dans le bois avec une poussette pleine de provisions. Elle vend aux travailleuses de la nuit des plats qu’elle confectionne et met en barquette. Un Pakistanais armé de son énorme thermos vend, lui, les boissons chaudes toute la nuit. D’autres vendent des boissons fraîches. Sur environ deux cents mètres, j’ai croisé une bonne trentaine de filles. Toutes trans. Voici le maxi pré carré ! C’est presque un squelette de chapiteau dessiné en guirlande lumineuse, une petite maison. Un air de guinguette ou de fête foraine. Une quinzaine de filles à demi nues s’y trouvent. J’arrive au croisement avec l’allée de la Reine-Marguerite. La plus prisée. Ici, on ne sait plus où donner du regard, les filles sont partout. Des belles, des moins belles, des menues, des pulpeuses, des grosses ! Les voitures ralentissent, s’arrêtent, repartent. Les vitres se baissent, les filles s’approchent. En se penchant seins en avant à hauteur de conducteur, on négocie à la fenêtre. Les phares se croisent, s’éteignent, se rallument. Nous sommes au cœur du bois. C’est ici qu’il bat le plus fort. Sur un peu moins de deux kilomètres, une bonne centaine de filles tapinent. Quel spectacle ! Elles dansent, découvrent leurs seins à la première voiture qui ralentit, envoient des baisers, miment les pipes… « Viens bébé, je te suce… », me dit l’une avec son accent mélodieux. Et tous ces bons hommes cherchent le stupre. Ils cherchent, ils cherchent. Ils hésitent, ils repartent. Puis reviennent ! La tête leur tourne. Dans quelques minutes, ils craqueront. Question de temps. Ils viennent ici dans le secret qu’ils partagent parfois avec un ami ou deux. Des silhouettes d’homme entrent et sortent d’entre les arbres. Un type jaillit de derrière un tronc, referme sa braguette et remonte dans sa voiture, soulagé. À l’intérieur du bois, derrière les premières rangées d’arbres, là où la lumière des réverbères de la route peine à parvenir, des ombres lentes se promènent. Des types cherchent, feignant la promenade. Ici tout le monde n’est pas client. Certains sont voyeurs. Ici, on aime pisser en étant vu. On aime se promener dans la pénombre, bercé par le bruit des ébats ou des « floc-floc d’enculade » comme l’écrivait le grand Copi. Des types se masturbent dans le noir, admirant discrètement les silhouettes des filles et des clients qui remplissent le contrat. Je tourne, je vais et je viens. Il est une heure, la fête bat son plein. La banlieue débarque au bois. La plupart des hommes présents sont plutôt jeunes, et d’origine maghrébine ou africaine. Les « jeunes de banlieue », comme on dit. Ils sont beaux, pour un bon nombre d’entre eux. Ici, au bois, ce n’est pas la caricature du client gros et vieux. Non ! Ceux-là ne sont pas majoritaires. Les jeunes gens des beaux quartiers, moins nombreux, eux aussi sont présents. La jeunesse se promène à pied, l’air de rien, seuls ou en bande de copains, pour trouver ces filles un peu spéciales. Ces femmes qui n’en sont pas tout à fait. Ces filles qui, presque toutes, ont gardé leur sexe d’homme et ne le cachent pas… au contraire. C’est bien la quête de ces jeunes hétérosexuels. Car il faut bien être hétéro pour désirer ces cheveux longs, ces seins si fiers, ces courbes féminines, toute cette féminité exacerbée. Brunes ou blondes, les hommes préfèrent les trans ! La majorité des types que je croise ont moins de 35 ans. On voit même des mineurs aux visages d’ange passer de fille en fille pour discuter, négocier puis, finalement, s’engouffrer dans le bois. Un jeune homme blond, dans les 15 ans, bcbg, s’engloutit timidement dans une camionnette avec une fille d’une cinquantaine d’années. Il est consentant. Il a même payé ! Ses copains l’attendent au bord de la route en discutant et en riant. Certaines filles sont d’une beauté à couper le souffle. Elles savent sourire avec grand charme et vous retourner le cœur en un seul regard. Je décide d’aller faire un tour un peu plus loin pour me changer les idées. Je file route des Lacs-à-Madrid. C’est là-bas que les hommes – parfois mariés, ou du moins souvent hétéros officiellement, un peu pédés refoulés ou bien bisexuels – viennent chercher une furtive aventure homosexuelle. Et c’est gratuit ! J’arrive porte de Madrid. Un petit rond-point. D’un côté le bois, de l’autre les premières maisons du guindé Neuilly. Je prends la route des Lacs. Elle fait environ deux cents mètres et se termine en cul-de-sac. Une petite route toute calme, l’air désert. Je pénètre en pleins phares. Sur la droite le bois, sur la gauche une quinzaine de voitures stationnées les unes derrière les autres le long du centre équestre. Quelques-unes ont allumé leurs phares dès mon arrivée. Elles me font de l’œil ! Je roule au pas, leur faisant face. Dans chaque voiture, un homme attend. C’est le sex-drive. Je ralentis devant chaque véhicule. Les conducteurs me regardent. On ne me fait ni bonjour ni sourire. On attend juste la proposition ! Des vieux, des jeunes, des voitures de luxe, des vieilles poubelles, il y a de tout. Dans le dernier véhicule, un jeune homme à demi allongé sur le fauteuil conducteur se fait sucer par une transsexuelle. Elle relève la tête, je la reconnais. C’est une fille du bois, une prostituée. Elle a dû proposer au client de venir faire la passe ici, chez les pédés, où ils seraient tranquilles. Un homme d’une quarantaine d’années profite du spectacle en regardant par la fenêtre, ce qui ne semble pas gêner le jeune homme sûrement un peu exhibitionniste. Je fais demi-tour. J’aperçois à quelques mètres de moi, entre deux arbres un jeune Rebeu en survêt, Nike « TN » au pied, qui se masturbe de profil en regardant dans ma direction. Un autre jeune homme du même style le regarde, puis me regarde, et disparaît dans le bois. Beaucoup d’affaires se concluent derrière les arbres. Deux hypothèses. Soit ces deux jeunes de banlieue sont en quête d’aventures homosexuelles (il y en a beaucoup !), soit c’est un guet-apens. Ou les deux en même temps ! C’est fréquent ici. Les types suivent dans les bois une jolie racaille… et se font dépouiller. Mais les racailles joignent parfois l’utile à l’agréable et se laissent faire la gâterie proposée avant de passer aux choses sérieuses. Le vol leur permet de se convaincre qu’ils ne sont pas là pour le sexe. Que le sexe est le prétexte au vol. Alors que c’est évidemment le contraire ! En repartant vers la sortie, je croise un vieux monsieur précieux, cheveux blancs permanentés, au volant de sa petite voiture qui pénètre route des Lacs. Son petit chien l’accompagne sur le fauteuil passager. J’ai envie de voir ce qu’il va faire. Je quitte la route, puis reviens deux minutes plus tard. Au fond, sa voiture est garée près de l’endroit ou zonaient les deux jeunes en survêtement. Il n’est plus dedans. Son petit chihuahua est resté seul. Il gratte à la fenêtre, couinant dans les aigus. Le toutou semble inquiet. Il y a de quoi ! Un autre vieux me tourne autour en vélo. Il a la coupe de cheveux de Montherlant mais porte un short, ça ne peut pas être l’auteur des Jeunes filles. Je me dirige vers la sortie de la route des Lacs. À ma gauche, sur la porte de Madrid se trouve un gros robinet public en métal vert. Un vieux cycliste en T-shirt long tombant au-dessous des fesses mais les jambes nues, s’y arrête. Il l’allume, fait un demi-tour sur lui-même, et s’introduit comme il peut le robinet dans le cul. Je n’en crois pas mes yeux, il se fait un lavement public ! En pleine lumière des réverbères, face aux premiers immeubles de Neuilly. Il prend son temps. Après une ou deux minutes dans cette position (on dirait qu’il skie !) il sort de sa sacoche quelques feuilles de sopalin et se torche. Il remonte sur son vélo, et s’engouffre route des Lacs. Il préparait le terrain ! Je ne boirai plus jamais au robinet.Je retourne allée de la Reine-Marguerite. Il est 2 heures, c’est l’effervescence. Plein de mecs se baladent. Les bandes de jeunes hommes discutent maintenant ouvertement avec les filles. Ils ne font plus semblant de se promener là par hasard. Des voitures en warning sont stationnées de tous côtés. Des groupes de mecs palabrent entre eux, c’est l’heure des conciliabules. « Vas-y on fait quoi ? On essaye ? C’est un trans mais elle est bonne ! Putain, elle est vraiment belle. T’as combien sur toi ? Moi il me reste trente euros. Si t’as dix euros on lui demande si elle peut nous sucer à deux. » À ma droite, la toute petite route de Suresnes s’enfonce dans l’obscurité du bois. Mais jusque loin dans le noir, on aperçoit des petites lumières de couleur. On devine le sexe. J’y pénètre. La route est étroite. Sur les côtés, les grosses fourgonnettes s’enchaînent tous les vingt mètres. À l’intérieur, les filles trans sont comme en vitrine. Ici elles sont plus âgées. Elles ont tapissé leur petite scène-cabine de léopard ou de zèbre et l’ont éclairée de lumière parfois rose ou rouge. Des tableaux de Pierre et Gilles ! Certaines sont sublimes. D’autres monstrueuses, mais tellement spectaculaires qu’elles sont sublimes aussi. Cette petite route-circuit est interminable, ça tourne à gauche, puis à droite, ça n’en finit plus. Un véritable train fantôme du sexe. Il y a la queue devant nous ! Après quelques minutes, la petite route dégueule de nouveau sur l’allée de la Reine-Marguerite. Ça vibre encore plus. Plus il est tard, plus c’est chaud. Passé deux heures, parfois après quelques gorgées d’alcool, les filles veulent appâter le client. Certaines sont maintenant nues. D’autres se caressent entre elles. Les hommes deviennent fous devant ce spectacle. Quelques filles caressent le sexe des types qui leur demandent le prix. D’autres les embrassent langoureusement avec la langue. Ils ne pourront plus résister, même ceux qui étaient venus juste comme ça, pour « voir le bois ». Dois-je dire ici que certains soirs, lors de mes promenades pour écrire cet article, certains de mes copains hétéros, venus juste pour m’accompagner et voir l’endroit, se sont laissé dévorer par le bois et ses créatures ? Le chant des sirènes était trop puissant. Après des heures de seins magnifiques, de formes sur-sexuelles, de cheveux caressants, ils perdent leurs repères. Tant pis si leur « hétérosexualité » doit en prendre un coup !

Jusqu’à la fin de la nuit on croise et recroise les mêmes personnes. Ici, on vient zoner. On s’oublie un peu, on brise les tabous. On vient s’enivrer de délices et faire la fête. Car le bois est une fête. Quelque chose de joyeux, malgré tout, y règne. La vie n’est pas toujours rose pour les filles qui y travaillent. Mais le travail du sexe semble moins douloureux pour ces filles trans que pour les femmes « biologiques». Ou du moins, chez les trans on assume plus souvent de prendre parfois du plaisir avec les clients que chez les femmes. Une Brésilienne historique du bois m’a raconté ceci : « J’aime faire la pute. Ça me plaît. Au fond, je suis quand même un peu un homme. Et les hommes aiment le sexe. La plupart des clients que je fais, ça me plaît de les faire. Quand je vais avec eux, je suis excitée. Pas avec tous, mais avec beaucoup. Être payée pour faire l’amour, la nuit, dans ce bois magnifique, moi ça me plaît. Je trouve cela excitant. » Mais depuis plus de dix ans, la clientèle chic a un peu disparu. Les prix ont baissé. On fait aujourd’hui la pipe pour vingt euros et la totale pour quarante. Parfois moins. Et puis, il y a les agressions, les meurtres. Trop de filles ces dernières années ont été tuées. Quelquefois, des bandes viennent racketter les filles et les clients. Certaines travailleuses ne font pas cela la joie au cœur. Elles aimeraient faire autre chose. Chaque pute est différente. Mais ce bois, beaucoup de celles qui y travaillent ou qui y ont travaillé l’aiment malgré tout. Splendeur et misère du bois de Boulogne. « Les hommes nous désirent, on les rend fous. C’est valorisant, m’a expliquél’une d’elles. Quand je vois tous ces mecs prêts à payer pour moi, c’est flatteur. Pour nous les filles trans, ce n’est pas toujours facile de trouver un copain. Quelqu’un qui assume vraiment d’être avec une trans. Alors, les caresses des clients qui nous plaisent, leurs baisers, parfois on les prend avec plaisir. Mais lorsqu’on rentre chez nous, qu’on enlève les faux cils, le maquillage, c’est là qu’on aurait besoin de quelqu’un. Et très souvent, il n’y a personne. Pour la plupart des hommes, nous ne sommes qu’un objet de fantasmes, une parenthèse sexuelle. C’est le revers de notre médaille. C’est le tragique de notre histoire. »

Vincent Campredon: l’océan pour passion

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Directeur du Musée national de la Marine, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, nous conte avec style et panache son amour de la mer.


Avec Le voyage en mer, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, directeur du Musée national de la Marine, explore les raisons de son goût insatiable pour la navigation et l’océan.

Issu d’une famille de marins, il a passé son enfance et son adolescence à Brest et à Toulon, puis il s’est engagé à son tour.

Il a navigué sur tous les océans ; il a également participé à de nombreuses courses au large.

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De l’eau salée dans les veines

Que nous raconte-t-il dans cet opus qui tient autant du récit que de l’essai ? Après six ans de très importants travaux, à la fin d’octobre 2023, le nouveau musée de la Marine ouvre ses portes au grand public sur la place du Trocadéro, à Paris. « Ce n’est pas à une visite de ses exceptionnelles collections (plus de 1000 œuvres) que nous convie Vincent Campredon, son directeur, mais à une étonnante traversée », explique l’éditeur Grasset. « Le voyage en mer n’est pas un voyage sur les eaux, fussent-elles rêvées ou rugissantes, qu’elles apaisent ou engloutissent. C’est un appel, une attente de vivre, de découvrir, de prendre ses distances, de se transformer. Voici le livre d’une vie et d’une passion, où l’on suit, entre autres guides imparfaits, Bougainville, Cook, Surcouf et Lapérouse… »

Marin et Officier de Marine émérite, Vincent Campredon nous fait découvrir les légendes des corsaires, l’invention de la carte marine et les plus incroyables batailles navales. Il évoque la découverte de la longitude, le rêve fou de Magellan et les courses transatlantiques à la voile, « ces dernières aventures modernes qui laissent les femmes et les hommes hors de toute portée… » On le suit au Cap Horn, dans les profondeurs de l’Atlantique avec les sous-mariniers, en mer de Chine sur La Jeanne, à Tahiti… Il nous convie sur le rivage, et au musée où il rêve devant les maquettes, dessine des goélettes, s’intéresse au guide des nœuds et découvre le mystère des marées. Il dit tout de ces océans que pourtant on maltraite et qu’il est si nécessaire de protéger. 

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L’homme manie avec autant de dextérité l’écriture que le gouvernail. Il ne manque pas de style. « J’ai de l’eau salée dans les veines. Je suis un « cul salé », comme on dit dans le Finistère. La mer me parle. M’inspire. M’irrigue. Elle rythme ma vie depuis l’enfance et les affectations de mon père, l’amiral Jacques Campredon, en Tunisie, à Toulon et à Brest. L’océan m’aspire. C’est mon jardin, mon ailleurs. C’est une sorte de porte vers l’infini. » Un voyage en mer et en mots pas comme les autres.

Le voyage en mer, Vincent Campredon ; Grasset ; 166 p.

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Simone Signoret, la nostalgie camarade

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Nous sommes le lundi 30 septembre 1985, au volant de ma vieille Peugeot, j’entends à la radio un flash spécial : Simone Signoret est morte. Ce souvenir reste depuis gravé dans ma mémoire. Il faisait gris et le vent malmenait la voiture. J’aimais beaucoup Signoret, son visage détruit, comme aurait dit Duras, ses rides de la désillusion amoureuse, ses cheveux blancs, non pas ceux de la sagesse, mais de la souffrance imposée par Yves Montand, magicien de la scène à la voix mélancolique et au regard de chien battu, d’un professionnalisme à rendre jaloux les Américains. « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes… » Et l’émotion est là, directe.

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Signoret, je la vois immédiatement dans deux rôles. Le premier, dans le long-métrage de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres. Elle joue le rôle de Mathilde, une résistante éliminée par son propre réseau, en 1943. La scène de sa mort est tournée Avenue Hoche, non loin du parc Monceau. Je m’y suis souvent rendu comme si cet assassinat était réel. Signoret était tellement « naturelle » qu’on oubliait que c’était du cinéma. Le second, dans Police Python 357, de Corneau. Un polar noir, efficace, sur fond de société consumériste. Signoret joue une bourgeoise en fauteuil roulant. Elle est alcoolique, dévastée par le cocufiage de son mari. Elle veut mourir, finit par supplier Montand, qui joue le rôle d’un fic pris dans un engrenage machiavélique, de la tuer. Signoret est tout entière dans ce rôle de femme-épave, le regard injecté de whisky, sans larmes, morte déjà. Elle résume sa vie amoureuse face à la caméra. Elle ne joue pas, elle est Signoret, première actrice française oscarisée, humiliée par son mari chanteur, effacée, croit-elle, par la beauté délétère de Marilyn Monroe, maîtresse d’un soir de celui qu’elle a rencontré le 19 août 1949, à la Colombe d’Or, dans l’arrière-pays niçois, et qu’elle a aimé jusqu’au bout de la déraison.

Pari un peu fou

Signoret fut une immense actrice et une femme malheureuse. À la mort de Marilyn, pourtant, Montand l’appelle, il bafouille au téléphone, paumé. Elle l’écoute, ne raccroche pas. Elle est aussi triste que lui. Elle meurt donc le 30 septembre 1985 d’un cancer du pancréas, dans sa maison d’Autheuil-Anthouillet (27). Elle n’avait que soixante-quatre ans. Elle avait écrit en 1976 une très belle autobiographie, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pivot l’avait reçue à Apostrophes. Elle avait paru timide, presque gênée d’être sur le plateau, elle qui fut l’amie de Sartre et de Simone de Beauvoir, « compagnon » de route du PCF.

De nombreuses biographies ont été écrites sur elle, son couple, sa fille, Catherine Allégret. Nicolas d’Estienne d’Orves, écrivain et critique musical, a pourtant relevé le défi d’en ajouter une nouvelle. Enfin pas tout à fait, il a relevé un pari un peu fou : celui de se mettre dans la peau de Simone, née Kaminker, le 5 mars 1921, à Wiesbaden, et de lui donner la parole. Pari dangereux, car il était difficile alors de se montrer objectif, notamment sur le voyage qu’elle fit avec Montand dans les pays de l’Est, du 16 décembre 1956 à fin mars 1957 – la moindre des choses aurait été de boycotter l’URSS dont on connaissait les massacres de masse organisés par Staline, notamment avec Le Zéro et l’Infini, ouvrage d’Arthur Koestler, et surtout après l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars russes, le 4 novembre 1956, à Budapest. Mais pari gagné.

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On finit par lire l’ouvrage comme si c’était Signoret qui l’avait écrit. On la trouve de mauvaise foi – la question sur l’URSS. On la trouve également très sévère à l’égard de Montand – homme colérique certes, mais pas si « enfantin » que cela…

On comprend mieux, cependant, qu’elle ait accepté d’être Mathilde, dans L’Armée des ombres, elle, la demi-juive qui fréquenta Jean Luchaire et d’autres collabos parisiens, histoire de vouloir réparer une errance de jeunesse. Elle apparait entière, excessive, autodestructrice, en un mot, vivante. Et également glaçante. Après la passade Marilyn, Signoret – enfin l’auteur – lance à Montand : « Tu m’as trahi avec une beauté, je vais te faire vivre avec une vieille dame… »

Nicolas d’Estienne d’Orves, Simone Signoret, histoire d’un amour, Calmann-Lévy. 400 pages.

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Tous mineurs isolés!

Avec l’effondrement du cadre familial, l’enfant est devenu un dossier, un cas, une variable. Les parents et l’Éducation nationale ayant renoncé à exercer leur autorité, les écrans, les radicalités religieuses et les cultures d’importation distillent l’anomie chez les petits Français.


Il fut un temps, pas si lointain, où l’on naissait dans un monde déjà habité. Un monde dur, parfois injuste, mais structuré. L’enfant y trouvait sa place à travers la langue des parents, les récits des aînés, les gestes transmis. La verticalité n’était pas un choix : c’était une évidence. On entrait lentement dans la condition humaine, protégé d’abord, puis exposé. La filiation donnait une direction. L’école, la famille, la communauté assuraient une continuité.

Ce monde s’est effondré, et avec lui les piliers qui soutenaient l’enfance. Aujourd’hui, l’enfant moderne naît dans un univers où tout est disponible mais où rien n’est transmis. Saturé d’images, de bruit, d’objets – mais vide de repères, de silence, d’autorité. Il ne reçoit plus de monde à habiter. Il doit le fabriquer seul, en puisant dans des fragments de discours contradictoires, souvent violents.

Captures d’écran de comptes TikTok : la jeunesse française, notamment rurale, est happée par les écrans et l’anomie. DR.

On parle de mineurs isolés pour désigner les jeunes migrants sans famille. Mais ce terme devrait être élargi à toute une génération. Les enfants d’aujourd’hui, en France comme ailleurs, sont eux aussi des mineurs isolés dans leur propre pays. Mineurs, car encore en construction. Isolés, car laissés à eux-mêmes, dans une société déserte d’adultes.

La désintégration commence par le foyer. Le père, autrefois porteur de nom, de loi, de force contenue, a disparu ou s’est effacé. Il n’est plus une autorité, ni même un modèle. Il est un figurant social, parfois violent, souvent absent, presque toujours dépossédé de sa fonction symbolique. La société moderne ne sait plus quoi faire de lui – sinon l’écarter.

La mère, elle, se retrouve seule à tout porter. Elle travaille, élève, organise, console. Mais cette omniprésence n’est pas une victoire. C’est une fatigue. Elle est seule face à l’enfant, au réel, aux injonctions contradictoires. Elle aime, mais ne peut plus élever. Non parce qu’elle ne le veut pas, mais parce que le monde autour d’elle ne tient plus.

Alors on délègue. À l’école. Aux crèches. Aux écrans. Aux algorithmes. L’enfant est confié, pris en charge, mais jamais regardé dans la durée. Il devient un dossier, un cas, une variable. L’autorité est fragmentée, dispersée entre spécialistes et institutions. Et dans cette dilution, l’enfant n’appartient plus à personne.

L’école républicaine aurait pu être le dernier rempart. Elle aurait pu transmettre, structurer, incarner. Mais désarmée par la peur de l’autorité et par l’idéologie de la neutralité absolue, elle a renoncé à éduquer. Elle instruit mal, elle forme sans orienter, elle encadre sans parler au cœur. Le maître n’enseigne plus une culture. Il distribue des compétences. Il n’est plus une figure, mais un agent. Il gère des élèves devenus « publics cibles », dans des classes surchargées, avec des mots filtrés, des livres expurgés, des symboles neutralisés. La France n’est plus racontée. Elle est réduite à un règlement intérieur. Le passé est suspect, l’histoire est morcelée, la langue abîmée.

Et alors, que reste-t-il à l’enfant pour se construire ? Rien qu’un brouhaha idéologique, une jungle de récits concurrents : l’indigénisme, l’ultra-féminisme, l’islamisme culturel, l’utopie technologique. Tout est possible, sauf d’hériter. L’école moderne produit des mineurs sans mémoire.

Ce que la famille et l’école ne transmettent plus, les écrans le prennent en charge. Dès l’âge de 3 ans, parfois avant, l’enfant entre dans une matrice numérique. Il y trouve tout, sauf l’essentiel. Il s’y sent libre, mais est captif. Il croit apprendre, mais il consomme. Il pense choisir, mais il est guidé par des logiques marchandes ou idéologiques.

Le numérique n’est pas neutre. Il colonise l’imaginaire. Il efface le silence, l’ennui, l’intériorité. Il détruit la mémoire. Il crée des identités sans ancrage, des désirs sans fin. L’adolescent ne lit plus. Il scrolle. Il ne parle plus. Il réagit. Il ne rêve plus. Il copie. Et dans cette accélération constante, il perd le sens de lui-même. Il devient étranger à son propre corps, à son propre nom. Il se pense « fluide », « non binaire », « traumatisé », mais ne sait plus ce que signifie devenir adulte. Il devient un être fragmenté, hypersensible, incapable de stabilité ou de projection.

Ce contexte produit une génération fragile, anxieuse, vulnérable aux extrêmes. Beaucoup s’effondrent. D’autres explosent. La psychiatrie infantile est saturée. Les tentatives de suicide augmentent. Les automutilations deviennent banales. Le langage affectif s’efface. La solitude grandit. Pour se sentir vivant, il faut transgresser : violence, sexe, drogue, religion, radicalité. On ne cherche pas seulement un frisson : on cherche un cadre qui tienne. Ce que les institutions ne donnent plus, certains le trouvent dans des récits dangereux – mais clairs. L’islamisme, le virilisme, les communautarismes offrent des lois là où l’État ne propose plus que des valeurs molles.

Dans les cités, la jeunesse trouve une structure dans l’islam, dans la rue, dans la cause palestinienne. Ce n’est pas toujours un choix conscient. C’est une prise en charge. Quand la République ne parle plus, d’autres le font. Le ressentiment se transforme en religion. L’école est méprisée, l’État haï. La France est vue comme une mère morte ou absente.

Dans les zones rurales et les petites villes, une autre jeunesse – blanche, silencieuse, souvent masculine – s’éteint sans bruit. Elle ne brûle rien, elle ne marche pas. Elle reste chez elle, invisible. Les filles s’en vont. Les écrans occupent les jours. L’alcool ou la drogue anesthésient les soirs. Ce jeune homme ne revendique rien. Il constate qu’on ne l’a jamais regardé. Il voit son monde se dissoudre : son accent, sa religion, ses repères. Il sent qu’il est devenu suspect. Il ne comprend pas ce qu’on attend de lui. Il se tait, ou bien il se radicalise en silence.

À ce malaise diffus chez les jeunes hommes blancs s’ajoute un sentiment plus trouble, plus intime, rarement nommé : celui d’un remplacement sexuel. Ce n’est pas seulement la place sociale ou culturelle qui semble leur échapper, mais aussi la place dans l’imaginaire féminin, dans le jeu amoureux, dans la compétition de la virilité. Face à eux, des jeunes issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne apparaissent souvent plus sûrs d’eux, plus affirmés, plus frontaux dans leur rapport au monde. Ils n’ont pas honte de leur masculinité. Leur audace, parfois brutale, tranche avec la timidité d’une jeunesse blanche culpabilisée, castrée symboliquement, paralysée par la peur d’être taxée de sexisme ou de domination.

Cette asymétrie se double d’une représentation médiatique omniprésente : films, séries, publicités, tous mettent en scène des couples mixtes où l’homme est l’exotique, le dominant, le désiré – et où le jeune Blanc n’existe plus, sinon comme rival maladroit ou spectateur frustré. Pour ceux qui restent seuls, invisibles, ce n’est pas l’amour qui fait défaut : c’est la possibilité d’exister comme homme. Ce ressentiment sexuel, bien plus que les discours idéologiques, alimente une rage sourde, une humiliation silencieuse qui pourrait un jour chercher à se venger.

Ce double effondrement est aggravé par un non-dit politique majeur : l’immigration de masse, depuis quarante ans, a profondément bouleversé l’équilibre national. L’assimilation a été abandonnée. La République a remplacé l’exigence par la tolérance passive, puis par la soumission.

Ce n’est pas l’étranger ou le descendant d’immigrés qui est en faute, c’est l’État qui a cessé de transmettre la France. Le vide laissé par ce renoncement a été rempli par des contre-récits puissants : l’oumma, l’indigénisme, la haine du passé. L’école n’y peut rien. L’État n’ose plus rien. Et dans ce vide, la fracture devient culturelle, puis ethnique, puis existentielle.

Face à cela, les jeunes Français issus de souche populaire se sentent effacés. Non pas haïs, mais dépassés, remplacés, oubliés. On leur dit que leur culture n’est pas menacée, mais ils voient qu’elle n’est plus enseignée, ni respectée, ni incarnée. Leur ressentiment est croissant, confus, mais réel.

Ces deux jeunesses, que tout oppose en apparence, ont un ennemi commun : l’adulte qui a renoncé. Mais au lieu de se rejoindre, elles pourraient bientôt s’affronter. Car la colère a besoin d’une cible. Et quand l’État ne l’entend pas, la cible devient l’autre.

Tout est en place pour une guerre froide sociale et identitaire. Pas encore une guerre civile, mais une suite de conflits diffus : dans les classes, dans les quartiers, dans les esprits. Chacun enfermé dans son récit. Chacun certain d’avoir été trahi. Le ressentiment, nourri par des années de silence et de mépris, est le carburant de tous les extrémismes à venir. Il suffit d’une étincelle.

Face à ce monde en ruine douce, il reste encore des enfants debout. Pas parce qu’ils sont surdoués. Pas parce qu’ils sont protégés par leur statut social. Mais parce qu’un adulte, quelque part, a tenu debout devant eux. Un père. Une mère. Un professeur. Un prêtre. Un grand frère. Ces enfants debout ne sont pas des héros. Ce sont des survivants. Des enfants qui ont eu la chance d’être regardés, cadrés, nommés. Ce sont eux qui nous rappellent ce que peut encore un adulte : dire non, transmettre une histoire, affirmer une limite, incarner une parole.

Le problème n’est pas technique. Il est civilisationnel. Il ne s’agit pas de créer un nouveau plan pour la jeunesse, ni de multiplier les psychologues scolaires. Il s’agit de redevenir des adultes. De réapprendre à parler, à interdire, à guider. De dire : « Tu viens d’un monde plus ancien que toi. Ce monde est imparfait, mais il est à toi. Tu n’as pas à le détruire pour exister. » Il faut cesser de se cacher derrière des abstractions et des discours inclusifs. Ce qui sauve un enfant, ce n’est pas l’égalité des chances : c’est la présence incarnée.

Tant que nous continuerons à déléguer la parole, à confondre tolérance et renoncement, à abandonner les jeunes à eux-mêmes, ils seront tous, quelles que soient leur origine ou leur foi, des mineurs isolés.

Non pas étrangers par leur naissance, mais étrangers dans leur propre pays. Et ce jour-là, quand ils se lèveront – non pour construire, mais pour juger –, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.

Les parapluies d’Islamabad

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Riyad et Islamabad ont scellé un accord militaire stipulant qu’«une attaque contre l’un des deux pays sera considérée comme une attaque contre les deux». Le Pakistan disposerait aujourd’hui de 160 à 170 ogives nucléaires.


Lorsque, le 17 septembre 2025, Islamabad et Riyad ont annoncé leur pacte de défense mutuelle, la réaction internationale a été immédiate. Derrière les formules convenues d’« amitié fraternelle » et de « coopération stratégique », l’ombre de l’arme nucléaire s’est imposée. Depuis plusieurs décennies, l’Arabie saoudite est soupçonnée d’avoir financé en partie le programme atomique pakistanais, et voici que la perspective d’un « parapluie nucléaire » s’esquisse, au moment où l’Iran affiche un enrichissement d’uranium toujours plus avancé et où Israël semble plus déterminé que jamais à refaçonner la région. Et surtout, lorsque la garantie américaine, vieille de quatre-vingts ans, perd de sa fiabilité…

Quelle effectivité ?

Mais que signifie, concrètement, un tel « parapluie » ? La question suppose d’abord d’évaluer la réalité des moyens dont dispose le Pakistan. À la différence des grandes puissances nucléaires, Islamabad dispose d’un arsenal significatif mais limité, moderne mais vulnérable, et contraint par les équilibres régionaux.

Selon les estimations récentes, le Pakistan posséderait environ 160 à 170 têtes nucléaires. Ce stock, conséquent à l’échelle régionale, repose sur plusieurs familles de vecteurs, notamment les missiles balistiques terrestres de la série Shaheen, les missiles à moyenne portée capables d’atteindre le territoire indien ou iranien, et certains vecteurs adaptés pour frapper des cibles régionales. Cette diversité confère au pays une marge de manœuvre opérationnelle, mais il n’est pas extensible à l’infini. Toute extension de la dissuasion à un allié nécessiterait de repenser l’équilibre interne structuré autour de la rivalité avec l’Inde.

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Dès lors, la crédibilité d’un parapluie nucléaire ne se mesure pas uniquement au nombre de têtes disponibles ; elle dépend surtout de la posture opérationnelle : l’état de préparation des forces, le degré d’alerte du commandement, la capacité à projeter rapidement des moyens et à menacer des cibles stratégiques précises. Sans ces éléments, une promesse politique resterait vulnérable au soupçon d’ineffectivité.

Étendre la dissuasion à un tiers impose de revisiter en profondeur la doctrine pakistanaise. Elle devrait intégrer de nouveaux scénarios et préciser de nouvelles conditions d’emploi de l’arme nucléaire au profit d’un allié. Cela soulève la question de la chaîne de décision : qui, du Premier ministre, du chef d’état-major ou du commandement nucléaire, serait en droit d’autoriser une frappe destinée à protéger Riyad ? La question de la « double clé », autrement dit du partage de l’autorisation ultime de tir, serait politiquement explosive.

Au plan technique, un parapluie crédible suppose l’établissement de canaux sécurisés, comparables à ceux de l’OTAN, avec codes d’authentification et procédures d’activation conjointe. Il exigerait aussi des mesures de sécurité physique pour tout prépositionnement éventuel. Enfin, l’efficacité d’un tel dispositif ne pourrait être garantie qu’au prix d’exercices conjoints réguliers. Ces ajustements, complexes et coûteux, multiplient les vulnérabilités : fuites, erreurs humaines, tensions internes.

Les chancelleries occidentales inquiètes

À court terme, une garantie politique pourrait être donnée en quelques jours ou semaines. Elle coûterait peu sur le plan financier, mais beaucoup sur le plan diplomatique, car elle placerait immédiatement Islamabad dans la ligne de mire des chancelleries occidentales et des instances internationales.

Une posture crédible demanderait davantage de temps. Il faudrait négocier les détails techniques, installer des liaisons de commandement, organiser des exercices conjoints et éventuellement prépositionner des moyens logistiques.

Enfin, le scénario du transfert matériel (ogives ou systèmes de livraison) en Arabie saoudite serait long et coûteux. Sa mise en place nécessiterait plusieurs mois, voire plusieurs années. Le prix à payer ne se mesurerait pas seulement en dépenses logistiques ou sécuritaires, mais aussi en conséquences économiques et politiques. Comme le rappelle le Washington Institute, le coût véritable d’un parapluie nucléaire pakistanais n’est pas technique mais systémique, et réside dans le bouleversement des équilibres géopolitiques et économiques que cette décision entraînerait.

Étendre la dissuasion à Riyad signifierait non seulement partager une partie de son outil nucléaire, mais aussi assumer les conséquences d’une confrontation élargie avec l’Iran, d’une crispation accrue avec l’Inde et d’un isolement probable sur la scène internationale. Plus qu’une démonstration de puissance, ce parapluie serait une fuite en avant dont Islamabad et Riyad ne maîtriseraient pas toutes les retombées.

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L’Arabie saoudite, quant à elle, peut trouver dans cette option une solution à la principale menace : l’Iran. Depuis 1979 et la révolution islamiste, les deux pays mènent une guerre larvée pour l’hégémonie du monde musulman. Pour les Saoud, le défi lancé par Khamenei est une question de légitimité et donc de survie politique. C’est au nom de principes religieux que le grand-père du prince héritier Mohamed ben Salmane a détrôné les Hachémites, pourtant issus en ligne directe de la famille du Prophète, de leur rôle de gardiens de La Mecque et de Médine. C’est en voulant se protéger que les Saoud se sont lancés dans une surenchère de radicalisation islamiste face aux mollahs, y compris en soutenant l’islamisation du Pakistan menée par le général Zia ul-Haq.

Riyad pourrait donc se réjouir de voir son rival iranien confronté à une menace directe, mais le parapluie nucléaire protège autant qu’il attire le feu. En s’adossant au Pakistan, Riyad deviendrait une cible prioritaire pour Téhéran, qui pourrait multiplier les frappes de missiles, l’usage de drones ou l’action de ses supplétifs régionaux. Un conflit régional limité risquerait de se transformer en affrontement direct, avec un Pakistan aspiré dans une guerre qui n’est pas la sienne. Les Houthis, déjà capables de menacer les installations pétrolières saoudiennes, trouveraient un prétexte pour intensifier leurs opérations. Enfin, la relation avec l’Inde, partenaire économique majeur du Golfe, serait fragilisée : New Delhi pourrait interpréter cette extension de la dissuasion pakistanaise comme une provocation.

La tentation est grande pour les deux capitales de trouver, dans l’atome pakistanais, un raccourci stratégique. Mais ce raccourci mène droit dans un labyrinthe d’incertitudes politiques, militaires, diplomatiques et économiques. La dissuasion étendue peut fonctionner lorsqu’elle repose sur une puissance dominante disposant d’un réseau d’alliances et d’une économie capable d’absorber les chocs. Le Pakistan n’a ni la marge de manœuvre économique des États-Unis, ni la capacité diplomatique de l’OTAN. Nous assistons donc à une expérimentation grandeur nature de la géopolitique d’un monde multipolaire.

Nicolas Sarkozy: une «haine» dont on relève appel…

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Même s’il partage la stupeur des citoyens, quant à l’exécution provisoire du mandat de dépôt (à organiser dans le délai d’un mois) et qui mènera l’ancien chef de l’État en prison, notre chroniqueur récuse l’argument de la « haine » des magistrats à son endroit évoqué par Nicolas Sarkozy.


Je ne suis pas Marine Tondelier et je me garderai bien de toute moquerie, de la moindre dérision à l’encontre de Nicolas Sarkozy et de la droite, comme elle le fait lourdement. Comme si la gauche et l’extrême gauche avaient des leçons de morale publique à donner !

Comme Nicolas Sarkozy a décidé d’interjeter appel du jugement de 400 pages rendu le 25 septembre, je ne me prononcerai pas sur le fond. Je vais seulement m’autoriser à contredire certaines affirmations de l’ancien président sur cette juridiction qui l’a très partiellement condamné.

Je relève qu’il évoque « une justice invraisemblable », ce qui est offensant, et qu’il ajoute, comble de l’outrance, « la haine n’a décidément aucune limite ».

Il use d’un argument pauvre et très démagogique en dénonçant la durée de dix ans de cette affaire et en prétendant que des fonds ont été dilapidés qui auraient mérité un meilleur usage. Comme s’il n’était pas nécessaire, au regard de la justice et de la démocratie, de déterminer ce que valaient les présomptions d’avoir commis des délits gravissimes dans une relation avec la Libye.

Une haine ? Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a été condamné, a usé de plusieurs argumentations polémiques pour décrédibiliser les décisions. Les juges rouges, le Syndicat de la magistrature, la partialité des magistrats à son encontre : il avait tout à fait le droit d’invoquer de telles explications pour justifier les insuccès des plaidoiries de ses avocats et de ses propres dénégations. Mais à la longue, cela perdait de sa vigueur pour convaincre !

Mais la haine ?

Nicolas Sarkozy a été relaxé pour trois chefs d’accusation importants : les délits de corruption passive, de détournement de fonds publics libyens et de financement illicite de campagne électorale.

Haine encore ?

Le tribunal a considéré comme probablement faux un document originel – validé pourtant à deux reprises par la Justice -, émanant de Moussa Koussa (haut personnage du pouvoir libyen), et base de l’affaire (article de Mediapart).

En retenant l’association de malfaiteurs et un pacte corruptif à l’encontre de Nicolas Sarkozy, entre 2005 et 2007, dans l’obligatoire connaissance qu’il avait des démarches troubles de Claude Guéant et de Brice Hortefeux en Libye, il me semble – mais ce sera discuté devant la juridiction d’appel – que le tribunal a répudié à juste titre l’invraisemblance d’actions engageant la France sur un mode délétère sans que Nicolas Sarkozy en ait été informé. Pacte corruptif et non corruption puisque, élu président de la République, Nicolas Sarkozy n’a pas dérogé à la politique traditionnelle à l’égard de la Libye. Ce jugement « n’humilie pas la France ni l’image de la France ». Il n’humilie personne, même si l’on peut à nouveau mettre en cause cette exécution provisoire pour le mandat de dépôt différé à organiser dans le délai d’un mois, avec le probable aménagement que son âge facilitera. On sait déjà qu’il est convoqué par le PNF le 13 octobre et qu’il sera incarcéré dans un délai relativement proche.

On ne parle pas de « haine » pour un jugement dont on relève immédiatement appel. Il ne faut surtout pas se moquer de ses protestations d’innocence : celles d’un innocent ou d’un homme, ancien président, qui ne se supporte pas coupable ? La droite, avec Laurent Wauquiez, est démagogique ; avec Bruno Retailleau, heureusement minimaliste : « soutien et amitié ». Vivement l’appel !

Ni l’Europe ni la France ne sont condamnées à la stagnation

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Économiquement, nous ne sommes pas condamnés à être un musée et à regarder les autres nous écraser


Pendant trop longtemps, nous avons accepté une idée aussi paresseuse que fausse selon laquelle la « vieille Europe » serait vouée à croître lentement. Or le ralentissement n’a rien de naturel. Il résulte de nos choix. Quand on protège les rentes au lieu d’ouvrir les marchés, quand on centralise au lieu de faire confiance aux territoires, quand on empile taxes et normes au lieu de libérer l’investissement et le travail, on obtient exactement ce que l’on observe : des factures d’énergie trop élevées, des salaires nets trop faibles, des usines qui hésitent, des jeunes qui partent.

Qu’est-ce qui, concrètement, empêche la concurrence de jouer pleinement son rôle ? Il y a des facteurs qu’on peut qualifier de « distorsions anti‑concurrentielles ». Elles prennent des formes variées — barrières réglementaires, fiscalité qui décourage l’effort, procédures trop lentes, normes extraterritoriales qui ferment des débouchés — mais elles ont le même effet : moins de pression concurrentielle, donc des prix plus élevés, moins d’innovation et des salaires qui stagnent.

Trois verrous pèsent particulièrement sur l’Europe.

Premier verrou : l’énergie devenue un luxe. Nous avons voulu faire porter à nos ménages et à nos usines le coût d’une transition mal ordonnée. Résultat : des prix de l’électricité et du gaz durablement supérieurs à ceux de nos concurrents. Or sans énergie abordable et fiable, il n’y a ni industrie, ni artisanat, ni transports compétitifs. Une politique sérieuse part d’un principe de neutralité technologique : le carbone doit baisser, certes, mais par l’innovation et l’investissement, pas par la raréfaction et des mesures punitives. Il faut sécuriser nos approvisionnements, moderniser nos réseaux et assumer nos atouts — au premier rang desquels le nucléaire.

Deuxième verrou : la règlementation excessive. Nous parlons beaucoup de « marché unique », mais l’esprit de reconnaissance mutuelle a trop souvent cédé la place au réflexe de l’harmonisation lourde. Dans de nombreux secteurs, des règles pensées pour les grands acteurs deviennent des barrières pour les nouveaux entrants. Là où l’on voulait protéger le consommateur, on protège en réalité l’installé. Le résultat se voit : trop de paperasse, trop peu de créations d’entreprises, trop de freins administratifs, et des innovations qui partent ailleurs.

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Troisième verrou : un marché du travail rigide. Nous avons fait de la protection de l’emploi une protection de postes, quand il faudrait protéger les personnes et leurs parcours. Simplifier l’embauche et le dialogue social, rendre le coût du travail moins punitif, faire de la formation une responsabilité partagée et efficace : ce sont des réformes pro‑travail, pro‑salaires et pro‑dignité. Là où l’on a libéré l’apprentissage, bâti des passerelles simples entre chômage et emploi, et cessé d’empiler les contraintes, l’activité repart et les salaires suivent.

Faut‑il pour autant renoncer au modèle social français ? Non. Il s’agit de le sauver de son inertie. Un modèle qui dépense toujours plus sans produire plus finit par s’autodétruire : dettes, impôts, exode des talents. L’Europe centrale nous donne une leçon de bon sens : moins de dette, des impôts plus lisibles, des règles plus claires, et la croissance suit. Plusieurs pays partis de plus bas rattrapent déjà l’Ouest. Ce n’est pas un miracle : c’est l’effet cumulatif de choix pro‑concurrence.

Que faire donc pour relancer la France et, avec elle, l’Europe ?

Baisser la facture d’énergie en assumant une stratégie de sécurité et de coût. Stop aux dispositifs qui renchérissent sans réduire efficacement les émissions. Priorité au nucléaire, aux réseaux, aux contrats d’achat à long terme et à la concurrence dans la fourniture.

Libérer le travail : simplifier le code là où il bloque l’embauche, alléger les charges sur les bas et moyens salaires, récompenser les heures supplémentaires, fluidifier la négociation dans l’entreprise. Protégeons les personnes, pas les statuts.

Accélérer la création d’entreprise : guichet unique réel, délais garantis, droit à l’erreur, formalités numériques simples, faillite rapide et sans stigmate pour rebondir. Orientons l’épargne longue (assurance‑vie, retraites) vers l’investissement productif français.

Stabiliser la fiscalité : moins de taxes qui changent chaque année, plus d’incitations visibles et pérennes à investir, innover et embaucher. La stabilité est la première condition pour convaincre un entrepreneur d’avancer.

Réviser nos normes avec un filtre pro‑concurrence : toute règle devrait prouver qu’elle ouvre le marché au lieu de le fermer. Instaurons un réexamen périodique : si une norme ne démontre pas son utilité, elle disparaît.

Retrouver l’esprit de subsidiarité : la centralisation, à Paris comme à Bruxelles, n’est pas synonyme d’efficacité. Laissons régions et villes expérimenter ; copions ce qui marche. La concurrence entre régulateurs peut être aussi saine que la concurrence entre entreprises.

Ouvrir plus largement nos débouchés par des accords fondés sur la reconnaissance mutuelle et l’équivalence, plutôt que sur l’exportation unilatérale de nos règles. Moins de guerres de normes, plus d’accès réciproques. C’est particulièrement vrai avec les États‑Unis et l’Inde.

Réorienter la dépense publique : arrêter d’opposer réformes et solidarité. En luttant contre les rentes et les gaspillages, on peut à la fois soulager le contribuable et mieux cibler l’aide. Un euro économisé sur l’inefficace, c’est un euro pour la sécurité, l’école, la justice et la défense.

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Faire de l’école‑travail un continuum : valoriser l’apprentissage, l’alternance, les filières techniques d’excellence, et reconnecter l’université avec le tissu productif. Chaque jeune doit sortir des études avec une compétence monnayable et une trajectoire lisible.

Ce programme n’est pas une « austérité joyeuse ». C’est un projet de prospérité par la liberté économique ordonnée. Il ne s’agit pas de privatiser la vie, mais d’aligner nos politiques sur ce qui marche : la concurrence loyale, la propriété, l’ouverture, la responsabilité. À ceux qui craignent que la concurrence abîme la France, on peut répondre que la concurrence est l’alliée du consommateur, de l’ouvrier qualifié, de l’artisan, de l’agriculteur, du créateur de PME. Elle brise les rentes, fait baisser les prix, stimule l’investissement et reconnaît le mérite.

La France a des atouts rarissimes : énergie nucléaire, savoir‑faire industriel, épargne abondante, écosystème tech en montée, État capable de décider quand il le veut. Ce qui lui manque, ce n’est pas une « grande stratégie » de plus, c’est la décision d’enlever les cailloux dans la chaussure de ceux qui produisent, embauchent et exportent.

Nous avons, collectivement, un choix simple à faire. Continuer à gérer le déclin, à coup de rustines fiscales et de normes punitives, en espérant des miracles qui n’arriveront pas. Ou bien choisir la compétition, la subsidiarité et l’ouverture, et retrouver le mouvement ascendant des nations qui croient en elles. L’écart de niveau de vie avec les économies les plus dynamiques n’est pas une fatalité : c’est un écart de politiques.

Rien n’oblige l’Europe à être un musée. Elle peut redevenir un continent de croissance, d’emplois et de salaires en hausse. La recette tient en quelques mots : énergie abordable, travail libéré, marchés ouverts, règles simples. C’est exigeant, mais c’est à notre portée. Et cela commence par une volonté : laisser la France qui entreprend, qui innove et qui travaille, respirer enfin.

Une décision infamante

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Hier, la 32ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris a prononcé à l’encontre de l’ancien chef de l’État une peine de prison provisoire, extrêmement surprenante.


C’est une immense secousse politique. Pour la première fois depuis Philippe Pétain, il a été décidé en France de placer un ancien chef de l’État en détention. Ce jeudi, Nicolas Sarkozy a, dans l’affaire dite du « financement libyen » de sa campagne présidentielle de 2007, été condamné pour association de malfaiteurs à cinq ans de prison ferme, 100 000 euros d’amende et une privation de ses droits civiques, civils et de famille pendant cinq ans ainsi qu’une inéligibilité de cinq ans.

Présumé coupable

Sitôt après l’annonce au Tribunal judiciaire de Paris, l’ex-président a fait une allocution devant la presse pour qualifier la décision d’« injustice scandaleuse » et annoncer qu’il ferait appel. Toujours présumé innocent, il n’échappera pourtant pas à une mise sous écrou, car les juges ont assorti leur peine d’une exécution provisoire !

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Concrètement, un mandat de dépôt « à effet différé » a été prononcé, qui oblige Nicolas Sarkozy à se présenter devant le Parquet national financier le 13 octobre prochain pour se faire notifier la date et le lieu de son incarcération (très probablement la maison d’arrêt de la Santé à Paris). Il pourra toutefois dès ce jour-là déposer une demande de remise en liberté, à laquelle la Cour d’appel pourra éventuellement répondre en ordonnant la pose d’un bracelet électronique.

Incompréhensible

Reste que cette exécution provisoire n’avait pas été demandée par le ministère public. Comment interpréter la sévérité exceptionnelle des magistrats du siège ? L’ancien chef de l’État est-il susceptible de récidiver ? De suborner des témoins ? Pour des faits datant d’il y a une vingtaine d’années, ces hypothèses sont absurdes. Seulement, les juges ont considéré, de façon incompréhensible, que Nicolas Sarkozy était un justiciable à l’esprit trop frondeur, notoirement prompt à critiquer les décisions de justice en public et à utiliser toutes les voies de recours, y compris devant les cours européennes. Un homme si indocile présente à leurs yeux un risque de fuite à l’étranger. Lunaire.

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Quant au dossier lui-même, Nicolas Sarkozy a été relaxé des chefs de corruption passive, de détournement de fonds publics libyens et de financement illicite de campagne électorale. Autrement dit, le jugement reconnaît qu’il n’y a aucune trace de sommes suspectes ni aucune preuve que des consignes aient même été données par l’ex-président pour obtenir des fonds auprès du régime dictatorial de Mouammar Kadhafi. Les juges ont également estimé que le fameux document publié par Mediapart, censé être accablant, est un « probable faux ».

En fin de compte, il est reproché à l’ancien chef de l’État d’avoir été entouré de collaborateurs, Claude Guéant et Brice Hortefeux (eux aussi condamnés hier), aux intentions hautement délictueuses et dont il ne pouvait ignorer les agissements répréhensibles. Ce que le Code pénal appelle « association de malfaiteurs », qualification judiciaire habituellement réservée aux mafieux et jamais employée jusque-là pour punir des hommes politiques. Résultat, Nicolas Sarkozy pourrait, selon ses propres termes, « sans doute comparaître les menottes aux mains devant la cour d’appel ». Si tel devait être le cas, pas sûr que l’image de votre pays en sorte grandie.

Podcast: Pourquoi nos sociétés s’effondrent de l’intérieur

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Etienne-Alexandre Beauregard présente son nouveau livre, Anti-civilisation. Avec Jeremy Stubbs.


Etienne-Alexandre Beauregard, ancienne plume du Premier ministre du Québec et auteur déjà de deux essais portant sur la question nationaliste au Québec, vient de publier Anti-civilisation. Pourquoi nos sociétés s’effondrent de l’intérieur, aux Presses de la Cité avec une préface de Mathieu Bock-Côté.

Il nous présente son livre qui explique, d’abord, comment le monde occidental est devenu « civilisé », non seulement en découvrant la démocratie, mais aussi en persuadant les individus à contraindre leurs pulsions et à tisser un réseau de relations de dépendance mutuelle qui nous permettent de faire société. Malheureusement, depuis l’époque des années 1960 et 1970, des penseurs, militants et politiques, surtout de la gauche et l’extrême-gauche, encouragent leurs concitoyens à libérer leurs pulsions et à rompre les liens d’interdépendance. Et ce, au nom d’une multitude d’identités communautaires. Sitôt construite et portée à son apogée, la civilisation est ainsi entrée en déclin. L’homme « ordinaire » et « normal », jusqu’ici porteur de valeurs partagées transmises de génération en génération, est désormais présenté par les thuriféraires des nouvelles élites globalistes comme un être réactionnaire et inculte. Il n’est plus considéré comme le sel de la terre, mais comme un frein qui empêche le progrès de l’homme « nouveau », sans tradition et sans racines, voué à la seule poursuite de son bon plaisir.

Pourtant, il est toujours possible de sauver la civilisation, en reconstruisant le bien commun qui a été longtemps le fondement de nos sociétés. À cet égard, le rôle de l’État reste fondamental, un État régalien fort dirigé par des personnes qui se mettent au service de leurs concitoyens au lieu de les exploiter. Que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe, il faut réconcilier le peuple et l’élite, tâche que seuls des conservateurs, conscients de l’importance de l’identité nationale, peuvent accomplir.

Macron et la Palestine: entre sincérité et naïveté

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Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le président français Emmanuel Macron visitent l’hôpital d’El-Arich dans le nord du Sinaï, où sont soignés des patients palestiniens, à une cinquantaine de kilomètres de Gaza, le 8 avril 2025 © Eliot Blondet -Pool/SIPA

Retour sur le discours historique du président Macron à l’ONU et la reconnaissance de la Palestine


Ce lundi 22 septembre, Emmanuel Macron à la tribune des Nations Unies devait penser que sa vocation n’était désormais plus tellement de présider la France, ce pays ingouvernable, que de réparer le monde. Lui qui n’a aucune expérience militaire, finissait son discours, dont je vais essayer de suivre l’argumentation, par une réflexion sur la guerre destinée à une délégation israélienne ostensiblement absente : «La paix est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus difficile que toutes les guerres. Mais le temps est venu…» Il est facile d’exiger pour autrui ce qu’on n’a pas besoin de s’imposer à soi-même. À la France, Emmanuel Macron ne faisait courir aucun risque. Pour Israël, qui fait face à un ennemi entièrement voué à sa perte, il jouait avec sa survie…

Droit à l’erreur

Le président français prétend bâtir la paix. Qui pourrait ne pas souscrire à un tel objectif ? Mais le diable n’est pas dans le projet, il est dans les détails et ceux-ci ont de quoi laisser sceptiques des Israéliens qui n’ont pas le droit à l’erreur.

Le Hamas est déjà vaincu sur le plan militaire, dit le président comme si cela était un acquis définitif et un résultat qui n’aurait guère demandé d’effort à Israël. Il reste à le vaincre sur le plan politique et ce travail difficile, Emmanuel Macron veut en être le maitre d’œuvre. D’ores et déjà, dit-il, la reconnaissance de la Palestine par la France est une défaite du Hamas: message à envoyer à l’organisation terroriste qui ne l’avait probablement pas compris ainsi quand elle s’est réjouie de l’initiative française. Il s’agit de mettre en œuvre un plan de «paix et de sécurité». Dont la première étape, une urgence absolue, consistera à coupler la libération des 48 otages israéliens et la fin des opérations militaires. Pour ce résultat, il suffit, suivant Emmanuel Macron, de compter sur le Qatar et l’Egypte, avec les Etats-Unis en arrière-plan, à condition qu’Israël n’entrave pas leurs efforts. Si tel est le cas, ces préalables devraient être vite réglés, et la France pourrait alors ouvrir son ambassade en Palestine.

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Ensuite, il faudra reconstruire Gaza, une tâche à laquelle s’attèleront l’Autorité palestinienne, dont le président Abbas a promis de façon crédible d’adopter un comportement démocratique, efficace et respectueux de son voisin israélien. Quant aux forces de sécurité dont il disposera, elles auront été entrainées par la France et ses alliés, et elles parachèveront le démantèlement du Hamas. Pour parfaire ce travail, Emmanuel Macron envisage une initiative originale: confier à l’ONU une mission de sécurité civile et militaire. Si j’ai bien compris, il s’agirait de faire appel à l’UNWRA dont chacun connait le glorieux palmarès, et de l’associer à une force militaire internationale analogue à la FINUL, cette force d’interposition au Liban qui avait laissé faire le Hezbollah, censé se tenir loin de la frontière.

Si le gouvernement israélien ne s’engageait pas dans un plan si prometteur, la France et l’Europe en tireraient les conséquences sur le plan économique. Actuellement, dit Emmanuel Macron, 142 Etats tendent à Israël une main prête à être serrée. Il ne précise pas si l’Iran est inclus parmi ces Etats…

La sincérité française pas en doute

Je fais partie de ceux qui pensent qu’Emmanuel Macron est parfaitement sincère quand il parle de son admiration pour Israël et quand il fustige l’antisémitisme, mais j’ai été accablé par la naïveté du plan présidentiel. Se fier aux promesses d’une Autorité palestinienne qui a prouvé son incurie (le terme vient d’Emmanuel Macron lui-même), qui n’a cessé de pratiquer le double langage et qui en tout état de cause, si des élections avaient lieu, serait balayée par le Hamas, cela relève de la méthode Coué.

Penser avoir tout compris à la guerre de Gaza parce qu’on a rencontré des victimes, par exemple des Gazaouis réfugiés en Egypte à al-Arich, et adopter le narratif manigancé par une propagande anti-israélienne extraordinairement efficace, témoigne en même temps de présomption et de crédulité.

Ignorer que toute guerre est tragique, qu’une guerre urbaine frappe particulièrement les civils, que ce fut le cas dans la guerre contre Daech où la France était elle-même engagée, que ce l’est encore plus là où les souterrains ajoutent une dimension nouvelle aux opérations mais que jamais un belligérant n’avait encore utilisé la mort de sa propre population comme arme de guerre pour disqualifier l’ennemi, c’est montrer indifférence à l’égard des réalités militaires sur le terrain et aveuglement sur l’objectivité des médias.

Ne pas rappeler dans son discours que la haine anti-israélienne ressassée à longueur de temps dans les sociétés palestiniennes, est associée aujourd’hui à un islam de conquête qui risque de prospérer dans le Gaza nouveau qu’il envisage, c’est, enfin, faire preuve d’une légèreté aux conséquences potentiellement funestes.

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Le président a parlé avec émotion du 7-Octobre, mais il ne semble pas avoir compris que l’horreur du massacre, qui a touché des Israéliens particulièrement attachés à l’idée d’un Etat palestinien, a rendu le soutien à cette idée d’autant plus problématique que chacun a vu l’enthousiasme qu’a suscité cet événement dans les foules palestiniennes.

Il y a bien des arguments juridiques pour être hostile à la reconnaissance de la Palestine. Certains rappellent que dans une période sans gouvernement on ne doit traiter que d’affaires courantes ou urgentes et que cette reconnaissance n’est ni une affaire courante, ni une affaire urgente. D’autres rappellent que l’article IX de l’Accord intérimaire israélo-palestinien de 1995, qu’on appelle Oslo II, interdit à l’autorité palestinienne toute initiative diplomatique. D’autres encore se réfèrent à la réunion de Montevideo en 1933, qui définissait les critères d’un Etat, pour constater que la Palestine actuelle ne les remplit pas. 

Il en est même qui, partisans du grand Israël, signalent que la conférence de San Remo qui  en 1920 a façonné le Moyen Orient après la défaite ottomane, ne parlait pas de foyer arabe en Palestine en même temps qu’elle avalisait la déclaration Balfour.

En ce qui me concerne ces arguments juridiques pèsent peu devant une tragique constatation. Alors que pour les Juifs un second cataclysme émotionnel est survenu à partir du 8 octobre quand ils ont vu se déchainer un antisémitisme contre lequel la frilosité de la réponse judiciaire et politique a été patente, la reconnaissance d’un Etat de Palestine alors que le Hamas n’est pas encore vaincu, suggère que ce massacre a été une bonne idée.

Quoi qu’ils pensent par ailleurs de tel ou tel aspect de la politique israélienne, un tel message est insupportable pour l’immense majorité des Juifs, et, je l’espère, pour la plus grande partie de la population française.

Retrouvez Richard Prasquier au micro de Radio J.

Les hommes préfèrent les trans

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Prostituées sur l'allée de Longchamp, bois de Boulogne © Photos: Quentin Verwaerde.

En pleine période puritaine, le plus grand bordel de France demeure… le bois de Boulogne ! On vient s’y enivrer de sexe, de stupre et, surtout, on vient y chercher les transsexuelles. Objets de fascination et de trouble désir pour les hétéros, elles sont le trésor du bois sur lequel elles règnent. Immersion dans ces folles nuits où les normes sont abolies.


Pour les vacances, certains sont partis à Marbella, Saint-Tropez ou encore à Mikonos. Moi, c’est au bois de Boulogne que j’ai décidé de passer mon été, du moins beaucoup de mes soirées. Et, pour sûr, il a été bien plus fantastique et dépaysant que celui de mes amis. Lorsque j’avais 20 ans, accompagné d’un camarade ou deux, j’y passais certains soirs des heures entières. Nous étions fascinés par ce monde parallèle, par cette ville clandestine engloutie dans les bois, qui éclot au soleil couché, et va fiévreusement jusqu’au petit matin au rythme des désirs les plus brûlants. Quinze ans plus tard, me voici de retour ! Ô bois de tous les fantasmes, tu n’as pas changé. Le monde s’aseptise, et toi tu ne bouges pas. En plein essor du puritanisme, tes seins, tes fesses, tes langues, tes voyeurs et tes exhibitionnistes sont toujours aussi nombreux. Tes moindres recoins puent le sexe à plein nez. À la porte Maillot, c’est encore la vie normale. Mais voilà qu’un panneau d’indication porte ton nom. Je le suis, je tourne à droite. J’aperçois les premiers arbres… nous voilà en zone libre ! Il est 22 H 45. Quelques femmes seules attendent, dès les premiers mètres dans le bois. Rien de spectaculaire. Peu de passage, presque pas de clients. Ce n’est pas ça qu’on vient chercher ici. Les femmes ordinaires se trouvent déjà dans la vie normale. Le trésor est ailleurs. Ce qui attire la foule, c’est un autre type de femmes. Me voilà maintenant sur l’allée de Longchamp, une des plus grosses artères traversant le bois. J’entre dans le vif du sujet. Fenêtres ouvertes je roule et, non loin, déjà résonne la salsa.

À quelques mètres, un groupe de filles danse sur le bord de la route. Les arbres, auxquels elles tournent le dos, sont leur décor. Les transsexuelles latino-américaines ! Plus de 90 % des filles qui travaillent ici sont trans. C’est pour elles que ce lieu vit la nuit. Pour elles que les voitures sont toutes là, si nombreuses et si lentes, se traînant si lourdes, surchargées de désirs. Ces créatures magnifiques et troublantes sont les objets de toutes les convoitises. Des curiosités les plus obsédantes. Avec quelques guirlandes lumineuses de toutes les couleurs accrochées aux arbres, le groupe de six filles s’est délimité son petit pré carré sur sept ou huit mètres. Certaines sont très belles. Deux types latinos, avec de bonnes gueules sympathiques, sont assis avec elles, rient et boivent. Ce sont en général des hommes de leur entourage qui leur tiennent compagnie et leur assurent un minimum de sécurité. Au bois, les filles trans travaillent de leur plein gré et pour leur compte. Les chicas dansent en se partageant une flasque de whisky. Je ralentis devant elles. Les mains passent dans les cheveux, les langues caressent les lèvres, les mains caressent les seins. Je poursuis ma tournée. D’autres prés carrés lumineux se trouvent en bordure de la route. Sur chacun on écoute de la salsa, de la cumbia ou du merengue, et on y parle en espagnol ou en brésilien. Ici, c’est Cali à Paris. C’est Lima à Boulogne. C’est le bois de Rio. Certaines chicas, assises entre elles, sont en train de dîner. Une femme (biologique, pas une trans) plus toute jeune va et vient chaque soir dans le bois avec une poussette pleine de provisions. Elle vend aux travailleuses de la nuit des plats qu’elle confectionne et met en barquette. Un Pakistanais armé de son énorme thermos vend, lui, les boissons chaudes toute la nuit. D’autres vendent des boissons fraîches. Sur environ deux cents mètres, j’ai croisé une bonne trentaine de filles. Toutes trans. Voici le maxi pré carré ! C’est presque un squelette de chapiteau dessiné en guirlande lumineuse, une petite maison. Un air de guinguette ou de fête foraine. Une quinzaine de filles à demi nues s’y trouvent. J’arrive au croisement avec l’allée de la Reine-Marguerite. La plus prisée. Ici, on ne sait plus où donner du regard, les filles sont partout. Des belles, des moins belles, des menues, des pulpeuses, des grosses ! Les voitures ralentissent, s’arrêtent, repartent. Les vitres se baissent, les filles s’approchent. En se penchant seins en avant à hauteur de conducteur, on négocie à la fenêtre. Les phares se croisent, s’éteignent, se rallument. Nous sommes au cœur du bois. C’est ici qu’il bat le plus fort. Sur un peu moins de deux kilomètres, une bonne centaine de filles tapinent. Quel spectacle ! Elles dansent, découvrent leurs seins à la première voiture qui ralentit, envoient des baisers, miment les pipes… « Viens bébé, je te suce… », me dit l’une avec son accent mélodieux. Et tous ces bons hommes cherchent le stupre. Ils cherchent, ils cherchent. Ils hésitent, ils repartent. Puis reviennent ! La tête leur tourne. Dans quelques minutes, ils craqueront. Question de temps. Ils viennent ici dans le secret qu’ils partagent parfois avec un ami ou deux. Des silhouettes d’homme entrent et sortent d’entre les arbres. Un type jaillit de derrière un tronc, referme sa braguette et remonte dans sa voiture, soulagé. À l’intérieur du bois, derrière les premières rangées d’arbres, là où la lumière des réverbères de la route peine à parvenir, des ombres lentes se promènent. Des types cherchent, feignant la promenade. Ici tout le monde n’est pas client. Certains sont voyeurs. Ici, on aime pisser en étant vu. On aime se promener dans la pénombre, bercé par le bruit des ébats ou des « floc-floc d’enculade » comme l’écrivait le grand Copi. Des types se masturbent dans le noir, admirant discrètement les silhouettes des filles et des clients qui remplissent le contrat. Je tourne, je vais et je viens. Il est une heure, la fête bat son plein. La banlieue débarque au bois. La plupart des hommes présents sont plutôt jeunes, et d’origine maghrébine ou africaine. Les « jeunes de banlieue », comme on dit. Ils sont beaux, pour un bon nombre d’entre eux. Ici, au bois, ce n’est pas la caricature du client gros et vieux. Non ! Ceux-là ne sont pas majoritaires. Les jeunes gens des beaux quartiers, moins nombreux, eux aussi sont présents. La jeunesse se promène à pied, l’air de rien, seuls ou en bande de copains, pour trouver ces filles un peu spéciales. Ces femmes qui n’en sont pas tout à fait. Ces filles qui, presque toutes, ont gardé leur sexe d’homme et ne le cachent pas… au contraire. C’est bien la quête de ces jeunes hétérosexuels. Car il faut bien être hétéro pour désirer ces cheveux longs, ces seins si fiers, ces courbes féminines, toute cette féminité exacerbée. Brunes ou blondes, les hommes préfèrent les trans ! La majorité des types que je croise ont moins de 35 ans. On voit même des mineurs aux visages d’ange passer de fille en fille pour discuter, négocier puis, finalement, s’engouffrer dans le bois. Un jeune homme blond, dans les 15 ans, bcbg, s’engloutit timidement dans une camionnette avec une fille d’une cinquantaine d’années. Il est consentant. Il a même payé ! Ses copains l’attendent au bord de la route en discutant et en riant. Certaines filles sont d’une beauté à couper le souffle. Elles savent sourire avec grand charme et vous retourner le cœur en un seul regard. Je décide d’aller faire un tour un peu plus loin pour me changer les idées. Je file route des Lacs-à-Madrid. C’est là-bas que les hommes – parfois mariés, ou du moins souvent hétéros officiellement, un peu pédés refoulés ou bien bisexuels – viennent chercher une furtive aventure homosexuelle. Et c’est gratuit ! J’arrive porte de Madrid. Un petit rond-point. D’un côté le bois, de l’autre les premières maisons du guindé Neuilly. Je prends la route des Lacs. Elle fait environ deux cents mètres et se termine en cul-de-sac. Une petite route toute calme, l’air désert. Je pénètre en pleins phares. Sur la droite le bois, sur la gauche une quinzaine de voitures stationnées les unes derrière les autres le long du centre équestre. Quelques-unes ont allumé leurs phares dès mon arrivée. Elles me font de l’œil ! Je roule au pas, leur faisant face. Dans chaque voiture, un homme attend. C’est le sex-drive. Je ralentis devant chaque véhicule. Les conducteurs me regardent. On ne me fait ni bonjour ni sourire. On attend juste la proposition ! Des vieux, des jeunes, des voitures de luxe, des vieilles poubelles, il y a de tout. Dans le dernier véhicule, un jeune homme à demi allongé sur le fauteuil conducteur se fait sucer par une transsexuelle. Elle relève la tête, je la reconnais. C’est une fille du bois, une prostituée. Elle a dû proposer au client de venir faire la passe ici, chez les pédés, où ils seraient tranquilles. Un homme d’une quarantaine d’années profite du spectacle en regardant par la fenêtre, ce qui ne semble pas gêner le jeune homme sûrement un peu exhibitionniste. Je fais demi-tour. J’aperçois à quelques mètres de moi, entre deux arbres un jeune Rebeu en survêt, Nike « TN » au pied, qui se masturbe de profil en regardant dans ma direction. Un autre jeune homme du même style le regarde, puis me regarde, et disparaît dans le bois. Beaucoup d’affaires se concluent derrière les arbres. Deux hypothèses. Soit ces deux jeunes de banlieue sont en quête d’aventures homosexuelles (il y en a beaucoup !), soit c’est un guet-apens. Ou les deux en même temps ! C’est fréquent ici. Les types suivent dans les bois une jolie racaille… et se font dépouiller. Mais les racailles joignent parfois l’utile à l’agréable et se laissent faire la gâterie proposée avant de passer aux choses sérieuses. Le vol leur permet de se convaincre qu’ils ne sont pas là pour le sexe. Que le sexe est le prétexte au vol. Alors que c’est évidemment le contraire ! En repartant vers la sortie, je croise un vieux monsieur précieux, cheveux blancs permanentés, au volant de sa petite voiture qui pénètre route des Lacs. Son petit chien l’accompagne sur le fauteuil passager. J’ai envie de voir ce qu’il va faire. Je quitte la route, puis reviens deux minutes plus tard. Au fond, sa voiture est garée près de l’endroit ou zonaient les deux jeunes en survêtement. Il n’est plus dedans. Son petit chihuahua est resté seul. Il gratte à la fenêtre, couinant dans les aigus. Le toutou semble inquiet. Il y a de quoi ! Un autre vieux me tourne autour en vélo. Il a la coupe de cheveux de Montherlant mais porte un short, ça ne peut pas être l’auteur des Jeunes filles. Je me dirige vers la sortie de la route des Lacs. À ma gauche, sur la porte de Madrid se trouve un gros robinet public en métal vert. Un vieux cycliste en T-shirt long tombant au-dessous des fesses mais les jambes nues, s’y arrête. Il l’allume, fait un demi-tour sur lui-même, et s’introduit comme il peut le robinet dans le cul. Je n’en crois pas mes yeux, il se fait un lavement public ! En pleine lumière des réverbères, face aux premiers immeubles de Neuilly. Il prend son temps. Après une ou deux minutes dans cette position (on dirait qu’il skie !) il sort de sa sacoche quelques feuilles de sopalin et se torche. Il remonte sur son vélo, et s’engouffre route des Lacs. Il préparait le terrain ! Je ne boirai plus jamais au robinet.Je retourne allée de la Reine-Marguerite. Il est 2 heures, c’est l’effervescence. Plein de mecs se baladent. Les bandes de jeunes hommes discutent maintenant ouvertement avec les filles. Ils ne font plus semblant de se promener là par hasard. Des voitures en warning sont stationnées de tous côtés. Des groupes de mecs palabrent entre eux, c’est l’heure des conciliabules. « Vas-y on fait quoi ? On essaye ? C’est un trans mais elle est bonne ! Putain, elle est vraiment belle. T’as combien sur toi ? Moi il me reste trente euros. Si t’as dix euros on lui demande si elle peut nous sucer à deux. » À ma droite, la toute petite route de Suresnes s’enfonce dans l’obscurité du bois. Mais jusque loin dans le noir, on aperçoit des petites lumières de couleur. On devine le sexe. J’y pénètre. La route est étroite. Sur les côtés, les grosses fourgonnettes s’enchaînent tous les vingt mètres. À l’intérieur, les filles trans sont comme en vitrine. Ici elles sont plus âgées. Elles ont tapissé leur petite scène-cabine de léopard ou de zèbre et l’ont éclairée de lumière parfois rose ou rouge. Des tableaux de Pierre et Gilles ! Certaines sont sublimes. D’autres monstrueuses, mais tellement spectaculaires qu’elles sont sublimes aussi. Cette petite route-circuit est interminable, ça tourne à gauche, puis à droite, ça n’en finit plus. Un véritable train fantôme du sexe. Il y a la queue devant nous ! Après quelques minutes, la petite route dégueule de nouveau sur l’allée de la Reine-Marguerite. Ça vibre encore plus. Plus il est tard, plus c’est chaud. Passé deux heures, parfois après quelques gorgées d’alcool, les filles veulent appâter le client. Certaines sont maintenant nues. D’autres se caressent entre elles. Les hommes deviennent fous devant ce spectacle. Quelques filles caressent le sexe des types qui leur demandent le prix. D’autres les embrassent langoureusement avec la langue. Ils ne pourront plus résister, même ceux qui étaient venus juste comme ça, pour « voir le bois ». Dois-je dire ici que certains soirs, lors de mes promenades pour écrire cet article, certains de mes copains hétéros, venus juste pour m’accompagner et voir l’endroit, se sont laissé dévorer par le bois et ses créatures ? Le chant des sirènes était trop puissant. Après des heures de seins magnifiques, de formes sur-sexuelles, de cheveux caressants, ils perdent leurs repères. Tant pis si leur « hétérosexualité » doit en prendre un coup !

Jusqu’à la fin de la nuit on croise et recroise les mêmes personnes. Ici, on vient zoner. On s’oublie un peu, on brise les tabous. On vient s’enivrer de délices et faire la fête. Car le bois est une fête. Quelque chose de joyeux, malgré tout, y règne. La vie n’est pas toujours rose pour les filles qui y travaillent. Mais le travail du sexe semble moins douloureux pour ces filles trans que pour les femmes « biologiques». Ou du moins, chez les trans on assume plus souvent de prendre parfois du plaisir avec les clients que chez les femmes. Une Brésilienne historique du bois m’a raconté ceci : « J’aime faire la pute. Ça me plaît. Au fond, je suis quand même un peu un homme. Et les hommes aiment le sexe. La plupart des clients que je fais, ça me plaît de les faire. Quand je vais avec eux, je suis excitée. Pas avec tous, mais avec beaucoup. Être payée pour faire l’amour, la nuit, dans ce bois magnifique, moi ça me plaît. Je trouve cela excitant. » Mais depuis plus de dix ans, la clientèle chic a un peu disparu. Les prix ont baissé. On fait aujourd’hui la pipe pour vingt euros et la totale pour quarante. Parfois moins. Et puis, il y a les agressions, les meurtres. Trop de filles ces dernières années ont été tuées. Quelquefois, des bandes viennent racketter les filles et les clients. Certaines travailleuses ne font pas cela la joie au cœur. Elles aimeraient faire autre chose. Chaque pute est différente. Mais ce bois, beaucoup de celles qui y travaillent ou qui y ont travaillé l’aiment malgré tout. Splendeur et misère du bois de Boulogne. « Les hommes nous désirent, on les rend fous. C’est valorisant, m’a expliquél’une d’elles. Quand je vois tous ces mecs prêts à payer pour moi, c’est flatteur. Pour nous les filles trans, ce n’est pas toujours facile de trouver un copain. Quelqu’un qui assume vraiment d’être avec une trans. Alors, les caresses des clients qui nous plaisent, leurs baisers, parfois on les prend avec plaisir. Mais lorsqu’on rentre chez nous, qu’on enlève les faux cils, le maquillage, c’est là qu’on aurait besoin de quelqu’un. Et très souvent, il n’y a personne. Pour la plupart des hommes, nous ne sommes qu’un objet de fantasmes, une parenthèse sexuelle. C’est le revers de notre médaille. C’est le tragique de notre histoire. »

Vincent Campredon: l’océan pour passion

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Le marin français Vincent Campredon. DR.

Directeur du Musée national de la Marine, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, nous conte avec style et panache son amour de la mer.


Avec Le voyage en mer, Vincent Campredon, de l’Académie de Marine, directeur du Musée national de la Marine, explore les raisons de son goût insatiable pour la navigation et l’océan.

Issu d’une famille de marins, il a passé son enfance et son adolescence à Brest et à Toulon, puis il s’est engagé à son tour.

Il a navigué sur tous les océans ; il a également participé à de nombreuses courses au large.

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De l’eau salée dans les veines

Que nous raconte-t-il dans cet opus qui tient autant du récit que de l’essai ? Après six ans de très importants travaux, à la fin d’octobre 2023, le nouveau musée de la Marine ouvre ses portes au grand public sur la place du Trocadéro, à Paris. « Ce n’est pas à une visite de ses exceptionnelles collections (plus de 1000 œuvres) que nous convie Vincent Campredon, son directeur, mais à une étonnante traversée », explique l’éditeur Grasset. « Le voyage en mer n’est pas un voyage sur les eaux, fussent-elles rêvées ou rugissantes, qu’elles apaisent ou engloutissent. C’est un appel, une attente de vivre, de découvrir, de prendre ses distances, de se transformer. Voici le livre d’une vie et d’une passion, où l’on suit, entre autres guides imparfaits, Bougainville, Cook, Surcouf et Lapérouse… »

Marin et Officier de Marine émérite, Vincent Campredon nous fait découvrir les légendes des corsaires, l’invention de la carte marine et les plus incroyables batailles navales. Il évoque la découverte de la longitude, le rêve fou de Magellan et les courses transatlantiques à la voile, « ces dernières aventures modernes qui laissent les femmes et les hommes hors de toute portée… » On le suit au Cap Horn, dans les profondeurs de l’Atlantique avec les sous-mariniers, en mer de Chine sur La Jeanne, à Tahiti… Il nous convie sur le rivage, et au musée où il rêve devant les maquettes, dessine des goélettes, s’intéresse au guide des nœuds et découvre le mystère des marées. Il dit tout de ces océans que pourtant on maltraite et qu’il est si nécessaire de protéger. 

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L’homme manie avec autant de dextérité l’écriture que le gouvernail. Il ne manque pas de style. « J’ai de l’eau salée dans les veines. Je suis un « cul salé », comme on dit dans le Finistère. La mer me parle. M’inspire. M’irrigue. Elle rythme ma vie depuis l’enfance et les affectations de mon père, l’amiral Jacques Campredon, en Tunisie, à Toulon et à Brest. L’océan m’aspire. C’est mon jardin, mon ailleurs. C’est une sorte de porte vers l’infini. » Un voyage en mer et en mots pas comme les autres.

Le voyage en mer, Vincent Campredon ; Grasset ; 166 p.

Le voyage en mer (essai français)

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Simone Signoret, la nostalgie camarade

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Roschdy Zem et Marina Foïs grimmés en Yves Montand et Simone Signoret, dans le film de Diane Kurys actuellement en salles "Moi qui t'aimais" © David Koskas / New Light Films

Nous sommes le lundi 30 septembre 1985, au volant de ma vieille Peugeot, j’entends à la radio un flash spécial : Simone Signoret est morte. Ce souvenir reste depuis gravé dans ma mémoire. Il faisait gris et le vent malmenait la voiture. J’aimais beaucoup Signoret, son visage détruit, comme aurait dit Duras, ses rides de la désillusion amoureuse, ses cheveux blancs, non pas ceux de la sagesse, mais de la souffrance imposée par Yves Montand, magicien de la scène à la voix mélancolique et au regard de chien battu, d’un professionnalisme à rendre jaloux les Américains. « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes… » Et l’émotion est là, directe.

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Signoret, je la vois immédiatement dans deux rôles. Le premier, dans le long-métrage de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres. Elle joue le rôle de Mathilde, une résistante éliminée par son propre réseau, en 1943. La scène de sa mort est tournée Avenue Hoche, non loin du parc Monceau. Je m’y suis souvent rendu comme si cet assassinat était réel. Signoret était tellement « naturelle » qu’on oubliait que c’était du cinéma. Le second, dans Police Python 357, de Corneau. Un polar noir, efficace, sur fond de société consumériste. Signoret joue une bourgeoise en fauteuil roulant. Elle est alcoolique, dévastée par le cocufiage de son mari. Elle veut mourir, finit par supplier Montand, qui joue le rôle d’un fic pris dans un engrenage machiavélique, de la tuer. Signoret est tout entière dans ce rôle de femme-épave, le regard injecté de whisky, sans larmes, morte déjà. Elle résume sa vie amoureuse face à la caméra. Elle ne joue pas, elle est Signoret, première actrice française oscarisée, humiliée par son mari chanteur, effacée, croit-elle, par la beauté délétère de Marilyn Monroe, maîtresse d’un soir de celui qu’elle a rencontré le 19 août 1949, à la Colombe d’Or, dans l’arrière-pays niçois, et qu’elle a aimé jusqu’au bout de la déraison.

Pari un peu fou

Signoret fut une immense actrice et une femme malheureuse. À la mort de Marilyn, pourtant, Montand l’appelle, il bafouille au téléphone, paumé. Elle l’écoute, ne raccroche pas. Elle est aussi triste que lui. Elle meurt donc le 30 septembre 1985 d’un cancer du pancréas, dans sa maison d’Autheuil-Anthouillet (27). Elle n’avait que soixante-quatre ans. Elle avait écrit en 1976 une très belle autobiographie, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Pivot l’avait reçue à Apostrophes. Elle avait paru timide, presque gênée d’être sur le plateau, elle qui fut l’amie de Sartre et de Simone de Beauvoir, « compagnon » de route du PCF.

De nombreuses biographies ont été écrites sur elle, son couple, sa fille, Catherine Allégret. Nicolas d’Estienne d’Orves, écrivain et critique musical, a pourtant relevé le défi d’en ajouter une nouvelle. Enfin pas tout à fait, il a relevé un pari un peu fou : celui de se mettre dans la peau de Simone, née Kaminker, le 5 mars 1921, à Wiesbaden, et de lui donner la parole. Pari dangereux, car il était difficile alors de se montrer objectif, notamment sur le voyage qu’elle fit avec Montand dans les pays de l’Est, du 16 décembre 1956 à fin mars 1957 – la moindre des choses aurait été de boycotter l’URSS dont on connaissait les massacres de masse organisés par Staline, notamment avec Le Zéro et l’Infini, ouvrage d’Arthur Koestler, et surtout après l’écrasement du soulèvement hongrois par les chars russes, le 4 novembre 1956, à Budapest. Mais pari gagné.

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On finit par lire l’ouvrage comme si c’était Signoret qui l’avait écrit. On la trouve de mauvaise foi – la question sur l’URSS. On la trouve également très sévère à l’égard de Montand – homme colérique certes, mais pas si « enfantin » que cela…

On comprend mieux, cependant, qu’elle ait accepté d’être Mathilde, dans L’Armée des ombres, elle, la demi-juive qui fréquenta Jean Luchaire et d’autres collabos parisiens, histoire de vouloir réparer une errance de jeunesse. Elle apparait entière, excessive, autodestructrice, en un mot, vivante. Et également glaçante. Après la passade Marilyn, Signoret – enfin l’auteur – lance à Montand : « Tu m’as trahi avec une beauté, je vais te faire vivre avec une vieille dame… »

Nicolas d’Estienne d’Orves, Simone Signoret, histoire d’un amour, Calmann-Lévy. 400 pages.

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Tous mineurs isolés!

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La mosquée des Bleuets, à Marseille, mai 2025. Pour une partie de la jeunesse des cités, l’islam devient la boussole de substitution quand famille, école et République s’effacent © Frederic MUNSCH/SIPA

Avec l’effondrement du cadre familial, l’enfant est devenu un dossier, un cas, une variable. Les parents et l’Éducation nationale ayant renoncé à exercer leur autorité, les écrans, les radicalités religieuses et les cultures d’importation distillent l’anomie chez les petits Français.


Il fut un temps, pas si lointain, où l’on naissait dans un monde déjà habité. Un monde dur, parfois injuste, mais structuré. L’enfant y trouvait sa place à travers la langue des parents, les récits des aînés, les gestes transmis. La verticalité n’était pas un choix : c’était une évidence. On entrait lentement dans la condition humaine, protégé d’abord, puis exposé. La filiation donnait une direction. L’école, la famille, la communauté assuraient une continuité.

Ce monde s’est effondré, et avec lui les piliers qui soutenaient l’enfance. Aujourd’hui, l’enfant moderne naît dans un univers où tout est disponible mais où rien n’est transmis. Saturé d’images, de bruit, d’objets – mais vide de repères, de silence, d’autorité. Il ne reçoit plus de monde à habiter. Il doit le fabriquer seul, en puisant dans des fragments de discours contradictoires, souvent violents.

Captures d’écran de comptes TikTok : la jeunesse française, notamment rurale, est happée par les écrans et l’anomie. DR.

On parle de mineurs isolés pour désigner les jeunes migrants sans famille. Mais ce terme devrait être élargi à toute une génération. Les enfants d’aujourd’hui, en France comme ailleurs, sont eux aussi des mineurs isolés dans leur propre pays. Mineurs, car encore en construction. Isolés, car laissés à eux-mêmes, dans une société déserte d’adultes.

La désintégration commence par le foyer. Le père, autrefois porteur de nom, de loi, de force contenue, a disparu ou s’est effacé. Il n’est plus une autorité, ni même un modèle. Il est un figurant social, parfois violent, souvent absent, presque toujours dépossédé de sa fonction symbolique. La société moderne ne sait plus quoi faire de lui – sinon l’écarter.

La mère, elle, se retrouve seule à tout porter. Elle travaille, élève, organise, console. Mais cette omniprésence n’est pas une victoire. C’est une fatigue. Elle est seule face à l’enfant, au réel, aux injonctions contradictoires. Elle aime, mais ne peut plus élever. Non parce qu’elle ne le veut pas, mais parce que le monde autour d’elle ne tient plus.

Alors on délègue. À l’école. Aux crèches. Aux écrans. Aux algorithmes. L’enfant est confié, pris en charge, mais jamais regardé dans la durée. Il devient un dossier, un cas, une variable. L’autorité est fragmentée, dispersée entre spécialistes et institutions. Et dans cette dilution, l’enfant n’appartient plus à personne.

L’école républicaine aurait pu être le dernier rempart. Elle aurait pu transmettre, structurer, incarner. Mais désarmée par la peur de l’autorité et par l’idéologie de la neutralité absolue, elle a renoncé à éduquer. Elle instruit mal, elle forme sans orienter, elle encadre sans parler au cœur. Le maître n’enseigne plus une culture. Il distribue des compétences. Il n’est plus une figure, mais un agent. Il gère des élèves devenus « publics cibles », dans des classes surchargées, avec des mots filtrés, des livres expurgés, des symboles neutralisés. La France n’est plus racontée. Elle est réduite à un règlement intérieur. Le passé est suspect, l’histoire est morcelée, la langue abîmée.

Et alors, que reste-t-il à l’enfant pour se construire ? Rien qu’un brouhaha idéologique, une jungle de récits concurrents : l’indigénisme, l’ultra-féminisme, l’islamisme culturel, l’utopie technologique. Tout est possible, sauf d’hériter. L’école moderne produit des mineurs sans mémoire.

Ce que la famille et l’école ne transmettent plus, les écrans le prennent en charge. Dès l’âge de 3 ans, parfois avant, l’enfant entre dans une matrice numérique. Il y trouve tout, sauf l’essentiel. Il s’y sent libre, mais est captif. Il croit apprendre, mais il consomme. Il pense choisir, mais il est guidé par des logiques marchandes ou idéologiques.

Le numérique n’est pas neutre. Il colonise l’imaginaire. Il efface le silence, l’ennui, l’intériorité. Il détruit la mémoire. Il crée des identités sans ancrage, des désirs sans fin. L’adolescent ne lit plus. Il scrolle. Il ne parle plus. Il réagit. Il ne rêve plus. Il copie. Et dans cette accélération constante, il perd le sens de lui-même. Il devient étranger à son propre corps, à son propre nom. Il se pense « fluide », « non binaire », « traumatisé », mais ne sait plus ce que signifie devenir adulte. Il devient un être fragmenté, hypersensible, incapable de stabilité ou de projection.

Ce contexte produit une génération fragile, anxieuse, vulnérable aux extrêmes. Beaucoup s’effondrent. D’autres explosent. La psychiatrie infantile est saturée. Les tentatives de suicide augmentent. Les automutilations deviennent banales. Le langage affectif s’efface. La solitude grandit. Pour se sentir vivant, il faut transgresser : violence, sexe, drogue, religion, radicalité. On ne cherche pas seulement un frisson : on cherche un cadre qui tienne. Ce que les institutions ne donnent plus, certains le trouvent dans des récits dangereux – mais clairs. L’islamisme, le virilisme, les communautarismes offrent des lois là où l’État ne propose plus que des valeurs molles.

Dans les cités, la jeunesse trouve une structure dans l’islam, dans la rue, dans la cause palestinienne. Ce n’est pas toujours un choix conscient. C’est une prise en charge. Quand la République ne parle plus, d’autres le font. Le ressentiment se transforme en religion. L’école est méprisée, l’État haï. La France est vue comme une mère morte ou absente.

Dans les zones rurales et les petites villes, une autre jeunesse – blanche, silencieuse, souvent masculine – s’éteint sans bruit. Elle ne brûle rien, elle ne marche pas. Elle reste chez elle, invisible. Les filles s’en vont. Les écrans occupent les jours. L’alcool ou la drogue anesthésient les soirs. Ce jeune homme ne revendique rien. Il constate qu’on ne l’a jamais regardé. Il voit son monde se dissoudre : son accent, sa religion, ses repères. Il sent qu’il est devenu suspect. Il ne comprend pas ce qu’on attend de lui. Il se tait, ou bien il se radicalise en silence.

À ce malaise diffus chez les jeunes hommes blancs s’ajoute un sentiment plus trouble, plus intime, rarement nommé : celui d’un remplacement sexuel. Ce n’est pas seulement la place sociale ou culturelle qui semble leur échapper, mais aussi la place dans l’imaginaire féminin, dans le jeu amoureux, dans la compétition de la virilité. Face à eux, des jeunes issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne apparaissent souvent plus sûrs d’eux, plus affirmés, plus frontaux dans leur rapport au monde. Ils n’ont pas honte de leur masculinité. Leur audace, parfois brutale, tranche avec la timidité d’une jeunesse blanche culpabilisée, castrée symboliquement, paralysée par la peur d’être taxée de sexisme ou de domination.

Cette asymétrie se double d’une représentation médiatique omniprésente : films, séries, publicités, tous mettent en scène des couples mixtes où l’homme est l’exotique, le dominant, le désiré – et où le jeune Blanc n’existe plus, sinon comme rival maladroit ou spectateur frustré. Pour ceux qui restent seuls, invisibles, ce n’est pas l’amour qui fait défaut : c’est la possibilité d’exister comme homme. Ce ressentiment sexuel, bien plus que les discours idéologiques, alimente une rage sourde, une humiliation silencieuse qui pourrait un jour chercher à se venger.

Ce double effondrement est aggravé par un non-dit politique majeur : l’immigration de masse, depuis quarante ans, a profondément bouleversé l’équilibre national. L’assimilation a été abandonnée. La République a remplacé l’exigence par la tolérance passive, puis par la soumission.

Ce n’est pas l’étranger ou le descendant d’immigrés qui est en faute, c’est l’État qui a cessé de transmettre la France. Le vide laissé par ce renoncement a été rempli par des contre-récits puissants : l’oumma, l’indigénisme, la haine du passé. L’école n’y peut rien. L’État n’ose plus rien. Et dans ce vide, la fracture devient culturelle, puis ethnique, puis existentielle.

Face à cela, les jeunes Français issus de souche populaire se sentent effacés. Non pas haïs, mais dépassés, remplacés, oubliés. On leur dit que leur culture n’est pas menacée, mais ils voient qu’elle n’est plus enseignée, ni respectée, ni incarnée. Leur ressentiment est croissant, confus, mais réel.

Ces deux jeunesses, que tout oppose en apparence, ont un ennemi commun : l’adulte qui a renoncé. Mais au lieu de se rejoindre, elles pourraient bientôt s’affronter. Car la colère a besoin d’une cible. Et quand l’État ne l’entend pas, la cible devient l’autre.

Tout est en place pour une guerre froide sociale et identitaire. Pas encore une guerre civile, mais une suite de conflits diffus : dans les classes, dans les quartiers, dans les esprits. Chacun enfermé dans son récit. Chacun certain d’avoir été trahi. Le ressentiment, nourri par des années de silence et de mépris, est le carburant de tous les extrémismes à venir. Il suffit d’une étincelle.

Face à ce monde en ruine douce, il reste encore des enfants debout. Pas parce qu’ils sont surdoués. Pas parce qu’ils sont protégés par leur statut social. Mais parce qu’un adulte, quelque part, a tenu debout devant eux. Un père. Une mère. Un professeur. Un prêtre. Un grand frère. Ces enfants debout ne sont pas des héros. Ce sont des survivants. Des enfants qui ont eu la chance d’être regardés, cadrés, nommés. Ce sont eux qui nous rappellent ce que peut encore un adulte : dire non, transmettre une histoire, affirmer une limite, incarner une parole.

Le problème n’est pas technique. Il est civilisationnel. Il ne s’agit pas de créer un nouveau plan pour la jeunesse, ni de multiplier les psychologues scolaires. Il s’agit de redevenir des adultes. De réapprendre à parler, à interdire, à guider. De dire : « Tu viens d’un monde plus ancien que toi. Ce monde est imparfait, mais il est à toi. Tu n’as pas à le détruire pour exister. » Il faut cesser de se cacher derrière des abstractions et des discours inclusifs. Ce qui sauve un enfant, ce n’est pas l’égalité des chances : c’est la présence incarnée.

Tant que nous continuerons à déléguer la parole, à confondre tolérance et renoncement, à abandonner les jeunes à eux-mêmes, ils seront tous, quelles que soient leur origine ou leur foi, des mineurs isolés.

Non pas étrangers par leur naissance, mais étrangers dans leur propre pays. Et ce jour-là, quand ils se lèveront – non pour construire, mais pour juger –, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.

Les parapluies d’Islamabad

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Sur cette photo officielle, le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif, à gauche, étreint le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, après la signature d’un pacte de défense conjoint à Riyad, en Arabie saoudite, le mercredi 17 septembre 2025 © Saudi Press Agency/AP/SIPA

Riyad et Islamabad ont scellé un accord militaire stipulant qu’«une attaque contre l’un des deux pays sera considérée comme une attaque contre les deux». Le Pakistan disposerait aujourd’hui de 160 à 170 ogives nucléaires.


Lorsque, le 17 septembre 2025, Islamabad et Riyad ont annoncé leur pacte de défense mutuelle, la réaction internationale a été immédiate. Derrière les formules convenues d’« amitié fraternelle » et de « coopération stratégique », l’ombre de l’arme nucléaire s’est imposée. Depuis plusieurs décennies, l’Arabie saoudite est soupçonnée d’avoir financé en partie le programme atomique pakistanais, et voici que la perspective d’un « parapluie nucléaire » s’esquisse, au moment où l’Iran affiche un enrichissement d’uranium toujours plus avancé et où Israël semble plus déterminé que jamais à refaçonner la région. Et surtout, lorsque la garantie américaine, vieille de quatre-vingts ans, perd de sa fiabilité…

Quelle effectivité ?

Mais que signifie, concrètement, un tel « parapluie » ? La question suppose d’abord d’évaluer la réalité des moyens dont dispose le Pakistan. À la différence des grandes puissances nucléaires, Islamabad dispose d’un arsenal significatif mais limité, moderne mais vulnérable, et contraint par les équilibres régionaux.

Selon les estimations récentes, le Pakistan posséderait environ 160 à 170 têtes nucléaires. Ce stock, conséquent à l’échelle régionale, repose sur plusieurs familles de vecteurs, notamment les missiles balistiques terrestres de la série Shaheen, les missiles à moyenne portée capables d’atteindre le territoire indien ou iranien, et certains vecteurs adaptés pour frapper des cibles régionales. Cette diversité confère au pays une marge de manœuvre opérationnelle, mais il n’est pas extensible à l’infini. Toute extension de la dissuasion à un allié nécessiterait de repenser l’équilibre interne structuré autour de la rivalité avec l’Inde.

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Dès lors, la crédibilité d’un parapluie nucléaire ne se mesure pas uniquement au nombre de têtes disponibles ; elle dépend surtout de la posture opérationnelle : l’état de préparation des forces, le degré d’alerte du commandement, la capacité à projeter rapidement des moyens et à menacer des cibles stratégiques précises. Sans ces éléments, une promesse politique resterait vulnérable au soupçon d’ineffectivité.

Étendre la dissuasion à un tiers impose de revisiter en profondeur la doctrine pakistanaise. Elle devrait intégrer de nouveaux scénarios et préciser de nouvelles conditions d’emploi de l’arme nucléaire au profit d’un allié. Cela soulève la question de la chaîne de décision : qui, du Premier ministre, du chef d’état-major ou du commandement nucléaire, serait en droit d’autoriser une frappe destinée à protéger Riyad ? La question de la « double clé », autrement dit du partage de l’autorisation ultime de tir, serait politiquement explosive.

Au plan technique, un parapluie crédible suppose l’établissement de canaux sécurisés, comparables à ceux de l’OTAN, avec codes d’authentification et procédures d’activation conjointe. Il exigerait aussi des mesures de sécurité physique pour tout prépositionnement éventuel. Enfin, l’efficacité d’un tel dispositif ne pourrait être garantie qu’au prix d’exercices conjoints réguliers. Ces ajustements, complexes et coûteux, multiplient les vulnérabilités : fuites, erreurs humaines, tensions internes.

Les chancelleries occidentales inquiètes

À court terme, une garantie politique pourrait être donnée en quelques jours ou semaines. Elle coûterait peu sur le plan financier, mais beaucoup sur le plan diplomatique, car elle placerait immédiatement Islamabad dans la ligne de mire des chancelleries occidentales et des instances internationales.

Une posture crédible demanderait davantage de temps. Il faudrait négocier les détails techniques, installer des liaisons de commandement, organiser des exercices conjoints et éventuellement prépositionner des moyens logistiques.

Enfin, le scénario du transfert matériel (ogives ou systèmes de livraison) en Arabie saoudite serait long et coûteux. Sa mise en place nécessiterait plusieurs mois, voire plusieurs années. Le prix à payer ne se mesurerait pas seulement en dépenses logistiques ou sécuritaires, mais aussi en conséquences économiques et politiques. Comme le rappelle le Washington Institute, le coût véritable d’un parapluie nucléaire pakistanais n’est pas technique mais systémique, et réside dans le bouleversement des équilibres géopolitiques et économiques que cette décision entraînerait.

Étendre la dissuasion à Riyad signifierait non seulement partager une partie de son outil nucléaire, mais aussi assumer les conséquences d’une confrontation élargie avec l’Iran, d’une crispation accrue avec l’Inde et d’un isolement probable sur la scène internationale. Plus qu’une démonstration de puissance, ce parapluie serait une fuite en avant dont Islamabad et Riyad ne maîtriseraient pas toutes les retombées.

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L’Arabie saoudite, quant à elle, peut trouver dans cette option une solution à la principale menace : l’Iran. Depuis 1979 et la révolution islamiste, les deux pays mènent une guerre larvée pour l’hégémonie du monde musulman. Pour les Saoud, le défi lancé par Khamenei est une question de légitimité et donc de survie politique. C’est au nom de principes religieux que le grand-père du prince héritier Mohamed ben Salmane a détrôné les Hachémites, pourtant issus en ligne directe de la famille du Prophète, de leur rôle de gardiens de La Mecque et de Médine. C’est en voulant se protéger que les Saoud se sont lancés dans une surenchère de radicalisation islamiste face aux mollahs, y compris en soutenant l’islamisation du Pakistan menée par le général Zia ul-Haq.

Riyad pourrait donc se réjouir de voir son rival iranien confronté à une menace directe, mais le parapluie nucléaire protège autant qu’il attire le feu. En s’adossant au Pakistan, Riyad deviendrait une cible prioritaire pour Téhéran, qui pourrait multiplier les frappes de missiles, l’usage de drones ou l’action de ses supplétifs régionaux. Un conflit régional limité risquerait de se transformer en affrontement direct, avec un Pakistan aspiré dans une guerre qui n’est pas la sienne. Les Houthis, déjà capables de menacer les installations pétrolières saoudiennes, trouveraient un prétexte pour intensifier leurs opérations. Enfin, la relation avec l’Inde, partenaire économique majeur du Golfe, serait fragilisée : New Delhi pourrait interpréter cette extension de la dissuasion pakistanaise comme une provocation.

La tentation est grande pour les deux capitales de trouver, dans l’atome pakistanais, un raccourci stratégique. Mais ce raccourci mène droit dans un labyrinthe d’incertitudes politiques, militaires, diplomatiques et économiques. La dissuasion étendue peut fonctionner lorsqu’elle repose sur une puissance dominante disposant d’un réseau d’alliances et d’une économie capable d’absorber les chocs. Le Pakistan n’a ni la marge de manœuvre économique des États-Unis, ni la capacité diplomatique de l’OTAN. Nous assistons donc à une expérimentation grandeur nature de la géopolitique d’un monde multipolaire.

Nicolas Sarkozy: une «haine» dont on relève appel…

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Philippe Bilger © Pierre Olivier

Même s’il partage la stupeur des citoyens, quant à l’exécution provisoire du mandat de dépôt (à organiser dans le délai d’un mois) et qui mènera l’ancien chef de l’État en prison, notre chroniqueur récuse l’argument de la « haine » des magistrats à son endroit évoqué par Nicolas Sarkozy.


Je ne suis pas Marine Tondelier et je me garderai bien de toute moquerie, de la moindre dérision à l’encontre de Nicolas Sarkozy et de la droite, comme elle le fait lourdement. Comme si la gauche et l’extrême gauche avaient des leçons de morale publique à donner !

Comme Nicolas Sarkozy a décidé d’interjeter appel du jugement de 400 pages rendu le 25 septembre, je ne me prononcerai pas sur le fond. Je vais seulement m’autoriser à contredire certaines affirmations de l’ancien président sur cette juridiction qui l’a très partiellement condamné.

Je relève qu’il évoque « une justice invraisemblable », ce qui est offensant, et qu’il ajoute, comble de l’outrance, « la haine n’a décidément aucune limite ».

Il use d’un argument pauvre et très démagogique en dénonçant la durée de dix ans de cette affaire et en prétendant que des fonds ont été dilapidés qui auraient mérité un meilleur usage. Comme s’il n’était pas nécessaire, au regard de la justice et de la démocratie, de déterminer ce que valaient les présomptions d’avoir commis des délits gravissimes dans une relation avec la Libye.

Une haine ? Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a été condamné, a usé de plusieurs argumentations polémiques pour décrédibiliser les décisions. Les juges rouges, le Syndicat de la magistrature, la partialité des magistrats à son encontre : il avait tout à fait le droit d’invoquer de telles explications pour justifier les insuccès des plaidoiries de ses avocats et de ses propres dénégations. Mais à la longue, cela perdait de sa vigueur pour convaincre !

Mais la haine ?

Nicolas Sarkozy a été relaxé pour trois chefs d’accusation importants : les délits de corruption passive, de détournement de fonds publics libyens et de financement illicite de campagne électorale.

Haine encore ?

Le tribunal a considéré comme probablement faux un document originel – validé pourtant à deux reprises par la Justice -, émanant de Moussa Koussa (haut personnage du pouvoir libyen), et base de l’affaire (article de Mediapart).

En retenant l’association de malfaiteurs et un pacte corruptif à l’encontre de Nicolas Sarkozy, entre 2005 et 2007, dans l’obligatoire connaissance qu’il avait des démarches troubles de Claude Guéant et de Brice Hortefeux en Libye, il me semble – mais ce sera discuté devant la juridiction d’appel – que le tribunal a répudié à juste titre l’invraisemblance d’actions engageant la France sur un mode délétère sans que Nicolas Sarkozy en ait été informé. Pacte corruptif et non corruption puisque, élu président de la République, Nicolas Sarkozy n’a pas dérogé à la politique traditionnelle à l’égard de la Libye. Ce jugement « n’humilie pas la France ni l’image de la France ». Il n’humilie personne, même si l’on peut à nouveau mettre en cause cette exécution provisoire pour le mandat de dépôt différé à organiser dans le délai d’un mois, avec le probable aménagement que son âge facilitera. On sait déjà qu’il est convoqué par le PNF le 13 octobre et qu’il sera incarcéré dans un délai relativement proche.

On ne parle pas de « haine » pour un jugement dont on relève immédiatement appel. Il ne faut surtout pas se moquer de ses protestations d’innocence : celles d’un innocent ou d’un homme, ancien président, qui ne se supporte pas coupable ? La droite, avec Laurent Wauquiez, est démagogique ; avec Bruno Retailleau, heureusement minimaliste : « soutien et amitié ». Vivement l’appel !

Ni l’Europe ni la France ne sont condamnées à la stagnation

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La "Station F", incubateur de jeunes entreprises dans le 13e arrondissement à Paris, 2021 © ISA HARSIN/SIPA

Économiquement, nous ne sommes pas condamnés à être un musée et à regarder les autres nous écraser


Pendant trop longtemps, nous avons accepté une idée aussi paresseuse que fausse selon laquelle la « vieille Europe » serait vouée à croître lentement. Or le ralentissement n’a rien de naturel. Il résulte de nos choix. Quand on protège les rentes au lieu d’ouvrir les marchés, quand on centralise au lieu de faire confiance aux territoires, quand on empile taxes et normes au lieu de libérer l’investissement et le travail, on obtient exactement ce que l’on observe : des factures d’énergie trop élevées, des salaires nets trop faibles, des usines qui hésitent, des jeunes qui partent.

Qu’est-ce qui, concrètement, empêche la concurrence de jouer pleinement son rôle ? Il y a des facteurs qu’on peut qualifier de « distorsions anti‑concurrentielles ». Elles prennent des formes variées — barrières réglementaires, fiscalité qui décourage l’effort, procédures trop lentes, normes extraterritoriales qui ferment des débouchés — mais elles ont le même effet : moins de pression concurrentielle, donc des prix plus élevés, moins d’innovation et des salaires qui stagnent.

Trois verrous pèsent particulièrement sur l’Europe.

Premier verrou : l’énergie devenue un luxe. Nous avons voulu faire porter à nos ménages et à nos usines le coût d’une transition mal ordonnée. Résultat : des prix de l’électricité et du gaz durablement supérieurs à ceux de nos concurrents. Or sans énergie abordable et fiable, il n’y a ni industrie, ni artisanat, ni transports compétitifs. Une politique sérieuse part d’un principe de neutralité technologique : le carbone doit baisser, certes, mais par l’innovation et l’investissement, pas par la raréfaction et des mesures punitives. Il faut sécuriser nos approvisionnements, moderniser nos réseaux et assumer nos atouts — au premier rang desquels le nucléaire.

Deuxième verrou : la règlementation excessive. Nous parlons beaucoup de « marché unique », mais l’esprit de reconnaissance mutuelle a trop souvent cédé la place au réflexe de l’harmonisation lourde. Dans de nombreux secteurs, des règles pensées pour les grands acteurs deviennent des barrières pour les nouveaux entrants. Là où l’on voulait protéger le consommateur, on protège en réalité l’installé. Le résultat se voit : trop de paperasse, trop peu de créations d’entreprises, trop de freins administratifs, et des innovations qui partent ailleurs.

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Troisième verrou : un marché du travail rigide. Nous avons fait de la protection de l’emploi une protection de postes, quand il faudrait protéger les personnes et leurs parcours. Simplifier l’embauche et le dialogue social, rendre le coût du travail moins punitif, faire de la formation une responsabilité partagée et efficace : ce sont des réformes pro‑travail, pro‑salaires et pro‑dignité. Là où l’on a libéré l’apprentissage, bâti des passerelles simples entre chômage et emploi, et cessé d’empiler les contraintes, l’activité repart et les salaires suivent.

Faut‑il pour autant renoncer au modèle social français ? Non. Il s’agit de le sauver de son inertie. Un modèle qui dépense toujours plus sans produire plus finit par s’autodétruire : dettes, impôts, exode des talents. L’Europe centrale nous donne une leçon de bon sens : moins de dette, des impôts plus lisibles, des règles plus claires, et la croissance suit. Plusieurs pays partis de plus bas rattrapent déjà l’Ouest. Ce n’est pas un miracle : c’est l’effet cumulatif de choix pro‑concurrence.

Que faire donc pour relancer la France et, avec elle, l’Europe ?

Baisser la facture d’énergie en assumant une stratégie de sécurité et de coût. Stop aux dispositifs qui renchérissent sans réduire efficacement les émissions. Priorité au nucléaire, aux réseaux, aux contrats d’achat à long terme et à la concurrence dans la fourniture.

Libérer le travail : simplifier le code là où il bloque l’embauche, alléger les charges sur les bas et moyens salaires, récompenser les heures supplémentaires, fluidifier la négociation dans l’entreprise. Protégeons les personnes, pas les statuts.

Accélérer la création d’entreprise : guichet unique réel, délais garantis, droit à l’erreur, formalités numériques simples, faillite rapide et sans stigmate pour rebondir. Orientons l’épargne longue (assurance‑vie, retraites) vers l’investissement productif français.

Stabiliser la fiscalité : moins de taxes qui changent chaque année, plus d’incitations visibles et pérennes à investir, innover et embaucher. La stabilité est la première condition pour convaincre un entrepreneur d’avancer.

Réviser nos normes avec un filtre pro‑concurrence : toute règle devrait prouver qu’elle ouvre le marché au lieu de le fermer. Instaurons un réexamen périodique : si une norme ne démontre pas son utilité, elle disparaît.

Retrouver l’esprit de subsidiarité : la centralisation, à Paris comme à Bruxelles, n’est pas synonyme d’efficacité. Laissons régions et villes expérimenter ; copions ce qui marche. La concurrence entre régulateurs peut être aussi saine que la concurrence entre entreprises.

Ouvrir plus largement nos débouchés par des accords fondés sur la reconnaissance mutuelle et l’équivalence, plutôt que sur l’exportation unilatérale de nos règles. Moins de guerres de normes, plus d’accès réciproques. C’est particulièrement vrai avec les États‑Unis et l’Inde.

Réorienter la dépense publique : arrêter d’opposer réformes et solidarité. En luttant contre les rentes et les gaspillages, on peut à la fois soulager le contribuable et mieux cibler l’aide. Un euro économisé sur l’inefficace, c’est un euro pour la sécurité, l’école, la justice et la défense.

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Faire de l’école‑travail un continuum : valoriser l’apprentissage, l’alternance, les filières techniques d’excellence, et reconnecter l’université avec le tissu productif. Chaque jeune doit sortir des études avec une compétence monnayable et une trajectoire lisible.

Ce programme n’est pas une « austérité joyeuse ». C’est un projet de prospérité par la liberté économique ordonnée. Il ne s’agit pas de privatiser la vie, mais d’aligner nos politiques sur ce qui marche : la concurrence loyale, la propriété, l’ouverture, la responsabilité. À ceux qui craignent que la concurrence abîme la France, on peut répondre que la concurrence est l’alliée du consommateur, de l’ouvrier qualifié, de l’artisan, de l’agriculteur, du créateur de PME. Elle brise les rentes, fait baisser les prix, stimule l’investissement et reconnaît le mérite.

La France a des atouts rarissimes : énergie nucléaire, savoir‑faire industriel, épargne abondante, écosystème tech en montée, État capable de décider quand il le veut. Ce qui lui manque, ce n’est pas une « grande stratégie » de plus, c’est la décision d’enlever les cailloux dans la chaussure de ceux qui produisent, embauchent et exportent.

Nous avons, collectivement, un choix simple à faire. Continuer à gérer le déclin, à coup de rustines fiscales et de normes punitives, en espérant des miracles qui n’arriveront pas. Ou bien choisir la compétition, la subsidiarité et l’ouverture, et retrouver le mouvement ascendant des nations qui croient en elles. L’écart de niveau de vie avec les économies les plus dynamiques n’est pas une fatalité : c’est un écart de politiques.

Rien n’oblige l’Europe à être un musée. Elle peut redevenir un continent de croissance, d’emplois et de salaires en hausse. La recette tient en quelques mots : énergie abordable, travail libéré, marchés ouverts, règles simples. C’est exigeant, mais c’est à notre portée. Et cela commence par une volonté : laisser la France qui entreprend, qui innove et qui travaille, respirer enfin.

Une décision infamante

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Le président Sarkozy, aux côtés de son épouse Carla, s’exprime après que le tribunal l’a condamné à 5 ans de prison et a déclaré qu’il serait incarcéré même s’il fait appel, après l’avoir reconnu coupable lors de son procès pour financement électoral illégal présumé par la Libye, jeudi 25 septembre 2025 à Paris © Michel Euler/AP/SIPA

Hier, la 32ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris a prononcé à l’encontre de l’ancien chef de l’État une peine de prison provisoire, extrêmement surprenante.


C’est une immense secousse politique. Pour la première fois depuis Philippe Pétain, il a été décidé en France de placer un ancien chef de l’État en détention. Ce jeudi, Nicolas Sarkozy a, dans l’affaire dite du « financement libyen » de sa campagne présidentielle de 2007, été condamné pour association de malfaiteurs à cinq ans de prison ferme, 100 000 euros d’amende et une privation de ses droits civiques, civils et de famille pendant cinq ans ainsi qu’une inéligibilité de cinq ans.

Présumé coupable

Sitôt après l’annonce au Tribunal judiciaire de Paris, l’ex-président a fait une allocution devant la presse pour qualifier la décision d’« injustice scandaleuse » et annoncer qu’il ferait appel. Toujours présumé innocent, il n’échappera pourtant pas à une mise sous écrou, car les juges ont assorti leur peine d’une exécution provisoire !

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Concrètement, un mandat de dépôt « à effet différé » a été prononcé, qui oblige Nicolas Sarkozy à se présenter devant le Parquet national financier le 13 octobre prochain pour se faire notifier la date et le lieu de son incarcération (très probablement la maison d’arrêt de la Santé à Paris). Il pourra toutefois dès ce jour-là déposer une demande de remise en liberté, à laquelle la Cour d’appel pourra éventuellement répondre en ordonnant la pose d’un bracelet électronique.

Incompréhensible

Reste que cette exécution provisoire n’avait pas été demandée par le ministère public. Comment interpréter la sévérité exceptionnelle des magistrats du siège ? L’ancien chef de l’État est-il susceptible de récidiver ? De suborner des témoins ? Pour des faits datant d’il y a une vingtaine d’années, ces hypothèses sont absurdes. Seulement, les juges ont considéré, de façon incompréhensible, que Nicolas Sarkozy était un justiciable à l’esprit trop frondeur, notoirement prompt à critiquer les décisions de justice en public et à utiliser toutes les voies de recours, y compris devant les cours européennes. Un homme si indocile présente à leurs yeux un risque de fuite à l’étranger. Lunaire.

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Quant au dossier lui-même, Nicolas Sarkozy a été relaxé des chefs de corruption passive, de détournement de fonds publics libyens et de financement illicite de campagne électorale. Autrement dit, le jugement reconnaît qu’il n’y a aucune trace de sommes suspectes ni aucune preuve que des consignes aient même été données par l’ex-président pour obtenir des fonds auprès du régime dictatorial de Mouammar Kadhafi. Les juges ont également estimé que le fameux document publié par Mediapart, censé être accablant, est un « probable faux ».

En fin de compte, il est reproché à l’ancien chef de l’État d’avoir été entouré de collaborateurs, Claude Guéant et Brice Hortefeux (eux aussi condamnés hier), aux intentions hautement délictueuses et dont il ne pouvait ignorer les agissements répréhensibles. Ce que le Code pénal appelle « association de malfaiteurs », qualification judiciaire habituellement réservée aux mafieux et jamais employée jusque-là pour punir des hommes politiques. Résultat, Nicolas Sarkozy pourrait, selon ses propres termes, « sans doute comparaître les menottes aux mains devant la cour d’appel ». Si tel devait être le cas, pas sûr que l’image de votre pays en sorte grandie.

Podcast: Pourquoi nos sociétés s’effondrent de l’intérieur

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Etienne-Alexandre Beauregard. D.R.

Etienne-Alexandre Beauregard présente son nouveau livre, Anti-civilisation. Avec Jeremy Stubbs.


Etienne-Alexandre Beauregard, ancienne plume du Premier ministre du Québec et auteur déjà de deux essais portant sur la question nationaliste au Québec, vient de publier Anti-civilisation. Pourquoi nos sociétés s’effondrent de l’intérieur, aux Presses de la Cité avec une préface de Mathieu Bock-Côté.

Il nous présente son livre qui explique, d’abord, comment le monde occidental est devenu « civilisé », non seulement en découvrant la démocratie, mais aussi en persuadant les individus à contraindre leurs pulsions et à tisser un réseau de relations de dépendance mutuelle qui nous permettent de faire société. Malheureusement, depuis l’époque des années 1960 et 1970, des penseurs, militants et politiques, surtout de la gauche et l’extrême-gauche, encouragent leurs concitoyens à libérer leurs pulsions et à rompre les liens d’interdépendance. Et ce, au nom d’une multitude d’identités communautaires. Sitôt construite et portée à son apogée, la civilisation est ainsi entrée en déclin. L’homme « ordinaire » et « normal », jusqu’ici porteur de valeurs partagées transmises de génération en génération, est désormais présenté par les thuriféraires des nouvelles élites globalistes comme un être réactionnaire et inculte. Il n’est plus considéré comme le sel de la terre, mais comme un frein qui empêche le progrès de l’homme « nouveau », sans tradition et sans racines, voué à la seule poursuite de son bon plaisir.

Pourtant, il est toujours possible de sauver la civilisation, en reconstruisant le bien commun qui a été longtemps le fondement de nos sociétés. À cet égard, le rôle de l’État reste fondamental, un État régalien fort dirigé par des personnes qui se mettent au service de leurs concitoyens au lieu de les exploiter. Que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe, il faut réconcilier le peuple et l’élite, tâche que seuls des conservateurs, conscients de l’importance de l’identité nationale, peuvent accomplir.